I - CHAPITRE XI

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CHAPITRE XI : ABOLITION DU RITE GOTHIQUE OU MOZARABE EN ESPAGNE. TRAVAUX DE SAINT GRÉGOIRE VII SUR LA LITURGIE. PROGRES DU CHANT ECCLÉSIASTIQUE. RITE ROMAIN-FRANÇAIS. AUTEURS LITURGISTES  DES  XI°  ET  XII°   SIECLES.

 

 

NOTES DU CHAPITRE XI

NOTE A

NOTE B

NOTE C

NOTE D

NOTE E

 

Un grand événement  liturgique  signale  l'époque que nous embrassons dans ce chapitre. La Liturgie gothique ; ou mozarabe succombe en Espagne sous les efforts de saint  Grégoire  VII, comme la Liturgie gallicane avait succombé en France sous les coups de Charlemagne; Il était temps, en effet, que l'Espagne chrétienne, déjà, sinon affranchie, du moins agrandie par les conquêtes de ses héroïques chefs, comptât dans la grande unité européenne. Sa  Liturgie particulière faisait obstacle à cette réunion intime. La prière qui, dans ces temps de foi, était le lien des nations, la prière n'était point commune entre l'Espagne et les autres provinces de la chrétienté européenne. Le Sacrifice, quoique le même au fond, différait essentiellement dans les formes qui frappent les yeux du peuple : les chants et les formules saintes étaient totalement dissemblables. En outre, l'hérésie avait espéré un moment s'appuyer sur les paroles d'une Liturgie dont rien ne garantissait la pureté, puisqu'elle émanait d'une autorité qui ne saurait compter sur l'infaillibilité. Il était temps que l'Église d'Espagne sortît de l'enfance   et passât à l'âge parfait.

Ce  grand changement fut préparé   de longue  main, comme il arrive toujours, et le Pontife qui le consomma

 

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ne fut qu'un instrument conduit par la Providence, qui veut que l'Église montre, principalement dans les formes du culte, l'unité qui est sa vie. L'œuvre de Pépin et de Charlemagne avait dû retentir puissamment en Espagne, seule contrée de l'Occident qui ne fût pas soumise aux lois de la Liturgie romaine. On savait que l'Église gallicane n'avait plus désormais un autre rite que celui de l'Église romaine : jusque-là que les chroniqueurs espagnols, dont on peut voir les passages dans la dissertation du P. Pinius, que nous avons citée ci-dessus (1), se servent du mot Officium Gallicanum, pour exprimer le rite romain.

On voit d'abord, en 1063, un concile tenu à Jacca, en Aragon (2), sous don Ramire Ier, ou Sanche Ramirez, son fils, dans lequel est rendu un décret, portant qu'on ne célébrera plus à la manière gothique , mais à la romaine (3). L'histoire ne dit point expressément quelles furent les causes directes de cette mesure; l'influence de Rome dut y être, sans doute, pour quelque chose. On en jugera par ce qui se passa, six ans après, à Barcelone. Cette ville, conquise avec son territoire, en 801, par Charlemagne, avait adopté, sans aucun doute, la Liturgie romaine, et ceci même nous explique la qualification de gallicane, appliquée en Espagne à la Liturgie romaine, pendant le moyen âge ; les Espagnols désignant sous cette dénomination la Liturgie en usage dans la colonie française de Catalogne. Mais cette vaste province n'était pas tout entière soumise aux Français, et la Liturgie gothique y régnait encore en plusieurs endroits. L'année 1068 la vit abolir pour jamais, par les soins du cardinal Hugues le Blanc,

 

(1)  Chapitre VIII, pag. 195.

(2)  D'Aguirre, Conc. Hispan, tom. III, pag. 228.

(3)  Data sacerdotibus lex, ne quo alio more quam Romano precarentur ; neque Gothica, utpote peregrina, piacula exsolverentur. (Conc. Labb., tom. IX, pag. 1112.)

 

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légat d'Alexandre II. Dans un concile tenu à Barcelone, cette grande  mesure fut  consommée.  L'Église  dut ce bienfait au grand zèle de la princesse Adelmodis, femme  de  Raymond Bérenger, comte de Barcelone. Elle était Française, et toutes les chroniques du temps s'accordent à la montrer comme une princesse d'un grand caractère. Son autorité combinée avec celle du légat, décida du triomphe de la Liturgie romaine dans la Catalogne (1).

L'illustre successeur d'Alexandre II, celui qui avait été l'âme de son pontificat, saint Grégoire VII monta bientôt sur la chaire de saint Pierre, et il résolut d'achever la victoire de l'Église romaine sur la Liturgie gothique. Les florissants royaumes de Castille et de Léon la pratiquaient encore avec un patriotisme chevaleresque : mais le grand Hildebrand, qui poursuivait sans relâche l'œuvre de l'unité européenne, ne pouvait être arrêté par des considérations de nationalité étroite, dans une matière aussi grave que la Liturgie. Nous trouvons dans la collection de ses lettres, celle qu'il adresse, en l'an 1074, à Sanche Ramirez, roi d'Aragon. Il y félicite ce prince de son zèle pour les usages romains, en ces termes si expressifs, qui montrent bien le fond de ses dispositions sur l'important objet qui nous occupe : « En nous faisant part de votre zèle et des ordres que vous avez donnés pour établir l'Office suivant l'ordre romain, dans les lieux de votre domination, vous vous faites connaître pour enfant de l'Église romaine ; vous montrez que vous avez avec nous la même concorde et amitié qu'autrefois les rois d'Espagne entretenaient avec les Pontifes romains. Soyez donc constant, et ayez ferme espérance pour achever ce que vous avez commencé ; parce que nous avons l'espoir en le Seigneur Jésus-Christ, que le bien-

 

(1) Pinius, Tractatus historico-chronologicus. De Liturgia antiqua Hispanica, cap. VI, pag. 43 et seq.

 

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heureux apôtre Pierre, qu'il a établi prince sur les royaumes du monde, et auquel vous vous montrez fidèle, vous mènera avec honneur à l'accomplissement de vos désirs, et vous rendra victorieux de vos adversaires (1).  »

La même année, le Pape écrivit la lettre suivante à Alphonse VI, roi de Castille et de Léon, et à Sanche IV, roi de Navarre :

« Grégoire,  évêque, serviteur des  serviteurs de Dieu, à Alphonse et Sanche, rois d'Espagne, et aux évêques de leurs États. Le bienheureux apôtre Paul, déclarant qu'il a dû visiter l'Espagne, et Votre Sagesse n'ignorant pas que les apôtres Pierre et Paul ont envoyé, plus tard, de Rome,sept évêques, pour instruire les peuples d'Espagne, et que ces évêques ayant détruit l'idolâtrie, fondèrent en votre  pays la chrétienté, plantèrent la religion, enseignèrent l'ordre et l'Office à garder dans le culte divin, et dédièrent les églises avec leur  propre sang ; on  voit assez clairement quelle concorde a eue l'Espagne avec la ville de Rome, dans  la religion et l'ordre des  divins  Offices : mais quand, par suite de l'irruption des Goths, et,  plus tard, de l'invasion des Sarrasins, le royaume d'Espagne fut longtemps souillé par la fureur des priscillianistes, dépravé par la perfidie des ariens, et séparé du rite romain, non-seulement la religion y fut diminuée, mais les forces temporelles de cet État se trouvèrent grandement affaiblies. C'est pour-

 

(1) In hoc autem quod sub ditione tua Romani ordinis officium fieri studio et jussionibus tuis asseris, Romanae ecclesia; te filium, ac eam concordiam et eamdem amicitiam te nobiscum habere, quam olim reges Hispaniae cum Romanis pontificibus habebant, cognosceris. Esto itaque constans, et fiduciam firmam habeas, et quod cœpisti perficias; quia in Domino Jesu Christo confidimus, quia beatus Petrus Apostolus, quem Dominus Jésus Christus, rex gloriae, principem super regna mundi constituit, cui te fidelem exhibes, te ad honorem desiderii tui adducet, ipse te victorem de adversariis tuis efficiet. (Labb., tom. X, pag. 52.)

 

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pourquoi, comme des enfants très-chers, je vous exhorte et avertis de reconnaître enfin pour votre mère, après une longue scission, l'Église romaine dans laquelle vous nous trouverez vos frères ; de recevoir l'ordre et l'Office de cette sainte Église et non celui de Tolède ou de toute autre Église ; gardant, comme les autres royaumes de l'Occident et du Septentrion , les usages de celle qui, établie par Pierre et Paul, consacrée par leur sang, a été fondée sur la pierre ferme par le Christ, et contre, laquelle les portes de l'enfer, c'est-à-dire les langues des hérétiques, ne pourront jamais prévaloir. Car de la source même où vous ne doutez pas avoir puisé le principe de la religion, il est juste que vous en receviez aussi l'Office divin dans l'ordre ecclésiastique : c'est ce que vous apprend et la lettre du Pape Innocent à l'évêque d'Eugubium, et les décrets d'Hormisdas envoyés à l'Église de Séville, et les conciles de Tolède et de Brague; c'est ce que vos évêques eux-mêmes, qui sont venus récemment vers nous, ont promis par écrit, et signé entre nos mains, après la décision d'un concile (1). »

Une résistance vive s'étant élevée en plusieurs lieux, comme on devait s'y attendre, le Pontife n'en fut point ébranlé. Nous avons une autre lettre de lui dans laquelle écrivant à un évêque espagnol, il montre toute l'énergie de son âme apostolique dans la défense des ordonnances du Saint-Siège. Elle est conçue en ces termes :

« Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à Siméon, évêque en Espagne, salut et bénédiction apostolique.

« Ayant lu les lettres de Votre Fraternité, nous avons été rempli de joie, parce que nous y avons reconnu avec plénitude cette foi et cette dévotion que vous portez à

 

(1). Vid., la Note A.

 

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l'Église romaine, que vous ne voulez point délaisser, à la manière des adultères, mais bien embrasser toujours comme la source de toute filiation légitime. C'est pourquoi, Frère très-cher, il est  nécessaire que  vous marchiez droit dans la voie que vous avez prise : car la perversité des hérétiques ne doit point amoindrir ce qui a été sanctionné par la tradition apostolique. En effet, le Siège  apostolique   sur  lequel,  par  la  permission divine, nous présidons,  quoique indigne, est demeuré » ferme depuis son origine,  et restera sans tache jusqu'à la fin, le Seigneur qui le soutient ayant dit : J'ai prié pour toi afin que ta foi ne manque pas ; et quand tu seras converti, confirme tes frères. Forte d'un tel concours, l'Église romaine veut que vous sachiez qu'elle n'a point intention d'allaiter, à diverses mamelles, ni d'un lait différent, les enfants qu'elle nourrit pour le Christ, afin que, selon l'Apôtre, ils soient un, et qu'il n'y ait point de schisme parmi eux : autrement, elle ne serait pas appelée mère, mais scission. A ces causes, qu'il soit donc connu de vous et de tous les fidèles sur lesquels vous avez consulté, que nous entendons et que nous voulons que les décrets qui ont été rendus ou confirmés par nous, ou  plutôt par  l'Église   romaine,  portant pour  vous l'obligation  de vous conformer aux  Offices   de cette même Église, demeurent inébranlables, et que nous ne voulons point acquiescer à ceux qui désirent vous faire sentir leurs morsures de loups et d'empoisonneurs. Nous ne doutons aucunement que, suivant l'Apôtre, il n'y ait parmi vous des loups dangereux, rapaces, qui n'épargnent rien, auxquels il faut résister fortement dans la foi. C'est pourquoi, Frère bien-aimé, combattez et travaillez avec ardeur, jusqu'à l'effusion de votre sang, s'il était nécessaire : car il serait indigne, et on trouverait ridicule, que les séculiers, pour  des choses d'un prix vil, pour un commerce qui déplaît à Dieu, s'exposassent

 

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volontiers aux périls, et que le fidèle ne sût que céder lâchement à l'effort de ses ennemis. En effet, ceux-là ne pouvant acquérir la vertu, tombent facilement dès qu'on les attaque. Quant à ce que disent ces enfants de mort, au sujet des lettres qu'ils auraient reçues de nous, sachez que cela est faux de tous points. Ainsi, faites en sorte que par toute l'Espagne et la Gallice, en un mot, partout où vous le pourrez, l'Office romain soit observé, avant toutes choses, avec plus de fidélité (1). »

Pour presser avec plus d'efficacité l'accomplissement de ses désirs, saint Grégoire VII, suivant son usage, députa un légat vers les Églises d'Espagne, et choisit, pour cette mission, Richard, abbé de Saint-Victor de Marseille, et cardinal de l'Église romaine, qui fit jusqu'à deux fois le voyage d'Espagne pour un si important objet. Dans un concile tenu à Burgos, en 1085, le légat, appuyé de l'autorité d'Alphonse VI, promulgua plus solennellement encore l'abolition de la Liturgie gothique, dans les royaumes soumis à ce grand prince. Alphonse même ne s'arrêta pas là; on le vit, en  iogi, ordonner, pour l'uniformité et la facilité du commerce avec les nations étrangères, l'abolition des caractères gothiques (2), et l'adoption des latins, tels qu'ils étaient alors en usage, quoique un peu altérés, en France et dans les principales provinces de l'Europe. Dans l'accomplissement de toutes ces mesures si énergiques, Alphonse fut puissamment soutenu par les conseils de Constance de Bourgogne, qu'il avait épousée en 108o, et à

 

(1)  Vid. la Note B.

(2) On n'a pas besoin sans doute d'avertir que les caractères gothiques dont il est ici question ne sont pas ceux vulgairement désignés sous ce nom, mais bien ceux que l'évêque Ulphilas paraît avoir donnés aux Goths, au IV° siècle. La qualification de gothique donnée aux caractères latins du moyen âge est aussi absurde que lorsqu'on l'applique à l’architecture chrétienne de la même période.

 

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l'influence de laquelle l'historien Rodrigue attribue principalement l'introduction de la Liturgie romaine en Es-1 pagne (1) : ce que l'on doit entendre surtout de la destruction du rite gothique à Tolède, puisque les premières attaques qu'il a éprouvées en Espagne eurent lieu, comme nous l'avons vu, au concile de Jacca, en 1063.

Le 25 mai 1085, jour auquel mourut le Pontife saint Grégoire VII, Alphonse VI entrait victorieux à Tolède. Il mit aussitôt tous ses soins pour rétablir, dans sa haute dignité, l'Église de cette illustre cité. Il la dota libéralement et appela, pour la gouverner, Bernard, abbé de Sahagun et Français de nation. Mais le prince devait rencontrer de grandes difficultés dans son projet d'abolir le rite mozarabe à Tolède, où il était tellement établi, qu'on l'appelait d'ordinaire, par toute l'Espagne, le rite de Tolède. Nous empruntons la narration de l'historien Rodrigue, pour raconter ce grand fait, avec les circonstances si dramatiques qui l'accompagnèrent.

« Le clergé et le peuple de l'Espagne entière furent troublés, parce que le légat Richard et le roi Alphonse voulaient les contraindre à recevoir l'Office gallican. Au jour marqué, le roi, le primat, le légat et une grande multitude de clergé et de peuple se trouvant rassemblés, il s'éleva une longue altercation, par suite de la résistance courageuse du clergé, de la milice et du peuple, qui s'opposaient à ce qu'on changeât l'Office. De son côté, le roi, conseillé par la reine, faisait retentir des menaces terribles. Enfin, la résistance du soldat fut telle, qu'on en vint à proposer un combat singulier pour terminer cette

 

(1) Et quia adhuc littera Gothica, et translatio psalterii, et Officium missae institutum ab Isidoro et Leandro pontificibus, quod cum translatione et littera dicitur Toletanum, per totam Hispaniam servabantur, ad instantiam uxoris suae reginae Constantiae, quas erat de partibus Galliarum, misit Romam ad Gregorium Papam VII, ut in Hispaniis, omisso Toletano, Romanum seu Gallicanum Officium servaretur. (Rodericus Toletanus, de Rebus Hispanicis, lib. VI, cap, XXV.)

 

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dissension. Deux chevaliers ayant été choisis, l'un par le roi, pour l'Office gallican, l'autre par la milice et le n peuple, pour l'Office de Tolède, le chevalier du roi fut vaincu, au grand applaudissement du peuple, de ce que a le champion de l'Office de Tolède avait remporté la victoire. Mais le roi, stimulé par la reine Constance, ne renonça pas pour cela à son dessein, disant que duel n'était pas droit. Le chevalier qui combattit pour l'Office de Tolède était de la maison de Matanza, près de Pisorica, où sa famille existe encore (1). »

Quoi qu'il en soit de la vérité de cette histoire, qui n'aurait de valeur pour démontrer le droit de l'Office de Tolède, qu'autant qu'on admettrait le jugement des combats singuliers, comme le jugement irréfragable de Dieu même, le P. Lebrun s'est trompé, lorsqu'il a écrit qu'on ne trouvait ce fait que dans l'histoire de Rodrigue, mort en 1247 (2). La Chronique de saint Maixent, antérieure d'un siècle à la mort de Rodrigue, puisqu'elle finit à l'an 1134, rapporte, quoique en abrégé, la même histoire (3). Le cardinal Bona paraît aussi avoir ignoré ce second témoignage (4). Au reste, nous n'avons pas tout dit encore sur les oppositions que le ciel sembla mettre, si l'on en croit Rodrigue, à la destruction du rite vénérable qui rappelait à l'Église espagnole les noms chéris de saint Isidore et de saint Léandre.

« Une grave sédition, continue l'historien, s'étant donc élevée dans le peuple, il parut convenable d'allumer un grand feu et d'y placer le livre de l'Office de Tolède et le livre de l'Office gallican (romain). Après un jeûne indiqué par le primat, le légat et le clergé; après les

 

(1) Vid. la Note C.

(2)  Explication de la Messe, tom. II, pag. 296.

(3)  Chronicon S. Maxentii, vulgo Malleacense, apud Labbeum. Biblioth. Mss., tom. II, pag. 190.

(4)  Rerum Liturgicarum, lib. I, cap. XI.

 

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prières accomplies dévotement par tous, le livre de l'Office gallican (romain) est consumé par le feu; tandis que le livre de l'Office de Tolède s'élance du bûcher, intact, exempt de toute trace de brûlure, aux yeux de l'assemblée, et au chant des louanges du Seigneur (1). »

Ce double prodige doit rappeler au lecteur celui que nous avons rapporté, au chapitre vin, sur la Liturgie ambrosienne. On verra du moins, dans le récit de Rodrigue, un nouveau témoignage du zèle que mettaient autrefois les peuples et le clergé à tout ce qui concernait la Liturgie, zèle qui contraste bien tristement avec l'indifférence profonde qui, de nos jours, a accueilli et accueille encore en France les plus graves changements sur le même objet. Quant à l'épreuve du feu, nous devons remarquer avec le P. Pinius (2), que Pelage d'Oviédo, contemporain d'Alphonse VI, et qui a rapporté les actions de ce prince dans un grand détail, n'en a pas dit un seul mot, non plus que Luc de Tude, qui vivait au siècle de l'archevêque Rodrigue. Il est d'ailleurs difficile de croire que si un véritable prodige eût eu lieu, le Siège apostolique eût persisté dans l'intention de détruire l'Office gothique. Ce serait le premier miracle en opposition avec les volontés de l'Église. Quant au fait en question, s'il était démontré (ce qui n'est pas), la théologie catholique trouverait peut-être encore à l'expliquer, sans recourir à l'intervention divine.

Rodrigue conclut ainsi sa narration : « Tous pleurant et gémissant d'une  issue  si malheureuse, alors commença le proverbe : Quod volunt reges, vadunt leges :  quand veulent les rois, s'en vont les lois. Et depuis lors, l'Office gallican (romain), qui n'avait jamais été reçu

 

(1)   Vid. la Note C.

(2)   Tract.  Hist.   Chron. de Liturgia antiq.  Hispan., cap.   VI, § V, pag. 50.

 

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ni pour le Psautier, ni pour le rite, fut observé en Espagne; quoique, en quelques monastères, on ait gardé encore, un certain temps, celui de Tolède, et que l’ancienne version du Psautier soit encore récitée aujourd'hui dans plusieurs églises cathédrales et monastères(1). »

Telles furent les circonstances qui accompagnèrent l'abolition de la Liturgie gothique, en Espagne. Ce fut donc un acte solennel du zèle des Pontifes romains, de la piété des rois, une des nécessités qu'imposait le sublime plan de l'unité sociale catholique. Dans cette mesure, sans doute, de précieuses traditions nationales périrent, mais l'Église ne reconnaît point de nations : elle ne voit qu'une famille dans le genre humain, et si les chrétientés d'Orient se sont rompues en tant de morceaux, et ont vu s'affadir en elles le sel du christianisme, de si grands malheurs n'eussent point eu lieu, si Rome, ainsi que nous Pavons dit ailleurs, eût pu enchaîner ces vastes provinces à celles de la chrétienté européenne, par le double lien d'une langue commune et d'une Liturgie universelle. Cependant, s'il en est ainsi, quel sera le jugement de l'histoire sur ceux qui, plus tard, en Europe, en France, se sont plu à détruire l'œuvre des siècles, le résultat des efforts des pontifes et des princes les plus pieux, cette unité liturgique si chèrement achetée, si laborieusement conquise ?

Quoi qu'il en soit, la Providence ne voulut pas que l'Église d'Espagne perdît à tout jamais le souvenir de ses anciennes gloires gothiques. Quand le danger fut passé,

 

(1) Et tunc cunctis flentibus et dolentibus inolevit proverbium : quod volunt reges, vadunt leges. Et ex tunc Gallicanum officium tara in psalterio quam in aliis numquam ante susceptum, fuit in Hispaniis observatum. Licet in aliquibus monasteriis Toletanum fuerit aliquanto tempore custoditum : et etiam translatio psalterii in plurimis ecclesiis cathedralibus et monasteriis, adhuc hodie recitatur. (Roderic. Toletan. de Rebus Hispanicis. Ibidem.)

 

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quand l'Espagne affranchie tout entière du joug sarrasin et fondue désormais dans la société européenne, eut mérité, à tant de titres, le nom de Royaume Catholique, ce qui n'était jamais arrivé pour aucune autre nation arriva pour elle. Le passé fut exhumé de la poudre, et Tolède tressaillit de revoir célébrer au grand jour les augustes mystères des Isidore et des Léandre.

Un de ces hommes qui n'appartiennent pas tant à la nation qui les a produits qu'à l'humanité tout entière, le grand cardinal Ximénès, archevêque de Tolède, recueillit avec amour les faibles restes des mozarabes qui, sous la tolérance des rois de Castille, avaient continué, dans quelques humbles sanctuaires de Tolède, à pratiquer les rites de leurs pères. Il fit imprimer leurs livres que l'injure du temps avait mutilés en quelques endroits; il leur assigna, pour l'exercice de la Liturgie gothique, une chapelle de la cathédrale et six églises dans la ville, et pourvut à l'entretien du culte et de ses ministres. Mais afin de rendre légitime cette restauration, Ximénès s'adressa au souverain Pontife, et Jules II rendit deux bulles, à la prière du cardinal, pour instituer canoniquement le rite gothique dans les églises qui lui étaient affectées. Dans la première de ces bulles, qui est du 12 des calendes d'octobre de l'année 1508, le Pape loue grandement le zèle de Ximénès pour le service divin, et qualifie l'Office mozarabe de très-ancien et rempli d'une grande dépotion, antiquissimum et magnae devotionis (1).

Les esprits superficiels, qui croiraient voir ici Jules II en contradiction avec saint Grégoire VII, n'auraient pas

 

(1) Outre les églises de la ville de Tolède autorisées à suivre le rite gothique, Pinius en cite encore deux autres : la petite église de Saint-Sauveur, à Salamanque, et une chapelle de l'église paroissiale de Sainte-Marie-Magdeleine, à Valladolid. Léon X confirma la première, et Pie IV la seconde, en permettant d'y célébrer les saints mystères suivant le rite gothique, mais seulement à certains jours de l'année,

 

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apprécié les raisons de diverse nature qui dictèrent la conduite de ces deux pontifes. L'unité, dans toutes ses conséquences, est le premier des biens pour l'Église; son développement social, ses heureuses influences pour le bien de l'humanité, la conservation du dépôt de la foi, sont à ce prix; on y doit donc sacrifier, dans certains cas, le bien même d'un ordre secondaire. Or l'antiquité, la beauté de certaines prières sont un bien, mais non un bien qui puisse entrer en parallèle avec les nécessités générales de l'Église. Telles sont les idées sous l'influence desquelles agit saint Grégoire VII. Mais, d'un autre côté, quand l'unité est sauvée avec tous les biens qui en découlent, rien n'empêche qu'on n'accorde quelque chose, beaucoup même, à des désirs légitimes dont l'accomplissement ne peut porter atteinte à ce qui a été si utilement et si difficilement établi. Dans les six ou sept églises de Tolède où il est relégué, le rite gothique ne fait plus obstacle à la fusion du royaume d'Espagne dans les mœurs de la catholicité d'Occident. A Tolède même, la Liturgie romaine, loin d'en être obscurcie, en est plutôt rehaussée. Nos dogmes antiques célébrés dans le langage pompeux des grands et saints docteurs de Séville et de Tolède, n'en deviennent que plus inviolables aux attaques des novateurs.

Réduit à ces proportions, le rite gothique ne pouvait nuire et pouvait être utile ; telle fut la raison de l'indulgence que montra Jules II. Rome n'a jamais eu peur de l'antiquité : c'est le plus ferme fondement de ses droits, comme de ceux de l'Église dont Rome est la pierre fondamentale. Elle aime à voir les deux rites ambrosien et gothique demeurés debout, comme deux monuments antiques de l'âge primitif du christianisme. Elle ne souffrirait pas que d'autres églises, rétrogradant vers leur berceau, abjurassent les formes de l'âge parfait pour revêtir celles de  l'enfance ; mais elle se plaît à mettre les

 

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novateurs à même de comparer les croyances et les symboles en usage dans ces antiques Liturgies, avec les symboles " et les croyances que renferme cette autre Liturgie que l'univers catholique a vu croître avec les siècles. Il est vrai que si les Liturgies ambrosienne et gothique remontaient, comme celles d'un certain pays, au XVIIIe, voire même au XIXe siècle, Rome n'aurait pas lieu d'en vanter la haute antiquité, ni, tranchons le mot, la vénérable autorité. Mais reprenons le fil de notre histoire.

Saint Grégoire VII ne nous apparaît pas seulement, dans l'histoire, comme le zélé propagateur de la Liturgie romaine; son nom vient aussi se placer à la suite de ceux des Léon, des Célestin,des Gélase,des Grégoire le Grand, chargés par l'Esprit-Saint de la réformer. Quatre siècles s'étaient écoulés depuis l'œuvre du dernier de ces Pontifes; il était temps qu'une main forte intervînt pour une amélioration. Ainsi qu'il arrive toujours dans les grandes choses, saint Grégoire VII n'eut peut-être pas la conscience entière de ce qu'il accomplissait pour les âges suivants. Ses travaux qui, du reste, ne paraissent pas s'être portés sur le Sacramentaire, aujourd'hui Missel romain, partie la plus antique et la plus immuable de la Liturgie, eurent pour objet la réduction de l'Office divin. Les grandes affaires qui assiégeaient un Pape, au XI° siècle, les détails infinis d'administration dans lesquels il lui fallait entrer, ne permettaient plus de concilier avec les devoirs d'une si vaste sollicitude l'assistance exacte aux longs offices en usage dans les siècles précédents. Saint Grégoire VII abrégea l'ordre des prières et simplifia la Liturgie pour l'usage de la cour romaine. Il serait difficile aujourd'hui d'assigner d'une manière tout à fait précise la forme complète de l'office avant cette réduction; mais depuis lors, il est resté, à peu de chose près, ce qu'il   était  à la  fin  du  XI°  siècle. Nous en avons

 

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pour témoin l'ancien auteur connu sous le nom de Micrologue, du titre de son livre, qui paraît avoir été écrit vers l'an 1097 (1).  Cet auteur donne à entendre que c'est sur l'Office sanctionné par saint Grégoire VII, qu'il a établi ses observations. Or on trouve dans ce précieux opuscule les particularités suivantes : l'auteur y compte des offices cum pleno officio, ou à trois répons, ou à neuf leçons; il en  mentionne de dominicaux, de fériaux, de votifs. Il marque à matines trois psaumes et trois leçons, du jour de Pâques jusqu'au samedi in albis, et du jour de la Pentecôte jusqu'au samedi de la même semaine. Aux autres jours de l'année, si c'est une fête, neuf psaumes, neuf leçons et autant de   répons; aux  dimanches, dix-huit psaumes et neuf leçons. Ces détails montrent que le Bréviaire de saint Grégoire VII était conforme à celui d'aujourd'hui. Mais outre les particularités fournies par   le Micrologue, il existe un  document  important qui nous apprend dans le plus grand détail  l'ordre établi par ce grand Pape, d'après les traditions antérieures, pour  le partage des leçons de matines, et cet ordre est conforme à celui que nous gardons encore présentement.

Ce document est un canon inséré au décret de Gratien (2), à la suite du canon de saint Gélase, sur les Livres apocryphes. Les plus savants liturgistes, Grancolas, Merati, Azevedo, Zaccaria, s'accordent à reconnaître saint Grégoire VII pour l'auteur de ce second canon. En voici la teneur :

« Nous avons jugé à propos, pour l'édification des fidèles, d'indiquer les livres qui sont lus par plusieurs, dans les offices ecclésiastiques, durant le cercle de l'année. Ce rite est celui que le Siège apostolique observe   lui-même, bien  loin de  le réprouver. Il en est

 

(1)  Micrologus, de ecclesiasticis observationibus, Biblioth. vet. Patrum .Aigdunen., tom. XVIII, pag. 472-490.

(2)  Decretum. Cap. Sancta Romana Ecclesia.

 

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donc  qui, à la Septuagésime, placent le Pentateuque, jusqu'au quinzième jour avant Pâques. Ce quinzième jour, ils placent Jérémie, jusqu'à la Cène du Seigneur. A la Cène du Seigneur, ils lisent trois leçons de la Lamentation de Jérémie (Quomodo sedet sola civitas, etc.), et trois du traité de saint Augustin sur le psaume LIV (Exaudi, Deus, orationem meam, et ne despexeris), et trois de l'Apôtre, à l'endroit où il dit dans l'Épître aux Corinthiens : Convenientibus vobis in unum. La seconde leçon commence ainsi : Similiter et calicem, postquam cœnavit. La troisième, De spiritalibus autem nolumus vos ignorare, fratres. Au vendredi saint, trois leçons de la Lamentation de  Jérémie, et trois  du traité   de saint Augustin sur le psaume LXIII (Exaudi, Deus, orationem  meam  cum deprecor); et trois de l'Apôtre, à l'endroit où il dit, dans l'Épître aux Hébreux : Festinemus ingredi in eam requiem, etc.  La seconde leçon : « Omnis namque Pontifex. La troisième : De quo grandis nobis sermo. Au samedi saint, trois leçons de la Lamentation  du   prophète Jérémie,  trois du traité de saint Augustin sur le même psaume LXIII, et trois de l'Apôtre, à l'endroit où il dit, dans l'Épître aux Hébreux : Christus assistens Pontifex futurorum.   La seconde leçon: Ubi enim testamentum est.La troisième: « Umbram enim habens lex futurorum bonorum. En la Pâque du Seigneur, les homélies qui appartiennent à ce jour : pendant la semaine, les homélies convenables. A l'octave de Pâques, ils placent les Actes des Apôtres, les Épîtres canoniques et l'Apocalypse jusqu'à l'octave de la Pentecôte. A l'octave de la Pentecôte, ils placent les livres des Rois et les Paralipomènes, jusqu'aux calendes de septembre. Au premier dimanche de septembre, ils placent Job, Tobie, Esther et Esdras jusqu'aux calendes d'octobre. Au premier dimanche du mois d'octobre, ils placent le  livre  des Machabées, jusqu'aux

 

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calendes de novembre. Au premier dimanche du mois de novembre, ils placent Ézéchiel, Daniel et les petits Prophètes, jusqu'aux calendes de décembre. Au premier dimanche du mois de décembre, ils placent le prophète Isaïe jusqu'à la Nativité du Seigneur. En la Nativité du Seigneur, ils lisent d'abord trois leçons d'Isaïe. Première leçon: Primo tempore alleviata est terra Zabulon; seconde : Consolamini, consolamini; troisième : Consurge, consurge. On lit ensuite des sermons ou homélies appartenant à ce jour. En la fête de saint Etienne, l'homélie de ce jour. En la fête de saint Jean, de même. En la fête des Innocents, de même. En la fête de saint Sylvestre, de même. En l'octave de la Naissance du Seigneur, ils placent les Épîtres de saint Paul jusqu'à la Septuagésime. En l'Epiphanie, trois leçons d'Isaïe, la première commence : Omnes sitientes; la seconde : Surge, illuminare Jerusalem; la troisième : Gaudens gaudebo in Domino. Ensuite on lit les sermons ou homélies appartenant à ce jour (1). »

La réduction de l'office divin, accomplie par saint Grégoire VII, n'était destinée, dans le principe, qu'à la seule chapelle du Pape : par le fait, elle ne tarda pas à s'établir dans les diverses églises de Rome. La basilique de Latran fut la seule à ne la pas admettre ; c'est ce qu'atteste déjà, au siècle suivant, Pierre Abailard, dans une lettre apologétique contre saint Bernard (2). Le livre responsorial de la basilique de saint Pierre, publié par le B. Tommasi, sur un manuscrit du XIIe siècle, prouve matériellement que cette seconde église de Rome avait aussi adopté l'ordre nouveau de l'office. Les Églises du reste de

 

(1) Vid. la Note D.

(2) Antiquam Romanse sedis consuetudinem nec ipsa civitas tenet, sed sola Ecclesia Lateranensis, quœ mater est omnium, antiquum tenet officium, nulla filiarum suarum in hoc eam sequente, nec ipsa etiam Romani Palatii Basilica. (Abailardi opera, Epist., V, pag. 232.)

 

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l'Occident demeurèrent plus ou moins étrangères à cette innovation; il faut remarquer que l'auteur du Micrologue, qui semble avoir été Ives de Chartres, a écrit hors de Rome, et qu'il parle néanmoins des ordonnances de saint Grégoire VII, comme faisant droit sur la Liturgie. Toutefois, il ne paraît pas que ce grand Pape ait jamais obligé les Églises à recevoir ses règlements sur cette matière : c'est ce que l'on   peut conclure   d'une remarque de  Raoul, doyen de Tongres, auteur du XIVe siècle, qui dit ces paroles, au sujet  de la  réduction de  l'office  divin : « Les autres nations de l'univers ont leurs  livres et leurs offices, tels  qu'ils sont venus des églises de Rome, et non de la chapelle du Pape, ainsi qu'on le conclut avec évidence des livres et traités d'Amalaire, de Walafride, du Micrologue (1), du Gemma, et autres qui ont écrit sur l'Office (2). »

Ce mot de Raoul de Tongres nous ramène naturellement à parler de l'état de la Liturgie dans l'Occident, pendant les XI° et XIIe siècles. Il arriva donc, par le fait, que beaucoup d'églises en France et dans les autres provinces de la chrétienté se trouvèrent avoir une Liturgie plus en rapport, au moins en quelque chose, avec celle de saint Grégoire le Grand, qu'avec la nouvelle que saint Grégoire VII avait inaugurée dans Rome. Du reste, tout ce que renfermait cette dernière se trouvait dans l'ancienne,   dont elle était l'abrégé : les   usages   romains

 

(1)  Raoul de Tongres est fondé à citer ici le Micrologue avec Amalaire et les autres, parce que cet opuscule, quoiqu'il y soit parlé, en plusieurs endroits, de l'office suivant la réforme de saint Grégoire VII, offre un grand nombre de traits qui tiennent à une forme de Liturgie antérieure.

(2)  Aliae autem nationes orbis libros, et officia sua habent e directo ab ipsis Ecclesiis Romanis, et non a Capella Papae, sicut ex libris et tractationibus Amalarii, Walafridi, Micrologi, Gemmae, et ceterorum de officio scribentium colligitur evidenter. (Radulph. Decani Tungren, de Canonum observantia. Propositio XXII. Biblioth. Patrum., tom. XXVI, pag. 313.)

 

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régnaient donc toujours. Toutefois, le respect qu'on avait pour ces formules saintes n'empêcha pas qu'en certains pays, mais principalement en France, on n'insérât, par le laps du temps, un certain nombre de pièces et d'offices même, qui portaient le cachet du siècle et du pays qui les avaient produits. Rome, comme au temps d'Amalaire, continua de voir ces superfétations nationales sans improbation ; de même qu'aujourd'hui elle approuve encore les offices et les usages locaux, dans le diocèse où règne le Bréviaire romain. Bien plus, il arriva plus d'une fois qu'elle adopta des prières, des chants et des offices empruntés aux livres de quelque Église particulière. Les diverses Églises de l'Europe échangeaient aussi les usages liturgiques qui, dans le pays de leur origine, avaient obtenu une plus grande popularité. Mais autant, parmi ces diverses Églises, celle de France avait l'avantage pour la fécondité de son génie liturgique et pour la beauté de ses chants, autant, au sein de notre patrie, l'Église de Paris, à l'époque qui nous occupe, posséda et mérita une supériorité incontestable.

Une des causes qui maintinrent la Liturgie romaine-parisienne dans cet état si florissant, fut l'influence de la cour de nos rois d'alors, dont la chapelle était desservie avec une pompe et une dévotion merveilleuses. Charlemagne, Louis le Pieux, Charles le Chauve, trouvèrent de dignes successeurs de leur zèle pour les divins offices, dans les rois de la troisième race. A leur tête, nous placerons Robert le Pieux et saint Louis. Le premier, monté sur le trône en 996, régla tellement son temps, qu'il en donnait une partie aux œuvres de piété, une autre aux affaires de l'État, et l'autre à l'étude des lettres. Chaque jour, il récitait le Psautier, et enseignait aux clercs à chanter les leçons et les hymnes de l'office. Assidu aux offices divins, et plus zélé encore que Charlemagne, il se mêlait aux chantres, revêtu de la chape et tenant son

 

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sceptre en main. Le XI° siècle, si illustre par la réédification de tant d'églises cathédrales et abbatiales, s'ouvrit sous les auspices de ce pieux roi, qui fonda lui-même quatorze monastères et sept églises. Comme il était grand amateur du chant ecclésiastique, il s'appliqua à en composer plusieurs pièces, d'une mélodie suave et mystique, que l'on chercherait vainement aujourd'hui dans les livres parisiens, d'où elles furent brutalement expulsées au dix-huitième siècle, mais qui régnèrent dans toutes les églises de France, depuis le temps de Robert jusqu'à la régénération gallicane de la Liturgie. Ce pieux prince, qui se plaisait à enrichir les offices de Paris des plus belles pièces de chant qui étaient en usage dans les autres églises, envoyait aux évêques et aux abbés de son royaume les morceaux de sa composition, que leur noble harmonie, plus encore que son autorité, faisait aisément adopter partout. Étant allé par vœu à Rome, vers l'an 1020, et assistant à la messe célébrée par le Pape, lorsqu'il alla à l'offrande, il présenta, enveloppé d'une étoffe précieuse, son beau répons, en l'honneur de saint Pierre, Cornelius Centurio. Ceux qui servaient le Pontife à l'autel, accoururent incontinent, croyant que ce prince avait offert quelque objet d'un grand prix, et trouvèrent ce répons écrit et noté de la main de son royal auteur. Ils admirèrent grandement la dévotion de Robert, et à leur prière, le Pape ordonna que ce répons serait désormais chanté en l'honneur de saint Pierre (1).

Robert lia une étroite amitié avec le  grand Fulbert, évêque de Chartres, si célèbre à tant de titres, mais aussi par les admirables répons qu'il composa en l'honneur de la Nativité de la sainte Vierge. La fête de ce mystère fut en effet établie en France, sous le règne de Robert, qui rendit un édit portant  obligation de la solenniser. Ces

 

(1) Trithem. Chronic. Hirsaug., tom. I, pag. 141.

 

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trois répons sont tout à fait, pour le chant, dans le style du roi Robert. Il est probable que Fulbert les lui avait communiqués, pour les répandre par ce moyen dans tout le royaume. On les trouve dans tous les livres liturgiques de France, antérieurs au XVIIIe siècle, même dans ceux de la Provence et du Languedoc. Tel était le mode de propagation qu'employait Robert pour les chants qu'il affectionnait : il les faisait exécuter dans la chapelle de son palais, ou dans l'abbaye de Saint-Denys, puis dans l'église même de Paris, et de là ils passaient aux autres cathédrales.

La piété de Robert pour les offices divins n'avait rien de singulier dans ces siècles de foi. Les plus grands guerriers se montraient tout aussi dévots que ce roi pacifique. Si, en effet, nous passons en Angleterre, nous retrouvons les mêmes exemples dans un prince tel que Guillaume le Conquérant. Guillaume de Malmesbury nous apprend que ce vainqueur des Saxons assistait chaque jour non-seulement à la messe, mais à matines et aux autres heures de l'office (1). Il attribue la catastrophe qui affligea l'Angleterre à la négligence des seigneurs saxons qui n'avaient pas renoncé, il est vrai, à entendre la messe et l'office, mais qui ne remplissaient plus ce devoir journalier que d'une manière lâche et négligente (2). Matthieu Paris s'exprime dans les mêmes termes. Godefroy de Bouillon, partant pour la croisade, avait emmené avec lui une troupe de religieux exemplaires, qui, durant toute la marche, récitèrent devant lui tous les divins offices de jour et de nuit (3). Telle

 

(1)  Religionem christianam quantum saecularis poterat ita frequentabat, ut quotidie missa; assisteret, vespertinos et matutinos hymnos audiret. (Guillelm. Malmesb. de Gestis Regum Anglor., lib. III.)

(2)  Optimates gulae et veneri dediti, Ecclesiam more christiano mane non adibant, sed in cubiculo et inter uxorios amplexus, matutinarum solemnia et missarum a festinante presbytero auribus tantum libabant. (Ibidem.)

(3)  De claustris bene disciplinatis monachos insignes adduxerat, qui toto itinere, horis diurnis et nocturnis, Ecclesiastico more, divina illi ministrabant officia. (Guillelm. Tyr, lib. IX, cap. IX.)

 

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fut aussi la conduite du pieux et invincible Simon de Montfort, dans la croisade contre les albigeois (1). Nous choisissons de préférence les exemples de ces illustres guerriers qui savaient imiter, dans les camps, la piété paisible d'un saint Gérauld, comte d'Aurillac, d'un saint Elzéar de Sabran, dont la vie, proclamée sainte par ' les peuples, s'écoulait au milieu des actes de la plus expansive charité et des plus augustes pratiques de la Liturgie.

Le XIIe siècle ne fut pas moins fécond que le XI° en heureuses innovations dans la Liturgie romaine, telle, que les Français, les Allemands, les Belges la pratiquaient. La dévotion à certains saints inspira les plus beaux chants en leur honneur ; nous citerons principalement saint Nicolas et sainte Catherine, qui fournirent matière à des antiennes et à des répons d'une mélodie ravissante. Gavanti, appuyé sur l'autorité de saint Antonin et de Démocharès rapporte à cette même époque la composition ou au moins le complément de l'Office des morts par l'addition de plusieurs nouveaux répons et en fait honneur à Maurice de Sully, évêque de Paris, qui aurait fait chanter ces pièces de sa composition dans son église en 1196. Malheureusement cette attribution est difficile à soutenir. Plusieurs répons de l'Office des morts se trouvent déjà dans les antiphonaires et responsoriaux grégoriens, publiés par le B. Tommasi; les autres, à savoir : Domine, quando veneris; Peccantem me; Domine, secundum acium meum; Libera me,Domine, de viis inferni; et Libera me, Domine, de morte œterna, sont, il est vrai, plus modernes, mais on les trouve cependant dans les

 

 (1) Cum esset in bellis strenuissimus, omni tamen die missam et horas canonicas omnes audiebat, semper sub armis. (Rigord., in Philipp. August. anno 1213.)

 

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Antiphonaires du Xe siècle, près de deux cents ans avant Maurice de Sully.

Si nous sommes obligé de rectifier cette opinion de Gavanti et de Démocharès (1), l'influence de l'Église de France sur la Liturgie universelle reste incontestable. Elle servit à compléter, à perfectionner, à enrichir le répertoire grégorien, dont le fond resta toujours intact; ces additions, ne consistant qu'en quelques proses et répons pour embellir les offices divins, ou encore dans l'adjonction d'un certain nombre de fêtes de saints, au calendrier romain. Le Livre des Messes, tant pour les formules récitées que pour les parties chantées, demeura toujours le même, sauf les tropes et les séquences, que l'inspiration de ces siècles de foi et de mélodie produisit en grand nombre. Mais ces dernières pièces ne s'étendirent pas, pour l'ordinaire, hors du pays qui les avait produites : l'inspiration en était généralement trop nationale; tandis que les répons composés dans un caractère plus grave, se répandirent par toute la chrétienté occidentale. Il est vrai que leur propagation fut due en grande partie à l'influence des nouveaux ordres religieux; c'est ce que nous raconterons au chapitre suivant.

Nous ne devons pas terminer le tableau de l'époque liturgique des XI° et XII° siècles, sans dire, en quelques mots, quelle fut l'action de l'ordre bénédictin en cette partie de la discipline ecclésiastique. Il suffira, pour mettre cette influence en état d'être appréciée, de rappeler au lecteur que les moines, du VIII° au XII° siècle, remplirent tous les postes principaux dans l'Église, en même temps qu'ils furent presque les seuls dépositaires de la science et des traditions. Us donnèrent des papes comme saint Grégoire le Grand, saint Boniface IV, saint Agathon, saint Léon III, saint Pascal Ier,

 

(1) Note de l'éditeur.

 

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saint Léon IV, saint Léon IX, Alexandre II, saint Grégoire VII, Urbain II, Pascal II, Calixte II et Innocent IV; des docteurs sur la Liturgie et sur tout genre de doctrine, comme saint Léandre, saint Ildephonse, Bède, Alcuin, Walafrid Strabon, Rhaban Maur, Usuard, Remy d'Auxerre, Notker le Bègue, Herman Contract, saint Pierre Damien, Bruno d'Asti, Hildebert du Mans et de Tours, Guy d'Arezzo, Rupert de Tuit, saint Bernard, Pierre le Vénérable, etc. Il advint de là que plusieurs usages bénédictins se fondirent dans la Liturgie d'Occident. Ainsi, l'Office du chapitre à Prime, la Leçon brève et le Confiteor avant Compiles, l'oraison Visita, quœsumus, les antiennes Salve, Regina, Alma Redemptoris, etc.; le petit Office de la sainte Vierge ajouté à l'Office du jour ; l'usage des hymnes, des séquences; l'Aspersion et la Procession, le dimanche, avant la messe ; tous ces usages et beaucoup d'autres ont une origine monastique. On sait aussi que la Commémoration de tous les Défunts, au deuxième jour de novembre, a passé de l'abbaye de Cluny, où elle fut instituée par saint Odilon toute l'Église d'Occident; de même que la coutume de chanter l'hymne Veni, Creator, à Tierce, durant l'octave de la Pentecôte, avait été établie dans le même monastère par saint Hugues, avant d'être adoptée à Rome et étendue à toutes les provinces de la catholicité. Nous aurons ailleurs l'occasion d'indiquer beaucoup d'autres détails du même genre, nous avons voulu seulement, dans ce coup-d'œil général, signaler une des sources principales des usages liturgiques de l'Occident.

Si nous considérons maintenant l'office divin tel qu'il se célébrait dans les monastères, à l'époque qui nous occupe, nous voyons que le chant ecclésiastique, en particulier, y était de plus en plus florissant. Les offices des saints p'atrons s'y célébraient par des hymnes, des répons,des antiennes nouvellement composés par les abbés,

 

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ou par de savants moines. On y tenait beaucoup plus que dans les cathédrales, à la pureté grégorienne ; on consultait les divers exemplaires anciens, et on cherchait avec zèle à maintenir les traditions. Nous en voyons un exemple célèbre dans la conduite  des premiers pères de Cîteaux. Une lettre de saint Bernard nous apprend que la réputation de l’Antiphonaire de Metz n'étant pas encore éteinte au   XII°   siècle,   les  moines   de  cette  réforme l'avaient copié pour leur usage. Mais bientôt ils reconnurent que le chant était défectueux et avait souffert, tant de l'injure du temps que de   l'esprit d'innovation. Le Chapitre de Tordre confia à saint Bernard la commission de corriger les livres du chœur. Il s'adjoignit à cet effet ceux de ses confrères qui passaient pour les plus habiles; l'Antiphonaire, ainsi revu, fut approuvé par le Chapitre, et injonction fut faite à tous les monastères cisterciens de s'en servir. A la suite de la lettre de saint Bernard, dont nous venons de parler, on trouve parmi les œuvres du saint docteur un traité fort curieux, de Ratione cantus, destiné à servir de préface à l’Antiphonaire de Cîteaux. Il y a des raisons de douter que cet ouvrage soit de l'abbé de Clairvaux; mais, quoi qu'il en soit, il est d'un haut intérêt, pour le détail qu'on y trouve des principes qui présidèrent à la correction du chant cistercien. On voit que les premiers pères de Cîteaux furent d'habiles musiciens; mais peut-être pourrait-on dire que quelquefois, de leur propre aveu, ils réformèrent l’Antiphonaire de Metz, plutôt d'après des théories que sur la confrontation des divers exemplaires des églises. Il est évident néanmoins que si l'on est quelquefois en droit de croire qu'on possède la phrase grégorienne dans sa pureté sur un morceau en particulier, c'est lorsque   les exemplaires de   plusieurs   églises   éloignées s'accordent sur la même leçon; mais ceci nous entraînerait trop loin et donnerait matière à des discussions totalement étrangères à l’objet de notre récit.

 

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On voit, par les plus anciens bréviaires de Cîteaux, que cette réforme adopta, en manière de supplément à l’Antiphonaire grégorien, plusieurs usages et pièces de chant qui appartenaient aux Églises de France, et en particulier à celle de Paris. C'est une remarque qu'on peut faire également au sujet de l'ordre de Prémontré, fondé en 1120, et dont les livres présentent matière à la même observation. Ces livres sont restés purs, et comme l'un des répertoires de l'ancienne Liturgie romaine-française, jusqu'à la fin du XVIII° siècle, où le dernier abbé général (M. Lécuy, mort il y a peu d'années, grand vicaire de Paris), jugea à propos de les abolir, pour leur substituer des usages puisés dans ce que présentait de plus exquis la moderne régénération gallicane.

Il nous reste encore à dire un mot sur le chant pendant les XI° et XII° siècles. Il se maintint, pour la couleur générale, dans le caractère que nous lui avons reconnu au chapitre précédent, et dont les, répons du roi Robert sont la plus complète expression. Une mélodie rêveuse et quelque peu champêtre, mais d'une grande douceur, en fait le caractère principal. Elle est produite par de fréquents repos sur la corde finale et sur la dominante, dans l'intention de marquer une certaine mesure vague, et par une longue tirade de notes sur le dernier mot, qui n'est pas sans quelque charme.

Le répons de sainte Catherine, Virgo flagellatur, offre une marche plus vive et plus animée, jusqu'au verset qui forme un intermède d'une mélodie tendre et suave ; mais toutes ces pièces n'ont plus la simplicité grandiose des motifs dont l’Antiphonaire grégorien a puisé l'idée dans la musique des Grecs.

A cette époque, la séquence se perfectionna. Elle cessa d'être un trope à la marche lente, au rythme irrégulier. Elle devint une sorte d'hymne à mesure égale, et offrit par là l'occasion d'un précieux développement à la musique

 

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ecclésiastique. Au XII° siècle, la séquence d'Abailard Mittit ad Virginem, fut ornée, probablement par son auteur, de ce délicieux chant que les Parisiens modernes ont du moins conservé sur les modernes paroles de la prose actuelle : Humani generis. Nous touchons à l'époque du Dies irœ et du Lauda, Sion.

Le XI° siècle vit en outre s'accomplir un grand événement pour le chant ecclésiastique. Guy d'Arezzo simplifia et améliora la méthode d'enseignement du chant en fixant l'usage de la portée musicale, composée désormais de quatre lignes parallèles superposées sur lesquelles il échelonna les notes. On dit assez généralement qu'il fut le premier à donner une méthode d'écrire le chant : c'est une erreur ; on avait des notes avant lui, comme on a pu le voir ci-dessus. Seulement, sa méthode soulageait beaucoup l'œil et la mémoire, et fit tomber toutes les autres.

Cette période fut donc véritablement féconde pour la Liturgie : on en jugera mieux encore en parcourant l'énumération des travaux qui furent alors exécutés en cette partie. Nous l'ouvrirons donc, sans tarder davantage.

A la  tête des Liturgistes du  XI° siècle, nous plaçons le roi Robert, dont nous avons déjà tant parlé dans ce chapitre. Il composa des séquences pour diverses fêtes. Outre celle de la Pentecôte : Sancti Spiritus adsit nobis gratia, que plusieurs ont confondue avec l'hymne Veni, Creator Spiritus, qui est de Charlemagne, il en composa d'autres, pour Noël, Pâques, l'Ascension, la Nativité de la sainte Vierge, les fêtes de saint Martin, de saint Denys, de saint Agnan, évêque d'Orléans, etc. Il célébra la sainte Vierge en vers latins, dans lesquels il excellait, et avait coutume de la nommer l’Etoile de son Royaume. Nous avons parlé de son beau Répons : Cornelius centurio. Un autre qui commençait par ces mots : Judœa et Jerusalem, n'était pas moins goûté dans nos églises de France

 

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au moyen âge. Tout le monde sait le tour innocent que Robert joua à la reine Constance, lui faisant croire qu'il était question d'elle dans un répons qu'il avait composé et qui commençait par ces mots : O constantia martyrum. Nous plaçons ici les paroles de ce répons que les voûtes de nos cathédrales ont oublié, et que certainement bien peu de nos lecteurs connaissent. Il est triste qu'un siècle ait suffi pour effacer presque tous les points de contact que la Liturgie, en France, avait avec l'histoire. On nous a donné des rites nationaux que nos pères n'avaient point connus.

 

R/. O constantia martyrum laudabilis, o charitas inextinguibilis, o patientia invincibilis, quœ licet interpressuras persequentium visa sit despicabilis,  Invenietur in laudem,et gloriam,et honorent, in tempore retributionis.

            V/. Nobis ergo petimuspiis subveniant meritis, honoricati a Patre qui est in cœlis.  Invenietur. Gloria Patri. O constantia martyrum.

 

Ce beau répons, dont le chant est aussi touchant que les paroles en sont nobles, était le neuvième des Matines, au Commun de plusieurs martyrs, dans certains bréviaires romains-français. Heureux temps où les rois composaient des chants pour leurs sujets, où les mélodies nationales étaient d'innocents répons, ou des antiennes pleines de paix et d'onction !

(1007). L'ami de Robert, Fulbert, évêque de Chartres, composa, comme nous l'avons dit, trois répons de la plus grande beauté, pour la Nativité de la sainte Vierge. Ils sont en vers mais non rimes, comme ce fut plus tard la mode au XIII° siècle. Nous les insérons ici, parce qu'ils ont péri dans toute la France (1) : nous voudrions pouvoir en donner le chant Plein d'une suave mélodie

 

(1) L'Église du Mans chante encore le second, Stirps Jesse : mais en dehors de l'office, à la procession du jour de l'Assomption de la sainte Vierge, avant la messe.

 

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I.         R/. Solem justitiœ Regem paritura supremum, * Stella Maria maris hodie processit ad ortum.

V/. Cernere divinum lumen gaudete, fideles. * Stella Maria.

II.       R/ Stirps Jesse virgam produxit, virgaqueforent  et super hunc florem requiescit Spiritus almus.

V/. Virgo Dei genitrix virga est, flos Filius ejus.  Et super hunc.

III.      R/. Ad nutum Domini nostrum ditantis honorent, sicut spina rosam genuit Judœa Mariam.

V/. Ut vitium virtus operiret, gratia culpam. *  Sicut spina.

 

Tels sont ces admirables répons composés pour l'Église de Chartres, par le Pontife qui posa les fondements de la merveilleuse cathédrale qui brille d'une si sublime auréole. Un roi les nota en chant; la France entière les adopta; l'Europe les répéta après la France. Aujourd'hui, ces doux chants ne retentissent plus dans les divins offices, et Chartres même, infidèle à son Fulbert et à la douce Vierge qu'il chanta, les ignore !

Nous nous sommes permis d'insérer ces quelques lignes de l'antique Liturgie de nos pères : ne pouvant résister au désir de donner à nos lecteurs quelques traits de cette Liturgie romaine-française qui gît maintenant incomplète dans la poussière des bibliothèques. C'est de là que, dès longues années, nous avons entrepris de l'exhumer. Les volumes suivants nous fourniront plus d'une fois l'occasion d'en mettre en lumière les inspirations qui, nous en sommes sûr, seront trouvées nobles et touchantes.

Fulbert a composé en outre plusieurs séquences et plusieurs hymnes. Parmi ces dernières, on remarque celle du temps pascal : Chorus novœ Jerusalem.

(1008). Bernon, abbé de Reichenau, est auteur d'un précieux traité intitulé : De institutione missarum; d'un dialogue, sous ce titre : De Quatuor Temporum jejuniis, per sua sabbata observandis, ad Aribonem, Archiepiscopum

 

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Moguntinum; d'une épure au même Aribon, De quatuor Adventus dominicis. Il écrivit aussi un livre sur le chant, intitulé Libellus tonarius, ou Optes symphoniarum et tonorum, et le dédia à Piligrin, archevêque de Cologne. Trithême parle de trois ouvrages de Bernon sur le chant, savoir : De musica, seu de tonis; De instrumentis musicis, et De mensura monochordi.

(1010). Adelbode, évêque d'Utrecht, composa le chant de l'Office de la nuit pour la fête de saint Martin. Il écrivit de Rome une lettre curieuse sur la célébration de l'Avent; il ne faut pas la confondre avec un traité,en forme de dialogue, qu'avait composé sur le même sujet Hériger, abbé de Lobbes.

(1012). Arnold, prévôt de Saint-Emmeran de Ratisbonne, composa des antiennes et des répons, pour la fête de ce saint évêque.

(1014). Guy d'Arezzo, abbé de Saint-Pierre-d'Avellane, fut appelé à Rome par Benoît VIII, et travailla sous ce Pape et son successeur Jean XIX, au perfectionnement de la musique ecclésiastique. Il fixa, comme nous l'avons dit, l'usage de la portée musicale, et pour graver dans la mémoire de ses élèves l'échelle des sons, il eut l'idée d'employer le chant de la première strophe de l'hymne de saint Jean-Baptiste :

 

Ut queant laxis resonare fibris

Mira gestorum famuli tuorum,

Solve polluti labii reatum,

Sancte Johannes.

 

Dans cette strophe, l'intonation de la note s'élevait d'un degré sur chacune des syllabes ut, ré, mi, fa, sol, la; en la répétant, les élèves apprenaient à distinguer les différentes notes de la gamme. Ils prirent naturellement l'habitude de les désigner par ces syllabes qui les leur rappelaient ; plus tard on ajouta si pour désigner la septième note, et le système de notre gamme actuelle fut inventé. Cette méthode

 

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si simple, réduisant au pur mécanisme la pratique de la gamme, simplifia prodigieusement l'étude du chant, en sorte qu'on1 pût l'apprendre aux enfants avec autant de facilité qu'on leur enseigne à épeler et à lire l'écriture. Ce moine, véritablement digne du nom de Grand, pour un si éminent service, écrivit un traité de la musique, en deux livres, sous le nom de Micrologue, qu'il dédia à Théodalde, évêque d'Arezzo, et un opuscule De mensura monochordi. Enfin il arrangea un antiphonaire, d'après sa méthode de notation, et Benoît VIII fut tellement frappé de la supériorité de ce travail, qu'au rapport de Guy lui-même, il regardait cette œuvre comme une espèce de prodige.

(1020). Olbert, abbé de Gemblours, fut habile dans la science du chant ecclésiastique. Entre autres compositions de ce genre qui lui appartiennent, la chronique de son monastère lui attribue les chants et les hymnes de saint Véron et de sainte Vandru.

(1025). Saint Odilon, abbé de Cluny, instituteur de la Commémoration des Défunts, au 2 novembre, nous a laissé des hymnes en l'honneur de la sainte Vierge, de sainte Adélaïde et de saint Mayeul, son illustre prédécesseur.

(1026). Arnoul, moine de Saint-André d'Andaone, outre ses écrits sur le comput ecclésiastique, composa un martyrologe abrégé, ou plutôt un calendrier des saints de l'année.

(1027). Saint Léon IX, auparavant Brunon, évêque de Toul, fut très-habile dans le chant ecclésiastique, et composa avec un grand art les répons de l'office de saint Grégoire le Grand, de saint Cyriaque, martyr, de sainte Odile, vierge, de saint Nicolas, de saint Hydulphe, évêque de Trêves. On a chanté, jusqu'en 1775, cet office de saint Hydulphe, dans l'abbaye de Moyenmoutier. Depuis qu'il fut  élevé à la papauté, se trouvant à Metz, il y

 

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composa des répons, pour l'office de saint Gorgon, martyr.

(1030). Adhémar, moine de Saint-Martial de Limoges, est regardé par plusieurs comme l'auteur du supplément à l'ouvrage d'Amalaire De divinis Officiis, donné par D. Ma-billon, au tome deuxième des Analecta.

(1035). Angelran, abbé de Saint-Riquier, mit en chant l'office de saint Valéry et celui de saint Vulfran.

(1039). Godescalc, prévôt d'Aix-la-Chapelle, chapelain de Henri III, composa un grand nombre de séquences pour la messe.

(1040). Herman Contract, élevé d'abord à Saint-Gall, puis moine de Reichenau, fut un prodige de science pour son temps. Nous ne devons parler ici que de ses travaux liturgiques. Il écrivit sur le chant trois traités, savoir : De musica, De monochordo, De conflictu sonorum. Passant ensuite de la théorie à la pratique, il composa les paroles et le chant si mélodieux des Antiennes Salve, Regina; Alma Redemptoris Mater; les séquences Ave, prœclara maris Stella; O florens rosa; Rex omnipotens, du jour de l'Ascension, et beaucoup d'autres, parmi lesquelles plusieurs mettent le Veni, Sancte Spiritus, attribué par d'autres à Innocent III ; le répons Simon Bar-jona pour saint Pierre, ceux de l'Annonciation, des saints Anges, etc.

(1040). Aaron, abbé de Saint-Martin, puis de Saint-Pantaléon de Cologne, écrivit un livre De utilitate cantus vocalis et de modo cantandi et psallendi.

(1040). Jean de Garland, Anglais, composa un poème, intitulé De mysteriis Missœ, et le dédia à Foulques, évêque de Londres.

(1050). Michel Psellus, qui avait été le précepteur de l'empereur Michel Ducas, embrassa plus tard la vie monastique. Allatius nous fait connaître de lui les ouvrages suivants qui ont rapport à la Liturgie : Expositio in illud

 

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quod in solemni Christi Ascensionis die dicitur : Hodie Sancta Condura et cras Ascensio; Expositio in illud: Domine, Jesu Christe, Deus noster, miserere nostri, Amen ; Paraphrasis carmine iambico in canonem S. Cosmœ, Maiumœ episcopi, sancta et magtia feria quinta canen dum.

(1050). Jean, dit le Géomètre, souvent cité par saint Thomas d'Aquin, dans sa Catena aurea sur les Évangiles, vécut au XI° siècle. Il est auteur de quatre grandes hymnes en l'honneur de la sainte Vierge, qui se trouvent dans la Bibliothèque des Pères de Lyon et ailleurs. Allatius nous apprend qu'il avait composé d'autres hymnes pour les différentes fêtes de l'année.

(1050). Humbert, moine de Moyenmoutier, nota plusieurs antiennes, en l'honneur de saint Grégoire, pape, de saint Hydulphe et de saint Colomban.

(1050). Odon, moine de l'abbaye des Fossés, près Paris, est auteur des répons que l'on chantait autrefois le jour de la fête de saint Babolein, premier abbé de ce monastère.

(1054). Jean, dit Mauropus (aux pieds noirs), d'abord moine,puis métropolitain d'Euchaïte,dans l'Asie Mineure, composa beaucoup d'hymnes, savoir vingt-quatre Canons paradétiques au Christ Sauveur, deux autres cantiques adressés pareillement au Verbe incarné, soixante-sept à la sainte Vierge, un au saint Ange gardien, deux à saint Jean-Baptiste, d'autres pour les fêtes des saints Basile, Grégoire de Nazianze et Jean Chrysostome.

(1057). Saint Pierre Damien, d'abord moine et abbé, puis cardinal et évêque d'Ostie, a laissé de nombreux monuments de son génie et de son savoir liturgiques. Nous citerons ici le traité De septem horis canonicis ; le livre sur Dominus vobiscum; un autre Contra sedentes tempore Divini Officii; enfin une grande quantité d'hymnes, antiennes et autres pièces liturgiques que l'on peut voir en

 

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tête du quatrième tome de ses œuvres publiées par Constantin Gaetani. Nous citerons parmi celles-ci les belles hymnes de la Croix, de Pâques, de l'Annonciation et de l'Assomption de la sainte Vierge, de saint Pierre, de saint Paul, de saint André, de saint Jean l'Évangéliste, de saint Vincent, de saint Grégoire le Grand, de saint Benoît, etc.

(1057). Albéric, moine du Mont-Cassin, et depuis cardinal, écrivit un dialogue De musica, et des hymnes pour Pâques, l'Ascension, les fêtes de la Sainte-Croix, de l'Assomption de la sainte Vierge, de saint Paul, de saint Apollinaire, etc.

(1057), Einhard II, d'abord moine et abbé, puis évêque de Spire, composa en quatre livres un ouvrage très-important De cœremoniis Ecclesiœ.

(1058). Gosselin, moine de Saint-Bertin, suivit en Angleterre Hermann, évêque de Salisbury, et se rendit célèbre dans ce pays, par sa grande science du chant ecclésiastique. Il composa une séquence en l'honneur de sainte Étheldrède.

(1060). Vitmond, moine de Saint-Évroul, fut aussi un habile compositeur de chant ecclésiastique. Orderic Vital dit que l'on chantait encore de son temps, à Saint-Évroul, des antiennes et des répons de la façon de Vitmond, et des hymnes qu'il avait notées sur des airs très-mélodieux.

(1060). Lambert, abbé de Saint-Laurent de Liège,composa le chant et les paroles d'un office, en l'honneur de saint Héribert, archevêque de Cologne.

(1060). Francon, écolâtre de la cathédrale de Liège,écrivit, au rapport de Sigebert, un traité sur le chant ecclésiastique.

(1060). Alphane, moine du Mont-Cassin, archevêque de Salerne, a laissé des hymnes en l'honneur de sainte Christine,

 

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de sainte Sabine, de saint Matthieu, de saint Nicolas, de saint Maur, etc.

(1061). Jean, comte de Bayeux, d'abord évêque d'Avranches, puis archevêque de Rouen, a écrit un livre célèbre De divinis Officiis.

(1064). Jean Bar-Susan, patriarche jacobite d'Antioche, est auteur d'une anaphore, qui se trouve au Missel chaldaïque, et d'un livre dans lequel il prétend justifier contre les Coptes, l'usage de mêler du sel et de l'huile au pain eucharistique.

(1068). Guillaume, abbé d'Hirsauge, composa un traité De musica et tonis, et un autre De psalterio. Il recueillit aussi les coutumes de son monastère, et ce recueil renferme beaucoup de particularités liturgiques intéressantes.

(1070). Bonizon, évêque de Plaisance, massacré cruellement par les schismatiques, fauteurs de l'empereur Henri IV, écrivit un livre De Sacramentis, adressé à Gaultier, prieur du monastère de Léon, et publié par Muratori.

(1070). Osberne, chantre et sous-prieur de Cantorbéry, ami de l'archevêque Lanfranc, publia un traité De musica.

(1070). Didier, abbé du Mont-Cassin, et depuis Pape sous le nom de Victor III, fut fort zélé pour le chant ecclésiastique et pour la splendeur des offices divins. Il composa lui-même des chants, ou des hymnes en l'honneur de saint Maur.

(1071). Raynald, évêque de Langres, rédigea lui-même l'office de saint Mammès, martyr, patron de son Église. Il en prit le texte dans les poésies de Walafrid Strabon,et composa lui-même le chant.

(1074). Nicolas III, patriarche de Constantinople, est auteur d'un poëme De jejuniis et festis totius anni, et d'un règlement ecclésiastique De oblationibus liturgicis.

 

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(1075). Lanfranc, moine du Bec, puis archevêque de Cantorbéry, ayant fait confirmer les moines dans la possession où ils étaient de desservir les cathédrales en Angleterre, rédigea un recueil de statuts concernant la discipline que l'on devait observer dans tous les monastères de ce royaume, et principalement la célébration des offices divins. Ces statuts sont une des plus précieuses sources où l'on doive puiser la connaissance des usages liturgiques des moines, au moyen âge.

(1075). Thomas, archevêque d'York, composa le chant d'un grand nombre d'hymnes. Guillaume de Malmesbury dit de ce prélat qu'il avait la voix très-belle, et que lorsqu'il entendait un air agréable, il l'accommodait aussitôt aux hymnes et aux chants ecclésiastiques ; mais il ne voulait pas souffrir dans l'Église une musique efféminée et sans gravité.

(1080). Durand, abbé de Saint-Martin de Troarn, composa des antiennes et des répons avec leur chant pour diverses fêtes de l'année, et en l'honneur de Notre-Seigneur, de la sainte Vierge, des Anges, des Apôtres, des Martyrs, et autres saints révérés dans l'Église.

(1080). Udalric, moine de Cluny, recueillit les usages de cet illustre monastère, et son travail publié par dom Luc d'Achery, est un des plus importants monuments de la Liturgie bénédictine.

(1080). Irène, femme de l'empereur Alexis Comnène, ayant fondé à Constantinople un monastère de filles, leur donna des constitutions qui sont contenues dans le livre appelé Typique. Le cérémonial contenu dans ce livre est du plus haut intérêt pour la connaissance des usages claustraux des monastères de filles, en Orient.

(1091). Aribon, personnage dont l'état et la qualité sont aujourd'hui inconnus, écrivit un traité De musica, qu'il dédia à un évêque, nommé Ellenhard. Il y parlait avec enthousiasme de Guillaume, abbé d'Hirsauge, dont nous

 

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avons fait mention plus haut, et le qualifiait le premier des musiciens, l'Orphée et le Pythagore modernes.

(1094). Jean Saïd Bar-Sabuni, évêque jacobite de Mélitine, est auteur d'une hymne acrostiche, que les jacobites chantent durant la cérémonie de la tonsure des moines.

(1096). Névelon, moine de Corbie, rédigea un Martyrologe, abrégé de celui d'Adon.

(1097). Bruno d'Asti, abbé du Mont-Cassin, puis évêque de Segni, est un des grands liturgistes du XI° siècle. On lui doit les livres suivants : De ornamentis ecclesiœ; De Sacrificio azymi, et De Sacramentis ecclesiœ, mysteriis, atque ecclesiasticis ritibus.

(1097). Micrologus, tel est le titre d'un ouvrage anonyme qui est aussi intitulé De observationibus ecclesiasticis. Ce livre, qui est un des monuments principaux de la science liturgique, a été écrit peu après la mort de saint Grégoire VII, arrivée en 1085. On y trouve l'explication de l'Office, suivant la forme en laquelle ce Pape l'avait réduit. Il ne faut pas confondre cet opuscule avec le Micrologue de Guy d'Arezzo, qui ne traite que de la musique et du chant. Zaccaria croit pouvoir l'attribuer à Ives de Chartres.

(1097). Ives, d'abord abbé de Saint-Quentin, puis évêque de Chartres, fut un des plus grands, des plus doctes et des plus saints prélats de son temps. Il excella dans l'explication des mystères de la Liturgie, comme on peut le voir par la lecture d'un grand nombre de ses sermons, qui font autorité en cette matière. L'indication de ces sermons nous entraînerait trop loin : on peut consulter la bibliothèque des Pères, ou la collection d'Hittorp.

(1097). Saint Anselme, abbé du Bec, et ensuite archevêque de Cantorbéry, composa, avec l'onction qui se remarque dans tous ses écrits, des hymnes et un Psautier de la sainte Vierge.

 

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(1097). Le vénérable Hildebert de Lavardin, évêque du Mans, puis archevêque de Tours, a laissé, entre autres compositions qui vont à notre sujet, un poëme infiniment précieux, intitulé : Versus de mysteriis et ordine Missae. Nous citerons encore les opuscules suivants : Liber, seu prosa de Natali Domini; De Sacramentis ; De utraque parte altaris; De tribus Missis in Natali Domini.

(11o5). Odon, écolâtre d'Orléans, puis abbé de Saint-Martin de Tournay, enfin évêque de Cambrai, est auteur d'une courte exposition du Canon de la Messe.

(1110). Geoffroy, abbé de la Trinité de Vendôme, a composé quatre hymnes, dont la première en l'honneur de la sainte Vierge, et les trois autres sur la conversion de sainte Marie-Magdeleine. Plusieurs de ses opuscules renferment des traits importants pour la compréhension des doctrines liturgiques de cette époque.

(1110). Marbode, évêque de Rennes, est auteur de trois hymnes en l'honneur de sainte Marie-Magdeleine.

(1111). Robert, prieur de Saint-Laurent de Liège, écrivit un traité De divinis Officiis.

(1111). Rupert, abbé de Tuy, se recommanda, comme liturgiste, par son ouvrage De divinis Officiis per anni circulum, divisé en douze livres. Il a composé en outre plusieurs hymnes, savoir deux en l'honneur du Saint-Esprit, et les autres pour la fête de plusieurs saints martyrs.

(1113). Etienne, évêque d'Autun, et qui mourut moine de Cluny, a laissé un livre De Sacramento Altaris, et iis quœ ad illud variosque Ecclesiœ ministros pertinent.

(1115). Saint Bernard, abbé de Clairvaux et docteur de l'Église, outre les travaux qu'il accomplit sur l'Antiphonaire, a composé un Office entier en l'honneur de saint Victor, confesseur, à la prière de Guy, abbé de Montier-Ramey. Cet Office, d'un style élégant et plein d'onction,

 

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mais peu conforme à la couleur de l'antiquité, renferme des hymnes totalement dépourvues de mesure et de quantité. C'est le reproche qu'on peut faire également à l'hymne de saint Malachie, composée aussi par saint Bernard et publiée par dom Martène. Ces hymnes contrastent singulièrement avec le petit poëme de mesure ïambique et si mélodieux, qui commence par ces mots : Jesu, dulcis memoria, dont l'Eglise a tiré les trois hymnes de l'Office du saint Nom de Jésus. Dom Mabillon a placé parmi les œuvres probables de saint Bernard, l'hymne à l'honneur des Cinq [Plaies de N. S., qui commence : Salve, mundi salutare, et une touchante prière au Christ et à Marie, dont le premier vers est ainsi conçu : Summe summi tu Patris unice. Quant à la gracieuse prose de Noël : Lœtabundus, on la trouve dans tous les anciens Missels, sous le nom de saint Bernard.

Les principes de saint Bernard, sur la composition liturgique, sont trop importants pour n'être pas rappelés dans cet ouvrage : il serait à désirer qu'on ne les eût jamais perdus de vue. Voici quelques traits du saint docteur sur ce sujet, tirés de sa lettre à Guy, abbé de Montier-Ramey :

« Ce n'est point votre affection pour moi que vous devez considérer, dans une affaire si grave que la composition d'un Office, mais le peu d'importance que j'ai dans l'Église. Un si haut sujet exige non simplement un ami, mais un homme docte et digne d'une pareille mission, dont l'autorité soit compétente, la vie pure, le style nourri, en sorte que l'œuvre soit à la fois noble et sainte. Qui suis-je, dans le peuple chrétien, pour que mes paroles soient récitées dans les églises ? Quelle est donc ma pauvre éloquence pour qu'on vienne me demander des chants de fête et de triomphe ? Quoi donc ! celui dont les cieux célèbrent les louanges, il faut que, moi, je m'essaye à les redire sur la terre ? Vouloir ainsi

 

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ajouter à la gloire du ciel, c'est la diminuer. Ce n'est pas pourtant que les hommes doivent s'interdire de chanter les louanges de ceux que déjà les Anges glorifient; mais dans une auguste solennité, il ne convient pas de faire entendre des choses nouvelles, ou légères d'autorité ; il faut des paroles authentiques, anciennes, propres à édite fier l'Église et remplies de la gravité ecclésiastique. Que si, le sujet l'exigeant, il était nécessaire d'employer quelque chose de nouveau, il me semble qu'il faut, dans ce cas, que la dignité de l'élocution jointe à celle de l'auteur, rende les paroles aussi agréables qu'utiles au cœur des auditeurs. Que la phrase donc resplendissante de vérité fasse retentir la justice, persuade l'humilité, enseigne l'équité ; qu'elle enfante la lumière de vérité dans les cœurs; qu'elle réforme les mœurs, crucifie les vices, enflamme l'amour, règle les sens. S'il s'agit de chant, qu'il soit plein de gravité, également éloigné de la mollesse et de [la rusticité. Qu'il soit suave, sans être léger; doux aux oreilles, pour toucher le cœur. Qu'il dissipe la tristesse, calme la colère ; qu'au lieu d'éteindre le sens de la lettre, il le féconde : car ce n'est pas un léger détriment de la grâce spirituelle que d'être détourné de goûter l'utilité du sens par la frivolité du chant, de s'appliquer davantage à produire des sons haie biles qu'à faire pénétrer les choses elles-mêmes (1). »

(1118). Théotger, évêque de Metz, écrivit un traité du chant ecclésiastique.

(1120). Hugues, chanoine régulier de Saint-Victor de Paris, un des plus illustres écrivains mystiques du moyen âge, a passé pour être l'auteur de plusieurs écrits sur la Liturgie qu'on trouve dans ses œuvres. Mais il est impossible de lui laisser les trois livres De coeremoniis, Sacramentis et Officiis ecclesiasticis, qui sont de Robert Paululus;

 

(1)  Vid. la Note E.

 

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ni l'opuscule intitulé De Canone Mystici libaminis, ejusque ordinibus, qui  est de Jean   de Cornouailles. Le Speculum de Mysteriis Ecclesiœ ne paraît pas beaucoup plus assuré à Hugues de Saint-Victor.

(1120). Hugues Métellus, chanoine régulier de Toul, a laissé cinquante-cinq lettres sur différents sujets. La LIIe et la LIIIe ad Constantinum, ont pour objet l'explication des rites de l'Église pendant le carême et les trois semaines qui le précèdent.

(1120). Le bienheureux Guigues, cinquième prieur de la Chartreuse, rédigea les fameux Statuts qui portent son nom et qui forment aussi un des plus curieux monuments de la Liturgie monastique.

(1120). Gilbert, évêque de Limerik, voulant aidera l'établissement de l'unité liturgique, en Irlande, publia une lettre circulaire à tous les évêques et prêtres de ce pays. Cette lettre est le prologue d'un opuscule intitulé: De Statu Ecclesiœ, dans lequel Gilbert expose avec un détail intéressant les fonctions sacrées de l'évêque et du prêtre.

(1123). Suger, illustre abbé de Saint-Denis en France,a laissé un opuscule sur la Dédicace de l'église de son abbaye qu'il avait rebâtie.

(1123). Pierre Maurice, dit le Vénérable, abbé de Cluny, a laissé plusieurs hymnes, et en particulier celles que tout l'Ordre de Saint-Benoît chante dans la fête de son saint Patriarche : Laudibus cives resonent canoris; Inter œternas superum coronas, et Quidquid antiqui cecinere vates. Les bénédictins français chantent aussi celle que le même Pierre le Vénérable a composée sur la Translation des reliques de saint Benoît en France et sur leur illation: Claris conjubila, Gallia, laudibus.

(1128). Drogon, abbé de Laon, puis évêque d'Ostie, a laissé un livre De divinis Officiis, seu horis Canonicis.

 

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(1130). Honorius, écolâtre de l'église d'Autun, est auteur de la belle Somme liturgique, intitulée : Gemma animœ. Dom Bernard Pez, en publiant, au deuxième tome de son Thesaurus anecdotorum novissimus, l'important écrit intitulé : Sacramentarium ou De Sacramentis,sive de causis et significatu mystico rituum divini in Ecclesia Officii, a presque doublé les richesses liturgiques que nous devons à Honorius d'Autun.

(1130). Bérold, gardien et Cicendelarius de l'église de Milan, écrivit un livre curieux, intitulé : Ordo et cœremoniœ Ecclesiœ Ambrosianœ Mediolanensis.

(1130). Hervé du Mans, moine de Déols, au diocèse de Bourges, donna l'explication des cantiques que l'on chante dans les Offices divins, et écrivit un livre de remarques sur les altérations que le texte de la Bible avait souffertes dans les Lectionnaires de certaines églises.

(1130). Guillaume de Sommerset, moine de Malmesbury, fit un abrégé des livres d'Amalaire sur les Offices divins.

(1130). Pierre Abailard qui, après une carrière aussi brillante qu'agitée, embrassa la vie monastique à Saint-Denis, fut abbé de Saint-Gildas de Ruys, et mourut dans l'ordre de Cluny, composa à la prière d'Heloïse un petit livre d'hymnes et de séquences pour l'usage du monastère du Paraclet. La plus célèbre de ces séquences est celle pour la fête de l'Annonciation : nous en avons parlé ci-dessus.

(1130). Rodulphe, abbé de Saint-Trond, fut très-habile dans le chant ecclésiastique et nota un Office en l'honneur de saint Quentin.

(1136). Rinald II, abbé du Mont-Cassin et cardinal, composa trois hymnes en l'honneur de saint Maur, trois pour saint Placide et une pour saint Sévère, abbé du Mont-Cassin.

(1140). Anselme, archevêque de Magdebourg, et ensuite

 

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de Ravenne, écrivit un traité De ordine pronuntiandœ Litaniœ,

(1143). Benoît, chanoine de Saint-Pierre, écrivit le livre intitulé Pollicitus, dans lequel il rend compte des Offices de toute l'année et principalement de ce qui a rapport aux fonctions papales. Dom Mabillon a placé cet opuscule parmi les Ordres romains, entre lesquels il occupe le onzième rang.

(1147). Isaac, abbé de Stella au diocèse de Poitiers, écrivit une Épître assez longue sur le Canon de la Messe.

(1150). Aelrède, abbé de Rhienvall, au diocèse d'York, a laissé un livre De Officiis ministrorum.

(1150). Hugues, abbé de Prémontré, rédigea le livre des cérémonies de cet Ordre, sous ce titre : Ordinarium Praoemonstratensis Ecclesiœ.

(1150). Richard, chanoine régulier de Saint-Victor de Paris, et l'ami de Hugues, écrivit, au rapport de Trithème, un livre De Officiis Ecclesiœ.

(1150). Damien, prémontré, aux Pays-Bas, passe pour avoir composé des chants admirables en l'honneur de saint Corneille et de saint Cyprien.

(1150).Nous plaçons à cette date l'anonyme du douzième siècle, dont Zazzera a publié en 1784, d'après un manuscrit du Vatican, un intéressant ouvrage intitulé : Sanctœ Ecclesiœ Rituum , divinorumque Officiorum explicatio.

(1150). Adam, chanoine régulier de Saint-Victor de Paris, est illustre par les belles séquences qu'il a composées, parmi lesquelles on distingue celles de saint Etienne, de la Purification de la sainte Vierge, de la sainte Croix, de la sainte Trinité, de saint Nicolas, de saint Jean-Baptiste, de saint Pierre et de saint Paul, de saint Laurent, de saint Martin, sans oublier celle de saint Denys : Gaude proie, Grœcia, si indignement travestie par les Parisiens modernes.

 

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            (1150). Lisiard, clerc de l'église de Tours, rédigea l'Ordinaire, ou livre des cérémonies pour l'usage de l'église de Laon.

(1154). Denys Bar-Salibi, évêque jacobite d'Amida, a laissé en syriaque beaucoup de monuments de sa science liturgique. Nous citerons les ouvrages suivants : Exposition des mystères qui sont contenus dans le Saint-Chrême. Exposition des mystères qui sont contenus dans l'imposition des mains, ou l'ordination. Exposition de la Messe, ou commentaire de la Liturgie de saint Jacques. Trois Anaphores, dont l'une s'est glissée, jusque dans le Missel des Maronites, comme nous l'avons observé en son lieu, etc.

(1160). Comme nous l'avons dit plus haut, on a attribué à Maurice de Sully, évêque de Paris, plusieurs répons de l'Office des morts. Peut-être a-t-il été l'auteur de quelques-uns des nombreux versets ajoutés à cette époque au répons Libera me, Domine, de morte œterna; mais toutes les pièces qui composent actuellement l'Office des morts semblent antérieures à ce prélat.

(1162). Jean Beleth, recteur de l'Université de Paris, a publié Rationale divinorum officiorum, qui est un traité liturgique très-important.

(1164). Michel, dit le Grand, patriarche des Jacobites, mit en ordre le Pontifical et le Rituel des Syriens jacobites et composa une Anaphore.

(1166). Nersès, patriarche d'Arménie, se réunit à l'Église romaine et publia un livre entier d'hymnes de la plus grande beauté, qui sont encore en usage dans l'Église d'Arménie.

(1169). Thomas de Bayeux, surnommé l'Anglais, composa des chants pour l'Église, et mit en ordre le livre d'offices (Officiarium) à l'usage de la cathédrale d'York.

(1170). Jean de Cornouailles, Anglais, est auteur du livre

 

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intitulé : Summa qualiter fiat Sacramentum Altaris per virtutem Sanctœ Crucis et de septem Canonibus, vel ordinibus Missœ.

(1170). Robert Paululus, prêtre d'Amiens, a composé les trois livres De Cœremoniis, Sacramentis et Officiis, qui se trouvent parmi les oeuvres de Hugues de Saint-Victor.

(1170). Arnulphe, chanoine régulier d'Arras, adressa à Frumald, évêque de cette ville, un commentaire du Canon de la Messe.

(1185). Sicard, évêque de Crémone, est auteur d'un précieux ouvrage, intitulé : Mitratle, vel summa de divinis Officiis.

(1189). Ordonius,  moine espagnol, prieur de Cella-Nova, en Galice, publia une sorte de Rational des divins offices.

(1190). Adam de Corlandon, moine de Cîteaux, doyen de Notre-Dame de Laon, écrivit un Ordinaire de l'office divin, pour l'usage de l'Église de Laon.

(1190). Conrad, moine d'Hirsauge, au rapport de Trithème, composa un traité De Musica et tonis.

(1190). Richard, Anglais, abbé de Prémontré, composa un livre De Canone Missœ.

(1191). Etienne, évêque de Tournay, nota le chant d'un office de saint Gérard de la Sauve-Majour.

(1192). Cenci de Sabelli, cardinal-diacre du titre de sainte Lucie, chancelier de plusieurs papes, rédigea un livre De Censibus Sanctœ Romance Ecclesiœ, dont une partie considérable roule sur les cérémonies de la Cour romaine; c'est cette partie que D. Mabillon a insérée parmi les Ordres romains, au douzième rang.

(1197). Reiner, moine bénédictin, qui assista au concile de Latran, en 1215, écrivit un commentaire sur les neuf Antiennes que l'on chante avant Noël, et composa sept hymnes en l'honneur du Saint-Esprit.

 

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(1198). Innocent III a laissé, parmi ses écrits, trois livres De Mysteriis Missœ, qui le mettent au rang des plus profonds liturgistes du moyen âge. Cet ouvrage, vraiment digne de son illustre auteur, n'a pas eu d'édition depuis celle d'Anvers, en 1540 : aussi est-il devenu presque impossible à trouver aujourd'hui. Il serait à désirer qu'on entreprît une édition complète des œuvres de ce grand pape : il n'existe même pas de recueil qui contienne toutes ses lettres. Plusieurs le font auteur des séquences : Veni, Sancte Spiritus, et Stabat Mater dolorosa.

Si nous en venons maintenant à résumer les considérations qui se présentent à la suite des faits si importants racontés dans ce chapitre, nous trouvons que l'unité liturgique, recherchée avec tant d'efforts par les plus saints papes et par les plus grands princes, pourrait bien être une des nécessités de la société catholique. Saint Adrien Ier et Charlemagne, saint Grégoire VII et Alphonse VI: c'est bien de quoi faire balance à des théories modernes inventées et propagées par des noms obscurs ou suspects ;

Qu'il est quelquefois des sacrifices d'orgueil national à faire pour amener un grand bien dans l'ordre religieux et social ;

Que les peuples catholiques du moyen âge n'auraient peut-être pas vu le bouleversement de la Liturgie avec le même sang-froid que les Français des xvine et XIXe siècles ;

Que la France, toute romaine d'ailleurs dans sa Liturgie, n'en fut pas moins féconde dans les embellissements que son génie lui suggéra d'adjoindre à l'ensemble des chants antiques; que l'unité liturgique n'étouffe donc pas le génie national; que les siècles de foi produisirent des chants nationaux dans la Liturgie, ce^que n'ont certes pas fait les siècles de l'innovation ;

Enfin, que ceux qui ont la charge de composer   les

 

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pièces de la Liturgie doivent unir à l'inspiration du génie la gravité, l'autorité, la sainteté de la vie; et si saint Bernard n'ajoute pas à ces conditions celle de l'orthodoxie dans la foi, c'est que personne n'eût pu s'imaginer, avant une certaine époque, que l'on en viendrait à charger des hérétiques de composer les hymnes de l'office, et d'en régler, à leur fantaisie, le fond, l'ordre et la distribution.

 

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NOTES DU CHAPITRE XI

 

NOTE A

 

Gregorius episcopus, servus servorum Dei, Alphonso et Sancio regibus Hispanise, a paribus, et episcopis in ditione sua constitutis, salutem et apostolicam benedictionem.

Cum beatus Apostolus Paulus Hispaniam se adiisse significet, ac postea septem Episcopos ab urbe Roma, ad instruendos Hispanise populos, a Petro et Paulo Apostolis directos fuisse, qui, destructa idololatria, Christianitatem fundaverunt, religionem plantaverunt, ordinem et officium in divinis cultibus agendis ostenderunt, et sanguine suo Ecclesias dedicavere, vestra diligentia non ignoret, quantam concordiam cum Romana urbe Hispania in religione et ordine divini Officii habuisse satis patet : sed postquam vesania Priscillianistarum diu pollutum, et perfidia Arianorum depravatum, et a Romano ritu separatum, irruentibus prius Gothis, ac demum invadentibus Sarracenis, regnum Hispaniae fuit, non solum religio est diminuta, verum etiam mundanae sunt opes labefactatae. Quapropter ut filios carissimos vos adhortor et moneo, ut vos sicut bonas soboles etsi post diuturnas scissuras, demum tamen ut matrem rêvera vestram, Romanam Ecclesiam recognoscatis, in qua et nos fratres reperiatis, Romana; Ecclesiae ordinem et Officium recipiatis, non Toletanae, vel cujus-libet alias, sed istius quae a Petro et Paulo supra firmam petram per Christum fundata est, et sanguine consecrata, cui portae inferni, id est linguae haereticorum, nunquam praevalere potuerunt, sicut cetera regna Occidentis et Septentrionis teneatis. Unde enim non dubitatis vos suscepisse religionis exordium, restat etiam ut inde recipiatis in Ecclesiastico ordine divinum Officium; quod Innocentii Papa; ad Eugubinum directa Episcopum vos docet epistola, quod Hormisdae ad Hispalensem missa decreta insinuant, quod Toletanum et Bracarense demonstrant concilia : quod etiam Episcopi vestri, ad nos nuper venientes, juxta constitutionem concilii, per scripta sua facere promiserunt, et in manu nostra firmaverunt, (Labb., tom. X, pag. 53.)

 

NOTE B

 

Gregorius episcopus, servus servorum Dei, Simeoni Hispanorum episcopo, salutem et apostolicam benedictionem.

Cognitis fraternitatis tuœ litteris, gaudio sumus repleti, quoniam eam quam erga Romanam Ecclesiam ridera et devotionem geris, in eis plene

 

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agnovimus, et quod non adulterino eam more deserere, sed legitimas prolis successione amplecti desideras. Quapropter, carissime frater, necesse est ut bene inceptum recto itinere gradiatur : nec haeretica debet pravitate minui, quod apostolica constat traditione sancitum. Apostolica enim Sedes, cui, quamvis immeriti, Deo auctore praesidemus, ipso gubernante firma permansit ab ipsis primordiis, eoque tuente illibata perpetue permanebit, testante eodem Domino : Ego pro te rogavi, ut non deficiat fides tua ; et tu aliquando conversus confirma fratres tuos. His itaque fulta praesidiis Romana te cupit scire Ecclesia, quod filios quos Christo nutrit, non diversis uberibus, nec diverso cupit alere lacté, ut secundum Apostolum sint unum, et non sint in eis schismata : alioquin non mater, sed scissio vocaretur. Quapropter notum sit tibi cunctisque Christi fidelibus super quibus consuluisti, quod decreta, quae a nobis, imo a Romana constat Ecclesia prolata sive confirmata, in peragendis a vobis ejusdem Ecclesiae Officiis inconcussa volumus permanere, nec eis acquiescere, qui luporum morsibus et veneficiorum molimine vos inficere desiderant. Nec dubitamus quod, secundum Apostolum, introeant in vos lupi graves, lupi rapaces, non parcentes, quibus resistendum fortiter est in fide. Ideoque, dilectissime frater, certa, et usque ad sanguinis effusionem, si opportunum fuerit, desuda. Indignum enim et pro ridiculo potest haberi, quod saeculares homines, pro tam vili pretio, tamque Deo odibili commercio, se ipsos periculo ultraneos exhibeant, et fidelis quisque irruentibus cedat hostibus terga. Non enim ab eis poterit acquiri virtus qui facile corruunt quo trahuntur. Quod autem filii mortis dicunt se a nobis litteras accepisse, sciatis per omnia falsum esse. Procura ergo, ut Romanus ordo per totam Hispaniam et Galliciam, et ubicumque poteris, in omnibus rectius teneatur. Data Roraœ, mense maii, indictione decima quarta. (Labb., tom. X, p. 144.)

 

NOTE C

 

Ante revocationem (legati Richardi) clerus et populus totius Hispaniae turbatur, eo quod Gallicanum Officium suscipere a legato et principe cogebantur; et statuto die, rege, primate, legato, cleri et populi maxima multitudine congregatis, fuit diutius altercatum, clero, militia et populo firmiter resistentibus, ne Officium mutaretur, rege a regina suaso, contrarium minis et terroribus intonante. Ad hoc ultimo res pervenit, militari pertinacia decernente, ut haec dissensio duelli certamine sedaretur. Cumque duo milites fuissent electi, unus a rege, qui pro Officio Gallicano; alter a militia et populis, qui pro Toletano pariter decertarent, miles regis illico victus fuit, populis exultantibus, quod victor erat miles Officii Toletani. Sed rex adeo fuit a regina Constantia stimulatus, quod a proposito non discessit, duellum indicans jus non esse. Miles autem qui pugnaverat pro Officio Toletano, fuit de domo Matantiae prope Pisoricam, cujus hodie genus exstat. (Rodericus Toletanus, de Rebus Hispaniae, lib. VI, cap. XXVI.)

 

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Cumque super hac magna seditio in populo oriretur, demum placuit, ut liber Officii Toletani, et liber Officii Gallicani in magna ignis congerie ponerentur. Et indicto omnibus jejunio a primate et legato, et clero, et oratione ab omnibus devote peracta, igneconsumitur liber Officii Gallicani; et prosiliit super omnes flammas incendii, cunctis videntibus et Dominum laudantibus, liber Officii Toletani illassus omnino (et) a combustione incendii alienus. (Ibidem.)

 

NOTE D

 

Ceterum, quilibri in Ecclesiasticis Officiis per anni circulum a nonnullis legantur  (quod   ritum illum  Apostolica   non   reprobat,   sed   sequitur Ecclesia), pro fidelium   aedificatione  adnotandum  censuimus.  Quidam, quod in Septuagesima ponunt  Pentateuchum usque in  XV diem  ante Pascha, XV die  ponunt Hieremiam usque in Coenam Domini. In Cœna Domini legunt tres lectiones de Lamentatione Hieremise : Quomodo sedet sola civitas, etc., et tres de Tractatu S. Augustini   in Psalmum LIV : Exaudi, Deus, orationem meam,   et ne despexeris et tres  de Apostolo, ubi ait in Epistola ad Corinthios Convenientibus vobis in unum. Secunda ilectio sic  incipit : Similiter et calicem, postquam coenavit.   Tertia : De Spiritalibus  autem  nolumus vos  ignorare, fratres.   In   Parasceve   très lectiones de Lamentatione Hieremias, et très de Tractatu Sancti Augustini in Psalmum LXIII : Exaudi, Deus, orationem meam cum deprecor; et très de Apostolo, ubi ait in Epistola ad Hebraeos : Festinemus ingredi in illam requiem, etc..  Secunda lectio : Omnis namque Pontifex. Tertia : De quo grandis nobis sermo. In Sabbato Sancto tres lectiones de Lamentatione Hieremias Prophetae,   et  très de tractatu Sancti Augustini   in   eumdem Psalmum LXIII : Exaudi, Deus, orationem meam cum deprecor, et tres de Apostolo, ubi ait in Epistola ad Hebraios : Christus adsistens Pontifex futurorum. Secunda lectio : Ubi enim testamentum est. Tertia :  Umbram enim habens  lex futurorum bonorum.  In   Pascha Domini  homilias ad ipsum diem pertinentes, infra hebdomadam homilias. In Octavis Paschae ponunt Actus Apostolorum, et Epistolas Canonicas, et Apocalypsim usque n Octavas Pentecostes. In Octavis Pentecostes ponunt libros Regum, et Paralipomenon   usque in kalendas septembris. In Dominica prima septembris ponunt Job, Tobiam, Hester, Esdram usque in kalendas octobris. In Dominica prima mensis octobris ponunt librum Machabaeorum usque in kalendas  novembris. In Dominica  prima  mensis   novembris ponunt Ezechielem, et Danielem, et minores Prophetas usque in kalendas decembris. In  Dominica prima mensis decembris ponunt Esaiam prophetam usque ad Nativitatem Domini. In Natali Domini legunt primum de Isaia tres lectiones.  Prima lectio Primo tempore  alleviata  est terra Zabulon,   etc.   Secunda : Consolamini,  consolamini.  Tertia : Consurge, consurge.  Deinde leguntur sermones, vel homiliae ad ipsum diem pertinentes. In natali sancti Stephani homilia de ipso die. In natali sancti

 

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Johannis similiter. In natali Innocentium similiter. In natali sancti Silvestri similiter. In Octava natalis Domini homilia de ipso die. In Dominica prima post Nativitatem Domini ponunt Epistolas Pauli usque in Septuagesimam. In Epiphania lectiones très de Esaia. Primalectio incipit: Omnes sitientes. Secunda : Surge, illuminare, Hierusalem. Tertia : Gaudens gaudebo in Domino. Deinde leguntur sermones, vel homilia? ad ipsum diem pertinentes. (Decretum. Part. I, Distinct. XV, cap. Sancta Romana.)

 

NOTE E

 

Venerabili Guidoni abbati Arremarensi, et sanctis qui cum eo sunt fratribus, Bernardus servus sanctitatis eorum, servire Domino in sanctitate.

 

Petis, carissime mihi Guido abbas, et tecum pariter qui tecum sunt fratres, dictare me aliqua vobis legenda solemniter, vel canenda in festivitate sancti Victoris, cujus apud vos corpus sacratissimum requiescit. Cunctanti instas, dissimulantem urges, meam etsi justam verecundiam dissimulans ipse : adhibes mihi et alios precatores, quasi sit aliquid ad inclinandum me tuae voluntati, tua ipsa voluntate cogentius. Verum tu vel proprio judicio consulens, cogitare debueras non affectum erga me tuum, sed meum in Ecclesia locum. Sane altitudo negotii non amicum desiderat, sed eruditum, sed dignum ; cujus auctoritas potior, vita sanctior, stylus maturior et odus illustret, et consonet sanctitati.

Quantulus ego in populo christiano, cujus litteras in Ecclesiis lectitentur? Aut quantula mihi ingenii eloquiive facultas, ut a me potissimum festiva et plausibilia requirantur? Quid ? quem cœli habent laudabilem et laudatum, ego de novo laudare incipio super terram ? Supernis velle addere laudibus, detrahere est. Non quod glorificatos ab Angelis, homines jam laudare non audeant; sed quia in solemnitate celebri non novella audiri decet vel levia, sed certe authentica et antiqua, quae et Ecclesiam aedificent, et ecclesiasticam redoleant gravitatem. Quod si nova audire libet, et causa requirit, ea, ut dixi, recipienda censuerim, quae cordibus audientium quo gratiora, eo utiliora reddat et eloquii dignitas et auctoris. Porro sensa indubitata resplendeant veritate, sonent justitiam, humilitatem suadeant, doceant aequitatem : quae etiam lumen veritatis mentibus pariant, formam moribus, crucem vitiis, affectibus devotionem, sensibus disciplinam. Cantus ipse si fuerit, plenus sit gravitate, nec lasciviam resonet, nec rusticitatem. Sic suavis, ut non sit levis; sic mulceat aures; ut moveat corda. Tristitiam levet : iram mitiget; sensum litteras non evacuet, sed fœcundet. Non est levis jactura gratiae spiritualis, levitate cantus abduci a sensuum utilitate et plus sinuandis intendere vocibus quam nsinuandis rebus.

En qualia oportet esse quas in audientiam Ecclesiœ veniunt, qualemve horum auctorem. Numquid talis ego, aut talia quae paravi ? Et tamen de paupertate mea,  te pulsante,  te inquietante, etsi non quia amicus es,

 

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certe ob tuam oportunitatem surgens, juxta verbum Domini, praestit quod petisti. Prœstiti dico, non quod tibi ad votum, sed quod mihi ad manum venire potuit, pro posse utique meo, non pro velle tuo. Servata tamen antiquorum veritate scriptorum, quae tu mihi transmiseras de vita Sancti duos sermones dictavi qualicumque sermone meo : illud quantum potui cavens, ut nec brevitas obscuros, nec prolixitas reddere, onerosos. Deinde quod ad cantum spectat, Hymnum composui, metri negligens, ut sensui non deessem. Responsoria XII, cum Antiphonis XXVII, suis in locis disposui, addito responsorio uno quod prioribus vesperis adsignavi, itemque duobus aliis brevibus ipso die festo pro vestra regulari consuetudine, uno ad Laudes, altero ad Vesperas decantandis.Et pro his omnibus mercedem flagito, sequor retributionem. Quidni sequar ? Sive placeant, sive non, mea non refert, qui quod habui, dedi. Ergo merces mea, oratio vestra. (S. Bernard; Opera, tom. I, Epist. CCCXII.)

 

 

 

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