II - CHAPITRE XIX

Précédente Accueil Remonter Suivante

Accueil
Remonter
II - PRÉFACE
II - CHAPITRE XVII
II - CHAPITRE XVIII
II - CHAPITRE XIX
II - CHAPITRE XX
II - CHAPITRE XXI
II - CHAPITRE XXII
II - CHAPITRE XXIII
II - CHAPITRE XXIV
II - APPENDICE
II - ADDITION

CHAPITRE XIX : SUITE   DE   L'HISTOIRE   DE   LA   LITURGIE,   DURANT   LA   PREMIERE MOITIÉ     DU    XVIII°     SIÈCLE.         PROJETS    DE    BREVIAIRE à priori.    GRANCOLAS, FOINARD. — BREVIAIRES DE SENS, AUXERRE,   ROUEN,   ORLÉANS,   LYON,    ETC.      BRÉVIAIRE   ET MISSEL   DE   PARIS,  DU  CARDINAL  DE NOAILLES.  — BREVIAIRE ET MISSEL DE PARIS, DE L'ARCHEVÊQUE VINTIMILLE. — AUTEURS DE  CETTE LITURGIE. VIGIER.   MÉSENGUY.  COFFIN. — SYSTEME SUIVI DANS LES LIVRES  DE VINTIMILLE. — RÉCLAMATIONS DU CLERGÉ. — VIOLENCES DU PARLEMENT DE PARIS. — TRIOMPHE DE LA LITURGIE DE VINTIMILLE.

 

NOTES DU CHAPITRE XIX

NOTE A

NOTE B

 

 

Nous avons raconté, au chapitre précédent, les efforts t des jansénistes pour s'emparer ouvertement de la Liturgie; leurs tendances vers l'emploi de la langue vulgaire dans les offices, vers le dépouillement des autels et les habitudes calvinistes dans le culte. Tant que la cour de France montrait la ferme volonté de soutenir les constitutions apostoliques contre Jansénius et Quesnel, la secte ne pouvait espérer qu'à de rares intervalles et dans des localités très-restreintes, ces moments de liberté dans lesquels il lui serait possible de faire, à son aise, l'essai de ses coupables théories. Il ne lui restait donc qu'une seule ressource : celle de ruiner sourdement l'unité liturgique, et de tenter pour la France entière ce qu'elle avait déjà obtenu à Paris, sous François de Harlay. Que si elle parvenait à préparer un corps de Liturgie nationale, ou tout au moins à diviser le redoutable faisceau d'orthodoxie que formaient les cent trente diocèses de l'Eglise de France, elle aurait lieu alors d'espérer avec fondement qu'on ne

 

219

 

pourrait plus l'écraser à l'aide de ces formules liturgiques que, dans les grands périls de la foi, l'Église romaine impose aux églises. Déjà elle avait préparé cet isolement par des systèmes perfides sur la constitution de l'Église, sur les prérogatives de notre nation ; elle le consomma en flattant le mauvais goût littéraire du temps, en exagérant les reproches que la critique historique pouvait faire aux anciens livres ; enfin, il faut bien le dire, en faisant ressortir les avantages d'un office moins long à réciter, promettant d'abréger le temps de la prière du prêtre, à cette époque où cependant l'Église était menacée des plus grands maux.

On vit donc s'accomplir, au sein de l'Église de France, une révolution sans exemple dans aucun des siècles précédents. Déjà le Bréviaire de François de Harlay, imité lui-même en quelque chose de celui de Henri de Villars, archevêque de Vienne, avait été imité avec plus ou moins de hardiesse dans les églises de Sens, de Narbonne, etc.; mais, dans ces divers diocèses, on se borna d'abord à réformer, suivant les idées modernes, l'ancienne Liturgie, On n'avait pas songé à régénérer le culte entier de l'Église catholique ; l'exemple inouï donné par le Bréviaire de Cluny était jusqu'alors demeuré sans imitateurs. Cependant il était naturel de penser que les envahissements de l'esprit de nouveauté pousseraient bientôt jusque-là, et d'autant plus que toute cette révolution avait été, dès son principe, un produit de l'esprit du jansénisme.

Le XVII° siècle n'avait pas encore achevé son cours, quand parut le premier bréviaire composé sous l'impression des idées nouvelles (1). Il fut donné en 1693 à l'Eglise d'Orléans, par le cardinal Pierre du Cambout de Coislin.

 

(1) D'après une indication donnée par l'auteur lui-même dans la préface du tome IIIe on a transposé quelques pages de ce chapitre afin d'appliquer au Bréviaire du cardinal de Coislin ce qui était dit dans la première édition de celui de l'évêque Fleuriau d'Armenonville.

 

220

 

Nous avons entendu Fénelon nous dire que ce prélat  « bienfaisant, pieux, digne d'être aimé de tout le monde,  manquait malheureusement de science et laissait toute  l'administration de son diocèse aux seuls docteurs jansénistes, lesquels faisaient l'objet de son admiration (1). » Cette pernicieuse influence fut prédominante dans la rédaction du nouveau bréviaire. Il eut pour auteur Jean-Baptiste Le Brun Desmarettes, fils d'un libraire de Rouen qui fut condamné aux galères pour avoir imprimé des livres en faveur de Port-Royal. Le fils élevé par les solitaires de cette maison, garda toute sa vie un grand attachement pour ses anciens maîtres et pour leur doctrine; attachement qui l'entraîna dans certaines démarches par suite desquelles il fut renfermé à la Bastille durant cinq ans : encore n'en sortit-il qu'à la condition de signer le formulaire. Il est vrai qu'il rétracta cet acte d'orthodoxie, en 1717, et se porta appelant de la bulle Unigenitus. Etant tombé malade et craignant un refus des sacrements, il se traîna à l'église pour faire ses Pâques, le dimanche des Rameaux 1731, et mourut le lendemain. Il avait pris l'ordre d'acolythe et ne voulut jamais entrer dans les ordres sacrés (2). Ce fut d'un pareil homme que l'Église d'Orléans consentit à apprendre la manière de célébrer les louanges de Dieu (3). Il y avait en cela une humilité, sans exemple. Dans tous les cas, c'est un chose bien curieuse, mais non pas unique, comme nous verrons bientôt, que le clergé d'Orléans pût se trouver en même temps obligé par ses devoirs de refuser les sacrements à Le Brun Desmarettes, et d'autre part contraint d'emprunter la voix du même Le Brun Desmarettes pour satisfaire à l'obligation de la prière publique.

 

(1)   Vid. supr. pag. 128.

(2)   Vid. Biographie universelle, Feller, Picot, etc.

(3)  Dès 1727, Le Brun Desmarettes avait pu jouir du succès de son œuvre liturgique. Le Bréviaire de Nevers, publié cette année-là, était de sa rédaction.

 

221

 

Le mandement de l'évêque d'Orléans, pour la publication du nouveau bréviaire, était fort significatif dans le sens des nouvelles théories. On y faisait ressortir principalement les grands avantages d'un bréviaire composé des paroles de l'Ecriture  sainte. « Dans cette   réforme du  bréviaire, y était-il dit, nous nous sommes proposé de  faire choix des choses les plus propres à louer Dieu et  à l'apaiser, en même temps qu'à instruire les clercs de  leurs devoirs. Comme,  rien  ne nous a  semblé plus  capable   d'atteindre ce but que  l'emploi des propres  paroles des divines Écritures (car, dit le saint évêque et  martyr Cyprien, c'est une prière amie et familière que  celle qui s'adresse à Dieu comme venant de lui), nous   avons   jugé qu'il   ne fallait   rien   admettre   dans   les c antiennes, les versets et les répons qui ne fût extrait des  livres saints,  en sorte que  dans toutes ces pièces, ou  Dieu nous parle, ou il nous fournit les paroles que nous  lui adressons. Et cette résolution n'a point été chez nous   une témérité ; car si, suivant saint Augustin, Dieu non-seulement se loue lui-même dans les Écritures ; afin que  les hommes sachent comment il doit être loué, mais  encore s'il a préparé dans les mêmes Ecritures des remèdes nombreux propres à guérir toutes les langueurs  de  notre âme, et  qui doivent être administrés par  notre ministère, quand on fait les divines lectures dans  l'église; quoi de plus digne de Dieu et de plus utile  pour nous que de pouvoir emprunter aux livres sacrés, c'est-à-dire à Dieu même, tout ce que notre bouche fait entendre, quand nous chantons les louanges de Dieu ?  Certes,  ces choses ne   déplairont point à Dieu, puis-« qu'elles ont Dieu même pour auteur ; elles détruiront  l'aveuglement du cœur,  elles guériront l'âme, puisque  la parole de Dieu guérit toutes choses, ayant été écrite  pour illuminer les yeux et convertir les âmes (1). »

 

( 1) In hujus autem Breviarii recognitione hoc nobis propositum est,

 

222

 

Il était facile de répondre à ces belles paroles, d'abord, que Luther, Calvin et Quesnel se sont exprimés en des termes analogues sur la suffisance de la Bible : que la constitution Unigenitus, véritable palladium de la foi, au XVIII° siècle, ne pouvait plus subsister du moment que les évêques affecteraient ainsi l'éloge et l'emploi des Ecritures, sans recommander avec une égale force l'importance de la Tradition, qui est divine comme les Écritures, qui seule constate leur autorité, seule les interprète; que si les paroles de la Bible, arrangées en formules liturgiques, ne peuvent déplaire à Dieu, auteur de l'Écriture, il n'est pas également évident que Dieu, auteur de la Tradition, doive voir avec faveur qu'on efface cette Tradition, et, qui plus est, que d'innombrables passages des Écritures choisis et employés depuis tant de siècles, et en tous lieux, dans les divins offices par l'Église, seul juge et interprète de l'Écriture, cèdent la place à d'autres passages choisis aujourd'hui ou hier, pour l'usage de l'Église d'Orléans, par un hérétique; que le Bréviaire d'Orléans,

 

Ut ea, quae ad Deum laudandum simul et placandum, et ad clericos officii admonendos essent magis idonea, seligerentur. Cum vero ad id assequendum nihil magis expedire videatur, quam si ipsamet divinarum Scripturarum verba adhibeantur ( amica enim et familiaris est oratio, inquit sanctus Martyr et Episcopus Cyprianus, Deum de suo rogare), nihil Antiphonis, nihil Versiculis, et Responsoriis inserendum esse duxi-mus, quod ex Scripturis Sacris non sit desumptum, ita ut his omnibus vel Deus ipse nos loquatur, vel verba suppeditet, qui bus ipsum alloquamur. Nec temere ad id impulsi sumus. Nam si Deus juxta sanctura Augustinum non solum in Scripturis se ipsum laudat, ut sciant homines, quomodo laudandus sit, sed etiam ut curet et sanet omnem anima; languorem, mutta medicamenta de iisdem Scripturis profert, quœ per ministerium nostrum adhibenda sunt, cum lectiones divinae in Ecclesia leguntur. Quid Deo dignius et nobis esse potest utilius, quam si quidquid personamus, cum Dei laudes canimus, quantum fieri potest, ex libris sacris, id est, ab ipso Deo mutuemur ? Quae Deo sine dubio non displicebunt, cum Deum autorem habent; et cœcitatem cordis avertent, animamque sanabunt ; cum sermo Dei sanet omnia, et ideo scriptus sit ut illuminet oculos, et animas convertat.

 

223

 

comme tous les autres, renferme une grande quantité de passages de l'Écriture, mis en antiennes et en répons, et dans lesquels le texte sacré n'exprime ni un discours de Dieu à l'homme, ni une parole de l'homme à Dieu ; que la fameuse parole de saint Cyprien, amica et familiaris oratio est Deum de suo rogare, parole vraie de tout point quand il s'agit de l'Oraison dominicale, au sujet de laquelle il l'a dite (1), est complètement sans application quand il s'agit de la presque totalité des pièces liturgiques empruntées à l'Écriture par le Bréviaire d'Orléans et les autres; outre que, Dieu étant l'auteur de la Tradition aussi bien que de l'Écriture, on peut dire dans un sens que c'est louer Dieu de suo que de lui adresser les prières que l'Église a composées avec son assistance, et que l'usage des siècles a sanctifiées de plus en plus ; enfin que, comme le dit avec une grande vérité l'archevêque Languet, les centons bibliques dont sont garnis les nouveaux bréviaires,  « ne peuvent avoir d'autre autorité  que celle d'un évêque particulier, homme sujet à erreur,  et d'autant plus sujet à erreur qu'il est seul, qu'il  introduit des choses nouvelles, qu'il méprise l'antiquité  et l'universalité (2). » Nous aurons à revenir sur tout ceci dans la partie de cet ouvrage où nous traiterons de l'autorité de la Liturgie ; mais notre rôle d'historien dans des matières si négligées depuis longtemps, nous oblige parfois d'introduire dans notre récit une sorte de polémique. Nous le faisons à regret, mais la crainte de n'être pas suffisamment compris nous contraint d'effleurer ainsi la partie doctrinale de cet ouvrage, avant d'être arrivé à la discussion polémique. Le lecteur voudra bien excuser ces anticipations que nous ne nous permettons que dans l'intérêt de plusieurs. De toutes les choses qu'on ignore aujourd'hui, l'histoire même contemporaine de la Liturgie

 

(1)   Vid. tom I, pag. 73.

(2)   Vid. ci-dessus, pag. 15o.

 

224

 

est peut-être la plus ignorée. C'est un fait dont  nous recueillons de toute part l'ingénue confession.

Quelque hardi qu'eût été Le Brun Desmarettes dans la rédaction du Bréviaire d'Orléans, il devait être dépassé de bien loin par ses émules du XVIII° siècle. Il fut aisé de .juger de la distance qu'on avait franchie en quarante années, depuis la réforme liturgique de M. de Harlay, lorsqu'on vit paraître à Paris, en 1720, un ouvrage portant ce titre : Projet d'un nouveau  bréviaire, dans lequel l'office divin, sans en changer la forme ordinaire, serait particulièrement composé de l'Ecriture sainte, instructif,  édifiant, dans un ordre naturel, sans renvois,  sans répétitions ET TRES-COURT, avec des observations sur les anciens et sur les nouveaux  bréviaires.   L'auteur  était   Frédéric-Maurice Foinard, autrefois curé de Calais, connu d'ailleurs   par   plusieurs   ouvrages,   entre   autres   par  une Explication de la Genèse, qui fut supprimée à raison des idées hasardées et singulières qu'elle se trouva contenir. Foinard ne se contenta pas d'exposer sa théorie aux yeux du public; il prit la peine de joindre l'exemple au précepte, et publia, en 1726, un bréviaire exécuté d'après son plan, où toute la Liturgie des offices divins avait été de nouveau élaborée  et soumise au  creuset de son génie particulier. Ne croit-on pas rêver, en lisant le récit d'une pareille témérité ? et peut-on se défendre d'un sentiment de tristesse, quand on pense que beaucoup d'Églises en France, après avoir expulsé les antiques prières, en sont réduites à emprunter dans les divins offices la voix de Foinard en la  place de celle de saint Grégoire ? Car le bréviaire de cet auteur forme, en grande partie, avec celui de Cluny, le magasin où  l'on   a  puisé la plupart des matériaux  employés   dans la confection   des bréviaires du  XVIII° siècle.   Ce  livre, qui ne   trouva d'imprimeur qu'à Amsterdam, était intitulé : Breviarium ecclesiasticum,   editi jam prospectus  executionem  exhibens,   in

 

223

 

gratiam ecclesiartim in quibus facienda erit breviariorum editio (2 vol. in-8°).

L'année suivante, 1727, le docteur Grancolas, dans son Commentaire du Bréviaire romain, dont nous avons parlé ailleurs, donna aussi, dans un chapitre spécial, le Projet d'un nouveau bréviaire (1). Mais le système liturgique développé dans ce chapitre avait déjà vu le jour en grande partie, en 1714, dans les cinq dernières pages d'un autre ouvrage du même auteur, intitulé : Traité de la Messe et de l'Office divin. Nous allons exposer les principes qui devaient, suivant ces deux personnages, Foinard et Grancolas, prévaloir dans la Liturgie nouvelle; mais, auparavant, considérons la triste situation du culte catholique, en France, livré ainsi à la merci de quelques docteurs particuliers qui osent, au grand jour, se mettre à la place de la tradition, cet élément souverain, et si indispensable dans les institutions d'une Église de dix-huit siècles.

Il fallait, certes, que Ton eût étrangement travaillé les hommes de cette époque, pour leur faire digérer une pareille anomalie. Aujourd'hui, les gens sérieux déplorent, comme le principe de toutes nos perturbations sociales, l'imprudence de ces publicistes du siècle dernier, qui s'imaginèrent être les sauveurs de la société, parce qu'il leur plaisait de formuler, sur le papier, des constitutions à l'usage des nations qui, disait-on, n'en avaient pas. Joseph de Maistre les a flétris pour jamais, ces hommes à priori, et l'Europe, ébranlée jusque dans ses fondements, atteste assez haut leur damnable présomption. Ici, c'est bien autre chose. Voici des hommes qui veulent persuader à l'Église catholique, dans une de ses plus grandes et de ses plus illustres provinces, qu'elle manque d'une Liturgie conforme à ses besoins, qu'elle sait moins les choses de

 

(1) Tome I, page 346-352.

 

225

 

la prière que certains docteurs de Sorbonne, que  sa foi manque d'une expression convenable; car la Liturgie est l'expression    de   la   foi   de   l'Eglise.    Bien   plus,    ces hommes présomptueux  qui  ont pesé   l'Église,  qui ont sondé ses nécessités, ne prononcent pas seulement que sa Liturgie pèche par défaut, ou par excès, dans quelques détails -, mais ils la montrent aux peuples comme dépourvue d'un système convenable dans l'ensemble de son culte. Ils se mettent à tracer un nouveau plan des offices, nouveau  pour   les  matériaux qui   doivent entrer dans sa composition, nouveau pour les lignes générales et particulières.  Les voici donc à l'œuvre :  les livres de saint Pie V, qui  ne sont   que  ceux  de  saint Grégoire, ne valent même pas la peine d'être nommés désormais; ceux de François de Harlay, malgré de graves innovations, sont trop romains encore. Il faut que d'un cerveau particulier éclose un système complet qu'on  fera  imprimer, en faveur des églises (in gratiam ecclesiarum) qui doivent faire une édition du bréviaire !

Et ces hommes  que cent cinquante  ans plus  tôt  la Sorbonne eût condamnés, comme elle condamna les rédacteurs des Bréviaires de Soissons et d'Orléans, comme elle condamna le cardinal Quignonez lui-même, bien que son œuvre eût momentanément obtenu l'agrément privé de Paul III, révoqué bientôt par saint Pie V; ces hommes sans caractère, qui ne peuvent être fondés dans leurs prétentions que dans le cas où l'Église serait moins assurée qu'eux-mêmes de la voie où les fidèles doivent marcher, ces hommes ne furent point repoussés ; on les écouta, on leur livra nos sanctuaires. Encore Foinard et Grancolas valaient-ils  mieux  que  plusieurs  de  ceux  qui vinrent après; mais ils ont la triste gloire   d'avoir les premiers intenté procès à l'Église leur mère, d'avoir fait les premiers cette  sanglante  critique de  tous les siècles catholiques, atteints et convaincus désormais d'avoir manqué d'intelligence

 

227

 

dans la prière, d'avoir laissé durant tant de siècles les mystères sans expression convenable. Nous ne craignons pas de le dire, lorsque les Églises de France seront revenues à l'unité, à l'universalité, à l'autorité dans les choses de la Liturgie, et Dieu leur fera quelque jour cette grâce; lorsque cette   suspension   des   anciennes  prières catholiques ne sera plus qu'un fait  instructif dans l'histoire, on aura peine à se rendre compte des motifs qui purent amener une semblable révolution  au  sein d'une nation chrétienne.  On imaginera  que quelques violentes persécutions enlevèrent alors toute liberté à nos Églises, et qu'elles se séparèrent ainsi des prières du Siège apostolique et de l'antiquité, pour échapper à de plus grands dangers.  Mais lorsque, éclairés sur les événements, les fidèles verront qu'aucune coaction ne fut employée pour produire un résultat si étrange, qu'au contraire on vota, de toutes parts, comme par acclamation, la refonte de la Liturgie sur un plan nouveau et tout humain, que cette œuvre   fut  confiée  à des   mains  hérétiques,   alors   ils admireront la miséricorde divine envers l'Église de France.

Certes, c'était une chose bien lamentable de voir ainsi se rompre la communion des prières catholiques, avec Rome, avec le reste de la chrétienté, avec les siècles de la tradition ; mais ce qui n'était pas moins humiliant, ce qui n'accusait pas moins la triste déviation qui faillit ruiner pour  jamais la foi catholique dans notre patrie, c'est le mesquin presbytérianisme, dont toute l'œuvre des nouvelles Liturgies demeure à jamais entachée. La plupart de ces faiseurs étaient des hérétiques, comme nous l'avons dit, et comme  nous le dirons encore en temps et lieu ; mais de plus, ils étaient de simples prêtres, sans caractère pour enseigner, sans mission pour réformer l'Église, sans troupeau à gouverner en leur nom. Jusqu'ici nous avions vu la Liturgie, soit dans l'Église d'Orient, soit dans l'Église d'Occident, formulée, disposée,  corrigée par les évêques;

 

228

 

saint Léon, saint Gélase, saint Grégoire le Grand, saint Léon II, saint Grégoire VII, Paul IV, dans l'Église de Rome;saint Ambroise, dans l'Église de Milan;saint Paulin, dans  l'Église de  Nole; Maximien et Johannicius, dans l'Église de Ravenne; Théodose,dans l'Église de Syracuse; saint Paulin, dans celle d'Aquilée; Voconius, dans l'Église d'Afrique ;   saint Hilaire,   saint Césaire d'Arles,   saint Sidoine Apollinaire, saint Venantius Fortunat, saint Grégoire de Tours, saint Protadius de Besançon, saint Adelhelme de Séez, dans l'Église des Gaules ; saint Léandre, saint Isidore, Conantius, Jean de Saragosse,   Eugène II de Tolède, saint Ildefonse, saint Julien de Tolède, dans l'Église gothique d'Espagne ; saint Eusthate d'Antioche, saint Basile, saint Maruthas, saint Cyrille d'Alexandrie, saint Jean Maron, saint André de Crète,Corne de Maïuma, Joseph Studite,   George de   Nicomédie,   etc., dans   les Eglises d'Orient. La Liturgie est donc l'œuvre des évêques; ils l'ont rédigée, fixée en établissant les Églises; c'est d'eux qu'elle  a tout reçu ; c'est par eux qu'elle subsiste.   Les diverses réformes de la Liturgie n'ont jamais été autre chose  que le rétablissement de  l'œuvre  liturgique des évêques dans son ancienne pureté; de même que la réforme de la discipline n'est que le retour aux constitutions apostoliques, et aux décrets des conciles. On doit se rappeler que le soin donné par Grégoire IX aux Frères Mineurs ne regardait pas la composition de la Liturgie, mais une simple épuration, dans le genre de celle qu'accomplirent les  commissions romaines nommées  par  saint  Pie V, Clément VIII et Urbain VIII ; encore ces dernières renfermaient-elles plusieurs membres revêtus de la pourpre romaine, ou honorés du caractère épiscopal.

En France, au contraire, il ne s'agit point de corriger, de mettre dans un meilleur ordre la Liturgie romaine-française, ni de rétablir l'antique et vénérable rite gallican; il s'agit de donner de fond en comble une Liturgie à une

 

229

 

Église qui n'en a pas, et aucun évêque ne couvre de la responsabilité de son travail personnel cette œuvre qui doit remplacer celle de tant d'évêques des premiers siècles, de tant de souverains pontifes. Pour opérer cette grande et inouïe révolution, les évêques français du XVIII° siècle se constituent sous la dépendance de simples prêtres qui se sont érigés en législateurs de la Liturgie. Les plus justes réclamations sont étouffées, comme on va le voir, et il faut que saint Grégoire disparaisse avec tout l'imposant cortège de ses cantiques séculaires, pour faire place à des prêtres comme Le Tourneux, de Vert, Foinard, Petitpied,Vigier, Robinet, Jacob; bien plus, à des diacres, comme J.-B. Santeul ; à des ACOLYTES, comme Le Brun Desmarettes et Mésenguy ; à des LAÏQUES, comme Coffin et Rondet !

Nous n'ignorons pas qu'il serait possible de montrer dans la Liturgie romaine certaines pièces, des hymnes principalement, qui ont eu pour auteurs non-seulement de simples prêtres, mais des laïques même, comme Prudence, Charlemagne, etc. C'est à Elpis, femme de Boèce, que l'Église romaine a emprunté en partie les hymnes de la fête de saint Pierre et de saint Paul. Mais d'abord, à l'Église appartient de choisir avec une souveraine autorité, parmi les œuvres de ses enfants, celles qu'elle juge dignes de servir d'expression à ses propres sentiments dans les divins offices. Ajoutons encore que ces adoptions d'hymnes ont eu rarement lieu du vivant des auteurs, mais souvent plusieurs siècles après leur mort; que l'esprit de parti et de coterie n'y a été pour rien. Enfin, quand l'Église, pour orner le texte d'un de ses offices, daigne emprunter quelque composition à un de ses enfants, elle ne déroge en rien à l'ensemble de sa Liturgie, qui n'en demeure pas moins invariable dans sa forme traditionnelle.

L'Église, on a dû le voir dans tout ce qui a précédé, ne renouvelle donc point sa  Liturgie,  suivant   les siècles.

 

23o

 

Elle la corrige, elle l'enrichit; mais le Missel romain est encore aujourd'hui le composé de TAntiphonaire et du Sacramentaire de saint Grégoire, comme le Bréviaire demeure toujours le Responsorial du même pontife, qui n'avait guère fait autre chose que de mettre en meilleur ordre l'œuvre des papes ses prédécesseurs.

Nous avons raconté comment, pour la réforme du bréviaire et du missel par saint Pie V, on tint surtout à ce que les correcteurs de ces livres ne s'écartassent point des anciens bréviaires conservés dans les plus illustres églises de Rome et dans la bibliothèque Vaticane. C'est le témoignage rendu par le pontife, dans les deux bulles de publication ; témoignage dont nous sommes à même de vérifier toute l'exactitude, sur les anciens antiphonaires, responsoriaux et sacramentaires publiés par Pamelius, D. Hugues Ménard, D. Denys de Sainte-Marthe, le B. Tommasi, D. Gerbert, etc. Il en devait être ainsi dans l'Église romaine, dont la vie et la force consistent uniquement dans les traditions. Foinard et Grancolas jugèrent, dans leur sagesse, qu'il en pouvait être autrement dans l'Église de France.

Écoutons ces deux grands législateurs de nos sanctuaires ; Foinard est le plus explicite dans ses désirs. Le titre de son livre mérite tout d'abord notre attention : Projet d'un nouveau Bréviaire; ainsi, le bréviaire et, parmi les institutions de l'Église catholique, la seule qui n'ait pas besoin d'antiquité, qui puisse être refondue, après les siècles, sur le plan donné par un simple particulier, — d'un nouveau Bréviaire dans lequel l'Office divin, sans en changer la forme ; — on consent donc à laisser dans ce bréviaire, les matines, les laudes, les petites heures, vêpres, complies, avec le même nombre de psaumes, d'hymnes, etc. Il y aura encore un psautier, un propre du temps, un propre et un commun des saints.  Dans lequel   l'office  serait particulièrement

 

231

 

composé   de   l'Écriture  sainte ; —   l'Église,    jusqu'ici, employait sa propre voix à célébrer ses mystères ; elle se croyait en droit de parler à son Époux ; l'élément traditionnel lui semblait divin comme l'Écriture; or le bréviaire, avec ses antiennes, ses répons et ses versets, qu'était-ce autre chose que la tradition ?   Le docteur   Foinard,  qui sait bien qu'un simple particulier ne fait pas   de la tradition, propose de farcir son œuvre de phrases bibliques qu'il choisira à son loisir et suivant les convenances. — Instructif; — ainsi, la tradition n'apprend rien ; l'Église, dans ses œuvres, ne sait pas nous instruire, elle qui, a les paroles de la vie éternelle. Il nous faut pour cela avoir recours à certains prêtres de doctrine suspecte, qui nous initieront à la doctrine.— Édifiant ;— si l'Église instruit mal, elle ne peut guère édifier. Que ceux-là qui vont nous instruire daignent   donc  aussi  nous édifier. — Dans un ordre naturel, sans renvois;— plus de ces rubriques compliquées qui obligent le prêtre à faire de l'office divin une étude sérieuse ; au reste, ces rubriques sont elles-mêmes des traditions, il est trop juste qu'elles disparaissent. — Sans répétitions; — il est pourtant malheureux que ceux qui prient Dieu ou les hommes soient ainsi faits, qu'ils éprouvent le besoin de répéter souvent leurs demandes. — Et TRES-COURT; — voilà le grand moyen de succès ! C'est peu de tenter les hommes par la belle promesse de les éclairer et de les édifier ; c'est peu de les flatter par l'espérance que le livre qui contient la prière sera désormais réduit à un ordre naturel, sans renvois, que l'on ne perdra plus de temps à lire et étudier des rubriques ; la somme des prières sera diminuée, et afin qu'on puisse désirer un nouveau bréviaire avec connaissance de cause, l'engagement de le rendre très-court est exprimé en toutes lettres sur  le titre  du livre destiné à propager en tous lieux une si merveilleuse nouvelle! On prétend donc faire rétrograder l'Église de France, jusqu'au bréviaire de

 

232

 

Quignonez (1). Saint Pie V, les conciles du XVI° siècle, l'Assemblée du clergé de 16o5 et 1606, tout est oublié, méprisé. On veut un bréviaire composé d'Ecriture sainte, et, pardessus tout, un bréviaire court ; oh l'aura ; il se trouvera des jansénistes, des hérétiques pour le rédiger.

Entrons maintenant dans le détail des moyens choisis par notre improvisateur liturgique, pour réaliser le plan qu'il a daigné concevoir, et qu'il rédigera bientôt à l'usage de l'Eglise. D'abord, son élément constituant, c'est l'Écriture sainte, ainsi qu'il l'a annoncé sur le titre de son livre. Mais, dit-il, il ne la prendra que dans des sens autorisés (2). Rien de plus rassurant qu'une pareille déclaration; mais si l'esprit de secte vient à s'emparer de la rédaction liturgique, au milieu de l'ébranlement général que ces brillants systèmes vont causer dans l'Église de France, quelle sera la garantie ? Les sens autorisés, aux yeux d'un janséniste, sont tout différents des sens autorisés à ceux d'un catholique. Encore, si, dans ce triomphe de l'Ecriture sur la tradition, on voulait consentir à laisser dans nos bréviaires les nombreuses pièces empruntées à l'Écriture elle-même par saint Grégoire, nous n'aurions d'examen à faire que sur les nouvelles pièces substituées aux antiennes, versets et répons de style ecclésiastique. Mais cette retenue n'est pas du goût de Foinard, ni de ses successeurs. Les parties de l'office grégorien qui sont tirées de l'Écriture sainte pourraient ne pas s'harmoniser dans le plan d'offices inventé au XVIII° siècle.  Il ne faudrait donc pas, dit notre docteur, se faire un scrupule  de substituer certains textes de l'Écriture sainte à ceux  qui sont employés dans les anciens bréviaires, pour  composer des antiennes, des répons, des capitules, etc. « Il semble, en effet, que c'est une  chose très-indifférente

 

(1)  Encore le Bréviaire de Quignonez était-il rempli de  formules traditionnelles.

(2)  Projet d'un nouveau Bréviaire, page 66.

 

233

 

en soi-même qu'un répons ou un capitule soit pris d'un  endroit de l'Écriture sainte plutôt que d'un autre, et  que, quand un texte convient mieux qu'un autre dont  on se servait anciennement, il est fort permis de le  prendre (1). » On le voit, nous n'exagérons rien ; au reste, depuis longtemps, en France, on n'en est plus aux théories. Les bréviaires ont été produits et sont là pour attester le dédain avec- lequel l'œuvre grégorienne a été traitée sous tous les points.

Foinard dispose, avec une incroyable assurance, l'échelle de la proportion qu'on devra suivre désormais entre les fêtes du christianisme. Ce qui existe à ce sujet dans l'Église n'a que l'autorité du fait; voici donc comment il entend régler pouf l'avenir l'harmonie entre ces nobles parties de la Liturgie universelle. Former une classe supérieure de fêtes de Notre-Seigneur, dans laquelle on ne puisse admettre aucune fête de la sainte Vierge, ni des saints, ainsi que le pratique d'une manière si inconvenante le Bréviaire romain. Telle est l'idée de Foinard (2), celle aussi de Grancolas (3), et tous deux — le croirait-on, si on ne le lisait de ses propres yeux, si plus d'un bréviaire de France ne nous l'attestait encore ?— ils osent refuser à la fête du Saint-Sacrement une place parmi les grandes fêtes de Notre-Seigneur ! Languet a-t-il donc si grand tort de signaler les instincts calvinistes dans toute cette révolution liturgique, révolution, nous le répétons, venue d'en bas, entachée de presbytérianisme, et poussée par des hommes en rébellion contre le Siège apostolique ? Quant au refus d'admettre aucune fête de la sainte Vierge ou des saints dans la première classe, qu'est-ce autre chose, à part la leçon faite à l'Église mère et maîtresse, qu'une manière

 

(1) Projet d'un nouveau Bréviaire, page 178.

(2) Ibid., page 15.

(3) Commentaire du Bréviaire romain,   tome   I. — Projet d'un  nouveau Bréviaire, page 347.

 

234

 

d'humilier la piété catholique sous le superbe prétexte de venger l'honneur de Dieu, comme si Jésus-Christ n'avait pas dit : Qui mihi ministrat me sequatur, et ubi sum ego, illic sit et minister meus (1) ?

Foinard et Grancolas consentent néanmoins à ne pas faire descendre la Fête-Dieu, l'Assomption et la Fête du Patron,au-dessous de la seconde classe (2); mais, en retour, saint Jean-Baptiste, et saint Pierre et saint Paul, n'étant pas jugés dignes de s'arrêter encore à ce second degré, tombent au troisième qu'on appellera solennel mineur (3). Ainsi ces docteurs voulaient-ils étendre à la France entière les audacieuses réformes de Le Tourneux et de dom de Vert. N'est-ce pas une chose profondément humiliante, et non moins désolante pour la piété, que de voir qu'ils y ont réussi ?

Toujours à la suite des auteurs du Bréviaire de Cluny, nous voyons nos deux docteurs s'imposer la tâche de diminuer, d'une manière plus efficace, le culte de la sainte Vierge et des saints, au moyen de certaines mesures liturgiques qui finirent par devenir propres à tous les nouveaux bréviaires. C'est d'abord leur grand principe de la sainteté du dimanche qui ne permet pas qu'on dégrade ce jour jusqu'à le consacrer au culte d'un saint, ni même de la sainte Vierge. Il ne pourra donc céder qu'à une solennité de Notre-Seigneur. Il sera désormais privilégié à l'égard même de l'Assomption de la sainte Vierge, de la Toussaint, etc. (4). A plus forte raison, les doubles majeurs, ou mineurs, qui diversifiaient si agréablement pour le peuple fidèle la monotonie des dimanches, en lui rappelant les amis de Dieu, leurs vertus et leur protection, devaient-ils être pour   jamais renvoyés   à   des jours de

 

(1)  Joan. XII, 26.

(2)  Foinard, page 19. Grancolas, page 347.

(3)  Foinard, page 20. Grancolas, ibidem.

(4)  Foinard, page 24. Grancolas, 346.

 

235

 

férié dans lesquels leur fête s'écoulerait silencieuse et inaperçue ?

En outre, pour donner au temps du carême une couleur sombre et conforme, pensait-il, au génie de l'Église primitive, Foinard proposait de retrancher toutes les fêtes des saints qui tombent dans ce temps, même l'Annonciation (1). Grancolas, moins austère, daignait tolérer l'Annonciation et même saint Joseph (2), et n'admettait pas non plus l'idée qu'avait eue Foinard, de privilégier aussi contre les fêtes des saints les fériés du temps pascal. Cette dernière idée n'a été admise, que nous sachions, dans aucun bréviaire : mais toutes les autres réductions du culte des saints dont nous venons de parler, sont encore à l'ordre du jour dans la plupart des Eglises de France.

Une autre manière de relever la primitive Église dans le nouveau bréviaire, c'est la proposition que fait Foinard d'introduire de nouvelles fêtes de martyrs, divisées suivant les diverses persécutions. Nous allons bientôt voir cette idée en action. Pour achever ce qui a rapport au culte des saints, nous citerons cette phrase naïve de Grancolas :  « On devra abréger l'office des dimanches et  des fériés; car dès que l'office de la, férié ne sera pas  plus long que celui des fêtes, comme il est plus diversifié  et plus affectif que celui des saints, il n'y a personne  qui n'aime mieux le dire que celui des fêtes (3). » Quant aux fêtes des saints, voici ce qu'on en fera. Saint Jean-Baptiste, saint Pierre et saint Paul descendront, comme on l'a déjà vu, au solennel mineur ; les autres apôtres ne seront que doubles, les saints docteurs semi-festifs, les martyrs simples.  « Les fêtes des confesseurs,  ajoute notre docteur, n'auraient qu'une seule mémoire  dans l'office férial, et on renverrait leur office, s'ils sont

 

(1) Page 3o.

(2)  Page 351.

(3)  Page 347.

 

236

 

évêques,  dans leurs diocèses ; s'ils sont moines, dans  leur ordre ; et les autres saints et saintes, dans les lieux  où ils se sont sanctifiés ; ne faisant aucune fête d'invention ou de  translation de reliques, que dans les lieux  où l'on croit avoir de ces reliques (1). » Le calendrier sera désormais épuré, comme l'on voit, et puisque le but avoué de Grancolas et de ses complices, est de faire que le clergé préfère l'office de la férié à celui des saints, on ne peut nier qu'il n'ait pris un excellent moyen d'assurer cette préférence, en réduisant à des bornes si étroites cet office des saints. Mais aussi, quel lamentable spectacle que de voir pénétrer dans nos églises des maximes entachées de calvinisme, et si grossièrement opposées à celles du Siège apostolique, qui n'a cessé depuis deux siècles de fortifier le calendrier de l'Église par l'accession de nouveaux protecteurs ! Nous n'avons pas besoin de dire que les idées de Foinard se rapprochent totalement de celles de Grancolas. Il déclare expressément que l'office sera de la même longueur aux fériés et aux fêtes, pour éviter l'ennui (2), et qu'on devra diminuer  autant que possible le  nombre des fêtes à neuf leçons (3). Quant aux leçons des saints, nos deux docteurs s'accordent à dire qu'elles ne devront renfermer que des  histoires bien approuvées (4).  Nous verrons bientôt ce qu'on doit entendre par ces paroles.

Lui bréviaire, ainsi réduit, n'est bientôt plus qu'un livre de lecture privée ; il perd son caractère social. C'est pourquoi, rétrogradant toujours jusqu'à Quignonez, et jaloux d'enchérir sur les traditions de François de Harlay, Foinard ne se borne plus à retrancher de la récitation privée le salut au peuple chrétien, Dominus vobiscum, il veut en exclure la répétition des invitatoires, des répons

 

(1)  Page 348.

(2)  Page 83.

(3)  Page 187.

(4)  Foinard, page 114. Grancolas, page 348.

 

237

 

brefs, le Jube, Domne, benedicere, le Tu autem, Domine, miserere nobis,  et même le Benedicamus Domino, sans doute à cause du pluriel Benedicamus (1). Il faut pourtant avouer que Foinard n'a pas été suivi, dans nos bréviaires, sur tous ces points : on s'est borné généralement à la suppression du Dominus vobiscum  dans l'office récité en particulier ; après tout, c'est accorder le principe et nier la conséquence. Foinard a été plus heureux dans la proposition de supprimer les Pater, Ave,  Credo, qui précèdent les heures de l'office. On lui a, en grande partie, octroyé sa demande, en cessant de réciter ces prières en tête des différentes heures quand on les chante, ou quand on les récite à la suite des unes des autres.

On voit dans cette dernière innovation, comme dans tout le reste, le grand désir d'abréger l'office, la crainte de n'en pas venir à ses fins, si on n'offrait pour compensation à  la ruine de toutes  les traditions l'appât d'un bréviaire TRÈS-COURT. C'est  dans cette intention qu'un si grand   enthousiaste de l'antiquité que prétend l'être Maurice Foinard, ne craint pas de proposer l'établissement d'offices à six leçons pour les fêtes auxquelles on voudra donner un rang médiocre.   Nous ne connaissons qu'un seul bréviaire  dans lequel cette étrange forme d'office ait été admise.

Maintenant, si on se demande en  vertu de quel droit nos faiseurs imaginaient rendre licite un pareil bouleversement du culte divin, Foinard nous répond, et cette réponse a été souvent donnée, de nos jours, avec tout autant d'irréflexion et d'un air tout aussi triomphant, Foinard nous  répond que saint  Grégoire écrivit, au VI°  siècle, à saint Augustin, apôtre d'Angleterre, qu'il le faisait libre d'admettre dans le service divin les coutumes, soit  des Gaules, soit   de  toute  autre église, si leur  fusion avec

 

(1) Page 53.

 

238

 

celle de l'Eglise romaine pouvait faciliter et confirmer la conversion des Anglo-Saxons. C'est une bien étrange distraction que celle-là; car, outre que, comme nous l'avons prouvé ailleurs, il ne s'agissait point de l'office divin proprement dit, qui fut toujours celui de Rome dans l'Église anglo-saxonne (1), mais simplement de certains usages et observances d'une importance secondaire, saint Grégoire donnait à saint Augustin un pouvoir légitime et spécial, non moins que personnel. En vertu de quelle extension aurait-on pu se l'attribuer en France, après tant de siècles, après la destruction du rite gallican, après l'établissement du rite romain, après le concile de Trente et la bulle de saint Pie V, après les conciles de France pour accepter cette bulle, etc. ? Est-il raisonnable, en outre, d'assimiler les usages liturgiques des Gaules, et autres anciennes Églises de fondation apostolique, à ceux dont Foinard ou ses pareils ont pris l'idée dans leur cerveau ? En un mot, de ce que saint Augustin aurait pu licitement, d'après la permission expresse de saint Grégoire le Grand, unir les rites sacrés de l'Église romaine avec quelques-uns de ceux, si vénérables, institués par les Pothin, les Irénée, les Hilaire et les Martin, s'ensuivait-il qu'on pouvait, onze siècles après, remplacer la plus grande partie des formules sacrées de l'office divin par d'autres formules improvisées par de simples prêtres ou laïques, les uns hérétiques, les autres suspects dans leurs relations et leurs tendances personnelles ? Mais en voilà plus qu'il n'en faut sur la lettre de saint Grégoire à saint Augustin : nous y reviendrons cependant une dernière fois dans la partie de cet ouvrage où nous aurons à traiter du droit de la Liturgie.

Les  utopies  liturgiques de Grancolas et de   Foinard doivent aussi être considérées sous le rapport des

 

(1) Tome I, pages 174 et suiv.

 

239

 

conséquences qu'elles amenèrent. Non-seulement elles accélérèrent le  remaniement  des offices divins dans plusieurs diocèses, et  leur  complet renouvellement  en d'autres ; mais, et ceci n'est pas moins grave, elles firent descendre la Liturgie au rang vulgaire des compositions du génie humain. Chacun se crut en droit de juger des convenances du  bréviaire,  et, pendant  que  de  nombreux  amateurs dissertaient sur ce qu'il y avait à faire pour donner enfin à  l'Église une  expression digne   de   ses  mystères, des liturgistes de  profession  se  formèrent de toutes parts. Jusque-là, on avait pensé que la Liturgie, c'était la Tradition, et que de même qu'on ne fait pas de la Tradition comme on veut, on ne fait pas non plus de la Liturgie à volonté, bien que la Tradition et la Liturgie reçoivent l'une et l'autre, par le cours des siècles, certains accroissements qui viennent se fondre dans la masse. Alors, car il faut toujours que des mots soient faits pour exprimer les idées,  ou  les nouvelles formes  d'idées, alors on vit paraître  ces expressions, faire un bréviaire, l'auteur de tel bréviaire : le bréviaire de tel diocèse  est bien fait, cet autre est mal fait, celui-ci est mieux fait. Étrange renversement d'idées, mais qui trahissait bien les vues tout humaines,    toutes   nationales,   toutes   personnelles  qui avaient présidé à cette œuvre téméraire ! On ne réfléchissait, pas que s'il était encore temps, que même s'il était devenu nécessaire, après tant de siècles, de rédiger sur un nouveau plan la forme des prières et de la confession publique de l'Église, de deux choses l'une, ou le premier besoin de l'Église était demeuré  si  longtemps sans être satisfait et n'avait pu  l'être que par quelques prêtres et laïques  français, ou ces prêtres,  ces laïques,  en contradiction avec l'Église qui dédaignait leur  œuvre, avaient assumé sur eux la plus énorme responsabilité. Or l'Église universelle n'a pas fait un pas vers ces hommes et leur œuvre. Le Siège apostolique les a laissés dans leur isolement.

 

240

 

Ils sont des hommes, ils ont fait une œuvre humaine ; elle aura le sort des œuvres humaines.

C'était donc une nouvelle branche de littérature dont Foinard et Grancolas avaient doté le pays. Les auteurs du Bréviaire de Cluny avaient du moins gardé, le secret de leurs théories; nos deux docteurs les ébruitèrent, et un grand mouvement commença dans nos sanctuaires appelés à la régénération. Toutefois, les plus zélés partisans de cette œuvre sont bien obligés de convenir que le bienfait des nouvelles Liturgies n'a pas contribué à faire refleurir l'antique foi de nos pères : il leur faut même convenir, l'histoire en main, que cette foi antique a subi une décadence proportionnelle aux progrès de l'innovation. Après tout, il eût été difficile que le mauvais arbre produisît de bons fruits, que les conceptions des jansénistes ou de leurs fauteurs donnassent parmi nous des fruits de piété et d'orthodoxie. Rien n'est plus commun et plus divertissant en même temps que d'entendre, comme on en est à même tous les jours, les partisans des nouveaux bréviaires convenir ingénument que la piété et l'onction ne forment pas le caractère de ces livres de prières qu'ils ont substitués à ceux de cette Église romaine qui, fondée inébranlablement sur la foi et la charité, mue et conduite par l'Esprit-Saint dont elle est l'épouse, soupire, dans tous les siècles, cet ineffable gémissement dont notre faible livre cherchera à faire sentir la merveilleuse douceur.

Après 1727, nous ne retrouvons plus Grancolas sur la scène liturgique. Le Commentaire du Bréviaire romain, dont le Projet d'un nouveau Bréviaire forme un des chapitres, est son dernier ouvrage. C'était l'année précédente, 1726, que Foinard, joignant l'exemple au précepte, avait fait imprimer son Breviarium ecclesiasticum. Le coup était hardi de la part d'un homme qui alors n'avait plus  aucune  juridiction,   s'étant  démis   de  sa   cure de

 

241

 

Calais. Aussi, n'ayant ni diocèse, ni paroisse même à qui le destiner et dont il put lui donner le nom, il jugea convenable d'en faire le Bréviaire de l'Église, et l'ouvrage parut sous ce titre : Breviarium ecclesiasticum, editi jam prospectus executionem exhibens. Ainsi sa Liturgie, après avoir été à l'état de prospectus, existait enfin en réalité.

De si grands avantages émurent plusieurs diocèses, et on remarqua bientôt un nouveau mouvement dans la Liturgie. Les bréviaires qu'on avait réformés dans les dernières années du XVII° siècle et dans les premières du XVIII°, tout en présentant de fâcheuses imitations de celui de François de Harlay, ne s'étaient pas cependant écartés d'une manière énorme de l'ancien fonds grégorien de l'office (1). On avait hésité à se lancer tout à fait dans la nouveauté : mais, après 1720, on osa franchir le pas et embrasser dans toute son étendue la responsabilité d'une nouvelle création liturgique. Ainsi le diocèse de Sens, qui avait reçu, en 1702, de son archevêque, Hardouin de la Hoguette, un bréviaire encore assez pur, fut obligé, dès 1725, d'en accepter un autre des mains de Denys-François Bouthillier de Chavigny. Ce second bréviaire, comme nous l'avoue Languet, successeur de Chavigny, dans sa controverse avec l'évêque de Troyes, avait eu pour rédacteur un homme de parti qui s'était appliqué à y faire entrer, à l'aide de passages de l'Écriture choisis dans un but suspect, les principes de la secte janséniste (2).

Daniel-Charles Gabriel de Caylus, évêque d'Auxerre,

 

(1)  Parmi ces bréviaires nous citerons ceux de Senez (1700), de Lisieux (1704), de Narbonne (1709), de Meaux (1713), d'Angers (1716), de Troyes (1718), etc. Il y a de mauvaises intentions dans plusieurs de ces bréviaires. Généralement, celui de Cluny a trop influé sur leur rédaction ; mais ils sont loin d'être à la hauteur de ceux dont il nous reste à parler.

(2)  Voyez ci-dessus, page 176.

 

242

 

le même qui, après avoir suivi pendant douze ans la doctrine catholique contre le jansénisme, se déclara pour cette hérésie, peu de jours après la mort de Louis XIV, et en fut jusqu'à la fin l'un des plus opiniâtres champions, ne manqua pas de doter son diocèse d'une nouvelle Liturgie. Le bréviaire donné par le prélat, en 1726, eut pour principal rédacteur Jean-André Mignot, grand vicaire de Caylus, et son complice dans les mêmes doctrines.

En 1728, nous trouvons le Bréviaire de Rouen, publié par l'archevêque Louis de La Vergne de Tressan, et rédigé par le docteur Urbain Robinet, personnage de sentiments orthodoxes, il est vrai, et dont l'œuvre n'a rien qui tende, soit directement, soit indirectement, au dogme janséniste proprement dit, bien qu'elle n'en soit pas moins le produit d'un amour effréné de la nouveauté. Comme nous devons parler à loisir, dans un autre endroit, du docteur Robinet, nous nous bornerons à mentionner ici son premier essai liturgique, et nous ferons observer en même temps combien il était déplorable que l'Église de Rouen qui, dans le concile provincial de 1581 (1), avait ordonné si solennellement l'obéissance aux décrets de saint Pie V, et qui avait pris soin de s'y conformer dans les éditions de 1687, 1594 et 1626, se livrât désormais, pour la Liturgie, à la merci d'un simple particulier.

En 1731, parut un bréviaire à l'usage de l'Église d'Orléans. Le nom de l'évêque Louis-Gaston Fleuriau d'Armenonville est seul inscrit sur le frontispice de ce livre; ce n'était cependant qu'une édition nouvelle du Bréviaire que Le Brun Desmarettes avait rédigé par l'ordre du cardinal de Coislin. M. Fleuriau d'Armenonville  s'appropriait  jusqu'à la  lettre  pastorale,   par

 

(1) Vid. tome I, page 440.

 

243

 

laquelle son prédécesseur avait promulgué la nouvelle forme de l'office, divin, en 1693. Pour toute différence entre les deux mandements, on ne trouve que la suppression de quelques phrases sans portée. Dans le corps du bréviaire, M. Fleuriau d'Armenonville avait renouvelé quelques hymnes, changé en plusieurs endroits les leçons tirées des Pères et fait quelques additions inspirées par l'esprit sincèrement catholique dont il était animé. Il rétablit, par exemple, la fête de la chaire de saint Pierre à Rome, supprimée dans le Bréviaire de 1693 ; mais, d'un autre côté, il faisait un nouveau pas dans la voie de l'innovation en changeant la disposition traditionnelle du Psautier, que le cardinal de Coislin avait respectée. En définitive, M. Fleuriau d'Armenonville, évêque d'une orthodoxie irréprochable, donnait un triste exemple en adoptant les théories et les œuvres liturgiques de la secte janséniste, qu'il combattait avec courage sur un autre terrain, et nous allons voir qu'il eut malheureusement des imitateurs, dont les fautes eurent les plus fatales conséquences.

L'année 1736 est à jamais fameuse dans les fastes de la Liturgie, par l'apparition du Bréviaire de Paris publié par l'archevêque Vintimille. Avant d'entamer le récit de la publication de ce livre célèbre, nous signalerons, en passant, un autre événement d'une importance majeure. En 1737, la sainte et vénérable Église de Lyon, qui jusqu'alors avait gardé religieusement la forme auguste de ses offices, dans lesquels l'ancien rite romain se mariait à de vénérables réminiscences de l'antique Liturgie gallicane, voyait porter atteinte à ce précieux dépôt. L'archevêque Charles-François de Châteauneuf de Rochebonne inaugurait un bréviaire dans lequel une chose aussi grave que la division du Psautier était sacrifiée, maigre sa forme séculaire, à de nouvelles théories d'arrangement, toujours   dans   le  but d'abréger les  offices divins.  Le

 

244

 

nombre des formules traditionnelles était diminué, les légendes des saints soumises à une critique exagérée; enfin, si l'Église de Lyon ne se voyait pas privée dans une proportion plus considérable du trésor de ses vénérables prières, c'est que, fort heureusement, le prélat qui lui donnait le nouveau bréviaire avait été retenu par l'inconvénient qu'il y aurait eu de déroger à cet usage de Lyon, en vertu duquel on chantait encore sans livre les heures canoniales (1). Nous verrons bientôt un archevêque de Lyon que cette considération n'arrêtera pas.

L'Église de Paris et son nouveau Bréviaire vont donc nous occuper maintenant, la même Église de Paris qui, au moyen âge, communiquait à un si grand nombre d'autres les poétiques et harmonieuses richesses de sa Liturgie romaine-française. Nous allons la voir recueillant, dans une œuvre trop fameuse, tout ce que renfermaient de nouveautés suspectes, de formes audacieuses, et le Bréviaire de François de Harlay, et celui de Cluny, et les Projets de Foinard et Grancolas, et les essais tentés à Sens, à Auxerre, à Rouen, à Nevers, à Orléans, etc.

Toutefois, il y eut une transition de la Liturgie de Harlay à celle de Vintimille. Le cardinal de Noailles, le même qui, durant sa longue occupation du siège de Paris, fatigua si longtemps de sa mesquine et opiniâtre rébellion le Siège apostolique et la cour de France, ne pouvait manquer de laisser dans les livres parisiens quelques traces de son passage. Nous trouvons deux éditions du Bréviaire de Paris données par son autorité, celle de 1698

 

(1) Equidem prisca Ecclesia: nostras lege coarctatis, juxta quam sine codice Officium nocturnum, diurnumque persolvi consuevit, nova Responsoria, novasque Antiphonas plurimas ex Scriptura concinnandi nobis copia non fuit, ne tot mutationibus interturbaretur Officium, et ab œtate tenerrima choro nostro addictis fleret impossibilis sacrorum canticorum praxis inexperta.

 

245

 

et celle de 1714, et une du Missel en 1706. L'édition du Missel paraît avoir été dirigée par François Vivant, pénitencier de Notre-Dame et grand vicaire du cardinal, auquel on doit attribuer la plupart des proses qui s'y trouvent (1). Les lettres pastorales placées en tête du Bréviaire et du Missel portent expressément que l'on n'a voulu faire aucuns changements graves aux livres de François de Harlay dont on vante la perfection, et, en effet, il y a très-peu de différences entre les bréviaires et missels de ces deux archevêques.

Cependant, nous citerons quelques traits fortement caractéristiques. François de Harlay avait répudié les traditions de l'Église romaine et celles de l'Église de Paris, sur sainte Marie-Magdeleine, et dans l'office de cette sainte, il avait professé expressément la distinction de Marie, sœur de Lazare et de Marthe, d'avec l'illustre pécheresse, amante du Christ. Il y avait quelque chose de mieux à faire encore : c'était, en continuant de célébrer la fête de sainte Marie-Magdeleine, le 22 juillet, de consacrer un autre jour à la mémoire de Marie de Béthanie. Les fidèles ne seraient plus exposés à s'y méprendre et à retomber dans les préjugés insoutenables de l'Église romaine. Il est vrai que si, pourtant, Marie de Béthanie et Marie-Magdeleine sont une seule et même personne, l'acte souverain de Louis-Antoine de Noailles, pour les scinder en deux, ne pouvait avoir d'effet que dans le bréviaire; car Dieu même ne pourrait faire qu'une personne unique durant sa vie, en puisse jamais former deux après sa mort. Toutefois, comme le gallicanisme, qui refuse à l'Église le pouvoir sur les choses terrestres, n'a pas si généreusement renoncé à l'empire sur les choses célestes, comme nous le verrons encore ailleurs, le Bréviaire du cardinal portait, sur le calendrier, au 19 janvier, ces mots :

 

(1) Picot, dans l'article Vivant, en la Biographie universelle.

 

246

 

Mariœ Bethanidis, sororis Lazari et Marthœ, en même temps qu'au 22 juillet, ceux-ci : Mariœ Magdalenœ.

En si beau chemin, il était difficile de s'arrêter. François de Harlay, dans ses livres liturgiques, avait vilipendé, les glorieuses traditions de l'Église de Paris sur l'Aréo-pagitisme de son saint apôtre ; mais il n'en était cependant pas venu jusqu'à inaugurer à un jour spécial la fête d'un saint Denys l'Aréopagite qui ne fût pas l'évêque de Paris. Le cardinal de Noailles le fit. Son calendrier portait, au 3 octobre, ces mots : Dionysii Areopagitœ, Athenarum Episcopi et Martyris, et plus bas, au 9 du même mois, ceux-ci : Dionysii, primi Parisiorum Episcopi, et Socio-rum ejus Martyrum. Il n'est pas nécessaire d'être profondément versé dans les antiquités ecclésiastiques pour savoir que plusieurs anciens martyrologes portent en effet le nom de saint Denys au 3 octobre ; mais, outre que les partisans de l'Aréopagitisme de saint Denys de Paris satisfont à cette objection, était-ce au Bréviaire de Paris de rétracter et de flétrir d'une manière aussi humiliante ses propres traditions, tandis que la presque universalité des Églises, tant de l'Orient que de l'Occident, s'unit encore pour la féliciter de ce qu'elle a reçu la foi par le ministère de l'illustre disciple de saint Paul ? C'est une triste condition que celle de ces liturgies locales, et, par là même, mobiles, d'être condamnées à ressentir le contrecoup des révolutions que la mode introduit et que le retour à des idées plus saines peut anéantir. L'un des oracles de la critique moderne a dit :  « L'opinion qui  identifie saint Denys l'Aréopagite avec saint Denys de  . Paris, née du temps de Louis le Débonnaire, est beauté coup moins ancienne que celle qui a rendu saint Denys  l'Aréopagite auteur de divers ouvrages qui ont commencé à paraître sous son nom plus de quatre cents ans  après sa mort. Mais elle ne vivra point apparemment  plus longtemps, et l'on peut attribuer au siècle de Louis le

 

247

 

Grand la gloire de les avoir ensevelis dans le même  tombeau (1). » Ainsi parlait Adrien Bailler, en 1701 ; mais si le XIX° siècle voit ressusciter ces deux opinions, qui sont du nombre des opinions de l'Église romaine, que deviendra le calendrier actuel de Paris ? Quels cartons ne faudra-t-il pas pour le Missel et le Bréviaire de cette Église ?

Quoique les changements faits au missel de Harlay par le cardinal de Noailles fussent assez légers, on remarqua néanmoins qu'on avait fait quelques additions. Nous en signalerons une entre autres dans la fameuse postcommunion de saint Damase, au 11 décembre, laquelle est entrée de plain-pied au Missel de Vintimille, et de là dans la presque totalité des missels français. La voici : Nullum primum nisi Christum sequentes, et Cathedra Petri communione consociatos, da nos, Deus, Agnum semper in ea domo comedere in qua beatus Damasus successor piscatoris et discipulus crucis meruit appellari.

Ceux de nos lecteurs qui connaissent la fameuse lettre de saint Jérôme au pape saint Damase reconnaîtront tout d'abord que cette postcommunion est entièrement composée de paroles tirées de cette lettre; mais en quel sens ont-elles été détournées ! D'abord ces mots Nullum primuni nisi Christum sequentes, séparés du reste de cette magnifique épître dans laquelle saint Jérôme célèbre si éloquemment la principauté apostolique, qu'expriment-ils, dans leur isolement du contexte, sinon que les fidèles n'ont point d'autre Chef que Jésus-Christ? Certes, si saint Jérôme eût vécu au temps de Luther ou de Jansénius,  il eût marqué avec son énergie ordinaire que s'il n'entendait suivre d'autre chef que Jésus-Christ,  il ne voulait parler que du chef invisible, sans préjudice de cet autre premier, de ce chef visible qui est le Pontife romain. Et ces paroles,

 

(1) Baillet, Vies des Saints. Tome X, au 3 octobre, page 72.

 

247

 

Cathedrœ Petri Communions consociatos, signifiaient-elles uniquement dans la bouche de saint Jérôme un simple lien extérieur, sans dépendance sous le double rapport de la foi et de la discipline? C'est ainsi, on le sait, que l'entendent les jansénistes, témoin les évêques de l'Église d'Utrecht et ceux de l'Église constitutionnelle de France, leurs disciples. Mais ce n'est pas là le sens de saint Jérôme qui, dans la même épître, inquiet de savoir, s'il faut une hypostase ou trois hypostases, demande au Pape de décider souverainement sur cette question : Decernite, et non timebo tres hypostases dicere; de saint Jérôme, disons-nous, qui ne se borne pas à dire qu'il est uni de communion à la Chaire de Pierre, mais qui entend cette communion d'un lien tellement fort, d'une union tellement intime, qu'il ne craint pas d'appliquer au Pape ces paroles que Jésus-Christ dit de lui-même : Qui tecum non colligit, dispergit.

La dernière partie de la postcommunion, moins importante, il est vrai, offre encore matière à observation. On voit que l'auteur profite des paroles de saint Jérôme, pour flétrir, à propos de l'humilité de saint Damase, ce que la secte appelle le faste et l'orgueil de la cour romaine. On y demande à Dieu la grâce de manger l'Agneau dans cette maison où Damase a mérité d'être appelé le successeur du pêcheur et le disciple de la Croix. Cependant on pourrait, avec vérité, faire observer à François Vivant que Clément XI fut le digne successeur du pêcheur, et un sincère disciple de la Croix, bien qu'il ait cru devoir 'écraser l'hydre janséniste par la Bulle Unigenitus, et condamner comme hérétiques ceux qui ne se soumettraient pas aux décisions (decernite) apostoliques, malgré qu'on les entendît crier de toutes parts qu'ils étaient et voulaient être toujours unis de communion avec l'Église de Rome.

Mais il ne s'agit plus maintenant de quelques altérations faites aux livres liturgiques de Paris, qui, comme nous

 

249

 

l'avons remarqué, sont encore demeurés conformes, pour la plus grande partie, à ceux de Rome, en dépit des innovations de François de Harlay, et même de son successeur. L'Église de Paris va voir substituer en masse, aux offices grégoriens qu'elle chante depuis le vine siècle, un corps d'offices nouveaux, inconnus, inouïs, fabriqués à neuf par de simples particuliers, un prêtre, un acolyte, un laïque, et cet événement va entraîner, dans la plus grande partie de la France la ruine complète de l'œuvre de Charlemagne et des pontifes romains.

Vers l'année 1725, François-Nicolas Vigier, prêtre de l'Oratoire et successeur de Duguet en la charge de supérieur du séminaire de Saint-Magloire, s'étant livré aussi à la composition d'un bréviaire, suivant les idées nouvelles, se trouvait en mesure de faire jouir le public du fruit de ses labeurs. Ce personnage obscur devait être l'instrument de la plus grande révolution liturgique que l'Église de France ait vue depuis le VIII° siècle. Il avait enfanté le Bréviaire de Paris. Cependant, ce n'était point à cette Église en particulier qu'il avait destiné son chef-d'œuvre. Le Cardinal de Noailles, qui mourut en 1728, avait refusé de l'adopter. François-Armand de Lorraine, évêque de Bayeux, avait paru mieux disposé; mais son chapitre s'était retranché dans une si courageuse opposition, que le prélat s'était vu contraint de se désister dans son entreprise.

Il n'est pas difficile de comprendre les motifs de cette résistance; c'était le sentiment delà foi qui se révoltait contre une œuvre suspecte. On savait que le P. Vigier appartenait à un corps profondément gangrené par l'hérésie janséniste, et, quant à lui-même, bien qu'il n'eût pas appelé de la bulle, sa réputation n'en était pas moins celle d'un homme rebelle dans le fond de son cœur. Au reste, il le fit bien voir lorsque, ayant été élu assistant de son général, le P. de la Valette, en 1746, il composa,

 

250

 

pour aider à la pacification des esprits dans sa congrégation, sur le sujet des controverses du temps, un mémoire dans lequel il écartait de la bulle le caractère et la dénomination de règle de foi, la qualifiant simplement de règlement provisoire de police qui n'obligeait qu'à une soumission extérieure. Le Bréviaire du P. Vigier ne démentait pas trop, comme on va le voir, une pareille manière de penser dans son auteur : mais il fallait un patron à ce livre.

Dieu permit, dans son impénétrable conduite, qu'il trouvât ce patron dans Charles-Gaspard de Vintimille, qui venait de succéder au cardinal de Noailles sur le siège de la capitale. Ce prélat, qui avait occupé successivement les sièges de Marseille et d'Aix, parvint à celui de Paris vers sa soixante-quinzième année. Homme de ménagements et de tolérance, il essaya de tenir le milieu entre les appelants et les partisans de la bulle. Toutefois, il fit fermer le cimetière de Saint-Médard, profané par les honteux miracles du diacre Paris; il eut même l'honneur de voir condamner, par le parlement de Paris, un mandement qu'il avait publié contre les Nouvelles ecclésiastiques ; mais, en même temps, on savait qu'il avait écrit, sous la date du 22 mai 1731, au cardinal de Fleury, une lettre fameuse ainsi conçue :  « Ma foi, Monseigneur, je perds  la tête dans toutes ces malheureuses affaires qui affligent  l'Église. J'en ai le cœur flétri, et je ne vois nul jour de  soutenir cette bulle en France, que par un moyen qui  est de nous dire, à la franquette, les uns aux autres, ce  que nous entendons par chacune des propositions, quel  est le sens, le bien que nous approuvons, le mal que  nous rejetons, et après, frapper brutalement sur les uns  et sur les autres qui ne voudront point nous suivre : et si  Rome ne veut pas se rendre facile à ce que nous avons  fait, lui renvoyer sa constitution. Ce projet, je l'avoue,  que  j'ai fait plus d'une  fois, et que mon  chagrin  me

 

251

 

fait faire, mérite quelque attention : mais en vérité on  se lasse de battre l'air et l'eau inutilement (1). »

On doit convenir qu'il était difficile de gouverner un diocèse comme celui de Paris, inondé de jansénistes, dans la Sorbonne, dans les cures, dans les maisons religieuses, dans le parlement, et qui, durant les trente années de l'épiscopat du cardinal de Noailles, avait été le théâtre des saturnales de l'hérésie triomphante. Aussi les actes par lesquels l'archevêque de Vintimille avait signalé le commencement de son gouvernement, bien qu'ils fussent compensés par une grande douceur sur d'autres points, lui avaient aliéné promptement les jansénistes : il eut le malheur, en 1736, de les entendre chanter ses louanges, et faire l'ardente apologie d'une de ces œuvres. Cette œuvre était l'adoption solennelle du fameux bréviaire.

Charles de Vintimille s'était laissé persuader que l'Église de Paris ne devait pas rester en retard des autres qui, en si grand nombre, par toute la France, avaient convolé à une liturgie nouvelle. Il avait entendu parler des travaux du P. Vigier ; il y avait souri, et, décidément, cet oratorien avait été choisi pour doter l'Église d'un nouveau corps d'offices. On lui avait seulement associé deux hommes dont les noms seuls rappellent les plus grands scandales de cette époque. Le premier, François-Philippe Mésenguy, était notoirement en révolte contre les décisions de l'Église. Revêtu de l'ordre d'acolyte, et, à l'exemple de Le Brun Desmarettes, n'ayant jamais voulu prendre le sous-diaconat, il fut un des plus ardents, en 1739, à s'opposer à la révocation de l'appel par la Faculté des arts. Son Exposition de la doctrine chrétienne (2), qui avait été mise à VIndex dès 1757, fut condamnée par un bref solennel de Clément XIII, en date du 14 juin 1761. Ses écrits contre la

 

(1)  Biographie universelle. Article Vintimille.

(2)  1744. 6 vol. in-12.

 

252

 

bulle et en faveur de l'appel (1) en faisaient l'un des plus célèbres champions du parti.

Le second des collaborateurs de Vigier était un simple laïque. Charles Coffin, successeur de Rollin dans l'administration du collège de Beauvais, à Paris, et appelant comme son prédécesseur, s'était chargé de composer les hymnes nécessaires pour le nouveau bréviaire. Nous mettons, certes, son mérite, comme hymnographe beaucoup au-dessus de celui de Santeul; il est d'autant plus triste pour nous . d'avoir à raconter jusqu'à quel point il le prostitua. Mais si l'hymnographe du nouveau bréviaire était supérieur à Santeul pour le véritable génie de la poésie sacrée, sous le rapport de l'orthodoxie, il offrait moins de garanties encore. Le poète Victorin, homme léger et sans conséquence, était, il est vrai, ami et fauteur d'hérétiques ; Coffin, personnage grave et recueilli, était hérétique notoire. C'était donc d'un homme étranger à l'Église catholique, que l'Église de Paris, et tant d'autres après elle, allaient recevoir leurs cantiques sacrés. Les poésies d'un janséniste contumace allaient remplacer les hymnes de l'Église romaine, que François de Harlay et le cardinal de Noailles avaient du moins retenues presque en totalité.

Ce fait unique dans les fastes de l'histoire ecclésiastique, et qui témoigne d'un renversement d'idées sans exemple, est d'autant plus inexplicable que l'Église de Paris elle-même, quand son hymnographe fut sur le point de mourir, en 1749, lui refusa le baiser de sa communion. Coffin mourut sans sacrements, et le refus que fit le curé de Saint-Étienne-du-Mont de les lui administrer, fut approuvé par l'archevêque Christophe de Beaumont. Et l'Église de Paris continua de chanter et chante encore les

 

(1) La Constitution Unigenitus avec des Remarques, in-12. — Lettre à un ami sur la Constitution Unigenitus, in-12, etc.

 

253

 

hymnes de Coffin, cette même Église qui, comme toutes les autres, n'admet point dans son bréviaire une seule leçon de Tertullien, d'Origène, ou d'Eusèbe de Césarée, même tirée de leurs  ouvrages orthodoxes, parce que la pureté de la foi et la sainteté des offices divins ne le pourraient souffrir, parce que tous les siècles chrétiens déposeraient contre une semblable témérité ! Quoi donc ? Charles Coffin est-il plus que Tertullien, dont  presque tous les écrits sont un miroir de doctrine; plus qu'Origène, dont les intentions paraissent avoir  été  toujours pures ; plus qu'Eusèbe de Césarée, dont la parole est presque toujours si lumineuse et si éloquente? Pour nous, Dieu sait à quel prix  nous désirerions, pour la  gloire  et pour l'entière pureté de l'Église de France qui nous a élevé, voir disparaître  jusqu'au   souvenir  de   ces   désolantes  traces  des influences de l'hérésie la plus méprisable qui ait jamais insulté le  corps mystique  de Jésus-Christ. Nous nous sentons cruellement humilié, quand nous lisons, dans le journal de la secte, ces dures paroles auxquelles il nous est impossible de répondre autrement qu'en baissant la tête.  « On chante tous les jours dans l'Église de Paris la foi que  professait M.   Coffin, contenue dans des hymnes que  feu M. de Vintimille lui-même l'avait chargé de composer. M. de Beaumont, successeur de M. de Vintimille  dans cet archevêché, les autorise par l'usage qu'il en  fait, et par l'approbation qu'il est censé donner au Bréviaire de son diocèse. Le P. Bouettin (1) les chante lui-même, malgré qu'il en ait; et les sacrements sont refusés  à la mort à  celui qui les a composées !  Le curé fait  le  refus,   l'archevêque  l'autorise (2) !  »   Ce n'est pas tout encore. Le parlement  de  Paris  fut saisi de cette affaire.  On entendit le conseiller Angran dénoncer aux

 

(1)  Génovéfain, curé de Saint-Etienne-du-Mont.

(2)  Nouvelles ecclésiastiques, 10 juillet 1749.

 

264

 

chambres assemblées le refus de sacrements fait à Charles Coffin, comme un acte de schisme. Il partait de ce principe, que c'est un acte de schisme que de refuser la communion à ceux qui sont dans l'Église, aussi bien que de communiquer avec ceux qui en sont séparés; d'autre part, disait-il, on ne pouvait pas raisonnablement admettre que l'Église de Paris eût été demander à un excommunié de lui composer des hymnes. C'est pourtant ce qui était arrivé ! Angran disait en outre que «  les refus de sacrements étaient sagement établis à l'égard des protestants,  des déistes, etc. ; mais que ce serait en faire un abus  manifeste que de s'en servir à l'égard des fidèles dont  la vertu et la catholicité sont connues de tout le monde  et justifiées depuis si longtemps (par rapport à M. Coffin  en particulier), parla confiance du public et par celle  de M. de Vintimille lui-même, qui l'avait chargé de  composer les hymnes du Bréviaire de Paris (1). » Notre devoir d'historien nous a contraint de ne pas omettre ces détails vraiment pénibles : mais si nous ne les produisions pas avec cette étendue qui, aujourd'hui, croirait à nos assertions ?

La commission désignée par Charles de Vintimille pour donner à l'Église de Paris un bréviaire digne d'elle, était donc Composée de ces trois personnages, Vigier, Mésenguy et Coffin. Ce choix avait été suggéré à l'archevêque par Louis-Abraham d'Harcourt, doyen du chapitre de Notre-Dame (2); il doit nous éclairer sur l'esprit et les principes de cet ecclésiastique. Toutefois, nous ne passerons pas outre, sans faire remarquer au lecteur le contraste frappant qui règne entre la commission chargée par l'archevêque de Vintimille de renouveler de fond en comble la Liturgie parisienne, et celle qui avait opéré la simple correction

 

(1) Nouvelles ecclésiastiques, 18 septembre 1749.

(2) L’Ami de la Religion.  Tome XXVI, page 290. Article curieux sur la réimpression du Bréviaire de Paris.

 

255

 

du bréviaire et du missel, au temps de François de Harlay. Dans cette dernière, presque tous les membres occupent un rang distingué dans l'Église de Paris. Us sont au nombre de douze et tous revêtus du sacerdoce. La commission de Vintimille n'était plus composée que de trois membres; un seul était prêtre, des deux autres, l'un était simple acolyte, l'autre laïque. Beaucoup de conséquences ressortent de ce fait. Nous avons déjà parlé de l'envahissement du presbytérianisme et du laïcisme dans les choses capitales de la religion : nous dirons, de plus, qu'une si étrange commission pour une œuvre majeure comme la refonte universelle de la Liturgie, montre clairement que la Liturgie elle-même avait grandement baissé d'importance aux yeux du prélat qui choisit les commissaires, du clergé qui accepta le fameux bréviaire après quelques réclamations, du siècle enfin qui vit une pareille révolution, et ne l'a pas mise à la tête des plus grands événements qui signalèrent son cours. Nous le répétons, ce n'est pas ainsi que saint Pie V, Clément VIII et Urbain VIII avaient procédé pour la simple révision des livres romains.

Ainsi, l'Église de Paris attendait patiemment que nos trois commissaires eussent enfanté leur œuvre. Une année avant que cette œuvre fût en état de paraître au jour, Mésenguy, voulant pressentir l'opinion publique, fit imprimer trois Lettres écrites de Paris à un chanoine de l'église cathédrale de ***, contenant quelques réflexions sur les nouveaux bréviaires (1). Ce petit écrit, tout imprégné des maximes modernes sur la Liturgie, avait pour but de faire valoir le nouveau bréviaire ; mais, comme l'observe judicieusement l'Ami de la Religion, dans l'article cité, Mésenguy aurait dû laisser à un autre le soin de louer d'avance son propre travail.

 

(1) 1735. In-12 de 80 pages.

 

256

 

Enfin, Tannée 1736 vit l'apparition de la nouvelle Liturgie. Le bréviaire, qui avait été annoncé à tout le diocèse par un mandement de l'archevêque de Vintimille, portait en tête une lettre pastorale du prélat, sous la date du 3 décembre 1735 (1). Nous parcourrons avec le lecteur ce monument d'une si haute importance pour notre histoire.

L'archevêque commence par recommander la nécessité de la prière en général, et le mérite spécial de la prière publique.  « L'Église, dit-il, cette chaste colombe dont les  pieux et continuels gémissements sont toujours exaucés  de Dieu,s'est réservé le soin de régler l'ordre des prières  de ses ministres, et de disposer les diverses parties de  ce très-saint ministère. Dans l'office divin qui renferme  toute la matière du culte public, elle embrasse les plus  augustes mystères de Dieu et de la religion, les règles  incorruptibles de la foi et des mœurs, la doctrine de la  tradition consignée dans les écrits des saints Pères et  dans les décrets des conciles. Elle y propose les plus  illustres exemples de toutes les vertus dans la vie et la  mort des saints et des martyrs qu'elle vénère d'un culte  public, afin de nourrir la piété des fidèles, d'éclairer leur  foi, d'allumer leur ferveur. Elle enseigne que le culte  de Dieu consiste dans l'esprit, c'est-à-dire dans l'obéissance religieuse de l'esprit et du cœur, et dans l'adoration; que les saints doivent être honorés, non par une  stérile admiration, mais par une imitation fidèle des  vertus qui ont brillé en eux. »

Rien de plus incontestable en soi qu'une telle doctrine; mais si l'office divin est, de la part de l'Église, l'objet d'une si juste sollicitude, si c'est à elle de le régler, il devrait être inviolable comme elle; on ne devrait point, après tant de siècles, dans un diocèse particulier, bouleverser, renouveler

 

(1) Vid. la Note A.

 

257

 

une Liturgie fixée par l'Eglise dans l'antiquité, et pratiquée en tous lieux.  Si l'office divin doit contenir la doctrine de la   Tradition, il ne faudrait donc pas remplacer les formules séculaires dans lesquelles s'exprime si solennellement cette Tradition, par des versets de l'Écriture choisis par de simples particuliers suspects dans la foi.  Si l'Église, qui nous propose dans le bréviaire les exemples des  saints,   a  intention  de   nourrir la piété, d'éclairer la foi, d'allumer la ferveur, et non d'exciter en nous une stérile admiration, il faudrait cependant se souvenir que l’admiration est le principe de la louange, et que la louange  est  une des  parties  essentielles de la Liturgie. Ainsi, par exemple, en supprimant dans le Bréviaire de Paris jusqu'à la simple mention des stigmates de saint François, Charles de Vintimille diminue assurément la somme des motifs de l’admiration que nous serions tentés d'avoir pour cet ami du Christ; mais si, par cette suppression, il a l'avantage de mettre saint François plus à portée de notre imitation, il se sépare avec éclat, non-seulement de François deHarlayet du cardinal de Noailles, qui avaient laissé le récit des stigmates dans la Légende de   saint   François, mais   bien plus   encore de l'Église romaine, qui, non contente d'en parler dans l'office du patriarche séraphique, au 4 octobre, en a institué une fête spéciale du rite double, pour toute l'Église, au 17 septembre. Il est vrai que l'Église romaine a fort à cœur de nous inspirer l’ admiration des saints; car elle trouve que déjà ce sentiment est un hommage envers  Dieu, qui se glorifie d'être admirable dans ses serviteurs.

« Les premiers pasteurs, continue la lettre pastorale,  ayant considéré toutes ces choses, se sont proposé  spécialement de réunir dans l'ensemble de l'office ecclésiastique les matériaux nécessaires aux prêtres pour «instruire plus facilement dans la science du salut les  peuples qui leur sont confiés. Tel est le service qu'ont

 

258

 

rendu les trois illustres prélats, nos prédécesseurs immédiats; à leur exemple, un grand nombre d'évêques  de ce royaume ont publié de nouveaux bréviaires avec  un succès digne d'éloges. » Ainsi les trois archevêques, de Péréfixe, de Harlay et de Noailles, doivent être considérés comme les auteurs de la révolution liturgique. C'est donc à Paris qu'est née cette idée de ne plus faire du bréviaire qu'un livre d'études sacerdotales, d'ôter à ce livre son caractère populaire, de n'y plus voir le répertoire des formules consacrées par la tradition. Jusqu'alors on l'avait considéré comme l'ensemble des prières et des lectures qui doivent retentir dans l'assemblée des fidèles ; tout ce qu'il contenait était ordonné pour le culte divin; maintenant il ne sera plus qu'un livre de cabinet, parsemé de psaumes et d'oraisons; et à cette époque de controverses, on s'en va choisir de préférence pour le rédiger des gens naturellement disposés à l'adapter aux maximes de leur parti,tant par ce qu'ils y inséreront de suspect, que parce qu'ils trouveront moyen d'en ôter.

« Nous donc, aussitôt que, par le don de la divine Providence, nous avons eu pris le gouvernement de cette  Église métropolitaine, ayant été averti par des hommes  sages et érudits, nous avons reconnu la nécessité d'un  nouveau bréviaire. En effet, l'ordre admirable et le goût  excellent de solide piété et doctrine qui brille dans plu-« sieurs des offices des dernières éditions du bréviaire,  nous a fait désirer ardemment de voir introduire dans  le reste des offices une dignité et une pureté semblables.  C'est dans ce but qu'on a travaillé, pour rendre ce  bréviaire digne de la majesté du culte divin et conforme  à nos vœux, qui ont pour objet la sanctification de  tous. » Le prélat ne désigna point les auteurs du bréviaire, elaboratum est; à moins qu'on ne veuille appliquer à Vigier, Mésenguy et Coffin, la qualification d'hommes sages et érudits! Il est remarquable aussi que le prélat ne

 

259

 

convient pas franchement du renouvellement entier de la Liturgie opéré par la publication du nouveau bréviaire. Il n'a voulu autre chose, dit-il, que procurer dans le reste des offices le même ordre, le même goût de piété et de doctrine, la même dignité, la même pureté qui brillaient dans plusieurs de ceux du bréviaire précédent. Cependant, si l'on en excepte un très-petit nombre d'offices, celui de sainte Marie Égyptienne, par exemple, qui fut rédigé dans le Bréviaire de Harlay par Nicolas Le Tourneux, tout est nouveau dans le Bréviaire de Vintimille, soit pour le propre du temps, soit pour celui des saints, les communs, etc. Remarquons, en outre, que les parties sacrifiées formaient principalement ce vaste ensemble que le Bréviaire de Harlay avait retenu du Bréviaire romain; ainsi le reproche indirect de manquer d'ordre, de piété, de doctrine, de dignité, d’élégance, s'adresse à la Liturgie de saint Grégoire et de saint Pie V.

Venant ensuite au détail des améliorations que présente le nouveau bréviaire, la lettre pastorale s'exprime ainsi : « Dans l'arrangement de cet ouvrage, à l'exception des  hymnes, des oraisons, des canons et d'un certain nombre  de leçons, nous avonscru devoir tirer de l'Écriture sainte  toutes les parties de l'office; persuadés, avec les saints  Pères, que ces prières seront plus agréables à la majesté  divine, qui reproduisent non-seulement les pensées,  mais la parole même de Dieu. » Les saints Pères dont il est ici question se réduisent à saint Cyprien, qui, du reste, ne dit pas le moins du monde ce qu'on lui fait dire ici. Les saints Pères relèvent sans cesse l'autorité de la tradition, et l'on ne citerait pas un seul passage de leurs écrits dans lesquels ils aient dit ou insinué qu'il serait à propos d'effacer dans les offices divins les formules de style ecclésiastique, pour les remplacer par des versets de l'Écriture. Si la parole de l'Église peut légitimement trouver place dans les hymnes et les oraisons, en vertu

 

260

 

de quel principe l'exclura-t-on des antiennes et des répons ? Voilà le grand problème qu'on n'a jamais résolu qu'en disant : La chose doit être ainsi, parce qu'elle doit être ainsi.

La lettre pastorale parle ensuite du soin avec lequel les leçons des saints Pères ont été choisies et les légendes des saints rédigées. Nous en dirons bientôt quelque chose. On a retenu les collectes  des bréviaires précédents, et même plusieurs hymnes anciennes. Mais voici quelque chose de capital :  « Pour nous conformer au pieux désir d'un grand nombre de personnes, nous avons, d'après l'exemple donné déjà par plusieurs  églises, divisé le Psautier, afin de pouvoir assigner des psaumes propres à chaque jour de la semaine et même à chaque heure du jour, en coupant ceux qui étaient trop longs. Par ce partage,nous avons fait disparaître l'inégalité des offices et fait en sorte de moins fatiguer l'esprit et l'attention de ceux qui chantent l'office. Saint Basile assure avoir supporté lui-même avec peine les inconvénients de cette trop  grande   prolixité.  C'était afin de diminuer cette fatigue qu'un concile  de Narbonne avait statué, dans l'antiquité, que les psaumes plus longs seraient divisés en plusieurs doxologies; c'est ce que prescrit aussi la Règle de saint Benoît. On récitera les psaumes de la férié à toutes les fêtes, à l'exception de ceux qui sont consacrés aux mystères, ou à la sainte Vierge. Il résultera de là que le Psautier sera presque toujours lu en entier dans l'espace d'une semaine. »

C'était là une grande mesure et qui devait faire taire bien des répugnances. Foinard avait promis, en tête de son projet, que le bréviaire futur serait très-court; le grand moyen d'abréviation, admis aussi par Grancolas, était de faire disparaître l'inégalité des offices. La lettre pastorale adopte le même système. On n'y dit pas, il est vrai, comme  ces docteurs, que le but est de faire qu'on

 

261


ait plus de plaisir à réciter l'office de la férié que celui des saints; mais ce sera pourtant le résultat inévitable,surtout s'il s'agit des saints dont l'office sera resté à neuf leçons. La psalmodie que saint Basile trouvait excessive, était bien autre que celle du Psautier romain; on en peut voir le détail dans les vies des Pères des déserts d'Orient; et si saint Benoît divise les Psaumes en plusieurs sections, il fallait dire aussi que les matines de son office se composent de douze psaumes, trois cantiques, douze leçons, douze répons, l'évangile du jour tout entier, etc. Certes, c'est un avantage réel de pouvoir parcourir le psautier chaque semaine; mais, encore une fois, le Bréviaire de Paris n'aurait pas obtenu un si brillant succès, si cette division des psaumes ne l'eût en même temps rendu le plus court de tous.

« On a conservé au dimanche sa prérogative d'exclure  toutes sortes de fêtes, si ce n'est celles qui ont dans  l'Église le premier degré de solennité. » Nous sommes ici encore à la remorque des docteurs Foinard et Grancolas, qui avaient suivi eux-mêmes dom de Vert et Le Tourneux, dans leur Bréviaire de Cluny. Le but avoué de cette rubrique est de diminuer le culte des saints, sous le prétexte de défendre les intérêts de Dieu, auquel seul appartient le dimanche, trop souvent occupé par la commémoration de quelqu'un de ses serviteurs : il est juste de leur faire céder la place à leur Maître.

« Afin d'assigner à l'office de chaque jour un but, et  aussi pour les distinguer les uns des autres, le dimanche,  qui est le jour de la création delà lumière, de la résurrection de Jésus-Christ et de la promulgation de la Loi  nouvelle, on excite dans le cœur des fidèles l'amour de  Dieu et de la loi divine. Le lundi, on célèbre la charité  de Dieu et sa munificence envers les hommes. Les trois  jours suivants, on recommande l'amour du prochain,  l'espérance et la foi. Le vendredi, qui est le jour de la

 

202

 

Passion de Jésus-Christ, l'office a rapport à la patience  que l'on doit avoir dans les labeurs et les tribulations  de cette vie. Enfin, le samedi,  on rend grâces à Dieu  pour les bonnes œuvres accomplies par les fidèles et pour la récompense qui leur est assignée. » C'est ici le seul endroit des nouvelles Liturgies dans lequel on   ait voulu faire du symbolisme ; mais pour faire du symbolisme,  il faudrait autre chose que de la bonne volonté. On pourrait dire d'abord qu'il faudrait avoir vécu, il y a dix siècles, surtout s'il s'agit de symbolisme  sur  une matière aussi fondamentale que la signification des jours de la semaine. Il faudrait, en outre, que le fonds prêtât à ce symbolisme; car il ne suffit pas d'attacher par ordonnance une idée à un fait; ce fait doit être par lui-même une forme plus ou moins complète de l'idée. Certes, les fidèles du diocèse de Paris ignorent profondément que le lundi soit consacré à la bonté de Dieu, le mardi à la charité fraternelle, le mercredi à l'espérance, etc. On ne s'occupe guère de le leur enseigner, et s'ils veulent eux-mêmes consulter les anciens Liturgistes sur les mystères de la semaine, ils y trouveront tout autre chose. L'Église, comme nous le dirons ailleurs, a attaché aux divers jours de la semaine la commémoration de certains faits, parce qu'elle  procède toujours par les faits et jamais par les abstractions. Nous reviendrons sur ce sujet; continuons la lecture de la lettre pastorale.

« Pour le rite de l'office quadragésimal,nous avons jugé  équitable de rappeler l'ancienne coutume de l'Église, qui  ne jugeait pas que la solennité joyeuse des fêtes s'accordât  assez avec le jeûne et la salutaire tristesse de la pénitence.  Beaucoup de diocèses nous avaient déjà précédé en cette  voie; c'est à leur exemple que nous avons ôté du carême  toutes les fêtes, à l'exception de celles dans lesquelles on s'abstient d'oeuvres serviles.» Ici, nous ne ferons qu'une réflexion. Ou le Bréviaire de  Paris a atteint par  cette

 

263

 

mesure le véritable esprit de l'Église dans la célébration du  carême, ou ses rédacteurs se sont trompés sur cette grave matière. Dans le premier cas, l'Église romaine, qui jusqu'ici avait la mission de corriger les autres églises, reçoit ici la leçon sur une matière importante, les convenances quadragésimales,de sa fille l'Église de Paris. Dans le second cas, y a-t-il donc si grand mal à supposer que Vigier et Mésenguy, bien qu'appuyés de Foinard et de Grancolas, enfin de Le Tourneux et D.   de Vert, aient failli quelque peu dans une occasion où ils avaient contre eux l'autorité de la Liturgie romaine? Quoi qu'il en soit, Paris s'est déjà relâché quelque peu de cette sévérité, et Rome, de son côté, a jugé à propos, depuis 1736, d'ajouter encore de nouveaux saints dans la partie de son calendrier qui correspond au carême. Rendons grâces toutefois aux rédacteurs du Bréviaire de Paris de n'avoir pas suivi en tout l'idée de Foinard; ce docteur voulait transférer l'Annonciation au mois de décembre, et, franchement, c'est un peu loin du jour auquel ce grand mystère s'est accompli. Il n'est pas besoin, sans doute, de remarquer ici combien la suppression des fêtes qui tombent dans le cours du carême dut changer la physionomie de ce temps de l'année, et quelle froide monotonie en est résultée. On sait bien qu'i en était ainsi dans les premiers siècles; mais si Dieu, dans les siècles suivants, a donné de nouveaux saints à son Église, ce n'est pas, sans doute, pour que nous allions systématiquement fixer la fête à un jour autre que celui de leur mort, dans le but étrange de  maintenir  libres les fériés qui étaient vacantes au calendrier avant qu'ils vinssent au monde.

La lettre pastorale parle ensuite des canons insérés dans l'office de prime; mesure louable, mais que le jansénisme, comme nous allons le voir, avait trouvé moyen de faire servir à ses fins. Elle dit ensuite un mot du calendrier et des rubriques, après quoi, elle proclame l'obligation absolue

 

264

 

pour toutes les églises, monastères, collèges, communautés, ordres, et généralement tous les clercs qui sont tenus à l'office divin, d'user de ce nouveau bréviaire, à l'exclusion de tout autre, tant en public qu'en particulier. C'est la clause que François de Harlay avait mise en tête de son bréviaire et qui se trouve répétée, presque mot pour mot, dans toutes les lettres pastorales qu'on lit dans tous les  bréviaires français depuis cette époque. Nous ne connaissons qu'une seule exception ; elle se trouve dans la lettre pastorale de l'évêque Poncet de la Rivière,  en tête du Bréviaire d'Angers de 1716. On y remarque ces paroles qui se trouvent aussi dans le Missel du  même Prélat, excepto romano Breviario ou Missali, pro reverentia primœ Sedi debita. C'eût été bien le moins, cependant, après avoir expulsé des livres liturgiques tout l'élément romain, de laisser aux clercs, que le désir d'un bréviaire plus court ne séduisait pas autant, la liberté de répéter encore ces vénérables prières,   auxquelles  personne  ne saurait enlever le caractère sacré que leur donnent l'antiquité, l'universalité; ces prières que l'Assemblée du Clergé de 16o5 regardait encore comme la Liturgie de la France.

Tel était donc le plan du nouveau bréviaire expliqué par l'archevêque de Vintimille. L'exécution ne démentait pas les promesses que nous venons de lire. Tout, ou presque tout était nouveau. Mais la nouveauté seule ne faisait pas le caractère de cette Liturgie. Elle donnait prise aux plus légitimes réclamations, et se montrait véritablement digne de ses auteurs. D'abord, toutes les hardiesses que nous avons signalées dans le Bréviaire de Harlay s'y retrouvaient fidèlement; puis, on avait enchéri sur l'œuvre de la commission de 1680. Si les auteurs de la correction du Bréviaire de Harlay s'étaient proposé de diminuer le culte et la vénération des saints, de restreindre principalement la dévotion envers la sainte Vierge, d'affaiblir l'autorité du Pontife romain, ce plan avait  été fidèlement

 

265

 

continué dans le Bréviaire de 1736; mais, de plus, on avait cherché à infiltrer les erreurs du temps sur les matières de la grâce et autres questions attenantes à celles-ci. Nous avons dit que le Bréviaire de François de Harlay avait, du moins, sur ce point, résisté à l'envahissement des nouveautés, et fortifié même, en plusieurs endroits, les dogmes de l'Église attaqués à cette époque.

1° Sur les questions soulevées par Baïus, Jansénius et Quesnel, et dirimées par l'Église, le Bréviaire de 1736 insinuait souvent, en paroles couvertes, la doctrine de Vigier, de Mésenguy et de Coffin. De nombreux retranchements avaient eu également lieu dans le but de se débarrasser d'autorités importunes.

Ainsi, pour infirmer le dogme de la mort de Jésus-Christ pour tous les hommes, on avait retranché de l'office du vendredi saint l'antienne tirée de saint Paul : Proprio filio suo non pepercit Deus, sed pro nobis omnibus tradidit illum. On avait fait disparaître d'une leçon du lundi de la Passion ces paroles : Magnum enim facinus erat cujus consideratio illos faceret desperare, sed non debebant desperare pro quibus in Cruce pendens Dominus est dignatus orare.

Pour favoriser le damnable système qui prétend que les commandements ne sont pas toujours possibles, et que l'on ne résiste jamais à la grâce intérieure, on avait fait disparaître de l'office de saint Jacques le Majeur une homélie de saint Jean Chrysostome, parce qu'elle contenait ces paroles : Christus ita locutus est ut indicaret non ipsius esse solius dare, sed eorum qui decertant accipere. Nam si solius esset ipsius, omnes hommes salvi fierent, et ad agnitionem veritatis venirent.

A la fête de sainte Agathe, une autre homélie du même saint docteur avait pareillement disparu, parce qu'on y lisait ces mots : Quod ideo dixit, ut ostenderet superiore nobis auxilio opus esse (quod quidem omnibus illud petentibus

 

266

 

paratum est) si volumus in hac luctatione superiores evadere.

On avait retranché pareillement la deuxième leçon du lundi de la Pentecôte, qui renfermait ces paroles : Ergo quantum in medico est sanare venit œgrotum (Christus). Ipse se interimit qui prœcepta medici servare non vult. Salvari non vis ab ipso : ex te judicaberis.

Dans la deuxième leçon de l'office de saint Léon, des paroles de ce saint docteur, qui semblaient mises là tout exprès pour commander l'acceptation du formulaire et la soumission à la Bulle, avaient été effacées. Mais aussi combien elles étaient expressives ! Damnent (hœretici) apertis professionibus sui superbi erroris auctores, et quidquid in doctrina eorum universalis Ecclesia exhorruit detestentur; omniaque decreta synodalia quœ ad excisionem hujns haereseos Apostolicœ Sedis confirmavit auctoritas, amplecti se et in omnibus approbare, plenis et apertis ac propria manu subscriptis protestationibus eloquantur.

Un passage de la troisième leçon de saint Martin, pape et martyr, avait également disparu. On en devinait sans peine la raison, quand on se rappelait qu'il y était parlé de l'édit de l'empereur Constant, qui prescrivait le silence sur les questions de la foi, et de la résistance du saint pape à une mesure qui compromettait si gravement les intérêts de l'orthodoxie. Les partisans du Silence respectueux avaient donc retranché les paroles suivantes : Interim Constans ut suo Typo ab omnibus subscriberetur, silentiumque in eo de quœstione Catholicos inter et Mono-thelitas agitata indictum observaretur, primum Olympium Exarchum Ravennatem Romain misit; tum Calliopam Olympii successorem, a quo Martinus cum edicto impio juxta Lateranense concilium resisteret, Roma vi abductus est, etc.

C'était dans le même esprit que l'on avait supprimé, au

 

267

 

26 novembre, l'office de sainte Geneviève du Miracle des Ardens, à cause de certaines leçons tirées de saint Irénée, et dans lesquelles étaient données les règles pour discerner les miracles des hérétiques d'avec ceux de l'Eglise catholique; ce qui devenait par trop embarrassant, si on en voulait faire l'application aux prodiges du Bienheureux Diacre.

Les additions et insertions faites au nouveau Bréviaire parisien, dans un but janséniste, étaient nombreuses : mais, en général, elles étaient prudentes, et les précautions avaient été prises, au moins d'une certaine façon, contre les réclamations des catholiques. C'est le propre de l'hérésie de procéder par équivoques, de se retrancher dans les sinuosités d'un langage captieux. Languet, dans sa discussion avec l'évêque de Troyes, a trop bien démasqué les artifices liturgiques du jansénisme pour que nous ayons besoin de faire ici autre chose que citer des exemples tirés du Bréviaire de Vigier et Mésenguy.

On sait que durant la première moitié du XVIII° siècle, les jansénistes, déconcertés de leur petit nombre comparativement au reste de l'Église qui avait accepté la Bulle, imaginèrent de se faire un mérite de ce petit nombre, prétendant que la visibilité de l'Église s'était obscurcie, que la Vérité, c'est le nom consacré par lequel ils désignaient s tout leur système, ne triompherait qu'à l'arrivée d'Élie qui était prochaine, et qui devait amener la conversion des Juifs et la régénération de l'Église, par ce renfort considérable. Les plus habiles de la secte entreprirent même de grands travaux sur l'Écriture sainte, pour appuyer ce système. Le nouveau bréviaire avait consacré tout !e corps des répons du VIIe Dimanche après la Pentecôte, à célébrer de si belles espérances. Comme toutes les paroles de ces répons étaient tirées de l'Écriture sainte, on se sentait inexpugnable. Voici cette composition :

1er R/. Surrexit Elias Propheta quasi ignis, et verbum

 

268

 

ejus quasi facula ardebat : * Verbo Dei continitit ccelum. V/. Elias honto eral similis nobis, passibilis : et oravit nt non plueret, et nonpluit; et rursumoravit,et ccelum dedit pluviam. * Verbo Dei, etc.

Ce répons est le debut de Pceuvre tout entiere : il n'y faut pas chercher d'autre intention. Voici maintenant la mission du prophete vers une veuve desolee :

2e R/. Factus est sermo Domini ad Eliam, dicens : Surge et vade in Sarepta Sidoniorum, et manebis ibi; praecepi enim ibi mulieri viduae, ut pascat te : * Surrexit et abiit in Sarepla. V/. Multae viduae erant in diebus Elice in lsrael, cum facta esset fames magna in omni terra; et ad nullam illarum missus est Elias, nisi in Sarepta Sidoniae, ad mulierem viduam. * Surrexit.

Cette grande famine qui ravageait toute la terre, est cette famine spirituelle dont la secte prétendait que l’Eglise était travaillée; aussi le prophète s'adressant au peuple, lui reproche-t-il de balancer entre la vraie et la fausse doctrine :

 

3e R/. Accedens Eliasad omnem populum, ait :Usquequo claudicatis in duas partes? * Si Dominus est Deus, sequimini eum. f. Nemo potest duobus dominis servire. * Si.

Apres ce prélude, viennent les répons du second nocturne, dans lesquels le but des rédacteurs, toujours caches derrière le prophète, devient de plus en plus manifeste. C’est Israël même qui a rompu le pacte avec Dieu; Elie se plaint d'être seul reste fidèle, et encore ses jours sont menaces.

 

4e R/. Ecce vox Domini ad Eliam; et ille respondit: Zelo zelatus sum pro Domino Deo exercituum, quia dereliquerunt pactum tuum filii Israel : * Prophetas tuos occiderunt gladio, derelictus sum ego solus, et quaerunt animam meam ut auferant eam. V/. An nescitis in Elia quid dicit Scriptura, quemadmodum interpellat Deum adversum Israel? * Prophetas.

 

269

 

Cependant Elie n'est pas seul, Israel renferme encore sept mille hommes fidèles. Le nombre n'est pas considérable, mais aujourd'hui encore, ne voit-on pas que l’élection gratuite opère dans la même proportion, jusqu'a ce que vienne la prédication d'Elie?

5e R/. Quid dicit Eliae divinum responsum? Reliqui mihi septem millia virorum qui non curvaverunt genua ante Baal. * Sic ergo et in hoc Qempore reliquice secundum electionem gratice salvce factce sunt. V/. Antequam veniat diesDomini magnus, convertet Elias cor patrum adfilios, et cor filiorum ad patres eorum * Sic ergo.

Maintenant, que fera Elie? II restituera les tribus de Jacob; il rétablira toutes choses, et ces merveilles auront lieu bientôt, car le prophète est sur le point de paraître.

6e R/. Elia, quis potest similiter sic gloriari tibi? Qui receptus es in turbine ignis,in curru equorum igneorum: qui scriptus es injudiciis temporum * Lenire iracundiam Domini, conciliare cor patris ad filium, et restituere tribus Jacob. V/. Elias quidem venturus est et restituet omnia : dico autemvobis, quia Elias jam venit. * Lenire.

Le langage devient plus expressif, au troisième nocturne. On y dénonce les faux prophètes. Ce sont d'abord les docteurs qui enseignent de faux dogmes: ceux qu'on cherche à flétrir du nom de Molinistes.

7e R/. Attendite a falsis prophetis, qui * Veniunt ad vos in vestimentis ovium, intrinsecus autem sunt lupi rapaces. V/. Non misi eos, et ipsi prophetant in nomine meo mendaciter, ut pereatis. * Veniunt.

En second lieu, ces faux prophetes sont les docteurs de la morale relâchée; le lecteur sait quelle école on désigne ainsi dans le parti.

8e R/. Prophetant de corde suo: * Consuunt pulvillos sub omni cubito manus, et faciunt cervicalia sub capite ad capiendas animas. V/. A fructibus eorum cognoscetis eos. * Consuunt.

 

270

 

En troisième lieu, ces faux prophètes sont des hommes vertueux à l'extérieur, témoin celui que les Molinistes appellent saint Vincent de Paul et que la secte persiste à vouloir toujours nommer Monsieur Vincent. Il importe donc de se prémunir contre cette troisième classe de séducteurs.

9e R/. Non omnis qui dicit mihi, Domine, Domine, intrabit in.regnum cœlorum; sed * Qui facit voluntatem Patris met, ipse intrabit in regnum cœlorum. V/. Qui custodit mandatum, custodit animant suam. * Qui.

Voilà un échantillon du savoir-faire de nos liturgistes. Que si quelques-uns de nos lecteurs trouvaient nos défiances exagérées ou injustes, nous leur conseillerons de lire les livres du parti, les ouvrages de Duguet, par exemple, les Nouvelles ecclésiastiques, etc., ils ne tarderont pas à devenir familiers à ce langage biblique de la secte. A force de rencontrer, dans les diatribes du parti contre le Pape, les évêques constitutionnaires, les jésuites, etc., les textes que nous venons de citer, ils les reconnaîtront aisément dans les répons du VII° Dimanche après la Pentecôte, et dans plusieurs autres endroits du bréviaire.

Certes, nous ne nous donnerons pas la peine et nous ne causerons pas au lecteur l'ennui d'une complète énumération des passages scabreux du Bréviaire de Vintimille : cependant nous en signalerons encore quelques-uns. Prenons, par exemple, l'office des vêpres et des complies du dimanche, office populaire, s'il en fut jamais, et voyons comment la secte s'y était prise pour lui donner une couleur nouvelle et conforme à ses vues.

Dans la Liturgie romaine, le capitule des vêpres, lecture solennelle après la psalmodie, a pour but de recueillir la prière d'action de grâces du peuple fidèle, dans ce jour du Seigneur dont le repos est à la fois un acte religieux et Une consolation. Quoi de plus touchant et de plus propre à inspirer la confiance en Dieu, que ces belles paroles de saint Paul !

 

271

 

Benedictus Deus et Pater Domini nostri Jesu Christi, Pater misericordiarum et Deus totius consolationis qui consolatur nos in omni tribulatione nostra!

Ne voit-on pas que le choix de ces divines paroles n'a pu être fait que par notre miséricordieuse Mère la sainte Église, qui cherche toujours à nourrir et accroître notre abandon envers notre Père céleste. Elle n'approuve pas qu'on effraye les fidèles en mettant trop souvent sous leurs yeux les terribles mystères de la prédestination et de la réprobation, mystères à l'occasion desquels plusieurs ont fait naufrage dans la foi (1). La secte janséniste, au contraire, ne voit qu'une chose dans la religion; elle ne parle que de prédestination, d'efficacité de la grâce, de nullité de la volonté humaine, de pouvoir absolu de Dieu sur cette volonté. Voici donc comment elle a frauduleusement remplacé le sublime capitule que nous venons de lire. Remarquons que le passage qu'elle y a substitué commence à peu près de la même manière, pour atténuer, autant que possible, le fait du changement ; mais lisons jusqu'au bout :

 

(1) C'est la pratique générale de tous les temps et de tous les lieux, si on excepte l'époque du pélagianisme, dans laquelle il était nécessaire de prémunir les fidèles contre l'erreur ; encore doit-on remarquer une grande différence entre le ton de saint Augustin dans ses Lettres et ses Traités, et celui qu'il prend sur les mêmes matières dans ses Discours populaires et ses Homélies. Nous rappellerons ici les Règles que donne sur cet article saint Ignace de Loyola, à la fin du fameux livre des Exercices, livre dont la doctrine est formellement approuvée et garantie par le Siège apostolique: Decima quarta Regula. Advertendum quoque et quamquam verissimum sit nemini contingere salutem nisi prœdestinato ; circumspecte tamen super hoc loquendum esse, ne forte gratiam seu praedestinationem Dei nimis extendentes, liberi arbitrii vires et operum bonorum merita excludere velle videamur. A la Règle quinzième, il est dit: Similem ob causam frequens deprœ destinations sermo habendus non est. A la dix-septième : De gratia ergo ipsa diffuse quidem loqui fas est, Deo aspirante, sed quatenus in gloriam ejus uberiorem redundat, idque juxta modum convenientem, nostris prœsertim temporibus tam periculosis, ne et liberi arbitrii asus et operum bonorum efficacia tollatur.

 

272

 

Benedictus Deus et Pater Domini nostri Jesu Christi, qui benedixit nos in omni benedictione spirituali in cœlestibus in Christo, sicut, elegit nos in ipso ante mundi constitutionem, ut essemus sancti et immaculati in conspectu ejus in charitate.

Le chrétien qui écoute la lecture du premier de ces deux capitules, entendant dire que Dieu est le Père des miséricordes, le Dieu de toute consolation, si, dans ce seul jour de la semaine, où un peu de loisir lui est donné pour réfléchir sur son âme, il sent en lui-même quelques désirs d'amendement, trouvera dans ces douces paroles un motif de conversion ; il se lèvera, et, comme le prodigue, il ira à son Père. Le pécheur, au contraire, qui entend lire le second capitule et qui sent que dans ce moment il n'est ni saint, ni immaculé, où prendrait-il la force de se relever? On lui dit que, pour parvenir au salut, il faut avoir été élu en Jésus-Christ avant la création du monde. Quelle garantie aura-t-il de cette élection pour lui-même ? Dans cette incertitude, il ne répondra pas aux avances que la grâce lui faisait au fond de son cœur. Il secouera le joug d'une religion qui désole, au lieu de consoler. On convient assez généralement aujourd'hui que le prédestinationisme plus ou moins triomphant dans la chaire, et le rigorisme de la morale, ont été pour moitié dans les causes de l'irréligion, au XVIII° siècle.

L'hymne de saint Grégoire, Lucis Creator optime, qui suit le capitule, dans l'office des vêpres du Bréviaire romain, et dans laquelle l'Église remercie avec tant de noblesse et d'onction le Créateur, pour le don sublime de la lumière physique, et lui demande la lumière des âmes, avait été supprimée. En place, on lisait une hymne de Coffin, pièce d'un langage élevé et correct, il est vrai; mais, à la dernière strophe, un vers avait été lancé à dessein. On y demandait à Dieu qu'il veuille nous adapter à toute espèce de bien. Adomne nos apta bonum. Sans doute,

 

273

 

cette expression est de saint Paul; mais il y a longtemps que saint Pierre nous a prévenus que les hérétiques détourneraient les paroles de ce grand Apôtre des Gentils à des sens pervers (1), et ce vers de l'hymne ne rappelle que trop l'affectation avec laquelle le texte dont il a été emprunté a été placé dans la bénédiction du Lecteur, à l'office de prime, en cette manière: Deus pacis aptet nos in omni bono, ut faciamus ejus voluntatem, faciens in nobis quod placeat coram se. Ce sont précisément ces paroles et d'autres semblables que les jansénistes nous objectent, pour établir leur système de l'irrésistibilité de la grâce. On sait bien que l'Écriture est la parole de Dieu; mais on sait aussi qu'elle est un glaive à deux tranchants qui peut défendre de la mort, ou la donner, suivant la main qui l'emploie. C'est ici le lieu de se rappeler la remarque de Languet sur des textes du même genre dans le Missel de Troyes. Si, au temps de l'hérésie arienne, quelqu'un se fût avisé de composer une antienne avec ces paroles : Pater major me est ; ou, au temps de la Réforme, avec celles-ci : Spiritus est qui vivificat; caro autem non prodest quidquam, n'eût-on pas eu raison de considérer de pareilles antiennes comme hérétiques par suite de leur isolement du contexte sacré? Cependant, l'Écriture sainte toute seule en eût fourni la matière.

A l'office de complies, l'Église romaine met les psaumes sur une antienne tirée de l'un d'eux, et qui est un cri du cœur vers Dieu, au milieu des ombres de la nuit. Miserere mihi, Domine, et exaudi orationem meam ! Le nouveau bréviaire n'avait pas voulu garder cette antienne. C'était pourtant   une  prière,  et  une prière tirée  de l'Écriture

 

(1) Sicut et carissimus frater noster Paulus secundum datam sibi sapientiam scripsit vobis, sicut et in omnibus Epistolis, loquens in eis de his in quibus sunt quaedam difficilia intellectu, quae indocti et instabiles depravant, sicut et caeteras Scripturas, ad suam ipsorum perditionem. (II Pet., III, 15, l6.)

 

274

 

sainte. On avait mis en place un verset du psaume XC : Scuto circumdabit te veritas ejus; non timebis a timore nocturno. Qu'est-ce que cette vérité qui sert de bouclier au fidèle ? quelle est cette nuit dont il ne faut pas craindre les terreurs? Les écrits du parti ne cessent de parler de l'une et de l'autre. La vérité, c'est la doctrine opposée à la bulle; la nuit, c'est l'obscurcissement de l'Église.

Écoutons-les maintenant, dans le capitule qui vient bientôt après cette antienne :

Omnes vos filii lucis estis et filii diei; non sumus noctis neque tenebrarum; igitur, non dormiamus sicut et cœteri, sed vigilemus et sobrii simus.

 

Toujours même esprit : Les enfants de la lumière, et les enfants des ténèbres; ne pas dormir comme les autres. Tout cela serait parfait, en d'autres temps, et dans une autre bouche; mais que l'Église romaine a bien un autre esprit, lorsqu'au lieu de placer ici une froide exhortation, elle s'écrie avec tendresse au nom de ses enfants :

Tu autem in nobis es, Domine, et nomen sanctum tuum invocatum est super nos; ne derelinquas nos, Domine Deus noster!

Vient ensuite le R/. In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum. Le nouveau bréviaire l'avait gardé; mais voyez ici la différence de la véritable mère d'avec celle qui n'en a que le nom. L'Église romaine, afin que chaque fidèle puisse répéter avec confiance ces douces paroles: In manus tuas commendo spiritum meum, émet tout aussitôt le motif qui produit cette confiance dans le cœur du dernier de ses enfants. Tous ont droit d'espérer, car tous ont été rachetés : Redemisti nos, Domine, Deus veritatis. Écoutez maintenant Vigier et Mésenguy : Redemisti me, Domine, Deus veritatis. La rédemption, suivant eux, n'est pas une faveur générale; le Christ n'est pas mort pour tous. L'Église ne peut donc pas dire : Redemisti nos! Que si vous leur reprochez l'altération du répons, ils vous diront

 

275

 

qu'ils n'ont fait que rétablir le texte sacré; que dans l'Écriture il y a redemisti me. — Sans doute, et c'est pour cela même que l'Église, interprète de l'Écriture, craignant qu'on tirât de fausses conséquences, avait dit : Redemisti nos. Dans la Liturgie, il arrive sans cesse que des passages de l'Écriture sont interprétés, adaptés pour la nécessité du service divin. Les nouveaux livres ont eux-mêmes retenu un certain nombre de prières dans lesquelles les paroles de l'Écriture ont été modifiées par l'Église. Ils en ont même de nouveaux, composés dans le même goût.

Après le répons bref, le Bréviaire romain, toujours attentif à nourrir les fidèles de sentiments affectifs et propres à entretenir la confiance, avait ajouté cette touchante prière dans le verset :

Custodi NOS, Domine, ut pupillam oculi; sub umbra alarum tuarum protege NOS.

C'est la même intention que dans le redemisti nos. Le nouveau bréviaire, toujours d'après le même système, individualisant la rédemption et ses conséquences, avait mis sous le même prétexte de l'intégrité du texte sacré : Custodi me, protège me.

Mais voici quelque chose de bien plus fort, et en quoi apparaît merveilleusement l'intention des novateurs dans tout cet ensemble. L'Église romaine, après le cantique de Siméon, mettait dans la bouche de ses enfants, prêts à se livrer au repos, une antienne composée de ces touchantes paroles : Salva nos, Domine, vigilantes; custodi nos dormientes, ut vigilemus cum Christo et requiescamus in pace. Le nouveau bréviaire, après avoir expulsé cette pieuse formule, la remplaçait par ce verset de la Bible : Domine, dabis pacem nobis; omnia enim opera nostra operatus es nobis. On en voit l'intention. Pendant toute la journée qui va finir, nous n'avons point agi; c'est la grâce qui a fait nos œuvres. Que le Seigneur maintenant nous donne le repos, comme il nous a donné l'action. Tel était l'office

 

276

 

des compiles dans le nouveau bréviaire. Sous le masque de cette exactitude littérale au texte sacré, nos faiseurs, comme les appelle Languet, se sentaient inexpugnables vis-à-vis de gens qui leur avaient accordé ce principe, qu'on devait composer l'office divin avec des passages de l’Écriture : cette dangereuse opinion, ressuscitée depuis un demi-siècle, avait prévalu dans la plupart des esprits. Nous avons vu que tout le zèle de Languet n'avait pu obtenir que la rétractation de l'évêque de Troyes portât sur cet article.

Ce n'était pas seulement l'Écriture sainte que les rédacteurs du bréviaire avaient fait servir, à force de la tronquer, au plan criminel qu'ils s'étaient proposé, de faire de la Liturgie un moyen de soutenir le jansénisme. Dans leurs mains, l'antiquité chrétienne, soumise au même système de mutilation, n'était pas une arme moins dangereuse pour l'orthodoxie. Les passages des Pères placés dans les leçons, loin d'être dirigés contre les nouvelles erreurs sur la grâce, ainsi qu'on avait eu soin de le faire en plusieurs endroits du Bréviaire de Harlay, donnaient plutôt à entendre, au moyen de coupures faites à propos, des sens tout opposés à ceux de la vraie doctrine. On avait placé une suite de canons des conciles à l'office de prime, et cette innovation, que d'ailleurs nous sommes loin de blâmer en elle-même, outre qu'elle servait le système de ces docteurs qui depuis tant d'années ne cessaient de redemander l'ancienne discipline, avait été conduite de manière à ce qu'on n'y rencontrât pas une seule citation des décrétâtes des Pontifes romains, qui ont pourtant dans l'Église une autorité supérieure, pour le moins, à celle d'une infinité de conciles particuliers et même de synodes qu'on y voit cités. On avait trouvé moyen de placer, au mardi de la quatrième semaine de carême, quelques paroles du onzième canon du troisième concile de Tolède, en 589, qui enchérissaient sur la quatre-vingt-septième proposition

 

277

 

de Quesnel. Voici le canon : Secundum formam Canonum antiquorum dentur pœnitentiœ, hoc est, ut prias eum quem sut pœnitet facti,, a communione suspensum facial inter reliquos pœnitentes ad manus impositionem crebro recurrere; expleto autem satisfactionis tempore, sicuti sacerdotalis contemplatio probaverit, eum communioni restituat. Voici maintenant la proposition de Quesnel : Modus plenus sapientia, lumine et charitate, est dare animabus tempus portandi eum humilitate, et sentiendi statum peccati, petendi spiritum pœnitentiœ et contritionis, et incipiendi ad minus satisfacere justitiœ Dei, antequam reconcilientur. Il y avait, certes, en tout cela, de quoi faire ouvrir les yeux aux moins clairvoyants.

Quant aux hymnes du nouveau bréviaire, elles étaient généralement fort discrètes sur l'article de la grâce. L'intention secrète était aisée à sentir; mais les mots trahissaient rarement le poète. Coffin, si supérieur à Santeul, excellait à rendre, dans ses strophes, les fortes pensées de l'Épître aux Romains; son vers cherchait l'écueil avec: audace, mais l'évitait avec une prudence infinie. Chacune de ses hymnes, prise vers par vers, était irréprochable pour ce qu'elle disait; on ne pouvait reprocher à l'ensemble que ce qu'il ne disait pas. Mais ce silence était la plus complète déclaration de guerre, de la part d'une secte qui avait écrit sur son drapeau : Silence, et même Silence respectueux. Nous en avons assez dit sur l'indignité irrémédiable de Coffin à remplir,dans l'Église catholique, le rôle d'hymnographe. Il était notoirement hors l'Eglise : ceci dit tout. Il n'est donc même pas nécessaire de rappeler àson propos les notes fixées par saint Bernard, dans sa fameuse lettre à Guy, abbé de Montier-Ramey, et dont nous avons fait ci-dessus l'application à Santeul. Au reste, ce dernier hymnographe triomphait dans le nouveau bréviaire, à côté de Coffin ; il y avait obtenu une plus large place que dans celui de Harlay. On remarquait

 

278

 

surtout son hymne des évangélistes, dans l'office de saint Marc et de saint Luc, et les jansénistes se délectaient dans la fameuse strophe citée plus haut :

 

Insculpta saxo lex vetus

Proecepta, non vires dabat :

Inscripta cordi lex nova

Quidquid jubet dat exequi.

 

Pour en finir sur les hymnes du nouveau bréviaire, nous dirons que cette œuvre en renfermait un grand nombre; ce qui prouvait que si les rédacteurs comme D. de Vert et Le Tourneux, craignaient la parole humaine, dans les antiennes et les répons, comme eux auçsi, ils Ja souffraient bien volontiers dans d'autres compositions. Au reste, on avait retenu un certain nombre d'anciennes hymnes dont plusieurs avaient été retouchées par Coffin; d'autres enfin appartenaient à Santeul de Saint-Magloire, La Brunetière, Habert, Pétau, Commire, Le Tourneux, Besnault, curé de Saint-Maurice de Sens, etc.

2° Si maintenant nous considérons la manière dont le nouveau bréviaire avait traité le culte des saints, on dirait que les auteurs avaient pris à tâche d'enchérir sur les témérités de François de Harlay. Déjà, nous avons vu combien le système de la prépondérance du dimanche sur toutes les fêtes occurrentes, à moins qu'elles ne fussent du premier degré, système admis dans tous les nouveaux bréviaires et dans celui de Paris en particulier, enlevait de solennité au culte des saints ; combien, sous couleur de rétablir les usages de l'antiquité, il était en contradiction avec l'Église romaine, à qui il appartient d'instruire les autres Églises par ses usages. Encore on ne s'était pas borné à établir une règle aussi défavorable au culte des saints, le calendrier avait subi les plus graves réductions. En janvier,on avait supprimé les octaves de saint Etienne, de saint Jean, des saints Innocents et même de sainte

 

279

 

Geneviève, la fête de sainte Émérentienne et l'antique Commémoration de sainte Agnès, au 28, qui est regardée comme un des plus précieux monuments liturgiques du calendrier grégorien, En février, la Chaire de saint Pierre à Antioche avait disparu. En mars, saint Aubin n'avait plus qu'une simple mémoire. En avril, la fête de saint Vital était retranchée, le culte de saint Georges et de saint Eutrope était réduit à une commémoration. En mai, on avait effacé les saints Alexandre, Éventien et Théodule, sainte Domitille, la Translation de saint Nicolas, saint Urbain, les saints Cantius, Gantianus et Cantianilla. En. juin, on ne retrouvait plus les saints Basilide, Cyrinus, Nabor et Nazaire, les saints Modeste et Crescence, les saints Marc et Marcellien, ni les octaves de saint Jean-Baptiste et de saint Pierre et saint Paul. En juillet, étaient effacés saint Thibault, les saints Processe et Martinien saint Alexis, sainte Marguerite, sainte Praxède, les saints Abdon etSennen. En août, avaient disparu sainte Suzanne, saint Cassien, saint Eusèbe, saint Agapet, les saints Timothée et Apollinaire, et les saints Félix et Adaucte. Le mois de septembre ne présentait d'autre suppression que celle de saint Nicomède. Saint Marc et saint Callixte, papes, avaient été retranchés, au mois d'octobre. En novembre, on avait ôté les Quatre Couronnés, saint Théodore, l'octave de saint Martin, saint Mennas, sainte Félicité, sainte Geneviève du Miracle des Ardens; saint Martin, pape, était réduit à une simple commémoration. Décembre, enfin, avait vu disparaître sainte Barbe et l'octave de la Conception ; saint Thomas de Cantorbéry était transféré au mois de juillet, et saint Sylvestre réduit à une simple mémoire.

L'Église de Paris, comme l'on voit, en acceptant le nouveau bréviaire, se privait, de gaieté de cœur, d'un grand nombre de protecteurs, et il est difficile d'exprimer quel avantage elle pouvait tirer d'une si étrange épuration du

 

280

 

calendrier. Nous allons examiner en détail quelques-unes de ces suppressions, mais nous ne pouvons dès à présent nous empêcher de signaler comme déplorable le système d'après lequel on privait l'Eglise de Paris de deux fêtes de sa glorieuse patronne. En outre, parmi ces divers saints sacrifiés à l'antipathie janséniste, si la plupart, tirant leur origine du calendrier romain, rappelaient d'une manière trop expresse la source à laquelle l'Église de Paris, durant neuf siècles, avait puisé sa Liturgie, plusieurs de ces saints qui appartiennent exclusivement à la France, comme saint Aubin, saint Eutrope, saint Thibault, n'en avaient pas moins été honteusement expulsés. On remarquait aussi que le nouveau calendrier ne renfermait presque aucun des saints nouvellement canonisés, quoiqu'ils eussent bien autant de droit aux hommages de l'Église de Paris que ceux des premiers siècles. Mais cette fécondité de l'épouse du Christ qui lui fait produire en chaque siècle des fils dignes de sa jeunesse, démentait trop fortement le système de la secte sur la vieillesse de l'Église, et pouvait devenir gênante dans ses conséquences.

Un bouleversement notable avait eu lieu dans le calendrier des mois de mars et d'avril. On cherchait en vain à leurs jours propres saint Thomas d'Aquin, saint Grégoire le Grand, saint Joseph, saint Joachim, saint Benoît, sainte Marie Égyptienne, saint Léon le Grand. Le désir de donner plus de tristesse au temps du carême, avait porté nos réformateurs à les rejeter à d'autres jours, choisis presque toujours arbitrairement. Par là les églises, les corporations placées sous le patronage de ces saints, se voyaient frustrées de leurs traditions les plus chères ; les fidèles, qui ne pouvaient rien comprendre aux motifs d'une semblable mesure, se trouvaient pareillement dans l'embarras pour connaître le jour auquel ils célébreraient désormais les saints qui étaient l'objet de leur dévotion particulière. S'ils sortaient du diocèse de  Paris pour  aller dans   un

 

281

 

autre, ils retrouvaient leurs saints bien-aimés aux mêmes jours auxquels ils avaient eu coutume de les célébrer : comment expliqueraient-ils ces variations inouïes jusqu'alors ? Et plût à Dieu que les nouvelles Liturgies n'eussent contribué, que par ce seul endroit, à dépopulariser en France les choses de la religion !

Si maintenant nous examinons la manière dont les offices des saints en eux-mêmes avaient été traités dans le nouveau bréviaire, nous sommes bien obligé de dire qu'on avait encore enchéri sur le Bréviaire de Harlay. La censure de la Sorbonne, contre le Bréviaire d'Orléans de 1548, était applicable de mot à mot aux nouveaux offices. Des fêtes de neuf Leçons avaient été réduites à trois, et des fêtes de trois Leçons n'avaient plus qu'une simple mémoire. La plupart du temps, on avait retranché les miracles des saints. Plusieurs traits importants pour l'édification avaient été élagués, comme le récit des jeûnes, des macérations des saints, les fondations et dotations d'églises faites par eux. On avait supprimé leurs hymnes propres, leurs antiennes, etc. (1). Ainsi parlait l'Université de Paris, en 1548, et elle ajoutait que ces changements étaient une chose imprudente, téméraire, scandaleuse, et qui donnait même quelque lieu de soupçonner l'envie de favoriser les hérétiques.

Il faudrait un volume entier pour relever toutes les intentions qui ont présidé à la rédaction du corps des légendes des saints, dans le nouveau bréviaire. C'est là que l'art des réticences est porté à la perfection, que la nouvelle critique s'exerce dans toute son audace et aussi dans toute sa sécheresse. Nous aurons le loisir d'y revenir jour par jour, dans l'explication générale de l'office divin ; mais nous ne pouvons mieux qualifier toutes ces légendes, qu'en disant qu'elles forment, pour l'esprit et  la

 

(1) Vid. ci-dessus. Tome I, page 438.

 

382

 

couleur, un abrégé exact des Vies des saints, malheureusement trop répandues, de l'acolyte Mésenguy, qui n'avait ainsi qu'à mettre en latin, en le rétrécissant encore, son propre ouvrage.

La lettre pastorale nous dit qu'on a  évité  tout ce qui pourrait nourrir, à l'égard des saints, une stérile admiration, et comme nous l'avons remarqué à ce propos, cette crainte a été cause que l'on a gardé le silence sur les stigmates de saint François. C'est sans doute dans une semblable intention que, dans la vie du même patriarche, on avait retranché les célèbres paroles par  lesquelles il exhorte, en mourant, ses disciples à garder la pauvreté, la patience et la foi de la sainte Église romaine. On ne saurait croire jusqu'à quel degré cette manie d'effacer, de cacher, de dissimuler les traditions sur les saints, était parvenue. Quel homme, par exemple, en lisant ces paroles au sujet de la mère de saint Dominique, hunc mater dum utero gestaret quœdam vidisse per quietem traditur, penserait que cette illustre femme vit un chien tenant dans sa gueule un flambeau, pour embraser le monde ? Tout ce magnifique symbolisme est rendu par nos  faiseurs  dans ce seul mot : Quœdam. Nous citons ce trait entre mille. Réunissez deux clercs, dont l'un récite   le Bréviaire  de Vintimille et l'autre le Bréviaire romain : supposons qu'ils ne connaissent l'un et l'autre la vie des saints que par les leçons de leur bréviaire. Qu'ils aient maintenant l'un et l'autre à s'expliquer du haut de la chaire sur les actions, les vertus, les miracles, les attributs des saints.   Le premier ne pourra rendre raison que d'un petit  nombre  de faits et de traditions; le second sera à même de dispenser avec munificence un trésor de lumière et d'édification. Quand la foi est vive dans un pays, le culte des saints, la connaissance de leurs actions et des merveilles que Dieu a opérées en eux, y sont populaires; quand cette dévotion diminue, la vraie piété  s'éteint,  le rationalisme  envahit

 

283

 

tout. Or, c'est dans les églises que le culte des saints se nourrit et se réchauffe ; c'est dans les hymnes et les antiennes séculaires qu'il se conserve. Gardée à la fois par les chants de l'autel et les vitraux du sanctuaire, la légende sacrée ne s'efface pas et protège la foi des générations. Quand donc reverrons-nous les merveilles des siècles catholiques ? Sera-ce quand nous aurons beaucoup de cathédrales rebâties dans le style du XIII° siècle, beaucoup de pastiches des arts du moyen âge ? Non, ce sera quand nous aurons réappris la vie des saints, quand nous comprendrons leurs héroïques vertus, quand nos cœurs auront retrouvé cette foi naïve qui faisait qu'on était en repos sur ses besoins spirituels et corporels, quand on avait prié devant la châsse qui renfermait les ossements de ces amis de Dieu. Ces temps doivent-ils revenir pour nous ? Nous ne savons ; mais nous tenons pour assuré que si l'antique vénération des saints doit de nouveau consoler notre patrie, les légendes du Bréviaire de Paris auront alors disparu du livre des prières du prêtre.

3° Quant à la manière dont le culte de la sainte Vierge, ce culte que les théologiens, à cause de son excellence propre, nomment hyperdulie, avait été traité dans le nouveau bréviaire, nous n'en pouvons parler qu'avec un profond sentiment de tristesse. On peut dire que c'est là la grande plaie des nouveaux bréviaires, et les gens les plus bienveillants, ou, si l'on veut, les mieux prévenus, sont bien obligés de convenir que les rédacteurs ont eu l'intention expresse de diminuer les manifestations de la piété catholique envers la Mère de Dieu. Nous avons raconté les attentats sanctionnés par François de Harlay, dans le bréviaire de 1680 ; mais du moins, dans ce livre, on avait gardé des mesures : on n'en gardait plus dans le Bréviaire de 1736. Voici d'abord comment avaient été déshonorées les hymnes les plus chères à la piété catholique. Commençons par l'Ave, maris Stella. Cet admirable cantique

 

284

 

qui fait la joie et la consolation de l'Église, exprime avec assurance le pouvoir de Celle qui n'a besoin que de demander à son Fils pour obtenir, et qui nous sauve par sa prière, comme Lui par sa miséricorde. L'Église demande ses besoins à Marie, parce qu'elle peut les soulager, en les exposant maternellement au Sauveur :

 

Sumat per te preces

Qui pro nobis natus

Tulit esse tuus.

 

Jaloux de ce pouvoir de recommandation accordé à une pure créature, le farouche jansénisme avait en horreur cette hymne si tendre. Chargé de la réformer, il se livre à cette oeuvre avec joie ; il se gardera bien de la remplacer par une autre. Il aime mieux la corriger, la rendre chrétienne, faire la leçon à l'Église romaine et à toutes celles qui la suivent, insulter enfin l'idolâtrie papiste dans ses derniers et plus sacrés retranchements. Nous allons placer en regard la leçon catholique, et celle de Coffin, en demandant toutefois pardon à la Reine du ciel et de la terre, de donner cette publicité à un des outrages les plus sanglants et les plus froidement calculés qu'elle ait reçus. Mais nous devons dire la vérité et faire connaître les hommes qui disposaient alors de la Liturgie.

 

Texte de l'Église romaine, conservé par François Harlay.

Texte de Coffin dans le de Bréviaire de Vintimille.   (1ère édition).

 

Ave, maris Stella,

Dei Mater alma,

Atque semper Virgo,

Felix cœli porta.

 

Sumens illud ave

Gabrielis ore

Funda nos in pace

Mutans Evae nomen.

Solve vincla reis,

Profer lumen caecis,

Mala nostra pelle,

Bona cuncta posce.

 

Monstra te esse matrem,

Sumat per te preces

Qui pro nobis natus

Tulit esse tuus.

 

Virgo singularis

Inter omnes mitis,

Nos culpis solutos

Mites fac et castos.

 

Vitam praesta puram,

Iter para tutum,

Ut videntes Jesum,

Semper collœtemur,

 

Sit laus Deo Patri,

Summo Christo decus,

Spiritui sancto,

Tribus honor unus.

 

 

 

Ave, Maris Stella,

Dei Mater alma,

Atque semperVirgo,

 Felix cœli porta.

 

Virgo singularis,

Veras vitae parens,

Quae mortem invexit

Mutas Evœ nomen.

Cadant vincla reis,

Lux reddatur caecis,

Mala cuncta pelli,

Bona posce dari.

 

Monstra te esse matrem,

Sumat per te preces

Qui pro nobis natus

Tulit esse tuus.

 

Ce Verset a totalement disparu dans le travail de Coffin. Il aura sans doute désespéré d'en pouvoir faire la parodie.

 

 

Vitam posce puram,

Iter para tutum,

Ut videntes Jesum,

Semper collaetemur.

 

Sit laus summa Patri :

Sit laus Nato compar

Cum Spiritu sancto :

Tribus honor unus. Amen.

 

                                

                                

 

285

 

 

On voit que, pour démentir les expressions de la piété catholique, le poète, d'ordinaire si exact sur le mètre, n'avait pas été exigeant cette fois. Les fautes contre la quantité abondent dans ces strophes de nouvelle et janséniste fabrique.

Passons maintenant à une autre hymne de la sainte Vierge, non moins maltraitée par Coffin. C'est celle où l'Église appelle Marie la Mère de la grâce et de la miséricorde, et demande pour ses enfants la faveur d'être reçus par Elle au moment de leur mort.

 

Texte de l'Église romaine conservé par François de Harlay.

Texte de Coffin, dans le Bréviaire de Vintimille (1ère édition).

 

 

Memento salutis autor

Quod nostri quondam corporis

Ex illibata Virgine

Nascendo formam sumpseris.

 

Maria, mater gratiae,

Mater misericordiae, 

Tu nos ab hoste protege 

Et hora mortis suscipe.

 

 

Memento de Deo Deus

Quod matre natus Virgine

Nostri misertus, perditi

Mundi redemptor veneris.

 

Et nos Dei Virgo parens,

 Vultu benigno respice :

 Placabilem tua prece

 Fac esse nobis filium.

 

                            

 

286

 

La doxologie est, à peu de chose près, la même.

Ce titre de Mère de miséricorde, que l'amour et la reconnaissance du peuple fidèle ont donné à Marie, était encore effacé de l'hymne de compiles : Virgo, Dei Genitrix. La troisième strophe ainsi conçue :

 

Te Matrem pietatis

Opem te flagitat orbis :

Subvenias famulis,

O benedicta, tuis;

 

avait été totalement supprimée et remplacée par celle-ci :

 

Suscipe quos pia plebs

Tibi pendere certat honores :

Annue, sollicita

Quant prece poscit opem.

 

Si on n'avait pas osé supprimer les antiennes à la sainte Vierge : Alma Redemptoris; — Ave, Regina cœlorum; — Regina cœli, lœtare, et Salve, Regina; on avait du moins trouvé moyen de les priver de leurs Versets si populaires

; et si vénérables, Angelus Domini; Post Partum, Virgo ; — Dignare me laudare te; — Gaude et lœtare, et même Ora pro nobis, sancta Dei Genitrix. Ces Versets avaient fait place à des phrases bibliques dont la plupart n'offraient qu'un sens accommodatice et très-froid.

Pour ce qui est des fêtes mêmes de la sainte Vierge, on était à même de voir, à leur occasion, le plan de la secte se développer sur une plus grande échelle. D'abord, l'office du jour de la Circoncision, octave de Noël, qui jusqu'alors avait été en grande partie employé à célébrer la divine Maternité de Marie, avait perdu les dernières traces de cette coutume grégorienne à laquelle le Bréviaire de Harlay

 

287

 

lui-même si peu favorable au culte de la sainte Vierge, n'avait pas cru pouvoir déroger. Non-seulement les fameuses antiennes O admirabile commercium — Quando natus es — Rubum quem viderat — Germinavit— Ecce Maria — Mirabile mysterium — Magnum hœreditatis mysterium, qui sont au nombre des plus précieux monuments de la foi de l'Église au mystère de l'Incarnation, ayant été composées dans l'Eglise romaine à l'époque des conciles d'Éphèse et de Chalcédoine, avaient disparu jusqu'à la dernière syllabe; mais, parmi les textes des saintes Écritures qu'on avait mis à la place, rien ne rappelait la mémoire de l'antique solennité qui consacrait depuis tant de siècles le jour des Calendes de Janvier au culte de la Mère de Dieu.

Le deuxième jour de février, quarantième du divin Enfantement, continuait d'être désigné sous ce nom :   Présentation  du Seigneur   et   Purification  de la   sainte Vierge. Cette hardiesse, qui avait passé du Bréviaire de Cluny dans la plupart des autres bréviaires français, de 1680 à 1736, se faisait aussi remarquer dans le nouveau calendrier, Du moins, la désignation de  cette fête était encore remarquable par le nom de Marie, qui continuait toujours d'être exclu du titre de la fête de l’ Annonciation. C'était toujours Annunciatio Dominica, l’ Annonciation de Notre-Seigneur, que bientôt, dans d'autres Diocèses, on appela  l'Annonciation  et l'Incarnation   de  Notre Seigneur, ou l'Annonciation de l'Incarnation de Notre-Seigneur.   La   France presque tout entière était   donc destinée à perdre cette magnifique solennité de la Mère de Dieu, qui lui fut si chère à ce titre dans le passé, et que l'Église romaine regarde encore et regardera toujours comme le fondement de la gloire de Celle qui, seule, a détruit toutes les hérésies dans le monde entier. Au reste, un grand nombre  de fidèles  de France, ceux qui sont membres des pieuses associations que le Siège apostolique a enrichies de ses faveurs, n'ont point cessé de demeurer

 

288

 

en union avec les autres Églises, dans la solennité du 25 Mars. Ils sont avertis par l'annonce des indulgences et par de pieux exercices, que cette fête est une fête de Marie. Quand donc elle aura été rendue à notre patrie, cette chère solennité, ces pieuses traditions formeront la vénérable chaîne à l'aide de laquelle on pourra prouver que les vœux et les hommages offerts à la libératrice du genre humain, au jour même où le Verbe s'est fait chair, n'ont point souffert, en France, une interruption totale.

L'office de la fête de l'Assomption avait été privé de ses glorieuses antiennes si expressives : Assumpta est Maria in cœliim — Maria Virgo assumpta est — Exaltata est sancta Dei Genitrix. Les voûtes de Notre-Dame, qui les avaient jusqu'alors répétées, même sous l'épiscopat des Harlay et des Noailles, allaient être condamnées à les oublier pour de longues années. On n'entendrait plus lire non plus ces beaux sermons de saint Jean Damascène, déjà mutilés par François de Harlay,qui célébrait avectant d'amour et de magnificence le triomphe de la Vierge bénie.

La Nativité de Marie avait perdu le brillant cortège de ces imposantes et mélodieuses antiennes, dans lesquelles la voix de la sainte Église retentit avec tant d'éclat pour annoncer aux peuples l'aurore du soleil de justice : Nativitas gloriosœ — Nativitas est hodie — Regali ex progenie— Corde et animo — Christo canamus—Cum jucunditate — Nativitas tua, Dei Genitrix Virgo, etc., etc. Des textes de l'Écriture, amenés la plupart dans un sens accommodatice et vides du nom de Marie, avaient remplacé tout cet ensemble de chants séculaires.

Et la fête de la Conception, quel soin n'avait-on pas pris de la dégrader ? D'abord, on l'avait maintenue au rang de solennel mineur, auquel l’avait abaissée François de Harlay ; mais, de plus, on avait osé supprimer l'octave de cette grande fête; cette octave que Louis XIV avait demandée, pour la France, à Clément IX, que, depuis, Innocent XII

 

289

 

avait étendue au monde entier, l'Église de Paris ne la célébrerait plus, et elle entraînerait dans cette lamentable défection le plus grand nombre des Églises du royaume!

4° Il nous semble que nous en avons dit assez pour dévoiler l'intention expresse qu'avaient eue les auteurs du nouveau bréviaire de diminuer le culte de la sainte Vierge. Montrons maintenant ce qu'ils avaient fait contre l'autorité du Siège apostolique. D'abord, jusqu'à la publication du nouveau bréviaire, l'Église de Paris avait célébré, avec toute l'Église, au 18 janvier, la Chaire de saint Pierre à Rome, et au 22 février, la Chaire du même apôtre à Antioche, pour honorer le souverain Pontificat qui avait eu son siège successivement dans ces deux villes. C'était trop pour Vigier et Mésenguy, d'employer deux jours de l'année à la confession d'un dogme aussi odieux à la secte que Test celui de la principauté papale. Ils avaient donc réuni les deux Chaires en un même jour, et brisé encore sur ce point avec Rome et toutes les Églises qui la suivent. L'invitatoire des matines était aussi fort remarquable. En place de l'ancien qui était ainsi conçu : Tu es Pastor ovium, Princeps Apostolorum, tibi tradidit Deus claves regni cœlorum, on avait substitué celui-ci : Caput corporis Ecclesiœ Dominum, venite adoremus. Certes, un calviniste n'aurait garde de se scandaliser d'un tel invitatoire. Mais il faut avouer qu'il est par trop fort d'avoir été choisir le jour de la Chaire de saint Pierre, chef de l'Église, pour s'en venir taire dans l'invitatoire l'objet de la fête, ou plutôt pour donner le change sur cet objet. On reconnaît là le même génie qui a créé la fameuse oraison de saint Damase : Nullum primum nisi Christum sequentes, etc.

Au reste, cet office de la Chaire de saint Pierre était remarquable par une hymne de Coffin, dont une strophe donnait prise à une juste critique et excita des réclamations.  La voici; le poëte s'adresse  à  saint Pierre :

 

290

 

Cœlestis intus te Pater addocet,

Hinc voce certa progenitum Deo

Parente Christum confiteris

Ingenito similem parenti.

 

Il est évident, par l'Évangile, que saint Pierre n'a point parlé de la sorte. Il n'a point dit que Jésus-Christ fût simplement semblable à son Père; les ariens le voulaient ainsi, mais le concile de Nicée condamna cette manière de parler et obligea les fidèles à confesser explicitement l'unité de substance dans le Père et le Fils. On conçoit que le Principal du Collège de Beauvais, quoique fort zélé pour la Délectation relativement victorieuse, ne fût pas un très-fort théologien. Rien ne l'obligeait à cela : mais on n'était pas obligé non plus de l'aller chercher pour composer dans le Bréviaire de Paris les hymnes destinées à remplacer celles que la tradition et l'autorité de tant d'Églises, jointes au Siège apostolique, ont consacrées. Sur ce point, comme sur tous les autres, nous sommes en droit d'exiger, des nouvelles Liturgies, une doctrine plus pure, une autorité plus grande, un caractère plus élevé ; autrement, toute cette levée de boucliers contre la Mère Eglise est un scandale, et rien de plus.

On avait procédé aussi par suppression pour affaiblir la dignité du Saint-Siège. C'était peu que François de Harlay eût fait  descendre la fête de saint Pierre au degré de solennel mineur; le nouveau bréviaire, enchérissant  sur cette témérité, la dépouillait de son octave. Le beau sermon de saint Léon, au second nocturne, l'homélie de saint Jérôme, au troisième, avaient été sacrifiés. On cherchait ; en vain une autre homélie de saint Léon, sur la dignité du Prince des Apôtres, qui se trouvait au samedi des Quatre-Temps du carême. L'évangile même auquel se rapportait : cette homélie avait disparu. Dans la légende de l'office de saint Grégoire le Grand, on avait retranché les paroles dans

 

291

 

lesquelles ce grand pape se plaint de l'outrage fait à saint Pierre par Jean le Jeûneur, patriarche de Constantinople, qui s'arrogeait  le  titre d'évêque œcuménique. On a vu plus haut que plusieurs saints papes avaient été effacés du calendrier, ou réduits à une mémoire. Au reste, la secte, en cela, ne faisait rien d'extraordinaire :  on sait quelle haine elle porta dans tous les temps au Siège apostolique.

Si, après avoir reconnu quelques-unes des nombreuses preuves du  système suivi au nouveau bréviaire, dans le but de comprimer la piété catholique et de favoriser les erreurs du temps, le lecteur vient à jeter   un coup  d'oeil sur l'ensemble de cette Liturgie, il ne saurait manquer d'être choqué par les nouveautés les plus étranges qui s'y rencontrent de toutes parts. Le Psautier n'est plus distribué  suivant l'antique  division, qui datait pourtant du IV° siècle. On voit que l'amour de l'antiquité qui transporte  tous nos modernes liturgistes, ne les a pas laissés insensibles aux avantages d'un bréviaire rendu plus court par une distribution moins pénible du Psautier.  Nous le répétons, nous sommes loin de blâmer l'intention si louable de procurer la récitation hebdomadaire du Psautier ; mais   les  rédacteurs   du  nouveau  bréviaire  avaient-ils réussi à donner une solution convenable de ce grand problème liturgique ? Il nous semble qu'un travail si grave appartenait, avant tout, à des mains catholiques ; il intéresse de trop près l'esprit de prière que les hérétiques  ne peuvent connaître. En outre, ne devait-on pas, même en s'écartant de l'antiquité dans ce nouveau partage des cantiques du roi-prophète, suivre le génie de l'ancienne division et en conserver les mystères ? Dans ce cas, on n'eût point imaginé, par exemple, de dire les psaumes de matines en nombre impair, dans les jours de férié; ce qui est contraire aux traditions de l'Église tout entière. Était-il donc nécessaire de supprimer en masse les belles hymnes du Psautier romain, qui sont toutes des premiers siècles de

 

292

 

l’Église et si remplies d'onction et de lumière ? Il va sans dire que Coffin avait fait les frais de toutes les nouvelles, et quant à la division du Psautier lui-même, elle était, à peu de chose près, celle de Foinard, dans son Breviarium Ecclesiasticum. Au IV° siècle, saint Damase et saint Jérôme s'étaient unis pour déterminer la division liturgique du Psautier. L'Église de Paris, quatorze siècles après, voulant donner une nouvelle face à cette grande œuvre, se recommandait à Vigier, à Mésenguy, à Coffin, lesquels, pour toute tradition, consultaient le docteur Foinard !

Parlerons-nous des absolutions et des bénédictions qu'on avait empruntées à l'Écriture sainte, et dont la longueur, la phrase obscure contrastaient si fortement avec les anciennes qui étaient de style ecclésiastique, cadencées et si propres au chant ? Nous avons cité plus haut celle de prime, comme un monument des intentions des rédacteurs. Le défaut de clarté que nous signalons se faisait remarquer principalement dans la bénédiction des complies. Dans la Liturgie romaine, elle est ainsi conçue : Benedicat et custodiat nos omnipotens et misericors Dominas, Pater, et Filius, et Spiritus Sanctus. Rien de plus simple et de plus touchant que ce souhait de paix sur l'assemblée des fidèles : Que Dieu nous bénisse, qu'il nous garde durant cette nuit: Dieu puissant qui nous gardera, Dieu miséricordieux qui nous bénira, le Père, le Fils, le Saint-Esprit ! Écoutons maintenant Vigier et Mésenguy : Gratia Domini nostri Jesu Christi, et caritas Dei et communicatio Sancti Spiritus sit cum omnibus vobis ! On voit tout de suite l'intention des Docteurs. D'abord la Grâce ; toujours la Grâce; puis un texte de l'Ecriture sainte, un texte qui renferme les trois personnes de la sainte Trinité. Voilà leur pensée, l'objet de leur triomphe. Nous dirons d'abord qu'il faut avoir une terrible peur de la tradition ou une bien violente antipathie contre elle,  pour   la   poursuivre, à coups d'Écriture sainte,

 

293

 

jusque dans une bénédiction de deux lignes. Ensuite, le texte biblique qui remplace la formule romaine est-il donc si propre à remplir le but qu'on se propose ? Un théologien trouvera sans doute le mystère de la Trinité dans cette phrase de l'apôtre ; mais les simples fidèles, accoutumés à faire le signe de la croix pendant que le prêtre prononçait ces mots : Pater, et Filius, et Spiritus Sanctus, comment feront-ils désormais ? Voici une formule dans laquelle on commence par nommer Jésus-Christ, sans la dénomination de Fils; vient ensuite le nom de Dieu, sans la qualité de Père, et placé d'ailleurs au second rang, après le Fils ; enfin le Saint-Esprit, avec le mot communication qui n'est pas des plus clairs. Il nous semble que l'Église romaine, quoiqu'elle ne parle pas si souvent de la Grâce, s'entend mieux encore à instruire et à édifier le peuple fidèle. Ce procédé d'examen auquel nous venons de soumettre la bénédiction parisienne des complies, peut être appliqué avec facilité, et presque toujours avec un résultat aussi favorable à la Liturgie romaine, dans les nombreuses occasions où les nouveaux livres ont remplacé les formules grégoriennes.

Le propre du temps, dans le nouveau bréviaire, ne présentait pas un seul office qui n'eût été refait, et même, la plupart du temps, en entier. Les fêtes de Noël (1), de Pâques, de la Pentecôte, n'étaient plus célébrées par les mêmes chants. L'avent, le carême, le temps pascal, avaient vu sacrifier leurs innombrables répons, antiennes, versets, leçons ; à peine une centième partie avait été conservée. Mais ce qui était le plus grave et en même temps le plus affligeant pour la piété catholique, c'est que l'office des trois derniers jours de la semaine sainte avait été entièrement refondu et présentait, dans sa presque totalité, un aspect différent de cet imposant corps de psalmodie et de

 

(1) Si on excepte quelques antiennes et un répons.

 

294

 

chants qui remontait aux premiers siècles, et auquel se " conforment chaque année les diverses églises et monastères qui ont le privilège d'user, le reste du temps, d'une Liturgie particulière. N'avait-on pas aussi le droit de regarder comme un attentat contre le divin. Sacrement de l'Eucharistie, la suppression de cet admirable office du Saint-Sacrement, dont la composition forme une des principales gloires du Docteur angélique ? Ne serait-il pas humiliant pour l'Église de Paris de répudier saint Thomas d'Aquin, pour accepter en place Vigier et Mésenguy ? Par grâce singulière, on avait pourtant gardé les hymnes.

Le propre des saints, comme on doit déjà le conclure de ce que nous avons dit, présentait un aspect non moins affligeant. Les réductions faites au calendrier l'avaient appauvri dans la même proportion. Les légendes, dépouillées d'une partie de leurs miracles et de leurs récits pieux ; les anciens offices propres de la sainte Croix, de la Toussaint, de saint André, sainte Lucie, sainte Agnès, sainte Agathe, saint Laurent, saint Martin, sainte Cécile, saint Clément, etc., supprimés malgré leur ineffable mélodie ; et les octaves, non-seulement de saint Pierre et de saint Paul, mais de saint Jean-Baptiste et de saint Martin, anéanties; la plupart des offices réduits à trois leçons, afin de rendre l'office plus court : voilà quelques-unes des graves innovations qui choquaient tout d'abord la vue dans le nouveau propre des saints.

Les communs n'étaient pas moins modernisés. Dans l’ancien bréviaire, cependant, ils étaient presque entièrement formés des paroles de l'Écriture sainte, et c'était à cette même source que François de Harlay avait été chercher les antiennes et les répons dont il avait jugé à propos de les augmenter. Dans l'œuvre de Vigier et Mésenguy, tout avait été renouvelé, antiennes, répons, versets, hymnes, capitules, etc. ; à peine avait-on fait grâce à deux ou trois textes qui, encore, avaient été changés de place.

 

295

 

De nouveaux communs avaient été ajoutés; ce que nous ne voulons pourtant pas blâmer en soi; mais une grave et déplorable mesure était la suppression du titre de confesseur, qui, cependant, occupe une si grande place dans le partage des différents communs.

L'office de Beata in Sabbato, le petit office de la sainte Vierge lui-même, déjà défigurés par François de Harlay, avaient reçu le dernier coup dans jle nouveau bréviaire. Hors les psaumes qu'on avait conservés, c'était à peine s'ils conservaient quelque rapport avec les mêmes offices tels que le peuple chrétien a coutume de les réciter et de les chanter.

Les prières de la recommandation de l'âme avaient été tronquées, et les parties considérables qu'on avait fait disparaître et qui étaient remarquables par une si merveilleuse onction et par un langage tout céleste, avaient été remplacées, suivant l'usage, par des versets et des lectures de la Bible. L'office des morts, si ancien, si primitif, se montrait refait sur un nouveau plan. La plupart des antiennes avaient disparu ; les sublimes répons de matines, à l'exception d'un seul, ne se trouvaient plus. Ce nouveau Bréviaire de Paris n'avait pas même fait grâce à ces répons attribués à Maurice de Sully, que l'Église de Paris avait eu, disait-on, la gloire de donner à l'Église romaine. On avait été jusqu'à faire un nouveau Libera avec des morceaux du Psaume LXVIII. L'office de laudes avait été abrégé d'un tiers. Cependant, les morts qui ne sont plus en voie de profiter des avantages d'une prière plus courte, les morts qui sont si vite oubliés, auraient bien eu droit qu'on fit pour eux quelque exception dans cette mesure générale d'abréviation liturgique.

Enfin, dans le nouveau bréviaire tout entier  n'y avait que deux articles sur lesquels eût été conserve fidèlement l'ancienne forme. C'étaient la Bénédiction de la Table et l'Itinéraire. On avait été tolérant jusque laisser, dans la première, les paroles Mensœ cœlestis participes, etc.,

 

296

 

et Ad Cœnam perpetuae vitœ, etc. ; et, dans le second, l'antienne tout aussi peu biblique In viam pacis. Etait-ce oubli, ou préméditation ? Nous ne saurions le dire ; mais nous avons dû faire cette remarque pour compléter ce coup d'œil général sur l'œuvre de Vigier et de Mésenguy.

Le nouveau bréviaire étant tel que nous venons de le décrire, son apparition ne pouvait manquer d'exciter un soulèvement dans la portion du clergé qui s'était formellement déclarée contre les nouvelles erreurs. Le séminaire de Saint-Sulpice qui, dès 1680, n'avait renoncé au Bréviaire romain pour accepter celui de François de Harlay, qu'après une résistance consciencieuse et sur l'injonction expresse de cet archevêque, protestait contre la nouvelle Liturgie avec une franchise digne de l'inviolable orthodoxie qu'il avait toujours fait paraître. Le séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet témoignait les mêmes répugnances ; plusieurs curés, entre autres Parquet, curé de Saint-Nicolas-des-Champs, manifestaient hautement leur indignation. Le conseil même de l'archevêque était divisé. Les abbés Robinet et Regnauld, grands vicaires du prélat, n'avaient qu'un même langage contre le bréviaire avec le docteur Gaillande, filleul de Tournely et l'un des plus ardents adversaires du jansénisme.

Tout à coup, on vit paraître un écrit énergique intitulé : Lettre sur le nouveau bréviaire, brochure de onze pages in-4°, datée du 25 mars 1736, dans laquelle étaient résumés avec précision et vigueur les motifs de cette opposition dans laquelle se réunissaient les corps et les personnes que Paris et la France entière connaissaient pour être les plus intègres dans la défense des décisions de l'Église contre le jansénisme. Les Nouvelles ecclésiastiques attribuèrent cet écrit à Gaillande; mais, suivant l'Ami de la Religion, il avait pour auteur le P. Claude-René Hongnant, jésuite, un des rédacteurs des Mémoires de Trévoux (1).

 

(1) L’Ami de la Religion, tome XXVI, page 292.

 

297

 

Quoi qu'il en soit, le scandale monta bientôt à son comble, pour le triomphe de la secte, et aussi, par la permission divine, pour l'instruction des catholiques. Pendant que l'archevêché se taisait dans un moment aussi solennel que celui où un prêtre orthodoxe signalait les perfides manœuvres de l'hérésie jusque dans un livre pour lequel on avait surpris l'approbation d'un prélat cassé de vieillesse ; les gens du roi, par suite de leurs vieilles prétentions de juges en matière de Liturgie, prenaient fait et cause pour le nouveau bréviaire, et un arrêt du Parlement de Paris, rendu le 8 juin, sur le réquisitoire de l'avocat général Gilbert de Voisins, condamnait la Lettre sur le nouveau bréviaire à être lacérée et brûlée, au pied du Grand-Escalier, par la main du bourreau. C'était sous de pareils auspices que s'annonçait la nouvelle Liturgie.

Cependant une réaction se préparait à l'archevêché. Charles de Vintimille, inquiété par les réclamations des deux grands vicaires, mû aussi par les remontrances du cardinal de Fleury, résolut de faire droit, au moins en quelque chose, aux plaintes qui arrivaient de tous côtés de la part des prêtres les plus vénérables et d'ailleurs les plus attachés à sa personne. Rejeter avec éclat un bréviaire qu'on avait annoncé au diocèse avec tant de solennité, était un parti bien fort et qu'on ne pouvait guère espérer d'un vieillard qui, d'ailleurs, eût trouvé sur ce point une vive opposition dans la majorité de son conseil. Dans le courant du mois de juillet, le prélat réunit une commission composée de l'abbé d'Harcourt, doyen de Notre-Dame, le même qui avait fait choix de Vigier pour la rédaction du bréviaire; l'abbé Couet, autrefois grand vicaire du cardinal de Noailles, et connu pour ses liaisons avec la secte à laquelle avait si longtemps appartenu cet archevêque ; les abbés de Romigny, Joly de Fleury, de La Chasse, et enfin le Père Vigier lui-même. On n'avait pas, sans doute, osé inviter Mésenguy :   les deux grands

 

298

 

vicaires, Robinet et Regnauld, n'avaient pas non plus été convoqués. Dans cette réunion, l'archevêque proposa la question de savoir ce qu'il pouvait y avoir à faire dans la conjoncture délicate où l'on se trouvait. Les abbés d'Harcourt et Joly de Fleury, et avec eux le P. Vigier, étaient d'avis qu'on passât outre, sans se préoccuper des plaintes .qui s'étaient élevées. Les abbés de La Chasse et de Romigny se retranchèrent dans le silence sur l'objet de la délibération. Enfin, l'abbé Couet, qui, si l'on en croit les Nouvelles ecclésiastiques, pensait au fond comme l'abbé d'Harcourt et les deux autres, étant effrayé des suites de cette affaire, conseilla à l'archevêque une demi-mesure qui consisterait à maintenir le bréviaire, en plaçant des cartons dans les endroits qui avaient le plus révolté les partisans de la bulle. Cet avis fut adopté (1).

On commença donc de suite une nouvelle édition du bréviaire, toujours sous la même date de 1736, et on prit des mesures pour arrêter le débit de la première dont les exemplaires, par suite de cette mesure, sont devenus extrêmement rares. Au reste, on ne fit que cinquante cartons environ, et les corrections ne furent pas très-nombreuses. La plus remarquable fut la suppression de l'Ave, maris stella, arrangé par Coffin, et le rétablissement de cette hymne dans son ancienne forme. On rétablit l'homélie de saint Jean Chrysostome, qui avait été supprimée dans l'office de saint Jacques le Majeur. On fit disparaître le canon du troisième concile de Tolède, placé à prime du Mardi de la quatrième semaine de carême, etc.

Il était aisé de voir que ces légers changements, par lesquels on voulait donner quelque satisfaction aux catholiques, n'atteignaient point le fond du bréviaire lui-même, et laissaient même sans correction plusieurs des passages qui avaient excité des réclamations  spéciales.   Il  fut impossible

 

(1) Nouvelles ecclésiastiques,   28  juillet  173.   Ami  de  la  Religion. Ibidem.

 

299

 

d'obtenir d'avantage. Mais aussi de quelle défaveur devait être marquée, aux yeux de la postérité, une œuvre liturgique composée pour une grande Église, promulguée par le premier pasteur, et qui, après cette promulgation, était soumise à l'humiliante insertion de cartons jugés nécessaires pour apaiser le scandale qu'elle produisait dans le peuple fidèle. Que ceux qui nous ont suivi dans toute cette longue histoire des formes du culte divin, disent s'ils ont jusqu'ici rencontré rien de semblable!

Le courageux auteur de la Lettre sur le nouveau bréviaire, ne jugeant pas que la censure du parlement eût, pour sa conscience de prêtre et de religieux, une valeur réelle, et espérant encore ouvrir les yeux du prélat qui venait d'attester si hautement que sa religion avait été surprise, crut devoir lui adresser une Remontrance pleine de respect, qui était en même temps une Seconde Lettre sur le nouveau bréviaire. Cette brochure, de douze pages in-4°, éprouva, de la part des magistrats du parlement, toujours fidèles à leur rôle d'arbitres de la Liturgie, le même sort que la précédente (1). Nous croyons faire plaisir à nos lecteurs en donnant ici cette pièce en entier. Ils y admireront le zèle de la foi et la liberté sacerdotale admirablement conciliés avec les souverains égards dus à un personnage tel que Charles de Vintimille.

 

« Monseigneur,

« Ce n'est point ici le langage de l'indocilité et de l'orgueilleuse révolte que vous allez entendre. Enfant respectueux de l'Église qui demande pour première vertu  la soumission, je ne sus jamais qu'obéir ; j'eus toujours  pour elle et pour les oints du Seigneur, nos pères et  nos maîtres, ce tendre respect et cette docilité entière  qui caractérisent le vrai fidèle, et jamais je ne tremperai

 

(1) Elle fut condamnée au feu par arrêt du 20 août 1736.

 

300

 

ma plume dans le fiel amer que présente l'erreur ou la  séduction.

« Si j'ose aujourd'hui vous faire d'humbles représentations et me plaindre de vous-même à vous-même,  c'est l'intérêt de votre gloire qui m'inspire, c'est le zèle  de cette religion que vous aimez, que vous soutenez,  que vous avez toujours si glorieusement défendue. Daignez un moment jeter les yeux sur ces réflexions simples  et naïves. Que le titre ordinairement odieux de Remontrance, sous lequel je l'annonce, ne me ferme point,  chez Votre Grandeur, une entrée qui ne fut jamais  refusée à personne.

« Il en est de différentes espèces, selon la différence des  motifs qui font agir, d'intérêt ou de fanatisme. Quoi  qu'il en soit, daignez lire celle-ci avec cette bonté ordinaire qui nous charme. Si par hasard elle n'est appuyée «. sur aucun fondement solide, qu'importe à votre gloire !  Regardez-la avec ce noble mépris dont on doit payer  un téméraire délire ; tout le public se joindra bientôt à  vous. Mais si je suis assez heureux pour parler le langage de la raison et de l'équité, de la religion et de la  piété, il est de votre droiture et de votre grandeur d'âme  de ne pas fermer les yeux à la lumière que j'ose prendre  la liberté de vous présenter. Vous prévenez peut-être  déjà ma pensée. Dans tout le cours d'une longue carrière, il n'est qu'une seule démarche qui n'ait pas  obtenu le suffrage de l'approbation publique dont je  vois toutes les autres marquées. Sans doute qu'elle seule  peut arracher nos plaintes et suspendre pour un moment les justes éloges que vous doivent tous ceux qui  savent discerner le vrai mérite. Cependant, quand il  faut m'expliquer, je sens qu'il me faut faire un violent  effort. Au nom seul de bréviaire, je crains de vous contrister, et l'idée de votre peine suffit pour m'accabler  moi-même de douleur. Mais enfin c'est un crime de se

 

301

 

taire dans ces circonstances, et peut-être un jour me  saurez-vous gré de la liberté que je prends. Il faut lever  ce voile qu'on tâche de vous mettre sur les yeux, pour  vous empêcher de voir ce que tout le monde aperçoit.

« Apprenez donc de moi ce que pense tout le public  catholique ; j'ose protester devant Dieu que tous vos  bons diocésains s'expliquent ici par ma plume, et qu'en  lisant ce qu'elle vous trace, vous lisez les sentiments de  leurs cœurs.

« Oui, Monseigneur, le bréviaire que vous leur avez  mis entre les mains ne convient ni à leur religion, ni à  la vôtre. Il détruit ce que vous leur enseignez et ce qu'ils ;< croient. Et que faut-il donc enfin pour vous le persuader ? Tout parle contre lui : son histoire abrégée suffira  pour la conviction la plus sensible et la plus palpable.

« Le père de cet ouvrage informe est un prêtre de l'Oratoire, zélé par goût autant que par état pour un parti  qu'il aurait autrement défendu que par la composition  d'un bréviaire, s'il avait eu plus de lumières et de  talents. Il s'est associé depuis, pour la composition des  hymnes, un prétendu poëte plus connu par son appel  au futur concile que par ses poésies, plus occupé à  fomenter les nouvelles erreurs dans son collège, qu'à y  faire fleurir les bonnes moeurs et les belles-lettres.

« Il y a plus de quinze ans que ce fruit conçu dans les  ténèbres était en état de paraître ; mais il fallait trouver  un protecteur à l'ombre duquel il pût impunément  brayer le grand jour, et quels efforts n'a-t-on pas mis  en œuvre pour la réussite de ce projet ? L'ouvrage était  à peine achevé, qu'on s'adresse à feu Monseigneur le  Cardinal de Noailles pour le lui faire adopter; mais  nous savons que ce prélat le rejeta avec mécontentement, et qu'il ne voulut point souffrir qu'on lui en parlât. Feu Monseigneur de Lorraine, évêque de Bayeux,  se montra plus favorable au bréviaire; il désira d'en

 

302

 

introduire l'usage dans son Église, mais le soulèvement  de tout son chapitre et de tout son diocèse contre lui,  l'empêcha de tenter l'entreprise, et Son Altesse ne crut  pas que son nom ni sa dignité pussent mettre l'ouvrage  à couvert de la censure publique. Se serait-on persuadé  (et qu'on juge par ce seul trait des intrigues du parti)  qu'un bréviaire ainsi proscrit dût être un jour à l'abri  d'un nom aussi respectable et aussi cher à l'Église que  l'est celui de Vintimille ?

« Voilà, dis-je, un violent préjugé fondé sur la qualité  des auteurs et capable de jeter sur cette production un  soupçon plus que légitime, soupçon qui se tourne en  preuve convaincante par les événements qui précédèrent  et qui ont suivi l'édition.

« Accuser indifféremment tous les examinateurs, c'est  ce que l'équité ne nous permet pas. Il y avait parmi eux  des catholiques, et des catholiques décidés. En quel  nombre? Monseigneur, vous le savez; mais enfin la  conduite qu'ils ont tenue, ou que l'on a tenue à leur  égard, montre ce qu'ils ont pensé. Vous le savez, Menée seigneur, la crainte de contrister V. G. m'empêche de  la lui remettre devant les yeux. En vain voudrait-on  rendre garants de cet ouvrage ces hommes respectables  et si dignes de votre confiance. Le public sait que tous  (je ne comprends point parmi eux feu M. Couet, dont  toute la fonction a été d'encenser en toute occasion  et le nouveau bréviaire et son auteur, et dont le  suffrage devait rendre l'ouvrage suspect) ont fait plusieurs fois, quoique inutilement, de très-importantes  représentations, tant sur les auteurs que sur le fond  et la forme de ce bréviaire. Tout Paris sait qu'on  n'eut presque aucun égard à leurs réflexions ; de sorte  qu'à proprement parler, on peut dire que tous les approbateurs du bréviaire ont été ou les auteurs mêmes,  ou des hommes connus pour être partisans de l'erreur.

 

3o3

 

« Combien d'autres représentations Votre Grandeur  n'a-t-elle pas reçues de tous les côtés? Elle a plusieurs  fois témoigné qu'elle en était fatiguée; tristes, mais trop  sûrs garants du bruit que devait faire l'édition, et des  alarmes qu'elle causerait. Elles sont parvenues jusqu'à  vous, Monseigneur, et ce sont des faits que vous ne pouvez dissimuler. Vous n'ignorez pas que l'acceptation du  bréviaire par vos bons diocésains, est un sacrifice forcé  de leur soumission au poids de votre autorité. Le séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet n'a point caché  ses justes répugnances; mais le curé ayant voulu absolument qu'il fût chanté dans son église, il n'a pas été  possible de lui résister.

« Les prélats qui vous avaient promis de se joindre à  vous commencèrent à se dégager d'une parole que leur  conscience ne leur permettait pas de garder. M. l'Évêque  de Valence comptait d'adopter le nouveau bréviaire; il a a changé de résolution et s'en est assez nettement déclaré.  Le chapitre de Lodève était près de l'accepter de la main  de son évêque ; aujourd'hui il est déterminé à ne jamais  souffrir que le diocèse en soit infecté, et ce changement  est le fruit de la lecture que quelques-uns d'entre eux  en ont fait.

« M. l'Evêque de La Rochelle a avancé dix mille livres;  mais on ne doute point qu'il ne les sacrifie généreuse-ce ment, plutôt que de faire un présent si funeste à ses ce diocésains.

« Tandis que les catholiques, par des plaintes et des te démarches publiques, montrent l'idée qu'ils ont conçue te du nouveau bréviaire, les sectateurs des nouvelles opinions triomphent publiquement. M. de Montpellier s'en  est déclaré le protecteur ; il met tout en œuvre pour le  faire recevoir par son chapitre très-orthodoxe, qui n'en te veut pas.

« Les plaintes des uns, le triomphe des autres, font un

 

304

 

argument dont un magistrat éclairé a senti toute la force. Voici comment il s'en est expliqué :

« Si Monseigneur l'Archevêque, disait-il, me parlait de  son bréviaire, je lui demanderais : Quels sont ceux qui  réclament contre ce nouveau bréviaire ? Ce sont tous les  bons catholiques, tous ceux qui sont connus par leur  soumission à l'Église, par leur attachement sincère à  votre personne et à votre autorité, et qui, depuis votre  arrivée à Paris, n'ont cessé de la défendre contre les.  novateurs. Qui sont maintenant ceux qui en prennent  la défense, qui sont empressés à le faire chanter, qui  disent que c'est un coup du ciel que ce bréviaire paraisse  sous votre nom ? Ce sont ceux qui sont révoltés contre  l'Église et ses décisions, ceux qui n'ont cessé de vous  déchirer dans leurs libelles, ceux qui ont tout mis en  œuvre pour noircir votre réputation et déshonorer votre  épiscopat, ceux, en un mot, que vous avez toujours paru  regarder comme hérétiques. Il ne vous convient pas de  vous déclarer ni contre les premiers, ni en faveur des  derniers; et cependant c'est ce que vous paraissez faire,  lorsque vous soutenez le bréviaire et que vous vous  engagez à le soutenir toujours ; vous donnez lieu aux  Appelants de dire, comme ils le disent en effet, que  vous tournez de leur côté.

« Telles étaient, Monseigneur, les réflexions de ce magistrat dont vous estimez la religion, la droiture et les  lumières.

« Voilà, ce me semble, pour toutes les personnes non  prévenues, des preuves assez solides; mais on n'aurait  pas absolument besoin de tous ces arguments étrangers,  puisque l'ouvrage dont il s'agit porte dans lui-même sa  condamnation, pour quiconque se donne la peine de  l'examiner. L'auteur de la Lettre sur le bréviaire démontre qu'il ne peut être que l'ouvrage du parti, et  qu'à ce seul titre, il nous doit être odieux. Persuadera-t-on

 

305

 

jamais, en effet, que des catholiques aient pu faire  les indignes retranchements qu'il cite des passages formels et décisifs contre les nouvelles erreurs? Il est vrai  qu'il ne parle que de peu de substitutions perverses où  le dogme soit directement attaqué. Quelles que puissent  être les raisons qui l'ont empêché d'entrer dans un plus  long détail, ce n'est pas la faute du bréviaire qui s'en  trouve rempli.

« Vous-même, oui, Monseigneur, V. G. elle-même s'est  déclarée contre cet ouvrage d'une manière non équivoque. Les mouvements qu'elle se donne pour le corriger, s'il était possible, ces cartons qu'elle fait apposer  de toutes parts et qui se multiplient par la recherche  des erreurs, sont autant de témoins irréprochables, qui  justifient nos plaintes et condamnent hautement le bréviaire.

« Réunissons à présent toutes ces preuves : n'en  résulte-t-il pas, dans les esprits les plus prévenus, que  tout parle effectivement contre le bréviaire ? La qualité  des auteurs justement suspects, la difficulté qu'ils ont t  eue à lui trouver un patron, la division des examinateurs, la multitude des représentations, les plaintes des  catholiques et l'approbation de leurs adversaires, la  lecture du bréviaire lui-même et votre propre conduite,  en faut-il davantage pour me faire dire avec justice qu'il  ne convient ni à vous, ni à vos diocésains? et peut-il  y avoir des préjugés assez forts qui ne tombent à la  vue de preuves si lumineuses?

Je ne vois rien qui semble parler en sa faveur que  l'arrêt du parlement par lequel on a prétendu flétrir la  Lettre qui l'attaque; mais j'ose ici vous le demandera  vous-même, Monseigneur, et m'en rapporter aux secrets  sentiments de votre coeur; si l'opposition que vous trouvez au bréviaire doit vous causer quelques inquiétudes,  cet arrêt sera-t-il capable de les apaiser ?

 

306

 

« Combien de réflexions judicieuses qu'il ne m'est pas  permis de mettre ici dans leur jour, doivent se présenter  à votre esprit pour balancer l'autorité d'un pareil jugement! N'a-t-on pas vu souvent?..... Mais je m'arrête, j'oubliais que le respect doit conduire ma plume, et qu'il  est des vérités sur lesquelles il ne m'appartient pas de  m'expliquer. Au moins, n'avez-vous pas sans doute  oublié que l'avocat général qui paraît aujourd'hui  prendre votre défense, est le même qui, plus d'une fois, éleva la voix dans lé parlement pour flétrir vos ouvrages  et les couvrir, s'il était possible, d'une éternelle ignominie ? Si les coups qu'il porte contre la Lettre ont quel-ce que poids, ils eurent le même effet contre vos mandements, et approuver aujourd'hui son ministère, c'est  souscrire à votre condamnation. Non, son plaidoyer, ni  l'arrêt qui le suit, ne calmeront point les inquiétudes  d'un prélat véritablement orthodoxe qui ne reconnaît  que l'Église seule pour juge en matière de foi et de  religion.

« J'ajoute, qu'à ne consulter que l'arrêt lui-même, le  bréviaire n'est jamais justifié. J'ai en main le réquisitoire  de M. Gilbert de Voisins. Que dit-il ? et que condamne-t-il ? Entre-t-il dans le fond des matières ? examine-t-il  les preuves sur lesquelles la Lettre forme ses accusations ? Il n'avait garde. Le brillant obscur dont il a coutume d'envelopper ses tortueuses périodes, n'aurait pu  répandre aucuns nuages sur l'évidence des preuves et  des raisons de l'auteur de la Lettre.

« Il s'arrête précisément au détail minutieux de quelques  phrases un peu fortes qu'il accable d'épithètes plus fortes  encore, mais qui, dans le vrai, ne signifient rien, puisqu'enfin, avant que de condamner ces expressions prétendues trop fortes, il faut prouver qu'elles portent à faux;.ce qu'il ne fait pas. Le principal motif qu'il  apporte pour le condamner,  est l'affectation singulière

 

307

 

des qualités d'hérétiques et de catholiques appliquées à  ceux qui vivent dans le sein d'une même Église; c'est-à-dire, Monseigneur, qu'il en veut autant à V. G. qu'à  l'auteur de la Lettre, puisque vous avez fait la même  distinction dans vos mandements, c'est-à-dire qu'en feignant de vous défendre, il vous attaque véritablement ;  c'est-à-dire qu'il flétrit de nouveau vos mandements avec  la Lettre; c'est-à-dire, en un mot, que son réquisitoire  vous est aussi injurieux qu'il pourrait l'être à l'auteur  inconnu.

« Il est donc incontestable qu'en recueillant les voix  différentes, il s'élève un espèce de cri général contre le  nouveau bréviaire; vouloir se cacher cette vérité, c'est  se mettre sur les yeux un bandeau volontaire, pour ne  pas apercevoir un objet réel qui blesse la vue. Or, dans  de telles circonstances généralement avouées, comment  convient-il à V. G. de se comporter ? C'est ce qui doit  faire l'objet de ses plus sérieuses réflexions, et je m'en  rapporterai volontiers à la décision de sa piété rendue à  elle-même et débarrassée des conseils de la molle condescendance. C'est à ce tribunal que j'en appelle, et je  m'assure du triomphe de ma cause. Il n'y a que deux  partis à prendre : l'un, de corriger le bréviaire et d'en  retrancher tout ce qui peut blesser la délicatesse catholique ; l'autre, de le repousser absolument et de le tenir «• comme non  avenu.

« Il paraît que c'est au premier parti que V. G. s'en est  tenue (car on n'est pas venu à bout de lui cacher tout  l'artifice de ce mystère d'iniquité); mais ce qu'il y a de  personnes autorisées dans votre diocèse vous proteste  ici, par mon ministère, que vous tentez une chose impossible. Malgré la déclamation non prouvée de l'avocat  général, il demeure constant parmi eux que tout le bréviaire est une masse d'un levain corrompu, de laquelle  on n'exprimera jamais un suc salutaire dont les catholiques

 

308

 

veuillent se nourrir. Comment, en effet, rétablir  tous les retranchements des fêtes, des octaves, des prières  à la sainte Vierge et de cette immensité de textes de  l'Écriture et des SS. Pères, que les auteurs ont sacrifiés  aux mânes de Jansénius et de Quesnel ? Comment effacer  des hymnes, des leçons, des capitules, des répons, des  oraisons, cette multitude de phrases captieuses, équivoques, mal sonnantes, pour ne pas dire hétérodoxes,  sous lesquelles on a eu l'adresse d'insinuer des erreurs  si souvent condamnées ? Il faudrait absolument repétrir,  refondre toute cette masse impure, c'est-à-dire, qu'il n'en  coûterait pas davantage pour refaire un nouveau bréviaire.

« La chose fût-elle possible, ce qui n'est pas, croyez- vous, Monseigneur, que les vrais catholiques trouveront jamais du goût à réciter un bréviaire composé par  des ennemis de l'Église leur Mère? Non, nous ne voulons point de leurs présents ; nos lèvres ne souffriront  qu'avec peine des prières dont les auteurs ne furent pas  nos défenseurs; et le triste souvenir que nous les tenons  d'appelants et de fauteurs d'hérésie, sera capable de  troubler la dévotion de nos temples et de répandre  l'amertume sur la sainte gaieté de nos plus belles fêtes.  Le dirai-je, Monseigneur ? nous craignons de prononcer des blasphèmes, en ne récitant que des paroles respectables et uniquement tirées de nos saintes Écritures.  Un passage isolé, détaché de ce qui le précède et de ce  qui le suit, souvent ne présente par lui-même aucun  sens; mais l'union artificieuse de plusieurs de ces passages leur donne souvent un sens tout à fait étranger,  et c'est ainsi que la parole de Dieu dans la bouche des  hérétiques devient le langage de l'erreur. Par exemple,  comparer l'état présent de l'Église à l'état d'Israël  séduit par Jéroboam, faire entendre qu'il ne la faut  plus chercher que dans un petit nombre d'élus que la

 

300

 

« Grâce du Seigneur s'est réservé, n'est-ce pas le langage  familier de tous les hérétiques ? Attendre que le prophète Élie vienne soutenir la foi du petit troupeau persécuté, n'est-ce pas le fanatisme dominant de nos jours ?  Des paroles tirées des saints Livres présentent toutes  ces horreurs dans plusieurs répons et plusieurs versets  de l'office du VIP Dimanche après la Pentecôte. Dirait t-on que ce n'est pas là le sens naturel des paroles citées  dans le bréviaire? Qu'importe, si les catholiques ne  peuvent douter que ce ne soit là le sens qu'on a voulu  leur présenter ? Les traits de cette nature sont sans  nombre.

« Reste donc, Monseigneur (ici je sens qu'il faut me  faire une nouvelle violence ; c'est avec peine que  l'amour de la vérité l'emporte sur le respect), reste  donc, puisqu'il faut le dire, de reconnaître généreusement que vous avez été trompé, et de proscrire hautement un ouvrage qu'une confiance bien excusable dans  un prélat accablé de tant d'occupations vous a fait  adopter.

« S'il n'y avait que ce premier pas à faire, je crois aisément que V. G. n'y trouverait point de difficulté ; une  âme élevée comme la vôtre est au-dessus de cette faiblesse orgueilleuse qu'un glorieux aveu fait rougir.  Vous savez qu'il n'appartient qu'à l'élévation d'un noble  génie de se croire sujet à l'erreur, et que ce qui sépare  le grand homme d'avec l'homme faible n'est pas de ne  commettre aucune faute, mais de savoir l'avouer et  la réparer. L'immortel archevêque de Cambrai ne  s'est jamais tant distingué par la sublime beauté de ses  ouvrages, que par l'humble aveu qu'il a fait en chaire  de s'être trompé. Et son nom ne serait pas si glorieux  dans les fastes de l'Église, s'il avait toujours été à couvert de tout reproche.

« Le second  doit vous  coûter beaucoup plus,   sans

 

310

 

doute, parce qu'il entraîne après lui de fâcheux embarras. Les frais sont faits ; la dépense est énorme ; où  trouver des fonds pour rembourser le libraire, et l'indemniser de ses avances ? Je conviens que cet article souffre difficulté. Il faudra se donner des mouvements,  lever bien des obstacles et de différentes espèces ; mais enfin la chose doit-elle être regardée comme impossible ? Les fonds de charité, d'honneur et de bienséance,  sont-ils donc épuisés dans la plus riche capitale du monde ? ou n'y a-t-il aucune voie à quelque accommodément ? Je conviens encore que, malgré les ressources  du zèle et de l'ingénieuse piété, différents particuliers  pourront souffrir quelque perte ; mais fût-elle fort au-dessus de ce qu'elle pourrait être en effet, des intérêts  purement humains peuvent-ils arrêter ou suspendre une  démarche prouvée nécessaire à la religion ?

« Rendez-vous donc, Monseigneur, à ce qu'elle vous  demande aujourd'hui. Toujours vous vous fîtes un devoir capital d'être docile à sa voix et de vous conduire  selon la sainteté de ses maximes. Il n'est qu'un seul  trait dans une longue suite d'années qui ne soit pas à  couvert de la critique; trait cependant qui sera marqué  dans les fastes de l'Église, trait qui pourra défigurer le  glorieux portrait qu'on y fera de votre personne : hâtez-vous de l'effacer. Vous avez toujours été un de ces murs  d'airain, une de ces colonnes inébranlables que la religion oppose à l'hérésie. Vous êtes encore aujourd'hui  son ornement et son appui ; c'est un éloge que la malignité et l'envie ne peuvent vous refuser, et auquel je  suis le premier à souscrire. Vous soutiendrez jusqu'à  la fin ce noble caractère : vous vous souviendrez de ces beaux sentiments tracés avec tant d'énergie dans la  lettre que vous écriviez au roi, quelque temps après que  vous eûtes pris le gouvernement de cette Eglise : Je ferai  mon devoir (disiez-vous), je le ferai avec le zèle et la

 

311

 

fermeté d'un évêque, qui, après avoir vieilli dans  l'épiscopat, n'est pas venu dans la capitale pour trahir son ministère et pour le déshonorer à la fin de ses  jours; jours précieux, Monseigneur, pour lesquels je a. me trouverais heureux de sacrifier les miens inutiles  au monde, et qui s'avancent, hélas ! pour notre malheur, a à pas trop précipités. Il faudra paraître devant ce Juge  redoutable qui trouve des iniquités jusque dans ses  Saints. Vous porterez à son tribunal des œuvres de  salut et des vertus dignes d'un zélé ministre du Dieu  vivant dont vous avez soutenu les autels, mais vous y  rendrez compte aussi de ce qui fait le Sujet de cette  humble Remontrance. Au nom du Dieu que nous  servons, au nom de cette religion que nous suivons,  examinez sérieusement et pesez dès à présent, au poids  sacré du sanctuaire, ce que vous voudriez avoir fait  dans ce moment terrible et décisif, où la vérité pure  brillera sans nuage et débarrassée de toutes les préventions humaines. »

Il était plus aisé de condamner au feu la pièce qu'on vient de lire que de la réfuter. On ne pouvait refuser à son auteur le zèle de la foi, la connaissance de la matière; on était obligé de convenir que c'était un homme dévoué à son archevêque, attaché à la hiérarchie, un digne compagnon de Languet dans la guerre contre les antiliturgistes. Nonobstant toutes ces raisons, l'archevêque résolut de maintenir le bréviaire avec les corrections ; on pensa que le temps calmerait cette agitation. Cependant on eut la prudence de ne rien faire contre les deux Lettres et la Remontrance. Il n'eût pas été facile, en effet, de rédiger une censure contre ces pièces vraiment orthodoxes, et d'ailleurs, c'eût été accroître la déconsidération du bréviaire, en provoquant une réplique; peut-être même le Siège apostolique eût-il été contraint d'intervenir dans cette question épineuse. Quant à l'opposition des séminaires

 

312

 

de Saint-Sulpice et de Saint-Nicolas, elle dut céder enfin devant l'injonction expresse de la Lettre pastorale, surtout depuis les cartons mis au bréviaire qui, tout en attestant l'impure origine de ce livre, donnaient à l'autorité diocésaine une raison de plus de presser l'acceptation de la nouvelle Liturgie. Ainsi l'œuvre de Vigier, Mésenguy et Coffin, s'implanta pour de longues années dans l'Église de Paris, et par suite dans une grande partie du royaume. Les jansénistes, quoique mortifiés par les cartons, se rangèrent autour du bréviaire, et trouvèrent des éloges pour l'archevêque Vintimille qui demeurait, malgré tout, le patron de leur œuvre. Rien n'est plus curieux que le langage des Nouvelles ecclésiastiques sur ce prélat: tour à tour la feuille janséniste gémit de son aveuglement et exalte son zèle providentiel dans la publication du bréviaire.

Cependant, si on n'osait censurer, à l'archevêché, les Lettres sur le nouveau bréviaire, ce bréviaire ne demeura pas néanmoins tout à fait sans apologie. Le P. Vigier entreprit une défense de son travail, sous le point de vue de l'orthodoxie. Son intention était de prouver que le bréviaire renfermait un nombre suffisant de textes favorables au dogme catholique de la mort de Jésus-Christ pour tous les hommes, au culte de la sainte Vierge et à la primauté du Siège apostolique. Quand il en eût été ainsi, cette démonstration n'eût pas infirmé les reproches des catholiques sur la suppression de tant de choses respectables, sur la frauduleuse insertion d'un si grand nombre de particularités suspectes, reproches d'autant plus fondés, que les cartons étaient là pour attester l'existence du mal. Il n'en demeurait pas moins évident que le bréviaire était une œuvre janséniste, par ses auteurs, son esprit et son exécution ; que les cartons n'avaient atteint, après tout, qu'une faible portion des choses répréhensibles, soit comme exprimant   des ambiguïtés sur  le dogme,   soit

 

313

 

comme renversant, en tant d'endroits, les plus sacrées des traditions liturgiques. D'ailleurs, pour qui connaît l'histoire du jansénisme, rien n'est moins étonnant que ce soin qu'avaient eu les rédacteurs du bréviaire, d'insérer dans leur œuvre un certain nombre de textes qu'on aurait à faire valoir, en cas d'attaque. Vigier était placé tout à son aise pour remplir ce personnage : il n'avait point appelé de la bulle comme Mésenguy et Coffin ; mais, d'un autre côté, il ne la regardait que comme simple règle de police. Dans cette heureuse situation, sa conscience ne lui défendait point de glisser dans son bréviaire ses sympathies janséniennes; et du moment que des réclamations s'élèveraient, il pouvait, sans contradiction, en présence du public,revoir son œuvre, la bulle Unigenitus en main, et soutenir la thèse de la non-contrariété du bréviaire avec cette bulle.

Cependant, le parti ne s'accommodait pas trop de cette condescendance de Vigier. Les Nouvelles ecclésiastiques expriment hautement leur mécontentement sur l'Apologie :  « Tout ce que nous pouvons dire de cet écrit, dit le  gazetier, c'est que, malgré la protection dont M. l'archevêque a jugé à propos de l'honorer, le public (1) ne  lui a pas fait un accueil bien favorable. Il se sent partout de l'étrange contrainte où l'on est, lorsqu'en recevant la constitution Unigenitus, on se trouve obligé de  défendre les Vérités que cette même constitution condamne, et cette malheureuse nécessité y a répandu d'un  bout à l'autre une teinture de molinisme qui a fait dire  à plus d'un lecteur que cette apologie fait peu d'honneur au bréviaire, qui n'en avait pas besoin et qui se  défend assez par lui-même. En un mot, on sait que  ceux qui ont eu le plus de part à la composition du  nouveau Bréviaire de Paris,  n'ont point goûté cette

 

(1) Ce public est principalement celui du Journal.

 

314

 

première Lettre (1). » Ces collègues de Vigier, qui furent mécontents de l'apologie du bréviaire, n'étaient autres que Mésenguy (2) et Coffin, auxquels leur caractère officiel d'appelants interdisait toute rétractation même apparente. Vigier était donc comme l'intermédiaire entre le nouveau bréviaire et les catholiques. L'Apologie qu'il avait publiée consistait en trois Lettres de M. l'abbé * * à un de ses amis, en réponse aux libelles qui ont paru contre le nouveau Bréviaire de Paris. Ces trois Lettres, qui forment ensemble cinquante-quatre pages in-4°, sont datées des 1er et 15 octobre, et du 3o décembre 1736, et parurent avec approbation et privilège du roi.

Le courageux Père Hongnant avait publié, vers la fin de la même année, une troisième Lettre sur le nouveau Bréviaire, dans laquelle il s'efforçait de renverser les subterfuges de Vigier et de faire voir que l'Apologie, pas plus que les cartons, ne parviendrait à faire du bréviaire une œuvre catholique. Nous ignorons si cette troisième Lettre obtint, comme les deux précédentes, les honneurs d'une condamnation au Parlement de Paris (3). Quoi qu'il en soit, la controverse demeura close pour le moment et le bréviaire resta, comme sont restées beaucoup d'autres choses, que le XVII° et le XVIII° siècle ont vues naître, et que le nôtre, peut-être, ne transmettra pas à ceux qui doivent le suivre.

Le bréviaire étant inauguré, il devenait nécessaire de donner un nouveau missel qui reproduisît le même système. On sent que le Missel de Harlay, revu 'par le cardinal de Noailles, était encore trop conforme à la Liturgie romaine pour se plier au calendrier et aux autres

 

(1)  Nouvelles ecclésiastiques. 24 novembre 1736.

(2)  Ami de la Religion, Ibidem, page 293.

(3)  L'Ami de la Religion] parle de Remarques manuscrites sur le nouveau bréviaire, en 14 pages in-4° qui, dit-il, roulent sur les mêmes griefs que les Lettres d'Hongnant; mais elles sont plus modérées.

 

315

 

innovations du moderne bréviaire; or il fallait un rédacteur au nouveau missel. L'acolyte Mésenguy fut choisi pour ce grand travail, sans doute par la protection de l'abbé d'Harcourt, qui disposait totalement de la confiance de l'archevêque, dans tout ce qui tenait à la Liturgie. Ce fut, au reste, une étrange influence que celle de Mésenguy dans toute cette opération. Il était auteur en partie du nouveau bréviaire, et, quand on forma la commission pour juger des réclamations que ce livre avait excitées, on ne lui avait pas fait l'honneur de le convoquer. Sans doute, sa qualité d'appelant et d'hérétique notoire avait exigé qu'on rendît du moins cet hommage à la pudeur publique. Maintenant qu'il s'agit d'un livre plus important, plus sacré encore que le bréviaire, du missel, du Sacramentaire de l'Église de Paris,on vient chercher cet homme, cet hérétique, étranger même au caractère de prêtre; ce sera lui qui déterminera, pour cette Église, les prières, les rites, les mystères avec lesquels les prêtres, désormais, auront à célébrer le grand sacrifice. Au reste, cette confiance inouïe donnée à un hérétique par un prélat catholique, Mésenguy continua d'en jouir pendant toute la durée de l'épiscopat de Charles de Vintimille ; car, en 1745, peu avant la mort de l'archevêque, il présida à la nouvelle édition du bréviaire et aux changements, d'ailleurs assez légers, qui y furent faits (1).

Il paraît que Mésenguy avait, depuis plusieurs années, commencé le travail du missel, car ce livre fut en état de paraître dès 1738, et fut annoncé par une Lettre pastorale de l'archevêque, en date du 11 mars. Nous allons parcourir cette pièce importante, qui fut placée en tête du missel lui-même (2).

Elle commence par  des réflexions sur   la dignité   du

 

(1)  L’Ami de la Religion. Ibidem.

(2)   Vid. la Note B.

 

316

 

sacrifice de la messe, considéré sous ses différents rapports,  et arrive bientôt à parler des efforts tentés dans plusieurs diocèses de France pour la correction et le perfectionnement des missels. On rappelle ensuite les travaux des archevêques de Harlay et de Noailles, qui ont cependant encore laissé beaucoup à désirer pour l'entière perfection de ce livre ; mais le nouveau missel est rédigé d'après des principes totalement conformes à ceux que suivirent ces deux prélats dans leur réforme liturgique : c'était assez dire que la partie romaine avait presque entièrement disparu.

La Lettre pastorale déclare ensuite que le nouveau bréviaire ayant rendu nécessaire un nouveau missel, l'archevêque s'est fait aider dans ce travail par plusieurs chanoines de la métropole. A leur tête naturellement le doyen, l'abbé d'Harcourt, qui ne travaillait pas par lui-même, mais par son protégé, Mésenguy. Nous ignorons quels sont les autres chanoines désignés ici, et la mesure de leur influence dans la composition du missel.

Venant au détail des modifications introduites dans ce livre, l'archevêque parle ainsi :  On ne trouvera presque  aucun changement dans les évangiles et les épîtres des  dimanches et des fériés, non plus que dans ceux des  fêtes chômées par le peuple. On a fait davantage de  changements dans les pièces chantées aux messes du  propre du temps; en sorte, toutefois, que nous avons  retenu ce qu'il y avait de meilleur en ce genre dans le  missel précédent, nous réservant quelquefois de le placer plus à propos. »

Charles de Vintimille confesse ici, sans scrupule, une des plus graves infractions faites à la Liturgie, sous le point de vue de la popularité du culte divin. Sans parler ici des graduels, versets alléluiatiques, offertoires et communions, choisis par saint Grégoire et ses prédécesseurs, et qu'il eût pourtant été fort à propos de ne pas perdre, à

 

317

 

une époque surtout où l'on se piquait si fort d'un zèle éclairé pour l'antiquité, n'était-ce pas une grande faute d'oser violemment changer, dans un grand nombre de messes, les introït eux-mêmes, qui, de toute antiquité, servaient à distinguer entre eux les divers dimanches de l'année ? Comment désormais lire et comprendre nos chroniques nationales, les chartes et les diplômes de nos ancêtres, dans lesquels les dimanches sont sans cesse désignés par les premières paroles de cette solennelle antienne ? Il faudra donc, et c'est à quoi on est réduit aujourd'hui, que le prêtre lui-même ne puisse plus expliquer ces monuments, s'il ne s'est muni d'un Missel romain, à l'effet de comprendre des choses que le peuple lui-même savait autrefois? Qu'il est pourtant triste de voir l'ardeur avec laquelle, à cette époque,on se ruait sur tout ce qui pouvait creuser un abîme entre le présent et le passé! Au reste, sous ce rapport, comme sous les autres, on était tombé dans toutes les contradictions où entraîne d'ordinaire une conduite arbitraire. Ainsi, on avait daigné conserver les introït : Ad te levavi, du premier dimanche de l'Avent ; Dominus dixit ad me, de Noël, à la messe de minuit ; Invocabit, Reminiscere, Oculi, Lœtare, des quatre dimanches de carême; Judica me, de la Passion; Domine, ne longe, du dimanche des Rameaux; Quasi modo, de l'octave de Pâques, et quelques autres encore des dimanches après la Pentecôte. On avait retranché Populus Sion, du second dimanche de l'Avent; le fameux Gaudete, du troisième dimanche ; Rorate, qui est au quatrième; Dum medium, au dimanche dans l'octave de Noël ; In excelso throno, au dimanche dans l'octave de l'Epiphanie; Omnis terra, au deuxième dimanche après cette fête; Adorate Dominum, au troisième et suivants ; Resurrexi, au jour même de Pâques; Misericordia, au second dimanche après Pâques; Jubilate, au troisième; Exaudi, Domine, au dimanche dans l'octave de l'Ascension ; Factus est Dominus,

 

318

 

au second dimanche après la Pentecôte; Exaudi,  Domine, au cinquième ; Omnes gentes, au septième ; Suscepimus, Deus, au huitième; Ecce Deus adjuvat me, au neuvième; Deus in loco, au onzième; Deus in adjutorium, au douzième; Protector noster, au quatorzième; Inclina, au quinzième; Justus es, au dix-septième ; Da pacem, au dix-huitième; Salus populi, au dix-neuvième; Omnia quae fecisti, au vingtième ; Si iniquitates, au vingt-deuxième ; Dicit Dominus, aux vingt-troisième et vingt-quatrième. Outre ces suppressions, plusieurs des introït conservés avaient été transposés d'un dimanche à l'autre; ce qui n'était propre qu'à accroître la confusion et à rendre de plus en plus impraticable l'étude des chroniques et des diplômes. Ainsi, le Gaudete du troisième dimanche de l'Avent, se trouvait transplanté au vingt-quatrième après la Pentecôte, le Vocem jucunditatis, du cinquième dimanche après Pâques, était anticipé au troisième, etc. Nous ne parlons pas des introït du propre des saints ; comme ils ne sont pas employés ordinairement dans le style de l'Europe du moyen âge, leur suppression n'offensait que les convenances liturgiques. Quant à ce que disait la Lettre pastorale, qu'on avait conservé les épîtres et les évangiles des fêtes chômées par le peuple, il eût fallu dire : moins l'évangile de la fête de saint Pierre et saint Paul. Cet évangile avait disparu, avec son fameux texte : Tu es Petrus, et super hanc petram œdificabo. Ecclesiam meam, pour faire place au passage du XXI° chapitre de saint Jean, où Jésus-Christ dit à saint Pierre : Pasce oves meas ; texte important, sans doute, pour l'autorité du Saint-Siège, mais moins clair, moins populaire, moins étendu que Tu es Petrus, qu'on avait lu pendant mille ans, ce jour-là, à Paris comme à Rome.

La lettre pastorale continue :  Nous avons choisi les  passages de l'Écriture qui nous ont semblé les plus propres à exciter la piété, les plus faciles à mettre en chant

 

319

 

et les plus en rapport avec les lectures sacrées qui se  font à la messe. Cependant, nous ne nous sommes point tellement enchaînés à une méthode quelconque que nous  ne nous soyons proposés, par-dessus tout, de rechercher ce qui pouvait élever le cœur à Dieu et l'aider à  concevoir le feu sacré de la foi, de l'espérance et de la charité.» Saint Grégoire s'était bien aussi proposé la même fin dans le choix des pièces de son antiphonaire, et passait même pour y avoir réussi. Il est étonnant que le XVIII° siècle ait eu cette surabondance d'onction et d'esprit de prière, et qu'un janséniste, comme l'acolyte Mésenguy, ait été appelé à devenir ainsi, pour l'Église de Paris, l'organe de l'Esprit-Saint. Nous devons seulement remarquer ici que, dans ce nouveau missel, on avait conservé généralement un plus grand nombre de formes romaines que dans le bréviaire, par exemple, la presque totalité des épîtres et des évangiles, et que si on avait suivi le système de mettre les parties chantées en rapport avec ces lectures, en substituant de nouveaux introït, graduels, etc., quand les anciens ne s'harmonisaient pas, on n'avait pas cependant pressé, avec la dernière exagération, l'application de cette méthode. Nous aurons bientôt à signaler d'autres missels fabriqués sur un plan bien plus rigoureux. Reprenons la lettre pastorale.

« La même raison nous a portés à ajouter plusieurs prête faces propres qui manquaient, savoir, pour l'Avent et  certaines solennités plus considérables, comme la Fête-Dieu, la Dédicace, la Toussaint et autres. Ainsi, nous  sommes-nous efforcés de nous rapprocher, autant que  nous avons pu, de l'ancienne coutume de l'Église  romaine, qui avait autrefois presque autant de préfaces  propres que de messes, comme cela est encore d'usage  aujourd'hui dans les Églises du rite ambrosien. »

Pourquoi donc n'avoir pas pris dans les anciens sacramentaires les préfaces de l'Avent, de la Dédicace,  de la

 

320

 

Toussaint, de saint Denys même ? Pourquoi en faire rédiger de si longues, de si lourdes,Car des docteurs de Sorbonne dont le style a si peu de rapport avec la phrase châtiée et cadencée de saint Léon et de saint Gélase ? Pourquoi, surtout, admettre à l'honneur de composer des prières d'un usage si sacré, un hérétique comme le docteur Laurent-François Boursier, expulsé de la Sorbonne en 1720, pour avoir écrit contre le concile d'Embrun ? C'est à un pareil homme que l'Eglise de Paris doit la préface de la Toussaint, qui se chante aussi à la fête du patron. Dans cette préface, Boursier dit à Dieu qu'en couronnant les mérites des Saints, il couronne ses propres dons, eorum coronando merita, coronas dona tua; expression très-catholique dans un sens, et très-janséniste dans un autre. Nous manquerions à notre devoir d'historien liturgiste, si nous ne disions ici que Boursier mourut le 17 février 1749, sur là paroisse de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, sans avoir rétracté son appel. Le curé de cette paroisse, quoique opposé à l'appel, s'étant montré moins ferme sur la foi que ne le fut plus tard, à l'égard de Coffin, celui de Saint-Étienne-du-Mont, et ayant cru pouvoir administrer les sacrements à Boursier, fut exilé à Senlis, en punition de cet acte de schisme, par l'archevêque de Beaumont. Et on a continué depuis 'à chanter la préface de Boursier !

« Nous avons apporté le même soin, continue la Lettre  pastorale,aux oraisons qui sont propres à chaque messe,  et qui tiennent un rang considérable dans la Liturgie ;  nous voulons parler des collectes, secrètes et postcommunions. Nous avons tiré des anciens sacramentaires la  plupart de ces oraisons si remplies de l'onction de la  piété. Nous en avons inséré quelques nouvelles, en très-ce petit nombre, composées autant que possible sur le modèle des anciennes, et formées en grande partie des  paroles mêmes des sacramentaires. En effet, si, comme

 

321

 

nous en avertit saint Célestin, la règle de la foi dérive  de celle de la prière, avec quelle pieuse et affectueuse  vénération ne devons-nous pas embrasser ces formules  de prières   que  nous ont laissées, par tradition,  ces  antiques témoins de la doctrine chrétienne, ces docteurs  excellents de la vénérable antiquité! Nous voulons par1er de ces hommes saints, dans lesquels habitait l'Esprit  d'intelligence et de prière,  les Léon, les Gélase, les  Grégoire, les Hilaire, les Ambroise, les Salvien,  les  Léandre, les Isidore.  Quelle imposante et sainte nuée  de témoins ! C'est par leur autorité qu'il nous conste  que, dans ces anciens temps, on avait la même foi que  nous professons aujourd'hui ; que les   mêmes vérités  catholiques ont été, depuis les siècles les plus reculés,  crues et défendues à Rome, à Milan, dans les Gaules, en  Espagne, en un mot dans tout l'Occident. » Cette doctrine liturgique de la lettre pastorale est, il est vrai, celle de tous les siècles chrétiens; mais pourquoi faut-il qu'elle ne soit ici qu'une contradiction de plus ? En effet, si l’on doit embrasser avec une pieuse et affectueuse vénération ces formules de prières que nous ont laissées par tradition ces antiques témoins de la doctrine chrétienne,  ces docteurs excellents de la vénérable antiquité, comment justifier le missel en tête duquel on lit ces belles paroles, puisqu'il est clair comme le jour qu'un nombre considérable de formules de ce genre sont abolies par le seul fait de sa publication ? Si saint Célestin doit être loué d'avoir dit que la règle de la foi dérive de celle de la prière, pourquoi cette règle de la foi ne dérive-t-elle pas tout aussi pure des paroles d'une prière appelée introït ou graduel, que de celles d'une prière appelée collecte ou postcommunion ? Bien plus, ces introït, ces graduels, étant destinés à être chantés par le chœur des prêtres,  auquel s'unit la voix du peuple, n'aideront-ils pas plus puissamment encore à la perpétuité du dogme ? ne rendront-ils pas plus solennel

 

322

 

et plus éclatant le témoignage des siècles, que ces oraisons que la seule voix de l'officiant fait retentir au fond du sanctuaire? Si l'on reconnaît que l'Esprit d'intelligence et de prière a animé les Pères de la Liturgie, les Grégoire et les Ambroise, par exemple, comment se justifiera-t-on d'avoir expulsé leurs hymnes du bréviaire ? Si les traditions liturgiques de l'Église de Milan et de celle d'Espagne sont dignes de notre respect, n'est-ce pas, après cela, se condamner soi-même que de rejeter les formules chantées de style ecclésiastique, quand on sait (et on doit le savoir) que les bréviaires et les missels de ces Églises gardent avec honneur la plupart de ces mêmes pièces de la Liturgie romaine que François de Harlay, Le Tourneux, de Vert, Vigier et Mésenguy ont si lestement effacées ? Est-il permis de parler de la Liturgie de l'Église des Léandreet des Isidore, et d'oublier le fameux canon du quatrième concile de Tolède, que nous avons cité ailleurs, et dans lequel sont si expressément condamnés ceux qui veulent chasser des offices divins les formules de composition humaine, pour ne chanter que des paroles de l'Écriture (1) ?

Au reste, le nouveau missel n'avait pas su se défendre d'une contradiction éclatante avec les principes mêmes de sa rédaction. Dans la messe du jour de la Pentecôte, on n'avait pas osé remplacer, par un texte biblique, l'antique verset alléluiatique, bien qu'il ne fût que d'une simple composition humaine. Soit défaut d'audace, soit respect invincible, soit injonction de l'autorité supérieure, Mésenguy avait conservé ces grandes et touchantes paroles : Alleluia. Veni, sancte Spiritus, reple tuorum corda fidelium, et tui amoris in eis ignem accende!

Avec cette seule exception, nous sommes en mesure de réclamer, ligne par ligne, tout l'Antiphonaire de saint Grégoire. Y a-t-il, par hasard, moins de piété ou d'autorité

 

(1) Vid. ci-dessus, tome I, page 204.

 

323

 

dans les autres formules si arbitrairement sacrifiées ? Il nous semble que si, dans la Liturgie régénérée, on peut encore chanter sans inconvenance : Alleluia. Veni, sancte Spiritus, reple tuorum corda, etc., on pourrait bien aussi chanter, pour honorer la Mère de Dieu, l'introït suivant :

 

Salve, sancta Parens, enixa puerpera Regem qui cœlum terramque regit in sœcula sœculorum !

 

Et le graduel :

 

Benedicta et venerabilis es, Virgo Maria, quœ sine tactu pudoris inventa es Mater Salvatoris.

 

Et l’alléluia :

 

Assumpta est Maria in cœlum : gaudet exercitus Angelorum.

 

Et le trait :

 

Gaude, Maria Virgo, cunctas haereses sola interemisti, quœ Gabrielis Archangeli dictis credidisti, etc.

 

Et cet autre alléluia :

 

Virga Jesse floruit; Virgo Deum et hominem genuit : pacem Deus reddidit, in se reconcilians ima summis.

 

Et l'offertoire :

 

Felix namque es, sacra Virgo Maria, et omni laude dignissima : quia ex te ortus est sol justitiœ, Christus Deus nos ter.

 

Et la communion :

 

Beata viscera Mariœ Virginis quœ portaverunt œterni Patris Filium !

 

Mais, qu'est-il besoin d'insister sur la contradiction d'avoir conservé le verset alléluiatique de la Pentecôte, quand nous avons si ample matière à un argument ad hominem, bien autrement embarrassant ? Le nouveau missel était rempli de proses nouvelles, pour toutes les fêtes possibles. Ces compositions n'étaient pourtant ni tirées de l'Écriture sainte, ni empruntées aux anciennes Liturgies. Elles étaient à la fois une parole humaine et une parole

 

324

 

nouvelle. Bien plus, on ne s'était pas contenté de faire des proses nouvelles; une des anciennes avait été retouchée d'après les idées modernes. Ainsi on ne lisait plus la première strophe de la prose des morts, comme autrefois :

 

Dies irœ, dies illa,

Solvet seclum in favilla,

Teste David cum sibylla :

 

Mais bien :

 

Dies irœ, dies illa,

Crucis expandens vexilla,

Solvet seclum in favilla.

 

Après la fameuse censure de la Sorbonne contre les jésuites auteurs des Mémoires de la Chine, Mésenguy ne pouvait plus souffrir qu'on chantât,dans l'Église de Paris, un verset de séquence dans lequel était invoqué le témoignage d'une sibylle des gentils à côté des oracles du peuple juif. Il est, en effet, bien étonnant que l'Église romaine et le reste de l'Occident s'obstinent à chanter toujours cette strophe, même après le jugement souverain de la Sorbonne !

Mésenguy avait trouvé l'occasion de faire une autre justice dans le Dies irœ. On y confondait encore, en dépit des progrès de la critique, sainte Marie-Madeleine avec Marie, sœur de Lazare :

 

Qui Mariam absolvisti;

 

Mésenguy voulut que Ton chantât et l'on a chanté depuis :

 

Peccatricem absolvisti !

 

Mais revenons à la lettre pastorale.  C'est donc à ces  sources si pures, et principalement dans les sacramentaires

 

325

 

de l'Église romaine qui est la Mère et la Maîtresse  des autres, que nous avons puisé les oraisons de notre  missel. On peut même dire que ce n'est pas sans une  conduite de la divine  Providence qu'a eu lieu,  pour  notre grande consolation et celle de notre troupeau, la  découverte récente du plus ancien de tous les sacramentaires de l'Église romaine, qui avait été inconnu depuis  plusieurs siècles. Ce livre d'or, écrit sur un manuscrit  en parchemin de plus de mille ans, a été publié à l'imprimerie Vaticane, sous les auspices du Souverain Pontife Clément. XII, qui conduit aujourd'hui,   avec non  moins de sainteté que de sagesse, la barque de saint  Pierre.  C'est à ce monument considérable que nous  avons emprunté un grand nombre de prières qui respirent une piété excellente et rappellent, pour le style  et la doctrine, saint Léon le Grand, à qui on les attribue comme à leur auteur très-certain. »  Nous  avons déjà dit un  mot de ce prétendu Sacramentaire de saint Léon, qui parut en 1735, à la tête du quatrième tome de l'édition du Liber pontificalis, dit d'Anastase, par Bianchini. Nous y reviendrons dans notre prochain volume. Mais ce manuscrit eût-il été réellement le Sacramentaire de saint Léon, était-ce, pour l'Église de Paris, une manière bien efficace de témoigner de son accord parfait avec la Mère et la Maîtresse des Églises, que de répudier le missel qu'elle promulgue et garantit de son autorité, pour s'en fabriquer un nouveau, dans la composition duquel on ferait entrer quelques lambeaux d'un ancien sacramentaire qui a été l'objet d'une réforme il y a tant de siècles ? Ce n'est pas  que  nous désapprouvions dans une Eglise qui, comme celle de Paris, se trouve en droit dé reformer sa liturgie, qu'on prenne dans les anciens sacramentaires certaines prières bien approuvées, pour enrichir encore le romain d'aujourd'hui ; mais cette conduite est toute;différente de celle qu'on a tenue. On s'est débarrassé du missel romain,

 

326

 

qui est le Sacramentaire et l'Antiphonaire grégoriens combinés, et ensuite, parmi les pièces anciennes que l'on a consenti à recevoir de nouveau, on a daigné remonter jusqu'au prétendu Sacramentaire léonien, conservant même la plupart des oraisons de saint Gélase et de saint Grégoire, parce qu'on le jugeait ainsi à propos. C'est une manière de procéder fort large ; mais il ne faudrait pas lui donner la couleur d'un zèle pour la liturgie romaine. Clément XII, en faisant les frais du quatrième tome de l'Anastase de Bianchini, comme ses prédécesseurs avaient fait les frais des trois premiers, n'avait pas, assurément, la pensée que le sacramentaire tel quel, publié parmi plusieurs autres monuments dans ce volume, dût fournir à l'Église de Paris un prétexte de se débarrasser du Missel romain que les Harlay et les Noailles avaient encore respecté.

« Nous avons largement distribué dans tout notre missel ces richesses liturgiques ; d'où il est arrivé qu'en  plusieurs endroits de ce missel, on trouvera des collectes différentes des oraisons qu'on aura récitées dans  le bréviaire ; inconvénient léger et même nul en soi. Il  nous eût semblé plus fâcheux de priver notre Église  de tant d'excellentes prières des anciens Pères. » On dira ce qu'on voudra, mais ce n'en est pas moins une chose inouïe dans la Liturgie, que la discordance de l'oraison des heures avec la collecte de la messe, dans un même office. Ce défaut d'harmonie qu'on voudrait excuser ici ne montre que trop la précipitation avec laquelle les nouveaux livres furent fabriqués. Jamais cette Liturgie romaine dont on s'est défait si cavalièrement ne fournit d'exemple de ces anomalies, parce que les choses du culte divin sont toujours disposées à Rome avec le sérieux, la gravité, la lenteur, qui seuls peuvent faire éviter de pareilles fautes.

La lettre pastorale contient ensuite ces paroles remarquables :  Cependant,  nous voulons vous avertir  que,

 

327

 

dans plusieurs oraisons des anciens sacramentaires, il a été fait certains changements, soit dans le but de les  abréger, soit dans celui d'ôter l'obscurité et d'aplanir le  style, soit enfin pour les accommoder à la forme spéciale des collectes, secrètes et postcommunions. Cet  exemple nous était donné par toutes les églises de tous  les temps, dans les livres desquelles on rencontre beaucoup de prières transférées d'une Liturgie dans une  autre, et qui ont subi quelques légers changements dans  les paroles, tout en conservant le même sens. Nous  avons pensé que la même chose nous était permise, à  la même condition, à savoir, que le changement ne tomberait pas sur le fond des choses, mais seulement sur  les expressions. Nous pouvons affirmer que les vérités  du dogme catholique, exprimées dans ces prières, ont  été religieusement conservées par nous dans toute leur  intégrité et inviolabilité. » Voilà donc un évêque catholique réduit à affirmer solennellement à son clergé, en tête d'un missel, qu'il n'a pas altéré frauduleusement le dépôt de la tradition sur les vérités catholiques ! Que s'était-il donc passé qui nécessitât cette humiliante déclaration ? quel événement avait excité à un si haut point les susceptibilités du clergé orthodoxe, que le pasteur fût ainsi obligé de courir au-devant, sans nul souci des convenances les plus sacrées ? Cette déclaration sans exemple avait pour but de prévenir de nouvelles réclamations dans le genre de celles qui s'étaient élevées sur le bréviaire, et, dans le fait, l'on doit convenir que le missel était généralement plus pur que le bréviaire, bien qu'il renfermât encore une somme immense de nouveautés. On a dû remarquer plus haut que l'archevêque, en parlant de la commission pour le missel, ne s'était pas borné, comme dans la lettre pastorale du bréviaire, à désigner en termes généraux les hommes sages et érudits auxquels il avait confié cette délicate opération, mais qu'il avoue simplement

 

328

 

le concours de plusieurs chanoines de la métropole. C'était mettre totalement hors de cause la coopération de Mésenguy, de Boursier et leurs semblables.

On trouvait encore, dans les clauses de la promulgation du missel, une particularité qui faisait voir que le prélat avait eu en vue de ménager sur plus d'un point les susceptibilités catholiques. Le lecteur doit se rappeler que la lettre pastorale sur le bréviaire déclarait ce livre obligatoire pour toutes les églises, monastères, collèges, communautés, ordres, enfin pour tous les clercs astreints à l'office divin, sans exception aucune ; la lettre pastorale du missel, beaucoup moins absolue, n'exigeait cette soumission que de ceux qui, par le droit et la coutume, sont tenus de célébrer et réciter l'office parisien (1).

Nous ne nous appesantirons pas davantage, pour le moment, sur les particularités de ce nouveau missel ; il nous suffira ici d'en avoir exposé le plan, d'après la lettre pastorale qui lui sert comme de préface. Au reste, nous le répétons, ce livre était en soi moins répréhensible que le bréviaire. Les réclamations des catholiques avaient du moins eu l'avantage de réprimer l'audace de la secte qui s'était vue à la veille de triompher par la Liturgie. Toutefois, soit lassitude, soit découragement, les répugnances se calmèrent peu à peu : le Bréviaire et le Missel de Vintimille s'implantèrent profondément, et c'en fut fait de la Liturgie romaine dans l'Église de Paris.

Bien plus, cette Église que Dieu, dans ses conseils impénétrables, avait ainsi soumise à la dure humiliation de voir des mains hérétiques élaborer les offices divins qu'elle aurait désormais à célébrer, eut le triste honneur d'entraîner grand nombre d'autres Églises du royaume, dans la malheureuse voie où on l'avait poussée. Déjà l'exemple qu'elle avait donné au temps  de François de

 

(1) Qui  de jure vel   consuetudine  Parisiense   officium  celebrare  aut recitare tenentur.

 

329

 

Harlay avait été contagieux ; celui qu'elle offrit au temps de Charles de Vintimille eut bien d'autres conséquences. Trente ans après l'apparition du Bréviaire de 1736, la Liturgie romaine avait disparu des trois quarts de nos cathédrales, et, sur ce nombre, cinquante et plus s'étaient déclarées pour l'œuvre des Vigier et des Mésenguy. La sainte Église de Lyon était de ce nombre. Quel événement donc que l'apparition des livres de Vintimille ! Comment n'a-t-il pas laissé plus de place dans l'histoire ? C'est que l'indifférence, le mépris, l'oubli même du passé était la grande maladie qui travaillait les hommes du XVIII° siècle; et cependant, quand les jansénistes et les philosophes eurent totalement miné la société religieuse et civile, beaucoup d'honnêtes gens s'étonnèrent de voir crouler pêle-mêle, en un instant, tant d'institutions que les mœurs ne soutenaient plus. Le récit de cette catastrophe n'est pas de notre sujet: nous avons seulement à raconter comment une des formes principales de la civilisation religieuse du moyen âge, la forme liturgique, a péri en France : poursuivons notre histoire.

Il serait par trop minutieux d'enregistrer ici successivement les divers diocèses qui acceptèrent tour à tour les nouveaux livres parisiens. Il suffira de dire que partout où cette adoption eut lieu, on fondit le calendrier et le propre diocésains avec ceux de Paris, et qu'on mit en tête du bréviaire et du missel le titre diocésain, le nom de l'évêque qui faisait cette adoption, et une lettre pastorale composée d'ordinaire sur le modèle de celle de Vintimille. Les premières Églises qui entrèrent dans cette voie, furent celles de Blois, d'Évreux et de Séez. On fit dans ces diocèses quelques légères rectifications au bréviaire, et même les Nouvelles ecclésiastiques se plaignent amèrement qu'à Évreux on ait osé changer quelque chose dans la fameuse strophe de l'hymne de Santeul, pour l'office des évangélistes. Elle avait été mise ainsi :

 

33o

 

Insculpta saxo lex vetus

Prœcepta, non vi res dabat ,

Inscripta cordi lex nova

Dat posse quidquid prœcipit.

 

On avait donc adouci le dernier vers :

 

Quidquid jubet dat exequi;

 

mais les trois premiers exprimaient encore les propositions de Quesnel, 6, 7 et 8.

Le nouveau Bréviaire de Paris fut aussi adopté, en 1764, par les chanoines réguliers de Sainte-Geneviève, dits de la congrégation de France. Nous ne ferions que mentionner simplement ce fait, si une des circonstances de son accomplissement n'offrait matière à une observation très-grave. Le P. Charles-François de Lorme, abbé de Sainte-Geneviève et général de la congrégation, avait placé en tête du bréviaire, suivant l'usage, une lettre pastorale adressée à tous les abbés, prieurs, curés et chanoines de sa juridiction, et, dans cette pièce, il rendait compte des motifs qui avaient présidé à la rédaction de ce nouveau Bréviaire de Paris, qui allait devenir désormais celui des chanoines réguliers de la congrégation de France. Après avoir parlé de la correction du Bréviaire romain par saint Pie V, et du mérite de cette œuvre pour le temps où elle fut accomplie, l'abbé de Sainte-Geneviève en venait au détail des inconvénients qui avaient porté plusieurs évêques de France à renoncer à ce bréviaire :

« Autant il était vrai, dit la Lettre pastorale, que le  Bréviaire romain l'emporte sur tous les autres, autant  on devait regretter que cette œuvre n'eût pas atteint sa  perfection, moins par la faute de ses auteurs que par le  malheur des temps. Il y était resté beaucoup de choses  qui, soumises depuis à un examen sévère, ont été trouvées

 

331

 

incertaines et même fausses. Il s'y était introduit  plusieurs choses CONTRAIRES AUX MAXIMES DE NOTRE  EGLISE GALLICANE (1). » La voilà donc révélée par un témoin grave et contemporain, l'intention qu'on a eue en se défaisant du Bréviaire romain, d'aider à l'établissement du gallicanisme. Certes, un pareil aveu n'était plus nécessaire après les faits que nous avons rapportés : mais il ne laisse pas que de réjouir grandement, surtout à cause de la naïveté avec laquelle il est produit.

Tandis que le désir de consolider les maximes de notre Église gallicane portait une grande partie du clergé du royaume à rejeter le Bréviaire romain, l'esprit catholique, dont nous avons vu les résistances à Paris, se révoltait dans d'autres diocèses. Nous avons malheureusement peu de faits à citer ; mais c'est une raison de plus de les arracher à l'oubli. Nous dirons donc qu'à Marseille, l'héroïque évêque Henri de Belzunce adressa un mandement à son peuple, pour l'engager à redoubler de zèle dans le culte de la sainte Vierge et des saints, qui était menacé par de téméraires innovations. Des considérations de haute convenance l'empêchèrent d'expliquer plus clairement les attentats qu'il avait en vue ; mais des curés, tels que ceux des Accoules et de Saint-Martin, crurent pouvoir annoncer en chaire, à leurs peuples, que le prélat avait voulu signaler le récent Bréviaire de Paris, et l'on ne tarda pas à entendre retentir, dans les Nouvelles ecclésiastiques, tous les sifflets du parti contre l'illustre prélat à qui la secte n'a jamais pardonné son zèle ardent contre les dogmes jansénistes.

 

(1) Atquam verum erat caeteris omnibus praestare Romanum Offici; divini Ordinem, tam dolendum erat opus numeris suis omnibus, vitio seculi potiusquam auctorum, non fuisse absolutum. Supererant plurima, quœ incerta, quœ falsa postmodum adhibito severiori examine, deprehensa sunt; exciderunt nonnulla nostrae Gallicanae Ecclesiœ placitis adversa.

 

332

 

Ceci se passait quelques mois après l'apparition du Bréviaire de Vintimille. En 1762, un fait du même genre consola les amis des saines doctrines liturgiques. Jean-Georges de Souillac, évêque de Lodève, augustinien zélé, avait été du nombre des prélats qui les premiers adoptèrent le nouveau parisien. Il eut pour successeur, en 1750, un évêque célèbre pour la pureté de sa doctrine, et dont nous aurons prochainement occasion de parler. Ce prélat était Félix-Henri de Fumel. Un des premiers actes de son autorité fut de rétablir le Bréviaire romain et de supprimer le parisien qu'il avait trouvé en vigueur. Cet acte de courage lui attira, comme à Belzunce, les injures du parti ; mais de pareils outrages de la part des hérétiques sont la plus noble récompense que puisse ambitionner un évêque.

Tirons maintenant les conclusions qui résultent, pour la doctrine liturgique, des faits exposés dans ce chapitre.

D'abord, sur les douze caractères que nous avons signalés dans les œuvres de la secte antiliturgique, dix sont visibles dans les divers produits de la grande révolution que nous venons de raconter.

 

° Eloignement pour les formules traditionnelles. Foinard, Grancolas, dans leurs Projets ; les Bréviaire et Missel de Paris de 1736, etc. Partout, on crie qu'il faut prier Dieu avec ses propres paroles : Deum de suo rogare.

2° En conséquence, remplacement des formules de style ecclésiastique par des passages de la Bible. C'est l'intention expressément avouée et mise à exécution. C'est le génie de l'œuvre tout entière.

Fabrication de formules nouvelles. Les hymnes de Coffin,dont nous avons relevé quelques traits. La Préface de la Toussaint, par Boursier. Une immense quantité de proses nouvelles.

Contradiction des principes avec les faits, rendue patente dans ces milliers  de nouveautés introduites par

 

333

 

des gens qui ne parlent que de rétablir la vénérable antiquité , et qui non-seulement fabriquent de nouvelles -hymnes, de nouvelles proses, de nouvelles oraisons, de nouvelles préfaces, mais, de plus, débarrassent le Bréviaire et le Missel d'une immense quantité de pièces grégoriennes non-seulement anciennes, mais empruntées à l'Ecriture sainte elle-même.

Affaiblissement de cet esprit de prière appelé Onction dans le catholicisme. Tout le monde convient que les nouveaux bréviaires, avec tout leur art, ne valent pas, pour la piété, les anciens livres. Continuelle attention, de la part de Vigier et Mésenguy, à introduire dans leur œuvre des phrases bibliques à double sens, comme autant de mots d'ordre pour le parti : ce serait un grand miracle qu'il fût demeuré beaucoup d'onction dans tout cela.

Diminution du culte de la sainte Vierge et des saints. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur les Projets de Foinard et de Grancolas, qui sont réalisés dans le Calendrier et le Propre des Saints du nouveau parisien, pour se convaincre que telle a été l'intention. Les résultats sont venus ensuite, et on ne doit pas s'en étonner..

Abréviation de l'office et diminution de la prière publique. On a vu avec quelle impudeur Foinard l'avait affiché jusque sur le titre de son livre. Dans les nouveaux bréviaires, rien n'a été épargné pour cela.

Atteintes portées à l'autorité du Saint-Siège. Qu'on se rappelle la collecte de saint Damase, la réunion des deux chaires de saint Pierre en une seule, l'extinction de l'octave de la fête même du prince des apôtres, etc.

Développement du presbytérianisme dans l'innovation liturgique, œuvre de simples prêtres, à laquelle ont pris part notable de simples acolytes, des laïques même : sujet de grande déconsidération pour la hiérarchie, et bientôt pour tout l'ordre ecclésiastique.

10° Intervention de la puissance séculière dans l'affaire

 

334

 

du nouveau Bréviaire de Paris. Sentences contre un prêtre dont les sentiments n'étaient que catholiques. Nulle réclamation de l'autorité compétente contre un si énorme scandale.

C'est donc une déplorable forme liturgique que celle à laquelle sont devenues applicables, et en si grand nombre, les notes auxquelles on reconnaît la secte antiliturgiste. En outre, c'est une chose bien étrange que le remaniement total de la Liturgie ait eu pour auteurs et promoteurs des hérétiques jansénistes, séparés de la communion, même extérieure, de l'Église, tels que Le Brun Desmarettes, Coffin et Boursier, et d'autres non moins déclarés, appelants des jugements de l'Église, et, malgré cela, par une inexplicable contradiction, honorés de la confiance des prélats qui avaient promulgué ces mêmes jugements.

C'est aussi un fait bien instructif que celui d'un archevêque de Paris obligé d'admettre de nombreux cartons dans un bréviaire dont il a garanti l'excellence dans une lettre pastorale, et réduit à protester, deux ans après, en tête d'un missel, qu'il y a maintenu la foi dans sa pureté, et qu'en retouchant le style de certaines oraisons, il n'a point altéré la doctrine catholique qu'elles renfermaient.

C'est une chose bien humiliante, qu'en donnant la liste des réformateurs de la Liturgie, il nous faille ajouter, aux noms de Sainte-Beuve, Le Tourneux, de Vert, San-teul, Ledieu, Ellies Dupin, Beaudoin, Bossuet, évêque de Troyes, Petitpied et Jubé, tous jansénistes, ou fauteurs de cette hérésie, ceux de Caylus, évêque d'Auxerre, Le Brun Desmarettes, Vigier, Mésenguy, CofBn et Boursier, tous fameux à divers degrés pour leur zèle et leur indulgence envers la secte. Nous serions injuste de ne pas leur adjoindre l'intrépide champion du nouveau Bréviaire parisien, l'avocat général Gilbert de Voisins, dont nous signalerons encore, au chapitre suivant, le zèle pour les maximes françaises sur  la Liturgie. Notre impartialité

 

335

 

nous oblige, tout en laissant les docteurs Foinard et Grancolas au rang des hommes les plus téméraires qui aient jamais écrit sur les rites sacrés, à ne pas les faire figurer expressément sur la liste des partisans ou fauteurs du jansénisme. Il est prouvé que Grancolas, du moins, avait accepté sans arrière-pensée les jugements de l'Église. Sur la liste si peu nombreuse des réclamants contre la destruction de toutes les traditions liturgiques, nous inscrirons à la fin de ce chapitre, à côté de Languet et de Saint-Albin, Belzunce, évêque de Marseille ; de Fumel, évêque de Lodève ; les séminaires de Saint-Sulpice et de Saint-Nicolas-du-Chardonnet ; les abbés Regnault et Gaillande, et surtout ce courageux jésuite, le P. Hongnant, qui confessa, malgré la rage du parlement, ces pures traditions romaines dont sa société, toujours fidèle aux enseignements de saint Ignace, ne s'est jamais départie. Nous ne parlons point de Robinet, qui a eu trop de part à l'innovation, à Rouen et ailleurs, pour être recevable à la condamner à Paris.

 

336

 

NOTES DU CHAPITRE XIX

 

NOTE A

 

CAROLUS GASPAR GUILLELMUS DE VINTIMILLE, E COMITIBUS MAS-SILLE DU LUC, MISERATIONE DIVINA, ET SANCT.E SEDIS APOSTOLICE GRATIA, PARISIENSIS ARCHIEPISCOPUS,

 

CLERO PARISIENSI,   SALUTEM IN CHRISTO JESU.

 

Est assidua precatio ita homini Christiano necessaria, ut sine ea non magis vigere pietas possit, quam sine ducto spiritu corporis vita servari. Oportet semper orare et non dejicere. Ita quippe et supremum in nos Dei jus ac dominium, et humanae conditionis infirmitatem inopiamque agnoscimus ac profitemur...,

Ecclesia, castissima illa columba, cujus pios perpetuosque gemitus semper exaudit Deus, id in se muneris recipit, ut ministrorum suorum preces dirigat, et singulas sanctissimi ministerii partes ordinet atque disponat. Illa in Officio divino, quo quidem tota publici cultus materia continetur, complexa est augustissima Dei ac Religionis mysteria, incorruptas fidei morumque regulas, doctrinam traditionis, sanctorum Patrum scriptis, et Conciliorum decretis consignatam. Ibidem clarissima virtutum omnium exempla proponit in vita et morte Sanctorum ac Martyrum,quos publico cultu veneratur; eascilicet mente ut fidelium pietatem alat, erudiat fidem, fervorem accendat. Docet eadem Dei cultum spiritu, id est, religioso animi cordisque obsequio, et adoratione constare; Sanctosque non sterili admiratione, sed fideli virtutum, quibus enituerunt, imitatione honorari. Quae cum generatim spectarunt primi Ecclesias Pastores, tum illud etiam praecipue intenderunt, ut in Officii ecclesiastici serie, ordine, dispositione parata essent sacerdotibus subsidia, quibus populos sibi commissos scientia salutis facilius possint instruere Illustrissimorum Antistitum, qui nobis proxime tres decesserunt, felix fuit hac in parte opera et probatus labor : quorum exemplo hujus regni Praesules non pauci cum successu ac laude nova ediderunt breviaria.

Nos vero, statim ut divinas Providentiae dono ad hujus Metropolitanae Ecclesiae gubernaculum accessimus, novi breviarii necessitatem, a viris eruditis et sapientibus admoniti cognovimus. Nam cum in pluribus proxime praecedentium breviariorum  Officiis mirus quidam ordonet

 

337

 

et eximius solidas pietatis ac doctrinae gustus eluceat; ut caeteris Officiis eadem dignitas, idem nitor accederet, vehementer concupivimus. Quo in opere sic elaboratum est, ut illud tandem et divini cultus majes-tati, et nostris, quae communem omnium sanctificationem spectant, votis responderet.

In hujus porro operis ordinatione id servandum esse duximus, ut, si excipiantur Hymni, Orationes, Canones, et Lectiones nonnullae, singulae Officii partes e Scriptura sacra depromerentur ; rati videlicet cum sanctis Patribus, acceptiores fore Divinae Majestati preces, quae Dei ipsius, non sensus modo, sed ipsas etiam voces repraesentarent. Lectiones autem e Patrum scriptis et vita Sanctorum excerptae, cavimus ut cum delectu fierent, et Officiis in quibus usurparentur, apprime congruerent; postremo, ut omnia incorruptis rerum gestarum monumentis niterentur.

Superiorum Breviariorum, veterumque Sacramentariorum Collectas, seu Orationes, quod Iicuit, retinuimus, imo veteribus Hymnis locus datus est, nisi quibus ob sententiarum vim, elegantiam verborum, et teneriores pietatis sensus, recentes anteponi satius visum est.

Multorum piae voluntati obsequentes, Psalterium ita divisimus (quod quidem pluribus jam in Ecclesiis obtinuit), ut sui singulis hebdomadae diebus, imo etiam Horis, proprii addicerentur Psalmi; prolixiores vefo secarentur. Ejusmodi partitione, Officiorum insequalitatem sustulimus; fecimusque ut canentium spiritus et attentio minus jam gravarentur. Hoc nimiae prolixitatis incommodum segre se olim tulisse affirmat sanctus Basilius. Quae molestia ut levaretur, sanxerat jam antiquitus Narbonense concilium, ut Iongior quisque Psalmus in plures Doxologias divideretur; quod item sancti Benedicti Regula praescribit.

In omnibus Festis, Feriarum Psalmi recitabuntur, in tantum diebus exceptis, qui vel Mysteriis, vel Virgini Deiparae sacri erunt. Inde fiet ut omnes fere semper intra unius hebdomadae spatium Psalmi perlegantur.

Servata est sua die Dominicae prasrogativa, ut nempe festa quaelibet excludat, nisi quas principem in Ecclesia honoris ac celebritatis gradum obtinent.

Ut autem cujusque diei suus quidam scopus, certumque discrimen assignetur; die Dominica, quae creatae lucis, resurgentis Christi, et promulgatae novse legis est dies, excitatur in fidelium animis Dei et divinae legis amor. Feria secunda, benigna Dei erga homines caritas ac beneficentia celebratur. Tribus proxime sequentibus Feriis, amor proximi, spes et fides commendantur. Feriae Sextae, quae dies est passionis Christi, Officium ad patientiam in hujus vitae laboribus etaerumnis refer-tur. Sabbato denique, propter bona fidelium opera, iisque repensam mercedem, grates Deo persolvuntur.

In ritu Quadragesimalis Officii, asquum censuimus ut vetus Ecclesiae mos revocaretur, quo dierum festorum laeta celebritas cum jejunio et

 

338

 

cum salutari poenitentiae tristitia non satis congruere videbatur. Multas . iam Dioeceses nobis hac in re praeiverunt, quarum  exemplo a Quadragesimali  tempore  dies festos, nisi quibus ab  opere servili abstinetur, amovimus.

Vulgavimus ad totam Dioecesim usum Metropolitanae nostrae, ut in Qmcio Primae legantur Canones; sicque provisum, ut Clerici omnes perutili Ecclesiasticae disciplinae notitia imbuti, ad itlius normam mores componere studeant. In Calendario et Rubricis perlevis est facta mutatio; quam ideo tantum admissam  esse  intelligetis, ut Officiorum dignitati

consuleretur.

Quocirca, de Venerabilium Fratrum nostrorum Ecclesiae nostrae Canonicorumconsilio, omnibus nostrae Dioeceseos Ecclesiis, Monasteriis, Collegiis, Communitatibus, Ordinibus, necnon omnibus Clericis qui ad illud tenentur, mandamus et prsecipimus ut hocce Breviario nostro a nobis, ut sequitur, digesto et concinnato, nec alio quolibet in posterum utantur; districte videlicet omnibus Typographis et Bibliopolis, aliisve, quicumque sint, inhibentes, ne vetus Breviarium recudere, omnibus vero qui ad Officium tenentur, ne aliud quam hoc nostrum, sive privatim, sive publice recitare praesumant.

De cetero hortamus vos, Fratres carissimi, ut spiritu et mente psallatis. Si orat Psalmus, inquit S. Augustinus, orare; si gemit, gemite; si gratulatur, gaudete; si sperat, sperate; ut quod lingua promit, moribus exprimatis : postremo ut dum pias ad Deum pacis fundetis preces, ab omni contentionis et oemulationis spiritu abstineatis. Neque enim illud Orationis vectigal, doctrinae et ingenii ostentatione, sed simplicitate, fide, intimo paupertatis nostrae sensu persolvimus. Ita precantes, Fratres carissimi, hostiam laudis, et, ut ait Propheta, vitulos labiorum offeretis Deo; quod quidem pro vobis a Patre misericordiarum per viscera charitatis Christi enixe flagitamus.

Datum Parisiis, in Palatio nostro Archiepiscopali, tertio nonas Decem-bris anni millesimi septingentesimi trigesimi quinti.

 

NOTE B

 

CAROLUS GASPAR GUILLELMUS DE VINTIMILLE, E COMITIBUS MASSILLE DU LUC, MISERATIONE DIVINA, ET SANCTAE SEDIS APOSTOLICAE GRATIA  PARISIENSIS ARCHIEPISCOPUS.

 

CLERO  PARISIENSI  SALUTEM IN EO  QUI EST OMNIUM VERA SALUS.

 

Supremo Numini, rerum omnium Creatori et Domino, a quo sumus e nihilo educti, cujus ex ore hausimus hunc vitae spiritum quo vivimus et homines sumus, debemus interiorem cultum, hoc est plane obsequentis, seseque ad eum, et sincero amore referentis animi sacrificium...........

 

339

 

In hujus tam augusti Sacrificii celebrationem Episcopi diligentem semper curam intenderunt, caveruntque sedulo, tum ne quid in sacram liturgiam irreperet, quod tanti Mysterii majestatem quodam modo deformaret, tum etiam ut ei omnem illum decorem conciliarent, qui aptior videretur, et ad illius excellentiam apud fideles commendandam, et ad solidioris pietatis sensus in eorum cordibus excitandos. Hinc est quod ad mentem Conciliorum quae novissimis temporibus habita sunt, nonnullas Galliarum-Ecclesiae certatim allaboraverunt (illaeso tamen eo qui multis jam a saeculis apud omnem Ecclesiam Latinam viget, sacrae Liturgioe ritu et ordine) ut Missalia sua emendarent, ac perficerent.

Atque in tam laudabili consilio, Parisiensis Ecclesia nostra caeteris omnibus facem praetulit, edito ab illustrissimo decessore nostro Francisco Harlaeo, Missali : quo quidem nihil adhuc prodierat eo in genere perfectius; adeo ut in tota Gallia ab omnibus doctis piisque viris unanimi plausu et admiratione exceptum fuerit, sive quis intueretur accurate lecta et apte dispensata sacrae Scripturae loca; sive excellentiam precationum, quibus exornatum locupletatumque fuerat, partim ex antiquis Sacramentariorum libris depromptarum, partim recenti quidem exaratarum stylo, sed qua; antiqui coloris sinceritatem apprime retinerent.

In illo tamen quamvis eximio opere, quod et decessor noster Eminentissimus Noallius augendum expoliendumque curaverat, erant adhuc nonnulla, quibus nondum ultima manus imposita videbatur. Fecit ipsa quarumdam partium, quas diligentissime emendatae erant, praestantia, ut et nos veniremus in partem laboris residui, daremusque operam, ut et ea quae intacta remanserant, ad eamdem formam, eumdemque emendationis gustum exigerentur; unde exurgeret omnibus numeris, si fieri posset, absolutum opus, et sibi ubique constans.

Ad id autem satis fuit duces eos qui nobis præiverant sequi, et monstratam ab illustrissimis Decessoribus nostris viam insistere.

Accedebat, ut ad id quam primum accingeremur, quaedam necessitas. Vulgato enim non ita pridem a nobis novo Breviario, mancum quodam-modo videbatur opus, nisi adjungeretur et Missale novum, quod Breviarii nostri Officiis congrueret. Igitur, adjuti nonnullorum Ecclesiae nostrae Metropolitanae Canonicorum studio et industria, manum operi admovere statuimus : atque haec fuit consilii nostri ratio.

In Evangeliis et Epistolis Dominicarum et Feriarum, quemadmodum et in iis quae leguntur diebus festivatis a populo, nihil fere immutatum reperietur. Quae vero in Missis de Proprio temporis ad cantum pertinent, in iis facta quidem frequentior mutatio est; ita tamen ut quidquid era eximii saporis in Missali praecedenti, in nostro retineremus, sed interdum aptius collocaretur. Selegimus loca Scripturarum, quae magis idonea visa sunt ad pietatem commovendam ; quae facilius modulationem admitterent, et quae sacris Missarum Lectionibus accuratius responderent. Nulli tamen ita serviendum esse methodo duximus, ut non eam praecipue

 

340

 

legem intueremur, cui alias omnes cedere oportet, ut nempe mens sursum ad Deum erigatur, et ad sacrum fidei, spei et caritatis ignem concipiendum adjuvetur.

Eadem adducti ratione quasdam Praefationes addidimus ubi propriae deerant, nempe pro tempore Adventus, et quibusdam celebrioribus anni Solemnitatibus, videiicet Corporis Christi, Dedicationis, Sanctorum omnium, et aliis nonnullis. Sic conati sumus ad morem antiquum Romanae Ecclesiae, qua licuit, accedere, apud quam, ut et nunc in iis Ecclesiis quae ritu Ambrosiano utuntur, singulis prope Missis singulae Prefationes attributae sunt.

Neque minorem curam adhibuimus circa eas Orationes quae in singulis Missis recitantur, quae quidem non ultimum in sacra Liturgia locum tenent; Collectas intelligimus, Secretas et Postcommuniones. Earum plerasque ex antiquis Sacramentorum libris excerpsimus, pietatis unctione plenissimas. Novas inseruimus quam paucissimas, easque ad vetustarum exemplar, quantum fieri potuit, elaboratas, et saepius ex ipsis Sacramentariorurn verbis magnam partem expressas. Etenim cum Legem credendi, ut monet Coelestinus, lex statuat supplicandi: quam pio venerationis affectu amplecti debemus eas precum formulas, quas nobis tradiderunt prisci illi doctrinae Christianse testes, et verendae antiquitatis praecones eximii! Sanctos illos homines dicimus, in quibus habitabat Spiritus intelligentiae et precum, Leonem, Gelasium, Gregorium, Hilarium, Ambrosium, Salvianum, Leandrum, Isidorum. Quantam et quam sanctam nubem testium ! quorum auctoritate constat priscis illis temporibus, eamdem quam et nos hodie profitemur, viguisse fidem ; easdem Catholici dogmatis veritates, Romae, Mediolani, in Galliis, in Hispania, uno verbo per totum Occidentem, a tot retro seculis testatas fuisse, creditas, ac propugnatas.

His e fontibus limpidissimis, maximo vero ex Sacramentariis Romanas Ecclesiae, quae caeterarum mater est et magistra, Orationes Missalis nostri deprompsimus. Quin etiam non sine divinas Providentiae natu ac gubernatione contigit, ad nostrum gregisque nostri grande solatium, ut non ita pridem repertum fuerit omnium  Sacramentariorum Ecclesiae Romanae vetustissimum, quod a pluribus seculis ignotum latitabat. Opus illud aureum, prout erat exaratum in membranis manuscriptis aetatis annorum supra mille, prodiit in lucem typisVaticanis, sub auspiciis summi Pontificis Clementis duodecimi, qui non minus sancte quam sapienter Beatri Petri navem moderatur. Ex illo igitur spectabili monumento mutuati sumus preces plurimas, eximiam spirantes pietatem, Magnique Leonis, cui tanquam certissimo auctori tribuuntur, stylum et doctrinam referentes. 

Has, quae nobis abunde suppetebant divitias, passim per Missale nostrum Iarga manu distribuimus : unde factum est ut aliae interdum in hoc Missali Collectae legantur, quam quae in Breviario recitantur Orationes, parvo sane aut nullo incommodo. Hasc nobis multo futura

 

341

 

major jactura visa est, si tot egregiis veterum Patrum precibus Ecclesia

nostra caruisset.

Illud tamen vos admonitos volumus in nonnullis Sacramentariorum veterum Orationibus aliquando factas esse quasdam immutationes, sive ut consuleretur brevitati, tolleretur obscuritas, leniorique fluerent stylo ; sive etiam ut ad formam Collectarum, Secretarum, vel Postcommunio-num accommodarentur. Id nobis exemplum tradidere omnes omnium temporum Ecclesias, apud quas multae occurrunt precationes, quae dum ex alia in aliam Liturgiam transferuntur, levem aliquam mutationem in verbis, eodem sensu servato, receperunt. Idem et nobis quoque licere duximus.eadem adhibita cautione,ut, si qua fieret mutatio,illa non in res, sed in verba vocesque tantum caderet. Veritates Catholici dogmatis, quas precationes illee praeferebant, affirmare possumus illaesas a nobis inviola-tasque magnaesse religione servatas........

Quocirca omnibus nostrae Diceceseos Ecclesiis, earumque Decanis et Rectoribus, Ordinibus, Collegiis, Monasteriis, Communitatibus, necnon omnibus, quicumque sint, Presbyteris, qui de jure vel consuetudine Parisiense Officium celebrare aut recitare tenentur, de Venerabilium Fratrum nostrorum Ecclesiae nostrae Canonicorum consilio, in Domino mandamus ac praecipimus, ut hocce nostro Missali a nobis digesto, nec alio quolibet imposterum utentur : districte videlicet omnibus Typographis et Bibliopolis, aliisve, cujuscumque conditionis existant, inhibentes ne ullum ex veteribus Missale recudere; neve deinceps Presbyteri ullo quolibet alio quam nostro recognito, sive in solemnibus, sive in aliis Missis uti praesumant : aliosve inter celebrandum ritus inducant, alias preces aut ceremonias, quam quae a  nobis praescribuntur, et volumus ab omnibus observari. Datum Parisiis,  quinto  Idus Martii, anno Domini  millesimo septingentesimo trigesimo octavo.

 

 

 

Précédente Accueil Suivante