II - ADDITION

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II - CHAPITRE XXIV
II - APPENDICE
II - ADDITION

ADDITION

 

REFORME LITURGIQUE DANS L’EGLISE DE  MEAUX, AU COMMENCEMENT DU XVIII° SIECLE.

 

Nous croyons être agréable au lecteur en donnant ici un coup d'oeil historique sur les nouveaux livres de liturgie dont le diocèse de Meaux fut doté, au commencement du XVIII° siècle. La matière est d'autant plus intéressante, que le grand nom de Bossuet s'y trouve mêlé, et que d'autre part, les détails qui se sont conservés sur cette opération liturgique peuvent initier le lecteur au genre d'intrigue qui s'exerça dans chacun des diocèses où l'on changea la liturgie, à cette époque. Le journal manuscrit de l'abbé Ledieu, qui fut l'instigateur et l'exécuteur de cette révolution dans l'église de Meaux, nous met à même d'en suivre pour ainsi dire les phases jour par jour. Tout le monde connaît l'importance de ces Mémoires auxquels le cardinal de Bausset a emprunté tant de choses pour sa belle histoire de Bossuet. Une heureuse circonstance nous a fait tomber un précieux extrait de ce manuscrit entre les mains, et nous y avons rencontré les curieux détails que nous allons faire connaître au lecteur. Nous n'avons pas besoin d'insister sur la véracité de l'abbé Ledieu; elle est appréciée par tous ceux qui connaissent son journal, et quant à la question de la réforme liturgique dans le diocèse de Meaux, la candeur avec laquelle il s'exprime sur des opérations  auxquelles il a eu la première

 

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part, le mérite qu'il s'en donne, et les traits de caractère répandus dans son récit, montrent avec évidence que la plus grande sincérité règne dans cette partie de ses Mémoires comme dans le reste.

Jusqu'en 1702, le diocèse de Meaux, gouverné par Bossuet, était resté étranger à la manie des changements liturgiques qui depuis plus de vingt ans s'était déclarée dans  certains  diocèses de  France, et devait  plus tard s'étendre comme un incendie. Bossuet avait été témoin de cette réforme dont Vienne avait donné le signal,  et un passage important de sa célèbre réponse à Molanus, dans le  projet de réunion des  protestants  d'Allemagne à l'Église catholique, fait voir assez clairement  qu'il la considérait  comme avantageuse à  l'Église.  Parmi les concessions qu'il croit pouvoir faire aux protestants on lit cet article :  Les prières publiques, les missels, les rituels, les bréviaires, seront mis en meilleure forme, à l'exemple de ceux des Églises de Paris, Reims, Vienne, La Rochelle, et autres très illustres, ainsi que de l'archimonastère de Cluny et de tout son Ordre, on ôtera les choses douteuses, suspectes, apocryphes, superstitieuses; tout y ressentira l'ancienne piété (1). » C'était dire assez clairement que l'Église universelle était moins avancée que les  Églises particulières de Paris, de Vienne, etc., dans l'intelligence de la véritable Liturgie; mais il faut faire attention que ces  paroles furent écrites dix ans après 1682, époque à laquelle l'Église de France, ayant eu le malheur de  formuler le gallicanisme  dans  un acte solennel, se trouvait comme forcée à croire qu'elle avait le

 

(1) Publicae preces, missales, ac rituales libri, breviaria, Parisiensis, Remensis, Viennensis, Rupellensis, atque aliarum nobilissimarum Ecclesiarum, Cluniacensis quoque archimonasterii totiusque ejus Ordinis exemplo, meliorem in formam componantur : dubia, suspecta, spuria, superstitiosa tollantur, priscam pietatem omnia redoleant. (Œuvres de Bossue, tome XXV. Edit. Lebel. page 467.)

 

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sens catholique plus que toute autre église de la chrétienté, plus que le Siège apostolique lui-même. Le concordat de 1801 nous a fait expier sévèrement ces rêves dangereux.

Les protestants d'Allemagne ne jugèrent pas à propos de rentrer dans l'orthodoxie, et firent peu de cas de l'avantage qui leur était proposé de se servir du Bréviaire parisien de François de Harlay, ou même de celui que Nicolas Letourneux avait rédigé pour Cluny; en revanche, les généreuses et savantes recrues de l'Église catholique en Angleterre, les Spencer, les Newman et tous les autres, récitent et goûtent le bréviaire romain. La génération des livres liturgiques que Bossuet traite avec tant de complaisance n'a même pas joui un siècle de l'honneur d'avoir été vantée par ce grand homme. A l'exception du Bréviaire d'Orléans, ils ont tous disparu avant le temps. Dès 1736,. le parisien de Harlay, malgré sa rédaction si remarquable et tous les soins qu'il avait coûtés, disparut devant l'œuvre de Vigier et de Mésenguy ; les autres s'éteignirent successivement : quant au Missel et au Bréviaire de Cluny, dès longtemps, il n'y a plus personne pour en faire usage.

Nous ne doutons pas au reste que Bossuet, s'il eût vu la suite de ces changements, et reconnu le coup mortel qu'ils portaient à la tradition, n'eût fini par réagir de tout le poids de son autorité contre la fatale méprise qui bientôt mit aux mains des sectaires ce que lui-même a appelé le principal instrument de la tradition dans l'Église. On trouvera peut-être quelques preuves à l'appui de cette conjecture, dans la suite de notre récit.

C'est un fait remarquable que Bossuet fût arrivé jusqu à l'année 1702, sans avoir pris une part directe aux opérations liturgiques qui paraissent avoir eu ses sympathies, d'après le passage que nous venons de citer. C'est en cette année que l'abbé Ledieu commence à parler

 

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de la nouvelle Liturgie de Meaux. Nous allons transcrire les articles de son journal qui intéressent cette question, nous réservant d'y joindre de temps en temps quelques additions explicatives.

« 1702. Août, vendredi 4. Couché à Germigny, où M. l'abbé Chastelain est aussi venu, étant parti avec nous de Paris. C'est pour travailler au nouveau bréviaire, et prendre avec lui (Bossuet) de bonnes mesures pour avancer l'exécution de ce dessein. »

On se rappelle que l'abbé Chastelain avait été l'un des membres les plus influents de la commission du Bréviaire et du Missel de Harlay. Il exerça une sorte de dictature sur la Liturgie dans toutes les Églises qui, de son temps, prirent part à la première phase de l'innovation.

« Dimanche 6. Séjour à Germigny pendant toute cette semaine. Nous avons tous les jours travaillé au calendrier, M. l'abbé Chastelain et moi, et j'ai écrit sous lui plusieurs remarques pour servir à la disposition générale de l'office et des fêtes, et au rite. Puis, ce jeudi soir, le nouveau calendrier .a été communiqué à M. de Meaux, M. Treuvé, théologal, seul présent. Et ce vendredi soir, tout le calendrier a été achevé et fort approuvé par notre prélat qui a fait très peu de changements à tout ce qu'on avait projeté. Ce fait, M. l'abbé Chastelain a pris congé de M. de Meaux qui l'a fait conduire en calèche jusqu'à Claye. »

« Octobre. Germigny. M. de Meaux travaille gaiement et assiduement. Je remarque même qu'il a toujours sur son bureau son portefeuille avec ses psaumes en vers, auxquels il travaille le matin en s'éveillant ou aux autres heures; ou pour se délasser, ou pour se mettre en état de travailler. Plein du psaume 118 qu'il retouchait ces jours derniers, il me dit lorsque je lui parlai de la division des psaumes qui conviendrait le mieux au bréviaire  qu'il

 

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voulait faire: qu'il fallait de nécessité mettre tous les jours le psaume 118 aux petites Heures, et qu'il y était tout à fait résolu; tant il le jugeait nécessaire pour entretenir la piété. Ce qui est aussi certainement mon avis. »

La seconde phase de l'innovation ne tint pas compte de ce scrupule du grand évêque, et si le Bréviaire de Harlay avait conservé pour chaque jour le psaume 118, avec toute la division romaine du psautier, le parisien de 1736 effaça jusqu'aux dernières traces de l'antiquité, en attribuant au seul dimanche ce psaume que Bossuet avait voulu conserver à tous les jours. Certains aveux de l'abbé Ledieu nous feront voir bientôt que le sens catholique de Bossuet, égaré un moment, se retrouva tout entier, lorsqu'il s'agit de conclure la grande opération qu'on paraît lui avoir imposée, et il y a peut-être lieu de croire que si ce prélat eût vécu dix ans encore, l'œuvre du nouveau bréviaire n'eût pas été plus avancée après ce terme qu'elle ne l'était en 1702.

(1703).  Février. Versailles. Mardi 27... Le soir, M. de Meaux a voulu entendre  la lecture du nouveau calendrier de Meaux et du mémoire que j'ai fait contenant les raisons du changement. Nous en avons vu Janvier, Février et Mars, sur lesquels M. de Meaux semble avoir pris une dernière résolution. »

« 28 février. Ce soir, nous avons repris la révision du calendrier. M. l'abbé Bossuet nous arrête à chaque pas, et propose toujours de nouveaux changements. M. de Meaux l'écoute, et je vois le moment que tous les premiers projets vont être renversés. »

« Mars. Jeudi Ier . Au soir, nous avons continué la révision du calendrier jusqu'à la fin de Juillet, avec les mêmes vétilleries de M. l'abbé Bossuet. »

« Paris. Mars. Mardi 6. M. de Meaux a encore entendu ce matin la révision du calendrier et sans contradiction; M. l'abbé Bossuet, contradicteur perpétuel de tout bien et n'en voulant faire aucun par lui-même, n'y étant pas. »

 

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L'influence de l'abbé Ledieu se dessine de plus en plus, et en même temps il est curieux de voir comment il fait les honneurs du neveu de Bossuet, auquel le journal n'était probablement pas destiné.

« Paris, Vendredi 15. Ce soir, j'ai relu à M. de Meaux six mois du calendrier, M. l'abbé Bossuet et M. Phe-lippeaux présents. On est demeuré ferme dans les premières résolutions, retranchant même encore quelque saint douteux, ou peu connu, plutôt qu'en ajoutant. J'espère qu'à la fin il y prendra goût et que nous pourrons finir. »

Ces dernières paroles de l'abbé Ledieu sont précieuses. Elles nous apprennent que, après sept mois de travail, on n'était pas encore parvenu à faire agréer pleinement à Bossuet la réforme liturgique dont l'Église de Meaux devait être plus tard redevable à Chastelain et à Ledieu. Si déjà le calendrier causait tant d'anxiété au prélat, il est permis de penser que la réforme du corps du bréviaire eût suscité en lui bien d'autres répugnances, et qu'il eût disputé le terrain pied à pied. Au reste, l'histoire entière de l'innovation, dans ses différentes périodes, est là pour prouver que tout a été l'œuvre de quelques prêtres audacieux qui ont su forcer la main aux évêques.

« Mardi, 20. Ce soir, M. de Meaux a achevé d'entendre la révision du calendrier jusqu'à la fin, et l'on a même repassé dans les endroits qui faisaient quelque peine. Au reste, M. de Meaux prend peu de plaisir à toute cette réformation. »

Ce sont là les derniers mots du journal de l'abbé Ledieu sur la part que Bossuet a pu prendre à l'innovation liturgique; ils sont, comme l'on voit, assez significatifs. L'instigateur de la mesure est réduit à confesser que, malgré tous les moyens employés pour le circonvenir, Bossuet, au moment de conclure une des opérations préliminaires de la nouvelle Liturgie, hésitait encore, en un mot, n'entrait pas  de bon  coeur dans la voie qu'on lui

 

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ouvrait. Mais, ce qui est plus remarquable, c'est que le savant évêque qui vécut encore un an après la date que nous donne ici l'abbé Ledieu, ne paraît plus s'être occupé du nouveau bréviaire; du moins, le journal de son secrétaire n'en fait plus mention. Il est même fort probable, après les demi-mots qui échappent à ce dernier, que Bossuet aura fini par se désister d'une entreprise qui lui souriait si peu, et dans laquelle, d'ailleurs, il était visiblement l'instrument d'autrui. On s'expliquerait difficilement par une autre raison le silence de l'abbé Ledieu durant toute cette dernière année de la vie de Bossuet, surtout quand on se rappelle que ce prélat a travaillé jusque sur son lit de mort.

Il s'éteignit le 12 avril 1704, et eut pour successeur Henri de Thiard de Bissy qui ne prit possession qu'au mois de mai 1705. A peine assis sur le siège de Meaux, Henri de Bissy sévit aussitôt circonvenu par l'abbé Ledieu, organe de l'abbé Chastelain, et l'on sait quels désagréments lui procura son imprudente confiance envers le dangereux secrétaire de son prédécesseur (1). Mais l'abbé Ledieu avait modifié ses plans, et le calendrier une fois approuvé par l'évêque de Meaux, il s'agissait non plus de la publication du bréviaire, mais de celle du missel, sur lequel on avait résolu de faire un essai. Le bréviaire ne viendrait qu'après. Voici en quelle manière l'abbé Ledieu rend compte de son premier entretien avec Henri de Bissy sur la réforme liturgique du diocèse de Meaux.

« (1705). Mai. Samedi 23. L'entretien a passé sur la réformation du missel et du bréviaire. L'abbé Bossuet a pris la parole et a fort vanté le travail que j'ai fait pour cela, dont feu Monseigneur l'évêque de Meaux s'était fait rendre compte, lui présent, et sur quoi j'avais pris ses avis que j'ai par écrit dans mes mémoires sur chaque article

 

(1) Institutions liturgiques, tome II, page 136.

 

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en particulier. J'ai ajouté un mot en général sur l'état de tout ce travail, sur le calendrier et les légendes des saints, et particulièrement sur le missel dont la réformation et l'édition pressent le plus. Le prélat en a paru content et a dit qu'on en parlerait à loisir, et m'a remis à lundi pour m'entretenir plus amplement. »

On doit faire ici deux remarques : d'abord, l'abbé Ledieu parlant de Bossuet n'ose articuler autre chose, si ce n'est que ce prélat s'était fait rendre compte des plans pour la réforme liturgique. S'il eût approuvé, s'il eût donné un consentement définitif, assurément Ledieu eût bien su s'en prévaloir auprès du successeur de Bossuet. En second lieu, l'union de l'abbé Bossuet avec Ledieu, les éloges qu'il fait du travail de ce dernier, présentent aussi quelque chose d'assez piquant, lorsqu'on a lu certaines lignes citées plus haut. Mais l'amour des nouveautés, et un intérêt de parti avaient pour le moment réuni ces deux hommes. Voyons la suite.

« 4 juin. L'on m'a demandé la clef du magasin des bréviaires et missels pour le visiter. Je l'ai aussitôt portée à M. l'évêque qui m'a ordonné de la garder pour m'en parler à loisir, aussi bien que du Missel et du Bréviaire de Meaux qu'il faut réformer, me disant : «  nous en parlerons à loisir, » Et moi, lui répliquant : «  J'avais sur cela, Monseigneur, vos ordres à recevoir, et je vous supplie de me dispenser de communiquer mon travail à qui que ce soit, qu'auparavant vous n'en ayez entendu parler, et pris sur cela votre résolution. Pour moi, tout ce que j'ai à dire à MM, du Chapitre est que ma commission étant finie par la mort de feu Monseigneur l'évêque, je n'ai plus qu'à me tenir en repos sur tout cela, n'estimant pas mon travail digne d'être seulement vu, et laissant à des personnes habiles le soin de ce grand ouvrage. »

L'important était, en effet, de s'emparer de l'évêque, et de se faire autoriser par lui à reprendre la conduite de la

 

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réforme liturgique dans le diocèse de Meaux. Ledieu s'attendait à certaines oppositions au sein du Chapitre; l'investiture solennelle de l'évêque lui était devenue nécessaire pour continuer son œuvre. Il fit tout ce qu'il put pour l'obtenir, et en vint à bout auprès d'un prélat vertueux et zélé, mais que sa complète ignorance dans les matières liturgiques lui avait livré sans défense.

« Mercredi, 9 juin. Depuis dimanche, on nous avait avertis que M. l'évêque avait dessein d'aller voir chacun de MM. du Chapitre; il est venu à ma chambre, accompagné de M. l'abbé de Bissy. L'entretien a été fort aisé sur plusieurs choses pendant un bon quart d'heure. Il m'a encore parlé du missel, et m'a prié de communiquer mon travail au bureau. Je lui en ai fait voir un ou deux articles. Cela sera fort bien, dit-il; que pourront-ils dire? Demeurons-en à ce que nous avons dit, que vous ne leur parliez pas du calendrier, mais seulement du missel. » Du reste bien des amitiés et de grandes protestations de service ; compliments, et autant en emporte le vent. »

« Juillet. Il y a huit jours, mardi 7, que M. le doyen nous a assemblés chez lui, au sujet de la réformation du missel. M. Pidoux, chantre, s'y trouva avec MM. Morin et Filère. Je leur fis rapport de l'état de ce travail, et leur dis : «  Que feu M. l'évêque de Meaux se voyant malade l'avait arrêté; disant qu'il voulait être présent à Meaux, quand on en parlerait, afin de finir tout d'un coup, sans contestation; que cependant il lui suffisait de voir tout en état d'être bientôt et très aisément conduit à sa fin. C'est ainsi qu'il fut sursis à ce travail; mais la mort de ce prélat, arrivée depuis, m'a fait quitter entièrement le missel, en attendant un nouvel évêque, qui déclarât sur cela ses intentions. » Puis j'entrai en matière sur la réformation même et la manière d'y procéder, et j'ai commencé par leur lire les messes de l'Avent. On vit bien qu'on avait besoin de mes livres, que j'ai sur ces matières.

 

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« Ainsi il fut convenu que l'on s'assemblerait dans ma chambre le jeudi suivant, deux heures de relevée. »

« Mardi 14 et jeudi 16. On a continué le même travail, et M. Treuvé, théologal, aussi député, y a assisté, et promet de s'y rendre assidu. M. Phelippeaux, trésorier, pareillement député, se trouvant à Meaux, n'est pas venu à l'assemblée; mais il en a parlé comme y devant venir. Il est depuis parti pour Paris : ainsi nous ne l'y verrons pas de sitôt. Cette assemblée est donc composée de MM. le doyen, le chantre, le trésorier, Morin, Fouquet, Treuvé, théologal, Filère et moi. Tous ne s'y trouveront pas à la fois; mais on ne laissera pas d'aller son train, et d'avancer le travail en présence de ceux qui y viendront. »

« Dimanche, 26. M. de Meaux, alors fort occupé de ses visites épiscopales, est venu coucher à Meaux, où il est demeuré tout le reste de la semaine. Ayant eu occasion de le voir, il m'a fort pressé d'avancer le missel, puisque nous étions tous d'accord et que pour lui il n'y connaissait rien. Nous avons continué nos séances à l'ordinaire. M. le chantre qui était à Meaux n'y est pas venu. M. Phelippeaux est toujours absent. MM. Morin, Fouquet, le théologal, et Filère, y sont venus assiduement. Nous avançons à l'ordinaire avec un grand concert. »

« Août. Vendredi 14. En abordant le prélat avant que d'aller à vêpres, il m'a dit : «  J'ai appris de M. le doyen que l'on a fini tout le Propre du Temps : cela va bien. » — «  Il est vrai, lui dis-je, Monseigneur, et ces Messieurs se sont portés avec un grand zèle et une grande patience pour entendre tous ces projets-là. C'est à Votre Grandeur à y donner la forme. » Ce discours finit là, parce qu'on marchait en procession pour aller à l'église. Après vêpres, M. le doyen me dit qu'il avait demandé audience pour le missel, et que le Prélat avait répondu que cela était impossible, parce qu'il partirait dès demain sur le soir pour aller coucher à Lisy, et que nous pourrions travaillera

 

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autre chose, comme au Commun. « Il y faudra aviser, lui dis-je : mais, au  reste,  vous  voyez  que cela est sérieux. »

« J'ai envie de surseoir pour quelque temps; et de faire dans cet intervalle mes visites de Torcy, du Pont et de Soissons ; ce que je veux faire agréer à ces Messieurs même, pour leur marquer plus de considération. »

« 21 octobre. M. l'évêque m'a fait de grands compliments sur le missel dont M. le doyen lui avait dit que mon travail avait été approuvé presque en tout; je lui ai répondu qu'il en fallait attribuer le succès à la patience de ces Messieurs, dont l'assiduité avait été très grande, et qu'au surplus tout cela n'était rien, si lui, M. l'évêque, n'y donnait son approbation; mais que comme le fonds de ce travail était le nouveau missel de Paris, auquel tant de savants hommes avaient travaillé trente ans durant, il y avait lieu d'espérer que S. G. n'y trouverait pas de grandes difficultés. « Vous avez raison, m'a-t-il dit, nous ne pouvons mieux faire. »

« Mercredi 4 novembre. M. de Meaux m'a dit qu'il souhaitait que nous nous assemblions lundi prochain, deux heures après midi, pour le missel, afin, allant à Paris, d'être en état de prendre des mesures avec un imprimeur. Je lui demandai la permission d'aller moi-même à Paris, croyant qu'il remettrait l'affaire du missel à son retour de cette ville. » — « Non, dit-il, j'ai ici des remèdes à faire encore la semaine prochaine ; et la semaine d'après j'irai, et je veux vous y mener, car j'irai dans mon grand carrosse. » — Il ne faut pas, Monseigneur, vous incommoder; je vous suis très obligé. » Il m'a témoigné qu'il voulait s'en rapporter entièrement à moi de la correction et de l'impression du missel; et qu'il fallait expédier promptement. — « Une seule séance suffira-t-elle ? m'a-t-il dit. » — « Cela dépendra de vous, Monseigneur, et du temps que vous aurez à y donner. » — « Je vous donnerai

 

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quatre heures d'audience. » — « Nous sommes tous d'accord, Monseigneur, si Ton ne fait pas des difficultés, cela ira vite, et il ne sera pas nécessaire d'entrer  dans tous les détails. »

«  Dimanche 8 novembre. J'ai vu M. de Meaux, pour savoir de lui si l'assemblée du missel était toujours pour lundi. Et en même temps je lui ai mis en main les noms des députés qu'il s'est chargé de faire avertir de sa part pour lundi. — « Agréez-vous, lui dis-je, Monseigneur, que j'ouvre la séance par un mot de rapport qui exposera le fait et les règles qu'on a suivies ; et voudrez-vous bien vous faire parler de vous-mêmes? » — « Oui, m'a-t-il répondu, et je dirai que je vous ai chargé de tout. »

« 9 novembre. Donc lundi, deux heures de relevée, se sont rendus à l'évêché MM. le doyen, le chantre, le trésorier, Fouquet, Treuvé, théologal, Filère et moi. M. le doyen a pris la parole, et il a fait un discours plein de barbouillage, auquel l'on n'a rien compris. Et, quand il a cessé de parler, M. de Meaux m'a convié de faire mon rapport. J'avais mis sur le papier le cas de cette affaire : 1° le dessein de prendre, autant qu'il sera possible, le Missel de Paris, comme le mieux fait de tous; et parce que les paroisses de la campagne pourraient profiter des graduels imprimés pour Paris, et les peuples jouiraient de la traduction française de ce missel; 2° qu'en prenant le missel de Paris, l'intention était de garder les usages de Meaux; et je fis un grand détail des anciens usages de notre Église, jusqu'à 1640 et autres années par M. Séguier, disant ce que j'avais trouvé de singulier en chacun d'eux ; quels rites déjà abrogés ne devaient plus être rétablis ; quels au contraire encore en vigueur, devaient être maintenus; et quels, omis mal à propos, méritaient d'être repris. Je vins ensuite aux règles proposées pour la correction du  missel, dont la première fondamentale est qu'il

 

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n'y entrera que la pure parole de Dieu ; que le texte sacré y sera partout rétabli dans son entier, sans omissions, sans lacunes, sans transpositions. Je donnai des exemples de chacune de ces sortes de correction : et je laissai à juger les autres par là. Je passai aux collectes où je fis les mêmes remarques. Je parcourus l’Ordo Missae tout entier dont je remarquai les parties les plus anciennes, et ainsi du reste. Et sur tout cela, on passa par l'avis que j'avais proposé sur chaque chose. Ainsi finit cette première séance, indiquant une pareille séance à demain mardi pareille heure. »

« Après que chacun se fut retiré, M. de Meaux m'arrêta pour me dire la satisfaction qu'il avait de mon travail, et qu'il voulait que je fusse chargé tout seul de cette correction. Il parla de même en mon absence à l'abbé de Laloubère et autres de sa maison, qui, le jour suivant, avant l'ouverture de la séance, m'en firent tous compliment. »

Ainsi, l'excellent prélat était séduit, et le triomphe de Ledieu ne pouvait être plus complet. Nous venons de prendre sur le fait le nouveau liturgiste, avec toute sa suffisance et son audace. Le passé de l'Eglise n'est rien pour lui. Il fait les règles, il les applique, et comme l'on voit, il mène de front tous les principes des novateurs sur la matière. Il lui faut la pure parole de Dieu; il lui faut des traductions françaises pour faire pénétrer chez le peuple toute la lumière dont il va inonder l'Église de Meaux. Saint Grégoire n'y connaissait rien; la tradition est comme si elle n'existait pas; l'Église de Meaux a le bonheur de posséder l'abbé Ledieu : de quoi se plaindrait-elle? On est effrayé, sans doute, de cet esprit révolutionnaire appliqué à la Liturgie, de ce dédain du passé dans les choses de l'Église, et cependant nous ne sommes encore qu'en 1705.

« Mardi 10, deux heures de relevée, les mêmes députés qu'hier présents, j'ouvris la séance sur le sujet du Commun,

 

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à prendre tout entier de Paris; et ainsi du reste qui suit le Commun : messes de vierge, messes votives, messes des morts, Orationes ad diversa, etc., sur quoi l'on convint de tout, comme je l'avais proposé, sans aucune difficulté, et l'on remit à un autre temps l'examen du calendrier, sur lequel doit être composé le Propre du Temps. Je lus seulement des mémoires sur les saints et saintes du diocèse dont il est nécessaire de visiter les reliques, pour chercher dans leurs châsses quelques nouvelles instructions, s'il y en a. Je priai M. l'évêque de charger M. le doyen d'aller faire cette visite, comme ayant plus d'autorité que moi et tout autre. Mais MM. du bureau prièrent unanimement que je fusse chargé de cette commission : et, comme je faisais tous mes efforts pour m'en défendre, M. de Meaux m'y engagea par ses prières. »

« Novembre,17, à Paris. J'ai vu beaucoup de mes amis qui m'ont très bien reçu ; comme l'abbé Chastelain à qui j'ai rendu compte de notre missel, qui m'a assuré qu'il avait dit à M. de Meaux d'aujourd'hui de se reposer entièrement sur moi de cette édition, et qu'il voulait encore lui en parler. Je lui ai dit la bonne intention de ce prélat et les facilités qu'il apportait pour faire une belle réforme. Il est vrai, dit l'abbé Chastelain, que je l'ai trouvé d'un esprit propre pour cela, et même avec plus de facilité que ne l'aurait été feu M. de Meaux. »

Voici encore une parole précieuse. Au jugement de l'abbé Chastelain, de cet homme qui a eu, sans contredit, la plus grande part à l'innovation liturgique, Bossuet n'aurait pas eu un esprit propre pour cela, comme l'avait au contraire le faible et imprudent Henry de Bissy. On nous reproche, à nous qui préférons les doctrines romaines aux doctrines nationales, de ne pas faire de Bossuet un Père de l'Église; du moins, nous pensons qu'il y a lieu de se défier, toutes les fois que ce grand homme repousse une mesure comme contraire à la tradition de l'Église.

 

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« Novembre, vendredi 27. Étant à Paris, j'ai trouvé M. de Meaux. Nous sommes convenus des propositions -sur le missel. Je les ai données à M. Josse, libraire, qui doit en aller parler an prélat... Le prélat m'a parlé des proses et surtout de celle des morts, qu'il craint de retrancher à cause du peuple qui en pourrait murmurer. Je lui ai répété ce que l'on avait conclu, qui est de la laisser aller in desuetudinem, sans rien ordonner ; mais, en l'ôtant du missel nouveau, laisser la liberté de la lire dans l'ancien missel, et dans les vieux graduels. Nous verrons le parti qu'il prendra, après les consultations qu'il veut faire, m'a-t-il dit, à ce sujet. »

On voit ici une première trace de l'opposition de l'abbé Ledieu contre les proses ; il les repoussait, parce qu'elles ne sont pas composées de paroles de l'Écriture sainte. On doit se demander pourquoi il conservait le canon de la messe, les préfaces, les collectes et autres oraisons. Au reste, nous avons montré ailleurs comment l'innovation tout entière ne fut qu'une suite d'inconséquences. On ne voulait qu'une seule chose : refaire à neuf, et refaire à son gré. Ainsi, à Paris, où le même principe d'emprunter tout à l'Écriture sainte était pareillement mis en avant, non seulement on conserva les quatre proses romaines, mais on en composa quantité de nouvelles qui ne sont aucunement tirées de la Bible.

Il est à remarquer aussi comment Ledieu fait bon marché des réclamations du peuple catholique sur la suppression du Dies irœ ; mais les fidèles de Meaux n'auront-ils pas un nouveau missel, avec la traduction française ? Que pourraient-ils désirer de plus ? il est triste de penser que la conservation ou la destruction des usages les plus vénérés ont été ainsi, pendant plus de cent cinquante ans, dans un grand nombre de diocèses, laissées au caprice d'un subalterne qui n'était pas .même responsable, et se retranchait derrière le nom de son évêque.

 

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Le journal de l'abbé Ledieu garde ensuite le silence sur le missel de Meaux, jusqu'à la fin de l'année suivante.

« (1706). Mardi matin, 28 décembre. J'ai joint M. de Meaux, pour le préparer au rapport de ce soir; afin qu'instruit de tout il appuie les délibérations communes de nos assemblées. J'y menai M. Treuvé, théologal, qui marche d'un bon pied en cette affaire, et qui, ayant la mémoire plus fraîche de ces détails infinis, relève à propos ou appuie davantage les choses où j'oublie quelques circonstances. M. de Meaux est entré dans toutes nos décisions; sur le retranchement des fêtes même chômées, sur la nouvelle addition des saints du diocèse, et sur le retranchement de tant de saints martyrs de Rome, principalement des mois de Juin, Juillet et Août. Je l'ai assuré que tous nos députés étaient avertis, et ne manqueraient pas de venir; M. Pidoux même et M. Phelippeaux, à qui j'avais donné part de la lettre, et qui dirent qu'il ne fallait pas rompre avec M. de Meaux. »

En effet, si M. de Meaux eût tout à coup ouvert les yeux, et compris où on voulait le mener, MM. les commissaires se fussent trouvés fort embarrassés-. Il importait donc de ne pas troubler son sommeil, et il faut convenir que Ledieu et ses amis étaient gens de grande prudence, et qui s'entendaient à faire le moins de bruit possible. On ne saurait, d'ailleurs, qu'être édifié de la bienveillance avec laquelle Ledieu parle de l'abbé Treuvé, à l'époque du missel; plus tard, lorsque Ledieu aura encouru la disgrâce de son évêque, et que l'abbé Treuvé lui sera substitué pour la rédaction du bréviaire, ce dernier ne sera plus qu'un ignorant et un homme sans considération.

« Ce mardi donc, 28 décembre, deux heures de relevée, j'ai fait à M. de Meaux le rapport du calendrier, en présence de MM. Pidoux, chantre, nouveau doyen; Phelippeaux, trésorier; Treuvé, théologal; Fouquet et Filère ; et même M. Chevalier, grand vicaire du prélat, que j'y

 

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avais invité exprès, à cause des fêtes à retrancher. J'avais minuté mon rapport, pour être plus précis et plus court. M. de Meaux a approuvé tous les principes posés sur la diminution des fêtes (chômées), et il est convenu d'abord d'ôter saint Sébastien, saint Joseph, sainte Anne, sainte Madeleine et saint Nicolas. Il a demandé du temps pour délibérer sur saint Laurent et sur saint Louis : il est demeuré d'accord de ne pas rétablir  saint Mathias, saint Barthélémy et saint Thomas. La nouvelle addition des saints locaux a passé sans aucune difficulté. De même le retranchement des martyrs de Rome, et des saints douteux ou inconnus: comme saint Maur, 15 janvier; saint Alexis, 17 juillet; sainte Marguerite, 20 juillet ; et des translations qui chargeaient inutilement le calendrier; comme celles de saint Benoît, de saint Denys et de saint Nicolas; et ainsi du reste expliqué dans mon rapport. Cette séance a duré jusqu'à 6 heures 1/2 du soir. »

Notre but n'étant pas de relever toutes les assertions de Ledieu, nous en laissons passer un grand nombre sans réclamation; néanmoins, on nous permettra de nous étonner de le voir placer saint Maur parmi les saints douteux ou inconnus, après l'excellente dissertation qu'avait publiée Dom Ruinart sur cet apôtre de la Règle bénédictine en France, et qui obtint le suffrage de l'abbé Duguet lui-même.

« Mercredi, 29 décembre. Encore deux heures de relevée, l'assemblée indiquée d'hier a recommencé. J'ai exposé ce qui restait du calendrier; ces deux nouveaux choix des saints illustres qu'on a mis; comme saint Cyrille d'Alexandrie, saint Justin martyr, saint Pothin, sainte Blandine, saint Irénée, saint Césaire, saint Mamert, sainte Radégonde, sainte Clotilde, saint Claude, et peu d'autres, qui tous ont été approuvés sans aucune difficulté: parce que j'avais eu grand soin de faire voir combien nous avions été sobres dans ce choix : plus que Cluny qui

 

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avait pris tous les moines; plus que Paris qui avait pris - tous les saints de France; plus que Sens qui n'avait rien voulu laisser des saints illustres dans tous les ordres, pour faire un bréviaire savant : au lieu que nous nous étions contentés de faire un triage simple et petit de tout cela. Ce qui a réussi et a été approuvé. »

« On a passé ensuite aux grandes solennités des fêtes; et notre projet a été unanimement approuvé; dont je ne dirai rien davantage, parce que tout est expliqué dans mon rapport, dont je garde la minute. Je dirai seulement qu'ayant extrêmement insisté pour élever le dimanche au-dessus des fêtes chômées, en ayant exposé avec soin toutes les raisons prises des anciens canons, des capitulaires, des constitutions des Papes, et des auteurs des rites ecclésiastiques, j'ai gagné le point principal et le plus essentiel, d'établir un nouveau grade qui sera le quatrième sous le nom de festivum, comprenant toutes les fêtes chômées, et nommément le saint dimanche à la tête de tout, et qui aura aussi la préférence sur toutes ces fêtes sans exception, hors sur celles qui sont dans les degrés supérieurs d'annuels ou de solennels : et c'est ce qu'il y avait ici de plus important. »

« Tout étant ainsi décidé, il ne nous reste, dit M. de Meaux, qu'à tenir la copie prête pour l’imprimeur. » — « Je n'attends pour cela, lui dis-je, Monseigneur, que la nouvelle édition du Missel de Paris, dont la plus grande partie doit entrer dans cette nouvelle réforme. » —  En même temps le prélat a donné ordre qu'on me le fît venir dans huitaine. — « Cependant je vais, lui dis-je encore, Monseigneur, vous préparer deux mémoires à consulter sur les proses et sur les fêtes chômées pour consulter à Paris; et j'aurai l'honneur de vous les rapporter au premier jour, vous priant de m accorder votre audience. » — Vous serez le bienvenu, a-t-il  dit; adieu.  »

 

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« 1707. Lundi, 3 janvier, sur le soir, j'ai été voir M. de Meaux, et lui dire que les mémoires qu'il m'avait demandés étaient prêts, il m'a donné heure à demain mardi, issue de la grand'messe. Pour appuyer toujours davantage ce que je dis, j'ai été, ce soir même, faire lecture de mes mémoires à M. le théologal, qui les a fort approuvés. Dans celui sur les proses, je fais voir quel est l'abus des proses ; qu'il n'y a rien qui leur soit favorable : et qu'au contraire, il y a un statut dans les premiers Us de Cîteaux, et dès sa naissance, qui défend d'en jamais dire à la messe; et un autre statut de 1687, par lequel les quatre proses de Pâques, Pentecôte, Fête-Dieu et des Morts, mises à la fin du missel de Cîteaux, imprimé à Paris, cette année-là, chez Léonard, pour être dites par les particuliers à dévotion, ont été ôtées de cette dernière édition, avec défense de les dire jamais dans l'Ordre de Cîteaux; que, tout étant contre les proses, c'est la seule chose importante à réformer dans le missel, digne du zèle d'un prélat appliqué à ôter tous les abus, et à rétablir la pureté des usages de son Église, comme celle de Meaux, dans laquelle la prose des morts n'a point été dite avant l'an 1642, et ne se trouve pas encore dans nos anciens missels; ayant été fourrée contre nos usages dans la dernière édition de 1642; cet espace si court né pouvant prévaloir sur toute l'antiquité. »

Il est curieux d'entendre l'abbé Ledieu prétendre que tout est contre les proses, parce que les Us de Cîteaux leur sont contraires. C'est quelque chose que l'ordre de Cîteaux; mais ce n'est pas tout dans l'Église. Une telle importance donnée, pour cette unique fois, aux traditions d'un ordre religieux rappelle tout naturellement le zèle avec lequel les Lettres Pastorales, placées en tête de tous les nouveaux bréviaires, ayant à justifier la nouvelle division du psautier, allèguent la règle de saint Benoît, dans laquelle ce saint Patriarche permet de diviser en deux quelques-uns

 

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des plus longs psaumes. Il fallait bien chercher des autorités quelque part, et à défaut d'autres, on alléguait les usages monastiques. Mais on se gardait bien d'ajouter que malgré ce privilège des bénédictins, l'office des Matines, dans cet ordre, est beaucoup plus long, durant la majeure partie de Tannée, que dans le Bréviaire romain lui-même.

« Paris, juillet. Dom Jean Mabillon et M. l'abbé Chas-telain ont été consultés par M. Chevalier, de la part de M. de Meaux, sur les proses. Ils ont répondu qu'ils étaient d'avis que l'on gardât ces quatre de Pâques, Pentecôte, Fête-Dieu, et des morts. J'ai été bien aise de le savoir d'eux-mêmes, afin que je sache aussi comment parler à M. de Meaux. »

L'autorité de Dom Mabillon, en matière de Liturgie, n'était rien pour l'abbé Ledieu; celle même de l'abbé Chastelain ne l'arrêtait pas. Tout ce qu'il avait retiré de ses entretiens avec eux était de se préparer à répondre aux objections de son évêque contre une suppression si scandaleuse. On ne sait qui l'emporte ici de l'outrecuidance ou de l'aveuglement. Ledieu tint bon cependant, et le missel parut sans les proses.

« Ce mardi soir, 6 décembre, nous nous sommes donc rassemblés chez M. Morin, chantre, MM. Fouquet,Treuvé, théologal, Filère et moi. Et ces messieurs ont approuvé la manière dont sont conçues toutes les rubriques, que l'on était convenu de faire pour les Cendres, les Rameaux, le Jeudi Saint et jours suivants, et nommément ces trois choses que M. de Meaux a demandées comme plus courtes : que les vêpres du Jeudi et Vendredi Saint seraient jointes à la messe, par la post-communion, seule collecte pour conclure ces deux offices, comme on fait au Samedi Saint; que le Vendredi Saint l'on dira une seule fois, Ecce lignum crucis; et que le Samedi Saint l'on ôtera Lumen Christi, inconnu dans notre usage et dans nos précédents missels; et que les litanies en allant, se diront à deux

 

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chœurs seulement et non à trois. C'est-à-dire que l'on se contentera de répéter une seule fois, par tout le chœur ensemble, ce que le chantre et le sous-chantre auront dit d'abord une seule fois. Et ainsi du reste des rubriques que je n'explique pas ici. Convenu que rapport sera fait au Chapitre de ceci seulement, sans parler des rubriques. »

« Ce dimanche 18. Je viens de voir M. de Meaux après vêpres. Il m'a très bien reçu ; et a été bien aise d'apprendre que j'étais en état d'aller à Paris, quand il voudra, pour l'impression du missel. Il m'a tranché sur les proses, que, suivant mon projet, on les ôterait toutes de la messe; que, comme Victimœ se dit à vêpres, pendant l'octave de Pâques, on dira de même Veni, Sancte Spiritus, à vêpres, pendant l'octave de la Pentecôte, et Lauda Sion, au salut et à la procession du Saint Sacrement, et non plus à la messe ; que Dies irœ se pourra dire ad libitum aux messes des sépultures, quand il y aura oblatio populi, après l'Évangile. »

« Ce vendredi 23 décembre, au Chapitre, j'ai fait rapport des trois ou quatre articles ci-dessus approuvés et demandés par M. de Meaux : ajoutant que ce prélat voulait que j'allasse à Paris exprès veiller à l'édition, et que je laissais à MM. à juger, si c'était une cause raisonnable et légitime de s'absenter de l'église, et d'y être tenu présent. M. Phelipeaux, trésorier, a grondé, disant qu'il fallait communiquer tout l'ouvrage à chacun dans les maisons, notamment les rubriques. Personne ne l'a suivi. MM. les commissaires ont dit, que tout avait été examiné en détail et approuvé unanimement, et que M. le trésorier nommément avait été invité à se trouver aux assemblées. Pas un de ces messieurs n'a suivi son avis, et le doyen n'a pas osé souffler.

« M. de Meaux a été très content de la manière que cela s'est passé, et il m'en a fait grands remerciements,

 

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quand je lui en ai rendu compte, me priant toujours d'aller au plus tôt à Paris : ce que je lui ai promis de faire aussitôt après les Rois, ayant encore besoin de ce temps pour déménager et ranger ma maison; ce qu'il a approuvé »

« (1708). Samedi 4 février. Conférence avec M. l'abbé Chastelain, qui approuve toutes nos vues sur le missel et sur les principales dispositions du bréviaire. J'ai encore appris de lui quelques reformations pour le calendrier; il veut bien m'en tendre encore une autre fois. »

« Mardi 21... Pendant les longueurs de nos imprimeurs, je vais régulièrement toutes ces semaines encore chez M. l'abbé Chastelain sur nos corrections; il m'écoute avec une grande douceur, et me promet un homme pour corriger nos épreuves en mon absence.

« Ce 23 juin... Nous avons recommencé nos conférences avec ces Messieurs dès le mardi 19 de juin. Ils continuent à s'assembler chez moi, où sont tous les livres; et mon cabinet, avec mon grand bureau, mes chaises et fauteuils de maroquin, sont tout propres pour ce sujet. Les assemblées se sont faites tous les jours après vêpres. MM. Morin, chantre, Treuvé, théologal, Fouquet et Filère s'y sont toujours trouvés, et n'y ont jamais manqué. J'avais tout disposé en me servant de tout ce qui est dans Paris, et ajoutant du mien tout ce qui nous est particulier. Tout a passé sans contradiction. L'on a fort abrégé les nouvelles collectes de Paris, et poussé plus loin que l'on n'a fait à Paris la réformation de plusieurs choses singulières. Tout ce travail fini ce 27 juin 1708.

« Ce samedi matin, 6 octobre. M. l'abbé Bossuet me priant de corriger en son absence les épreuves de la Politique sacrée : «  Je suis bien fâché, dis-je, de ne le pouvoir faire. Outre mes épreuves du missel, au nombre de trois par semaine, j'ai encore à consulter tous les jours M. l'abbé Chastelain sur ce travail. J'ai aussi à choisir

 

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 les estampes qu'on doit mettre au missel : excusez-moi, Monsieur; je n'aurai point le temps de faire ce que vous souhaitez ... Je m'en suis ainsi débarrassé. »

« Ce samedi, 6 octobre, de relevée, j'ai eu une longue conférence avec M. l'abbé Chastelain sur notre Propre des Saints. Il l'a entendu jusqu'au dernier juin, et il loua extrêmement le choix des épîtres et évangiles et le reste, et la justesse de l'application aux saints qu'on prie dans notre calendrier, et s'est trouvé en tout et partout de mon avis, remettant une seconde conférence à samedi prochain pour le reste.

« Samedi, 13 octobre. De même tout le Propre des Saints revu avec M. l'abbé Chastelain, qui approuve tout, et notamment l'application des messes de saint Marcel pour saint Faron; de la vigile des apôtres, Sicut oliva, pour saint Fiacre; de la collecte, Illumina, pour saint Augustin; de celle d'une pénitente, pour sainte Pélagie et autres ; aussi bien que le choix des évangiles, même différents de ceux de Paris.

« Dimanche, 21 octobre. Conférence avec M. l'abbé Chastelain, n'ayant pu y aller le samedi, à cause d'une pluie continuelle. Il approuve le R/ avant tous les Amen du canon, même aux deux endroits de la consécration et de la communion ; le pietatis more; le Gabrielis Angeli; l’ In igneis linguis; d'éviter le submissa voce dans la prononciation du canon, mais de mettre seulement dicit, comme nous l'avons ; et il m'a encore enhardi à toutes ces choses qui ont un goût d'antiquité. J'ai été bien aise qu'il en fût averti, afin que, dans l'occasion, il en pût parler à M. de Meaux, pour le confirmer davantage dans l'aveu qu'il m'a donné de faire ces sortes de réformes. Cependant notre impression avance, et nous voici arrivés à saint Autère, qui est le 26 avril; et la dernière messe de ce mois. »

L'abbé Ledieu touche ici le point le plus délicat de son missel. Les changements de pietatis rore en pietatis more,

 

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de Michaelis Archangeli en Gabrielis Angeli, de l’innumeris linguis en igneis linguis, sont des témérités condamnables; mais voici qui passe tout le reste. Afin de forcer le prêtre à réciter le canon à haute voix, Ledieu, de concert avec Chastelain, songe à supprimer les mots sub-missa voce que toute l'Église maintient religieusement dans la rubrique qui précède l'oraison Te igitur : il veut insérer des R/ avant l’Amen qui termine les formules sacrées de la plus mystérieuse prière que la terre adresse au ciel, afin que désormais cette prière perde ce solennel caractère qui, en isolant le prêtre du reste des fidèles, apprend à ceux-ci que le prêtre seul, par sa puissance divine, opère le changement des dons sacrés au corps et au sang de Jésus-Christ. Le calvinisme est au fond de cette pensée, comme nous l'avons montré ailleurs, à propos de l'hérésie antiliturgique. On voit que Ledieu dont les sympathies cachées étaient pour le jansénisme, avait déjà sondé l'évêque de Meaux, et que le prélat, dans son extrême confiance, s'était laissé aller à une sorte de consentement. Ledieu sentit le besoin d'avoir pour lui l'abbé Chastelain; ce dernier approuva tout. Il n'eût pas osé proposer de semblables nouveautés pour le missel de Paris; mais il n'était pas fâché d'en voir faire l'essai dans un diocèse voisin.

« Samedi, 27 octobre. Dernière conférence avec M. l'abbé Chastelain. Il est d'avis que l'on garde pour le peuple la messe entière Requiem œternam, et convient néanmoins que ce V/ est tiré du quatrième livre apocryphe d'Esdras, d'où sont tirés les V/V/ Lœtitia sempiterna et autres du temps pascal. Il est aussi d'avis de laisser dans les rubriques l'article des dispositions du corps et de l'âme, qui sont reçues partout. Il m'a confirmé dans le dessein d'en ôter le dernier article touchant l'absoute qui se fait sur la sépulture des morts. Nous l'avons déjà au rituel, livre commode à porter à la main, au lieu que le missel

 

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ne l'est point. Nous sommes aussi d'accord que l'inhumation des corps, et la manière de les placer à l'église, doit être la même pour les laïcs et les ecclésiastiques, à savoir les pieds tournés vers l'autel et la tête vers la porte de l'église; en sorte que dans le convoi, dans la manière de placer le corps, et dans le tombeau, le mort ait toujours le visage tourné vers l'orient et vers l'autel, et non vers le peuple ; ce que les nouveaux rubriquaires avaient établi pour les prêtres, comme pour donner encore après leur mort la bénédiction au peuple : ce qui est ridicule, puisque la mort rend tous les hommes égaux. Nous sommes aussi convenus de bien d'autres points que je ne rapporte pas ici. »

Notre but n'est pas ici de relever l'une après l'autre toutes les réformes liturgiques que Ledieu introduisit dans son missel, et qui d'ailleurs pour la plupart ont été appliquées successivement à tous les missels de l'innovation. Nous les discuterons en temps et lieu, et nous montrerons que la convenance aussi bien que l'autorité sont constamment du côté des usages romains. La plus grave est celle qui est relative au secret du canon; elle succomba devant le sentiment catholique; les autres furent admises par l'effet de ce vertige inexplicable qui avait alors saisi tous les esprits. Reprenons la suite du journal, au même article.

« M. l'abbé Chastelain m'a fait beaucoup d'amitié et veut voir M. l'évêque de Meaux à Paris, pour le confirmer dans ses bons desseins.

« Vendredi, 2 novembre. J'ai rendu compte au prélat de l'état du missel, de la satisfaction et approbation de l'abbé Chastelain. »

Ces dernières paroles diront assez tout le crédit dont jouissaient les nouveaux liturgistes. Henri de Bissy que nous verrons tout à l'heure se relever et se ressouvenir enfin qu'il est évêque, subit sans appel le joug d'un

 

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chanoine de Paris, et se met en opposition avec la Liturgie universelle pour lui obéir, comme si la satisfaction et l'approbation de cet homme pouvaient balancer en quelque chose la sagesse et les usages de l'Église.

« Ce 28 novembre, veille de saint André, j'ai été saluer le prélat qui me parle toujours du bréviaire, désirant fort que l'édition suive celle du missel. Je lui dis qu'il faut se donner au moins un an de repos et d'intervalle, afin de voir le succès du missel; et j'insiste que, pour la perfection de la Liturgie et rendre le missel utile au peuple, il faut nécessairement faire imprimer un graduel dont la cathédrale même et toutes les paroisses ont besoin, n'étant plus possible de faire de nouvelles additions et corrections par des ratures, et en collant des papiers sur les feuilles des anciens graduels manuscrits, parce que ces anciens livres en sont déjà tout défigurés, et ne peuvent plus servir à cause des changements faits dans le nouveau missel. Ce prélat craint la dépense; mais il faut insister pour le graduel, parce que, sans graduel, le missel est inutile. »

On voit ici le principe des exactions auxquelles les nouvelles Liturgies condamnèrent les diocèses. Après le missel, il faut le graduel; comme après le bréviaire, il faudra l'antiphonaire. Et toutes ces impositions inouïes procédaient de la fantaisie d'un novateur qui avait eu le crédit de surprendre la simplicité d'un évêque.

« (1709). Vendredi, 26 juillet. J'ai été à Germigny voir M. l'évêque de Meaux. Il est demeuré d'accord de tout ce que je lui ai proposé, et il a approuvé nommément qu'il y sera fait des rubriques pour répondre amen par le diacre, par l'enfant et par chaque fidèle, aux paroles de la consécration du Corps et du Sang de Notre-Seigneur, et à celles de la communion, soit du prêtre, soit des assistants, et ainsi des autres choses moins importantes. Au reste, notre calendrier est achevé d'imprimer. »

Ledieu avait été adroit dans l'affaire de ses amen. Il avait

 

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caché au Chapitre cet énorme et scandaleuse innovation ; mais il avait l'espoir de surprendre le consentement de _ l'évêque. Déjà nous avons vu qu'il avait reçu de bonnes paroles; aujourd'hui, il obtient l'objet de ses désirs. Henri de Bissy, malheureusement peu ferme sur la science liturgique, approuve la mesure que Ledieu lui propose, sans se douter qu'il se livre aux jansénistes, et qu'il se prépare à lui-même une pénible humiliation.

« Ce dimanche 28, et 3o juillet. J'ai communiqué les rubriques à nos commissaires qui ont tout passé. »

« (Paris). Septembre, mardi 10. Je communique ma Lettre pastorale du missel à M. Billet qui la trouve bien; mercredi à M. l'abbé Bossuet qui l'approuve aussi. »

« Jeudi 12.... J'ai été voir M. l'abbé de Beaufort, à qui j'ai laissé mon adresse et lui ai fait lecture de ma Lettre pastorale latine pour le missel, qu'il a fort approuvée. »

« Ce 15, j'ai vu M. l'abbé Fleury qui m'a reçu avec amitié, et a entendu avec plaisir ma Lettre latine pour le missel, qu'il a approuvée en tous points. »

L'abbé Ledieu se délecte en disant ma Lettre pastorale; mais on ne saurait trop plaindre Henri de Bissy dont elle porte en tête le nom, et qui devra en répondre devant l'Église. Il est curieux de voir le nom de l'abbé Fleury mêlé dans cette affaire ; toutefois, nous persistons à croire que Ledieu n'eût pas eu si bon marché de Bossuet. Il eut cependant l'audace de compromettre ce grand nom dans sa Lettre pastorale, en disant que Bossuet ayant projeté de donner à l'Église de Meaux une Liturgie pure, avait été enlevé de ce monde, après avoir appliqué à ce travail des prêtres, élevés dans cette Église, et formés par lui (1). C'était associer assez clairement Bossuet, et fort gratuitement

 

(1) Necessarium duxit tantus vir, his adminiculis Liturgiam sacram in Ecclesia Meldensi puram-putam praestare ; sed vix admotis huic rei ac sedulo instantibus, quos eidem Ecclesia; innutritos ipse informaverat, sacerdotibus, docto labori immoritur.

 

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comme on l'a vu, à tout ce que ceux-ci, et Ledieu particulièrement, devaient faire après sa mort. Néanmoins nous avons vu que non seulement celui-ci, mais Chastelain lui-même, convenaient qu'ils n'eussent pas entraîné cet illustre évêque dans leurs voies, comme ils y poussèrent si tristement Henri de Bissy.

Les réformes de l'abbé Ledieu sont annoncées en termes pompeux dans sa Lettre pastorale. « Nous n'avons pas négligé dans notre missel, fait-il dire à l'évêque de Meaux, les usages de l'ancienne discipline de l'Église, selon que l'occasion s'en est offerte; ils y sont en petit nombre, amenés avec réserve, mais dignes de vénération; les gens instruits les y découvriront aisément. Dans une matière si sainte, nous n'avons voulu admettre que ce qui est pur et digne de Dieu, que ce qui est exprimé par la parole même du Seigneur, dont le texte a été maintenu sincère et sans alliage. Nous avons pris soin de repousser toutes les choses vaines, profanes ou contraires à une véritable religion, comme parle le saint concile (1). »

On sait ce que signifient, dans le langage de l'abbé Ledieu, les usages de l'ancienne discipline; cela veut dire le renversement de la Liturgie antique et autorisée. L'Église de Meaux avait son missel ad Romani formam, publié en 1642 par Dominique Séguier; tous les usages repoussés par Ledieu sont pratiqués dans toute l'Église, et on n'est pas en peine, grâces à Dieu, de les défendre au nom de l'antiquité. Quant à ce qu'il dit que tout son missel n'est que

 

(1) Nec praetermissa sunt quas ad veterem Ecclesiae disciplinam spectant, ubi occasio se dédit. Pauca illa quidem ac sobria, sed veneranda : uti doctus quisque facile deprehendet. Scilicet in re tam sancta, nihil nisi sincerum ac Deo dignum, ipso etiam verbo Domini expressum, admisceri sustinuimus : sacro textu integro stante ac germano : vana omnia ac profana, ceu a vera religione aliéna, ut sancta edixit Synodus, arcenda curavimus.

 

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la pure parole du Seigneur, il oublie le nombre immense d'oraisons qu'il contient, et qui ont été composées par des hommes; nous avons même vu plus haut qu'il se vantait d'y avoir mis du sien; ce n'était assurément pas de l'Écriture sainte. Quant aux choses vaines, profanes et contraires à une véritable Religion, qu'il a expulsées, il faut mettre du nombre le submissa voce du canon ; les proses Victimae Paschali; Veni,  Sancte Spiritus ; Lauda, Sion, etc. Mais, encore une fois, c'était l'esprit du temps, et à tel point, que lorsque Henri de Bissy eut fait droit aux réclamations sur le silence du canon, et rétabli les quatre proses, au moyen d'un appendice à la fin du missel, ce livre continua de servir à l'autel jusqu'à nos jours, et il se range de lui-même parmi les missels du siècle dernier, desquels il ne diffère que dans des détails d'une importance secondaire.

« 25 octobre. Dieu soit loué; voici l'ouvrage de notre missel enfin au jour. Tout étant bien corrigé, je l'ai fait relier; et je viens, ce vendredi 25 octobre 1709, d'en présenter le  premier  exemplaire relié à Mgr  le cardinal de Noailles, archevêque  de Paris, avec une lettre de Mgr l'évêque de Meaux pour son Eminence. Ce cardinal m'a très bien reçu et fort écouté, et surtout notre petite épître dédicatoire qu'il a aussi approuvée,  et quelques choses principales; et, entre autres, notre conformité avec le missel de Paris, notre métropole, que je lui ai bien fait valoir comme étant le premier dessein de cette édition, de l'esprit de feu M. de Meaux, et dans lequel M. de Meaux d'aujourd'hui est parfaitement entré ; que saint Denys, notre premier évêque commun,  tant de Paris que de Meaux, nous attachait encore plus à la métropole que les autres églises de la même province; qu'en mon particulier, j'étais bienheureux d'avoir cette occasion de donner ce témoignage public de mon attachement et de ma soumission aux ordres de feu M. de Meaux, même après sa

 

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mort. M. Ballard, l'imprimeur, était aussi présent, et il a eu sa part des gracieusetés du cardinal. »

« Ce mardi, 29 octobre, tous mes missels pour Meaux sont prêts. Arrêt de compte avec M. Ballard ; il me fait présent de deux missels, un en maroquin pour ma chapelle, et un en veau pour mon cabinet. Il m'en donne aussi un en deux parties, relié en maroquin, pour la cathédrale. Il se charge d'en donner à M. l'évêque de Meaux et à ses grands vicaires. J'en ai fait relier un autre en deux parties, en maroquin, pour chanter les épîtres et les évangiles dans la cathédrale; et aussi un en maroquin, où sont seulement les messes pontificales, que je veux présenter à M. l'évêque de Meaux. Tout cela est fait, très propre et même magnifique. Je les emporte tous avec moi ; et voilà, Dieu merci, une affaire finie.  »

« Mercredi, 3o octobre. Départ de Paris, et arrivée heureuse à Meaux par le carrosse de voiture, où il y avait quantité d'honnêtes gens. »

« 31 octobre. M. de Meaux arrive de Germigny à Meaux, pour dîner, dans l'intention de faire l'office pontifical de la Toussaint. Je l'ai été voir en même temps, et lui ai présenté le missel contenant seulement les messes pontificales, bien relié en maroquin de Levant pour servir à son trône, qu'il a reçu fort gracieusement; et l'on a fort affecté de beaucoup louer le nouveau missel : ce que j'apprends que M. de Meaux avait déjà fait à Germigny pendant plusieurs jours, dès qu'il en avait reçu le premier exemplaire. Ce prélat a fait l'office pontifical aux premières vêpres de la Toussaint, et à toutes les Heures du jour de la fête, moi lui servant de prêtre assistant. Grand régal à dîner. »

« Distribution du missel, chacun fort content d'en recevoir le présent. Je diffère de porter au Chapitre les deux exemplaires en deux parties chacun, pour le grand autel, pour chanter l'épître  et l'évangile,  que je fais relier en

 

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maroquin de Levant, avec une dorure magnifique; et j'attends exprès un Chapitre où il y ait moins d'affaires, afin de parler de ce missel. »

Ainsi, le changement de la Liturgie, quant au missel, était consommé dans le diocèse de Meaux, le triomphe de l'abbé Ledieu était complet, sauf la part de gloire qui revenait à l'abbé Chastelain, arbitre de la Liturgie à cette époque. Un seul homme était à plaindre dans toute cette affaire : l'évêque de Meaux dont l'abbé Ledieu avait si cruellement exploité la facilité. Henri de Bissy avait eu le malheur d'oublier que la Liturgie est un bien commun dans l'Église de Dieu, et qu'elle ne peut pas être livrée à la volonté d'un prélat particulier; il en avait méconnu l'importance dans l'économie de la religion; il avait agi, en un mot, avec une confiance illimitée dans un homme qui allait le compromettre gravement aux yeux de l'Église entière, et le mettre dans la nécessité de publier un mandement solennel contre ce missel même qu'un autre mandement signé du prélat venait de recommander comme une œuvre sainte et irréprochable.

La hardiesse de Ledieu à insinuer l'esprit janséniste dans son missel, en introduisant des R/ rouges avant les Amen du canon, pour obliger le prêtre à en réciter les oraisons à haute voix, et en supprimant le mot secreto dans les rubriques qui prescrivent le mode de récitation pour cette prière sacrée; cette hardiesse, disons-nous, excita une vive indignation chez un grand nombre de personnes fidèles à l'esprit de l'Eglise. Dès le 9 novembre, Henri de Bissy, ému du scandale que causait le missel, écrivait pour demander des explications à l'homme qui n'avait cependant rien fait que dans le nom du prélat, et qui ne pouvait être responsable qu'après celui dont le nom, les armes, la lettre pastorale, la signature étaient visibles à tout le monde sur ce livre.

Écoutons de nouveau l'abbé Ledieu :

 

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« M. de Meaux retourne à Germigny; et ce 9 novembre, du matin, je reçois une lettre de lui, où il me prie de lui mander pour quelle raison on a mis des R/ R/  rouges dans le canon de la messe, avant l’ Amen qui est après chaque oraison du canon ; que l'on a remarqué que dans la rubrique avant la consécration, on ôte le mot secreto, qui est à Paris même, et qu'un R/ rouge y a été mis aussi avec un Amen ; ensuite, que tout cela semble dire que le canon doit être dit à haute voix contre l'usage de l'Église qui est de le dire à voix basse. « Y a-t-il sur cela, ajoute M. de Meaux, quelque usage particulier de notre Eglise? Je vous prie de m'en informer. »

Il était temps de s'informer, en effet, si par hasard l’Église de Meaux n'avait pas quelque privilège pour prononcer le canon à haute voix. Henri de Bissy oubliait que Ledieu avait obtenu son consentement pour cette énorme innovation. Le manuscrit de Ledieu ne donne pas la réponse de celui-ci au prélat, et présente même à cet endroit une lacune considérable. Nous avons raconté ailleurs les événements qui s'ensuivirent. L'évêque de Meaux qui tenait à passer pour un prélat orthodoxe, et qui l'était en effet, ne put s'en tirer autrement qu'en fulminant un mandement énergique contre son propre missel. Il défendit la lecture de la Lettre apologétique que Ledieu avait publiée pour expliquer sa conduite, et ce dernier fut désavoué par le Chapitre, dans une délibération imprimée (1). Mais il ne vint dans l'esprit de personne, ni a Meaux, ni ailleurs, que l'arbitraire et l'absence de toute correction supérieure exposaient la Liturgie, et par elle la foi de l'Église, à tous les hasards, et que la réserve apostolique qui régnait dans tout le reste de la chrétienté pour les textes liturgiques, était la seule sauvegarde de l'orthodoxie, et une protection efficace pour l'honneur de l'épiscopat.

 

(1) Institutions liturgiques. Tome II, page 137 et suivantes.

 

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Les livres liturgiques composés par de simples particuliers et acceptés par les évêques se multiplièrent plus que jamais, et vingt-sept ans après, on voyait un archevêque de Paris, après avoir publié aussi un bréviaire par lettre pastorale, imposer de nombreux cartons à un texte déjà répandu dans son diocèse, sous sa garantie ; ce qui montre d'abord qu'il l'avait publié sans l'avoir lu. Encore une fois, Rome, avec toutes les prétendues entraves de la Congrégation des Rites, est de beaucoup préférable à cette liberté dont nous avons été si fiers.

Le mauvais succès du Missel de Meaux qu'il avait fallu amender, pour le rendre orthodoxe, n'arrêta pas la manie des innovations liturgiques dans ce' diocèse.On eut encore le courage de songer à un nouveau bréviaire, et d'ailleurs il devenait nécessaire d'en fabriquer un, du moment que le missel, moyennant les corrections,se trouvait maintenu. Toutefois, l'abbé Ledieu avait perdu la confiance de l'évêque, et ce ne fut pas lui, mais l'abbé Treuvé, théologal de l'Église de Meaux, auquel Henri de Bissy confia cette œuvre importante. Nous trouvons cependant encore quelques traits curieux dans le journal de Ledieu sur cette affaire et nous allons les mettre sous les yeux du lecteur. Il y est question pour la première fois du bréviaire, au printemps de l'année 1710.

« (1710) Avril, mardi 29. On dit que le P. Doucin a bien triomphé de son succès contre le missel. Il sera encore plus grand contre le bréviaire ; certainement, il a augmenté l'audace de quelques esprits emportés. »

Ces paroles nous apprennent que, du moins, dans la pensée de Ledieu, le P. Doucin, jésuite, ami de l'évêque de Meaux, devait être regardé comme l'auteur de la rétractation qu'avait faite ce prélat, au sujet de son missel, et qu'il surveillait aussi la rédaction du futur bréviaire. On comprend également que les esprits emportés sont ici les catholiques  qui s'inquiétaient des progrès que  faisait

 

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l'innovation, et du triomphe prochain des jansénistes par la Liturgie.

« Ce jeudi, 1er mai. Le P. Doucin ayant vu le plan du nouveau bréviaire que M. de Meaux lui a fait donner, il s'est récrié à rencontre, disant que les chanoines seraient bien obligés de dire les dix-huit psaumes des matines du dimanche, et les douze psaumes des matines des fériés ; que l'on porterait au roi et jusqu'à Rome les plaintes contre leur nouveauté de ne mettre que neuf psaumes à toutes les matines, quelles qu'elles soient, et encore contre leur dessein de diviser tous les grands psaumes. On lui a fait voir ce dessein exécuté dans le bréviaire de Narbonne qui est de M. de la Berchère, ami de la Société et de sa doctrine; sans parler des autres nouveaux bréviaires d'Orléans, Sens et Lizieux, qui ont suivi le même plan. Il en est encore plus irrité, traitant tout cela de nouveautés, et menaçant de s'y opposer de toute sa force. Sur ce pied, ses espions Delpy et de Mouhy (Chanoines de Meaux) nous promettent un bréviaire tout différent du plan qu'on en avait pris, et qui, disent-ils, obligera de faire imprimer aussitôt après un nouveau missel, au plus tard dans deux ans ; c'est le terme qu'ils donnent au nouveau missel qu'ils se flattent de supprimer. »

Le moyen le plus efficace d'arrêter l'innovation liturgique, au XVIII° siècle, eût été, en effet, de tenir ferme pour le maintien de la division romaine du psautier. Sans doute l'esprit de secte avait fait naître un certain nombre de compositeurs liturgistes dans les rangs du parti janséniste ; mais ils ne pouvaient espérer de faire goûter leurs utopies à la masse du Clergé, qu'en offrant l'attrait d'un bréviaire plus court. Or, cette abréviation de la prière ecclésiastique ne pouvait avoir lieu qu'au moyen d'une nouvelle division du psautier, destinée à remplacer celle dont l'Église usait depuis les premiers siècles. C'est encore ici un des points sur lesquels le sens traditionnel de Bossuet

 

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eût tout sauvé. On a vu ci-dessus combien il tenait à maintenir pour chaque jour de la  semaine, aux petites Heures, le psaume CXVIII. Il n'en fallait pas davantage pour arrêter les systèmes modernes sur l'arrangement du psautier. C'est précisément parce qu'on avait besoin de soixante-douze nouveaux psaumes aux fériés, pour les petites Heures, du moment qu'on affectait au seul dimanche le psaume CXVIII, qu'il devenait nécessaire de ruiner de fond en comble l'ancienne division. Bossuet, selon le propre récit de Ledieu, voulait expressément maintenir le psaume CXVIII pour chaque jour de la semaine ; par cela seul, il arrêtait l'innovation dans sa source. Mais Bossuet venait de mourir, et l'oubli des vraies traditions, à une époque où l'on ne parlait que de ramener toutes choses à l'antiquité, ne permit pas de comprendre la gravité du pas qu'on allait franchir. Tout se tient dans les choses de la religion, et les changements qui ne sont pas exécutés par la puissance supérieure courent risque bien souvent d'enfanter l'anarchie. Dès qu'on eut laissé voir aux novateurs que la diminution de l'office divin pouvait séduire ceux mêmes qui ne partageaient pas leurs principes ,  ils  se sentirent forts ;  et une  fois maîtres des livres liturgiques, ils en firent, comme ils s'en sont vantés, un des principaux trophées de leur victoire.

Toutefois, les menées de l'abbé Ledieu n'eurent pas tout le résultat qu'il s'en promettait, quant au Bréviaire de Meaux ; le Psautier romain fut au moment d'être maintenu ; plus tard, il est vrai, on finit par l'altérer ; mais du moins, les hésitations de l’évêque assurèrent la conservation d'un grand nombre de détails de l'antique et romaine Liturgie. Parmi les bréviaires que cite Ledieu, et qui déjà avaient abandonné l'ancienne forme du psautier, c'est à tort qu'il compte le Bréviaire d'Orléans, puisque le cardinal de Coislin avait, du moins sur cet article, maintenu la tradition.

 

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Quant au projet de rédiger le Bréviaire de Meaux dans une forme qui rendît inutile le missel que l'on venait de publier, il n'eut pas de suite. Henri de Bissy ayant voulu conserver le calendrier de ce missel, la marche du bréviaire se trouvait fixée pour le Propre des Saints, qui est une partie si importante dans un livre liturgique.

Reprenons le journal de l'abbé Ledieu.

« 10 Juin. M. de Meaux a dit à M. de Saint-André, sur le dessein du bréviaire, que l'on s'attirait de nouvelles plaintes, que l'on avait pensé les porter au clergé de France, contre tous les nouveaux bréviaires qui ont fait de nouvelles divisions des psaumes et du psautier. C'est l'effet d'une lâche complaisance pour les jésuites, qui ne peuvent souffrir qu'on fasse de nouveaux bréviaires sans eux, voulant mettre leur nez partout, et tout gouverner à leur fantaisie. C'est donc un faux zèle qui les fait parler, et dont ils couvrent l'envie qu'ils ont de régenter les évêques mêmes et les Églises. Au reste, M. de Meaux n'a rien dit aux commissaires du bréviaire, ni parlé de leur rendre leur plan. Ainsi, voilà ce travail tombé. Et aussi faut-il bien attendre la nomination à l'archevêché de Reims et aux grands bénéfices vacants, et ne se point donner d'exclusion. »

Il y avait donc encore en ce moment, dans nos églises, un mouvement de réaction, si faible qu'il fût, en faveur des traditions liturgiques, et l'on doit vivement regretter que la cause n'ait pas été portée devant l'Assemblée du clergé, comme on vient de voir qu'il en fut question. Le nombre des diocèses qui avaient accepté l'innovation était encore très peu considérable ; dans plusieurs églises, comme à Paris, à Reims, à La Rochelle, les nouveaux livres contenaient encore la plus grande partie de la Liturgie romaine ; on pouvait donc encore remonter le courant. Vingt ans après il eût été trop tard, et telle modification contre laquelle se  révoltait le sentiment catholique

 

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en 1710, allait être bientôt regardée comme parfaitement licite, et même comme méritoire, après 1730.

Il est curieux de voir comment les jésuites qui rendent à l'évêque de Meaux le service de le retenir sur une pente contre laquelle il n'était pas assez en garde, sont accusés ici de vouloir régenter les évêques et les églises. Les jésuites parlent au nom de l'antiquité, de l'unité, de l'autorité ; il ne s'agit pas de leur œuvre, puisque enfin ils n'existaient pas encore au IV° siècle, époque à laquelle les anciens liturgistes reportent la division romaine du psautier ; n'importe : c'est un faux zèle qui les fait parler. Si Henri de Bissy voulait bien encore se faire régenter par Ledieu, tout serait le mieux du monde ; mais l'excellent évêque se rappelle les palinodies auxquelles sa déférence pour Ledieu l'a engagé. Il préfère écouter ceux qui cherchent à le prévenir contre les nouveautés, et à le garantir des influences qui déjà ont jeté l'amertume sur son épiscopat. On vient de voir aussi qu'après avoir exhalé sa bile contre les jésuites, Ledieu témoigne son mépris pour l'évêque de Meaux. Décidément, parce que le prélat ne veut pas qu'on touche à la division séculaire du psautier, cela veut dire qu'il convoite l'archevêché de Reims. Rien n'est curieux comme ce dépit d'un fabricateur de Liturgie mis à la réforme. Et nunc, intelligite.

« Mercredi, 16 septembre. M. de Meaux a fait venir à Germigny MM. Morin, chantre, Fouquet, chanoine, et Treuvé, théologal, députés du bréviaire pour leur rendre le plan, et leur donner un nouvel avis de Paris. Cet avis est contenu en un grand mémoire, où le plan des commissaires est réfuté, et se termine à dire que la division des psaumes, telle qu'elle est dans le bréviaire romain, étant reçue par toute l'Eglise, doit être aussi suivie dans nos bréviaires de Meaux, comme dans l'ancien ; de même que la division et lecture de la sainte Écriture, telle qu'elle s'y fait ; et enfin les antiennes propres, comme de saint Laurent,

 

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de saint Martin et semblables, qui sont tirées ou des Actes de Martyrs, ou des Vies des Saints ; que lui-même s'en tient à ce dernier avis pour deux raisons : 1° parce qu'il ne croit point avoir cette autorité, qui n'appartient, dit-il, qu'au concile de la province ; 2° parce que ce sera plus tôt fait, n'y ayant qu'à suivre le bréviaire d'aujourd'hui, en s'attachant néanmoins au calendrier du nouveau missel. »

« Lundi, 20 octobre. Tout le temps de la conférence a principalement roulé sur le plan du nouveau bréviaire, et sur le dessein de faire une nouvelle division du psautier et des longs psaumes, pour donner facilité, toutes les matines étant égales, de renvoyer toujours aux psaumes de la férié, et par ce moyen dire le psautier sans faute dans chaque semaine. A quoi ce prélat n'a pu consentir, et a permis seulement que l'on lui donnât par écrit les raisons de cette nouvelle distribution ; et le bureau travaille à ce mémoire. »

« Ce mardi, 9 décembre, sur le soir, l'assemblée des commissaires du bréviaire s'est réunie à l'évêché. M. le théologal y a lu sa réponse au mémoire de Paris; essayant de persuader le prélat de la bonne disposition du plan du nouveau bréviaire, conforme à tous ceux qui se sont imprimés depuis vingt ans, et qui s'impriment actuellement. Mais le prélat n'en a point été persuadé ; et il a demandé un peu plus de temps pour se déterminer, promettant de le faire incessamment. On croit qu'il écrit pour cela à son conseil de Paris ; comme si, en cette matière, il avait d'autre conseil que son Chapitre, suivant tous les conciles. »

« (1711). Le lundi, 5 janvier. Les commissaires du bréviaire sont demeurés d'accord de s'assembler deux fois par semaine, pour travailler au bréviaire nouveau sur le plan ci-devant proposé, et de l'agrément de M. l'évêque de Meaux, mais qui n'en a rien signé ; il s'est contenté de

 

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le dire verbalement à M. le théologal et non aux autres. Ce dessein de travailler sans discontinuer, pris au commencement de ce mois de janvier 1711, nous en verrons le progrès : ils doivent aller vite, car ils se proposent de garder bien des choses de l'ancien bréviaire, comme répons, etc. »

Durant cet intervalle, l'abbé Ledieu s'impatientait de ne rien faire ; son exclusion de l'œuvre du bréviaire lui était dure, et il cherchait à intervenir, au moins par voie indirecte ; ce fut en vain.

« Octobre. Ayant appris dès le mois de septembre que le travail du bréviaire était prêt pour l'impression, j'ai fait un mémoire touchant la lecture de l'Écriture sainte dans l'Eglise, pour faire voir l'importance de la lire tout entière dans un an, suivant la tradition constante, et surtout pour démontrer qu'il n'est pas permis de la tronquer et mutiler, ni d'y faire des retranchements ou coupures. Cet écrit s'est trouvé prêt dès le mois de septembre que M. l'évêque de Meaux devait revenir à Meaux. M. de Saint-André l'a vu et l'a fait voir aux commissaires du bréviaire ; ils n'en ont tenu aucun compte, et ont dit qu'ils suivaient dans leurs retranchements les exemples de Cluny et de Sens ; et ils n’ont pas porté plus loin le mémoire qui me fut aussitôt rendu.

« J'ai cru devoir en parler à M. Gaudar, nouveau théologal, et même lui donner mon écrit à lire. Il est dans toutes mes raisons, trouvant l'écrit très bon, et il a même voulu le communiquer à M. Chevallier, archidiacre et grand vicaire, qui, de son côté, touché de ce mémoire, s'est chargé de savoir des commissaires mêmes en quoi consistent leurs retranchements et jusqu'où ils les portent. Quelques-uns d'eux en ont depuis parlé à M. Gaudar, théologal, pour en avoir son avis, se plaignant à lui, que tout passait aux désirs de M. Treuvé, sans un plus grand examen. Ainsi ce mémoire a fait en dernier lieu un peu

 

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plus d'impression, et peut-être y puisera-t-on encore davantage : c'est ce qu'il faudra suivre. »

L'année suivante, le bréviaire fut terminé. Voici en quels termes Ledieu rend compte de ses impressions :

« (1712). Octobre. Il y a un mandement imprimé de M. l'évêque de Meaux, du 6 novembre 1712, envoyé à tous les curés, pour leur ordonner de se servir du nouveau bréviaire de Meaux, le 1er dimanche de l'Avent, 27 novembre 1712, ou au plus tard le 1er janvier 1713 ; tout autre bréviaire demeurant interdit. Ce mandement est fort succinct. »

« C'est tout ce que j'ai vu du Bréviaire de Meaux; nous l'examinerons et l'éplucherons à loisir. Comme on l'a fait et imprimé fort vite, sans en rien voir au net, il est difficile qu'il ne se soit pas glissé bien des fautes dans un ouvrage si précipité. »

« (1713). Janvier. Le bréviaire du sieur Treuvé, autrement dit le nouveau Bréviaire de Meaux, devient ici commun, et plusieurs s'en pourvoient. Je n'en ai point encore à moi, et néanmoins je l'ai lu et parcouru tout entier. La disposition en paraît bonne, utile et édifiante : surtout la division des psaumes, qui est à peu près celle de Sens. Mais, dans l'exécution, il y a des défauts et des négligences insupportables, même aux choses importantes, et dans les saints du diocèse que l'on s'était proposé de faire connaître, dont néanmoins on a ignoré des faits notoires, comme le lieu où reposent leurs reliques, ce qui appartient toutefois au bréviaire et à l'histoire ecclésiastique du diocèse. Il n'y a point du tout de latinité, ni dans l'épître préliminaire, ni dans les légendes de la façon du sieur Treuvé. On remarque même en d'autres légendes d'une bonne latinité les additions qu'il y a faites, par le latin détestable qu'il y a fourré. Pour les fautes que l'on nomme errata, elles sont innombrables et indignes de gens de lettres : au grand mépris des  lecteurs de  l'office divin et  de Dieu

 

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même, puisqu'il s'agit ici précisément de son culte, et que c'est le cas de dire: maledictus qui facit opus Dei fraudulenter, i. e. negligenter. Au reste, ce M. Treuvé auteur, avait un marché fait, et il a reçu une récompense d'onze cents livres pour ce travail. Suivant la pratique des mercenaires, il devait rendre son ouvrage accompli, sinon perdre de son prix fait, à proportion de ses fautes. C'est une perte irréparable, qu'une Église, qu'un diocèse et tout un clergé soient si mal servis, en un temps où il était si aisé de faire un ouvrage parfait : car, à cause de la dépense, l'on n'y saurait revenir de près de cent ans : et alors on aura perdu ce goût. »

« Comme l'on commence à se servir du nouveau bréviaire en particulier, et que plusieurs s'en sont pourvus, ou par la curiosité de le lire, chacun y remarquant ce nombre étonnant de fautes qui sautent aux yeux, on ne peut se tenir d'en parler, et de s'en plaindre comme d'un scandale public dans l'office divin. Le bruit en est revenu aux oreilles du principal auteur et des commissaires, qui sont bien honteux de voir leurs âneries connues, et qui ne craignent rien tant que de les entendre relever. Ils voudraient bien qu'elles demeurassent dans l'oubli, et ils ne peuvent se résoudre à faire un errata général et exact, pour avertir du moins les plus ignorants des corrections nécessaires. Ainsi, c'est un mauvais ouvrage abandonné : et, pour Je sieur Treuvé, il dit qu'il ne veut pas en entendre parler, et qu'on l'a tellement pressé, qu'il n'a pu y donner plus de soins. Il parle toujours comme un mercenaire, qui n'aurait plus rien à gagner, quelque peine qu'il prît pour la correction de ses fautes. »

Nous arrêterons ici nos extraits du journal de Ledieu sur la nouvelle Liturgie de Meaux ; le reste n'a plus rapport qu'aux contestations qui eurent lieu entre l'évêque et le libraire, pour le privilège. Il va sans dire que Ledieu ne ménage pas Henri de Bissy ; au reste, on est accoutumé à

 

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son ton qui seulement devient plus aigre, à partir du moment où Fauteur du missel a perdu l'espoir de rédiger par lui-même le bréviaire.

On a dû remarquer, dans l'article qui précède, l'aveu que laisse échapper, avec un certain dépit, l'abbé Ledieu, quand il prévoit que, dans un siècle, le goût des nouveautés liturgiques pourrait bien être passé. Cette fièvre, en effet, ne devait pas se prolonger au delà d'une certaine durée. Le jansénisme qui l'avait occasionnée a fait son temps ; la prétention gallicane à avoir des livres liturgiques rédigés dans le goût français, prétention qui, grâce à l'esprit mobile et entreprenant de notre nation, n'a pu cependant produire un bréviaire et un missel à l'usage de toutes les Églises de France; cette prétention, disons-nous, s'est calmée de nos jours. Nous avons vu composer quatre bréviaires, et déjà,deux de ces bréviaires, ceux de Quimper et de Nîmes, sont remplacés par le romain, avant même que la première édition ait eu le temps de s'épuiser. Celui de Meaux dont nous venons de raconter l'histoire a été, il y a vingt ans, remplacé par un autre qui, assurément, ne durera pas autant que celui qui l'a précédé.

Le sens catholique, chez nous, comprend assez généralement aujourd'hui que, du moment où l'Église a publié un bréviaire et un missel, ce sont ceux-là qu'il faut adopter, et qu'il y a un inconvénient réel à morceler par diocèses, dans une des grandes provinces de l'Église, l'élément de la prière publique dont se contentent les autres régions de la catholicité. L'abbé Ledieu vaincu par l'abbé Treuvé et se promettant en revanche de l'épluchera propos de son bréviaire ; un évêque dupé avec scandale, pour avoir publié un missel rempli de nouveautés dont il ne soupçonne pas l'importance ; ce sont choses que nous ne reverrons plus. Nous avons raconté ailleurs comment et dans quelles circonstances de pareils abus devinrent possibles. La tendance de nos jours est tout entière à l'unité et à la conformité

 

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avec Rome ; la valeur de la Liturgie, comme confession de foi séculaire, est de plus en plus appréciée; la gravité des moindres changements dans ce qui la concerne et les inconvénients de l'arbitraire dans le service divin se révèlent de plus en plus ; l'étude sérieuse des textes de la Liturgie romaine si peu compris aujourd'hui, parce qu'on avait suspendu la lecture des Pères et de l'antiquité ecclésiastique, achèvera d'éclairer ceux qui hésitent encore, et, tôt ou tard, au lieu de se glorifier d'une Liturgie particulière qui ne représente que les idées d'un individu et d'une époque, on sentira mieux l'avantage d'être en communion avec tous les temps et tous les lieux, au moyen de ces formules sacrées que chaque siècle est venu enrichir et compléter par l'expression simple et forte de sa foi et de sa piété.

 

FIN DU SECOND VOLUME

 

 

 

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