III - CHAPITRE V

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III - L. A Mgr de RHEIMS

CHAPITRE V : DE  LA  PUBLICATION  ET  DE  LA  CORRECTION   DES  LIVRES   LITURGIQUES

 

 

NOTES DU CHAPITRE V

NOTE A

NOTE  B

 

 

Les livres de la Liturgie étant d'une si grande importance dans l'Église, et se recommandant à la vénération générale, non seulement comme le principal instrument de la Tradition, mais encore par leur haute antiquité et par le caractère mystérieux des langues dans lesquelles ils sont écrits, il s'ensuit que la publication et la correction de ces livres intéressent au plus haut point la société chrétienne tout entière.

Nous ne parlons point ici de la composition proprement dite de ces livres ; elle se perd dans la nuit des temps. Les siècles ont pu amener des additions et des modifications aux Liturgies ; leur fond est contemporain de l'origine des Eglises, et c'est pour cela même que les récents bréviaires de France, composés sur un plan nouveau, tant de siècles après la fondation des Églises auxquelles ils sont destinés, manquent d'un des caractères essentiels de toute vraie Liturgie. On ne peut donc pas considérer saint Grégoire comme l'auteur du Sacramentaire, de l'Antiphonaire et du Responsorial qui portent son nom ; ses travaux sur ces livres n'ont été qu'une simple correction. Il a réduit le Sacramentaire de saint Gélase, et fait un choix plus intelligent dans l'ensemble des pièces chantées à la messe et à l'office divin; mais il n'a pas été le rédacteur du corps de la Liturgie qu'on appelle grégorienne. A plus forte raison doit-on porter le même jugement au sujet de saint Grégoire VII, de Grégoire IX et de saint Pie V, dans les opérations qu'ils ont dirigées ou accomplies sur  les  livres  liturgiques, et ce que  nous

 

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disons ici doit s'entendre également de ces grands personnages qui, depuis les douze derniers siècles, sont regardés ordinairement comme les pères des diverses Liturgies, soit de l'Orient, soit de l'Occident. Ils ont revu, amendé, enrichi les livres du service divin ; ils n'en sont pas à proprement parler les auteurs. En France, il en fut autrement au siècle dernier; Mésenguy définissait alors le Bréviaire un ouvrage d'esprit (1); aussi le P. Vigier est-il l'auteur du Bréviaire de Paris, bien plus que saint Grégoire ne l'est du Bréviaire romain.

Avant la découverte de l'imprimerie, la publication et la correction des livres liturgiques durent avoir lieu sous un autre mode que depuis ce grand événement; mais l'autorité des prélats de l'Église y parut toujours avec le même éclat. De telles opérations furent considérées dans tous les siècles comme étant du nombre des actes spéciaux du pouvoir enseignant dans l'Église. Les évêques des principales Églises présidaient aux modifications qui devaient être introduites dans les livres du service divin ; ces modifications étant admises dans les exemplaires à l'usage des diverses Églises d'un même ressort, les nouvelles copies écrites postérieurement à ces remaniements étaient l'expression exacte des exemplaires destinés à l'usage de l'Église principale. Cette manière de procéder n'avait pas la même précision [que celle dont nous jouissons pour la reproduction des exemplaires conformes d'un même ouvrage, au moyen de l'art typographique; les variantes étaient nécessairement plus communes, soit par l'incurie des copistes, soit par l'effet de circonstances empruntées à la fragilité humaine. Il en était des manuscrits liturgiques comme de tous les autres,à cette différence, toutefois, que le contenu de ces livres devant être chanté, lu ou récité dans des actes publics,   la surveillance des

 

(1) Voyez ci-dessus, page 12.

 

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chefs des Églises était à même de s'exercer plus facilement sur leur correction que sur celte des livres destinés à reposer dans les bibliothèques. Les altérations importantes auraient promptement été connues et corrigées ; car l’Église principale de laquelle émanait la forme liturgique, devait se montrer jalouse de la voir conservée, et avait les moyens de réprimer les abus en cette matière.

Ainsi la publication et la correction des livres liturgiques s'opérèrent, durant les siècles qui précédèrent l'invention de l'imprimerie, d'une manière analogue à celle qui a été employée depuis ; l'une et l'autre furent toujours considérées comme faisant partie des attributions réservées aux chefs de la hiérarchie. On est étonné, en compulsant les manuscrits liturgiques, de voir la fidélité avec laquelle les textes se trouvent reproduits sur des exemplaires rédigés à des distances considérables du centre d'où était émané le manuscrit principal. Sans doute le Sacramentaire ou l'Antiphonaire de saint Grégoire, copié pour l'usage des Églises éloignées de Rome, présente quelques additions de messes particulières au pays, quelques variantes dans l'ordre des pièces liturgiques ; mais le fond n'en demeure pas moins intact et conforme en tout au type original venu de Rome. Souvent même les copistes attestent, par une protestation sur le manuscrit, leur exactitude à suivre le texte primitif. Nous citerons en particulier le prologue qui se trouve dans un grand nombre de sacramentaires, en tête du supplément qu'ils renferment presque tous, à la suite du texte venu de Rome. On le lit dans l'exemplaire de l'abbé Grimold, publié par Pamélius (1); dans celui de Rodrade, qui a servi à Dom Hugues Ménard pour son édition du Codex de saint Éloi (2); dans celui de la bibliothèque Ottoboni,

 

(1)  Liturgia Ecclesiœ Latinœ, tom. II, pag. 388.

(2) Prœfatio ad librum Sacramentorum, pag. XI.

 

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auquel Muratori a emprunté les variantes pour son édition du Codex Vaticanus (1), et nous l'avons retrouvé plusieurs fois nous-même sur divers sacramentaires des IX° et X° siècles, soit dans les bibliothèques de Paris, soit dans celles de province (2).

Le fond de cette espèce de protestation doit appartenir à Alcuin, d'après le témoignage du Micrologue qui écrivait dans le XI° siècle, et qui s'exprime ainsi : « Le même Albin composa dans la sainte Église un ouvrage qui ne doit pas être tenu de peu de valeur. On assure qu'il recueillit dans les Livres des sacrements les oraisons grégoriennes, auxquelles il en ajouta quelques autres qu'il eut soin de distinguer par des obèles, » afin qu'on ne confondît pas ces oraisons (que l'on sait d'ailleurs avoir été empruntées la plupart au Sacramentaire de saint Gélase), avec celles du recueil grégorien. « Ensuite, continue le Micrologue, il recueillit d'autres oraisons et préfaces, quoique non grégoriennes, mais propres cependant à la célébration des offices de l'Église, comme l'atteste le prologue qu'il a placé après les oraisons grégoriennes, au milieu du volume (3). » Ce prologue, qui témoigne de l'extrême précaution avec laquelle les transcripteurs de la Liturgie procédaient en compilant les sacramentaires, est en effet conforme, pour le style, à la manière d'Alcuin, et se présente exactement le même, sauf de légères variantes,

 

(1) Liturgia Romana vetus, tom. II, pag. 271.

(2)  On peut la lire, entre autres, sur le précieux Sacramentaire grégorien conservé parmi les manuscrits de la bibliothèque du Mans.

(3)  Fecit idem Albinus in sancta Ecclesia non contemnendum opus ; nam Gregorianas orationes in Libris Sacramentorum collegisse assentur, paucis aliis adjectis, quas tamen sub obelo notandas esse indicavit. Deinde alias Orationes, sive Praefationes, et si non Gregorianas, ecclesiasticas tamen celebritati idoneas, collegit, sicut Prologus testatur, quem post Gregorianas orationes in medio ejusdem libri collocavit. (Bibliotheca vet. Patrum, tom. XVIII. Micrologus. De Ecclesiasticis observationibus, cap. LX.)

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tes, sur les manuscrits de Grimold, de Rodrade, Ottoboni, comme sur ceux qui n'ont point été publiés. Nous le donnons à la suite de ce chapitre, d'après Pamélius, avec les variantes de Muratori (1).

Voici quelques traits de ce Prologue : « Ce qui précède est le Livre des sacrements publié par le bienheureux pape Grégoire, sauf les additions pour la Na tivité et l'Assomption de la bienheureuse Marie, et aussi plusieurs choses dans le Carême. Le lecteur intelligent reconnaîtra facilement ces additions aux obèles qui les distinguent. On comprendra pareillement que la messe qui a pour titre In Natali Beati Gregorii, et qui est d'ailleurs distinguée par des obèles, a été insérée dans le livre du saint Pape, par l'amour et la vénération de ses successeurs. Nous avons mis nos soins à purger ce livre des fautes qui s'y étaient glissées par l'erreur des copistes.

« Mais comme il est d'autres prières dont se sert la sainte Église et que le même Père a omises dans son recueil, parce qu'il savait qu'elles avaient été publiées par d'autres, nous avons pensé qu'il était convenable de les cueillir comme les fleurs verdoyantes des champs, et après les avoir corrigées et distinguées par des titres, de leur donner une place à part dans le corps de ce volume. C'est afin qu'on puisse en faire le discernement que nous plaçons ce Prologue au milieu du recueil, en sorte qu'il termine la première partie et ouvre la seconde. Ainsi chacun pourra discerner l'œuvre du bienheureux Grégoire et celle des autres Pères. Si donc cet ensemble que nous ayons recueilli avec zèle et amour, et non par vanité, est agréable à quelqu'un nous le prions de l'agréer, et d'en rendre avec nous ses actions de grâces à l'auteur de tout bien.  Si un autre

 

(1) Vid. la Note A.

 

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juge ces additions superflues, qu'il se serve seulement de l'ouvrage du susdit Père, qu'il ne pourrait rejeter sans péril. »

« Le lecteur saura que nous n'avons inséré dans ce travail que des pièces composées avec le plus grand soin par des personnages très éprouvés et très savants. Quant aux préfaces que nous avons placées à la fin, nous demandons à ceux qui les auront pour agréables, de les recevoir et de les chanter en charité ; pour ceux auxquels elles ne plairaient pas, ou qui n'en auraient pas l'intelligence, ils sont libres de les laisser et de ne pas les chanter. Nous avons ajouté aussi les bénédictions que l'évêque doit dire sur le peuple, ainsi que les prières de l'ordination pour les degrés inférieurs, qui ne se trouvent point dans le volume du bienheureux Grégoire. »

« Nous vous supplions, vous qui vous servirez de ce livre, soit pour le lire, soit pour le transcrire, d'offrir au Seigneur vos prières pour nous qui avons pris soin de recueillir et de corriger toutes ces prières, afin de servir à l'utilité du grand nombre. Nous vous prions aussi de le transcrire avec un tel soin, que le texte puisse réjouir les oreilles de ceux qui sont intelligents, et qu'il ne prête pas l'occasion d'errer à ceux qui sont plus simples; car, comme dit le bienheureux Jérôme, il ne sert de rien d'avoir corrigé un livre, si la diligence des copistes ne maintient pas les corrections. »

C'est avec cette gravité que s'opéraient les transcriptions des exemplaires de la Liturgie. On en trouve encore une preuve dans le titre même du Sacramentaire grégorien, tel qu'il se lit sur le Codex Vaticanus, sur celui de saint Éloi, et sur la plupart des manuscrits que nous avons consultés. On y déclare l'original sur lequel la première copie a été transcrite, et cet original est celui qui se conservait dans la bibliothèque du Secretarium de la Basilique

 

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vaticane (1); voici cette tête de manuscrit : « In nomine Domini, incipit Liber Sacramentorum de circulo anni, expositum (sic) a Sancto Gregorio Papa Romano, editum ex authentico Libro Bibliothecœ Cubiculi,Scriptum: QUALITER MISSA ROMANA  CELEBRATUR (2).   »

Sans doute, dans la plupart des manuscrits liturgiques, on rencontre des interpolations, des parties surajoutées ; mais il n'en pouvait être autrement : la Liturgie romaine s'est accrue par le laps des siècles, et d'ailleurs les Églises particulières ont eu besoin d'ajouter sur les manuscrits les fêtes à leur usage ; mais ces additions ne se faisaient pas d'autorité privée, et le copiste devait tenir compte des devoirs qu'avaient à remplir, à l'égard de la hiérarchie, ceux auxquels il destinait son livre. Il devait le rendre conforme, non pas à sa propre fantaisie, mais aux usages approuvés dans la contrée : dans tous les cas, s'il voulait innover, il ne pouvait le faire que sur un exemplaire à la fois, et il aurait eu contre lui non seulement les manuscrits antérieurs, mais encore ceux que d'autres copistes exécutaient en même temps que lui d'après le type approuvé. C'est ce qui fait qu'on trouve encore une si étonnante similitude entre les manuscrits d'une même circonscription, à l'époque même où la liturgie grégorienne s'était accrue d'un grand nombre de fêtes et d'usages locaux, c'est-à-dire à partir du douzième siècle.

 

(1)  C'était un local attenant à l'église de Saint-Pierre et dans lequel logeaient les cubicularii, officiers préposés à la garde de la Confession du Prince des apôtres. On y conservait dans une bibliothèque spéciale les livres qui servaient à la célébration des saints mystères et de l'office divin. D. Hugues Ménard. Nota; et observationes in librum Sacramentorum S. Gregorii Papce. Nota 3.

(2)  Muratori. Sacramentarium Gregorianum ex codice Vaticance Bibliothecœ, ante nongentos annos exarato. Page 1. Le manuscrit de saint Eloi, donné par D. Hugues Ménard, porte ce titre : In nomine, etc. Hic Liber Sacramentorum de circulo anni expositus, a S. Gregorio Papa Romano editus, ex authentico libro Bibliothecœ Cubiculi scriptus : Qualiter etc.

 

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Au treizième, eut lieu le remaniement du Bréviaire romain par les Franciscains, et Ton sait que cette leçon dura jusqu'à la correction de saint Pie V; or on peut tous les jours vérifier, sur les nombreux manuscrits de cette avant-dernière forme de la Liturgie, l'exactitude de notre assertion, et l'on verra que ses copies, répandues dans toute l'Église latine, attestent dans leurs auteurs le soin vraiment scrupuleux de se conformer à un original inviolable.

Mais vers le même temps, un grand nombre d'Églises particulières compilèrent pour leur usage  des bréviaires et des missels, sous leur  propre   nom.   La   substance de ces  livres était  toujours   romaine ;  mais  la partie locale qu'ils contenaient  devint  la   source d'une grave détérioration de la Liturgie dans ces Églises. On ne saurait se faire une idée   des choses   étranges   contenues dans les légendes, antiennes, répons ou hymnes qui servaient de fond à ces divers offices. Pour  les missels, les superfétations répréhensibles ne consistaient guère que dans certaines séquences d'une composition bizarre,  et dans quelques messes et oraisons votives contre lesquelles il fut plus d'une fois réclamé. Le Calendrier qui, jusqu'au XII° siècle, n'avait guère été que celui de Rome, s'était successivement chargé d'un grand nombre de fêtes dont l'office ne se trouvait point dans les anciens livres grégoriens : il avait donc fallu s'en rapporter à la science et au savoir-faire des habiles de chaque pays. De là, toutes ces fables inconvenantes, ces formes grossières qui déparent les livres liturgiques des diocèses qui ne se servaient pas du bréviaire des Franciscains, et qui excitent les réclamations continuelles des conciles dans tout le cours des  XV° et XVI° siècles. De toutes parts, on appelait une correction, et nous avons raconté ailleurs (1) comment Charles-Quint

 

(1) Institutions Liturgiques, tom. I, pag. 412.

 

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lui-même, dans le projet de réforme qu'il fit dresser, pendant la suspension du concile de Trente, insistait sur la révision des bréviaires et des missels. A la reprise du concile, il y eut aussi une clause sur ce sujet, dans le Mémoire de la nation française qui fut présenté par le cardinal de Lorraine, au nom du Roi et des États généraux.

Le désordre augmenta considérablement, après la dé-. couverte de l'imprimerie. Jusqu'alors la nécessité de transcrire les livres liturgiques les avait rendus moins nombreux; les anciens exemplaires étaient conservés avec soin, et l'amour des nouveautés se trouvait par là même contenu dans certaines limites. On doit même remarquer que les premières éditions des bréviaires et missels imprimés ne font guère que reproduire la leçon des derniers manuscrits. Ces Liturgies manuscrites, nous le répétons, contenaient malheureusement déjà beaucoup d'alliage; mais la confusion s'éleva au comble, dès l'ouverture du XVI° siècle. La Liturgie, qui jusqu'alors avait eu au moins pour base des manuscrits vénérables, passa aux mains des particuliers qui se chargèrent de la rédiger. Tout le monde sentait qu'il était besoin d'une réforme ; dans les Églises qui ne se servaient point du Bréviaire des Franciscains, on vit de simples docteurs et des licenciés en théologie ou en décret, se poser en arbitres pour cette grave opération. Un grand nombre de nos bréviaires français de cette époque ont en tête les uns une préface, les autres une exhortation au clergé, rédigées par le compilateur qui explique et recommande son travail. Le nom de l’évêque ne paraît même pas toujours sur le titre du bréviaire. De graves abus s'ensuivirent; l'esprit de nouveauté qui fermentait sourdement au sein de l'école se fit jour plus d'une fois dans ces réformes exécutées sans compétence, et la Sorbonne se vit obligée, en 1529, de dénoncer au chapitre de la cathédrale de Soissons le Bréviaire de cette Église, et de censurer

 

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dans les formes, en 1548, le Bréviaire d'Orléans. Nous avons parlé ailleurs de ces faits, dont on ne peut méconnaître la gravité (1).

Il n'y avait donc pas lieu d'espérer une correction sérieuse de la Liturgie par cette voie individuelle, et en même temps, une scission déplorable s'introduisait dans la Liturgie occidentale. La facilité de se procurer pour chaque diocèse des livres liturgiques, à peu de frais et en nombre suffisant, au moyen de l'art typographique, avait excité dans beaucoup d'Églises qui jusqu'alors y avaient résisté, la manie de se donner un bréviaire et un missel particuliers. La communion des prières catholiques se déchirait avec éclat et péril pour les Églises, comme le remarqua plus tard avec énergie saint Pie V. C'est pourquoi le concile de Trente ne vit point d'autre moyen de sauver la Liturgie latine, que d'en remettre la correction au Pontife romain. C'était déclarer que l'unité seule pouvait remédier à un si grand abus, et en même temps choisir le meilleur moyen d'obtenir des textes purs et irréprochables. En effet, Rome était en même temps la source première de la Liturgie d'Occident, et la chaire de la vérité, pour tous les siècles. Nous avons raconté en détail comment s'opérèrent la correction et la publication des livres liturgiques destinés à l'usage de toutes les Églises qui, par le droit et par la coutume, sont obligées à suivre la prière romaine. En exemptant de l'obligation d'accepter le nouveau bréviaire et le nouveau missel les Églises qui avaient un bréviaire et un missel certains, saint Pie V traçait une ligne de démarcation destinée à sauver de la destruction les usages particuliers, qui pouvaient réclamer quelque respect. C'était en effet depuis la moitié du XIV° siècle que la manie de se créer des livres diocésains avait accru ses ravages, et que les produits du génie local avaient commencé de se montrer

 

(1) Institutions Liturgiques, tom. I, pag. 438, 439, 490, 491.

 

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plus tristement empreints de grossièreté et d'ignorance.

Il était juste que la Liturgie romaine regagnât le terrain qu'elle avait perdu depuis cette époque, et assurément le Siège apostolique faisait preuve de modération en n'élevant pas plus haut ses prétentions. Cette condescendance fut appréciée, et l'on vit les Églises mêmes qui se trouvaient dans le cas de l'exception, recevoir pour la plupart les nouveaux livres. Sans doute la facilité de se procurer des exemplaires fut pour plusieurs un motif d'entrer dans cette voie; mais l'estime qu'inspirait la correction du bréviaire et du missel, revus avec tant de soin sur les meilleurs manuscrits par les plus habiles liturgistes de Rome, ne contribua pas peu à accélérer cette heureuse et pacifique révolution. On a vu ailleurs que l'avocat général Servin, plaidant, en 1611, au parlement de Paris, dans une cause où il s'agissait de l'extension du Bréviaire de saint Pie V, ne se faisait pas faute de confesser que ce bréviaire était le plus repurgé de tous (1)

L'art typographique qui avait amené d'abord l'altération des livres liturgiques, quand il n'était employé qu'au profit des Églises particulières, devint, depuis saint Pie V, le moyen d'assurer dans toute l'Église latine la correction du bréviaire et du missel, dont on n'avait plus qu'à reproduire le type unique et approuvé. Toutefois, il était nécessaire que Rome prît des mesures pour combattre les altérations qui pouvaient résulter de la négligence des imprimeurs, ou de l'indiscrétion des particuliers. Le 10 mai 1602, Clément VIII, dans une Constitution spéciale, statua des peines pécuniaires très sévères contre les imprimeurs de l'État ecclésiastique, et l'excommunication contre ceux des autres pays, s'ils osaient imprimer le bréviaire romain sans une licence expresse des ordinaires. Ceux-ci devront collationner avec le plus grand soin le texte sur lequel doit

 

(1) Institutions Liturgiques, tom. I, pag. 5o5.

 

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se faire l'impression, et celui qui sortira de la presse, avec un exemplaire du bréviaire revu par Clément VIII. Ils ne permettront aucune addition ni retranchement; mention sera faite de cette collation et de la parfaite concordance, sur la licence même donnée à l'imprimeur, et copie de cette licence sera imprimée au commencement ou à la fin de chaque exemplaire. Les peines encourues ipso facto, en cas d'infraction de quelques-unes de ces injonctions,sont, pour les ordinaires, la suspense a divinis et l'interdiction de l'entrée de l'église; pour leurs vicaires, outre l'excommunication, la privation perpétuelle de leurs offices et bénéfices (1).

Clément VIII, avant de publier cette Constitution, avait fait faire une révision du bréviaire, et c'était à l'exemplaire ainsi corrigé que devaient désormais être conformes les éditions nouvelles. Le missel, déjà altéré en plusieurs détails par la négligence des imprimeurs et l'indiscrétion des particuliers, exigeait aussi les soins du pontife. Une nouvelle commission fut formée pour exécuter cette révision, et le 7 juillet 1604, Clément VIII publiait une constitution pour promulguer dans toute l'Église le texte corrigé du missel. Les mêmes précautions sont enjointes pour les éditions de ce livre, qui ont été prescrites dans la Constitution qui concerne le bréviaire; la sanction des mêmes peines est apposée pour assurer la correction des exemplaires dans toute la chrétienté (2).

L'œuvre de la correction du bréviaire et du missel fut enfin achevée par Urbain VIII, et pour maintenir la pureté des textes, ce pontife, en renouvelant les dispositions qu'avait établies Clément VIII, en ajouta plusieurs autres. Il voulut qu'à l'avenir aucun imprimeur ne reproduisît le bréviaire, sans la permission par écrit de l'ordinaire, et

 

(1) Institutions Liturgiques, tom. I, pag. 469.

(2) Bullarium romanum. Edit. Luxemburg., tom. III, pag, 174.

 

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décréta l'interdiction des bréviaires imprimés sans cette formalité. L'édition d'Urbain VIII devra servir de règle, et la permission de publier le bréviaire ne pourra être délivrée par l'ordinaire qu'après qu'il se sera assuré de la parfaite conformité de la copie avec l'original. La permission devra se trouver imprimée au commencement ou à la fin de chaque exemplaire du bréviaire, et mention y sera faite de la confrontation, et aussi de la conformité reconnue entre le texte de l'exemplaire authentique et la nouvelle édition : le tout sous les peines portées par Clément VIII. Le pontife déclare encore que ces règles sont applicables aux divers extraits du bréviaire romain, tels que diurnaux, offices de la sainte Vierge, offices de la Semaine sainte, qui devront être soumis à la même révision et aux mêmes formalités. Cette Constitution d'UrbainVIII est du 5 janvier 1631 (1). Le pontife en publia une seconde pour la correction définitive du missel, sous la date du 2 septembre 1634. Elle établit les mêmes obligations pour les ordinaires, comme pour les imprimeurs, et sanctionne de nouveau les peines déjà portées par Clément VIII, et aggravées par Urbain VIII, contre les violateurs de ces règles (2). Il ne fallait pas moins pour assurer l'intégrité absolue des deux principaux livres de la Liturgie, et désormais le Bréviaire et le Missel romains portèrent au frontispice les noms  de Clément VIII et d'Urbain VIII,  unis à celui de saint Pie V.

Le Martyrologe  qui  fut corrigé par ordre de Grégoire XIII, et que ce Pontife publia par un bref du 14 janvier 1584, fut promulgué dans l'Église comme étant le seul dont il fût désormais permis d'user dans l'office public ou privé, et tous les martyrologes publiés antérieurement

(1)  Institutions Liturgiques, tom. I, pag. 515.

(2)  Voir cette constitution en tête de toutes  les éditions postérieures du Missel romain.

 

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furent   expressément    interdits,   quant  à  l'usage  liturgique (1).

Le savant cardinal Baronius ayant publié, en 1586, le texte de ce martyrologe avec de savantes notes, dans lesquelles il proposait diverses additions et améliorations, on donna peu après à Rome une édition dans laquelle se trouvaient admises  les  modifications proposées par le célèbre annaliste. Cette édition parut sous le pontificat de Sixte-Quint; mais les  changements  ayant semblé trop légers pour nécessiter une nouvelle constitution pontificale, celle de Grégoire XIII fut maintenue en tête du martyrologe ainsi amendé. Le second pontife qui attacha son nom à la correction de ce livre fut donc Urbain VIII, au siècle suivant ; environ trente  ans après, Clément X y fit introduire aussi quelques améliorations. Enfin le dernier  pape  qui ait travaillé   sur le   martyrologe   est Benoît XIV, qui expose lui-même tout le détail de cette opération dans son bref adressé à Jean V, roi de Portugal, en date du Ier juillet 1748. On ne doit pas compter au nombre des correcteurs du martyrologe les papes qui ont fait inscrire dans ce livre les noms des saints qu'ils avaient canonisés ; autrement, il faudrait placer aussi parmi les pontifes qui ont revu la Liturgie tous ceux qui ont ajouté des offices au bréviaire, ou des messes au missel; ce qui ne pourrait se justifier en aucune façon, puisque ces additions n'entraînent aucun changement dans la substance même de ces livres. Le Martyrologe romain porte donc en tête les seuls noms de Grégoire XIII, Urbain VIII, Clément X et Benoît XIV, qui Font successivement promulgué dans l'Église.

Après la correction du Martyrologe, eut lieu celle du Pontifical par les soins de Clément VIII. Ce pontife procéda en la manière qu'avait suivie saint Pie V pour le

 

(1) Institutions Liturgiques, tom. I, pag. 463

 

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bréviaire et le missel. La commission qu'il forma pour ce travail s'attacha principalement à la collation des plus anciens manuscrits du pontifical, afin de rétablir la leçon primitive, et le texte ainsi revu et épuré fut proposé à l'Église par le pontife, dans une Constitution du 10 février 1596. Toutes les éditions antérieures furent interdites, et défense faite à tous les prélats de rien changer, ajouter ou supprimer, dans l'accomplissement des cérémonies pontificales, de ce qui est prescrit et déterminé par le nouveau Pontifical (1).

De nouvelles incorrections s'étant glissées dans diverses, éditions de ce livre si important, Urbain VIII désigna une nouvelle commission pour procéder à l'épuration devenue nécessaire, et quand l'édition fut en état de paraître, le Pontife la publia par un bref du 17 juin 1644, dans lequel il prescrit les mêmes règles pour les éditions qui seront données de ce livre, et statue les mêmes peines qu'il avait sanctionnées à propos du bréviaire et du missel (2).

Au siècle suivant, Benoît XIV attacha aussi son nom au Pontifical romain par quelques légères additions qu'il jugea à propos d'y faire. Il rend compte de ses motifs dans un bref du 26 mars 1752, où il insère tout au long les Constitutions de Clément VIII et d'Urbain VIII, et depuis cette époque, le Pontifical romain a été publié sous les trois noms de Clément VIII, d'Urbain VIII et de Benoît XIV.

La correction du Cérémonial des évêques qui contient l'ordre et le détail des cérémonies pour les églises cathédrales et collégiales, eut lieu d'abord par les soins de Clément VIII, qui donna à cet effet une Constitution, sous la date du 14 juillet 1600. Des altérations nombreuses de ce livre nécessitèrent une seconde correction qui fut opérée par l'autorité d'Innocent X, et publiée au moyen

 

(1)  Voir le bref de Clément VIII placé en tête du Pontifical.

(2)  Voir le bref d'Urbain VIII placé en tête du Pontifical.

 

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d'un bref du 3o juillet 165o. Une troisième révision étant devenue nécessaire, elle se fit par les soins et l'autorité de Benoît XIII, et fut promulguée par une constitution de ce Pontife, en date du 7 mars 1727. Enfin la dernière main fut mise à cette œuvre par Benoît XIV, qui publia le Cérémonial définitivement amendé, par son bref du 25 mars 1752.

Le Rituel dut sa correction à Paul V, qui procéda I comme ses prédécesseurs dans la révision de ce livre, et l'annonça à l'Église par une constitution du 17 juin 1614. Jusqu'au pontificat de Benoît XIV, le nom seul de Paul V parut en tête du Rituel ; mais l'infatigable pontife, à qui l'Église doit la dernière révision du Pontifical et du Cérémonial, s'imposa le soin de préparer une édition du Rituel. Le même bref du 25 mars 1752, dans lequel Benoît XIV promulguait le Pontifical et le Cérémonial, servit aussi pour la publication du Rituel.

Tels furent les travaux des souverains Pontifes pour la publication et la correction des livres liturgiques de l'Église romaine, et les moyens par lesquels ils ont pourvu à l'intégrité des textes qui renferment les mystères du salut et la louange divine. Mais les nécessités de la Liturgie exigeaient la fondation d'un tribunal chargé d'une manière permanente de veiller,et de pourvoir à la pureté des rites, et de connaître de toutes les questions qui intéressent le culte divin. Dès l'année 1588, Sixte-Quint avait satisfait à ce besoin, en établissant à Rome la Congrégation des Rites. Une des principales attributions de cette commission permanente de la Liturgie est, selon les termes de la bulle d'institution, de corriger et de restituer,selon le besoin, les livres qui traitent des rites sacrés,d'examiner les offices divins des saints Patrons, et d'en concéder l'usage après avoir consulté le   Pontife romain   (1)

 

(1) Institutions Liturgiques, tom. I, pag. 464.

 

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Les attributions de la Congrégation des Rites quant à la révision des offices divins pour les diverses Églises furent confirmées plus expressément encore par ' Urbain VIII, en 1628. Dans le célèbre décret du 8 avril, le pontife enleva aux Ordinaires, et réserva expressément au jugement de ce conseil suprême l'approbation de tous les offices des saints particuliers aux diocèses, et le droit d'ajouter, de retrancher ou de modifier quoi que ce soit au calendrier des fêtes. Mais pour maintenir l'intégrité du Bréviaire et du Missel dont la correction avait coûté tant de labeurs, il a été réglé que ces offices, non plus que les modifications au calendrier, ne seraient jamais admis dans le corps des livres liturgiques, mais placés à la fin de ces livres, en manière de supplément. Cette règle est suivie avec une si grande exactitude, que l'Église de Rome elle-même, pour les offices, particuliers qu'elle célèbre et qui sont en très grand nombre, ne se sert pas d'un bréviaire et d'un missel différents de ceux qui portent en tête les noms de saint Pie V, de Clément VIII et d'Urbain VIII, mais emploie, comme la dernière des Églises de la catholicité, un supplément pour les offices et les messes qui lui sont propres ; tant il a semblé nécessaire de placer avant tout l'intégrité parfaite du dépôt de la Liturgie universelle.

Les correcteurs et les éditeurs des livres de la Liturgie romaine doivent donc veiller avec un soin extrême à ce que l'on n'introduise jamais dans le corps de ces livres, sous quelque prétexte que ce soit, des additions quelconques. Us doivent savoir que l'approbation accordée par le Saint-Siège à telle formule d'usage local n'emporte jamais la liberté de l'insérer autrement qu'à la fin des livres liturgiques, encore est-on obligé d'avertir par un titre spécial que ces formules n'appartiennent pas au livre que son titre garantit comme émané de l'autorité des Pontifes romains dont le nom se lit sur le frontispice

 

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Malheureusement,  un grand  nombre  d'éditions des livres liturgiques, publiées en France et ailleurs depuis soixante ans, montrent que leurs éditeurs ont trop sou- J vent perdu de vue les sévères et sages prescriptions du , Saint-Siège en cette matière. On y voit figurer des détails qui attestent qu'on n'a pas pris la peine de se souvenir ' que les livres de la Liturgie romaine ne sont pas la propriété d'un diocèse, encore moins d'un éditeur particulier. Plusieurs bréviaires non seulement ne contiennent pas les offices publiés par le  Saint-Siège  comme obligatoires, mais leur Propre des saints en offre plusieurs qui ne sont point approuvés pour l'usage général. Nous avons parlé ailleurs des mutilations qu'a subies la légende de saint Grégoire VII, en Autriche, et qui ont été imitées en France dans l'édition du Bréviaire romain,Paris, 1828 (1). Nous devons ajouter que cette suppression téméraire a été faite tout dernièrement encore dans diverses éditions publiées en Belgique, et cependant l'une d'elles, celle de Malines, 1845, est munie de l'approbation de l'Ordinaire, auquel cette mutilation aura échappé.

Plusieurs éditions récentes du Missel présentent, comme celles du Bréviaire, des incorrections de même nature que celles que nous avons signalées plus haut. Il n'est pas rare non plus de trouver des rituels dans lesquels on a placé au rang des bénédictions plusieurs formules qui n'appartiennent point à ce livre ; nous citerons entre autres l'édition in-18, de Rusand, à Lyon, 1828. Le Pontifical et le Cérémonial des évêques sont généralement assez fidèlement reproduits, sauf les fautes d'impression : quant au Martyrologe, les diverses éditions que nous avons examinées parmi les plus récentes sont pareillement irréprochables, quant au fond ; la seule critique qu'on pourrait leur adresser est de n'être pas toutes au courant pour les

 

(1) Institutions Liturgiques, tom. II, pag. 455.

 

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noms des saints insérés dans ce livre par décret apostolique. Au reste, nous aurons l'occasion de parler en détail des éditions de chacun des livres liturgiques, et de signaler les plus recommandables.

On trouve peu d'éditions des livres de la Liturgie romaine imprimées en France, dans le cours des XVII° et XVIII° siècles, qui portent l'approbation des Ordinaires, conformément aux Constitutions de Clément VIII et d'Urbain VIII. Nous pouvons citer cependant le Missel publiée Lyon, in-folio, en 1734, qui porte en tête la signature de Charles de Rochebonne, archevêque de Lyon. Ce fait n'est pas sans doute unique; on peut dire cependant que sur ce point de discipline, comme sur tant d'autres du même genre, on s'était mis à l'aise avec les décrets du Saint-Siège. Depuis environ vingt ans on en tient plus de compte. La première approbation des éditions de la Liturgie romaine que nous ayons été à même de reconnaître en France dans le XIX° siècle, est celle donnée à l'édition du Bréviaire romain de 1828 (Paris, 4 vol. in-12, chez Rusand), par l'archevêque de Paris, Hyacinthe-Louis de Quélen ; cependant, la plupart des exemplaires de cette édition ne la portent pas. On lit celle de l'administrateur apostolique du diocèse de Lyon sur un bréviaire en un seul volume, imprimé à Lyon, en 1835, chez Périsse, in-12, et celle du cardinal de Bonald sur les éditions postérieures publiées dans la même ville. Ces faits sont l'indice d'un retour aux règles statuées par les pontifes romains dans l'intérêt général de l'Église, et tout porte à espérer que sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, nous reviendrons à l'observation des constitutions apostoliques.

Nous ne pouvons, en attendant, passer sous silence le décret général rendu par la sacrée Congrégation des rites, en date du 26 avril 1834, lequel a pour objet d'expliquer à toute l'Église les intentions   du Siège apostolique à

 

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l'égard des constitutions pontificales qui enjoignent aux ordinaires de surveiller l'impression des livres de la Liturgie romaine. Le relâchement de la discipline à cet endroit avait gagné jusqu'à l'Italie. Une supplique fut présentée, en 1832, à la sacrée Congrégation par le cérémoniaire de la cathédrale de Novare, au nom du cardinal évêque de cette ville, pour exposer que, depuis l'année 1788, les bréviaires, diurnaux, missels, petit office de la sainte Vierge, et offices de la Semaine sainte, ne portaient plus les attestations des Ordinaires prescrites par les bulles pontificales. On demandait en conséquence si ces constitutions obligeaient encore, et s'il fallait regarder comme toujours en vigueur les graves peines ecclésiastiques qu'elles ont statuées contre ceux qui y contreviendraient. Le motif de penser le contraire, disait la supplique, était l'embarras de conscience où se trouveraient les personnes dont l'inaction dans cette matière avait amené la situation présente, et les inquiétudes que concevraient les ecclésiastiques mêmes qui font usage de ces livres non approuvés. On alléguait encore à décharge que les nouvelles éditions avaient été faites sur des exemplaires corrects et munis de l'attestation des Ordinaires.

La Congrégation des Rites, par l'organe du cardinal préfet, fit réponse à cette supplique dans une lettre adressée au cardinal évêque de Novare, en date du 7 avril 1832. On transmettait à cette Éminence la décision formelle qui venait d'être rendue, et était conçue en ces termes : « Les constitutions apostoliques sont en vigueur, et l'abus en questionne doit pas être toléré. » Pontificias constitutiones in suo robore permanere, et abusum non esse tolerandum.

De nouvelles réclamations s'étant élevées sur l'usage des livres liturgiques imprimés irrégulièrement, et qui semblaient devoir être désormais interdits, sous les peines de droit, au grand détriment des églises et des particuliers

 

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qui s'en trouvaient munis, la cause fut de nouveau portée devant la sacrée Congrégation, le 16 mars 1833 ; mais on ne jugea pas qu'il fût opportun de rendre pour le moment une décision. L'année suivante, le 26 avril 1834, cette décision qui devait concilier tous les principes, et arrêter l'envahissement des abus, fut enfin prononcée et formulée en décret général, signé J.-G. Fatati, secrétaire de la sacrée Congrégation (1).

Ce décret porte que les Ordinaires seront tenus à l'avenir de veiller à ce que les livres de la Liturgie romaine ne soient plus imprimés sans qu'on y joigne l'attestation prescrite par les constitutions pontificales. Quant aux livres qui ont été publiés sans cette attestation, spécialement depuis l'année 1788, les ordinaires en feront examiner un exemplaire par un ecclésiastique capable qui le conférera avec ceux qui ont été imprimés à Rome, et sur le rapport favorable du réviseur, ils déclareront à leur clergé que tel bréviaire, missel, etc., est d'une impression exacte, et qu'on peut en user licitement et sans inquiétude. Enfin, pour offrir une règle certaine aux Ordinaires, les imprimeurs de Rome seront tenus désormais d'obtenir de la sacrée Congrégation la permission spéciale de publier ces livres ; ils les soumettront à sa révision, et obtiendront l'attestation de son secrétaire.

On ne peut donc plus douter maintenant de l'intention du Saint-Siège quant aux formalités de la correction des livres liturgiques, et l'on ne saurait qu'applaudir à des règles qui sont portées dans l'intérêt de la chrétienté tout entière. Les livres de la Liturgie romaine sont les seuls en usage dans toute l'Église latine, si on excepte les diocèses qui suivent le rite ambrosien, ceux de France qui conservent encore les livres composés au XVIII° siècle, enfin quelques ordres religieux qui ont seulement un

 

(1) Vid. La Note B.

 

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bréviaire particulier ; car, pour la messe, la plupart de ceux-ci se servent du Missel de Rome. La catholicité est grandement intéressée à la correction de ces livres augustes, qui contiennent la foi et les rites du Siège apostolique et de l’immense majorité des Eglises qui lui sont unies. Nous ne devons donc pas douter que les évêques ne se fassent un devoir de veiller à l'observation des constitutions que le décret de 1834 a déclarées être toujours en vigueur. Il n'est plus nécessaire maintenant aux éditeurs des bréviaires et des missels de se procurer pour spécimen un exemplaire des éditions romaines d'Urbain VIII; ce qui serait assez difficile aujourd'hui. Conformément au décret dont nous venons de parler, tous les exemplaires de la Liturgie romaine imprimés dans la capitale du monde chrétien, depuis 1834, portent à la fin du volume cette attestation : Concordat originali existenti penes Congregationem sacrorum Rituum, avec la signature du prélat secrétaire de la sacréeCongrégation. Dès lors chacun de ces exemplaires peut servir de règle, et l'attestation favorable peut être donnée à toute édition reconnue conformée ce spécimen. Désormais les presses françaises ne produiront plus de ces bréviaires et missels incomplets et mélangés qui circulent encore aujourd'hui, et ne sont propres qu'à accroître la confusion. On ne donnera plus le Bréviaire romain avec des rubriques françaises, ni avec ces superfétations qui ont souvent déparé des éditions pour lesquelles on n'avait d'ailleurs ménagé aucune des ressources de l'art typographique. L'attention des réviseurs, quand il s'agira du Missel, se portera jusque sur les parties notées en plain-chant, et ils auront un soin scrupuleux à maintenir pur le chant des préfaces, du Pater, de l’Exultet, etc., qui n'ont pas toujours été surveillés, il faut en convenir, dans les éditions de Rome (1). Ces détails, cependant, sont

 

(1) Nous signalerons ici les belles et correctes éditions du Missel publiées à Malines, chez Hanicq, dans lesquelles on s'est permis constamment d'altérer le chant de l'Amen, avant la Préface, et en plusieurs autres endroits.

 

 

 

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nécessaires à l'intégrité de la Liturgie, et intéressent d'ailleurs au plus haut degré les traditions de l'art catholique. Dans une autre partie de ces Institutions, nous traiterons d'une manière spéciale des monuments du chant grégorien, de ses sources, des diverses éditions qu'on en a données, des altérations qu'il a subies en beaucoup de lieux, mais surtout en Italie, et des moyens de le rendre à sa pureté (1).

Après avoir parlé des travaux des Pontifes romains pour la publication et la correction des livres de l'Église mère et maîtresse, il nous reste à dire quelque chose des faits relatifs aux opérations du même genre qui ont eu lieu depuis le concile de Trente dans les Églises qui ne suivent pas la Liturgie romaine. Nous parlerons d'abord de la Liturgie de Milan. On sait qu'elle n'était pas comprise dans les prescriptions de la bulle de saint Pie V, qui ne s'adressait qu'aux Églises que le droit ou la coutume avaient astreintes aux usages de Rome.

 

(1) Les chants pour les processions de la Purification, des Rameaux et de la Fête-Dieu ont été l'objet des plus déplorables variations dans les éditions italiennes du Rituel, depuis plus d'un siècle. On voit que les correcteurs se sont la plupart du temps contentés de revoir le texte, et n'ont pas pris la peine de surveiller la note. Toutefois, ceci a eu moins d'inconvénient en France que dans d'autres pays, l'usage étant chez nous, de se servir du Processionnal qui n'est pas à proprement parler un des livres de la Liturgie romaine, mais dont toutes les éditions, cependant, ont retenu les chants marqués, pour ces trois processions, dans une forme beaucoup moins altérée que celle qui semble avoir prévalu dans les éditions italiennes du Rituel. Nous ferons la même observation sur les chants contenus au Pontifical, pour diverses fonctions. Il n'y a pas d'accord entre les éditions sur ce point si important; mais la dernière et somptueuse édition d'Urbin (1818) l'emporte sur toutes les précédentes, pour la manière déplorable dont les antiennes, répons et autres pièces de chant ont été traités. Ce n'est pas ici le lieu de parler du Graduel et de l'Antiphonaire dont il n'a jamais été publié d'édition romaine qui fût véritablement obligatoire.

 

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Saint Charles Borromée, qui avait été l'âme du concile de Trente dans ses dernières sessions,  et  spécialement dans la XXV°, où l'on renvoya au Pontife romain la publication et la correction du Missel et du Bréviaire, ne pouvait manquer de s'intéresser vivement à une œuvre si importante pour toute l'Église. Giussano, dans son excellente vie du saint cardinal, rapporte que, après l'élection de saint Pie V au souverain pontificat, « saint Charles lui recommanda avec les plus vives instances de faire exécuter les décrets du concile de Trente, de donner la dernière perfection au Bréviaire et au Missel romains, et de faire imprimer au plus tôt le Catéchisme du Concile (1). » On voit quelle importance ce grand homme mettait à l'œuvre de la correction et de la publication des livres de la Liturgie. De retour dans son diocèse, après ce conclave que ses lumières avaient dirigé, et qui se terminait si heureusement par l'élection d'un pape auquel on devait plus tard élever des autels, ce saint homme s'occupa à son tour de la correction des livres liturgiques de son illustre Église. Ils avaient souffert aussi de l'injure du temps, et appelaient une épuration. Saint Charles procéda, comme saint Pie V,au moyen d'une commission composée d'hommes doctes et habiles dans la matière des rites sacrés. A l'exemple des correcteurs romains, ils prirent pour base de leur travail les manuscrits les plus anciens et les plus authentiques, et leur travail, auquel le saint cardinal s'associa lui-même,  le mit à portée de  publier enfin le Bréviaire, le Missel et le Rituel ambrosiens dont use encore aujourd'hui  l'Église de Milan (2). La lettre

 

(1) Vie de Saint Charles Borromée. Livre Ier, chap. XIII.

(2) Voici quelques traits de la lettre placée en tête du Bréviaire dont la publication est de l'année 1582 :

« Quamobrem multis abhinc annis (praeter caetera, quae ad hujus Ecclesiae rationes, usumque opus esse vidimus) illud maximopere curavimus, ut Breviarium in primis, adhibito peritorum piorumque hominum consilio, recognosceremus,  riteque et  congruenter veteribus Ambrosianis institutis conformaremus. Quo in genere cum exemplaria antiqua, aliaque comprobata hujus Ecclesia; monimenta, adhiberi mandavimus : tum vero totius Officii normam, in multiplici Breviarii Ambrosiani varietate, diversis temporibus non recte a nonnuliis Sacerdotibus privatim introducta, ad Ritum accommodari voluimus, quem clarissimi divinorum Officiorum scriptores docent, et Theodorus in primis Archiepiscopus, praedecessor noster, qui ejusdem Ambrosiani divinarum precum Officii Nocturni, Matutinique partes pie, et erudite explicavit, luculenta mysteriorum interpretatione. »

 

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pastorale qui annonçait un si grand bienfait pour cette Église fut placée en tête de chacun de ces livres comme l'instrument de leur publication, et, jusqu'à ces derniers temps, elle a été maintenue dans les diverses éditions données par les successeurs de saint Charles, et dont nous produirons ailleurs le tableau.

Nous devons dire un mot des livres de la Liturgie gothique ou mozarabe. On sait que l'usage de ces livres fut autorisé par Jules II pour une chapelle de la cathédrale de Tolède et quelques églises de la même ville, à la prière du cardinal Ximenès. Cet illustre archevêque donna une édition célèbre du Bréviaire et du Missel; mais la seule correction à laquelle il soumit ces livres fut de les faire imprimer purement et simplement sur les manuscrits qui lui semblèrent les meilleurs. On respecta les incorrections nombreuses qu'ils présentaient. Cette conduite servit de règle, vers la fin du siècle dernier, au cardinal Lorenzana dans la publication des magnifiques éditions qu'il donna de la Liturgie gothique. Nous parlerons ailleurs de la contestation qui s'éleva sur le mérite des manuscrits qui furent préférés alors ; mais il faut convenir qu'on ne peut pas plus la considérer comme une correction de la Liturgie mozarabe, que l'édition donnée par son illustre prédécesseur. Non seulement on a respecté jusqu'au scrupule toutes les fautes de copiste, tous les barbarismes, même les plus étranges; mais quand il s'est agi d'adapter à cette Liturgie les fêtes plus récemment

 

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instituées, telles que celle du Saint-Sacrement, on les a reléguées en supplément à la fin du bréviaire, pour n'altérer en rien la physionomie du manuscrit primitif. Ainsi les livres actuels de la Liturgie gothique ont été deux fois l'objet d'une publication, mais ils n'ont,pas même été soumis à une correction.

Après cette excursion sur les livres de l'Église latine, qui diffèrent de la forme romaine, nous venons maintenant aux livres de la Liturgie de Rome employés dans les Églises que saint Pie V exempta du devoir d'adopter sa correction, parce qu'elles avaient en faveur de leurs usages particuliers une prescription de deux cents ans. Ainsi que nous l'avons vu plus haut, les livres liturgiques des diverses Églises, avant le concile de Trente, prenaient de plus en plus un caractère de localité, et souvent même le cachet individuel de leurs rédacteurs; ce n'était bientôt plus de correction que l'on s'occupait, mais de fabrication. Saint Pie V jeta le cri d'alarme sur les périls du culte divin. Les Églises l'entendirent; aussi ne vit-on pas seulement celles d'entre elles que ne protégeait pas la prescription des deux cents ans s'empresser d'accepter les livres romains corrigés, mais encore un nombre considérable de celles mêmes qui se trouvaient dans le cas de l'exception, adopter librement et sans retour une Liturgie que l'on recevait à la fois du concile de Trente et du Siège apostolique.

Les Églises qui voulurent garder un bréviaire et un missel qui leur étaient propres se trouvèrent bientôt entraînées par le mouvement réformateur de la Liturgie. Leurs livres étaient romains quant au fond; d'autre part, le Bréviaire et le Missel de saint Pie V étaient proclamés comme les plus repurgés de tous; on devait donc s'attendre que les réformes diocésaines auraient pour principal résultat d'introduire dans les livres des Églises toutes les améliorations que la Liturgie romaine avait retirées des

 

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travaux de ses correcteurs. C'est ce qui eut lieu en France et en Allemagne, les deux seuls pays où l'on vit un certain nombre d'Églises conserver l'usage d'un bréviaire et d'un missel particuliers.

Nous ne pouvons donner ici en détail le tableau des opérations accomplies dans chacune de ces Eglises, pour appliquer à leurs livres diocésains la correction de saint Pie V, et arriver par ce moyen à l'unité liturgique, dans le degré où elle était réalisable. Une autre partie de notre travail contiendra sur cette question les renseignements que nous avons déjà recueillis et ceux que nous ne cessons d'enregistrer. Nous nous contenterons pour le moment d'insister sur les faits qui concernent les Églises de France, et pour ne pas nous étendre sur des détails qui  trouveront leur place ailleurs, nous donnerons seulement quelques traits relatifs à l'Église de Paris.

Ce fut en 1684 que l'évêque Pierre de Gondy donna la première édition du Bréviaire de son Église qui eût été imprimée depuis le publication du Bréviaire de saint Pie V. Ce prélat avait voulu d'abord faire accepter à son chapitre la Liturgie du saint pape; nous avons raconté ailleurs comment l'opposition de ce corps le força de renoncer à son projet (1). Pierre de Gondy fut donc contraint de sanctionner une nouvelle édition du Bréviaire parisien ; mais il prit pour base de la réforme de ce livre le Bréviaire de saint Pie V, dont il fit entrer la presque totalité dans la rédaction de son œuvre. C'est ce que reconnaît volontiers Grancolas lui-même (2).

Les éditions suivantes du Bréviaire parisien furent dirigées dans le même sens ; à cette différence cependant , que plus on avançait dans le XVII° siècle, plus on se rapprochait de la lettre du Bréviaire romain. C'est ce qu'atteste l'archevêque   Jean-François de Gondy,  dans

 

(1)  Institutions Liturgiques, tom. I, pag. 452.

(2)  Commentaire historique du Bréviaire romain, tom. I, pag. 63.

 

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la lettre pastorale qu'il a placée en tête de son édition de 1634, où il rend compte des travaux de Henri de Gondy, son frère et son prédécesseur qui, dit-il, du consente ment du chapitre de l'insigne Église de Paris, a fait corriger le bréviaire, et l'a fait rendre conforme au Bréviaire romain, autant qu'il a été possible (1). » Aussi l'édition de Jean-François de Gondy, dans laquelle on a suivi les mêmes errements, porte-t-elle en tête comme la précédente ces mots : Breviarium Parisiense ad formant sacrosancti Concilii Tridentini restitutum. On les lit pareillement sur le titre de l'édition que donna en 1658 le cardinal. de Retz.

Le Missel de l'Église de Paris fut soumis à son tour au même système de correction. Le Missel de saint Pie V servit de type aux commissions chargées de travailler à l'épuration du parisien. Nous laisserons parler ici Jean-François de Gondy, dans sa lettre pastorale pour l'édition de 1654. Après avoir exposé la variété des usages liturgiques, selon les lieux et les temps, il continue ainsi : « Mais au premier rang se distingue l'ordre et l'usage que l'Église romaine, mère et maîtresse des autres Églises, a gardés par une tradition fidèle, jusqu'à nos temps, et qu'elle a reçus du Prince même des apôtres. Or, de même que l'Église de Paris, depuis le premier établissement de la foi et de la religion chrétienne dans son sein, a toujours vénéré le Siège apostolique par un dévouement spécial, de même s'est-elle proposé de suivre, avec un zèle particulier, les rites de l'Église romaine dans la divine action du sacrifice. C'est ce que professent les lettres de notre prédécesseur et frère, l'Éminentissirne Henri de Gondy,  qui  se lisent en tête du Missel de

 

(1) Cum igitut ante aliquot annos Eminentissimus Cardinalis Rettius frater noster tum Parisiensis Praesul, una cum consensu Capituli insignis Ecclesiae Parisiensis, Breviarium emendatum et Romano, quantum commode fieri potuit, eo tempore conformatum, ordinari curaverit.

 

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Paris publié par son autorité, et dans lesquelles il enseigne que le rite et la forme du sacrifice ont abondamment coulé des sources les plus pures de notre religion, c'est-à-dire de l'Église romaine, sur toutes les parties de notre Gaule, et que nos ancêtres ont voulu recevoir du Siège apostolique l'ordre et la loi, non-seulement du sacrifice, mais encore de la psalmodie; ce qu'il a voulu, pour sa piété singulière envers ce même siège, observer dans la correction et la publication du Missel de Paris (1). »            L'archevêque observe ensuite que les exemplaires de

 

(1) Quamvis autem pro varietate temporum, et locorum, ritus illi sacri subinde alii, atque alii extiterunt, unde magis ac magis splendescit gloria filias regis, in fimbriis aureis, circumamictae varietatibus : primas tamen semper ac praecipuas partes sibi vindicavit ordo ille et usus, quem Ecclesia Romana ceterarum Ecclesiarum mater, ac magistra, ab ipso Apostolorum principe acceptum, fideli traditione, ad hœc usque tempora servavit : et sicut Ecclesia Parisiensis a prima fidei ac Religionis Christianae susceptione, Apostolicam Sedem peculiari devotione semper venerata est, sic ejus in divina illa actione ritus praecipuo sibi studio imitandos proposuit. Quod vel maxime testantur felicis recordationis, Eminentissimi Henrici de Gondy, Cardinalis de Retz nuncupati, praedecessoris et fratris nostri litterae, Missali Parisiensi, ejus auspiciis edito, praefixae; in quibus profitetur, sacrificandi ritum et formam ex ipsis Religionis nostrœ purissimis fontibus (hoc est Romana Ecclesia) in omnes Galliae nostrae partes latissime dimanasse, majoresque nostros non modo sacrificandi, sed et precandi et psallendi ordinem et legem, ab ipsa Sede Apostolica semper accipere voluisse. Et hoc quidem ille tune pro singulari sua erga praefatam Sedem pietate, Missalis Parisiensis correctione ac editione praestitit. Verum cum jam ab aliquibus annis omnia illius exemplaria distracta fuissent, et ejusmodi librorum penuria plurimœ nostra Dioecesis Ecclesias laborarent : non sine aliquo divini obsequii dispendio : existimavimus nostri muneris esse, sacrum illum codicem, prœcipuis Christianae Religionis officiis adeo necessarium, in integrum restituere; et si quid illi deesset, aut ad ejus complementum desiderari posset, nostra Pastorali vigilantia supplere. Quare praefatum Missale Parisiense, adhibita doctissimorum et peritissimorum virorum opera, denuo emendatum, ordinatum, auctum et ex omni parte, quantum fieri potuit, absolutum, et perfectum, praelo committi, et in lucem edi mandavimus et (quod maxime in votis erat) totum fere, ad Romanum usum compositum et conformatum.

 

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ce missel étant devenus rares, une nouvelle édition était nécessaire; c'est pourquoi il a appelé le secours d'une commission d'hommes doctes et habiles dans ces matières, le résultat de leurs efforts a été de préparer pour l'Église de Paris le missel que publie l'archevêque, et qu'il dit être « presque entier conforme à l'usage romain » ; totum fere ad Romanumusum compositum et conformatum. L'édition de ce missel parut sous le même titre que la précédente : Missale Parisiense, ad formam sacrosancti Concilii Tridentini recognitum et emendatum. Ce titre se lit encore sur le frontispice du Missel parisien donné en 1665, par Hardouin de Péréfixe.

Saint Pie V, en publiant, au nom du concile de Trente, le Bréviaire et le Missel, avait donc avancé la correction de la Liturgie dans les Églises mêmes auxquelles il n'avait pas jugé à propos de prescrire l'adoption pure et simple ! de ces livres. Ce qui eut lieu à Paris se reproduisit pendant plus d'un siècle, dans la plupart des Églises que la prescription exemptait de la loi commune. Dans toute cette période, il n'y eut à proprement parler qu'une seule et même correction liturgique pour toute la France. La grande majorité de nos Églises avait adopté, purement et simplement, les livres de saint Pie V; les autres entendaient la correction de leurs livres particuliers en la manière que nous venons d'exposer; il ne faut donc pas s'étonner de voir l'assemblée du Clergé de 1606 avancer des fonds, sur la demande de l'archevêque d'Embrun, pour aider à la publication d'une édition des livres de la Liturgie romaine,à l'usage général des Églises de France (1). Ces livres pouvaient servir et à celles qui avaient déjà  adopté la correction romaine, et à celles qui opéraient la correction diocésaine en conformité avec celle qu'on appelait, à si juste titre, la forme du saint Concile de Trente.

 

(1) Institutions Liturgiques, tome I, pag. 498.

 

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Nous ne pouvons résister au désir de citer un seul fait de cette époque qui mettra dans tout son jour la situation de la Liturgie dans le royaume, à cette époque. C'est la lettre pastorale de Guillaume Fouquet, évêque d'Angers, en tête du Bréviaire de cette Église, sous la date de 1620. Le prélat s'exprime ainsi (2) : « Ayant donc conféré avec nos vénérables frères les doyen et chanoines du chapitre de notre Église d'Angers, il a semblé que nulle autre a voie n'était à la fois plus abrégée et plus sûre que de réduire au plus tôt toute la forme des livres d'église à la règle de l'Église romaine. D'autant plus que cette résolution avait déjà été statuée dans le concile de Tours, il y a plus de trente ans, approuvée par l'autorité du Siège apostolique, et exécutée il y a peu d'années par l'Église de Tours qui est le chef de la province. Nous avons encore été puissamment inclinés vers ce parti par l'exemple des célèbres Églises de ce royaume, que nous voyons de toutes parts prendre cette voie commune et royale. » On trouve des paroles semblables dans plusieurs des lettres pastorales placées au commencement de la plupart des bréviaires et missels romains-français du XVII° siècle.

C'est donc un fait acquis à notre histoire que l'influence directe des travaux de saint Pie V, dans l'épuration de la Liturgie en  France à la fin du XVI° siècle, et dans les soixante-dix premières années du XVII°. En dehors de la

 

(1) Re igitur cum venerabilibus fratribus, Decano et Canonicis capituli Ecclesias Andegavensis communicata, visum est nullam in eo consilio compendiosiorem aut tutiorem viam iniri posse, quam si universa institutio librorum Ecclesiasticorum ad normam Ecclesiae Romanae, quam proxime fieri posset, revocaretur; eo maxime quod id jam ante annos triginta in Concilio Turonensi statutum, Sanctae Apostolicas Sedis auctoritate probatum fuerat, et reipsa ab Ecclesia Turonensi, quae provinciae caput est, paucis ab hinc annis praestitum. Quam in partem vehementer etiam inclinati sumus, aliarum imprimis celebrium hujus Regni Ecclesiarum exemplo, quas jam passim hac velut communi et regia via insistere videbamus.

 

 

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France, on aurait de la peine à trouver dix bréviaires et missels qui aient survécu plus d'un siècle à l'époque de la publication des bulles de saint Pie V. Ceux de ces livres que nous avons étudiés, c'est-à-dire ceux de Trêves, de Cologne, de Liège, sont généralement plus éloignés de la lettre des livres de Rome que ne le sont ceux des Églises de France qui profitèrent de la prescription reconnue par saint Pie V.

Mais le moment de la grande révolution liturgique arriva pour les Églises de France, et à partir de cette époque qui commence à la publication du Bréviaire de ] Vienne par l'archevêque Henri de Villars, en 1678, il ne fut plus question, dans un grand nombre de nos Églises, de la correction, mais bien de la composition des livres liturgiques. Il est vrai que dans la plupart des lettres pastorales placées en tête de ces livres, on employa longtemps encore des termes qui ne pouvaient s'entendre que d'une revision des anciens textes, mais d'autre part on s'étendait avec complaisance sur le plan nouveau qu'on avait adopté, sur les choses surannées qu'on avait retranchées, sur le soin qu'on avait eu de remplacer les pièces du style* de l'Église par des phrases de l'Écriture sainte, sur les hymnes nouvelles qu'on avait fait composer par des maîtres en latinité, etc. Cependant il ne fallait pas beaucoup de temps pour faire la comparaison de l'édition précédente avec la nouvelle, et pour se convaincre matériellement qu'elles formaient l'une et l'autre deux livres entièrement différents, l'un ancien et romain, l'autre nouveau et empreint d'un génie particulier. La composition d'un bréviaire devait être désormais, comme l'a si bien dit l'acolyte Mésenguy, l'un des opérateurs de la seconde époque, un simple ouvrage d'esprit. Nous avons montré ailleurs comment cette défection sur les véritables principes de la Liturgie qui est essentiellement traditionnelle, n'affecta d'abord que les Églises^qui avaient

 

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conservé le droit de correction sur leurs livres particuliers, et ne s'étendit que beaucoup plus tard à celles qui avaient adopté purement et simplement la Liturgie de saint Pie V.

Nous nous sommes étendu longuement ailleurs sur la correction du Bréviaire de Paris publié en 1680, par François de Harlay(1), il nous reste donc peu de chose à dire sur ce fait important. Ce bréviaire fut rédigé avec un soin particulier ; la commission chargée du travail se réunit fréquemment pendant le cours de dix années consécutives, et dom Claude de Vert cite quelque part la mille quatre-vingt-onzième séance (2). Plusieurs des correcteurs appartenaient à la secte janséniste, et tous professaient des opinions très hardies en matière de critique ecclésiastique. Leur travail se ressentit grandement de l'esprit qui les animait, esprit peu favorable au culte de la sainte Vierge et des saints, et à l'autorité des Pontifes romains. Ils profitèrent, comme nous l'avons dit, du Bréviaire de Henri de Villars, et avec d'autant plus de droit que Sainte-Beuve, l'un des commissaires du Bréviaire de Paris, avait eu grande part à celui de Vienne, auquel il avait simultanément consacré trois années de son temps. Il faut toutefois reconnaître que le Bréviaire de Harlay était infiniment moins hardi que celui de Villars, et qu'il retenait l'élément romain dans une proportion très considérable. Nous avons observé ailleurs que les erreurs jansénistes sur la grâce, bien loin d'être ménagées dans ce livre, y étaient directement combattues dans plusieurs leçons nouvelles. On sait que dans tout le cours de son habile épiscopat, François de Harlay, tout en exploitant à l'occasion le savoir de plusieurs personnages de la secte, ne se faisait pas faute de les réprimer, s'ils se montraient

 

(1)   Institutions Liturgiques, tom. II, pag. 32-58.

(2)   Cérémonies de la messe, tom, IV, pag. 126.

 

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avec trop de hardiesse. Nicolas le Tourneux était aussi de la commission du Bréviaire, et nous avons vu plus haut que cette considération n'empêcha pas l'archevêque de censurer sa traduction du Bréviaire romain, huit ans après.

Après avoir traité si librement une Liturgie que ses prédécesseurs s'étaient fait gloire de rendre, autant que possible, conforme aux livres de saint Pie V, François de Harlay ne pouvairplus laisser sur le titre de son bréviaire et de son missel les mots : Ad formant sacrosancti Concilii Tridentini. Ils disparurent donc, en attendant que le fond de la Liturgie romaine, qu'avait encore épargné la nouvelle correction, disparût à son tour.

Nous n'insisterons pas ici sur les travaux liturgiques qui eurent lieu successivement pour les Bréviaires de La Rochelle, Orléans, Sens, etc., et qui furent entrepris dans les dernières années du XVII° siècle et dans les premières années du XVIII°. Ainsi que nous l'avons dit, le système suivi à Vienne prévalut dans toutes ces Églises, et les livres liturgiques de cette époque, sans être aussi hardis que le Parisien de 1736, ne peuvent plus être considérés comme une édition corrigée de ceux qui les avaient précédés. Le seul bréviaire dont l'édition ait été conçue et exécutée selon le plan de Vienne, postérieurement à la publication du Bréviaire de Vintimille, est celui de Lyon, donné en 1737, par l'archevêque Charles de Rochebonne. On sait que l'illustre primatiale des Gaules avait conservé plus pure que les autres Églises du royaume la Liturgie romaine qu'elle avait acceptée, aux temps de Pépin et de Charlemagne. Les formules de son bréviaire et de son missel représentaient avec la plus scrupuleuse fidélité le texte des livres de saint Grégoire, jusque-là que le B. Joseph-Marie Tommasi s'est servi d'un Missel de Lyon imprimé pour corriger son édition de l'Antiphonaire du saint pape.

 

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Le Bréviaire donné par les Frères Mineurs, au xin0 siècle, et qui s'écartait en plusieurs détails de la teneur purement grégorienne, n'eut aucune action sur les livres de Lyon; mais, lorsque la grande correction opérée par saint Pie V, selon les intentions du concile de Trente, eut été publiée dans toute l'Église, les éditions de la Liturgie lyonnaise qui parurent après se ressentirent heureusement de l'influence que cette Liturgie exerçait dans les Églises de l'Occident qui n'étaient pas astreintes à l'embrasser. Enfin, vers la moitié du XVII° siècle, Camille de Neufville donna une édition des livres de son Église, qu'il s'étudia à rendre conforme, autant qu'il lui fut possible, à ce type sur lequel tant d'évêques s'étaient fait gloire de réformer leurs liturgies diocésaines. Ce fut donc cette Liturgie que Charles de Rochebonne jugea à propos de modifier, non point en remontant le fil des traditions de l'Église de Lyon, mais en acceptant le fait posé à Vienne, ou plutôt à Paris par les sieurs Argoud, Sainte-Beuve et du Tronchet, comme la règle à laquelle l'Église de Lyon elle-même, malgré sa devise : Ecclesia Lugdunensis nescit novitates, devait humblement se soumettre (1). La noble Primatiale cessa donc d'avoir un bréviaire et un missel ad mentem sacri Concilii Tridentini ; mais les livres de Charles de Rochebonne étaient trop romains encore pour résister au mouvement qui s'élevait dans l'Église de France, et qui emportait jusqu'au principe même de la correction liturgique.

En effet, dès l'année qui précéda la publication du Bréviaire de Charles de Rochebonne, l'Église de Paris inaugurait celui qu'avait élaboré dans son cabinet le P. Vigier, de l'Oratoire; deux ans plus tard, paraissait le Missel rédigé par Mésenguy. En vain la commission nommée par les archevêques de Péréfixe et de Harlay avait

 

(1) Institutions Liturgiques, tom. II, pag. 243.

 

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consumé dix ans de travaux, et plus de mille séances à la revision du Bréviaire de Paris, et en avait fait une œuvre remarquable, malgré les nouveautés qui la déparaient ; en vain l'élément romain qui avait toujours fait le fond de la Liturgie de Paris, avait encore survécu, en majeure partie, à travers tant d'amendements, les uns heureux, les autres déplorables ; il fallut mettre au pilon et le bréviaire et le missel qui étaient en possession depuis plus de cinquante ans, et dans lesquels on avait cru posséder pour des siècles une forme liturgique permanente. Tout fut anéanti. Un oratorien avait composé un corps d'offices dont le plan et les détails étaient le fruit de ses spéculations individuelles. Dans la réalisation de son idée, il n'avait compté ni avec la tradition, ni avec l'autorité ; l'œuvre était toute à lui. Les projets de bréviaire à priori publiés par Foinard et Grancolas, qui s'ingéniaient à doter enfin d'une Liturgie l'Église catholique, avaient tenté son émulation, et il n'estima pas que quinze années de travail fussent trop peu pour préparer son utopie. Il offrit d'abord le résultat de ses labeurs au cardinal de Noailles, qui le refusa formellement, et demeura fidèle à la Liturgie de Harlay, dont il donna plusieurs éditions, mais en ajoutant, çà et là, quelques détails, malheureusement empreints de l'esprit de la secte dont il était devenu le triste jouet. Vigier, repoussé à Paris, porta son livre à François de Lorraine, évêque de Bayeux, prélat notoirement janséniste, qui en allait prendre le patronage, si le chapitre de son Église n'y eût mis une opposition formelle. L'oratorien fut donc contraint de se replier sur la capitale, et nous avons longuement raconté ailleurs comment cet ouvrage fut accepté jet publié, les réclamations qu'il souleva, la faveur dont il demeura en possession.

Nous ne revenons présentement sur ce sujet que pour constater, à partir de cette époque, l'extinction de toutes

 

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les traditions admises jusqu'alors dans la publication des livres liturgiques. Désormais, l'antiquité n'était plus pour rien dans l'appréciation de la Liturgie, répons, antiennes, hymnes, versets, oraisons, capitules, leçons, division du psautier, tout serait jugé à l'avenir d'après le goût individuel, comme les ouvrages d'esprit. On ne s'inquiéterait plus des anciennes formes  de  la  prière  publique ; on reconnaîtrait autant de valeur à des formules nouvelles approuvées par un seul évêque qu'à ces antiques prières confirmées tant de fois par les Prélats des Eglises, et tout empreintes de la majesté des siècles. La Liturgie, autrefois inviolable, deviendrait mobile et sujette au changement, et on serait à même  de  voir une seule  Église changer sa liturgie trois fois dans un même siècle, sans qu'il lui fût donné d'espérer qu'enfin elle avait acquis une forme stable pour ses prières publiques. Assurément, si cette mobilité est l'ordre, il faut convenir que toutes les Églises n'y avaient rien compris jusqu'alors, et comme il n'est pas possible d'admettre une telle énormité, on est en droit de se réjouir en voyant un si grand nombre de nos Églises se tourner vers la Liturgie romaine  qui traverse les  âges sans s'altérer, qui se  développe sans se renouveler, et  qui ne s'épure, tous les trois ou   quatre siècles,  qu'en remontant aux textes primitifs qui sont la source autorisée dont elle émane.

Ce qui eut lieu à Paris en 1736 pour le bréviaire, et en : 1738 pour le missel, fut imité en divers diocèses qui, tout en renonçant à leurs anciennes liturgies ou à la romaine, ne jugèrent pas à propos d'accepter l'œuvre de Vigier et de Mésenguy.  Il y eut donc plusieurs bréviaires et plusieurs  missels  nouveaux qui ne furent pas le  résultat  d'une correction liturgique, mais parurent au jour comme autant de produits d'une branche de littérature inconnue jusqu'alors. Ce n'est pas ici le lieu de faire l’énumération de ces livres et d'en assigner les caractères assez variés,

 

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comme on devait s'y attendre. Il suffit de remarquer que la déviation dont nous parlons s'étendit fort loin dans la France ecclésiastique ; elle ne s'arrêta qu'aux portes des Églises qui voulurent rester fidèles à la Liturgie romaine, et on sait que ce ne fut pas le plus grand nombre.

C'est en vain qu'on voudrait justifier un tel oubli des principes et de la gravité du service divin, en insistant sur le droit que plusieurs de nos Églises avaient retenu de conserver leurs liturgies particulières. D'abord, cette justification  n'est  pas   applicable  à   celles   qui   étaient astreintes à la Liturgie romaine.  Quant aux autres, la faute que leur reprochera la postérité est précisément de n'avoir pas conservé leurs livres particuliers.  Où sont maintenant  les bréviaires et les missels de   Pierre   de Gondy, de Henri de Gondy, de Jean-François de Gondy, pour l'Église de Paris ? où sont même ceux de François de  Harlay et du cardinal de  Noailles ? On en  trouve encore quelques rares exemplaires dans les bibliothèques; mais qu'on prenne ces livres, et qu'on y cherche l'office et la messe pour s'unir aux prières en usage aujourd'hui dans l'Église  de Paris, on verra bientôt que les titres seuls de ces livres sont restés, et que le texte n'est plus le même. Ce que nous disons ici de Paris doit s'entendre des autres Églises qui se sont donné des Liturgies nouvelles ; elles n'ont point conservé leurs  anciens   livres, comme elles en avaient le droit ; elles les ont changés. Or telle n'était pas l'intention du saint pape Pie V, en confirmant  par bulles tous les   bréviaires   et  missels   qui avaient une possession de deux cents ans. Grégoire XVI l'affirme   expressément   dans  son   bref   à Mgr l'archevêque de Reims (1), et la supposition contraire mènerait à

 

(1) S. Pius V immortalis memoriae decessor noster qui et Breviario et Missali in usum Ecclesiarum Romani ritus, ad mentem Tridentini concilii (Sess. XXV) emendatius editis, eos tantum ab obligatione corum recipiendorum exceptas voluit, qui a bis centum saltem annis uti consuevissent Breviario aut Missali ab illis diverso; ita, videlicet, ut ipsi non quidem commutare iterum atque iterum arbitrio suo libros hujusmodi, sed quibus utebantur, si vellent, retinere passent.

 

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des conclusions formellement opposées à la discipline générale de l'Église, qui refuse à un évêque particulier le pouvoir absolu sur la Liturgie même de son diocèse (1).

C'est ainsi que le comprenait saint Charles Borromée lorsqu'il entreprit la correction des livres de la Liturgie ambrosienne, et ses successeurs jusqu'aujourd'hui ne l'ont pas entendu autrement, dans toutes les éditions du Bréviaire, du Missel et du Rituel de Milan qu'ils ont tour à tour publiées.   Et  si nous   nous tournons du côté de l'Orient, dont  les Églises sont partagées entre tant de Liturgies diverses, il faudra bien reconnaître qu'on n'a jamais entendu dire que depuis l'époque où ces Liturgies ont été fixées, les patriarches, les métropolitains ou les évêques se soient crus en droit de les renouveler, et d'en remplacer les formules par d'autres plus appropriées au goût du temps. Que l'on compare les éditions imprimées de ces livres avec les manuscrits de nos grandes bibliothèques de la capitale, on trouvera partout le même texte, sauf les variantes et les incorrections inévitables dans des oeuvres de cette nature, qui n'ont été livrées à l'impression  que depuis environ deux siècles. On  doit même ajouter que ces éditions imprimées n'ont pas pénétré partout, et qu'il  est encore un nombre immense d'églises en Orient où l'on ne  se sert que de manuscrits dans le service divin.

La plupart de ces livres ont eu des éditions à Rome, aux frais de la Propagande; ces éditions ont été surveillées par des censeurs romains versés dans les langues orientales, plus tard par la congrégation établie pour la correction

 

(1) Voir la condamnation par Clément XI du livre de l'évêque de Saint-Pons, intitulé: Traité du droit et du pouvoir des Évêques de régler les Offices divins dans leurs diocèses, 1688, in-8°.

 

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des Liturgies de l'Église d'Orient. A-t-on jamais pensé à changer la lettre de ces Liturgies, à introduire dans leurs textes des choses nouvelles, sous prétexte d'amélioration ? Après avoir élagué quelques mots qui sentaient les hérésies nestorienne ou eutychienne, inséré le nom du Pontife romain en certains endroits, ne s'est-on pas fait un devoir de respecter jusqu'aux narrations  apocryphes que le défaut de critique chez les Grecs   du Bas-Empire a  laissé introduire dans les Menées et ailleurs ? La simple revision des textes liturgiques est une opération tellement grave, que Rome n'a pas jugé prudent d'user de son autorité tout entière dans cette conjoncture, dans la crainte qu'une correction plus sévère ne semblât un changement toujours dangereux pour la paix des Églises.

On ne peut donc pas dire que la diversité des Liturgies, entraîne la mobilité des formules liturgiques, et l'Orient est unanime avec l'Occident pour distinguer l'idée de correction de celle  d'une composition nouvelle, qui substituerait des textes nouveaux à ceux que l'antiquité a consacrés. Nous n'insisterons pas davantage sur un principe si évident en lui-même, et si hautement justifié par les faits que nous avons déjà rapportés. Reste à dire maintenant quelque chose sur le droit de correction exercé autrefois par les évêques des Églises qui furent autorisés par la bulle de saint Pie V à conserver leurs livres. Cette question a cessé d'être pratique aujourd'hui, du moins pour la France, puisque tous ces livres,  sans exception, ont été anéantis au siècle dernier pour faire place aux nouvelles Liturgies.

Le droit de correction laissé aux ordinaires de ces Eglises pourrait difficilement être contesté en principe : toute la difficulté consiste à savoir dans quelles limites il devait être circonscrit. Il est clair, par le bref de Grégoire XVI, dont nous venons de citer les termes, que cette correction ne pouvait s'étendre jusqu'à devenir un changement de

 

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bréviaire. Il faut donc simplement l'entendre de certaines améliorations par la voie de suppression ou d'addition, qui n'atteindraient pas la substance du livre liturgique, et devaient être, par conséquent, d'une importance médiocre. Dans cette mesure, on pourrait dire, avec le savant Guyet, que le décret d'Urbain VIII, du 8 avril 1628, qui refuse aux ordinaires le pouvoir d'ajouter ou de retrancher une seule fête au calendrier, et même d'élever ou de diminuer le rite qui lui est assigné, ne regardait pas les évêques des Eglises qui avaient légitimement retenu leurs anciens livres. Ce décret ayant rapport au Bréviaire romain, ne semble pas devoir comprendre dans l'obligation qu'il établit ceux qui ne sont pas tenus au Bréviaire romain lui-même, par la raison que l'accessoire suit le principal (1). D'autre part, on ne peut nier que dans une interprétation de la loi d'Urbain VIII, donnée par la congrégation des Rites, en date du 28 octobre 1628, il ne soit formellement exprimé que toutes additions de fêtes aux bréviaires tolérés par saint Pie V, ne peuvent avoir lieu que selon le décret, et après consultation du Saint-Siège (2).

Quoi qu'il en soit du parti que l'on juge devoir prendre sur cette question que nous avons traitée ailleurs (3), il est certain que, pendant les cent cinquante années ou environ que plusieurs de nos Eglises ont retenu leurs anciens livres, les évêques ont exercé directement le droit de cor-

 

(1)  Id autem sic accipe, modo ii omnes Romano usui adstricti sint : nam qui ex Bulla Pii V suo adhuc proprio Breviario gaudent, nihil hocce decreto urgentur, Cum enim accessorium sequatur naturam principalis, si ad principale minime tenentur, certe nec ad accessorium. (Guyet, Heortologia, sive de festis propriis locorum et Ecclesiarum lib. I, cap. II, quaest. 3. Edit. d'Urbino. 1728, pag. 22.)

(2)  Decretum contra abusus comprehendit etiam Breviaria tolerata a Pio V, excedentia biscentum annos, hoc modo videlicet ut non possit eis addi aliquod festum Sanctorum, nec minus ratione Reliquiarum, nisi modo et forma contenta in Decreto, et consulta Sede Apostolica. (Decretum diei 28 octobris 1628.)

(3)  Lettre à Mgr l'Archevêque de Reims, pag. 98-106.

 

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correction sur ces livres. On a vu que longtemps ils usèrent de ce droit principalement pour introduire dans leurs bréviaires et missels la réforme de saint Pie V. Le Bréviaire de Vienne au contraire fut un changement liturgique; celui de Paris, en 1680, quoique moins hardi dans ses innovations, brisait avec le passé et sortait de la réserve observée par les Gondy. Enfin, l'histoire de la Liturgie en France démontre que les Eglises qui se lancèrent les premières à la recherche d'une forme liturgique nouvelle furent précisément celles qui, dans le principe, avaient retenu leurs livres particuliers. Celles qui avaient adopté la Liturgie de saint Pie V les imitèrent plus tard, et encore cinquante environ étaient demeurées fidèles aux livres romains jusqu'à la fin du siècle dernier. Réduites plus tard à douze, elles ont formé ce corps d'élite déjà plus que doublé par l'accession glorieuse et libre de celles qui récemment ont donné le grand exemple du retour au principe de l'unité liturgique.

Quant au droit de correction liturgique par  les ordinaires, dans les Églises astreintes purement et simplement aux livres de saint Pie V, il ne pourrait s'exercer que sur les propres de ces Églises. Or nous avons vu que le droit commun réserve au Siège apostolique l'approbation de ces propres, et de toutes les modifications qui pourraient être faites   au  calendrier. Reste à savoir jusqu'à ' quel point la prescription en faveur d'une Église particulière peut s'établir et valoir en cette matière. Il est certain que, jusqu'à la fin du siècle dernier, les évêques de France ne demandaient pas à Rome l'approbation de ces propres; nous laissons à d'autres le soin de décider si cette nouvelle liberté n'était pas une entreprise  répréhensible,   ou s'il faut y voir l'exercice d'un légitime droit de prescription. Le pieux archevêque   de   Bordeaux,  Charles  François d'Aviau du Bois   de Sanzay, mort en 1826,  ne voulut point s'arroger ce droit sur le propre de son Église, et                                                      

 

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demanda à Pie VII l'office de saint Louis de Gonzague qu'il voulait insérer parmi ceux que célébrait déjà cette Église (1). Les évêques qui, dans ces dernières années, ont donné le glorieux exemple du retour à la Liturgie romaine, se sont empressés de soumettre au Saint-Siège les propres de leurs Églises. Cette conduite a semblé conséquente à tout le monde, et garantira les suppléments diocésains de tout alliage malheureux, en même temps qu'elle leur assurera une stabilité et une gravité que l'on eût vainement cherchées autrefois dans la plupart des propres français. Nous aurons occasion d'alléguer divers exemples qui feront sentir quelles irrégularités peuvent se glisser dans ces œuvres locales, et comment elles sont exposées a subir l'application des systèmes les plus contraires et quelquefois les plus étranges, lorsqu'elles sont dépourvues de tout contrôle supérieur.

Nous dirons ici quelques mots du degré d'approbation nécessaire aux prières qui se chantent à l'église, en dehors de la messe et de l'office divin. Ces formules n'étant point de nature à être consignées dans les livres liturgiques proprement dits, et, d'autre part, n'étant point ordinairement appelées à une stabilité absolue, encore moins à l'universalité, il nous semble que leur approbation appartient de plein droit aux ordinaires. Ainsi les prières qui se chantent dans les saluts du Saint Sacrement, les motets que l'on exécute dans des circonstances semblables, doivent avoir reçu la sanction des prélats, pour servir dans les églises de leur ressort. Maintenant, quelles règles doit-on suivre dans le jugement et l'appréciation de ces formules? Nous les trouvons tracées dans le bref d'Alexandre VII, pour les églises de Rome, en date du 23 avril 1663.

Dans ce bref, le pontife  fait défense,   sous les  plus

 

(1) L'Office de saint Louis de Gonzague n'a été admis au corps du Bréviaire romain que trente ans plus tard, par Grégoire XVI.

 

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graves peines, à tous ceux qui ont autorité dans ces églises, d'y rien laisser chanter qui ne soit contenu dans le Bréviaire ou dans le Missel romain; et dans le cas où les motets seraient composés d'autres paroles, tirées de l'Écriture ou des saints Pères, on devra les faire approuver par la congrégation des Rites, que les Romains peuvent toujours facilement consulter (1). Dans le but d'appliquer cette constitution, la congrégation de la Visite apostolique publia, le 3o juillet 1665, un édit qui renfermait les dispositions suivantes : « Durant l'exposition du Très Saint Sacrement, il ne sera pas permis de chanter d'autres paroles que celles qui sont au Bréviaire et au Missel romain en l'honneur de cet auguste mystère. Mais si l'on veut chanter des paroles de l'Écriture, ou de quelque saint Père, on devra prendre l'approbation spéciale de la sacrée congrégation des Rites, selon ce que prescrit la Constitution; ce qui n'est pas requis quand les paroles se trouvent déjà au Bréviaire ou au Missel. Les paroles des saints Pères doivent être d'un seul auteur, et non réunies ensemble de plusieurs saints Pères. Les textes, tant du Bréviaire et du Missel que de la sainte Écriture et des Pères, doivent être mis en musique ut jacent, sans inversion, interpolation, ni altération quelconques (2).

 

(1)  Apostolica auctoritate tenore praesentium sub pœna excommunicationis latas sententias, necnon privationis fructuum unius mensis, ac suspensionis ab officiis respective prohibemus, ne in eorum Ecclesiis et Oratoriis, dum Officia divina celebrantur, vel Sanctissimum Eucharistie Sacramentum manet expositum, quidquam cantari permittant praeter ea verba, quœ a Breviario, vel Missali Romano in Officiis de proprio vel de communi pro currenti cujusque diei festo, vel Sancti solemnitate praescribuntur, vel quae saltem a sacra Scriptura, aut sanctis Patribus desumpta sint, quas tamen prius a Congregatione venerabilium etiam Fratrum nostrorum ejusdem S. R. E. Cardinalium Sacris Ritibus Prœpositorum specialiter approbentur, exclusis modulis iis, qui choreas, et profanam potius, quam Ecclesiasticam melodiam imitantur. (Constitutio Piœ sollicitudinis. Bullarium romanum. Edit. Luxemb, tom. VI, pag. 55.)

(2)  Articolo IV°. Che quando ata esposto il Santissimo, non sia lecito di cantare altre parole, che quelle che sono poste nel Breviario o Messale Romano in onore del Santissimo Sacramento, e volendosicantare le parole della Scrittura, o di qualche Santo Padre, debba prima prendersi l'approvazione spéciale della sacra Congregazione de' Riti al prescritto della Costituzione, dichiarando, che in questo caso sia necessaria la detta approvazione, ma non quando le parole sono prescritte dal Breviario o Messale, e che le parole de sancti Padri debbano essere di un solo, et non di molti santi Padri uniti insieme.

.......Articolo VI°. Che le parole cosi   del Breviario  e   Messale, come della Sacra Scrittura, et de' santi Padri si mettano in musica, ut jacent, in maniera che non s'invertano, ne vi si frappongano parole diverse, ne si faccia alterazione alcuna. (Cité par l'abbé Pierre Alfieri, au tome XVI des Annali delle scienze religiose de Rome, pag. 54.)

 

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Telle est la prudence romaine dans ces sortes de matières, bien digne de servir de règle, toutes les fois qu'il s'agit de donner ou de refuser l'approbation à des formules de ce genre, dans les divers diocèses delà chrétienté. On voit d'abord que lorsqu'il s'agit de prières chantées à l'église, rien n'est laissé à l'arbitraire des curés et autres supérieurs locaux, attendu que ces formules, sans être absolument élevées à la dignité de la Liturgie proprement dite, se rangent néanmoins dans la même classe, et se rattachent à l'enseignement, qui ne peut jamais être donné qu'au nom et par l'autorité des prélats. Les textes de l'Ecriture ne doivent jamais être employés dans les chants du culte divin, sans que les extraits aient été préalablement soumis à une approbation compétente; il en est de même, à proportion, des phrases des saints docteurs, pour une raison analogue. En effet, il ne suffit pas dédire : tel texte se lit dans l'Écriture et dans les Pères, donc il exprime la vérité. Les extraits ont besoin d'être reconnus par un pouvoir légitime qui puisse garantir que le sens des paroles n'a point été altéré, soit par des coupures imprudentes, soit par tout autre procédé qui changerait le sens, tout en respectant les mots. Nous avons montré ailleurs qu'une autorité locale ne pourrait faire que l'on pût dire : telle formule est la parole de l'Église; le

 

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même principe exige que, dans chaque église particulière, le prélat qui la gouverne ne laisse point aux individus la liberté de composer ou d'approuver à sa guise des formules qui doivent être chantées dans le sanctuaire. Si ce contrôle diocésain ne peut élever de telles formules au degré souverain de l'autorité, il leur confère du moins une valeur supérieure et canonique, en rapport avec l'usage local auquel elles sont destinées.

Nous ne voyons point dans la constitution d'Alexandre VII, ni dans l'édit de la congrégation delà Visite apostolique, que l'on ait même supposé la prétention de chanter des couplets pieux en langage vulgaire, aux saluts ' du Saint Sacrement, ou dans toute autre fonction liturgique. On oblige les supérieurs des églises de Rome de recourir à l'approbation de la congrégation des Rites pour des formules empruntées à l'Écriture et aux ouvrages des Pères, et conçues par conséquent dans la langue de l'Église; mais se figure-t-on ce grave tribunal, gardien des traditions sur la langue sacrée, occupé à examiner des stances en langue vulgaire, pour en autoriser ensuite l'usage dans l'église? Cependant, il faudrait en venir là, si on voulait admettre comme légitime la pratique de chanter ce que nous appelons des cantiques, dans le cours des fonctions liturgiques, à moins que l'on ne veuille accorder à ces couplets, composés par le premier venu, un privilège dont ne jouissent pas les formules empruntées à la parole de Dieu, ou aux écrits des saints docteurs. Le fait est que l'on chante souvent dans nos églises des cantiques qui n'ont reçu aucune approbation de l'ordinaire, et quant aux recueils qui auraient obtenu cette approbation, ils n'ont certainement jamais pu être autorisés pour servir dans les actes liturgiques.

On vient de voir que la matière des motets ou autres chants extraordinaires peut être empruntée, non seulement au missel et au bréviaire, mais encore à l'Écriture

 

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et aux saints Pères ; est-ce à dire pour cela qu'il est interdit de chanter au salut du Saint Sacrement, des formules qui ne seraient empruntées à aucune de ces sources? Telle n'est pas, ce nous semble, la conclusion que l'on doit tirer des documents que nous avons rappelés. On sait que l'Église romaine emploie sans cesse les Litanies de la sainte Vierge, dites Litanies de Lorette, dans les neuvaines, octaves, triduos, et autres actes pieux qui s'accomplissent devant le Saint Sacrement exposé, et se terminent par la bénédiction (1). Or cette touchante formule

 

(1) Ce n'est pas ici le lieu de parler des Litanies de la sainte Vierge leur place viendra tout naturellement dans la partie de cet ouvrage où nous traiterons des Litanies en général et en particulier. Toutefois, nous devons mentionner le décret de Clément VIII, en date du 8 des Ides de septembre 1601, par lequel ce pontife interdit sévèrement, dans les églises et oratoires, et même dans les processions, l'usage de toutes litanies différentes de celles qui sont contenues au bréviaire, au missel, au pontifical et au rituel. Il ne fait d'exception qu'en faveur des Litanies de Lorette. Ce décret est toujours placé en tête des éditions de l’Index librorum prohibitorum, et fait loi dans l'Eglise. Nous le rappelons ici comme une confirmation des principes émis dans ce chapitre, et aussi pour répondre à une remarque de M. l'abbé Pascal, dans ses Origines et raison de la Liturgie catholique, col. 720.

Au tome II de ces Institutions, page 622, nous avons blâmé  l'insertion des Litanies du saint Nom de Jésus dans un bréviaire, attendu   que   ces Litanies sont improuvées, disions-nous, par le Saint-Siège. Nous faisions allusion au décret de Clément VIII et aux règles de l'Index, nous proposant sur ce point, comme sur mille autres, de développer l'assertion émise dans notre Introduction historique. Il n'est point question ici du mérite et de la beauté de cette prière, que nous apprécions comme tout le monde, mais bien de savoir s'il est licite de l'imprimer dans les bréviaires et de la chanter dans les églises.   M.   l'abbé Pascal   allègue une   approbation donnée à ces Litanies   pour   l'Allemagne ;   nous   avions   connaissance de cette concession, mais nous n'y avions vu, et nous  n'y  voyons  encore qu'une confirmation du décret de Clément VIII et de la règle de l'Index. Le Siège apostolique n'a point eu intention de se lier pour l'avenir, mais uniquement de prohiber toutes litanies qui n'ont pas été approuvées par lui. Or il est de fait que l'approbation de celles du saint Nom de Jésus n'a point été accordée pour la France ;  elles demeurent donc prohibées, quant à l'usage liturgique; c'est tout ce que nous avons voulu dire, dans la phrase incidente qu'a relevée M. l'abbé Pascal.

Dès l'an 1640, les prêtres de la Mission, ayant encore à leur tête saint Vincent de Paul, sollicitèrent l'approbation de cette prière, qui était déjà fort connue; la sacrée congrégation des Rites répondit, le 31 mars de la même année : Non licere alias Litanias recitare, nisi jam approbatas a Sede Apostolica, et impressas in Breviario Romano. Les prêtres de la Mission réitérèrent leur demande deux ans après, donnant pour motif que l'on récitait ces Litanies dans l'église de Paris, et qu'on les imprimait à la fin des bréviaires. La réponse fut rendue le 16 août 1642, en ces termes : Decreto S. M. Clementis VIII abnuit; cum Ecclesia non consueverit approbare alias Litanias, quam communes Sanctorum et S. Mariœ Lauretanœ. Enfin le 3 septembre 185o, le doute suivant a été présenté à la sacrée congrégation : Utrum Litaniœ Sanctissimi Nominis Jesu sint approbatae, indulgentiisque ditatœ? La décision a été rendue en ces termes : Negative in omnibus. Ce nouvel arrêt ne fait que reproduire les précédents; il n'enlève rien à la valeur propre des Litanies du saint Nom de Jésus; mais il met obstacle à leur usage dans la Liturgie, et c'est là tout ce que nous avons prétendu. Nous reviendrons sur ce sujet, quand nous traiterons spécialement de l'intéressante matière des Litanies. Nous ajouterons seulement que les Litanies de la sainte Vierge, quoique formellement approuvées, ne sont admises dans aucun des livres de la Liturgie romaine, et que l'on devrait, à plus forte raison, garder la même réserve pour celles dont on obtiendrait l'approbation. Il serait encore plus à désirer que l'on s'abstînt de chanter dans l'église les Litanies du Saint Sacrement, celles du Sacré-Cœur, etc., qui sont pleinement comprises sous la réprobation de Clément VIII, ou que l'on en sollicitât l'approbation, laquelle pourrait bien souffrir quelques difficultés. *

* Des décisions récentes du Saint-Siège ont modifié la discipline de l'Eglise par rapport aux Litanies en général et à celles du saint Nom de Jésus en particulier. Un décret de la congrégation des Rites du 21 août 1S63, en réponse à une demande de nombreux évêques, a permis dans leur diocèse l'usage de ces Litanies, avec une indulgence de trois cents jours; et cette concession a été étendue depuis à tous les diocèses dont les évêques en ont fait la demande. Un décret du 10 septembre 1863 a déclaré que l'usage liturgique de cette prière était permis, partout où la concession susdite avait été obtenue.

 

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de supplication à la Reine du Ciel n'appartient ni aux livres liturgiques, ni à l'Ecriture, ni aux écrits des Pères : on doit donc conclure que des chants populaires, en langue latine toutefois, sont susceptibles de recevoir l'approbation qui leur donnerait une valeur liturgique.

C'est ainsi que l’Adeste fideles, l’O filii, l’Inviolata, et même le Stabat Mater avant qu'il eût reçu la consécration apostolique par son insertion au Bréviaire romain, se sont établis dans l'usage ecclésiastique par l'assentiment

 

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ment des ordinaires. De même, d'autres proses, hymnes, antiennes, pourvu qu'elles soient graves, orthodoxes, et conçues dans la langue de l'Église, peuvent être admises par l'autorité de l'ordinaire à faire partie des chants qui s'exécutent à l'église, avec le concours du clergé, en dehors de la messe et des offices divins. Sans doute que les pièces que nous venons de citer ont l'avantage d'être en possession et sont d'ailleurs très répandues; mais on doit considérer qu'il fut un temps où elles étaient nouvelles, et qu'elles ont dû commencer par être simplement locales. L'autorité que leur conférait l'ordinaire qui les approuva le premier leur suffisait alors. L'essentiel est de bien comprendre que cette approbation ne peut jamais procéder que de l'ordinaire, qui est responsable de toutes les formules de prières qui se chantent dans les églises de sa juridiction, et que cette approbation, dans aucun cas, ne saurait venir de ceux qui n'ont point, par leur charge, le droit ordinaire de l'enseignement, et la juridiction extérieure sur une partie du troupeau de Jésus-Christ.

Au moment où nous écrivons ces lignes, il nous tombe entre les mains deux immenses placards imprimés à Lyon chez Dumoulin, Ronet et Sibuet, portant en tête ces mots, l'un : Preces ante missam, l'autre : Preces post missam. Il est évident que l'auteur de ces deux énormes affiches les a composées et livrées au public avec le désir de les voir substituer, dans les sacristies, aux prières canoniques extraites du Missel, qui contiennent les formules rédigées par l'Église elle-même pour la préparation et l'action de grâces. Nous ignorons si cette tentative a obtenu quelque résultat ; mais il est indubitable que l'ordinaire ferait de ses droits un usage fort légitime, en interdisant ces formules rédigées sans mission, sans aucune entente du style de la Liturgie, étranges dans leur rédaction plate et emphatique, et, jusqu'à un certain point, suspectes dans les intentions. Si certaines personnes se lassent des formules

 

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ecclésiastiques, parce qu'elles n'en ont plus la clef, il est triste qu'au lieu de chercher l'intelligence des formules catholiques, elles croient devoir céder au désir de les remplacer par d'autres qu'elles empruntent trop visiblement de leur fond. C'est donc au nom de l'intégrité du dépôt de la Liturgie et des convenances violées, que nous appelons l'attention des prélats sur cette entreprise d'un nouveau genre. En faisant justice des piœ paraphrases ils agiront dans l'exercice des droits et des devoirs que le Saint-Siège leur reconnaît pour la correction non seulement des livres, mais encore des extraits des livres de la Liturgie romaine.

En terminant cette longue digression qui se rattachait naturellement à la thèse que nous avons développée dans ce chapitre, nous ajouterons aux corollaires qui résultent des chapitres précédents, ces deux nouvelles conclusions : Les livres liturgiques sont d'une valeur tellement supérieure à tous les autres, que l'autorité des premiers pasteurs, exercée selon la discipline établie, peut seule leur donner le caractère de gravité qui leur est nécessaire : L'antiquité qui fait le principal lustre de ces livres devant toujours être respectée en eux, la correction à laquelle on les soumet de temps en temps, dans le cours des siècles, s'accomplit surtout en épurant les textes par la confrontation avec les sources primitives.

 

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NOTES DU CHAPITRE V

 

NOTE A

 

Huc usque praecedens Sacramentorum Libellus, a B. Papa Gregorio constat esse editus, exceptis his quœ in eodem in Nativitate vel Assumptione B. Mariae, praecipue vero in Quadragesima, virgulis interpositis, lectoris invenerit jugulata solertia. Nam sicut quorumdam relatu didicimus, Domnus Apostolicus in eisdem diebus a Stationibus penitus vacat, eo quod caeteris septimanae Feriis Stationibus vacando fatigatus, eisdem requiescat diebus,ob idscilicet ut tumultuatione populari carens,et eleemosynas pauperibus distribuere, et negocia exteriora liberius valeat disponere. Missam vero praetitulatam in Natali ejusdem B. Gregorii, virgulisque antepositis jugulatam, a successoribus (1) ejus, causa amoris, immo venerationis suae, eidem suo operi non dubium esse interpositam. Praefatus sane (2) Sacramentorum Libellus, licet a plerisque scriptorum vitio depravante, non ut ab authore suo est editus haberetur, pro captu tamen ingenii, ob multorum utilitatem, studii nostri fuit artis stylo corrigere, Quem cum prudens lector studios eperlegerit, verum nos dicere illico corn» probabit, nisi iterum scriptorum vitio depravetur.

Sed quia sunt et alia quaedam, quibus necessario sancta utitur Ecclesia, qua; idem Pater ab aliis jam édita esse inspiciens praetermisit (3) ; ideirco operae precium duximus, ea velut flores pratorum vernantes carpere, et in unum congerere, atque correcta et emendata suisque capitulis praenotata, in hujus corpore codicis seorsum ponere, ut in hoc opere cuncta inveniret lectoris industria,quaecumque nostristemporibus necessaria esse perspeximus, quamquam plura etiam in aliis Sacramentorum Libellis invenissemus inserta.

Hanc vero discretionis gratia Prœfatiunculam in medio collocavimus, ut alterius finis, alterius quoque exordium esset Libelii; ita videlicet, ut hinc inde formabiliter (4) eisdem positis Libellis noverit quisque, quae a B. Gregorio, quœve sint ab aliis edita Patribus; et quoniam excludendos tantarum quaesitores diversarumque Institutionum sanctarum nequaquam dignum vel possibile esse censuimus : saltem eorum omnium condignis desideriis in evidenti hujus operis copia satisfaceremus. Si cui autem placent ea, quae sine fastu arrogantioe summo studio pioque collegimus amore,

 

(1) Codex Othobonianus, praedecessoribus.

(2)  Codex Oth.  autem.

(3)  Cod. Oth. pratermittit.

(4)  Cod. Oth. ordinabiliter.

 

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suscipere, precamur ut non ingratus nostro existat labori, sed potius una nobiscum gratias agat omnium bonorum largitori. Si vero superflua vel non necessaria sibi illa judicaverit, utatur tantum praefati Patris opusculo quod minime respuere, sine sui discrimine potest ; et ea quaerentibus hisque pio animi affectu uti volentibus, utenda admittat (1). Non igitur ingratis et fastidiosis, sed potius studiosis ac devotis, illa collegimus, in quibus, cui animo sedent, potest reperire, unde et debita vota sua,et officium divini cultus digne ac placabiliter Domino valeat exhibere.

Noverit itaque nos perspicacitas lectoris non alia huic inseruisse operi, nisi ea quae a probatissimis et eruditissimis magna diligentia exarata sunt viris. Ex multis ergo multa collegimus, ut multorum utilitati prospiceremus. Praefationes porro (2)quas in fine hujus posuimus codicis, flagitamus ut ab his quibus placent, cum charitate suscipiantur, et canantur. Ab his vero, qui eas intelligunt, nec tamen delectantur, necnon et ab his qui eas volunt, nec tamen intelligunt, poscimus ut nec assumantur, nec canantur. Addidimus(3)etiam et Benedictiones ab Episcopo super populum dicendas, nec non et illud quod in praefato codice B. Gregorii, ad gradus inferiores in ecclesia constituendos, non habetur.

Obsecramus itaque vos, quicunque hune codicem ad legendum sive transcribendum sumpseritis, ut pro me preces ad Dominum fundatis, qui ob utilitatem plurimorum ea colligere atque corrigere studuimus, precamurque ut eum ita diligenter transcribatis, quatenus ejus textus, et eruditorum aures demulceat, et simpliciores quosque (4) errare non sinat. Nihil enim, ut ait B. Hieronymus, proderitemendasse librum, nisi emendatio, librariorum diligentia conservetur.

 

NOTE  B

 

DECRETUM   GENERALE

 

Quum ab anno 1788 ad hanc usque diem Breviaria, Horae Diurnœ, Missalia, Officia Parva beatissimae Mariae Virginis, Officia Hebdomadas Majoris, Ritualia, aliaque id generis, qua; denuo praelo mandantur, non amplius prae se ferant Reverendissimorum Ordinariorum Attestationes, queis declaretur haec exemplaria concordare cum iis, quae Romae sunt impressa, ad tramites Bullarum S. Pii V, Clementis VIII et Urbani VIII Summorum Pontificum, quas in fronte Breviarii Romani reperiuntur, Sacrorum Rituum Congregationi supplicatum fuit declarari utrum etiamnum servari deberent recensitae Constitutiones Pontificiae, et an transgressores poenas inibi inflictas incurrerent? » Praesertim ex eo, quod

 

(1)  Cod. Oth. dimittat.

(2)  Cod. Oth. vero.

(3)  Cod. Oth. addidimus.

(4)  Cod. Oth. quoque.

 

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in praesentiarum nullus supersit dubitandi locus, quin emendata exemplaria prae oculis in cusione habita sint, eo vel magis quod non parum torquerentur conscientias tum eorum, qui lucrum ex Liturgicorum Librorum venditione percipiunt, tum Ecclesiasticorum, qui illis uti debent, quum nullibi reperiantur hisce attestationibus muniti, proptereaque demum concedi, ut sine ulla dubitatione quis horum Librorum usum sibi permitti valeret.

Et Sacra eadem Congregatio in ordinario cœtu ad Vaticanum, sub die 7 Aprilis anno 1832, coadunata, audita relatione ab me infrascripto Secretario facta, omnibus mature perpensis accurateque consideratis, rescribendum esse censuit, ac declarandum : Pontificias Constitutiones in suo robore permanere, et abusum non esse tolerandum. Hujusmodi Declarationi minime acquiescentes, qui primitus supplicarunt, et probe quum intelligant contra legem latam non esse aliquo conatu pugnandum, iterum tamen institerunt, quo traderetur modus et forma quoad usum eorumdem Librorum, quin inflictas pœnas ulla ratione quis in se convertat. Hisce precibus similiter ut supra relatis in altera Ordinaria Congregatione ad Vaticanum pariter sub die 16 Martii 1833, coacta, Eminentissimi Patres Sacris Ritibus tuendis praepositi salius duxerunt super re judicium differre. Coadunata demum apud Vaticanas Aedes juxta morem eadem Sacrorum Rituum Ordinaria Congregatio, in eaque jam tertio audita relatione ab me infrascripto Secretario facta, omnibus accurate libratis, rescribendum ac decernendum censuit : Detur generale decretum juxta mentem.

Mens est, ut Ordinarii Locorum pro suo munere invigilent, ut denuo non cudantur supradicti Liturgici Libri sine Attestatione a Pontificiis Constitutionibus praescripta, et quoad illos qui hujusmodi Attestatione destituuntur et ab anno praesertim 1788 ac deinceps cusi fuere, aliquod exemplar ex supradictis examini probatae personas Ecclesiasticœ subjiciant, quae illud conferat cum iis qui in Urbe juxta morem sunt impressi (exceptis tum Breviario anno 1828 typis Contedini, ac Missali anno 1826 praelo de Romanis cusis, in quibus non nulla menda irrepserunt), acceptaque fideli relatione revisoris, quando illud adamussim concordare cum praedictis inveniatur, suo clero declarent ipsi Ordinarii Breviaria, Missalia, etc., illius impressionis perfecta esse, adeo ut illis licite et sine ulla dubitatione uti quis valeat.

Ad prœcludendam demum omnem viam dubitationis tradendamque ipsis Ordinariis certam regulam, Typographi Romani deinceps ante impressionem horum Librorum teneantur veniam a Sacra Congregatione impetrare, illiusque revisioni subjicere, et Attestatione ejusdem Secretarii munire. Atque ita declaravit, ac servari mandavit. Die 26 Aprilis 1834.

 

 

 

 

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