DU MARIAGE

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DU MARIAGE ET DE LA CONCUPISCENCE.

 

DU MARIAGE ET DE LA CONCUPISCENCE.

Lettre au comte Valère.

LIVRE PREMIER. L’HONNEUR DU MARIAGE.

CHAPITRE PREMIER. SUJET DU LIVRE.

CHAPITRE II. POURQUOI CET OUVRAGE ADRESSÉ A VALÈRE.

CHAPITRE III. LA PUDEUR CONJUGALE EST UN DON DE DIEU.

CHAPITRE IV. LA BONTÉ NATURELLE DU MARIAGE.

CHAPITRE V. L'ANATHÈME PORTÉ CONTRE LA VOLUPTÉ NE CONDAMNE POINT LE MARIAGE.

CHAPITRE VI. L'HOMME JUSTEMENT PUNI PAR LA DÉSOBÉISSANCE DE SA CHAIR.

CHAPITRE VII. LE MAL DE LA CONCUPISCENCE NE DÉTRUIT PAS LA BONTÉ DU MARIAGE.

CHAPITRE VIII. QUE LA CONCUPISCENCE DANS LE MARIAGE SOIT L'OEUVRE, NON PAS DE LA VOLONTÉ, MAIS DE LA NÉCESSITÉ.

CHAPITRE IX. POURQUOI PLUSIEURS FEMMES ACCORDÉES A UN SEUL HOMME, ET JAMAIS PLUSIEURS HOMMES ACCORDÉS A UNE SEULE FEMME.

CHAPITRE X. INDISSOLUBILITÉ DU MARIAGE.

CHAPITRE XI. LE VOEU RÉCIPROQUE DE CONTINENCE NE DISSOUT PAS LE MARIAGE.

CHAPITRE XII. CE QUI NAÎT DE L'HOMME ET DE LA FEMME EST UNE CHAIR DE PÉCHÉ.

CHAPITRE XIII. LE MARIAGE AVANT JÉSUS-CHRIST; LA CONTINENCE DEPUIS JÉSUS-CHRIST.

CHAPITRE XIV. ON DOIT TOLÉRER DANS LES ÉPOUX UNE CERTAINE INTEMPÉRANCE.

CHAPITRE XV. DANS L'USAGE DU MARIAGE, OU EST LA FAUTE, LA FAUTE VÉNIELLE, LA FAUTE MORTELLE.

CHAPITRE XVI. L'INCONTINENCE DOIT CHERCHER UN REMÈDE DANS LE MARIAGE.

CHAPITRE XVII. LES BIENS PROPRES AU MARIAGE.

CHAPITRE XVIII. D'UN SAINT MARIAGE COMMENT PEUVENT NAÎTRE DES ENFANTS DE COLÈRE.

CHAPITRE XIX. LES ENFANTS PÉCHEURS NAISSENT DE PARENTS JUSTES, COMME L'OLIVIER SAUVAGE NAÎT DE L'OLIVIER FRANC.

CHAPITRE XX. LES ENFANTS NON-BAPTISÉS SONT SOUS L’EMPIRE DU DÉMON.

CHAPITRE XXI. LES BIENS DU MARIAGE NE SONT PAS LE PRINCIPE DU PÉCHÉ.

CHAPITRE XXII. LA PASSION ET LA HONTE, FRUITS DU PÉCHÉ.

CHAPITRE XXIII. DANS LES HOMMES RÉGÉNÉRÉS LA CONCUPISCENCE N'EST POINT UN PÉCHÉ, QUAND ELLE N'EST NI VOULUE NI CONSENTIE.

CHAPITRE XXIV. LE PÉCHÉ ORIGINEL TRANSMIS PAR LA CONCUPISCENCE.

CHAPITRE XXV. LA CONCUPISCENCE APRÈS LE BAPTÊME, C'EST LA LANGUEUR APRÈS UNE MALADIE.

CHAPITRE XXVI. COMMENT, DANS LES CHRÉTIENS BAPTISÉS, LA CONCUPISCENCE RESTE UN ACTE, MAIS NON UNE SOUILLURE.

CHAPITRE XXVII. DÉSIRS CRIMINELS DE LA CONCUPISCENCE.

CHAPITRE XXVIII. QUI PEUT DIRE : CE N'EST PAS MOI QUI FAIS CELA?

CHAPITRE XXIX. QUAND LE BIEN EST-IL PARFAIT ?

CHAPITRE XXX. COMMENT LA CONCUPISCENCE CAPTIVAIT L'APÔTRE.

CHAPITRE XXXI. LA CHAIR SIGNIFIE L'AFFECTION DE LA CHAIR.

CHAPITRE XXXII. LA LOI DU PÉCHÉ, AVEC LA CULPABILITÉ QUI EN RÉSULTE POUR LES ENFANTS NON BAPTISÉS.

CHAPITRE XXXIII. TOUTE RÉMISSION DES PÉCHÉS ET TOUTE GUÉRISON PARFAITE AU MOMENT DE LA RÉSURRECTION, DOIVENT ÊTRE ATTRIBUÉES AU BAPTÊME.

CHAPITRE XXXIV. LA SAINTETÉ DU BAPTÊME EST LE REMÈDE NON-SEULEMENT AU PÉCHÉ, MAIS ENCORE A TOUS LES MAUX.

CHAPITRE XXXV. LES PÉLAGIENS RÉFUTÉS PAR SAINT AMBROISE.

LIVRE DEUXIÈME. RÉFUTATION DE JULIEN.

 

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Lettre au comte Valère.

 

Augustin à son illustre et éminent seigneur Valère, son très-cher fils en Jésus-Christ, salut dans le Seigneur.

 

1. Je me plaignais de vous avoir écrit plusieurs fois sans avoir reçu aucune réponse de Votre Grandeur, quand trois lettres de Votre Bonté me sont parvenues en très-peu de temps. L'une, qui n'est pas pour moi seul, m'a été remise par Vindémial, mon collègue dans l'épiscopat; les deux autres m'ont été présentées peu de temps après par Firmus, mon frère dans le sacerdoce. Firmus est un saint homme qui m'est étroitement uni, comme il a pu vous l'apprendre. Il m'a beaucoup parlé de vous, et m'a fait comprendre combien vous êtes avancé dans l'amour de Jésus-Christ. Ses entretiens avec aloi m'en ont plus appris sur votre personne, que la lettre apportée par Vindémial, et les deux autres apportées par Firmus lui-même ; plus même que n'auraient pu m'en dire toutes ces lettres que je me plaignais de ne pas avoir reçues. Ce qu'il me disait de vous m'était d'autant plus doux qu'il m'apprenait ce que vous n'auriez pas pu me révéler, lors même que je. vous aurais interrogé à cet égard; car vous n'auriez pu le faire sans devenir le prédicateur de vos propres louanges, ce que la sainte Ecriture nous défend. Mais j'omets aussi de vous écrire sur ce sujet, de crainte d'être soupçonné de flatterie, ô mon illustre et excellent seigneur, et mon très cher fils dans l'amour du Christ !

2. Voyez quel plaisir et quelle joie j'ai dû éprouver à entendre vos-louanges dans le Christ, ou plutôt les louanges du Christ dans votre personne, et à les entendre de la bouche d'un homme trop vrai pour me tromper et trop votre ami pour ne pas vous connaître ! Je savais déjà sur vous, par d'autres témoignages, bien des choses qui n'étaient cependant, ni aussi complètes, ni aussi certaines. Je n'ignorais pas combien votre foi est pure et catholique, avec quelle piété vous attendez les biens futurs, combien vous aimez Dieu et vos frères, combien vous êtes éloigné de tout orgueil dans les fonctions les plus hautes, ne mettant point votre espérance dans les richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant; combien vous êtes riche en bonnes oeuvres, combien votre maison est le repos, la consolation des saints et la terreur des méchants; avec quels soins vous empêchez que les anciens ou les nouveaux ennemis du Christ, se couvrant du voile de son nom, ne dressent des piéges à ses membres, et comment, tout en détestant l'erreur, vous cherchez le salut de ces mêmes ennemis. Voilà ce que j'entends habituellement dire de vous ; mais maintenant j'en suis bien plus assuré, et j'en sais bien davantage, grâce aux récits de notre frère Firmus.

3. Et de qui donc, si ce n'est d'un intime ami connaissant à fond votre vie, aurais-je appris cette pudicité conjugale que nous pouvons louer et aimons en vous ? Il m'est doux de m'entretenir familièrement et longuement avec vous de ce bien spirituel qui est l'ornement de votre vie et un don de Dieu. Je sais que je ne vous fatigue pas quand je vous envoie quelque oeuvre de moi un peu étendue, et quand une lecture prolongée vous fait rester longtemps avec moi. Je n'ignore pas qu'au milieu de tous les soins qui remplissent vos jours, vous lisez aisément et volontiers, et que vous aimez beaucoup mes ouvrages, ceux mêmes qui sont adressés à d'autres, lorsqu'ils viennent à tomber entre vos mains. Combien dois-je espérer que vous lirez avec plus d'attention, et que vous aimerez davantage encore un livre écrit pour vous, et où je vous parle comme si vous étiez présent ! Passez donc de cette lettre à l'ouvrage que je vous envoie, et qui, dès son début, apprendra plus convenablement à Votre Révérence pourquoi il a été écrit, et pourquoi c'est à vous principalement que je l'adresse.

 

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LIVRE PREMIER. L’HONNEUR DU MARIAGE.

 

Dans ce livre Augustin établit avec force et netteté le dogme du péché originel et la sainteté du mariage, qui change en quelque chose de bon le mal de la concupiscence. La gloire du mariage, c'est de faire servir aux vues providentielles les désirs de la chair, si contraires aux désirs de l'esprit. L'évêque d'Hippone fait ressortir la beauté morale de cette union que la stérilité elle-même ne doit pas dissoudre.

 

CHAPITRE PREMIER. SUJET DU LIVRE.

 

1. Bien-aimé fils, de nouveaux hérétiques, aux yeux desquels la grâce de Jésus-Christ pour la rémission des péchés ne paraît aucunement nécessaire aux enfants qui viennent de naître, rions accusent de condamner le mariage, ainsi que l'action créatrice que Dieu exerce par l'intermédiaire de l'homme et de la femme dans la formation des enfants. Ils fondent cette accusation sur la doctrine de la transmission du péché originel, telle que nous la formulons hautement, d'après ces paroles de l'Apôtre : «Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort parle péché; c'est ainsi que la mort est passée dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (1)». Comme conséquence de cette doctrine, nous affirmons sans hésiter que, par le fait même de leur naissance, tous les enfants sont soumis à l'esclavage du démon jusqu'à ce qu'ils renaissent en Jésus-Christ, car ce n'est que par sa grâce qu'ils sont soustraits à la puissance des ténèbres, et qu'ils acquièrent des droits au royaume de Celui qui a voulu naître comme la fleur immaculée d'une virginité sans tache (2). Telle est notre doctrine, contenue dans la règle la plus ancienne et la plus inébranlable de la foi catholique. Et c'est à son occasion que ces novateurs, ces .fauteurs de dogmes mensongers et pervers, ne trouvant dans les enfants aucun péché qui ait besoin d'être purifié dans le bain de la régénération, nous accusent de condamner le mariage, et de soutenir que les enfants qui en naissent ne sont pas l'oeuvre de Dieu, mais l'oeuvre du démon. Se peut-il une calomnie plus grossière et plus ignorante? Ils ne comprennent donc pas que le mariage peut rester ban en lui-même, quoiqu'il ait pour conséquence la transmission du péché originel; eh! prétendraient-ils justifier

 

1. Rom. V, 12. — 2. Coloss. I, 13.

 

le crime de l'adultère et de la fornication, sous prétexte qu'il en résulte un bien naturel, l'enfant qui en est le fruit? Le péché, peu importe de quelle manière il soit contracté par les enfants, est évidemment l'oeuvre du démon; de même, de quelque manière que naisse l'homme, il est toujours l’oeuvre de Dieu. En écrivant ce livre, j'ai donc pour but, autant que Dieu voudra bien m'en donner la grâce, d'établir une distinction essentielle entre le mal de la concupiscence, source et principe du péché originel pour l'enfant qui y prend naissance, et la bonté du mariage en lui-même. Si l'homme n'avait pas péché, jamais cette honteuse concupiscence, effrontément louée par ces novateurs téméraires, n'aurait existé; d'un autre côté, lors même que le péché n'aurait pas été commis, le mariage aurait existé; tout aurait été vie dans la génération des enfants, tandis que maintenant rien de semblable ne saurait se faire dans ce corps de mort (1).

 

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CHAPITRE II. POURQUOI CET OUVRAGE ADRESSÉ A VALÈRE.

 

2. Trois motifs principaux, que j'énumérerai brièvement, m'ont déterminé à vous adresser cet ouvrage, de préférence à tout autre. D'abord parce que, docile à la grâce de Jésus-Christ, vous vous êtes fait le rigoureux observateur de la pudeur conjugale. Ensuite parce que vous avez déployé toute votre puissance pour résister à ces nouvelles doctrines, que nous ne cessons de réfuter par nos paroles et par nos écrits. Enfin, parce que j'ai appris que vous aviez entre les mains quelques feuilles écrites par eux sur la matière qui nous occupe. Sans doute vous avez, couvert d'un immense ridicule ces productions insensées, mais il est toujours bon d'affermir notre foi en la justifiant de toutes les attaques soulevées contre elle. Est-ce que l'apôtre saint Pierre ne nous

 

1. Rom. VII, 24.

 

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fait pas un commandement de nous tenir toujours prêts à rendre raison de notre foi et de notre espérance (1) ? L'Apôtre saint Paul ne nous dit-il pas : « Que votre discours soit toujours accompagné d'une douceur édifiante, et assaisonné du sel de la sagesse, afin que vous sachiez comment vous devez répondre à chaque personne (2)». Tels sont les motifs qui m'ont déterminé à vous offrir, dans cet ouvrage, les réflexions que Dieu voudra bien m'inspirer. A homme aussi illustre, d'un rang aussi élevé, d'une dignité aussi grande, qu'il honore encore par l'activité de sa vie et par ses travaux publics et militaires, je ne me serais jamais permis d'offrir à lire aucun de mes opuscules ; agir autrement m'eût paru, non pas du zèle, mais de la témérité. Aujourd'hui j'ai cru pouvoir céder aux motifs énumérés plus haut; veuillez me pardonner cette hardiesse, et honorer de votre attention les développements qui vont suivre.

 

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CHAPITRE III. LA PUDEUR CONJUGALE EST UN DON DE DIEU.

 

3. L'Apôtre saint Paul nous enseigne en ces termes que la pudeur conjugale est un don de Dieu: «Je voudrais que tous les hommes  fussent comme moi, mais chacun a son don  particulier, selon qu'il le reçoit de Dieu,  l'un d'une manière, et l'autre d'une autre  manière (3) ». N'est-ce pas dire clairement que le mariage est un don de Dieu ? Sans doute la pudeur conjugale est d'un rang inférieur à la continence qu'il souhaitait à tous les hommes, comme il la possédait lui-même, mais elle n'en est pas moins un don de Dieu. Seulement l'Apôtre veut nous faire bien comprendre que, dans l'un et l'autre cas, nous avons besoin d'apporter le concours de notre propre volonté. D'un autre côté, il nous montre que c'est à Dieu que nous devons demander ces dons, quand nous ne les possédons pas; et c'est à lui que nous devons rendre grâces quand nous les possédons. Enfin, qu'il s'agisse, soit de demander ces dons, soit de les mettre en pratique, soit de les conserver, notre volonté par elle-même en est incapable, et il lui faut absolument la grâce de Dieu.

4. Mais que disons-nous donc, puisque certains impies eux-mêmes pratiquent la pudeur conjugale ? Dira-t-on qu'ils pèchent

 

1. I Pierre, III, 15. — 2. Coloss. IV, 6. — 3. I Cor. VII, 7.

 

même sur ce point, puisqu'ils font un mauvais usage du don de Dieu, par cela seul qu'ils ne font pas servir ce don à la gloire de son auteur ? Ou bien faut-il admettre que les qualités que l'on rencontre dans les infidèles ne doivent pas être regardées comme des dons de Dieu, puisque l'Apôtre a dit: « Tout ce qui  ne se fait point selon la foi est péché (1) ? » Or, qui oserait dire qu'un don de Dieu est un péché? Même dans les pécheurs on doit regarder comme dons de Dieu l'âme, le corps et tous les biens naturels de l'âme et du corps, puisque tous ces biens sont l'oeuvre de Dieu et non pas celle des pécheurs. Quant à ces paroles: « Ce qui ne se fait point selon la foi  est péché», elles ne s'appliquent qu'aux oeuvres mêmes des pécheurs. Par conséquent, lorsque ce n'est point selon la foi que les hommes se montrent extérieurement fidèles à la pudeur conjugale, soit qu'ils cherchent à plaire aux hommes, à eux-mêmes ou à d'autres, soit qu'ils résistent à la concupiscence mauvaise pour s'en épargner les conséquences fâcheuses, ou pour obéir aux démons, au lieu d'étouffer en eux le règne du péché, ils ne font que vaincre certains péchés par des péchés d'une espèce différente. Gardons-nous donc de regarder comme véritablement pudique celui qui ne trouve pas en. Dieu le motif principal pour lequel il garde la fidélité conjugale à son épouse.

 

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CHAPITRE IV. LA BONTÉ NATURELLE DU MARIAGE.

 

5. Ce qui constitue la bonté naturelle du mariage, c'est l'union de l'homme et de la femme dans le but d'avoir des enfants; mais c'est faire un mauvais usage de ce bien naturel que de s'y livrer bestialement, c'est-à-dire uniquement pour satisfaire la passion voluptueuse et non pas pour se créer une postérité. Parmi les animaux eux-mêmes, n'en trouve-t-on pas pour.qui l'union des deux sexes semble avoir pour but la multiplication de l'espèce plutôt que la satisfaction du plaisir? tels sont, par exemple, la plupart des oiseaux. Ne dirait-on pas qu'il existe entre eux une sorte de contrat qui oblige le couple tout entier à travailler simultanément à la construction du nid, à couver successivement les oeufs, et à nourrir les petits? Quand donc l'animal cherche avant tout la multiplication de l'espèce, il se rapproche de

 

1. Rom. XIV, 23.

 

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l'homme, et quand l'homme se propose avant tout de satisfaire sa volupté, il se rapproche de l'animal. J'ai dit qu'il est dans la nature du mariage d'unir l'homme et la femme en vue de la génération, et de les rendre fidèles l'un à l'autre, car tout contrat suppose naturellement la fidélité réciproque des contractants. A ce point de vue le mariage est bon, même dans les infidèles; mais comme ils n'en usent pas selon la foi, le mariage devient pour eux un mal et un péché. Au contraire, pour les fidèles qui en font un saint usage, le mariage devient un moyen de sanctifier cette concupiscence de la chair qui convoite contre l'esprit (1).Ce qu'ils se proposent c'est d'engendrer des enfants pour les faire jouir de la régénération spirituelle, de sorte que ces enfants, qui n'étaient que des enfants du siècle, renaissent enfants de Dieu. Dès lors, si la génération n'a pas pour but de transformer en membres de Jésus-Christ des enfants qui par eux-mêmes étaient les membres du premier homme; si des parents infidèles se glorifient de leur postérité infidèle, lors même que ces parents n'useraient d u mariage qu'avec l'intention de se créer une postérité, il serait faux de dire qu'ils possèdent la véritable pudeur conjugale. En effet, cette pudeur est une vertu qui a pour vice contraire l'impudicité, et qui, semblable à toutes les autres vertus, doit habiter dans l'âme avant de se manifester par les oeuvres du corps. Comment donc peut-on dire d'un corps qu'il est pudique, quand l'âme est coupable de fornication à l'égard du vrai Dieu? Cette fornication est hautement flétrie dans ces paroles du psaume : « Voici que ceux qui s'éloignent de  vous périront; vous avez fait périr quiconque s'est rendu fornicateur contre vous (2) ». Dès lors, que ce soit dans le mariage, le veuvage ou la virginité, il n'y a de pudeur véritable que celle qui s'inspire de la vraie foi. N'est-il pas certain que la virginité sacrée est supérieure au mariage? Eh bien ! tout chrétien, vraiment digne de ce nom, n'hésitera pas un instant à admettre la supériorité de la femme catholique, non-seulement sur les vestales, mais encore sur les vierges hérétiques. Tant est grande la puissance de la foi, dont l'Apôtre a dit : « Ce qui  ne se fait pas selon la foi est péché (3) », «Sans  la foi il est impossible de plaire à Dieu (4) ».

 

1. Gal. V, 17. — 2. Ps. LXXII, 27. — 3. Rom. XIV, 23. — 4. Héb. XI, 6.

 

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CHAPITRE V. L'ANATHÈME PORTÉ CONTRE LA VOLUPTÉ NE CONDAMNE POINT LE MARIAGE.

 

6. De là je conclus l'erreur profonde de ceux qui voudraient faire retomber sur le mariage lui-même le blâme et la condamnation que mérite la passion charnelle, comme si cette passion avait pour principe le mariage lui-même, et, non pas exclusivement le péché. Ces premiers époux dont Dieu a béni l'union par ces paroles : « Croissez et multipliez vous (1)», n'étaient-ils pas nus, et cependant ils ne rougissaient pas de leur état? D'où vient donc cette confusion qui les saisit à la vue de leurs membres, aussitôt après le péché, si ce n'est de ce mouvement honteux que le mariage lui-même n'aurait pas connu sans le péché ? Avec certains ignorants quine comprennent pas ce qu'ils lisent, dira-t-on que nos premiers parents étaient sortis aveugles des mains du Créateur, comme les petits chiens sortent du ventre de leur mère ? Dira-t-on, ce qui serait plus absurde encore, que le premier homme et la première femme ont trouvé la vue en péchant, comme les petits chiens en grandissant? De telles absurdités se réfutent d'elles-mêmes, quoique on ait voulu leur donner pour appui ces paroles de l'Ecriture : « La femme prit du fruit, en  mangea, en donna à son mari qui en mangea également, et leurs yeux s'ouvrirent et  ils connurent leur nudité (2) ». Et sur ces paroles, des hommes peu intelligents concluent que nos premiers parents avaient nécessairement les yeux fermés, puisque l'Ecriture nous apprend qu'ils les ouvrirent après la manducation du fruit défendu. Agar, la servante de Sara, avait-elle donc aussi les yeux fermés, puisque nous lisons que, touchée de la soif et des larmes de son fils, elle ouvrit les yeux et aperçut une source (3)? De même, après la résurrection du Sauveur, les deux disciples qui se rendaient à Emmaüs marchaient donc les yeux fermés, puisque nous lisons dans l'Ecriture que  « leurs yeux s’ouvrirent à la fraction du pain, et qu'ils reconnurent Jésus-Christ? » Oui, sans doute, il est dit de nos premiers parents que leurs yeux s'ouvrirent; mais ces paroles signifient uniquement que leur attention fut appelée et attirée sur quelque chose de nouveau qui

 

1. Gen. I, 28. — 2. Id. III, 6, 7. — 3. Id. XXI, 19.

 

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se passait dans leur corps, tandis que jusqu'alors tous leurs membres leur étaient parfaitement soumis, quoiqu'ils eussent pleine et entière connaissance de leur nudité. Si leurs yeux n'avaient pas été ouverts, comment donc Adam aurait-il pu donner un nom particulier à chacune des espèces des animaux et des oiseaux? Ce nom ne prouve-t-il pas qu'il les distinguait parfaitement ? et pouvait-il les distinguer s'il ne les voyait pas ? Comment enfin peut-il être dit que la femme lui fut montrée, et qu'il s'écria: « C'est là l'os     de mes os et la chair de ma chair (1)? » Supposons même que l'on pousse la chicane jusqu'à soutenir que ce n'est point par la vue, mais par le toucher qu'Adam distinguait les objets placés devant lui; comment alors l'Écriture peut-elle nous dire que la femme vit l'arbre sur lequel elle devait cueillir le fruit défendu, et qu'elle le trouva charmant à la vue (2) ? Si donc  « ils  étaient nus et n'en rougissaient pas (3) », ce n'est point parce qu'ils ne voyaient pas, mais parce que rien dans leurs membres qu'ils voyaient ne leur faisait éprouver d'impression dont ils eussent à rougir. On ne dit pas : « Ils étaient nus tous deux », et ils ignoraient, mais : « Ils ne rougissaient pas ». Comme ils n'avaient encore transgressé aucune défense, aucune honte ne s'était fait sentir dans leur corps.

 

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CHAPITRE VI. L'HOMME JUSTEMENT PUNI PAR LA DÉSOBÉISSANCE DE SA CHAIR.

 

7. Dès que l'homme eut transgressé la loi de Dieu, il sentit dans ses membres une autre loi qui se révoltait contre son esprit, et il comprit les suites fâcheuses de sa désobéissance quand il se vit justement en butte à la révolte de sa chair. Le serpent, du reste, pour mieux le séduire, lui avait promis que ses yeux s'ouvriraient et qu'il connaîtrait ce qu'il lui eût été plus avantageux d'ignorer toujours. C'est alors que l'homme sentit en lui-même ce qu'il avait fait, et il put distinguer le mal d'avec le bien, non pas en restant étranger au mal, mais en le subissant dans toutes ses conséquences. N'eût-ce pas été une injustice, que celui qui avait refusé d'obéir à son Dieu fût lui-même obéi par son esclave, c'est-à-dire par son corps? Quand

 

1. Gen. II, 23. — 2. Id. III, 6. — 3. Id. II, 25.

 

il ne s'agit que des yeux, des lèvres, de la langue, des mains, des pieds, des inflexions du dos, de la tête et des reins, pourvu que le corps soit libre de toute entrave ou de toute maladie, l'homme est parfaitement le maître de disposer de sa propre personne. S'agit-il au contraire des membres générateurs, il éprouve en lui-même une révolte continuelle ; souvent ce qu'il voudrait il ne le fait pas, et ce qu'il ne voudrait pas il le fait. Comment donc ne pas rougir de honte quand, pour avoir désobéi à son Dieu, il se voit dépouillé de l'empire qu'il exerçait sur ses propres membres? Pour montrer que, par le fait de la désobéissance, la nature humaine se trouvait entièrement dépravée, quel moyen plus efficace que de jeter la révolte dans les membres qui servent à la propagation de cette nature elle-même ? N'est-ce pas pour cette raison que ces membres se désignent encore sous le simple nom de membres de nature? Quand donc nos premiers parents. eurent éprouvé dans leur chair ce mouvement qui n'était honteux que parce qu'il était désobéissant; quand leur nudité les eut fait rougir, ils se couvrirent d'une ceinture de feuillage (1), afin de prouver que du moins ils étaient maîtres de voiler ce qu'ils n'étaient pas maîtres d'empêcher, et de rétablir la décence en cachant ce qui les faisait rougir.

 

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CHAPITRE VII. LE MAL DE LA CONCUPISCENCE NE DÉTRUIT PAS LA BONTÉ DU MARIAGE.

 

8. Comme le mariage est resté légitime, malgré cette intervention du mal, des imprudents pensent que ces mouvements désordonnés de la concupiscence sont parties intégrantes du bien même du mariage. Or, sans être doué d'une grande subtilité, il suffit du bon sens le plus vulgaire pour comprendre que le mariage, dans sa nature, est aujourd'hui ce qu'il était dans nos premiers parents. En tant qu'il est le moyen établi par Dieu pour continuer et propager la société, le mariage est bon en lui-même; ce qui est mal dans le mariage, c'est uniquement ce qui vient de la concupiscence, ce qui cherche à se soustraire aux regards et à rester dans le secret le plus profond. Toutefois, ce mal lui-même, le mariage le tourne en bien, et c'est là

 

1. Gen. III, 7.

 

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sa gloire, quoiqu'il rougisse de ne pouvoir exister sans ce mal. Quand un boiteux se met en marche pour parvenir à un but légitime, cette marche, quoique défectueuse en elle-même, ne rend pas mauvaise la fin obtenue, comme aussi la bonté de cette fin n'a pas la vertu de rendre belle une marche par elle-même défectueuse. Appliquant cet exemple au mariage, nous disons que la concupiscence qui en est inséparable ne saurait le rendre intrinsèquement mauvais, comme aussi la bonté intrinsèque du mariage ne justifie pas à nos yeux la concupiscence.

 

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CHAPITRE VIII. QUE LA CONCUPISCENCE DANS LE MARIAGE SOIT L'OEUVRE, NON PAS DE LA VOLONTÉ, MAIS DE LA NÉCESSITÉ.

 

9. Parlant de cette maladie de la concupiscence, l'Apôtre disait aux fidèles engagés dans le mariage : « La volonté de Dieu est  que vous soyez saints et que vous vous absteniez de la fornication ; que chacun de vous  sache posséder le vase de son corps saintement et honnêtement, et non point en suivant les mouvements de la concupiscence,  comme font les Gentils qui ne connaissent  point Dieu (1) ». En conséquence, non-seulement les époux chrétiens ont horreur de l'adultère, mais ils doivent pour eux-mêmes apporter un frein à la maladie de la concupiscence charnelle. Non, sans doute, l'Apôtre ne défend pas les relations conjugales renfermées dans les bornes du droit et de l'honnêteté ; mais, se souvenant que la concupiscence serait restée étrangère au mariage, si par son péché l'homme n'avait pas perdu l'empire sur les membres de son corps, saint Paul demande que les mouvements de cette concupiscence soient l'oeuvre, non pas de la volonté, mais de la nécessité, puisque sans la concupiscente la volonté elle-même ne saurait suffire à la génération des enfants. Quant à la direction même à donner à la volonté des époux chrétiens, elle ne doit pas s'arrêter à la naissance purement temporelle, mais aller jusqu'à la régénération en Jésus Christ. Si donc la génération s'opère, le mariage aura obtenu sa récompense; si elle ne s'opère pas, la volonté bonne dont les époux out fait preuve sera pour eux le gage de la paix et du

 

1. I Thess. IV, 3, 5.

 

bonheur. Celui qui considère à ce point de vue son épouse, n'est point en proie à la maladie de la concupiscence, comme les Gentils qui ne connaissent point Dieu, mais il possède le vase de son corps saintement et honnêtement, comme un véritable chrétien qui place en Dieu toute son espérance. En effet, l'homme use du mal de la concupiscence, mais il n'est pas vaincu par lui, puisqu'il réprime et en. chaîne cette concupiscence dans ses élans les plus impétueux et les plus désordonnés; s'il cède quelquefois et se sert de la concupiscence, c'est dans le but de régénérer spirituellement ceux qu'il engendre charnellement, et jamais pour soumettre l'esprit au honteux esclavage de la chair et des sens. Prenons pour exemple les saints patriarches qui ont vécu depuis et avant Abraham ; nous savons que Dieu a déclaré formellement que ces hommes étaient agréables à son coeur, et cependant nous ne pouvons douter qu'ils aient usé du mariage, surtout qu'il leur avait été permis d'avoir en même temps plusieurs femmes, dans le but unique, non pas de varier leur volupté, mais de multiplier leur postérité.

 

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CHAPITRE IX. POURQUOI PLUSIEURS FEMMES ACCORDÉES A UN SEUL HOMME, ET JAMAIS PLUSIEURS HOMMES ACCORDÉS A UNE SEULE FEMME.

 

10. Si le Dieu de nos pères, qui est aussi le nôtre, avait approuvé la pluralité des femmes, en tant que cette pluralité était un moyen de satisfaire et de varier la concupiscence, n'aurait-il pas permis, pour la même raison, la pluralité des hommes pour un e même femme? Et pourtant, si telle femme en était là, ne l'accuserait-on pas de toutes les hontes de la concupiscence, puisque cette pluralité d'hommes ne pourrait rien ajouter à sa fécondité? Toutefois, ce qui constitue la bonté propre du mariage, ce n'est pas la pluralité des femmes pour un seul mari, mais l'unité d'homme et de femme; c'est là ce qui nous est clairement révélé dans le premier mariage formé par Dieu lui-même, et laissé aux hommes comme le plus beau modèle qu'ils puissent imiter. Dans la suite, cependant, parmi les patriarches en particulier, la pluralité des femmes fut admise, même dans les familles les plus saintes. C'était une concession faite en vue d'une plus grande fécondité, tandis que le (703) premier mariage était l'expression la plus haute de la modestie dans la dignité. En effet, n'est-il pas plus naturel de voir plusieurs sujets obéir à un seul chef, plutôt que de voir plusieurs chefs commander un seul sujet? De même ce serait renverser l'ordre de la nature que de supposer que c'est aux femmes de commander à leurs maris, et non pas aux hommes de commander à leurs femmes. Cet ordre est clairement enseigné par l'Apôtre : « L'homme est le chef de la femme (1) »; « Femmes, soyez soumises à vos maris (2)» ; saint Pierre nous dit également que « Sara obéissait à Abraham et l'appelait son maître (3) ». Toutefois, quoiqu'il soit parfaitement conforme à la nature qu'il n'y ait qu'un seul chef, et que ce chef commande à plusieurs sujets ; cependant, dès qu'il s'agit du mariage, la pluralité des femmes n'a jamais pu être autorisée que dans le but de hâter la propagation du genre humain. Par conséquent, toute pluralité qui n'aurait pas ce but serait, non pas un mariage, mais une prostitution.

 

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CHAPITRE X. INDISSOLUBILITÉ DU MARIAGE.

 

11. Pour des chrétiens le mariage ne consiste pas seulement dans la fécondité et la fidélité conjugale, mais aussi dans un signe surnaturel que l'Apôtre caractérise en ces termes

« Epoux, aimez vos épouses comme Jésus-Christ a aimé son Eglise (4) ». Ce signe a pour effet nécessaire d'imposer à l'homme et à la femme l'obligation de vivre inséparablement unis, et de ne jamais se séparer, si ce n'est pour cause de fornication (5). Cette union existe entre Jésus-Christ et son Eglise, et jamais aucun divorce ne pourra les séparer. Or, dans la cité de notre Dieu, sur sa sainte montagne (6), c'est-à-dire dans l'Église de Jésus-Christ, cette union des époux est tellement indissoluble, qu'il n'est jamais permis de rompre avec une femme stérile pour épouser une femme féconde, quoique la génération des enfants soit le premier but que des chrétiens, membres de Jésus-Christ, doivent se proposer dans le mariage. Je n'ignore pas que les lois de l'empire autorisent le divorce moyennant certaines formalités, je sais aussi que Moïse avait permis ce divorce aux Israélites

 

1. I Cor. XI, 3. — 2. Coloss. III, 18. — 3. I Pierre, III, 6. — 4. Eph. V, 25. — 5. Matt. V, 32. — 6. Ps. XLVII, 2.

 

à cause de la dureté de leur coeur; mais il en est autrement sous la loi de l'Évangile quiconque quitte sa femme et en épouse une autre est coupable d'adultère; il en est de même pour la femme (1). Tant est puissant le lien qui unit les époux pendant leur vie, que même, après s'être éloignés l'un de l'autre, ils restent plus unis entre eux qu'ils ne le seraient avec d'autres époux qu'ils se seraient adjoints. Pour le prouver, il suffit de rappeler que leur seconde union ne serait qu'un adultère, ce qui suppose que le premier mariage existe dans toute sa rigueur. Mais, quand l'un des deux véritables époux est décédé, l'autre peut contracter un véritable mariage avec le complice de son adultère. Il est donc évident qu'il existe entre les époux, pendant leur vie, un lien conjugal qui ne peut être brisé ni par la séparation ni par l'adultère. Dans ce dernier cas, le lien existe comme un titre au châtiment, et non comme un principe de société et d'alliance; de même, quoique l'âme d'un apostat brise son mariage avec Jésus-Christ et perde la foi, cependant elle ne perd pas le sacrement de la foi qu'elle a reçu dans le bain de la régénération, autrement ce sacrement lui serait rendu quand il revient à résipiscence. Mais non, il le conserve, non pas comme un droit à la récompense, mais comme un nouveau titre au châtiment.

 

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CHAPITRE XI. LE VOEU RÉCIPROQUE DE CONTINENCE NE DISSOUT PAS LE MARIAGE.

 

12. Il peut arriver que deux époux se prennent mutuellement du désir de s'abstenir pour toujours de l'usage de la concupiscence charnelle; et cependant, même dans ce cas, le lien conjugal ne sera pas dissous ; je dirais même qu'il se resserre davantage, par cela seul qu'il a été contracté avec un amour plus pur et plus dégagé des voluptés charnelles. Voilà pourquoi l'Ange a pu dire en toute vérité à Joseph : « Ne craignez pas de prendre Marie pour votre épouse (2) ». Elle était son épouse par le fait même de la foi conjugale, quoique la virginité la plus scrupuleuse n'eût jamais été violée et ne dût jamais l'être. Dès lors cette foi conjugale n'était pas détruite, le nom et la qualité d'épouse restaient dans toute leur intégrité, quoique

 

1. Matt. XIX, 8, 9. — 2. Id. I, 20.

 

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la chair fût restée et dût rester toujours étrangère à ce mariage. Devenant mère, cette Vierge auguste ne devenait-elle pas plus saintement et plus admirablement agréable à son époux, par cela même qu'elle devenait féconde sans le concours de l'homme, et qu'elle devenait mère sans lui, tout en lui restant unie par la fidélité la plus rigoureuse? C'est également en vertu de ce mariage réel que les deux époux méritèrent le doux nom de parents de Jésus-Christ ; non-seulement Marie fut appelée sa mère, mais Joseph lui-même reçut le nom de père de Jésus-Christ et d'époux de la Mère du Sauveur; et il l'était réellement, non point par la chair, mais par l'esprit. D'un autre côté, quoique Joseph ne fût le père de Jésus-Christ que selon l'esprit, tandis que Marie était sa mère tout à la fois selon l'esprit et selon la chair, tous deux, cependant, furent les parents non pas de sa grandeur, mais de son humilité; non pas de sa divinité, mais de sa faiblesse. C'est donc en toute vérité que l'Evangile a pu dire : « Son père et sa mère admiraient ce que l'on  disait de lui » ; et ailleurs : « Ses parents se  rendaient chaque année à Jérusalem »; et encore : « Sa Mère lui dit: mon Fils, que nous  avez-vous donc fait? voici que votre père et  moi nous vous cherchions en pleurant ». Le Sauveur, voulant montrer qu'en dehors de Marie et de Joseph il avait un autre Père, qui l'a engendré sans le concours d'aucune mère, leur répondit : « Pourquoi donc me cherchez vous, ne saviez-vous pas que je dois être  où m'appellent les affaires de mon Père? » Puis, comme s'il eût craint de paraître renier Joseph et Marie pour ses parents, il inspire à l'Evangéliste ce qui suit : « Joseph et Marie  ne comprirent pas la portée de cette parole. « Et Jésus descendit avec eux, alla à Nazareth  et leur était soumis (1) ». A qui donc était-il soumis, si ce n'est à ses parents? Et quel était cet enfant soumis, si ce n'est Jésus-Christ, qui, ayant la forme et la nature de Dieu, n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu? Pourquoi donc était-il soumis à de simples créatures, si ce n'est parce qu'il s'est anéanti lui-même en prenant la forme d'esclave (2), c'est-à-dire la forme de ses parents? Enfin, comme Joseph était resté complètement étranger à la génération de cette forme d'esclave, Joseph et Marie ne pouvaient

 

1. Luc, II, 33, 41, 48-51. — 2. Philipp. II, 6, 7.

 

être regardés comme étant tous deux ses parents, qu'à la condition que tous deux étaient véritablement époux l'un par rapport à l'autre, tout en conservant la virginité la plus intègre. Voilà pourquoi, dans la série des générations que renferme la généalogie de Jésus-Christ, nous voyons apparaître saint Joseph (1). Il le fallait, car c'était un honneur à rendre au sexe masculin ; et d'un autre côté, la vérité n'avait point à en souffrir, puisque Joseph et Marie étaient tous deux de la famille de David, dans laquelle il était annoncé que le Christ prendrait naissance.

13. Donc tous les biens qui constituent la nature du mariage se rencontrent dans le mariage des parents du Sauveur: l'enfant, la fidélité, le lien sacramentel. L'enfant, c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ; la fidélité, car il n'y eut aucun adultère ; le lien sacramentel, car jamais il n'y eut de divorce.

 

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CHAPITRE XII. CE QUI NAÎT DE L'HOMME ET DE LA FEMME EST UNE CHAIR DE PÉCHÉ.

 

Une seule chose ne se trouve pas dans le mariage de Joseph et de Marie, c'est le devoir conjugal, car dans une chair de péché ce devoir ne pouvait être rempli sans cette honteuse concupiscence de la chair qui est le fruit du péché, et en dehors de laquelle a dû vouloir prendre naissance Celui qui devait être sans péché, qui. ne voulait pas même revêtir une chair de péché, tout en acceptant la ressemblance d'une. chair de péché (2). Par là ne voulait-il pas nous enseigner que tout ce qui naît de l'action réciproque de l'homme et de la femme n'est que chair de péché, puisque la seule chair qui n'est pas née du mariage a pu ne pas être une chair de péché? Cependant le devoir conjugal qui s'accomplit en vue de la génération n'est pas un péché, car alors ce qui commande ce n'est pas la volupté charnelle, mais la volonté spirituelle qui, loin de se rendre esclave du péché, dompte la maladie du péché en la faisant servir à la génération. Cette maladie exerce son empire absolu sur les adultères, les fornications et toutes les autres impudicités; mais, dans le mariage légitime, elle reste soumise à la nécessité. Là elle est maîtresse, et la honte d'un tel maître pèse sur chacun de ses

 

1. Matt. I, 16; Luc, III, 23. — 2. Rom. VIII, 3.

 

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esclaves; ici elle n'est plus que la très-humble servante, et sa servitude est la seule chose qui l'honore. Si donc je voulais caractériser la concupiscence, je l'appellerais, non pas le bien du mariage, mais l'obscénité des pécheurs, l'accompagnement nécessaire de la génération, l'ardeur de la lubricité, la honte du mariage. Comment alors oser soutenir qu'on cesse d'être époux dès que l'on cesse volontairement de se connaître? Est-ce que Joseph et Marie ne sont pas restés époux, quoiqu'ils aient conservé la virginité la plus intègre?

 

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CHAPITRE XIII. LE MARIAGE AVANT JÉSUS-CHRIST; LA CONTINENCE DEPUIS JÉSUS-CHRIST.

 

14. De la part des patriarches qui avaient mission d'accroître et de conserver le peuple de Dieu, la propagation des enfants avait une raison d'être fort légitime; aujourd'hui elle n'a plus le caractère d'une nécessité. Depuis Jésus-Christ la mission par excellence c'est de régénérer spirituellement les enfants qui naissent de quelque manière que ce soit au sein de toutes les nations. Ces paroles de l'Ecriture : « Le temps d'embrasser, et le temps de s'abstenir de tout embrassement (1) », nous dépeignent parfaitement ces deux périodes du monde. La première est celle qui a précédé Jésus-Christ; la seconde est celle qui a suivi la venue de Jésus-Christ.

15. L'Apôtre formule en ces termes la même pensée : « Voici donc ce que je vous  dis, mes frères : le temps est court, et ainsi,  que ceux mêmes qui ont des femmes soient a comme n'en ayant point; et ceux qui pleurent, comme ne pleurant point ; ceux qui se  réjouissent, comme ne se réjouissant point; ceux qui achètent, comme ne possédant  point ; enfin, ceux qui usent de ce monde,  comme n'en usant point; car la figure de  ce monde passe. Pour moi, je désire vous  voir dégagés de soins ». J'exposerai brièvement dans quel sens je comprends ces paroles. « Voici ce que je vous dis, mes frères : le temps est court », ce n'est plus le moment de propager le peuple de Dieu par la génération charnelle, mais de le réunir spirituellement par la régénération. « Ainsi, que  ceux mêmes qui ont des femmes soient comme n'en ayant point », qu'ils ne se

 

1. Eccl. III, 5.

 

laissent donc pas subjuguer par la concupiscence charnelle; « que ceux qui pleurent » sur les tristesses du mal présent, se réjouissent par l'espérance du bien futur; « que ceux  qui se réjouissent » sur quelque avantage temporel, soient saisis de crainte à la pensée du jugement éternel; « que ceux qui achètent » possèdent de telle manière que tout en aimant ils ne s'attachent pas; « que ceux  qui usent de ce monde» n'oublient pas que leur vie n'est point un séjour perpétuel, mais un passage. « Car la figure de ce monde  passe. Pour moi, je désire vous voir dégagés de soins » ; c'est-à-dire, je désire que vous attachiez votre coeur aux choses qui ne passent pas. Le même Apôtre ajoute : « Celui qui n'est point marié s'occupe du soin des  choses du Seigneur, et de ce qu'il doit faire  pour plaire au Seigneur; mais celui qui est  marié s'occupe du soin des choses de ce  monde et de ce qu'il doit faire pour plaire  à sa femme (1) ». « Que ceux mêmes qui ont  des femmes soient comme n'en ayant  point », c'est là pour ainsi dire le résumé de tout ce qui précède. En effet, ceux qui, malgré leur mariage, s'occupent du soin des choses de Dieu, de ce qu'ils doivent faire pour plaire au Seigneur, et ne cherchent pas, dans les choses de ce monde, à plaire à leurs femmes, sont réellement comme n'ayant point de femmes. Ce précieux état s'obtient plus facilement quand, de leur côté, les femmes sont telles que ce qui leur plaît dans leurs maris ce n'est ni la richesse, ni la grandeur, ni la noblesse, ni la beauté, mais la fidélité, la religion, la pudeur, la bonté et les vertus.

 

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CHAPITRE XIV. ON DOIT TOLÉRER DANS LES ÉPOUX UNE CERTAINE INTEMPÉRANCE.

 

16. C'est bien toutes ces qualités que l'on doit désirer et louer dans les époux ; cependant on doit tolérer en eux certains abus pour éviter qu'ils ne tombent dans des crimes véritables, comme la fornication ou l'adultère. Dans ce but on doit se montrer très-indulgent pour certaines relations conjugales, inspirées, non pas précisément par le désir des enfants, mais par l'impétuosité de la concupiscence; même dans ce cas les époux se doivent l'un à l'autre, dans la crainte que le démon ne les

 

1. I Cor. VII, 29, 33.

 

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tente par leur intempérance. Toutefois, ce n'est là qu'une indulgente concession, et non un commandement. En effet, voici ce que nous lisons : « Que le mari rende à sa femme ce qu'il lui doit, et la femme ce qu'elle doit  à son mari. Le corps de la femme n'est  point en sa puissance, mais en celle de son  mari ; de même le corps du mari n'est point  en sa puissance, mais en celle de sa femme. Ne vous refusez point l'un à l'autre ce de voir, si ce n'est du consentement de l'un et  de l'autre, pour un temps, afin de vous  exercer à l'oraison ; et ensuite vivez en semble comme auparavant, de peur que la  difficulté que vous éprouvez à garder la  continence ne donne lieu à Satan de vous  tenter. Or, je vous dis ceci par condescendance, et non par commandement (1) ». Puisque le pardon est nécessaire, il y a donc faute. Et s'il y a faute à se connaître, sans aucune intention d'obtenir le but du mariage, c'est-à-dire la génération, sur quoi tombe cette concession octroyée par l'Apôtre, n'est-ce pas sur le droit que prennent les époux de se demander réciproquement le devoir, uniquement pour satisfaire la concupiscence, et sans aucun désir de la postérité ? Or, malgré le mariage, cette volupté reste un péché; seulement, à cause du mariage, elle ne sort pas des limites du péché véniel. C'est donc là encore un des fruits du mariage, d'obtenir le pardon d'actes qui ne se rapportent pas au but du mariage. Remarquons cependant que cette indulgence n'est admise qu'à la condition essentielle que la fin première et naturelle du mariage ne sera pas empêchée dans cette satisfaction accordée à la concupiscence.

 

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CHAPITRE XV. DANS L'USAGE DU MARIAGE, OU EST LA FAUTE, LA FAUTE VÉNIELLE, LA FAUTE MORTELLE.

 

17. Toutefois, autre chose est de n'user du mariage qu'en vue de la postérité, et en cela il ne peut y avoir aucun péché ; autre chose est d'y chercher, mais par un usage légitime, la satisfaction de la volupté, ce qui est un péché véniel. Dans ce dernier cas il est vrai qu'on ne se propose pas directement la génération des enfants, cependant par elle-même la satisfaction de la concupiscence n'y est pas un obstacle ni indirectement par un désir mauvais,

 

1. I Cor. VII, 3-6.

 

ni directement par une action coupable. Ceux qui opposeraient un tel obstacle à la fin naturelle du mariage, tout en portant le nom d'époux, cesseraient de l'être réellement, ne conserveraient plus au mariage aucun de ses caractères, et couvriraient d'un nom honnête les turpitudes les plus honteuses. N'en cite-t-on pas qui en viennent au point d'exposer leurs propres enfants, tant ils ont d'horreur de les voir naître. Ils craignaient de les engendrer, maintenant ils se refusent à les nourrir et à les conserver. Telle est donc la marche suivie par cette effrayante iniquité : dans ses honteuses ténèbres elle se refusa d'abord à la génération; puis, en sévissant contre de malheureuses victimes, elle s'est manifestée dans toute sa laideur et toute sa cruauté. Quelquefois encore cette passion cruelle ou cette cruauté passionnée n'a pas reculé devant le poison pour assurer sa stérilité ; et s'il lui arrive d'être trompée, elle étouffera jusque dans le sein maternel le fruit conçu et le fera mourir avant qu'il ait vécu; ou enfin, s'il vivait déjà, elle le tuera avant de le laisser naître. Si les deux époux en sont là, ce ne sont plus des époux; et si telles ont toujours été leurs dispositions, ce n'est plus par le mariage qu'ils se sont unis, mais par la honte et le libertinage. Si l'un des deux seulement nourrit ces pensées criminelles, ou bien la femme n'est plus que la prostituée de son mari, pu bien le mari n'est plus que l'adultère de sa femme.

 

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CHAPITRE XVI. L'INCONTINENCE DOIT CHERCHER UN REMÈDE DANS LE MARIAGE.

 

18. Le mariage aujourd'hui ne peut plus être ce qu'il était pour nos premiers parents avant le péché ; qu'il soit du moins ce qu'il a été pour les saints patriarches, c'est-à-dire un remède à cette honteuse concupiscence qui n'était point connue dans le paradis terrestre avant le péché, et à laquelle, depuis le péché, il n'est pas permis de s'abandonner. Elle existe nécessairement dans ce corps de mort, mais au lieu de s'en constituer l'esclave, on doit la faire servir à la création des enfants. Je vais plus loin encore ; et, rappelant comme je l'ai dit que nous ne sommes plus à l'époque où le mariage était exigé parla société, je suis autorisé à soutenir que le plus grand besoin (707) qui nous presse ce n'est pas de propager le genre humain, mais de régénérer les nombreux enfants qui naissent au sein de toutes les nations. Le bien par excellence c'est donc celui de la continence et  que « celui qui peut le comprendre le comprenne ». Quant à celui qui ne peut pas le comprendre,  « il ne  pèche pas s'il se marie », et si telle femme  « ne peut pas garder la continence, qu'elle se marie ». Toutefois,  bienheureux l'homme  qui n'a aucun contact avec la femme ». Mais « tous ne comprennent pas cette parole, il n'y a que ceux qui en ont reçu la grâce (1) ». En dehors de ceux-là,  pour éviter la fornication,  que chaque homme vive avec sa femme et a chaque femme avec son mari (2) ». C'est ainsi que le mariage se trouve être le remède honnête pour empêcher la faiblesse de la continence de tomber dans la ruine du péché. En parlant des veuves, l'Apôtre disait : « Je veux  que les plus jeunes se marient » ; on peut dire également des veufs : « Je veux que les plus jeunes se marient, afin que les uns et les autres  se donnent une postérité, deviennent  pères et mères de famille, et ne donnent  aucune occasion au méchant de les faire  tomber dans le mal (3) ».

 

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CHAPITRE XVII. LES BIENS PROPRES AU MARIAGE.

 

19. Ce que l'on doit aimer dans le mariage ce sont les biens qui lui sont propres, c'est-à-dire la famille, la fidélité et le lien sacramentel. Qu'on aime les enfants, non pas seulement pour leur donner naissance, mais surtout pour leur procurer la régénération en Jésus-Christ; car ils naissent pour le châtiment et ils renaissent pour la vie. Quant à la fidélité, je la veux autre que nous ne la trouvons dans les infidèles, dont toutes les pensées sont pour la chair. Quelque impie que soit un homme, voudrait-il voir sa femme adultère ? Quelque impie que soit une femme, voudrait-elle voir son mari adultère? Ce sentiment dans le mariage est un sentiment tout naturel, mais exclusivement charnel. Au contraire, s'agit-il d'un chrétien, il craint l'adultère pour son épouse et non pour lui-même, et c'est de Jésus-Christ seul qu'il attend la récompense de la fidélité qu'il garde à son épouse. Quant au lien sacramentel, non-seulement on ne doit le briser ni par

 

1. Matt. XIX, 12, 11. — 2. I Cor. VII, 2. — 3. I Tim. V, 14.

 

la séparation ni par l'adultère, mais les époux doivent le conserver dans la concorde et dans la chasteté. Lors même que le mariage serait frappé de stérilité, ce lien devrait rester intact quoiqu'on ait vu s'évanouir l'espérance de fécondité en vue de laquelle le mariage avait .été contracté. Tels sont les biens que doit louer dans le mariage celui qui veut faire l'éloge du mariage. Quant à la concupiscence de la chair, elle ne peut pas être imputée au mariage quoiqu'elle doive y être tolérée. Ce n'est point là un bien qui découle du mariage naturel, mais un mal produit par l'ancien péché.

 

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CHAPITRE XVIII. D'UN SAINT MARIAGE COMMENT PEUVENT NAÎTRE DES ENFANTS DE COLÈRE.

 

20. C'est grâce encore à cette triste concupiscence que nous voyons les mariages les plus saints et les plus légitimes donner naissance, non pas à des enfants de Dieu, mais à des enfants de colère. J'admets que les parents sont régénérés à la grâce, mais s'ils engendrent c'est comme enfants de ce siècle, et non pas comme enfants de Dieu. L'oracle de Jésus-Christ est formel sur ce point : « Les enfants et de ce siècle engendrent et sont engendrés (1)». Par cela même que nous sommes encore enfants de ce siècle, notre homme extérieur est corrompu, nous ne pouvons donner naissance qu'à des, enfants de ce siècle, qui ne deviennent enfants de Dieu que par la régénération spirituelle. D'un autre côté, en tant que nous sommes enfants de Dieu, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour (2). Quant à l'homme extérieur, il est lui-même sanctifié par le bain de la régénération, et il a reçu l'espérance de l'incorruption future ; voilà pourquoi il est justement appelé le temple de Dieu. « Votre corps », dit l'Apôtre, «est le temple du Saint-Esprit qui réside en vous, et qui vous a été donné de Dieu; vous  n'êtes donc plus à vous, car vous avez été  rachetés d'un grand prix. Glorifiez donc Dieu et portez-le dans votre corps (3) ». Ces belles paroles s'appliquent non-seulement à la sanctification présente, mais surtout à cette espérance que le même Apôtre nous décrit en ces termes : « Nous aussi nous possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons en nous mêmes, attendant l'effet de l'adoption divine,

 

1. Luc, XX, 34. — 2. II Cor. IV, 16. — 3. I Cor. VI, 19, 20.

 

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la rédemption de notre corps ». Si donc, selon l'Apôtre, nous attendons la rédemption de notre corps, n'est-Il pas évident que nous ne la possédons pas encore, puisqu'on ne désire une chose que parce qu'on ne la possède pas? Voici ce que saint Paul ajoute : « En effet  nous ne sommes encore sauvés qu'en espérance. Or, l'espérance qui se voit n'est plus  l'espérance, car espère-t-on ce que l'on voit  déjà? Si donc nous espérons ce que nous  ne voyons pas encore, nous l'attendons avec patience (1) ». Ce n'est donc pas à ce que nous attendons, mais à ce que nous tolérons que les enfants doivent leur propagation charnelle. Par conséquent, ces paroles que l'Apôtre adresse aux maris chrétiens : « Aimez vos épouses », ne peuvent pas signifier que l'homme doit aimer la concupiscence de la chair dans sa femme, puisqu'il ne doit même pas l'aimer en lui-même. C'est du reste ce que nous enseigne clairement un autre apôtre: « N'aimez ni le monde, ni les choses qui sont  dans le monde; quiconque aime le monde,  la charité du Père n'est pas en lui, car tout a ce qui est dans le monde est concupiscence  de la chair, concupiscence des yeux et ambition du siècle, toutes choses qui ne sont pas  du Père, mais du monde. Le monde passera,  lui et sa concupiscence ; quant à celui qui  aura fait la volonté de Dieu, il demeure a éternellement, comme Dieu demeure éternellement (2) ».

 

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CHAPITRE XIX. LES ENFANTS PÉCHEURS NAISSENT DE PARENTS JUSTES, COMME L'OLIVIER SAUVAGE NAÎT DE L'OLIVIER FRANC.

 

21. Tout ce qui naît de cette concupiscence de la chair naît au monde et non à Dieu ; l'enfant ne naît à Dieu que quand il renaît de l'eau et du Saint-Esprit. La culpabilité qui résulte de la concupiscence n'est donc effacée que par la régénération, tandis qu'au contraire elle est contractée par le fait même de la génération. Donc, que tout ce qui naît renaisse, afin que la souillure apportée en naissant disparaisse, car elle ne peut disparaître autrement. Si maintenant il s'agit de savoir comment il peut se faire qu'une souillure pardonnée aux parents soit néanmoins

 

1. Rom. VIII, 23-25. — 2. I Jean, II, 15, 17.

 

contractée par les enfants, j'avoue que c'est là un fait certain mais un véritable mystère. Tout ici est invisible et même incroyable aux yeux des infidèles; cependant c'est une infaillible vérité, dont la Providence a voulu nous donner un exemple dans certains arbustes. Pourquoi ne croirions-nous pas que c'est pour nous donner l'idée de ce mystère que Dieu a établi que de l'olivier franc il ne sortirait que l'olivier sauvage ? Refusera-t-on à Dieu le droit d'avoir prévu et institué, dans les choses qui servent à l'usage de l'homme, certaines particularités pour l'instruction du genre humain ? Nous l'avouons sans hésiter, ce qui nous étonne c'est que des parents qui ont été délivrés du péché par la grâce, engendrent des enfants souillés du même péché et obligés de renaître à la grâce pour en être délivrés. Mais si l'expérience quotidienne et sensible n'était pas là pour nous en donner une preuve invincible, pourrions-nous jamais croire que de la semence d'un olivier franc il ne peut sortir qu'un olivier sauvage? De même donc que l'olivier sauvage est produit, soit par l'olivier sauvage, soit par l'olivier franc, quoiqu'il y ait entre eux une très-grande différence; de même de la chair d'un pécheur ou de la chair d'un juste, il ne sort qu'un pécheur, quoique entre l'un et l'autre il y ait une très-grande différence. Quand le pécheur est engendré, il n'est rien quant à l'acte propre et personnel, il est jeune quant à son existence, mais il est vieux quant à la culpabilité : comme homme il est l'oeuvre du Créateur; comme captif il est l'oeuvre du séducteur ; comme indigent il a besoin d'un rédempteur. On demande donc comment des parents déjà rachetés peuvent donner naissance à un enfant captif. C'est là un mystère que là raison conçoit, mais ne saurait comprendre, et que le discours est impuissant à expliquer; voilà pourquoi les infidèles lui refusent leur croyance. Mais est-il donc plus facile d'expliquer comment il peut se faire que la semence de deux arbres différents, l'olivier sauvage et l'olivier franc, se trouve être exactement la même, puisque dans les deux cas elle ne produit que l'olivier sauvage ? Et cependant on y croit sans difficulté, par la seule raison qu'il s'agit ici d'une chose que l'on voit et que l'on touche. Pourquoi dès lors ne pas croire à ce que l'on ne saurait voir?

 

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CHAPITRE XX. LES ENFANTS NON-BAPTISÉS SONT SOUS L’EMPIRE DU DÉMON.

 

22. La foi chrétienne, si vivement attaquée par les nouveaux hérétiques, affirme sans aucune hésitation que ceux qui sont purifiés dans le bain de la régénération, sont rachetés de l'empire du démon, tandis que ceux qui ne sont pas encore rachetés par cette régénération, fussent-ils issus de parents chrétiens, sont réellement esclaves du démon jusqu'à ce qu'ils soient eux-mêmes rachetés par la grâce de Jésus-Christ. Nous pouvons, en effet, appliquer sans crainte à tous les âges la nécessité dont nous parle l'Apôtre, du bienfait et de la rédemption de ce Dieu  « qui nous a arrachés à la puissance des ténèbres et nous a  transportés dans le royaume de son Fils  bien aimé (1) ». Dès lors, quiconque soutient que cette puissance des ténèbres dont le démon est le prince; en d'autres termes, que cette puissance du démon et de ses anges n'est pas détruite à l'égard des enfants qui reçoivent le baptême, est convaincu d'erreur et de mensonge par la-vérité même des sacrements de l'Eglise. Cette vérité, d'ailleurs, restera éternellement immuable dans l'Eglise de Jésus-Christ, car elle est conduite et soutenue par Celui qui conduit et soutient le corps tout entier, les petits comme les grands. La cérémonie faite sur les enfants pour chasser loin d'eux la puissance du démon n'est donc pas un mythe, mais une réalité véritable; ces enfants renoncent au démon, et comme ils ne le peuvent par eux-mêmes, ils le font par la bouche et par le coeur de leurs parrains et marraines; c'est ainsi que, après avoir secoué le joug de la puissance des ténèbres, ils passent sous l'empire de leur Créateur et de leur Dieu. Or, quel est donc le lien qui les soumet à la puissance du démon jusqu'à ce qu'ils s'en délivrent par le sacrement du baptême de Jésus-Christ? Ce lien est-il autre que le péché ? Le démon a-t-il trouvé un autre moyen qui lui permît de réduire en esclavage cette nature humaine qui était sortie bonne des mains de son Créateur infiniment bon? D'un autre côté, il est certain que ces enfants en naissant n'ont pu encore commettre aucun péché personnel. Quel péché, si ce n'est le péché originel, peut donc les rendre captifs

 

1. Coloss. I, 13.

 

du démon jusqu'à ce qu'ils soient rachetés par le bain de la régénération et par le sang de Jésus-Christ, et qu'ils passent ainsi sous l'empire de leur Rédempteur, après avoir secoué le joug de leur séducteur et reçu le pouvoir de devenir les enfants de Dieu après n'avoir été que des enfants de colère?

 

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CHAPITRE XXI. LES BIENS DU MARIAGE NE SONT PAS LE PRINCIPE DU PÉCHÉ.

 

23. Rappelons-nous les biens inhérents au mariage, et demandons-nous par lequel d'entre eux le péché peut être transmis aux enfants. La réponse est évidente, c'est la génération elle-même qui nous l'adresse en nous disant Je serais plus heureuse dans le paradis terrestre, si le péché n'avait point été commis. N'est-ce point à moi que s'appliquait cette bénédiction de Dieu : « Croissez et multipliez vous (1) ? » C'est pour moi que la diversité des sexes a été établie; elle existait avant le péché, mais elle n'inspirait aucune honte. La fidélité répondra à la pudeur : Si le péché n'avait point été commis, qu'y aurait-il eu de plus en sûreté que moi dans le paradis terrestre, puisqu'aucune passion ni de moi ni des autres ne serait venue me mettre à l'épreuve? Le lien sacramentel du mariage répondra également : Avant le péché, c'est de moi qu'il a été dit dans le jardin de délices : « L'homme  quittera son père et sa mère, et s'attachera  à son épouse, et ils seront deux dans une  seule chair (2) ». Je m'applique également ces paroles de l'Apôtre : « Ce sacrement est  grand, mais je dis en Jésus-Christ et dans  l'Eglise (3) ». Dès lors, ce qui est grand en Jésus-Christ et dans l'Eglise, est d'une très-petite importance dans chaque époux et dans chaque femme, et cependant il est encore le sacrement d'une union indissoluble. Maintenant donc je demande auquel de ces biens du mariage on doit attribuer la transmission du péché? Assurément à aucun; ces trois biens, si ce n'était la concupiscence, feraient du mariage un état très-parfait, et malgré la concupiscence ils constituent encore toute l'honnêteté de l'union conjugale.

1. Gen. I, 28. — 2. Id. II, 24. — 3. Eph. V, 32.

 

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CHAPITRE XXII. LA PASSION ET LA HONTE, FRUITS DU PÉCHÉ.

 

24. Interrogeons maintenant cette concupiscence de la chair quia couvert de honte ce qui précédemment partageait la gloire des autres membres du corps. Ne répondra-t-elle pas que ce n'est qu'après le péché qu'elle s'est glissée dans les membres de l'homme? Elle dira qu'elle est elle-même la loi du péché dont parle l'Apôtre (1), et qui ne s'est rendue maîtresse de l'homme que parce que l'homme avait refusé d'obéir à Dieu; que c'est d'elle que nos premiers parents ont rougi, au point de se couvrir de feuillage; que c'est d'elle encore que tous les hommes rougissent, ,puisqu'ils ne s'y livrent qu'en secret et dans les ténèbres, refusant même d'avoir pour témoins les propres enfants déjà nés de leur mariage. Cette honte naturelle n'a jamais été bravée que par une secte de philosophes qui poussaient l'impudence jusqu'à soutenir que l'on devait faire publiquement ce qui en soi était permis et honnête. C'était porter l'immoralité à son comble ; aussi furent-ils comparés à des chiens; et de là le nom de cyniques dont ils furent gratifiés.

 

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CHAPITRE XXIII. DANS LES HOMMES RÉGÉNÉRÉS LA CONCUPISCENCE N'EST POINT UN PÉCHÉ, QUAND ELLE N'EST NI VOULUE NI CONSENTIE.

 

25. Telle est donc cette concupiscence, cette lui du péché habitant dans nos membres, et à laquelle il nous est défendu d'obéir par cette loi de justice ainsi formulée dans le langage de l'Apôtre: « Que le péché ne règne point dans  votre corps mortel, jusqu'à vous faire obéir  à ses désirs déréglés, et n'abandonnez point  au péché les membres de votre corps pour  servir d'armes d'iniquité (2) ». Or, c'est cette concupiscence qui, même après la régénération dans laquelle elle a été expiée, transmet le lien du péché aux enfants, jusqu'à ce qu'ils y soient eux-mêmes soustraits par la régénération. Disons-le toutefois, dans les chrétiens régénérés cette concupiscence n'est point un péché, quand la volonté se refuse à la suivre dans ses actes illicites, quand l'âme sait rester maîtresse et ne pas livrer les membres du corps. De celle manière, si le précepte :

 

1. Rom. VII, 23. — 2. Id. VI, 12.

 

« Vous ne convoiterez pas », n'est point toujours accompli (1) ; du moins, cet autre précepte trouve son application : « Ne suivez pas votre concupiscence (2) », Si donc on donne communément à la concupiscence le nom de péché, c'est parce qu'elle est la conséquence du péché et qu'elle porte au péché si elle est victorieuse. Quant à la souillure qui en est la conséquence, il suffit de naître pour la contracter tout entière; mais par la grâce de Jésus-Christ et par la rémission de tous les péchés, elle est frappée d'impuissance dans tous ceux qui sont régénérés, pourvu qu'ils sachent résister à ses entraînements et à ses séductions. Elle n'est donc plus un péché pour ceux qui sont régénérés, et cependant elle porte le nom de péché, parce qu'elle est issue du péché; c'est ainsi que le langage est appelé langue, parce qu'il est produit par la langue; l'écriture est appelée main, parce qu'elle est formée par la main. De même la concupiscence est appelée péché, parce qu'elle produit le péché, quand elle est victorieuse; on dit également du froid qu'il est paresseux, non pas parce qu'il vient des paresseux, mais parce qu'il rend paresseux.

26. Telle est la blessure faite à l'homme par le démon; tout ce qui naît de cette blessure tombe par le fait même sous l'empire du démon, comme le fruit appartient à l'arbre. Non pas sans doute que la nature humaine soit l'oeuvre même du démon, puisqu'elle est exclusivement l'œuvre de Dieu ; nous ne parlons ici que du vice qui lui est inhérent et qui n'a pas Dieu pour auteur. En effet, si la nature humaine est condamnée, c'est uniquement à cause de la souillure dont elle est viciée, et non pas par elle-même ; car, étant l'oeuvre de Dieu, elle n'a pu sortir de ses mains que dans un état de perfection réelle. Dès lors, ce qui la rend condamnable c'est ce qui la soumet au triste joug du démon. Ce démon lui-même n'est-il pas un esprit immonde, et comme tel n'a-t-il pas mérité la réprobation ? Cependant, comme esprit il est bon; il n'est mauvais que parce qu'il est impur; or, c'est par sa nature qu'il est esprit, et comme tel, l'oeuvre de Dieu ; tandis que, s'il est mauvais, c'est par le dérèglement de sa volonté, et dès lors par son oeuvre propre. Si donc le démon tient sous son empire tous les hommes, de quelque âge qu'ils soient, ce n'est

 

1. Exod. XX, 17. — 2. Eccli, XVII, 30.

 

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point parce qu'ils sont hommes, mais parce qu'ils sont souillés. Et l'on pourrait encore s'étonner qu'une créature de Dieu fût l'esclave du démon ! après tout, ce n'est qu'une créature de Dieu soumise à une autre créature de Dieu, c'est une créature inférieure soumise à une créature supérieure, c'est l'homme soumis à l'ange; et encore ce n'est point parce qu'elles sont créatures, que l'une est esclave de l'autre, mais parce qu'elles sont souillées; c'est le pécheur esclave du pécheur. Tel est le fruit sorti de cette antique souche d'impureté plantée par le démon dans l'homme, et réservé à des châtiments d'autant plus sévères qu'il sera lui-même plus coupable. Toutefois, il suffira d'avoir atteint le premier degré de la damnation pour qu'on ait le droit de se dire l'esclave du prince et de l'auteur du péché, car il n'y a damnation que là où il y a péché.

 

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CHAPITRE XXIV. LE PÉCHÉ ORIGINEL TRANSMIS PAR LA CONCUPISCENCE.

 

27. Il suit de là que le démon tient sous son empire, comme coupables du péché originel, tous les enfants des hommes, et cela non par l'effet de l'un ou de l'autre des biens qui rendent le mariage légitime, mais par suite de ce mal de la concupiscence dont le mariage est toujours accompagné et dont il a toujours à rougir. Par lui-même et dans les biens qui lui sont propres, le mariage est bon et louable, pourvu qu'il reste pur, non-seulement de toute fornication et de tout adultère, mais même de ces excès de jouissances, uniquement inspirés par la passion de la volupté, sans aucune. volonté de coopérer à l'oeuvre créatrice de Dieu. Je le suppose donc exempt tout à la fois et de ces crimes horribles : la fornication et l'adultère, et de ces excès qui, dans les époux, ne dépassent pas les limites du péché originel, et j'ajoute que, malgré cette pureté, la consommation du mariage, quoique licite et honnête, n'est jamais exempte des ardeurs de la concupiscence ; si la raison y préside, la passion l'accompagne. Je n'examine pas si cette ardeur suit ou précède la volonté, il me suffit de savoir que les mouvements de la chair n'obéissent qu'à la concupiscence, et nullement à la volonté. Le rôle de la volonté est donc ici purement le rôle d'un esclave, ou celui d'un maître auquel on n'obéit pas et dont le seul parti à prendre est de se couvrir de honte et de pudeur. Dans les chrétiens régénérés, cette concupiscence de la chair n'est point imputée à péché; cependant, ce n'est que par le péché qu'elle règne dans la nature. A ce point de vue elle est donc la fille du péché; laissez-la devenir maîtresse et agir à sa guise, elle deviendra bientôt la mère d'une multitude de péchés, et tout ce qui naîtra d'elle restera souillé du péché originel, jusqu'au moment où il lui sera donné de renaître en celui qui est né d'une Vierge et en dehors de toute concupiscence; voilà pourquoi tout étant né de la chair, il est né sans péché.

 

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CHAPITRE XXV. LA CONCUPISCENCE APRÈS LE BAPTÊME, C'EST LA LANGUEUR APRÈS UNE MALADIE.

 

28. On me demandera sans doute comment cette concupiscence de la chair peut encore exister dans le chrétien régénéré, après la rémission de tous ses péchés. Comment admettre que ce soit elle qui préside encore à la génération même dans les parents qui ont reçu le baptême? supposé même qu'elle existe en eux, elle n'y est pas un péché, comment donc sera-t-elle un péché dans l'enfant qui vient de naître? Je réponds que la concupiscence de la chair est effacée dans le baptême, non pas de manière à ne plus exister, mais de manière à n'être plus un péché. Elle a perdu son caractère de culpabilité, mais elle existe, et elle existera jusqu'à ce que toute notre faiblesse ait disparu sous les progrès quotidiens de la rénovation de l'homme intérieur, c'est-à-dire quand l'homme extérieur aura revêtu l'incorruptibilité. Cette concupiscence, ne l'oublions pas, n'est pas un être substantiel, un corps ou un esprit; ce n'est qu'une certaine affection d'une mauvaise qualité, une sorte de langueur. Ne disons donc pas que ce qui reste, c'est ce qui n'a pas été remis, car il est écrit : « Le Seigneur se  rend propice à toutes nos iniquités » ; mais il faut attendre le parfait accomplissement de ces autres paroles : « C'est Dieu qui guérit  toutes vos langueurs, qui rachète votre vie  de la corruption (1) » ; jusque-là la concupiscence charnelle demeure dans ce corps de

 

1. Ps. CII, 3, 4.

 

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mort. Mais nous devons résister courageusement à ses convoitises, si nous ne voulons pas que le péché règne dans notre corps mortel. Toutefois il est certain que cette concupiscence va chaque jour s'affaiblissant sous les coups, de la continence, du progrès dans la perfection et surtout sous les glaces de la vieillesse. Au contraire, quand elle rencontre des hommes qui se constituent ses aveugles esclaves, elle prend sur eux un tel empire, que, malgré les défaillances de l'âge, et l'impuissance du corps, elle ne cesse de les jeter dans une sorte de fureur impudique.

 

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CHAPITRE XXVI. COMMENT, DANS LES CHRÉTIENS BAPTISÉS, LA CONCUPISCENCE RESTE UN ACTE, MAIS NON UNE SOUILLURE.

 

29. Pour tous ceux qui sont régénérés en Jésus-Christ et qui reçoivent la rémission de tous leurs péchés, le baptême doit avoir l'efficacité d'effacer la souillure de la concupiscence, puisque après ce sacrement elle ne doit plus être imputée à péché. C'est là, du reste, ce qui se fait pour le péché lui-même; car si l'acte passe, la culpabilité reste jusqu'à ce qu'elle soit effacée. De même en est-il pour la concupiscence, elle n'est remise qu'à la condition que la culpabilité soit détruite. Est-ce que ces paroles : Je suis sans péché, ne signifient pas : Je n'ai la culpabilité d'aucun péché ? Tel homme, par exemple, a commis un adultère ; lors même qu'il ne retomberait plus dans ce crime, ne reste-t-il pas coupable d'adultère, jusqu'à ce que sa faute lui ait été pardonnée? Il est donc coupable de péché, quoique l'acte même du péché soit détruit, et ait disparu avec le temps. S'il suffisait de renoncer à l'acte du péché pour ne plus être coupable de péché, nous retrouverions l'innocence dans l'accomplissement de cette seule parole de l'Ecriture : « Mon  fils, avez-vous péché? Ne recommencez  plus ». Or cela ne suffit pas, puisque le texte ajoute immédiatement : « Versez des prières  sur vos péchés passés, afin qu'ils vous soient  pardonnés (1) ». Ces péchés restent donc, à moins qu'ils ne soient pardonnés. Ils sont passés et ils restent? oui, car ils sont passés quant à l'acte même, mais ils restent quant

 

1. Eccli. XXI, 1.

 

à la culpabilité. Eh bien ! le contraire peut également arriver; la concupiscence peut rester quant à l'acte et passer quant à la culpabilité.

 

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CHAPITRE XXVII. DÉSIRS CRIMINELS DE LA CONCUPISCENCE.

 

30. La concupiscence de la chair est toujours vivante en nous, lors même qu'on lui refuse le consentement du coeur et de la volonté, ou qu'on enchaîne les membres du corps pour les empêcher de devenir des armes d'iniquité. Elle agit en nous, et que produit-elle donc, sinon les désirs mauvais et honteux? Si ces désirs étaient bons et licites, l'Apôtre les condamnerait-il d'une manière aussi formelle : « Que le péché ne règne pas dans votre corps mortel pour obéir à ses  désirs? » Il ne dit pas : pour éprouver ses désirs, mais: « pour obéir à ses désirs ». Sans doute, ces désirs ici sont plus ardents, là plus modérés, selon le degré de perfection de l'homme intérieur; mais comme ils s'attaquent à tous les hommes, ils constituent pour tous ceux qui refusent de leur obéir ce combat de la justice et de la pudeur qui caractérise notre vie tout entière. Nous savons bien que dans ce corps de mort que nous traînons péniblement, nous ne pouvons pas être exempts de ces désirs, et cependant nous devons tendre à ne plus en avoir. L'Apôtre nous en donne un exemple dans sa propre personne, quand il nous dit : « Je ne fais pas  ce que je veux, et je fais ce que je hais », c'est-à-dire je convoite ; car, quant aux actes eux-mêmes, il se les refusait impitoyablement, par cela même qu'il aspirait au comble de la perfection. « Si, dit-il, je fais ce que je ne  veux pas, je consens à la loi et je reconnais  qu'elle est bonne », car ce que je ne veux pas, la loi ne le veut pas davantage. Elle ne veut pas que je convoite, puisqu'elle me dit : « Vous ne convoiterez pas » ; ni moi non plus je ne veux pas de cette convoitise. Sur ce point donc la volonté de la loi et la mienne sont parfaitement d'accord. D'un autre côté, comme l'Apôtre ne voulait pas convoiter, et que cependant il convoitait sans se rendre aucunement l'esclave volontaire de cette concupiscence, voilà pourquoi il ajoute : « Ce  n'est pas moi qui fais cela, mais le péché qui  agit en moi ».

 

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CHAPITRE XXVIII. QUI PEUT DIRE : CE N'EST PAS MOI QUI FAIS CELA?

 

31. Que penserons-nous donc d'un chrétien qui donne un plein consentement à la concupiscence de la chair, se sent continuellement disposé à en suivre les mouvements et les désirs, et cependant se flatte encore de pouvoir dire: « Ce n'est pas moi qui fais cela? » Peut-on s'illusionner aussi cruellement, lors même qu'on rougirait du lâche consentement que l'on donne? Il en rougit, parce qu'il sait bien qu'il fait mal ; et cependant il le fait parce qu'il a résolu de le faire. Qu'il ajoute alors cette défense promulguée par l'Ecriture : « N'abandonnez point au péché les membres  de votre corps, pour servir d'armes d'iniquité (1) » ; qu'il la transgresse indignement jusqu'à réaliser dans son corps ce qu'il a projeté dans son coeur ; et alors qu'il s'écrie : « Ce n'est pas moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi », sous prétexte que ses résolutions et ses oeuvres lui inspirent une certaine répugnance. Je dis qu'alors il se trompe d'autant plus grossièrement qu'il ne se connaît pas lui-même. Il est parfaitement maître de lui-même, de la décision de son coeur et des oeuvres de son corps, et il soutient que tout cela ce n'est pas lui-même !

 

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CHAPITRE XXIX. QUAND LE BIEN EST-IL PARFAIT ?

 

« Ce n'est pas moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi » ; vous avez le droit de tenir ce langage, si la concupiscence s'arrête en vous à la convoitise; mais si vous y joignez le consentement du coeur, ou même le concours du corps, ces paroles sont une contradiction sur vos lèvres.

32. L'Apôtre ajoute : « Je sais que le bien n'habite pas en moi, c'est-à-dire dans ma  chair : il m'appartient de vouloir, mais je  ne trouve pas en moi la force de conduire  le bien jusqu'à sa perfection ». La raison en est que le bien n'est parfait en nous que quand nous n'éprouvons plus aucun mauvais désir ; le mal, au contraire, n'a plus rien à désirer en nous quand nous cédons à la mauvaise convoitise. D'un autre côté, tant que nous éprouvons ces mauvais désirs et que nous leur résistons, si le mal ne s'achève point en

 

1. Rom. VI, 12, 13.

 

nous, puisque nous n'obéissons pas, le bien non plus n'est pas encore en nous dans toute sa perfection, puisque nous éprouvons encore ces désirs mauvais; cependant il y a déjà un bien commencé, puisque nous ne consentons pas à la concupiscence mauvaise ; il y a aussi un certain principe mauvais, puisque nous convoitons encore. Voilà pourquoi l'Apôtre nous dit qu'il ne lui appartient pas, non point de faire le bien, mais de le posséder dans son dernier degré de perfection. N'est-ce pas déjà faire beaucoup de bien que d'accomplir cette parole de l'Ecriture : « Ne  suivez point votre concupiscence (1) ? » Cependant celui qui est la n'est point encore parfait, puisqu'il ne réalise pas encore cette parole: « Vous ne convoiterez pas (2) ». Si donc la loi nous dit: « Vous ne convoiterez pas », c'est afin de nous faire mieux sentir que nous sommes encore malades, et que nous avons besoin de chercher le remède de la grâce; c'est afin de mieux préciser à nos yeux le but vers lequel doivent tendre tous nos efforts, pendant cette vie, et le bonheur qui nous attend dans la glorieuse immortalité. Ce but nous serait-il imposé, si. nous ne devions pas le réaliser un jour?

 

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CHAPITRE XXX. COMMENT LA CONCUPISCENCE CAPTIVAIT L'APÔTRE.

 

33. Pour faire mieux saisir sa pensée, l'Apôtre la formule de nouveau en ces termes : « Je ne fais pas le bien que je veux,  mais je fais le mal que je ne veux pas. Or,  si je fais ce que je ne veux pas, ce n'est plus  moi qui le fais, mais c'est le péché qui  habite en moi ». Il ajoute : « Lors donc que  je veux faire le bien, je trouve en moi une  loi qui s'y oppose, parce que le mal réside  en moi » ; c'est-à-dire que, quand je veux faire le bien que la loi me commande, je trouve en moi une autre loi qui s'y oppose ; car le mal se trouve, non pas dans la loi qui me dit: « Vous ne convoiterez pas », mais en moi-même, puisque je convoite même sans le vouloir. « Car je me plais dans la loi de Dieu,  selon l'homme intérieur; mais je sens dans  les membres de mon corps une autre loi  qui combat contre la loi de mon esprit, et  qui me rend captif sous la loi du péché qui

 

1. Eccli. XVIII, 30. — 2. Exod. XX, 17.

 

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est dans les membres de mon corps ». Cette complaisance que nous trouvons dans la loi de Dieu selon l'homme intérieur, nous vient de l'admirable efficacité de la grâce fie Dieu. N'est-ce pas dans cette grâce que l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour, quand il se soumet à son action persévérante? En effet, cette grâce ne consiste pas dans une crainte déchirante, mais dans un amour joyeux. Ne sommes-nous pas véritablement libres, là où nous pouvons nous livrer à une délectation volontaire ?

34. Quant à ces paroles: « Je vois dans mes  membres une autre loi qui répugne à la  loi de mon esprit », elles désignent évidemment cette concupiscence qui est la loi du péché dans une chair de péché. L'Apôtre ajoute : « Me captivant sous la loi du péché », c'est-à-dire sous son propre joug, tel qu'elle l'exerce dans mes membres. Elle captive, c'est-à-dire elle s'efforce de captiver, elle tente d'obtenir le consentement et l'action. Ou bien, et ceci est hors de cloute, elle captive selon la chair, car si cette chair n'était pas sous l'empire de la concupiscence charnelle, appelée la loi du péché, elle n'éprouverait pas ces désirs illicites, contre lesquels l'esprit doit protester courageusement. Pourtant l'Apôtre rie dit pas: captivant ma chair, mais : « me captivant moi-même » ; par conséquent nous avons dû nous attacher de préférence à la première interprétation dans laquelle ce mot: « captivant » signifie essayant de captiver. Pourquoi, du reste, ne dirait-il pas: « me captivant moi-même », encore qu'il ne s'agirait que de sa chair? Parlant de Jésus, dont elle n'avait pas retrouvé le corps dans le tombeau, Madeleine ne s'écriait-elle pas. «  Ils ont enlevé mon  Seigneur, et je ne sais où ils l'ont mis (1) ? » Quoiqu'elle n'eût spécifié ni la chair ni le corps du Sauveur, elle pouvait parfaitement demander  « son Seigneur ».

 

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CHAPITRE XXXI. LA CHAIR SIGNIFIE L'AFFECTION DE LA CHAIR.

 

35. L'Apôtre, parlant de la concupiscence qui réside dans la chair, pouvait donc l'accuser d'exercer sur  « lui-même une sorte de  captivité ». En effet, sa pensée se trouve suffisamment déterminée par ce qui suit :

 

1. Jean, XX, 2.

 

« Je sais que le bien n'habite pas en moi, c'est-à-dire dans ma chair ». Ce qui est rendu captif sous la loi du péché, c'est donc bien cette chair dans laquelle le bien n'habite pas. D'un autre côté, sous ce nom de chair il désigne spécialement les affections de la chair, et non pas sa conformation intérieure ou extérieure, puisqu'il déclare que les membres de cette chair ne doivent pas servir d'armes au péché, c'est-à-dire à la concupiscence, qui tient en captivité la partie charnelle de nous-mêmes. Est-ce que, même dans leur nature corporelle et naturelle, les fidèles, mariés ou vierges, ne sont pas le temple de Dieu? Si donc la chair n'était pas soumise au joug honteux du péché, et par là même du démon, même après la rémission du péché; si elle n'était pas captive de la loi du péché, c’est-à-dire de sa propre concupiscence, que signifieraient ces autres paroles de l'Apôtre: « Attendant l'effet de l'adoption divine, qui  sera la rédemption de notre corps (1)? » Si donc nous attendons encore sous certains rapports la rédemption de notre corps, ne faut-il pas que sous ces mêmes rapports il soit encore captif sous la loi du péché? De là ce cri déchirant qu'il exhale : « Malheureux  homme que je suis, qui donc me délivrera  de ce corps de mort? La grâce de Dieu, par  Jésus-Christ Notre-Seigneur ». N'est-ce pas nous dire clairement que ce corps qui se corrompt est un fardeau pour notre âme? Au contraire, quand il nous sera rendu incorruptible, nous n'aurons plus à craindre qu'il exerce sur nous l'ombre même de l'esclavage; je parle de ceux qui ressusciteront à la vie, car il en sera autrement de ceux qui ressusciteront pour la mort éternelle. C'est donc à ce corps de mort qui nous accompagne en cette vie, que se rapporte cette autre loi qui dans nos membres répugne à la loi de notre esprit, tant que le corps convoite contre l'âme. Toutefois, si puissante que soit cette convoitise, elle ne subjugue pas entièrement l'esprit, puisque celui-ci à son tour convoite contre la chair (2). Par conséquent, s'il est vrai que cette loi du péché fait peser son joug sur la chair et lui souffle la résistance contre la loi de l'esprit; cependant on peut dire qu'elle ne règne pas sur notre corps mortel, tant qu'on refuse d'obtempérer à ses désirs. Dans les combats ordinaires ne voit-on pas

 

1. Rom. VIII, 23. — 2. Gal. V, 17.

 

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des ennemis vaincus avoir en leur possession des captifs? De même en est-il pour notre chair: elle est captive sous la loi du péché, mais elle conserve l'espérance de la rédemption. Quand cette rédemption sera venue, il ne restera dans notre corps aucune trace de la concupiscence vicieuse, notre chair sera parfaitement guérie de la maladie qui l'obsède en ce moment, elle se revêtira tout entière de l'immortalité et sera fixée pour toujours dans la béatitude éternelle.

36. L'Apôtre ajoute : « Ainsi je suis moi même soumis à la loi de Dieu selon l'esprit, et assujetti à la loi du péché selon la chair ». « Je suis soumis à la loi de Dieu selon l'es prit », c'est-à-dire que je ne consens pas à la loi du péché ; « je suis assujetti à la loi du a péché selon la chair », car j'éprouve les désirs de la chair; je n'y consens pas, il est vrai, mais je n'en subis pas moins les atteintes. Mais écoutons attentivement ce qui suit : « Il  n'y a donc point maintenant de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ ». Même pendant cette vie, alors que la loi des membres répugne à la loi de l'esprit, et impose son joug sur ce corps de mort, il n'y a point de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ. En voici la raison: « Parce que  la loi de l'esprit de vie, qui est en Jésus Christ, m'a délivré de la loi du péché et de  la mort (1) ». Comment m'en a-t-elle délivré, si ce n'est en m'accordant la rémission de tous mes péchés? il est vrai que cette loi existe encore, mais elle va chaque jour diminuant, et surtout elle n'est point imputée à péché.

 

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CHAPITRE XXXII. LA LOI DU PÉCHÉ, AVEC LA CULPABILITÉ QUI EN RÉSULTE POUR LES ENFANTS NON BAPTISÉS.

 

37. Tant que les enfants n'ont pas reçu dans le baptême la rémission de leurs péchés, cette loi du péché leur est imputée à péché, c'est-à-dire qu'elle constitue en eux une culpabilité réelle qui les rend dignes des châtiments éternels. Tel est l'effet nécessaire de la génération charnelle, tant qu'il n'est pas corrigé par la régénération spirituelle. Je n'ignore pas cependant que, s'il s'agit de parents chrétiens, leurs péchés leur ont été remis par le baptême; toutefois cette rémission ne détruit dans leurs enfants ni la loi du péché ni la

 

1. Rom. VII, 15; VIII, 2.

 

culpabilité qui en résulte; cette culpabilité reste cachée dans le fruit de l'olivier, quoiqu'elle ne nuise pas à l'olivier lui-même, c'est-à-dire à cette vie selon laquelle le juste vit de la foi par le Christ, ainsi appelé de l'onction spirituelle qu'il a reçue de son Père. Mais, ce qui dans le fruit de l'olivier était couvert du voilé de l'innocence et du pardon, reprend son aigreur et sa culpabilité dans l'olivier sauvage, jusqu'à ce que la même grâce lui ait été accordée. Depuis qu'Adam, créé dans l'innocence, est devenu l'olivier sauvage par son péché, qui était un péché de nature et dont la gravité devait affecter la nature humaine tout entière, chaque homme est devenu également un olivier sauvage. Ce que la greffe fait pour certains arbres, la grâce de Dieu le fait pour les hommes, elle change en oliviers francs les oliviers sauvages qui lui sont présentés, c'est-à-dire qu'elle corrige le vice de leur origine, efface le péché que leur a transmis la concupiscence charnelle et détruit en eux toute la culpabilité qui en était résultée. Cependant, si la faute est effacée, la concupiscence reste, et c'est par elle que l'enfant naît olivier sauvage et reste tel jusqu'à ce que la régénération à la grâce en ait fait un olivier franc.

 

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CHAPITRE XXXIII. TOUTE RÉMISSION DES PÉCHÉS ET TOUTE GUÉRISON PARFAITE AU MOMENT DE LA RÉSURRECTION, DOIVENT ÊTRE ATTRIBUÉES AU BAPTÊME.

 

38. Bienheureux donc l'olivier dont .les iniquités sont remises et les péchés pardonnés, bienheureux celui à qui Dieu n'a pas imputé le péché (1).Toutefois, en attendant la transformation complète pour l'éternelle immortalité, le péché pardonné, effacé, non imputé, possède encore une certaine puissance occulte d'où naît l'olivier sauvage, et qui reste tel, dans toute son amertume, jusqu'à ce que la grâce de Dieu l'ait purifié et régénéré. Quand donc tout principe vicieux sera-t-il extirpé de notre chair? C'est lorsque cette régénération qui nous est maintenant accordée dans les eaux du baptême aura épuisé dans l'homme son action vivifiante et salutaire ; lorsque sous cette action tous les maux de l'homme auront été purifiés et guéris; alors seulement, c'est-à-dire à la fin du monde, cette même

 

1. Ps. XXXI, 1, 2.

 

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chair par laquelle l'âme était devenue charnelle, deviendra spirituelle, ne connaîtra plus cette concupiscence de la chair qui résiste à la loi de l'esprit, et ne produira plus aucun fruit charnel. Tel est le sens de ces paroles de l'Apôtre : « Jésus-Christ a aimé son Eglise  et s'est livré à la mort pour elle, afin de la  sanctifier, après l'avoir purifiée dans le baptême de l'eau par la parole de vie, pour la  faire paraître devant lui pleine de gloire,  n'ayant ni tache, ni ride, ni rien de semblable (1) ». L'Apôtre veut nous faire comprendre que c'est par le bain de la régénération et la parole de vie que tous les maux des hommes régénérés sont purifiés et guéris. Il ne s'agit pas seulement des péchés qui sont remis directement dans le baptême, mais aussi de tous ceux qui dans la suite seront commis par faiblesse ou par ignorance. Le baptême, sans doute, n'est conféré qu'une fois et ne se réitère pas à chaque péché que l'on peut commettre; mais, dès qu'il a été donné une seule fois, il confère pour toujours aux fidèles le droit d'obtenir la rémission de tous les péchés qu'ils pourront commettre par la suite. A quoi, par exemple, servirait la pénitence avant le baptême, si le baptême ne devait pas suivre; à quoi servirait aussi de faire pénitence plus tard, si le baptême n'avait pas été conféré précédemment? L'oraison dominicale est notre purification quotidienne. Or ces paroles : « Pardonnez-nous nos  offenses », quelle efficacité pourraient-elles avoir, si ceux qui les récitent n'avaient pas reçu le baptême? Rien de plus utile que la générosité et l'abondance des aumônes; et cependant, à quoi serviraient ces aumônes pour celui qui n'aurait pas reçu le baptême ? Enfin, le bonheur même des cieux, où l'Église n'aura ni tache, ni ride, ni autre chose semblable ; où il n'y aura ni reproche, ni dissimulation, ni culpabilité, ni même de concupiscence, pour qui sera ce bonheur, si ce n'est pas pour ceux qui auront reçu le baptême ?

 

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CHAPITRE XXXIV. LA SAINTETÉ DU BAPTÊME EST LE REMÈDE NON-SEULEMENT AU PÉCHÉ, MAIS ENCORE A TOUS LES MAUX.

 

39. Non-seulement donc tous les péchés, mais encore tous les maux des hommes sont

 

1. Eph. V, 25, 27.

 

effacés par la sainteté du baptême, dans le. quel Jésus-Christ purifie son Eglise afin de la rendre, non pas dans ce siècle, mais dans le siècle futur, sans tache, sans souillure ou quoi que ce soit de ce genre. Ceux qui sou. tiennent que l'Église est ici-bas sans tache et sans souillure, ne sont-ils pas membres de l'Église ? Pourtant ils avouent qu'ils ne sont pas sans péché. S'ils disent vrai, si réellement ils ne sont pas sans péché, l'Église dont ils sont les membres peut-elle être sans souillure ; et s'ils ne disent pas vrai, la duplicité de leur langage n'est-elle pas une ride pour l'Église ? Diront-ils que ces péchés leur sont propres et ne touchent aucunement l'Église? Un tel langage ne prouverait qu'une chose, c'est qu'ils ne sont pas membres de l'Église, c'est qu'ils n'appartiennent nullement à son corps ; et cet aveu serait contre eux une effrayante condamnation.

 

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CHAPITRE XXXV. LES PÉLAGIENS RÉFUTÉS PAR SAINT AMBROISE.

 

40. Dans cette longue discussion nous avons voulu, selon la mesure de nos forces, établir une distinction essentielle entre le mariage et la concupiscence de la chair, et réfuter les nouveaux hérétiques qui nous accusent injustement de condamner le mariage, parce que nous condamnons la concupiscence. D'ailleurs, les intentions qui les animent nous sont parfaitement connues : en louant sans restriction le mariage, en soutenant qu'il est resté dans les conditions de son établissement primitif, ils veulent se montrer conséquents avec eux-mêmes et s'autoriser à soutenir cette doctrine pernicieuse qui prétend que les enfants naissent sans être nullement coupables de péché originel. Or le bienheureux Ambroise, évêque de Milan, dont la main sacerdotale versa sur ma tête l'eau de la régénération, résout d'un seul mot cette question de la concupiscence, dans son commentaire sur Isaïe et à l'occasion de la naissance charnelle de Jésus-Christ. « En sa qualité d'homme, dit-il, Jésus-Christ a subi toutes les souffrances et supporté  toutes les douleurs ; mais parce qu'il est né  du Saint-Esprit, il n'a jamais connu le  péché (1).En effet, tout homme est menteur (2),  et personne n'est sans péché, si ce n'est Dieu.

 

1. Hébr. IV, 15. — 2. Ps. CXV, 2.

 

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Il reste donc établi que quiconque naît de  l'homme et de la femme, c'est-à-dire du  mélange des corps, ne saurait être sans  péché. Quiconque est sans péché, est resté  étranger à ce mode de conception ». Bien loin de condamner le mariage, saint Ambroise n'a-t-il pas formellement condamné par avance la témérité de ces hérétiques? Je tenais à en faire l'observation pour répondre à ces brillants éloges que Pélage fait de saint Ambroise : « C'est dans les ouvrages du bien heureux Ambroise, dit-il, que la foi romaine brille du plus vif éclat; il est le premier de tous les écrivains latins ; sa foi et  ses commentaires sur l'Ecriture défient les  attaques de l'ennemi le plus acharné (1) ». Si Pélage ne veut pas avoir à se repentir des éloges qu'il adresse à saint Ambroise, qu'il

 

1. Libre Arbitre, livre III.

 

se repente des erreurs que condamne la doctrine de ce saint docteur. Maintenant je termine ce livre ; sa longueur et les difficultés intrinsèques des questions qu'il renferme, m'en ont rendu la composition pénible, comme elle vous en rendront la lecture ennuyeuse, dans les moments rapides où vous pourrez vous soustraire à vos nombreuses occupations. Le temps que j'y ai consacré, je l'ai dérobé aux soins de mon ministère ; pourtant je ne me serais pas permis de vous demander la lecture de cet ouvrage, malgré les soins que réclament de vous les affaires publiques, si je n'avais appris d'un serviteur de Dieu et de l'un de vos amis les plus intimes, que la lecture a pour vous tant de charmes que vous n'hésitez pas à lui consacrer de longues heures de la nuit.

 

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LIVRE DEUXIÈME. RÉFUTATION DE JULIEN.

 

Julien, évêque de Campanie, resté le chef de la secte pélagienne, débuta dans la lutte par un ouvrage en quatre livres contre l'écrit de saint Augustin intitulé : « Des Noces et de la Concupiscence ». Des extraits de cet ouvrage furent envoyés as comte Valère ; celui-ci les remit au vénérable Alype, qu'il vit à Ravenne et qui se rendait à Rome. Il désirait qu'Augustin s'empressât d'y répondre. Le grand Docteur regrettait de ne pas avoir l'ouvrage tout entier, mais on ne lui laissa pas le temps d'attendre ce qui lui manquait. Julien avait reproduit inexactement ses paroles, et ouvertement dénaturé ses pensées. Augustin rétablit chaque chose dans sa vérité, et vengé de nouveau le dogme du péché originel de toutes les calomnies dont il est l'objet de la part des hérétiques.

 

1. Au milieu des soins multipliés que réclament de vous la milice et les fonctions que vous occupez ; malgré les travaux sans nombre qu'exige de vous la république, très-cher et illustre fils Valère, vous brûlez d'un tel zèle pour la réfutation et la conversion des hérétiques, qu'il m'est impossible de vous dépeindre la joie que j'éprouve en vous voyant vous livrer avec tant d'ardeur à l'étude des saintes Ecritures. Après avoir lu la lettre dans laquelle Votre Excellence me remercie du livre que je lui ai adressé, j'ai parfaitement accueilli la demande que vous me faites d'entendre, de la bouche même de mon frère et co-évêque Alype, les objections que les hérétiques soulèvent contre mon ouvrage. C'est pour répondre à ces objections que j'ai entrepris ce second livre. Après les observations d'Alype, j'ai reçu également les feuilles détachées que par vos soins il a reçues à Rome, depuis son départ de Ravenne ; là encore j'ai retrouvé les vains sophismes dont nos adversaires font si grand bruit; et, Dieu aidant, j'ai résolu de leur opposer la vérité et l'autorité des saintes Ecritures.

2. La pièce à laquelle je réponds a pour titre: « Extraits d'une réfutation du livre  d'Augustin ». J'en conclus que celui qui vous a adressé ces pages en a puisé la matière dans certains livres qu'il a analysés rapidement, afin de satisfaire au plus tôt à votre légitime impatience. Je me suis souvent demandé quels étaient ces livres, et il m'a semblé que c'étaient ceux dont Julien fait mention dans une lettre que j'ai également entre les mains, et qu'il avait adressée à Rome. Dans cette lettre il s'exprime en ces termes : «  Ils soutiennent que le mariage, tel qu'il  existe aujourd'hui, n'a pas été institué par  Dieu ; c'est en particulier la doctrine d'Augustin dans un ouvrage auquel j'ai répondu par quatre livres ». Telle est, je crois, la source d'où ces pages ont été extraites. J'aurais préféré répondre à l'ouvrage lui-même, mais je devais hâter ma réponse, comme vous avez hâté votre demande.

3. Du livre que vous avez reçu de moi et qui vous est familier, l'auteur, pour les réfuter, cite les paroles suivantes : « De nouveaux hérétiques nous accusent de condamner le mariage, ainsi que l'action créatrice  que Dieu y exerce par l'intermédiaire de  l'homme et de la femme dans la formation  des enfants. Ils fondent cette accusation sur  la doctrine de la transmission du péché originel, telle que nous la formulons haute ment, et d'après laquelle nous affirmons a sans hésiter que, par le fait même de leur  naissance, tous les enfants sont soumis à  l'esclavage du démon, jusqu'à ce qu'ils renaissent en Jésus-Christ (1) ». Dans cette citation il a omis de rapporter le passage de l'apôtre saint Paul ; car il se sentait écrasé par le poids et l'évidence d'une telle autorité. J'avais dit que les hommes naissent coupables du péché originel; j'en donnais pour preuve ces paroles de saint Paul: « Le péché est entré  dans le monde par un seul homme, et la  mort par le péché; c'est ainsi que la mort  est passée dans tous les hommes par celui  en qui tous ont péché (2) ». Tel est, comme je l'ai dit, le passage qu'il a omis de citer. Ne sait-il pas ce que ces paroles apostoliques signifient aux yeux des fidèles? Pourquoi, de la part des hérétiques, ces vailles tentatives d'envelopper de ténèbres et d'interprétations tortueuses un langage dont la justesse n'a d'égal que la clarté et l'évidence?

4. A cette première citation l'auteur rattache les paroles suivantes : « Ils ne comprennent donc pas que le mariage peut rester

 

1. Du Mariage et de la Conc. liv. I, n. 1. — 2. Rom. V, 12.

 

bon en lui-même, quoiqu'il ait pour conséquence la transmission du péché originel ; « prétendraient-ils donc justifier le crime de  l'adultère et de la fornication, sous prétexte  qu'il en résulte un bien naturel, l'enfant  qui en est le fruit? Le péché, de quelque  manière qu'il se produise, est évidemment  l'oeuvre du démon ; de même, de quelque  manière que naisse l'homme, il est toujours l'oeuvre de Dieu (1) ». Avant d'arriver à cette citation il a omis tout ce qui aurait pu soulever contre lui l'indignation des catholiques. En effet, voici ce que nous avions dit: « Telle est  notre doctrine, contenue dans la règle la plus  ancienne et la plus inébranlable de la foi  catholique. Et c'est à son occasion que ces  novateurs, ces fauteurs de dogmes mensongers et pervers, ne trouvant dans les enfants aucun péché qui ait besoin d'être

 purifié dans le bain de la régénération, nous accusent de condamner le mariage,  et de soutenir que les enfants qui en nais sent ne sont pas l'oeuvre de Dieu, mais du démon. Se peut-il urge calomnie plus grossière et plus ignorante ? » Ces paroles qu'il a passées sous silence précédaient celles qu'il a citées. Je comprends ce silence. En effet, la foi catholique, gravée dans tous les coeurs fidèles, fondée sur les traditions et les enseignements les plus anciens et les plus sacrés, proclame hautement l'erreur et la témérité de ces hérétiques  qui soutiennent qu'il  n'y a dans les enfants aucun péché qui ait  besoin d'être purifié dans le bain de la régénération ». Pourquoi donc les parents s'empressent-ils d'apporter leurs enfants à l'Eglise, si ce n'est pour leur faire trouver dans la régénération de la seconde naissance l'expiation du péché originel qu'ils ont contracté dans leur naissance première ?

5. Il reprend ensuite et répète, je ne sais pourquoi, nos paroles précédentes : « Nous  affirmons que par le fait même de leur nais lance tous les enfants viennent au monde  coupables du péché originel, et soumis à  l'esclavage du démon, jusqu'à ce qu'ils renaissent en Jésus-Christ ». Il avait déjà cité précédemment ces paroles; il y ajoute ce que nous avons dit de Jésus-Christ : « Qui n'a pas  voulu naître de ce mélange des deux sexes ». Mais alors, pourquoi passer sous silence ce qui suit : « Car ce n'est que par sa grâce qu'ils

 

1. Du Mariage et de la Concupiscence, liv. I, n. 1.

 

sont arrachés à la puissance des ténèbres et  qu'ils acquièrent des droits au royaume de  Celui qui n'a pas voulu naître du mélange  des deux sexes? » Remarquez, je vous prie, que cette omission volontaire de sa part, prouve clairement que l'auteur se pose franchement l'ennemi de la grâce de Dieu, laquelle nous est venue par Jésus-Christ Notre-Seigneur. N'a-t-il pas appris de l'Apôtre que les enfants sont malheureusement séparés de Dieu le Père,  « qui nous a arrachés à la puis lance des ténèbres et nous a transférés  dans le royaume de son Fils bien-aimé (1) ? » Je comprends alors qu'il ait dû passer ces paroles sous le plus profond silence.

6. Julien cite ensuite ces autres paroles : « Si l'homme n'eût pas péché, jamais cette  honteuse concupiscence, effrontément louée  par ces novateurs téméraires, n'aurait existé; d'un autre côté, lors même que le péché  n'aurait pas été commis, le mariage aurait  existé ». II s'arrête là et n'ose citer ce qui suit : « Tout aurait été vie dans ce corps vivant, tandis que maintenant rien de semblable ne saurait se faire dans ce corps de  mort ». Il pouvait ici terminer sa citation; mais, voulant la tronquer de quelque manière, il se sent saisi de crainte à la seule idée de ce passage de l'Apôtre : « Malheureux homme  que je suis, qui me délivrera de ce corps de  mort? La grâce de Dieu par Jésus-Christ  Notre-Seigneur ». Avant le péché, ce n'était point un corps de mort que l'on voyait dans le paradis terrestre, mais un corps de vie, participant largement à la véritable vie qui y régnait, et pouvant créer des enfants, sans aucune des atteintes ode cette concupiscence charnelle qui préside aujourd'hui à la propagation de ce corps de mort. Pour mieux établir le contraste entre cette misère humaine et l'efficacité de la grâce divine, l'Apôtre avait dit un peu plus haut : « Je vois dans nos  membres une autre loi qui répugne à la loi  de mon esprit et qui me captive sous la loi  du péché qui est dans mes membres ». C'est alors qu'il s'écrie : « Malheureux homme  que je suis, qui me délivrera de ce corps de  mort? La grâce de Dieu par Jésus-Christ  Notre-Seigneur (2) ». Or, dans le corps tel qu'il existait avant le péché, on ne trouvait assurément pas dans les membres cette autre loi qui répugne à la loi de notre esprit. Libre

 

1. Coloss. I, 13. — 2. Rom. VII, 23, 25.

 

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à nous, sans doute, de lui refuser le concours de notre volonté, de notre consentement, de nos membres eux-mêmes; mais toujours est-il que cette loi existe en nous et qu'elle sollicite notre esprit, malgré la résistance qu'il lui oppose. Ce conflit en lui-même n'est pas une cause de damnation, puisque l'iniquité n'est pas commise; mais il est toujours un malheur, puisqu'il rend toute paix impossible. Je me résume donc en disant que, pour donner à son écrit quelque apparence de réfutation, il n'a pas trouvé d'autre moyen possible que de briser l'enchaînement des propositions, en passant sous silence les propositions intermédiaires ; ou de les tronquer en en retranchant les prémisses et les preuves. Je crois avoir dit assez clairement dans quel but il a usé de ce stratagème.

7. Maintenant voyons ce qu'il oppose à celles de nos propositions qu'il lui a plu de citer. En effet, désormais c'est l'auteur lui-même qui parle; et d'abord il formule sa pensée dans une préface que je crois être la préface des quatre livres dont votre ami vous a adressé un extrait. Voici comme il s'exprime : « Bienheureux      frère, les docteurs de notre temps, et les auteurs de cette agitation qui dure encore, sous prétexte de montrer du zèle, ont résolu d'adresser à tous les hommes, pour la ruine entière de l'Eglise, des  écrits qui ne sont qu'un tissu de calomnies  et de mensonges; car ils ne comprennent  pas de quels honneurs ils couronnent ceux  dont ils prouvent que la gloire est inséparable de la religion catholique. En effet, il  suffit que vous enseigniez que les hommes  sont doués du libre arbitre, ou que Dieu est  le créateur des enfants qui prennent naissance, pour            qu'aussitôt on vous accuse  d'être disciple de Célestius ou de Pélage. Par horreur pour l'hérésie, ils se jettent  dans le Manichéisme; et pour échapper à  un discrédit purement imaginaire, ils en courent la culpabilité d'un crime trop réel. Ne ressemblent-ils pas à ces animaux sauvages que l'on entoure de barrières, afin de  les faire tomber dans les flets; comme ces  animaux ne sont pas doués de raison, il  n'est pas étonnant qu'une crainte mal fondée les précipite dans une mort certaine ».

8. Qui que vous soyez qui avez écrit ces pages, vous vous trompez, vous êtes dans une grave erreur ou vous cherchez à tromper les autres. Nous ne nions pas le libre arbitre, nous croyons seulement que  « si le Fils  vous a délivrés, vous serez véritablement  libres (1) ». N'est-ce pas à ce Libérateur que vous vous attaquez, vous qui ne concédez aux captifs qu'une vaine liberté?  « L'homme, dit  l'Ecriture, est l'esclave de celui par qui il a  été vaincu (2) »; or, ce lien de servitude qui pèse sur tous les hommes n'est brisé que par la grâce du Libérateur. En effet, «le péché est  entré dans le monde par un seul homme, et  la mort par le péché; c'est ainsi que la mort  est entrée dans tous les hommes par celui  en qui tous ont péché (3) ». Dieu reste donc le créateur de tous ceux qui naissent; ce qui n'empêche pas que, par le péché d'un seul homme, tous naissent et restent condamnés jusqu'à ce qu'ils renaissent à la grâce du Libérateur. N'est-ce pas Dieu lui-même qui nous est désigné sous l'image du potier dont il este dit qu'il a le pouvoir de faire, de la même masse d'argile, un vase d'honneur selon la miséricorde, ou un vase d'ignominie selon la justice (4) ? C'est de là sans doute que l'Eglise chante à Dieu : « La miséricorde et la justice (5) ». Quand donc, pour mieux vous tromper vous-même et pour mieux tromper les autres, vous vous écriez : « Quiconque «enseigne que l'homme est doué du libre  arbitre ou que Dieu est le créateur de tous  ceux qui naissent, est aussitôt accusé d'être  le disciple de Célestius ou de Pélage »,vous êtes dans une erreur grossière, car ces vérités sont hautement proclamées par la foi catholique. Mais si vous allez jusqu'à soutenir que, pour rendre à Dieu le culte qui lui est dû, l'homme n'a besoin que de son libre arbitre; si, en soutenant que Dieu est le créateur de tous ceux qui naissent, vous prétendez que les enfants n'ont pas besoin d'un rédempteur .pour s'arracher à la puissance du démon, vous êtes alors véritablement le disciple de Célestius et de Pélage. Nous sommes donc tous d'accord pour soutenir que nous sommes doués du libre arbitre et que- Dieu est le créateur de tous ceux qui naissent; et, à ce titre, vous n'êtes ni Célestiens ni Pélagiens. Mais vous allez plus loin et vous dites que, pour faire le bien, le libre arbitre suffit à l'homme, sans qu'il ait besoin d'aucun secours de Dieu; vous ajoutez qu'aucun libérateur n'est nécessaire

 

1. Jean, VIII, 36. — 2. II Pierre, II, 19. — 3. Rom. V, 12. — 4. Id. IX, 21. — 5. Ps. C, 1.

 

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pour arracher les enfants à la puissance des ténèbres et les transférer dans le royaume de Dieu (1) ; et en cela vous êtes Célestiens et Pélagiens. Ce nom seul est un crime, et n'est-ce pas pour le cacher que vous vous donnez les apparences de la foi véritable; n'est-ce pas pour effrayer les faibles que vous puisez dans le vocabulaire les injures les plus grossières que vous lancez à la face de vos adversaires, en disant d'eux : « Afin de ne  pas être appelés hérétiques, ils se font Manichéens ? »

9. Permettez-moi de vous rappeler brièvement l'objet en question. Les catholiques affirment que la nature humaine est sortie bonne des mains du Créateur, mais que, ayant été viciée par le péché, elle a besoin d'être guérie par Jésus-Christ. Les Manichéens soutiennent que la nature humaine n'a été ni créée bonne par Dieu, ni viciée par le péché, mais que l'homme a été créé, sous l'empire du prince des ténèbres éternelles, du mélange de deux natures éternelles, l'une bonne et l'autre mauvaise. Les Pélagiens et les Célestiens disent que la nature humaine a été créée bonne par Dieu, qu'elle est parfaitement saine et innocente dans les enfants qui viennent de naître, et qui dès lors n'ont aucun besoin de la -rédemption de Jésus-Christ. D'après votre croyance appliquez-vous à vous-même le nom qui vous convient, et cessez d'opposer aux catholiques un nom et une croyance qu'ils retournent contre vous. En effet, la vérité vous condamne les uns et les autres, vous et les Manichéens. Elle dit aux Manichéens : « N'avez-vous pas lu que  celui qui a fait l'homme dès le commence ment, les a créés homme et femme ? Et il a  dit : Voilà pourquoi l'homme quittera son  père et sa mère pour s'attacher à son épouse,  et ils seront deux dans une seule chair; ils ne sont donc plus deux, mais une seule  chair. Dès lors, ce que Dieu a uni, que  l'homme ne le sépare point (2) ». Ce texte ne prouve-t-il pas que Dieu est le créateur de l'homme et l'auteur du mariage, deux vérités niées par les Manichéens ? Quant à vous, voici ce que vous dit la Vérité : « Le Fils de  l'homme est venu chercher et sauver ce qui  était perdu (3) ». De votre côté, illustres chrétiens, répondez à Jésus-Christ : Si vous êtes venu chercher et sauver ce qui était perdu,

 

1. Coloss. I, 13. — 2. Matt. XIX, 4-6. — 3. Luc, XIX, 10.

 

vous n'êtes donc pas venu pour les enfants ; car ils n'étaient pas perdus, et ils apportaient leur salut en naissant; approchez-vous donc des adultes, nous vous le prescrivons sur l'autorité même de votre parole : « Le médecin est nécessaire, non pas à ceux qui se  portent bien, mais à ceux qui sont malades (1) ». Les Manichéens, en soutenant que la nature de l'homme est mauvaise, admettent du moins que l'âme bonne est sauvée par Jésus-Christ; vous, au contraire, en attribuant d'une manière absolue le salut aux enfants, vous ne rendez possible pour eux aucune application de la rédemption de Jésus-Christ. Les Manichéens avilissent indignement la nature humaine ; vous la louez, je l'avoue, mais vos éloges sont plus cruels encore. Ceux qui ajouteraient foi à vos éloges ne se dispenseraient-ils pas de présenter leurs enfants au Sauveur? Avec des dispositions aussi criminelles, à quoi vous sert-il de ne pas craindre ce qui devrait vous inspirer une terreur salutaire et vous rappeler que vous êtes un homme et non une bête sauvage que l'on environne de barrières pour la faire tomber dans le piège? Vous aviez besoin de conserver la vérité, et tant de zèle que vous ayez pour elle, vous n'auriez rien à craindre; vous craignez cependant, mais la crainte qui vous assiège n'est pas celle qui peut vous faire échapper aux embûches du démon, au lieu d'en devenir la victime. L'Eglise catholique, notre mère, vous effraie, parce qu'elle craint pour vous et pour les autres par vous; et si elle inspire, à ceux de ses enfants qui ont en main la puissance, la pensée de vous frapper de terreur, ce n'est point par esprit de cruauté, mais par charité. Mais voici que, fier de vos forces, vous regardez comme une lâcheté de craindre les hommes. Craignez donc le Seigneur, et ne cherchez pas à renverser par votre obstination les antiques fondements de la foi catholique. J'admire votre courage, mais je voudrais vous voir craindre quelque peu les hommes; plutôt que de voir périr l'audace, je désirerais voir trembler la faiblesse.

10. Voyons la suite. Mais que dois-je faire ? Citerai-je chacune de ses propositions, en la faisant suivre d'une réponse? Ou bien,passant sous silence tout ce qui est conforme à la foi catholique, me bornerai-je à la réfutation de tout ce qui est contraire à la vérité, de tout

 

1. Matt. IX, 12.

 

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ce qui sent cette hérésie pélagienne qu'il voudrait enter comme une plante vénéneuse sur le tronc même de la doctrine catholique? Cette seconde méthode serait assurément la plus courte; mais je craindrais que, en étudiant mon livre sans connaître la doctrine de mon adversaire, le lecteur ne fût tenté de conclure que c'est à dessein que j'ai passé sous silence les principes mêmes sur lesquels il a établi ses conclusions, pour me rendre la réfutation plus facile. J'invite donc le lecteur à s'armer de courage, car il trouvera dans cet opuscule, clairement formulées, l'attaque et la réponse.

11 Les pages qui vous ont été adressées ont pour titre: «Contre ceux qui condamnent  le mariage et en assignent les fruits au démon ». Cet écrit n'est donc point contre nous, puisque, loin de condamner le mariage, nous le louons hautement et dans une juste mesure; puisque, loin d'assigner purement et simplement ses fruits au démon, nous reconnaissons que ses fruits ne sont autres que les enfants eux-mêmes qui en naissent très-légitimement; tandis que, si le péché en découle, ce n'est pas du mariage comme tel. De plus, si les enfants naissent soumis au joug du démon, ce n'est pas en tant qu'ils sont les fruits du mariage et qu'ils sont hommes, mais en tant qu'ils sont pécheurs, et ils sont pécheurs parce qu'ils subissent les conséquences de la transmission du péché. Si le démon est l'auteur de quelque chose, c'est de la faute et non de la nature.

12. Comme développement du titre précité, nous lisons ce qui suit : « Dieu qui avait créé  Adam du limon de la terre, se servit d'une  côte de l'homme pour former la première  femme (1) », et dit : « Celle-ci sera appelée la  vie, car elle est la mère de tous les vivants». Ce ne sont point là les termes du texte sacré; usais que nous importe? Car après tout, la pensée même peut être exacte dans l'esprit, quoique la mémoire se trompe dans la citation des paroles. Le nom d'Eve ou de Vie ne fut point donné à la première femme par Dieu lui-même, mais par Adam. En effet, voici ce que nous lisons : « Et Adam donna  le nom de Vie à son épouse, parce qu'elle  est la mère de tous les vivants (2) ». On peut toutefois admettre qu'Adam n'ait agi en cela que sous l'inspiration de Dieu, et en qualité

 

1. Gen. II, 22. — 2. Id. III, 20.

 

de prophète du Très-Haut.. Ce nom de Vie et de mère des vivants donné à la première femme n'est-il point l'annonce prophétique et solennelle de l'Eglise? Mais cette pensée nous conduirait à de trop longs développements, qui n'entrent pas dans le cadre de cet ouvrage. Cette pensée de l'Apôtre : « Le mariage est un grand sacrement, mais je dis en Jésus-Christ et dans l'Eglise », Adam la formulait déjà quand il disait : « Voilà pour quoi l'homme quittera son père et sa mère  pour s'attacher à son épouse, et ils seront  deux dans une seule chair ». Toutefois, dans l'Evangile, Notre-Seigneur attribue ces paroles à Dieu lui-même (1), nous indiquant ainsi qu'Adam n'était que son prophète, et que c'est Dieu qui parlait par sa bouche. Faites donc attention à ce qui suit : « Dès sa  première parole le Seigneur nous dévoile  le but de son oeuvre : Croissez, multi pliez-vous et remplissez la terre (2) ». Est-ce que jamais nous avons nié que le premier but que Dieu se fût proposé en créant la femme, eût été de propager la race humaine? Continuons : « Dieu, en créant l'homme et la  femme, les a constitués propres à la génération et a voulu que les corps se formassent  les uns des autres; cependant il n'a pas  abandonné son oeuvre à elle-même; toute  l'efficacité des causes secondes dépend ton jours de l'action incessante de la puissance  créatrice ». Cette théorie est parfaitement conforme à la doctrine catholique. L'auteur ajoute : « Si donc la génération découle de  la diversité des sexes, le sexe de la conformation du corps, et le corps lui-même de  l'action créatrice et toute-puissante, coin ment hésiterait-on à rapporter à Dieu toute  fécondité ? »

13. Tout ce langage est vrai et parfaitement catholique, puisque c'est la doctrine même des Livres saints. Cependant il est loin de le formuler catholiquement, car son intention bien formelle est d'établir sur ces principes l'hérésie de Pélage et de Célestius. En effet, voyons ce qui suit : « Vous qui osez dire que  par le fait même de leur naissance tous les  enfants, quels qu'ils soient, sont soumis à  l'esclavage du démon, jusqu'à ce qu'ils renaissent eu Jésus-Christ, montrez-nous ce  que le démon peut revendiquer dans la diversité des sexes, et dans le fruit qui en est

 

1. Eph. V, 31, 32; Gen. II, 21 ; Matt. XIX, 4, 5. — 2. Gen. I, 28.

 

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le résultat. La diversité des sexes? Et qui  donc en est l'auteur, si ce n'est Dieu? L'union des deux sexes? N'a-t-elle pas pour elle  le privilège de la bénédiction aussi bien que  celui de l'institution? N'est-ce pas Dieu qui  a dit : L'homme quittera son père et sa  mère pour s'attacher à son épouse, et ils  seront deux dans une seule chair? N'est-ce  pas Dieu qui a dit: Croissez, multipliez-vous et remplissez la terre? La fécondité enfin?  Mais n'est-elle pas le. but premier de l'institution du mariage ? »

14. Vous voyez qu'il nous demande quelle part le démon peut revendiquer dans la diversité des sexes, quel droit il peut avoir sur les enfants par le fait même de leur naissance, jusqu'à ce qu'ils renaissent en Jésus-Christ ; il nous demande enfin laquelle de ces trois choses nous attribuons au démon : la diversité des sexes, ou l'union des époux, ou la fécondité elle-même. Ni l'une, ni l'autre, répondons-nous hardiment. En effet, la diversité des sexes repose sur la constitution même du corps; l'union a pour but la génération des enfants, et la fécondité est le résultat de la bénédiction versée par Dieu sur le mariage. Or, tout cela est l'oeuvre de Dieu. Pourquoi donc ne pas même prononcer le nom de la concupiscence de la chair, laquelle ne vient pas du Père, mais du monde (1), dont le démon a été nommé le prince? Il n'a point trouvé cette concupiscence en Jésus-Christ, parce qu'elle est restée complètement étrangères la formation de l'humanité du Sauveur. De là cette parole du divin Maître : « Le prince  de ce monde est venu, et il n'a rien trouvé  en moi (2) », ni le péché qui vient de l'origine, ni le péché que l'on commet volontairement. Ainsi donc, dans l'énumération qu'il fait des biens naturels du mariage, il se garde bien de nommer la concupiscence dont rougit le mariage lui-même, malgré les biens qui lui sont propres. Si les époux, quand ils se connaissent, croient devoir se cacher aux yeux mêmes de leurs enfants, n'est-ce point parce que la concupiscence se mêle toujours à leurs relations les plus légitimes? N'est-ce pas elle qui a fait rougir nos premiers parents (3), de ce qui, avant le péché, se confondait pour eux dans les oeuvres admirables de la création? Ils se couvrirent de feuillage quand la honte les saisit; et la honte les saisit

 

1. I Jean, II, 16. — 2. Jean, XV, 30. — 3.Gen. III, 7.

 

quand, après avoir désobéi à Dieu, ils sentirent leurs membres en révolte. Est-ce que notre adversaire ne rougit pas lui-même de cette concupiscence? Il a parlé de la diversité des sexes, de l'union des époux, de la fécondité, mais il a eu honte de parler de la concupiscence. Quand je vois les époux eux-mêmes rougir de ce qui pourtant est pour eux légitime, comment s'étonner que la honte se saisisse des plus ardents panégyristes du mariage ?

15. Notre adversaire ajoute : « Des enfants  que Dieu a créés, par quoi donc peuvent-ils  être soumis au démon ? » Par le péché, se répond-il à lui-même en nous empruntant cette réponse, et non par la nature. Puis, voulant réfuter notre réponse, il continue : « Mais  de même qu'il ne peut y avoir génération  sans la diversité des sexes, il ne peut ravoir  de péché sans le consentement de la volonté ». C'est parfaitement exact. Car «c'est  par un seul homme que le péché est entré  dans le monde, et la mort par le péché ; et  c'est ainsi que la mort est passée dans tous  les hommes par celui en qui tous ont  péché (1) ». Par l'effet de la volonté mauvaise d'un seul homme tous ont péché en lui, parce qu'à lui seul il représentait tous les hommes; voilà pourquoi chaque homme apporte en naissant le péché originel. « Vous  dites», ajoute-t-il,  « que les enfants sont sou mis à l'esclavage du démon, parce qu'ils  naissent du mélange des deux sexes ». Je dis avec raison que c'est le péché qui soumet les enfants à l'esclavage du démon, et j'ajoute qu'ils ne sont pas sans péché puisqu'ils naissent de ce mélange auquel viennent toujours se joindre les hontes de la passion et de la concupiscence charnelles. Telle est aussi la doctrine du bienheureux Ambroise, évêque de Milan ; car, voulant nous prouver que la naissance du Sauveur a été exempte de péché, il nous rappelle que l'humanité de Jésus-Christ n'a pas été formée par. l'union des deux sexes. Voici ses paroles : « En sa qualité  d'homme il a subi toutes les épreuves et a toutes les souffrances humaines ; mais  parce qu'il est né de l'esprit, il a été exempt  de péché (2).En effet, tout homme est menteur (3); personne n'est sans péché, si ce n'est  Dieu. Il reste donc parfaitement acquis que quiconque est né de l'homme et de la

 

1. Rom. V, 12. — 2. Hébr. IV, 15. — 3. Ps. CXV, 2.

 

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femme, c'est-à-dire du mélange des corps,  ne saurait être sans péché. Si quelqu'un en  est exempt., c'est qu'il est également exempt  de ce mode de conception ». A vos yeux, glorieux disciples de Pélage et de Célestius, Ambroise passerait-il donc pour un manichéen? du reste, c'est le nom que lui donnait déjà l'hérétique Jovinien qui, poussant l'impiété jusqu'à soutenir que Marie n'était pas restée vierge depuis la naissance du Sauveur, se vit honteusement confondu par le saint évêque de Milan. Si donc vous n'osez pas l'accuser de manichéisme, pourquoi faire peser sur nous cette accusation, puisque sur ce point comme sur tous les autres nous sommes d'accord avec lui pour défendre la doctrine catholique? Direz-vous que, quantau mariage, Ambroise était manichéen ? dites-le donc, dites-le hautement et mettez ainsi le comble à l'impiété de Jovinien; de notre côté, tout heureux d'être associés à cet homme de Dieu, nous subirons patiemment vos malédictions et vos outrages. Et cependant, votre hérésiarque Pélage, parlant des commentaires d'Ambroise sur la sainte Ecriture, les couronne des plus pompeux éloges et déclare qu'ils sont inattaquables aux yeux mêmes de ses adversaires. Voyez donc à quels excès de haine vous vous livrez, et arrêtez-vous enfin devant les téméraires audaces de Jovinien. Il louait excessivement le mariage et necraignit pas de le placer sur un rang d'égalité avec la virginité; et cependant il ne nia jamais que, au moment même de leur naissance, les enfants eussent besoin d'être purifiés dans la grâce de Jésus-Christ, et rachetés de l'esclavage du démon. C'est là pourtant ce que vous niez vous-mêmes ; et parce que nous soutenons la doctrine contraire, parce que, nous appuyant sur tous les fondements de la foi catholique, nous affirmons qu'il n'y a ,pas de salut pour ces enfants sans la grâce de Jésus-Christ, vous nous flétrissez du nom de Manichéens. Mais continuons.

16. Notre adversaire nous pose cette autre question : « A qui donc ces enfants doivent ils leur existence ? Est-ce au vrai Dieu ? » — Oui, certes, au vrai Dieu. —  « Mais Dieu ne  peut pas être l'auteur du mal». Il continue : « Voyez-vous donc dans le démon le créateur  des enfants ? » Il répond aussitôt . « La nature de l'homme ne peut pas avoir le démon  pour auteur ». Il conclut : « Si l'union des deux sexes est mauvaise, la conformation  des corps est mauvaise, et comme telle  vous devez l'attribuer au mauvais principe ». Je réponds : Ce ne sont pas les corps que nous imputons au mauvais principe, mais les péchés, lesquels ont eu pour triste conséquence de couvrir de honte ce qui dans les corps se confondait auparavant dans la beauté des oeuvres de Dieu. De là vient que nous rougissons aujourd'hui, dans notre corps de mort, de ce qui n'était pas connu de nous avant le péché. « Mais », dit-il,  « Dieu n'a créé  les sexes différents que dans le but de les  réunir. Ce mélange a donc pour auteur  l'auteur même des corps ». Nous ne le nions pas, nous l'avons déjà dit ; ce que nous affirmons, c'est que Dieu n'est l'auteur ni du péché, ni de la révolte des sens par la concupiscence de la chair. Notre adversaire ajoute: « Là conformation des corps, la diversité des  sexes, l'union des époux sont choses bonnes; comment donc peut-on dire que les fruits  en sont mauvais, et que les enfants créés  par Dieu sont justement soumis à l'empire  du démon ? » Nous avons déjà répondu que, si les enfants sont soumis à l'esclavage du démon, ce n'est point par leur nature, car cette nature vient de Dieu, mais par le péché dont ils naissent coupables et dont le démon seul est l'auteur.

17. Mais enfin, puisqu'il énumère tout ce qui est bon dans le mariage, pourquoi donc passe-t-il sous silence la passion ou la concupiscence de la chair ? Il n'en parle pas, parce qu'il en rougit ; mais ce qui m'étonne, c'est l'impudence de sa pudeur, puisqu'il ne rougit pas de louer ce qu'il rougit de nommer. Cependant, le voici qui se sert de circonlocutions, plutôt que de s'exprimer clairement. « Après que l'homme a connu sa femme,  sous l'impulsion de l'appétit naturel ». Pourquoi parler de cet appétit naturel, plutôt que de nommer franchement la concupiscence de la chair ? Voulait-il uniquement désigner par ces mots la volonté juste et honnête de se donner une postérité, et exclure cette passion dont il rougit, et dont il aime mieux parler d'une manière ambiguë que de formuler clairement sa pensée? Quel est donc cet appétit naturel ? Vouloir la santé, vouloir créer, nourrir et élever des enfants, est-ce l'oeuvre de l'appétit naturel et de la raison, et nullement de la concupiscence ? Nous (725) connaissons parfaitement ses intentions, voilà pourquoi cet appétit naturel signifie à nos yeux le mouvement des sens, les émotions du corps. Ces paroles sont-elles autre chose pour vous que ces feuilles de palmier sous lesquelles il cache ce qui le fait rougir ? Ses circonlocutions sont alors pour lui ce que furent les ceintures pour nos premiers parents. Qu'il se ceigne donc, et qu'il dise : « Après que l'homme eut connu sa femme,  sous l'impulsion de l'appétit naturel, le texte  sacré ajoute : Eve conçut, enfanta un fils et le nomma Caïn. Et Adam, que dit-il ? J'ai acquis un homme par Dieu (1 ). Peut-on douter qu'un enfant acquis par Dieu ne  soit l'oeuvre de Dieu? » Qui donc en doute? quel catholique l'a jamais nié? L'homme est l'œuvre de Dieu ; quant à la concupiscence de la chair, sans laquelle la génération se serait opérée si le péché n'était point venu affaiblir la volonté et souffler la révolte dans les membres, elle n'est point assurément l'oeuvre du Père, mais l'oeuvre du monde (2).

18. Maintenant, je vous en supplie, remarquez de quel nouveau nom il se sert pour cacher ce qu'il rougit de nommer. « Car », dit-il,  « Adam avait engendré cet enfant par la  puissance des membres, et non par la diversité des mérites ». Quelle est donc cette diversité des mérites ? J'avoue que je n'y comprends rien. Quant à  « la puissance des membres », je crois qu'il a voulu désigner par là ce qu'il rougissait de formuler en propres termes. Il préfère donc «  la puissance des membres » à la concupiscence de la chair. Mais, sans le vouloir, n'a-t-il pas révélé ce qu'il voulait taire ? En effet, quoi de plus puissant que les membres de l'homme, quand ils n'obéissent, pas à la volonté ? La tempérance ou la continence peuvent sans doute réprimer leur emportement extérieur, mais il n'est pas au pouvoir de l'homme d'étouffer intérieurement es commotions qu'ils produisent. Adam a donc engendré ses enfants « par la puissance de ses membres », mais, depuis son péché et avant de connaître son épouse, il avait rougi de cette puissance. Par conséquent, s'il n'avait pas péché, ce n'est pas par la puissance, mais par l'obéissance de ses membres, qu'il aurait acquis les gloires de la paternité. S'il avait voulu rester humblement soumis à la toute

 

1. Gen. IV, 1. — 2. I Jean, II, 16.

 

puissance de son Créateur, il aurait été lui-même assez puissant pour soumettre ses membres à l'empire de sa volonté.

19. Notre adversaire continue: « L'Ecriture  ajoute un peu plus loin : Adam connut Eve  son épouse; elle conçut, enfanta un fils et  le nomma Seth, en disant: Le Seigneur  m'a donné un autre fils, pour remplacer  Abel tué par Caïn (1).Si donc Dieu nous est  présenté comme l'auteur de cet autre enfant,  n'est-ce point pour nous prouver que l'union  même des époux est d'institution divine ? » De quel aveuglement ne faut-il pas être victime pour supposer que ces paroles: « Dieu  m'a suscité un autre fils à la place d'Abel », signifient que Dieu est l'auteur de ces mouvements passionnés de la concupiscence de la chair? Il sait bien cependant que ces expressions n'ont d'autre sens que celui-ci : Dieu m'a donné un fils. Du reste, Adam s'exprime en ces termes, non point après avoir connu son épouse, mais après la naissance de son fils, qu'il regarde comme un présent de Dieu. En effet, ne chercher dans l'union conjugale que la satisfaction pure et simple des instincts brutaux de la passion et de la concupiscence, et repousser en même temps l'effet naturel et ordinaire du mariage, n'est-ce pas là le propre du libertinage et de la débauche?

20. En tenant ce langage je suis loin d'attribuer à tout autre qu'au Dieu suprême et véritable la création de l'homme ou le pouvoir qui lui a été conféré de se créer une postérité ; je dis seulement que, si le péché n'était point survenu, l'homme aurait usé de ce pouvoir sans éprouver de la part de ses membres aucune révolte contre sa volonté. Il n'est point ici question de la nature de ce pouvoir mais du vice qui le corrompt. En tant qu'il est, il a Dieu pour auteur; mais, en tant que vicié, il est le moyen par lequel se transmet le péché originel. Si vous dites qu'il n'est point vicié, je vous demande ce que peuvent signifier ces paroles de la Sagesse : « N'ignorant pas que cette nation est mauvaise, que  la méchanceté lui est naturelle, et que ses  pensées ne pouvaient changer, car cette  race est maudite depuis le commencement (2) ? » N'est-il pas évident que c'est à des hommes, quels qu'ils soient, que s'appliquent ces paroles? Or, comment peut-on dire

 

1. Gen. IV, 25. — 2. Sag. XII, 10, 11.

 

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d'un homme que la méchanceté lui est naturelle, et que sa race est maudite depuis le commencement, si l'on prétend voir dans ces paroles autre chose que l'application de ce principe posé par l'Apôtre : « Le péché est  entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché; et c'est ainsi que la  mort est passée dans tous les hommes par  celui en qui tous ont péché (1)? » D'un autre côté, le texte sacré nous affirme que la mauvaise pensée de l'homme ne peut changer, ce qui signifie qu'elle ne peut changer par elle-même, et qu'elle a besoin pour cela d'un secours efficace de la grâce divine. Sans le secours de la grâce les hommes ne sont-ils pas ce que nous les montre l'Apôtre saint Pierre : « Comme des animaux muets pro créés naturellement pour la captivité et  pour la ruine (2)? » Dans un même passage de ses épîtres l'apôtre saint Paul nous parle tout à la fois, et de la haine de Dieu avec laquelle nous naissons, et de la grâce qui nous sauve : « Nous avons tous autrefois vécu dans  les désirs de la chair, nous abandonnant à  la volonté de la chair et des sens, et nous  étions par nature enfants de colère, comme  les autres nommes. Mais Dieu, qui est riche  en miséricorde, poussé par l'amour extrême  dont il nous a aimés lorsque nous étions  morts par nos péchés, nous a rendu la vie  en Jésus-Christ, par la grâce duquel vous  êtes sauvés (3) ». Qu'est-ce donc que cette malice naturelle de l'homme, cette race maudite depuis le commencement, ces hommes procréés naturellement pour la captivité et la ruine, et par nature enfants de colère? Est-ce ainsi que celle nature a été créée dans Adam ? Assurément non ; mais c'est en lui qu'elle a été viciée, et c'est dans cet état qu'elle arrive à tous les descendants du premier homme, et qu'elle reste en eux jusqu'à ce qu'ils soient délivrés de cette perdition par la grâce de Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur.

21. Parlant de Noé et de ses enfants, notre adversaire ajoute qu'ils furent bénis comme Adam et Eve l'avaient été, et dans des termes identiques : « Croissez et multipliez-vous,  remplissez la terre et soyez-en les maîtres (4) ». Après avoir cité ces paroles, je ne sais dans quel but il les fait suivre de la réflexion suivante : « Cette volupté, que vous

 

1. Rom. V, 12. — 2. II Pierre, II, 12. — 3. Eph. II, 3, 5. — 4. Gen. IX, 1, 2.

 

appelez diabolique, était donc connue de tous  ces époux ; pouvait-il en être autrement,  puisqu'elle était la conséquence d'une institution légitime, et qu'elle était sanctionnée  par la bénédiction divine ? Peut-on douter,  en effet, que, s'adressant à Noé et à ses  enfants, ces paroles: « Croissez et multipliez vous, et remplissez la terre », n'eussent pour  « objet l'union des époux ? » Je demande à mon tour pourquoi répéter si souvent la même pensée sous des termes différents? Il s'agit ici du vice originel qui a dépravé notre nature et qui a le démon pour auteur, et non pas de la bonté de notre nature elle-même, telle que Dieu l'a faite. Toutefois, quoique viciée et dépravée, cette nature n'a pas été dépouillée au point que Dieu ait retiré à l'homme la fécondité, la vivacité, la saleté, la substance même de l'esprit et du corps, les sens, la raison, les aliments, la nutrition et la croissance. Pourquoi s'en étonner, quand nous voyons ce même Dieu faire lever son soleil sur les bons et les méchants, et verser la pluie du ciel sur les justes et sur les pécheurs (1).Concluons donc que tout ce qui est bon dans la nature humaine vient de Dieu, lors même qu'il s'agirait de ces hommes qui doivent rester esclaves du mal et du péché.

22. Remarquons toutefois que, si notre adversaire n'a pas craint de se servir du mot volupté, c'est qu'il n'ignore pas qu'il y a une volupté honnête. Mais il se garde bien de nommer la concupiscence de la chair ou la passion qui porté toujours avec elle un caractère d'ignominie. Comment donc a-t-il osé plus loin dévoiler sa honte et parler sans aucune dissimulation des instincts les plus violents de la nature?  Nous lisons encore », dit-il : « Voilà pourquoi l'homme quittera son  père et sa mère, et s'attachera à son épouse,  et ils seront deux dans une seule chair (2) ». Après ces paroles du Seigneur il ajoute les siennes propres : « Pour exprimer la foi des  oeuvres, le Prophète a presque couru le  danger de blesser la pudeur ». Aveu précieux qui lui est arraché par la force de la vérité ! Pour exprimer la foi des oeuvres, le Prophète a donc presque couru le danger de blesser la pudeur, parce qu'il a dit: « Ils seront  deux dans une seule chair», et cela parce qu'il a voulu parler de l'union de l'homme et de la femme ! Qu'on nous dise pourquoi,

 

1. Matt. V, 15. — 2. Gen. II, 24.

 

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en parlant des œuvres de Dieu, le Prophète a couru le danger de blesser la pudeur? Les œuvres de l'homme mériteront-elles donc d'être glorifiées sans réserve, tandis que les œuvres de Dieu devront être couvertes du voile de la pudeur? Quand un Prophète déroulera sous nos yeux les œuvres de Dieu, devra-t-on méconnaître son amour et ses efforts pour ne voir que les dangers que la pudeur peut courir? Ce que Dieu a pu faire, son Prophète peut-il en rougir? Je vais plus loin encore, et je demande si l'homme peut rougir d'une action que Dieu a faite dans l'homme, et non pas l'homme lui-même? Est-ce que tous les ouvriers ne se préoccupent pas avant tout de n'avoir pas à rougir de leurs propres oeuvres? Voici pourtant que nous rougissons de ce qui a fait rougir nos premiers parents quand ils se sont couverts de feuillage. Disons-le donc, c'est là le châtiment du péché, la plaie, la trace du péché, le foyer du péché, la loi qui dans nos membres répugne à la loi de notre esprit, la désobéissance qui, venue de nous, se retourne contre nous et nous fait ainsi payer le trop juste tribut de la réciprocité. Voilà de quoi nous rougissons, et ce n'est point à tort. Si nous rougissions, non pas du vice ou du châtiment qui affecte nos membres, mais des œuvres mêmes de Dieu, ne serait-ce point de. l'ingratitude, ne serait-ce point de l'irréligion?

23. Parlant ensuite d'Abraham et de Sara, notre adversaire s'abandonne à de longs développements pour nous montrer comment ils ont reçu l'enfant de la promesse. Alors seulement il prononce le mot fatal de concupiscence; encore se garde-t-il bien de dire la concupiscence de la chair, car elle doit rester dans sa honte. Mais, en prenant ce mot concupiscence dans son sens général, né peut-on pas y trouver un sujet de gloire; n'y a-t-il pas la concupiscence de l'esprit contre la chair (1) ; n'y a-t-il pas la concupiscence de la sagesse (2)? Voici comment il s'exprime : « Quant à cette concupiscence sans laquelle  aucune fécondité n'est possible, vous avez  dit qu'elle est naturellement mauvaise ; pourtant, ne voyons-nous pas que Dieu lui-même l'a rallumée dans certains vieillards?  Osez donc, si vous le pouvez, attribuer au  démon ce que vous voyez être un don même  de Dieu ». Ne dirait-on pas, à l'entendre,

 

1. Gal. V, 17. — 2. Sag. VI, 21.

 

que Dieu leur a donné depuis cette concupiscence qu'ils n'avaient pas auparavant ? Elle existait assurément dans ce corps de mort, mais ils étaient privés, par l'âge, de cette fécondité qui est l'oeuvre de Dieu ; pourquoi s'étonner que Dieu la leur eût rendue quand il le jugea à propos? Du reste, quoi qu'il en dise, jamais nous n'avons soutenu qu'Isaac eût été engendré sans intervention aucune de ce feu de la concupiscence.

24. Que notre adversaire nous dise pourquoi l'enfant qui n'aurait pas été circoncis le huitième jour, devait être exterminé du milieu de son peuple? Si cet enfant n'est pas coupable du péché originel, quel autre péché a-t-il donc commis ? en quoi donc a-t-il offensé Dieu? car, peut-on admettre que la négligence seule de ses parents lui attire un châtiment aussi sévère? Au sujet de la circoncision, voici l'oracle formulé par Dieu lui-même : « Tout enfant du sexe masculin, qui n'aura  pas été circoncis le huitième jour, sera exterminé du milieu de son peuple, parce qu'il  a violé mon testament (1) ». Que notre adversaire nous dise, s'il le peut, comment cet enfant a violé le testament de Dieu, dans les huit jours qui ont suivi sa naissance, au moins quant à ce qui le regarde lui-même; je ne suppose pas, en effet, qu'on accuse de mensonge cette parole de l'Ecriture. Si donc il a violé l'alliance de Dieu, ce n'est point précisément en ce qui regarde la circoncision, mais en ce qui regarde le fruit défendu, par suite duquel  « le péché est entré dans le monde  par un seul homme, et la mort par le péché; et c'est ainsi que la mort est passée dans  tous les hommes par celui en qui tous ont péché ». Tel est donc le péché dont l'expiation était figurée dans la circoncision du huitième jour, c'est-à-dire dans le sacrement du Médiateur futur. En effet, les justes de l'Ancien Testament n'étaient sauvés que par cette foi à l'incarnation future du Verbe fait chair, par la foi en Jésus-Christ qui devait mourir pour nous et ressusciter le troisième jour après sa mort, ce troisième jour se trouvant être précisément le huitième après le sabbat précédent. Jésus-Christ n'a-t-il pas été livré pour nos péchés, et n'est-il pas ressuscité pour notre justification? Depuis le moment où elle fut établie dans le peuple de Dieu, la circoncision devint le signe de la justice de la foi (2),

 

1. Gen. XVII, 11. — 2. Rom. IV, 25, 11.

 

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et conférait aux enfants d'une manière prophétique la rémission du péché originel, comme le baptême, depuis son institution, a opéré le renouvellement de l'homme. Je ne veux pas dire par là qu'avant la circoncision la justice de la foi n'existait pas; car, avant même qu'il fût circoncis, la justification de la foi avait été conférée à Abraham, le père des nations qui devaient imiter sa croyance; je soutiens seulement que, avant l'établissement de la circoncision, la justification par la foi n'était révélée par aucun signe extérieur. Et cependant, cette foi au Messie futur justifiait réellement les anciens, les petits comme les grands; et si nous voulons chercher le principe de cette justification, nous ne le trouverons ni dans l'Ancien Testament qui engendre pour la servitude (1), ni dans la loi qui n'a pas reçu le pouvoir de justifiera, mais uniquement dans la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur (2). Aujourd'hui nous croyons en Jésus-Christ venu dans la chair, les patriarches croyaient également en son incarnation future; nous croyons qu'il est mort, ils croyaient qu'il mourrait; nous croyons qu'il est ressuscité, ils croyaient qu'il ressusciterait; eux et nous nous croyons qu'il viendra juger les vivants et les morts. Dès lors, sous prétexte de louer la nature humaine, que notre adversaire se garde bien de lui ôter toute espérance de salut ; nous naissons tous sous le joug du péché; tous aussi nous sommes sauvés par celui-là seul qui est né sans péché.

25. Notre adversaire continue: « Cette union  des corps, avec ardeur, avec volupté, avec  effusion séminale, a été instituée et créée  par Dieu, est parfaitement légitime en elle même, et devient même quelquefois une  cause très-puissante de mérites de la part  des justes ». Ardeur, volupté, effusion, il n'oublie rien ; pourquoi donc s'arrêter devant le mot propre : volupté; pourquoi rougir de nommer ce qu'il ne rougit pas de louer ? Quant aux justes, ce qu'ils cherchent dans le mariage, ce n'est point l'agitation des sens, mais la propagation des enfants ; cette agitation, du reste, n'existe aujourd'hui que par suite de la corruption de nature, et eût été inconnue dans une nature innocente et saine. Voilà pourquoi l'enfant à sa naissance a besoin de renaître pour devenir membre de Jésus-

 

1. Gal. IV, 24. — 2. Id. III, 21. — 3. Rom. VII, 25.

 

Christ; et lors même que ses parents seraient déjà régénérés, ils ont encore besoin d'être délivrés de la loi du péché, telle qu'elle existe dans notre corps de mort. Devant un tel état de choses, comment donc ose-t-il nous dire : « Vous devez nécessairement avouer la destruction de ce péché originel dont vous  soutenez l'absurde fiction ? » Le péché originel n'est point de ma part une fiction, car la foi catholique, dans les siècles les plus reculés, en a toujours proclamé l'existence; vous qui le niez, vous êtes donc le fauteur d'une nouvelle hérésie. J'en conclus que, par suite du juste jugement de Dieu, tous les enfants sont engendrés dans le péché, et restent les esclaves du démon jusqu'à. ce qu'ils soient régénérés en Jésus-Christ.

26. Comme il parlait d'Abraham et de Sara, notre adversaire ajoute: « Si vous dites qu'ils  se connaissaient, mais que leur union était  stérile, je vous répondrai : L'enfant que le  Créateur avait promis, le Créateur l'a donné; il est donc l'oeuvre de Dieu, et non pas du  mariage. En effet, celui qui a tiré le premier  homme de la terre, tire ses descendants de  l'union de l'homme et de la femme. De même donc que le limon qui fut alors employé, n'a pas été l'auteur de l'homme, de  même en est-il aujourd'hui de cette puissance de la volupté qui préside aux relations  des deux époux; ce n'est pas elle qui agit  en dernier ressort, c'est Dieu qui puise  encore dans les trésors inépuisables de la  nature, et opère la création de tous les  hommes ». Si ce langage était formulé dans un sens catholique, nous l'approuverions, à l'exception toutefois du pouvoir qu'il attribue à la volupté. Mais comme nous connaissons le but qu'il se propose, nous n'hésitons pas à dire que la vérité sur ses lèvres n'est qu'un crime de plus. D'ailleurs, il est faux de soutenir que la production séminale est le résultat de cette volupté de la concupiscence charnelle; en effet, le corps et tout ce qui te constitue est à proprement parler l'oeuvre même de Dieu; la volupté n'y ajoute rien, elle est uniquement un principe de mouvement et d'effusion. Je laisse aux femmes à étudier ce qu'elles éprouvent dans leur sein au moment de la conception; il serait dangereux pour nous de porter jusque-là notre curiosité. Contentons. nous de répéter que cette honteuse passion qui communique sa honte à tous les membres (729) où elle siège, n'existait pas avant le péché, dans le paradis terrestre ; ce n'est qu'après avoir désobéi à son Créateur, que l'homme a ressenti la révolte de ses membres. Quant à la génération, elle aurait pu s'opérer sans aucune rébellion des sens, comme beaucoup d'oeuvres s'opèrent dans le calme complet des membres, dirigés par l'impulsion de la volonté, et complètement étrangers aux ardeurs de la passion.

27. Ecoutez la suite : « C'est là », dit-il; « ce  que confirme l'autorité de l'Apôtre. En effet,  parlant de la résurrection des morts, l'Apôtre s'écrie : « Insensés que vous êtes, ce que  vous semez ne prend point de vie » ; et encore : « Mais Dieu lui donne un corps tel qu'il lui plaît, et il donne à chaque semence  le corps qui lui est propre (1).Si donc; comme  personne ne saurait en douter, Dieu donne  à la semence humaine, comme à toute autre  semence, le corps qui lui est propre, sur  quel principe allez-vous appuyer la culpabilité de l'enfant qui vient de naître ? Comprenez donc enfin que votre théorie du  péché naturel n'est qu'un piège et une erreur. Ne soyez pas si dur à votre égard. Croyez-moi, c'est Dieu lui-même qui vous  a créé; mais, je l'avoue, vous dégénérez  dans une grave erreur. N'est-ce point le  dernier degré de l'impiété d'oser soutenir,  ou que Dieu n'a pas créé l'homme, ou  qu'il ne l'a créé que pour le démon, ou  que le démon a lui-même créé l'homme à  l'image de Dieu ? La folie dans tout cela le  dispute à l'impiété. Feriez-vous donc de  Dieu un être si pauvre et si méprisable  qu'il n'aurait pu donner en récompense  aux plus saints personnages ce que le démon a versé criminellement dans la nature  de ses tristes victimes ? Voulez-vous savoir  quelle puissance génératrice Dieu a accordée même à des pécheurs ? Abraham, craignant pour lui-même la barbarie du peuple égyptien, conseilla à Sara son épouse de  dire qu'elle était sa sueur. Elle fut bientôt  saisie et conduite à Abimélech, le roi de  cette province. Mais Dieu se fit le défenseur  de cette sainte femme, apparut en songe à  Abimélech, enchaîna son audace royale, et  le menaça de mort s'il continuait à violer les saintes lois du mariage.           Abimélech  s'écria : Perdrez-vous, Seigneur, une nation

 

1. I Cor. XV, 36, 33.

 

innocente et juste ? N'ont-ils pas dit  qu'ils étaient frère et soeur ? Il se leva donc  de grand matin, prit mille drachmes d'argent, des brebis, des veaux, des esclaves, en  fit don à Abraham, et lui remit intacte son  épouse. Abraham pria le Seigneur pour  Abimélech et Dieu guérit Abimélech, sa  femme et ses servantes ». Mais, direz-vous, pourquoi donc ces longs développements de notre adversaire ? Ce qui suit va vous répondre : « A la prière d'Abraham, Dieu fit  secrètement un prodige; car toute la maison  d'Abimélech fut guérie de la stérilité dont  Dieu l'avait frappée (1) ». « Voyez donc », ajoute-t-il,  « si vous pouvez regarder comme  un mal naturel une fécondité que Dieu  retire dans sa colère, et qu'il rend dans sa  miséricorde ? Que les parents soient justes  ou impies, c'est Dieu seul qui leur donne  des enfants ; quand ils engendrent, ils font  l'oeuvre de la nature qui se réjouit d'avoir  Dieu pour auteur ; mais quand ils commettent le péché, ils obéissent à la dépravation  de leurs désirs, aidés par la complicité de  leur libre arbitre ».

28. A cette prolixité de langage, nous répondons que, dans ces passages empruntés à la sainte Ecriture, il n'est pas dit un mot de cette passion honteuse dont nous refusons d'avouer l'existence dans le corps de nos premiers parents avant le péché, alors qu'ils étaient nus et n'en rougissaient pas (2).Et d'abord, quant à l'Apôtre, il parle uniquement des grains de froment que l'on sème, et qui doivent mourir avant d'être vivifiés. Du reste, je ne puis comprendre pourquoi il n'a pas cité le texte tout entier. L'Apôtre s'écrie: « Insensés que vous êtes, ce que vous  semez ne reprend point de vie » ; il ajoute aussitôt : « s'il ne meurt auparavant ». Ai-je tort de penser qu'il voulait tromper ses lecteurs qui ne connaissent pas ou ont oublié la sainte Ecriture, et leur faire croire que l'Apôtre parle réellement de la génération humaine, tandis qu'il ne parle que du froment? Mais ce n'était point encore assez pour lui d'avoir omis ces paroles significatives : « A moins qu'il ne meure auparavant » ; il passe encore sous silence le verset suivant, sans doute parce qu'il indique trop clairement de quelles semences parlait saint Paul. Voici ses paroles : « Et quand vous semez,

 

1. Gen. XX. — 2. Id. II, 25.

 

730

 

vous ne semez pas le corps de la plante qui  doit naître, mais la graine seulement, celle a du blé ou de toute autre chose semblable ». Omettant donc ces paroles, notre adversaire cite immédiatement ce qui suit : « Mais Dieu a lui donne un corps tel qu'il lui plaît, et il donne à chaque semence le corps qui lui est propre (1) ». Il est évident qu'il voulait nous faire croire que l'Apôtre parlait du mariage, quand il s'écriait : « Insensés que  vous êtes, ce que vous semez ne prend  point de vie » ; de là, en effet, nous conclurions naturellement que c'est uniquement par l'action de Dieu que la vivification s'opère. Sous des termes différents, c'est la même pensée qu'il exprimait déjà quand il disait : « Ce n'est pas cette puissance de la  volupté qui opère réellement, c'est Dieu a qui puise encore dans les trésors inépuisables de la nature, et opère la création de chaque homme ». Il essaie de le prouver par ces paroles de l'Apôtre : « Insensé que a vous êtes, ce que vous semez ne prend a point de vie», c'est-à-dire n'est point vivifié par vous, car c'est Dieu qui de cette semence crée l'homme, comme il l'a créé de la terre. Il regarde donc comme nul ce qui sépare les paroles qu'il a réunies; et, joignant les deux extrêmes, il fait dire à l'Apôtre :  « Insensé que vous êtes, ce que vous semez ne  prend point de vie ; mais Dieu lui donne un corps tel qu'il lui plaît, et il donne à chaque semence le corps qui lui est propre ». Enfin, pour mieux laisser croire que l'Apôtre parle réellement de la semence humaine, il ajoute : « Quelqu'un pourra-t-il  encore douter que la semence humaine,  comme toutes les autres semences, ne reçoive que de Dieu seul le corps qui lui est  propre ? »

29. Je me suis demandé plusieurs fois quel fruit il espérait retirer de cette fraude, et je n'ai pu lui supposer d'autre intention que celte de s'appuyer sur le témoignage de l'Apôtre pour prouver que, malgré le concours des époux, c'est Dieu qui reste le créateur des enfants. N'est-ce point là également ce que nous enseignons nous-mêmes ? Ne trouvant donc aucun autre témoignage, il invoqua frauduleusement celui que nous avons cité ; encore dut-il en retrancher ce qui montrait dans l'Apôtre l'intention formelle

 

1. I Cor. XV, 36-38.

 

de ne parler que de la semence du froment, car il craignait qu'il ne devînt par trop évident qu'il n'était qu'un imposteur de taire par respect le nom de la concupiscence, pendant qu'il en faisait pompeusement l'éloge. En effet, peut-on mieux le réfuter qu'en lui opposant ce qui se passe dans la semence du froment ? Pourquoi n'admettrions-nous pas que, dans le paradis terrestre, Dieu a pu faire pour l'homme innocent ce qu'il fait pour les cultivateurs à l'égard de leurs semences? Des deux côtés, pourquoi n'y aurait-il pas eu le même calme des sens, la même soumission des membres à l'empire de la volonté ? Est-ce que le désir de se former une postérité n'est pas dans les parents de beaucoup préférable au désir qu'éprouvent les cultivateurs de remplir leurs greniers ? Dans sa toute-puissance le Créateur ne pouvait-il pas assimiler le sein de la mère à celui de la terre qui conçoit sans volupté et qui enfante sans douleur ? Quiconque soutiendrait que Dieu ne pouvait en agir ainsi, malgré l'innocence de nos premiers parents et malgré le bonheur dont ils jouissaient, prouverait qu'il se pose non pas en admirateur d'une fécondité désirable, criais en amateur d'une ignoble volupté.

30. Il invoque ensuite le passage relatif à Abimélech et à la stérilité dont Dieu avait frappé la maison de ce roi impie. Mais quel rapport ce fait a-t-il avec la question qui nous occupe? avec la honteuse passion dont nous parlons ? Est-ce cette passion que Dieu a enlevée à ces femmes, et qu'il leur a rendue quand il l'a voulu? Dieu les avait punies en les frappant de stérilité, il leur pardonna en leur rendant la fécondité dans les conditions ordinaires. Dieu devait-il à des corps de mort donner la conception pure et l'enfantement sans douleur, qui étaient le partage des premiers hommes avant le péché ? Qu'on examine attentivement le texte sacré, et l'on comprendra facilement qu'il est question d'un châtiment extérieur qui rendait douloureuse l'union de l'homme et de la femme, et la frappait en même temps de stérilité, sans qu'il fût besoin de changer quoi que ce fût dans la nature des choses ? Il est vrai que le texte sacré porte qu'Abimélech fut guéri; mais pourquoi supposer que cette guérison eut pour effet de lui rendre la force génératrice qu'il aurait perdue? S'il l'avait perdue, à quoi bon la défense qui lui est faite (731) de connaître l'épouse d'Abraham ? Il fut guéri cela veut donc dire uniquement que le fléau qui pesait sur sa maison disparut.

31. Voyons enfin ces trois propositions qu'il regarde comme le comble de l'impiété : « Ou Dieu n'a pas créé l'homme, ou il l'a créé pour le démon, ou le démon lui-même a créé l'homme à l'image de Dieu ». De ces trois propositions la première et la dernière ne sont jamais sorties, même indirectement, de nos lèvres ; il en conviendra lui-même, à moins qu'il ne soit arrivé au comble de l'aveuglement et de l'obstination. Reste donc la seconde proposition. Il est encore ici dans une erreur profonde, s'il nous suppose capables de soutenir qu'en créant un enfant par l'intermédiaire de ses parents, Dieu se propose directement de faire de ces enfants autant d'esclaves du démon. Loin de nous une semblable doctrine, qu'on ne tolérerait même pas dans une intelligence enfantine ! Dieu crée les hommes par amour, et si nos premiers parents sont sortis innocents de ses mains, tandis que les autres hommes en sortent soumis au péché, nous n'avons sur ce point qu'à adorer la profondeur de ses décrets éternels. Quand il a créé le premier homme, Dieu savait que le démon le porterait au mal; cependant l'acte créateur a été juste et légitime, quoiqu'il eût prévu que sa créature deviendrait coupable et perverse; de même à l'égard du genre humain tout entier, quoique tous les hommes naissent coupables du péché, l'acte créateur qui leur donne naissance est bon et légitime, soit qu'il fasse des uns autant de vases de miséricorde que la grâce sépare des vases de colère; soit que des autres il fasse des vases de colère, pour mieux faire briller les richesses de sa gloire à l'égard des vases de miséricorde. Que notre adversaire accuse donc l'Apôtre, dont je reproduis ici la doctrine ; qu'il accuse surtout le potier auquel l'Apôtre nous défend de répondre : « O homme, nous dit-il, qui êtes-vous pour oser répondre à Dieu ? Un vase d'argile dit-il à celui qui l'a fait : pourquoi m'avez vous fait ainsi? Le potier n'a-t-il pas le pou«voir de faire, de la même masse d'argile,  un vase d'honneur ou un vase d'ignominie (1)? » Soutiendra-t-il que ces vases de colère ne sont pas sous l'empire du démon ? Et parce qu'ils sont sous l'empire du démon,

 

1. Rom. CX, 20, 21.

 

dira-t-il qu'ils n'ont pas été créés par celui qui a fait les vases de miséricorde ? ou qu'ils n'ont pas été tirés de la masse commune et universelle? Qu'il s'écrie encore, j'y consens c'est donc pour le démon que Dieu a formé ces vases ; comme s'il ne savait pas que, à l'égard de ces vases comme à l'égard du démon, Dieu tire toujours le bien du mal.

32. Quant à ces enfants de perdition, quant à ces boucs qui seront placés à la gauche (1), est-ce pour le démon que Dieu les paît, les nourrit et les couvre, parce qu'il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et tomber la pluie sur les justes et sur les pécheurs (2)? Dieu crée donc les méchants comme il leur donne la nourriture et le vêtement. Ce qu'il leur accorde en les créant constitue la bonté même de leur nature ; et quand il leur octroie la nourriture et le vêtement, il vient en aide, non point à leur méchanceté, mais à la nature bonne qu'il leur a conférée. En leur qualité d'hommes ils sont naturellement bons, et ont Dieu pour créateur; mais, en tant qu'ils naissent avec le péché, ils doivent périr s'ils ne renaissent pas, et appartiennent à cette race maudite depuis le commencement (2), par l'effet de l'antique désobéissance. Toutefois, Dieu ne laisse pas que de faire un bon usage de ces vases de colère, en rendant plus manifestes les richesses de sa gloire en faveur des vases de miséricorde. N'est-ce pas ce qu'il procure en inspirant aux bons de ne pas attribuer à leurs propres mérites la grâce qui a su les distinguer au sein de la masse commune, et à rapporter à Dieu seul la gloire dont ils peuvent se glorifier (4).

33. Quelle folie donc de la part de notre adversaire de renoncer à cette foi catholique qui repose sur le fondement inébranlable de l'enseignement des Apôtres et de la tradition universelle! Quelle folie de soutenir avec les Pélagiens que les enfants ne naissent pas esclaves du démon, et n'ont aucun besoin qu'on les présente à Jésus-Christ, pour les arracher à la puissance des ténèbres et les transférer dans son royaume (5) ! N'est-ce point condamner l'Eglise répandue sur toute la terre, et dans laquelle tous les petits enfants sont présentés au baptême, et reçoivent ce souffle tout-puissant qui ne leur est inspiré que pour chasser loin d'eux le prince de ce monde (6)?

 

1. Matt. XXV, 33. — 2. Id. V, 45. — 3. Sag. XII, 11. — 4. II Cor. X, 17. — 5. Coloss. I, 13. — 6. Jean, XII, 31.

 

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Comment donc ces enfants ne seraient-ils point des vases de colère soumis à l'empire du démon, puisqu'ils naissent de la race d'Adam, jusqu'à ce qu'ils renaissent en Jésus-Christ, et que par sa grâce ils soient transférés dans son royaume comme autant de vases de miséricorde? C'est donc cette vérité fondamentale qu'il renverse; mais pour ne point paraître s'attaquer à l'Eglise universelle de Jésus-Christ, c'est moi seul qu'il prend à partie; c'est à aloi seul qu'il semble adresser ce reproche et cet avertissement : « C'est  Dieu lui-même qui vous a créé; mais il  faut avouer qu'une erreur bien grave a dénaturé son ouvrage ». Que Dieu soit mon Créateur, je le reconnais et je lui en rends grâces; et. cependant, si je n'avais eu d'autre bonheur que de naître d'Adam, sans renaître de Jésus-Christ, j'aurais infailliblement péri avec les vases de colère. C'est là pourtant ce qu'il ne veut pas admettre, tant il est aveuglé par l'impiété de Pelage. Si donc il persévère jusqu'à la fin dans cette erreur criminelle, ce n'est pas lui, mais les catholiques qui verront quelle impiété l'a, non point dénaturé, mais tué pour toute l'éternité.

34. Notre adversaire continue. « Pour vous prouver que les enfants issus du mariage  sont naturellement bons, je vous renvoie à  cette parole que l'Apôtre adresse aux méchants : Les hommes, rejetant l'union des  deux sexes qui est selon la nature, ont été  embrasés d'un désir brutal les uns envers  les autres, l'homme commettant avec  l'homme des crimes infâmes (1)». Il ajoute : « L'Apôtre affirme donc que l'usage de la  femme est un usage naturel et en soi louable; tandis que c'est un horrible crime de  profaner volontairement la pudeur originelle. C'est donc à juste titre qu'on loue  ce genre et ce mode de concupiscence  dans ceux qui en font un bon usage, tandis  que ceux qui le souillent par de coupables  excès méritent un légitime châtiment. Enfin  Dieu rendit en même temps à Abraham et  à Sara la fécondité dont leur âge les avait  dépouillés (2), tandis qu'il punit par une pluie  de feu les voluptueux habitants de Sodome (3). Si donc vous croyez devoir accuser la vigueur des membres, parce qu'elle a été  cruellement punie dans les Sodomites,  vous accuserez également le pain et le vin,

 

1. Rom. I, 27. — 2. Gen. XXI, 1. — 3. Id. XIX, 24, 25.

 

car l'Ecriture nous dit clairement qu'ils en  faisaient également des instruments de  péché. Ne lisons-nous pas dans Ezéchiel; Voici quelles ont été, les iniquités de Sodome  votre soeur : l'orgueil, l'excès de la nourriture, l'abondance du vin, toutes choses dont  elle regorgeait, elle et ses fils; ils ne venaient point au secours du pauvre et de  l'indigent (1) ? Prenez donc le parti qui vous  plaira; ou bien rapportez à Dieu l'union  des corps, ou bien condamnez comme man vais le pain et le vin. Dans cette dernière  hypothèse, vous êtes convaincu de manichéisme. Celui donc qui se renferme dans  les limites de la concupiscence naturelle,  fait un bon usage d'une chose bonne. Mais  alors, comment osez-vous dire : Le mariage,  bon en lui-même, n'est point responsable  du mal originel qui en découle; de même  que l'adultère, mauvais en soi, n'est point  légitimé par le bien naturel qui en résulte,  la naissance des enfants (2) ? Par ce langage  vous concédez ce que vous aviez nié, et vous  détruisez ce que vous aviez admis; et toute  votre sollicitude ne semble avoir d'autre  but que de ne point comprendre. Montrez nous un mariage corporel en dehors de  toute union des époux, et donnez-lui un  nom, appelez-le bon ou mauvais. Vous avez  promis de définir le mariage un bien naturel ; si le mariage est un bien, si l'enfant  qui en est le fruit est bon; si ce fruit, en tant  qu'il est l'oeuvre de Dieu, ne saurait être  mauvais; où donc trouvez-vous un mal  originel, quand toutes ces propositions en  sont la négation absolue ? »

35. A cela je réponds qu'en tant que créatures de Dieu les enfants adultérins, aussi bien que les enfants légitimes, apportent en naissant un caractère de bonté incontestable, ce qui n'empêche pas que les uns comme les autres naissent soumis à la damnation, par suite du péché originel, à moins qu'ils ne renaissent dans le second Adam; c'est-à-dire en Jésus-Christ. Quant à ces paroles de l'Apôtre : « Les hommes rejetant l'union des deux sexes,  qui est selon la nature, ont été embrasés  d'un désir brutal les uns envers les autres,  l'homme commettant avec l'homme des cri mes infâmes», il n'y est nullement question du devoir conjugal, mais d'une profanation réelle des fonctions naturelles qui dans les

 

1. Ezéch. XVI, 49. — 2. Du Mariage et de la Conc. liv. I, n. 1.

 

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deux sexes ont pour but et pour résultat la propagation de la famille. Au contraire, qu'il arrive à un homme de connaître une prostituée, il commet un crime mais il ne viole pas les lois de la nature ; tandis que l'époux à l'égard de son épouse peut violer l'ordre de la nature s'il n'observe pas les lois établies par le Créateur. Voilà pourquoi l'Apôtre avait d'abord dit en parlant des femmes : « Les femmes, parmi eux, ont changé l'usage  qui est selon la nature en un autre qui est  contre la nature (1) » ; c'est alors seulement qu'il parle des hommes qui, rejetant l'union des deux sexes, commettent les uns envers les autres des crimes infâmes. En parlant de cet usage naturel, l'Apôtre n'a donc pas pour but de louer l'union conjugale, mais de signaler des crimes mille fois plus honteux et plus infâmes que ne sauraient l'être la simple fornication, voire même l'adultère.

36. Parce qu'il y a des hommes qui abusent de la nourriture et du vin, ce n'est pas une raison pour condamner d'une tisanière absolue la nourriture et le vin, pas plus qu'on ne condamne l'or, parce qu'il y a des hommes cupides et avares. De même nous ne condamnons pas l'union honnête des époux, quoiqu'il s'y mêle toujours certains mouvements honteux de la concupiscence. Si cette union était restée ce qu'elle aurait été avant le péché, les époux n'auraient pas à en rougir; mais le péché a fait naître la concupiscence, et c'est d'elle que nos premiers parents ont rougi, c'est à cause d'elle qu'ils se sont voilés (2). Voilà ce qui nous explique pourquoi les époux, tout en restant dans les limites du mariage, éprouvent le besoin de se cacher, et confessent ainsi que, même dans un acte légitime, il peut y avoir un côté honteux, et par là même mauvais, car on ne doit pas rougir de ce qui est bon. De là deux conséquences évidentes, dont l'une a pour objet la légitimité de l'union conjugale dans le but de créer la famille, et dont l'autre regarde le mal de la honteuse concupiscence, qui impose à ceux qui naissent l'obligation de se régénérer, s'ils veulent échapper à la damnation. De cette concupiscence il résulte que celui qui use légitimement du mariage, fait du mal un bon usage; tandis que celui qui connaît en dehors du mariage, fait un mauvais usage de ce qui était déjà mauvais en soi. En effet, peut-on ne pas

 

1. Rom. I, 26. — 2. Gen. III, 7.

 

appeler mauvais ce qui fait rougir les bons et les méchants, et comment ne pas croire à celui qui a dit : « Je sais que le bien n'habite pas  en moi, c'est-à-dire dans ma chair (1) », plutôt qu'à celui qui appellerait bien une chose dont il ne rougit que parce qu'elle est mauvaise, et dont il ne pourrait ne pas rougir sans faire preuve d'une impudence plus criminelle encore ? C'est donc en toute vérité que nous avons dit : « Le mariage ne saurait  être responsable du mal originel qui en découle, comme l'adultère ne saurait être  excusé par le bien naturel qui en résulte,  c'est-à-dire la génération des enfants ». Et en effet, la nature humaine, qu'elle découle du mariage ou de l'adultère, est toujours l'oeuvre de Dieu. Si elle était mauvaise, rien ne pourrait en autoriser la génération; si elle ne naissait pas coupable, elle n'aurait nul besoin de régénération ; en un mot, si la nature humaine était essentiellement mauvaise, elle ne pourrait pas être sauvée ; si elle était entièrement bonne, elle n'aurait pas besoin d'être sauvée. Dire qu'elle n'est pas bonne c'est nier la bonté de son Créateur; nier qu'elle soit mauvaise, c'est lui refuser la miséricorde de son Sauveur. Il suit de là que l'adultère ne doit pas être excusé par le bien qui en résulte, comme le mariage ne doit pas être incriminé par le mal qui s'y mêle, et dont la guérison est opérée par la miséricorde du Sauveur, comme la génération même adultérine des enfants est opérée par la puissance du Créateur.

37. « Montrez-nous », dit-il,  « des mariages corporels sans union réciproque des  époux ». Il m'est aussi impossible de lui montrer des mariages corporels sans l'union des époux, qu'il lui est impossible de me montrer cette même union des époux sans confusion aucune. Si le péché n'était point survenu, la génération se serait faite également par l'union des époux; mais cette union n'aurait connu ni honte ni confusion. Au lieu de cette honteuse concupiscence de la chair, les membres seraient restés dans une tranquille et parfaite obéissance. J'en conclus la bonté intrinsèque du mariage, comme principe légitime de la naissance de l'homme; j'en conclus également la bonté intrinsèque du fruit du mariage, car ce fruit n'est autre que l'homme lui-même. Mais ce qui est un mal,

 

1. Rom. VII, 18.

 

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c'est le péché avec lequel tout homme prend naissance. Dieu sans doute a été et est toujours le créateur de l'homme, mais le péché  est entré dans le monde par un seul homme,  et la mort par le péché; et c'est ainsi que la  mort est passée dans tous les hommes, par  celui en qui tous ont péché (1) ».

38. « Grâce », dit-il,  « à un nouveau mode de  discuter, vous vous flattez de rester catholique tout en patronnant l'erreur de Manés, quand vous proclamez le mariage un  grand bien et un grand mal ». Ou notre adversaire ne sait pas ce qu'il dit, ou il affecte de ne pas le savoir; car, ou bien il ne comprend pas, ou bien il ne veut pas comprendre ce que nous disons. S'il ne comprend pas, c'est qu'il est aveuglé par son erreur; et s'il ne veut pas comprendre, c'est qu'il s'obstine aveuglément à soutenir son erreur. Tombé dans une nouvelle hérésie depuis quelques années, Jovinien, lui aussi, reprochait aux catholiques de patronner le manichéisme, en soutenant contre lui que la virginité est un état plus parfait que celui du mariage. Mais notre adversaire va sans doute nous répondre qu'il ne partage pas la doctrine de Jovinien sur l'égalité du mariage et de la virginité. Je ne soutiens pas non plus qu'ils partagent cette erreur ; cependant, que ces nouveaux hérétiques apprennent par l'exemple de Jovinien qu'ils n'ont pas même le mérite de la nouveauté quand ils accusent les catholiques de favoriser les Manichéens. Oui, nous affirmons que le mariage est bon en lui-même. Mais, de même que les Ariens nous accusent de sabellianisme, quoique nous ne disions pas avec les Sabelliens que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont une seule et même chose, mais avec les catholiques, que le Père, le Fils et le Saint-Esprit n'ont qu'une seule et même nature ; de même les Pélagiens nous accusent de manichéisme, quoique nous ne disions pas avec les Manichéens que le mariage est essentiellement mauvais, mais avec les catholiques, que le péché a été commis par les premiers époux, et que ce péché est passé à tous leurs descendants. Pour échapper au sabellianisme les Ariens sont tombés dans une erreur plus criminelle encore, puisqu'ils ont admis dans la Trinité, non pas seulement la distinction des personnes, mais encore la distinction des natures. De même, en voulant éviter le

 

1. Rom. V, 12.

 

manichéisme, les Pélagiens se sont jetés dans une hérésie plus funeste encore, puisque, en soutenant que ces enfants n'ont aucun besoin de la rédemption de Jésus-Christ, ils les placent dans une situation pire que celle qui leur était faite par les Manichéens.

39. « Vous soutenez », dit-il,  « que l'homme  n'est pas coupable quand il naît de la fornication, et qu'il n'est pas innocent quand il  naît du mariage. C'est là, en effet, ce que  l'on peut conclure de cette proposition dans  laquelle vous ne craignez pas d'affirmer  que le bien naturel peut résulter de l'adultère, et le mal originel du mariage ». Tout lecteur intelligent devinera facilement la perversité de semblables insinuations. Avons. nous dit jamais que l'homme, s'il naît de la fornication, n'est pas coupable? Ce que nous affirmons, c'est que l'homme, qu'il naisse soit du mariage, soit de la fornication, est bon par lui-même en tant qu'il est la créature de Dieu ; ce qui n'empêche pas qu'il naisse coupable, par suite du péché originel. Tel est le sens de ces paroles : Le bien naturel peut découler de l'adultère, comme le mal originel du mariage. Pourquoi donc les dénaturer jusqu'au point de nous faire dire que ce qui naît de l'adultère n'est pas coupable, tandis que ce qui naît du mariage n'est pas innocent ? Dans l'un et l'autre cas l'enfant naît coupable par l'effet du péché originel; et dans l'un et l'autre cas il doit être absous par la régénération, à cause du bien inhérent à sa nature.

40. « De ces deux propositions », dit-il,  « l'une est vraie et l'autre est fausse ». Imitant ce laconisme, je réponds : Elles sont toutes deux vraies, aucune n'est fausse. « Il est vrai », dit-il,  « que le crime de  l'adultère ne trouve pas son excuse dans  le fruit qui en naît, car la faute commise  par les parents est l'effet de la perversion de leur volonté, tandis que l'enfant est  le résultat d'une fécondité en soi-même  louable. Semez du froment volé, la récolte  en sera-t-elle mauvaise et nuisible ? Je  blâme le voleur, mais je loue la récolte. De  même je déclare innocent tout enfant qui  vient de naître, et lui applique ces paroles de  l'Apôtre : Dieu lui donne le corps qu'il lui  plaît, et il donne à chaque semence le corps  qui lui est propre (1); mais je condamne le

 

1. I Cor. XV, 38.

 

735

 

malheureux qui s'est rendu coupable par a la perversion de sa volonté».

41. Il continue : « Si le mal découle du mariage, loin d'excuser le mariage, on ne peut que le condamner, comme soumettant  à l'empire du démon les enfants qui en naissent; il devient ainsi la cause du mal,  or, ce qui est la cause du mal ne saurait  être bon. Quant à l'enfant qui naît du mariage, il doit son existence, non pas au crime  mais à l'union des époux. D'un autre côté,  cette union est fondée sur la nature des corps: celui qui en fait un mauvais usage, se rend  personnellement coupable, mais ne souille  pas la race elle-même. Il est donc évident  que le bien ne saurait être la cause du mal. Si donc le mal originel découle du mariage,  il faut en conclure que la cause de ce mal  c'est le mariage lui-même ; et si ses fruits  sont mauvais, c'est qu'il est mauvais lui-même, selon cette parole du Sauveur: « L'arbre se reconnaît à ses fruits (1).Comment  donc pourrait-on vous croire quand vous  soutenez que le mariage est bon en lui même, quoique ses fruits soient mauvais?  J'en conclus que le mariage est mauvais, si a c'est par lui que l'on contracte le péché  originel; on ne pouvait le justifier qu'au tant que ses fruits seraient innocents. Or, le  mariage est universellement approuvé et  trouvé bon; d'où il suit que ses fruits sont  regardés comme innocents ».

42. Avant de répondre j'invite le lecteur à se rappeler que le but poursuivi par nos adversaires, c'est de faire croire que les enfants n'ont aucun besoin d'un Sauveur, et qu'ils ne sont coupables d'aucun de ces péchés qui leur rendraient la rédemption nécessaire. C'est là une erreur funeste qui se pose en ennemie déclarée de la grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu (2). Cependant, c'est cette erreur qu'ils cherchent à insinuer dans les coeurs peu intelligents, sous le voile extérieur des louanges prodiguées aux oeuvres de Dieu, c'est-à-dire à la nature humaine, à sa fécondité, au mariage, à l'union des deux sexes; je n'ose pas dire à la concupiscence, car s'il rougit de prononcer ce nom, ce n'est que pour se donner le droit de louer autre chose. Si donc il confond le maux survenus à la nature, avec la bonté de

 

1. Matt. VII, 16. — 2. Luc, XIX, 10.

 

la nature elle-même, ce n'est point précisément pour montrer qu'elle est saine, mais pour empêcher sa guérison. Voilà pourquoi il admet avec nous que  « le crime de l'adultère ne saurait être justifié par le bien qui  en résulte, c'est-à-dire par l'enfant qui en  naît »; et pour mieux prouver sa pensée, qui est aussi la nôtre, il invoque la comparaison d'un voleur qui sème dans son champ un froment usurpé, sans que pour cela la moisson en devienne mauvaise et nuisible. Quant à cette autre proposition formulée par nous: « Le mariage reste bon, malgré le mal  originel qui en est la conséquence », il la rejette et la condamne; il le fallait bien, car il ne pouvait l'admettre sans cesser d'être Pélagien pour devenir immédiatement catholique. « Si », dit-il,  « le mal sort du mariage, le mariage n'est plus justifiable et  doit être condamné; car vous en soumettez  les fruits à l'empire du démon, oubliant  ainsi que la cause du mal ne saurait être  bonne ». Tous les développements qu'il invoque tendent à prouver que la cause du mal ne saurait être un bien, d'où il conclut que le mariage, par cela même qu'il est un bien, ne saurait être la cause du mal; par conséquent, le fruit du mariage ne peut être coupable, et comme tel ne saurait avoir besoin d'un Rédempteur. Quoi donc? est-ce que jamais nous avons dit que le mariage fût la cause du péché, tout en soutenant que l'enfant qui. en sort ne naît pas sans péché ? Le mariage a été institué pour engendrer, et non pas pour pécher ; de là cette bénédiction conférée par Dieu aux époux: « Croissez, multipliez vous, et remplissez la terre (1) ». Quant au péché que l'on apporte en naissant, il n'est pas l'oeuvre même du mariage, mais la conséquence d'un mal survenu parmi les hommes, pour qui la consommation du mariage consiste dans l'union des époux. Il s'agit de la concupiscence. Or cette concupiscence peut exister en dehors du mariage, et le mariage aurait pu exister en dehors de toute concupiscence. Elle est l'oeuvre du corps, non pas du corps de vie, mais de ce corps de mort; voilà pourquoi depuis le péché le mariage ne peut exister sans la concupiscence, quoique la concupiscence puisse exister en dehors du mariage. Rien de si contraire au mariage que l'adultère et tous les autres crimes de la

 

1. Gen. I, 28.

 

736

 

volupté, et cependant tout cela n'est inspiré que par la concupiscence. Bien plus, lors même qu'aucun de ces crimes ne serait commis, lors même que la volonté s'armerait d'énergie et de courage pour refuser son consentement, la concupiscence cesserait-elle pour cela ses mouvements tumultueux et sa perfide agitation, voire même ses rêves et ses songes voluptueux ? Ainsi donc, même dans le mariage, ce mal n'est pas le mal du mariage; il réside avant tout dans ce corps de mort ; les époux en sont atteints lors même qu'ils ne le voudraient pas, mais ils sont toujours libres d'en accomplir les oeuvres. La concupiscence n'est donc pas; à proprement parler, le résultat du mariage dont Dieu à béni l'institution primitive ; elle est le fruit de  ce péché qui est entré dans le  monde par un seul homme, et la mort par  le péché, en sorte que la mort est passée  dans tous les hommes par celui en qui tous  ont péché » .

43. Dans quel but cite-t-il ces paroles que nous lisons dans l'Evangile : « On reconnaît  l'arbre à ses fruits? » Le Seigneur ne parlait-il pas des deux volontés de l'homme, l'une bonne représentée par le bon arbre, et l'autre mauvaise représentée par le mauvais arbre? N'est-ce pas, en effet, de la volonté bonne que procèdent les bonnes oeuvres, et de la volonté mauvaise que procèdent les mauvaises oeuvres? D'une volonté bonne, il ne peut sortir d'oeuvre mauvaise, et réciproquement. Appliquant donc au mariage cette comparaison évangélique, nous dirons que le mariage c'est l'arbre bon, tandis que la fornication c'est l'arbre mauvais. Mais alors, si l'homme naît du mariage comme le bon fruit du bon arbre, jamais il n'aurait dû naître de la fornication, d'après cet autre principe que le mauvais arbre ne saurait produire de bons fruits (1).Pour échapper à cette difficulté, dira-t-il que l'arbre signifie, non point l'adultère, mais la nature humaine de laquelle l'homme prend naissance? J'y consens, pourvu qu'il ajoute que l'arbre ne signifie pas davantage le mariage, mais la nature humaine de laquelle l'homme prend naissance. Par conséquent, cette parabole évangélique ne saurait s'appliquer à la question qui nous occupe, car ce qui a produit le péché qui est contracté par la naissance et

 

1. Matt. VII, 18.

 

expié par la renaissance, ce n'est pas le mariage, mais le péché volontaire du premier homme. « Vous dites encore, ajoute-t-il, que  le péché, de quelque manière qu'il soit  contracté par les enfants, est l'oeuvre du  démon, tandis que l'homme, quelle que soit  d'ailleurs sa naissance, est toujours l'œuvre  de Dieu ». C'est bien là ce que j'ai dit, et ce langage est tellement conforme à la vérité, qu'il s'empresserait lui-même de le formuler hautement, s'il était catholique et non pas pélagien.

44. Quelle est donc la portée de cette question qu'il nous pose : « Le péché dans les enfants est-il l'effet de leur volonté propre, du  mariage lui-même ou de leurs parents? » Puis, sans attendre la réponse, il résout la question en soutenant que rien n'autorise à admettre le péché dans les enfants. Voici ses paroles : « Par quoi le péché peut-il avoir été  produit dans les enfants? Par la volonté?  Ils n'en ont encore aucune. Par le mariage? Mais il est l'oeuvre des parents, et  vous avez admis vous-même qu'ils n'ont  pas péché en le contractant; j'avoue que, à  s'en tenir à la suite de vos développements,  cette concession ne parait pas sincère sur  vos lèvres, et qu'on devrait plutôt condamner le mariage, puisqu'il est la cause du  mal, du moins en ce qui regarde l'union  réciproque et le concours des époux. Con damnons alors les parents qui ne se sont  connus que pour produire le péché. Si donc on embrasse la doctrine que vous professez,  il ne restera plus qu'à vouer les époux aux  châtiments éternels, puisque ce n'est que  par eux que le démon est parvenu à exercer  son empire sur les générations naissantes. Et vous nous disiez tout à l'heure que  l'homme a Dieu lui-même pour créateur?  Si c'est par leur origine que les hommes  contractent le péché, c'est par le péché que  le démon soumet les hommes à son empire; par conséquent, dès lors que vous faites intervenir le démon dans la naissance de  l'homme, vous proclamez implicitement  que le démon est l'auteur même de l'homme. Si vous soutenez, au contraire, que l'homme  est créé par Dieu et que les époux sont innocents, rien désormais ne vous autorise à  admettre la transmission du péché originel ».

45. L'Apôtre répond lui-même à toutes ces (737) difficultés. En effet, il n'accuse aucunement la volonté de l'enfant, car il n'a pas de volonté propre suffisante pour pécher. Il n'accuse pas le mariage comme tel, dont il rappelle l'institution divine, sanctionnée par une bénédiction solennelle. Enfin il n'accuse pas les parents comme tels, car il proclame parfaitement légitime leur union réciproque pour la création des enfants. Que dit-il donc? Ecoutez : « Le péché est entré dans le monde  par un seul homme, et la mort par le péché; et c'est ainsi que la mort est passée dans tous les hommes par celui en qui tous ont  péché ». Si nos adversaires prêtaient à ces paroles une oreille et un cœur catholiques, ils cesseraient de se montrer rebelles à la foi et à la grâce de Jésus-Christ, ils ne tenteraient pas de vains efforts pour détourner en faveur de leur hérésie des paroles aussi claires et aussi formelles; ils ne pousseraient pas l'aveuglement jusqu'à soutenir que ces paroles de l'Apôtre signifient uniquement qu'Adam a été le premier pécheur, et que tous ceux qui ont péché depuis n'ont fait qu'imiter son exemple, en sorte que le péché d'un seul se transmet à tous les autres, non point par voie de génération, mais par voie d'imitation. Si l'Apôtre avait voulu parler de cette seconde espèce de transmission, ce n'est pas par un seul homme, mais par le démon, qu'il aurait fait entrer le péché dans le monde, et par lui dans tous les hommes. N'est-ce pas du démon qu'il est écrit: «Il est imité par ceux qui sont à lui (1) ?» Si donc l'Apôtre nous affirme que c'est par un seul homme que le péché est entré dans le monde, c'est qu'il voulait nous faire comprendre que le péché originel se transmet par voie de génération.

46. Voyons si plus loin l'Apôtre a changé de doctrine. Il ajoute immédiatement : « Car le  péché a toujours été dans le monde jusqu'à  la loi », c'est-à-dire que la loi n'a pu elle-même détruire le péché. « Néanmoins », dit-il,  quand la loi n'existait pas, le péché n'était  point imputé ». Il existait donc, mais il n'était point imputé, car ce qui l'aurait rendu imputable n'était point encore montré. Nous trouvons ailleurs la même pensée formulée en ces termes : « C'est par la loi que nous est  venue la connaissance du péché (2) ». « Ce pendant la mort a régné depuis Adam jus qu'à Moïse »; en d'autres termes, « jusqu'à

 

1. Sag. II, 25. — 2. Rom. III, 20.

 

la loi », comme il l'a dit précédemment. Il ne prétend pas que le péché n'ait point régné depuis Moïse, il affirme seulement que même la loi donnée par Moïse n'a pu détruire l’empire de la mort, laquelle ne règne pourtant que par le péché. Ce règne a pour effet de sévir contre l'homme déjà mortel et de le précipiter dans la mort seconde qui sera éternelle. « La mort a donc régné », et sur qui donc?  Même sur ceux qui n'ont pas péché  par une transgression semblable à celle « d'Adam qui est la figure du futur ». De qui est-il la figure, si ce n'est de Jésus-Christ? Et comment en est-il la figure, si ce n'est dans un sens tout opposé? Cette opposition se trouve ailleurs formulée dans ces quelques mots : « De même que tous meurent en  Adam, tous seront également vivifiés en  Jésus-Christ (1) ». Se peut-il un contraste plus frappant entre l'un et l'autre ? Et c'est ce contraste qui en constitue la figure. Pourtant cette figure elle-même ne doit pas être prise dans son extrême rigueur; de là les paroles suivantes du même Apôtre : « Mais il n'en est  pas de la grâce comme du péché. Car, si par le péché d'un seul plusieurs sont morts, la  miséricorde et le don de Dieu se sont répandus beaucoup plus abondamment sur  plusieurs, par la grâce d'un seul homme  qui est Jésus-Christ ». D'où vient cette plus grande abondance, si ce n'est de ce que tous ceux qui sont rachetés par Jésus-Christ meurent, il est vrai, temporellement à cause d'Adam, mais seront éternellement vainqueurs à cause de Jésus-Christ lui-même?  Et il n'en est pas de ce don comme du péché », dit l'Apôtre, « car nous avons été con damnés par le jugement de Dieu pour un  seul, tandis que nous sommes justifiés par  la grâce après plusieurs péchés ». « Pour  un seul » ; n'est-ce pas pour un seul péché, puisqu'il ajoute : « Nous sommes justifiés par  la grâce après plusieurs péchés? » Que nos adversaires nous disent comment nous avons été condamnés pour un seul, à moins que pour cette condamnation il ne suffise du seul péché originel, qui se transmet à tous les hommes? Quant à la grâce, elle nous justifie après plusieurs péchés, parce qu'elle efface non-seulement le péché originel, mais aussi les autres péchés dont chaque homme se rend coupable par le dérèglement de sa volonté

 

I Cor. XV, 22.

 

738

 

propre. « Si donc, à cause du péché d'un  seul, la mort a régné par un seul ; à plus  forte raison, ceux qui reçoivent l'abondance  de la grâce et du don de la justice, règne vont dans la vie par un seul, qui est Jésus Christ. Comme donc c'est par le péché d'un  seul que tous les hommes sont tombés dans  la condamnation, ainsi c'est par la justice  d'un seul que tous les hommes reçoivent la  justification de la vie». Que nos adversaires s'obstinent donc dans la vanité de leur esprit, qu'ils soutiennent que, si le péché s'est transmis, c'est uniquement par voie d'imitation et non par voie de génération. Mais alors, comment peut-il se faire que ce soit  par le  péché d'un seul que tous les hommes sont  tombés dans la condamnation », et non pas chacun par ses propres péchés ? Ne faut-il pas en conclure que ce péché, quoique numériquement seul, était suffisant par lui-même pour précipiter tous les hommes dans la condamnation, et y précipite en effet tous les enfants qui meurent avant d'avoir repris naissance en Jésus-Christ ? Pourquoi donc nous poser une question dont il ne veut pas entendre la solution de la bouche même de l'Apôtre ?  « Comment », dit-il, « le péché  peut-il se trouver dans les enfants: est-ce par  leur volonté propre, est-ce par l'effet du  mariage, est-ce par la faute des parents? » Voici la réponse, qu'il l'écoute et qu'il se taise : « C'est par le péché d'un seul », dit l'Apôtre, « que tous les hommes sont tombés  dans la condamnation ». C'est donc par Adam que tous sont condamnés, comme c'est par Jésus-Christ que tous sont justifiés; non pas, sans doute, qu'il affirme que tous ceux qui meurent en Adam soient réellement vivifiés par Jésus-Christ; le sens véritable de cette proposition c'est que, de même que la mort n'arrive à personne que par Adam, de même la vie n'est conférée à personne que par Jésus-Christ. Prenons un exemple: Quand il n'y a qu'un seul professeur de belles-lettres dans une ville, on est en droit de dire que c'est lui qui enseigne les belles-lettres à tous les habitants; non pas, sans doute, que tous les apprennent, mais parce que personne ne les apprend que de lui. Enfin, comme pour nous aider à trancher cette difficulté, l'Apôtre remplace bientôt le mot : tous, par le terme moins général : plusieurs, tout en désignant dans ces deux cas les mêmes personnes. « Car, comme plusieurs sont devenus  pécheurs par la désobéissance d'un seul  homme, ainsi plusieurs seront rendus justes  par l'obéissance d'un seul (1) ».

47. Qu'il demande encore comment le péché peut se trouver dans un enfant. Les oracles sacrés lui répondent : « Le péché est  entré dans ce monde par un seul homme,  et la mort par le péché, et c'est ainsi que la  mort est passée dans tous les hommes par  celui en qui tous ont péché. Beaucoup sont  morts pour le péché d'un seul; un juge ment de condamnation a pesé sur tous, par  un seul ; à cause du péché d'un seul, la  mort a régné par un seul; par le péché  d'un seul, tous les hommes sont tombés  dans la condamnation; par la désobéissance  d'un seul, beaucoup ont été constitués pécheurs ». Voilà comment le péché se trouve dans les enfants. Qu'il croie donc maintenant au péché originel, et qu'il laisse venir les enfants à Jésus-Christ, afin qu'ils y trouvent le salut.

Mais alors, pourquoi ces paroles: «Le péché n'est commis ni par celui qui naît, ni par  celui qui l'engendre, ni par celui qui le  crée; de quelque côté que je regarde, je ne  trouve que l'innocence ; par quelle voie le  péché a-t-il donc pu s'introduire? » Pourquoi chercher une petite ouverture, quand devant lui la porte est ouverte tout au large?  « Par un seul homme », dit l'Apôtre; «par  le péché d'un seul homme », dit le même Apôtre ; « par la désobéissance d'un seul  homme », dit enfin le même Apôtre. Peut-il trouver quelque chose de plus formel, de plus explicite, de plus positif ?

48. « Si c'est de la volonté que vient le a péché », dit-il,  « la volonté qui commet le  péché est mauvaise; si c'est de la nature, la  nature est mauvaise ». Je réponds aussitôt: C'est de la volonté que vient le péché. Il demandera peut-être s'il en est ainsi du péché originel lui-même. Je réponds : Le péché originel ne fait point exception, car il a été produit par la volonté du premier homme, de manière à affecter son auteur et à se transmettre à toute sa postérité. Il ajoute : « Si le péché vient de la nature, la nature est mauvaise ». Je lui demande à mon tour : Si c'est de la volonté mauvaise, comme d'un arbre mauvais, que procèdent toutes les

 

1. Rom. V, 12-19.

 

739

 

mauvaises actions, cette volonté mauvaise, par qui est-elle produite ? Par l'ange ? Mais l'ange n'était-il pas la plus excellente des œuvres de Dieu ? Par l'homme? Mais l'homme n'était-il pas l'œuvre de Dieu ? Si c'est l'ange qui a rendu la volonté de l'ange mauvaise, si c'est l'homme qui a rendu la volonté de l'homme mauvaise, cet homme et cet ange, avant la perversion de leur volonté, n'étaient-ils pas de Dieu les créatures les plus parfaites et les plus admirables ? Voici donc que le mal sort du bien ; et en effet, il ne pouvait sortir d'ailleurs, puisque, avant le péché, tout était bien; je parle de la volonté mauvaise, avant que le péché ne fût commis, et non pas des œuvres mauvaises qui sortent nécessairement de la volonté mauvaise, comme les mauvais fruits du mauvais arbre. Mais si ce qui était bon a pu produire une volonté mauvaise, ce n'est pas en tant que ce bien avait été créé par Dieu, mais en tant qu'il avait été tiré du néant et non pas de Dieu. Et il ose nous dire : « Si la nature est l'œuvre de Dieu, l'œuvre du  démon n'a pu passer par l'œuvre de Dieu?» Quand l'œuvre du démon s'est déclarée dans l'ange qui est devenu démon, s'est-elle déclarée dans l'œuvre de Dieu? Si donc le mal qui jusque-là n'existait nulle part a pu naître dans l'œuvre de Dieu ; pourquoi le mal qui existait déjà quelque part n'aurait-il pu passer dans l'oeuvre de Dieu? L'Apôtre ne nous dit-il pas : « Et c'est ainsi que la mort ou le  péché est passé dans tous les hommes ? » Est-ce que les hommes ne sont pas l'œuvre de Dieu? Quand donc le péché est passé dans tous les hommes, n'était-ce pas l'œuvre du démon qui passait dans l'oeuvre de Dieu? J'en conclus que Dieu seul est immuable dans sa bonté toute-puissante ; avant qu'aucun mal n'existât, c'est lui qui a créé tous les biens; et, aujourd'hui que le mal s'est glissé dans les créatures les plus parfaites, c'est. encore Dieu qui tire le bien du mal, et opère le bien en toutes choses.

49. « Dans un seul et même homme », dit-il,  « on peut blâmer l'intention et louer l'origine, car ce sont là deux choses essentielle ment indépendantes l'une de l'autre; mais,  s'il s'agit d'un enfant, on ne trouve en lui  qu'une seule de ces deux choses, la nature; car, pour la volonté, elle n'existe pas. Par  conséquent, ou bien c'est à Dieu que vous  attribuez cette nature, ou bien c'est au démon. Si cette nature est l'œuvre de Dieu,  vous ne pouvez plus admettre en elle le  péché originel. Si elle est l'oeuvre du démon, il n'y a plus lieu d'admettre en elle l'action divine. C'est donc adhérer parfaite ment au manichéisme que de croire au  péché originel ». Tous ces raisonnements ne tiennent pas devant la vérité. Nous convenons sans peine que, dans un seul et même homme, on peut blâmer l'intention et louer l'origine, car ce sont là deux choses essentiellement différentes l'une de l'autre; mais nous n'admettons pas que dans un enfant il n'y ait qu'une seule chose, la nature, dans laquelle l'homme a été créé par un Dieu bon; il y a aussi le péché qui est passé dans tous les hommes par un seul, comme l'enseigne clairement l'Apôtre, et quoi qu'en pensent Pelage, Célestius et leurs disciples. Or, de ces deux choses que nous trouvons dans les enfants, l'une, la nature, est l'œuvre de Dieu; l'autre, le péché, est l'œuvre du démon. De plus, en admettant que, par le péché, la nature même est soumise à l'empire du démon, nous ne sommes nullement en contradiction avec nous-mêmes, car nous maintenons toujours que cette nature est l'oeuvre, non pas du démon, mais de Dieu. Le vice est soumis au vice, et la nature à la nature, car vice et nature se trouvent dans le démon. Quand donc les élus sont arrachés à la puissance des ténèbres, à laquelle ils n'étaient que trop légitimement soumis, Dieu nous révèle par là toute l'étendue des grâces qu'il leur accorde, et la bonté avec laquelle il sait toujours tirer le bien du mal.

50. J'admire le ton presque religieux avec lequel il s'écrie : « Si la nature vient de Dieu,  le péché originel ne saurait exister en elle » ; mais ne pourrait-on pas lui répondre avec un accent plus religieux encore : Si la nature vient de Dieu, elle n'est accessible à aucun péché ? Ce serait pourtant une grossière erreur, celle même des Manichéens, qui prétendaient qu'aucune créature n'avait été tirée du néant, et entassaient dans la nature de Dieu tous les maux imaginables. Nous disons, nous, que le mal n'a pu prendre naissance que dans le bien, non pas dans le bien immuable et souverain qui est Dieu, mais dans le bien qui a été fait de rien par la sagesse de Dieu. Malgré le péché, l'homme tient donc encore à Dieu par quelque chose, car il n'est (740) homme que parce qu'il a été créé par Dieu. D'un autre côté, le mal n'existerait pas dans les enfants, si la volonté du premier homme n'avait pas péché, et si le péché originel n'était pas transmis par cette origine viciée. Il est donc dans l'erreur quand il accuse de manichéisme celui qui soutient l'existence du péché originel ; mais il serait parfaitement dans le vrai, s'il accusait de pélagianisme celui qui nie le péché originel. Est-ce donc seulement depuis la naissance malheureuse du manichéisme, que l'on présente les enfants à l'Eglise de Dieu pour leur conférer le baptême, l'exorcisme et l'insufflation, c’est-à-dire ces dons mystérieux qui nous prouvent qu'il faut avoir été arrachés à la puissance des ténèbres, pour pouvoir être transférés dans le royaume de Jésus-Christ (1) ? Est-ce dans les livres de Manès que nous lisons pour la première fois que le Fils de l'Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu (2) ; ou que le péché est entré dans le monde par un seul homme (3) ; et autres vérités semblables que nous avons énumérées précédemment? Est-ce par Manès que nous apprenons que Dieu rend parfois les enfants responsables des péchés de leurs pères (4) ; ou que, selon la parole du psaume : « J'ai été engendré dans l'iniquité, et ma mère m'a conçu dans le péché (5)»,  « L'homme est devenu  semblable à la vanité, et ses jours passent  comme une ombre (6) »,  Mes jours ont «vieilli, ma substance est devenue comme  un néant devant vous, et tout homme vivant n'est qu'une vanité universelle (7) ? » Ecoutons les paroles suivantes : « Toute créature est soumise à la vanité (8) »,  « Vanité  des vanités, et tout est vanité ; quel fruit  abondant l'homme retire-t-il des travaux  qu'il accomplit sous l'ardeur du soleil (9) ? »  Un joug bien lourd pèse sur les enfants  d'Adam depuis leur sortie du sein de leur  mère, jusqu'au jour de leur sépulture dans «le sein de la mère des vivants 10 »,  « Tous  meurent en Adam (11) »,  « L'homme né de la  femme n'obtient qu'une vie courte et pleine  de misères, et tombe comme l'herbe des séchée ; il fuit comme une ombre et ne s'arrêtera pas ; avez-vous donc pris soin de cet  homme, et l'avez-vous fait entrer en

 

1. Coloss. I, 18. — 2. Luc, XIX, 10. — 3. Rom. V, 12. — 4. Exod. XX, 5. — 5. Ps. L, 7. — 6. Id. CXLIII, 4. — 7. Id. XXXVIII, 6. — 8. Rom. VIII, 29. — 9. Eccl. I, 2, 3. — 10. Eccli. XL, 1. — 11. I Cor. XV, 22.

 

jugement devant vous ? Quel homme sera pur  de toute souillure ; il n'en est pas un seul, lors même que sa vie sur la terre n'aurait  été que d'un jour (1) ». On voit à la simple lecture que les souillures dont nous parle Job ne peuvent désigner que les péchés ; nous en trouvons une nouvelle preuve dans un passage du prophète Zacharie, où il est dit à un prêtre, que l'on avait dépouillé de son vêtement souillé : « Je vous ai ôté vos péchés (2) ». Or, il me semble que ces passages, et autres du même genre, qui proclament hautement que l'homme naît victime du péché et de la malédiction, ne nous sont pas présentés dans les écrits ténébreux des Manichéens, mais dans les lumineux ouvrages des catholiques.

51. Que dirai-je des commentateurs qui ont développé avec tant d'éclat, dans l'Eglise catholique, le sens des divines Ecritures? Dans tous ces passages ils ont vu clairement la doctrine du péché originel, parce que, au lieu d'écouter les suggestions d'une erreur nouvelle, ils préféraient demeurer inébranlablement attachés à l'antique foi de l'Eglise. Il serait trop long de citer les témoignages que nous trouvons dans leurs écrits ; et puis, je craindrais de paraître ne pas accorder aux autorités canoniques tout le respect que je leur dois. Toutefois, sans parler de saint Ambroise, dont Pelage a hautement loué, comme je l'ai dit, l'intégrité de la foi (3), et qui n'invoquait d'outre motif que le péché originel, pour prouver que les enfants ont besoin d'être sauvés par Jésus-Christ (4); comment ne pas citer le glorieux martyr Cyprien, afin qu'on nous dise de lui s'il a été ou s'il a pu être manichéen, puisqu'il était mort avant que cette déplorable hérésie eût pris naissance à Rome? Dans son livre sur le baptême des enfants, il soutient tellement l'existence du péché originel, qu'il ordonne de baptiser les enfants, même avant le huitième jour qui suit leur naissance, si l'on ne veut pas exposer leur âme à la mort éternelle. Il ajoute que cette facilité qui nous est accordée de recevoir le baptême, nous est accordée d'autant plus grande que les péchés qui nous y sont remis ne sont pas nos péchés propres, mais des péchés d'autrui (5).Saint Ambroise et saint Cyprien vont-ils donc passer pour des Manichéens

 

1. Job, XIV, 1-5, selon les Sept. — 2. Zach. III, 4. — 3.Ci-dessus, liv. I, n. 40. — 4. Saint Ambr. sur Isaïe, cité plus haut, liv. I, n. 40. — 5. Cypr. epit. 64, à Fidus.

 

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aux yeux de notre adversaire? Accusera-t-il de manichéisme cette antique tradition de l'Eglise qui ordonne de conférer aux enfants le baptême, l'exorcisme et l'insufflation, afin de les introduire dans le royaume de Jésus-Christ, après les avoir arrachés à la puissance des ténèbres, c'est-à-dire du démon et de ses anges? De notre côté, restant étroitement unis à ces saints docteurs et à l'antique foi de l'Eglise catholique, nous sommes prêts à subir toutes les malédictions et tous les outrages, plutôt que de nous associer aux Pélagiens, dussions-nous être par eux couronnés de fleurs et comblés d'éloges.

52. « Vous nous répétez », ajoute-t-il,  « que  la concupiscence n'aurait pas été connue,  si l'homme n'avait pas péché ; tandis qu'au contraire le mariage aurait existé, lors même que le péché n'aurait pas été commis ». Je n'ai jamais dit qu'il n'y aurait pas eu de concupiscence, car il y a une concupiscence parfaitement louable, la concupiscence spirituelle qui a pour objet la sagesse (1); j'ai seulement affirmé qu' « il n'y aurait pas  eu de concupiscence honteuse (2) ». Qu'on relise mes paroles, que du reste il a citées lui-même, et l'on verra avec quelle intention perverse il cherchait à dénaturer ma doctrine. Qu'il donne le nom qu'il voudra à la concupiscence dont je parle; toujours est-il que j'ai parlé de cette concupiscence, qui n'aurait point existé sans le péché, dont nos premiers parents ont eu à rougir dans le paradis terrestre, pour laquelle ils se sont couverts de feuillage, et dont aucun homme ne saurait nier l'existence. Telle est la concupiscence qui a commencé à se faire sentir aussitôt que le péché de désobéissance a été commis. Si l'on veut savoir ce que Adam et Eve ont prouvé, qu'on se rappelle ce qu'ils ont voilé. S'ils cueillent des feuilles de palmier, ce n'est point pour en faire un vêtement, mais pour se tresser une ceinture dont on connaît l'usage, et que les Latins désignent par un nom (campestria), qui rappelle l'usage suivi par les jeunes romains de couvrir certaines parties du corps, au moment même où ils se livraient nus aux exercices du gymnase ou du cirque.

53. « Ce mariage que vous nous représentez », dit-il,  « comme étranger à toute concupiscence, à toute émotion du corps, à

 

1. Sag. VI, 21. — 2. Plus haut, liv. I, n. 1.

 

toute nécessité de sexe, vous le louez sans  réserve ; mais, quand il s'agit du mariage  tel qu'il existe aujourd'hui, vous le traitez  comme étant l'oeuvre même du démon. « Vous approuvez cette utopie de mariage  dont vous avez pu rêver l'institution ; quant  au mariage dont l'Ecriture a dit : L'homme  abandonnera son père et sa mère pour s'attacher à son épouse, et ils seront deux dans  une seule chair (1), vous le proclamez un  mal diabolique, une véritable maladie, et  non pas un mariage proprement dit ». Que les Pélagiens déploient tous les efforts possibles pour dénaturer à leur gré nos paroles, pourquoi nous en étonner, puisque, fidèles en cela à l'habitude des autres hérétiques, ils dénaturent même les saintes Ecritures jusque dans les passages les plus clairs et les plus explicites? Qui oserait dire que le mariage peut exister sans aucun mouvement des corps, sans aucune nécessité de sexe? N'est-ce point Dieu qui a créé les différents sexes, selon cette parole : « Dieu les créa homme et femme (2)?» Appelés à s'unir, et à s'unir pour la génération, leurs corps pouvaient-ils rester insensibles? avec une telle insensibilité, quel mariage eût été possible? Il ne s'agit donc point ici de l'insensibilité et de l'immuabilité des corps, mais de ces émotions voluptueuses sans lesquelles le mariage pourrait fort bien obtenir ses effets, et qui n'aurait point existé, si 1a volonté était restée maîtresse des sens et de toutes les parties du corps. Nous n'avons aujourd'hui qu'un corps de mort, et cependant la volonté peut imposer ses ordres au pied, au bras, au doigt, à la lèvre et à la langue. Ne s'impose-t-elle pas à ces fonctions tout intérieures qui entretiennent la vie, en rejetant au dehors ce qui nuirait à la santé du corps ? Si le corps est sain et qu'il jouisse de sa liberté, la volonté peut commander jusque-là et être parfaitement obéie. N'en serait-il pas de même de tous les autres membres et de leurs différentes fonctions, s'ils n'étaient devenus les tristes victimes d'une honteuse concupiscence qui se révolte contre l'homme, comme l'homme s'est révolté contre Dieu? C'est là le châtiment du péché, et ce châtiment est vivement senti par tous ceux qui, même dans le mariage, voudraient soumettre leur corps aux prescriptions les plus sévères de la chasteté et de la modestie. Quant aux voluptueux, qui

 

1. Gen. II, 24. — 2. Id. I, 27.

 

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ne cherchent, je ne dis pas même hors du mariage, mais dans le mariage, que la satisfaction de cette honteuse passion, ils trouvent ,leur bonheur dans ce supplice de la chair, et c'est ce qui fait le supplice plus grand encore de leur esprit.

54. Il nous accuse d'avoir dit que le mariage, tel qu'il existe aujourd'hui, est l'oeuvre même du démon. C'est une pure calomnie. C'est Dieu qui, dès le commencement du monde, a institué le mariage. Après l'avoir institué pour propager et perpétuer le genre humain, Dieu n'a pas retiré aux hommes cette institution, pas plus qu'il ne leur a retiré les sens et les membres; tout cela est resté le don de Dieu, quoique les hommes dussent y trouver une occasion de se perdre. Le mariage, tel qu'il existe aujourd'hui, est bien celui dont il a été dit : « L'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa  femme, et ils seront deux dans une seule  chair » ; disons cependant qu'il figurait primitivement le sacrement de Jésus-Christ et de son Eglise. Ces paroles, en effet, furent prononcées avant le péché ; et si ce péché ne s'était point commis, le mariage n'aurait point connu la honteuse concupiscence. Il n'en est plus !te même aujourd'hui dans ce corps de mort; cependant il est toujours vrai de dire que, en vertu du mariage, l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à son épouse et ils seront deux dans une seule chair. Quand donc nous affirmons que le mariage n'est pas aujourd'hui ce qu'il aurait été sans le péché, nous ne parlons pas de sa nature, mais uniquement de telle ou telle de ses qualités. Essentiellement parlant, l'homme reste toujours le même ; et cependant, suivant le genre de vie qu'il embrasse, ne dit-on pas qu'il change en bien ou en mal? Autre est un juste, autre est un pécheur; et cependant c'est toujours le même homme. De même, autre est le mariage sans la concupiscence honteuse, autre est-il avec cette concupiscence; et cependant il reste toujours essentiellement le même, quant à l'union de l'homme et de la femme, quant à la fidélité et au devoir conjugal, et quant à la génération des enfants; à ce point de vue il est ce que Dieu l'a institué, quoiqu'il ait été souillé, non pas par le démon lui-même, mais par les hommes, qui ont prêté l'oreille à l'antique séduction, et se sont criminellement révoltés contre Dieu, sauf à sentir en eux la révolte de leurs propres membres. Cette révolte était un châtiment dont ils ont dû rougir; toutefois, malgré cette honteuse concupiscence qui en est aujourd'hui inséparable, le mariage n'a pas perdu la bonté essentielle qu'il tient de son institution divine.

55. Des époux il passe aux enfants, qui sont en effet l'objet de cette grande question pour laquelle nous engageons contre ces nouveaux hérétiques de si longues discussions. Mais voici que, poussé sans doute par une force secrète et divine, il dévoile complètement sa pensée, et tranche lui-même le noeud de la difficulté. En effet, voulant frapper contre nous le dernier coup, parce que nous disons que même les enfants issus du mariage légitime naissent coupables d'un péché, il s'écrie: «Vous soutenez donc que les enfants qui ne  sont jamais nés ont pu être bons, tandis que a ceux qui ont rempli le monde, et pour lesquels Jésus-Christ est mort, sont l'oeuvre  propre du démon, le fruit de la maladie spi rituelle, et sont coupables depuis leur naissance ». J'ai prouvé que  toute votre augmentation tend à montrer que « Dieu n'est pas  le créateur des hommes qui existent ». Je réponds que toujours j'ai affirmé que Dieu seul est le créateur de tous les hommes, quoique ces hommes naissent coupables et ne puissent échapper à la condamnation, à moins qu'ils ne renaissent en Jésus-Christ. Grâce au démon, ils ont été conçus dans l'iniquité, et ils naissent dans le péché, quoique par leur nature proprement dite ils soient toujours l'oeuvre de Dieu. Faites que la concupiscence honteuse n'agite nos membres qu'avec le consentement formel de notre volonté, et alors je dirai que notre nature est saine; que cette concupiscence ne fasse plus rougir le mariage, même licite et honnête; que ce mariage cesse de craindre la publicité de ses oeuvres et ne cherche plus les ténèbres, alors encore je dirai que notre nature est saine; que l'Apôtre cesse de défendre aux époux de s'unir sous l'influence de cette maladie, et je dirai de nouveau que notre nature est saine. N'est-ce point là cette maladie que les commentateurs latins désignent, tantôt sous le nom de maladie du désir ou de la concupiscence, et tantôt sous le nom de passion de la concupiscence (1), ou sous tout autre nom semblable? Quoi qu'il en soit,

 

1. I Thess. IV, 5.

 

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dans la langue latine et surtout dans le langage ecclésiastique, le mot passion implique toujours une idée de blâme et de mépris.

56. Du reste, peu nous importe que notre adversaire pense ce qu'il voudra de la concupiscence de la chair. Quant aux enfants dont nous nous occupons spécialement, et dont nous ne croyons le salut possible que par l'application nécessaire des mérites du Sauveur, voyez ce qu'il en pense, et laissez-moi vous redire ses propres paroles : « Quant à ceux », dit-il, « qui ne sont jamais nés, vous dites  qu'ils ont pu être bons ; quant à ceux qui  ont rempli le monde, et pour lesquels Jésus Christ est mort, vous les regardez comme  l'œuvre du démon, comme nés de la maladie et comme coupables depuis le commencement ». Plaise à Dieu qu'il termine la discussion comme il tranche le noeud de la question t Mais dans un instant ne soutiendra-t-il pas.que c'est aux hommes que s'appliquent ses paroles? Il ne s'agit pourtant que des enfants, de ceux qui naissent; et parce que nous affirmons qu'ils naissent coupables du péché originel, il nous en fait un crime en nous objectant que Jésus-Christ est mort pour eux. S'ils ne sont pas coupables, dans quel but Jésus-Christ est-il donc mort pour eux? C'est assurément ici que nous allons trouver la cause de ces inculpations qu'il nous adresse. Voici sa question : « Comment sont coupables des enfants pour lesquels Jésus-Christ est mort? » Je réponds: Comment des enfants, pour lesquels Jésus-Christ est mort, pourraient-ils ne pas être coupables ? Je n'attends plus qu'un juge pour se prononcer sur cette controverse. Ce sera Jésus-Christ; et lui-même va nous dire quels sont les coupables qui ont été sauvés par sa mort. « Ceci », dit-il,  « est mon sang, qui sera a répandu en faveur de plusieurs pour la rémission de leurs péchés (1) » . Le juge que j'invoque, ce sera aussi l'Apôtre, car c'est Jésus-Christ qui parle dans l'Apôtre. Parlant donc du Père, il s'écrie : « Il n'a pas épargné son propre Fils, mais il l'a livré pour nous  tous (2) ». En disant que Jésus-Christ a été livré pour nous tous, il est évident pour moi qu'il ne sépare pas la cause des enfants de la nôtre. Mais pourquoi insister sur ce point, puisque notre adversaire convient lui-même que Jésus-Christ est mort pour les enfants, et nous accuse d'erreur parce que nous pouvons

 

1. Matt. XXVI, 28. — 2. Rom. VIII, 32.

 

encore regarder comme coupables des enfants pour lesquels Jésus-Christ est mort? L'Apôtre nous a dit que Jésus-Christ avait été livré pour nous tous; qu'il nous dise maintenant pourquoi il a été livré pour nous. « Il a été  livré », dit-il,  « pour nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification (1) ». Si donc il est vrai que Jésus-Christ a été livré pour les enfants, et notre adversaire en convient lui-même, puisque c'est au nom de cette vérité qu'il nous attaque, il n'est pas moins vrai que c'est pour nos péchés que Jésus-Christ a été livré; mais alors, les enfants sont donc coupables du péché originel, puisque c'est pour leurs péchés que Jésus-Christ a été livré; ils ont donc besoin d'être guéris, puisque le Sauveur a dit lui-même : « Ce ne sont pas  ceux qui se portent bien, mais ceux qui  sont malades qui ont besoin de médecin (2) » ; ils ont donc besoin du salut que leur apporte celui qui, selon le même Apôtre,  est venu a dans le monde pour sauver les pécheurs (3) ; ils ont donc besoin du pardon de Celui qui nous atteste lui-même qu'il a répandu son sang pour la rémission des péchés; ils ont besoin d'être recherchés par Celui qui est venu  « chercher et sauver ce qui était perdu (4) » ; ils ont besoin d'être délivrés par le Fils de Dieu, qui, selon saint Jean, est venu  pour  briser les oeuvres du démon (5). C'est donc se poser en ennemi du salut des enfants, que de leur supposer une parfaite innocence qui leur rend inutile toute guérison de plaies et de blessures.

57. Notre adversaire continue en ces termes  Si c'est Dieu qui, avant le péché, a donné aux  hommes la fécondité, et si c'est le démon  qui a jeté dans les parents les émotions de  la concupiscence, on ne doit point hésiter à  proclamer l'innocence de ceux qui naissent  et la culpabilité de ceux qui engendrent. « Mais, comme une telle doctrine serait la condamnation manifeste du mariage, je vous  supplie de l'étouffer entièrement dans l'Eglise, et de croire que c'est par Jésus-Christ  que tout a été fait et que rien n'a été fait  sans lui (6) ». Par ce langage il suppose évidemment que nous regardons le démon comme auteur, dans l'homme, de quelque chose de substantiel. Non, le démon n'a créé aucune substance; mais, à force de séductions,

 

1. Rom. IV, 25. — 2. Matt. IX, 12. — 3. I Tim. I, 15. — 4. Luc, XIX, 10. — 5. I Jean, III, 8. — 6. Jean, I, 3.

 

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il a persuadé le péché. Il a persuadé la nature, parce que l'homme est une nature, et en la persuadant il l'a viciée. Celui qui imprime une blessure, ne crée pas pour cela les membres, il les vicie. Les blessures dont on frappe le corps, affectent les membres et rendent l'homme boiteux ou malade, mais elles n'atteignent aucunement la vertu qui le rend juste ; il n'en est pas de même de cette blessure que nous appelons le péché, elle s'attaque à la vie même et en détruit la droiture. Or, la première blessure imprimée par le démon sur la nature de l'homme a été beaucoup plus profonde et plus grave que ne le sont aujourd'hui les blessures dont les hommes se frappent eux-mêmes par leurs péchés les plus connus. Voilà pourquoi il a suffi de ce premier péché pour faire déchoir notre nature, pour la rendre pécheresse et lui communiquer le triste privilège d'engendrer des pécheurs. Toutefois, cette langueur au sein de laquelle périt la puissance de bien vivre, n'est point une nature distincte, mais un vice; de même que la plus mauvaise santé corporelle n'est point une nature distincte, mais un vice

ce qui n'empêche pas que très-souvent la mauvaise santé des parents se transmet et reparaît dans la constitution des enfants.

58. Ce péché, qui a fait déchoir l'homme dans le paradis terrestre, et dont la gravité surpasse de beaucoup la faible portée de notre jugement, se transmet à tout enfant qui prend naissance, et ne lui est remis que par sa renaissance en Jésus-Christ. A ce point de vue, peu importe ,que les parents aient été régénérés, et qu'ils aient obtenu pour eux-mêmes la rémission de ce péché ; il ne s'en transmet pas moins à leurs enfants qui le contractent par l'effet de leur naissance charnelle et n'en sont purifiés que par une seconde naissance toute spirituelle. C'est là un mystère, mais un mystère auquel le Créateur a voulu nous initier en nous proposant l'exemple de l’olivier franc et de l'olivier sauvage, car ce dernier est produit non-seulement par l'olivier sauvage, mais encore par l'olivier franc, qui ne saurait ainsi se reproduire lui-même. De même, dans les hommes engendrés par la nature et régénérés par la grâce, nous trouvons toujours la concupiscence charnelle se révoltant contre la loi de l'esprit; cependant, comme cette concupiscence a été pardonnée dans la rémission générale des péchés, elle n'est plus imputée à péché, elle ne saurait même plus nuire, à moins que la volonté ne consente à ses mouvements illicites. Quant aux enfants qui naissent du mariage, comme ils sont le fruit, non pas de la concupiscence spirituelle, mais de la concupiscence charnelle, quoiqu'ils naissent de l'olivier franc, ils ne sont pourtant que l'olivier sauvage, et naissent tellement coupables qu'il leur faudra renaître spirituellement pour être délivrés de cette maladie du péché. Comment donc notre adversaire ose-t-il après cela nous accuser d'innocenter les enfants et d'accuser les parents, puisque, dociles à l'évidence de la vérité, nous affirmons que, malgré la sainteté des parents, la faute originelle ne laisse pas de souiller les enfants jusqu'à ce qu'ils en obtiennent la rémission dans une seconde naissance ?

59. Maintenant notre adversaire est libre de penser ce qu'il voudra de cette concupiscence de la chair qui commande en tyran aux voluptueux, exige des hommes chastes une répression continuelle, et soulève un sentiment de honte dans le coeur des uns et des autres. Toutefois, il me semble remarquer que cette concupiscence lui plaît beau. coup; eh bien ! s'il rougit de la nommer, qu'il n'hésite pas à la combler d'éloges; qu'il continue, comme il l'a fait précédemment, de l'appeler la vigueur des membres, la puissance des membres, sans craindre de pousser l'impudence jusqu'à faire rougir toutes les âmes chastes. S'il n'est point accessible à la honte, qu'il dise que, si le péché n'avait point été commis, cette vigueur aurait pu s'épanouir dans tout l'éclat de la fleur; qu'aucun voile n'aurait été nécessaire pour cacher des mouvements dont personne n'aurait eu à rougir; enfin, que cette vigueur aurait toujours pu s'exercer librement, sans être soumise à aucune répression, sans se voir privée un seul instant de la félicité qui lui était réservée. Gardons-nous bien de supposer que cette félicité ait pu rester un seul instant sans objet, ou éprouver dans son corps ou dans son esprit des sensations pénibles. Dès lors, en admettant que le mouvement de la passion eût prévenu la volonté de l'homme, la volonté l'aurait immédiatement suivie; l'épouse, dont aucune absence n'était possible, fût-elle libre ou embarrassée, se serait. à l'instant présentée ; et si la génération ne devait (745) point se produire, du moins la volupté aurait obtenu une satisfaction naturelle et louable. A quelque prix que ce fût, jamais cette bonne concupiscence n'aurait été frustrée dans ses désirs ; seulement les époux n'auraient point eu recours à un usage contraire à la nature, et auraient trouvé dans l'ordre établi toutes les satisfactions désirables et possibles. Toutefois, qu'arriverait-il si cet usage contre nature venait à plaire, si cette louable passion aspirait à ce genre de volupté ? La suivrait-on, parce qu'elle paraîtrait douce ; la repousserait-on, parce qu'elle paraîtrait honteuse? Si on la suivait; que deviendraient les plus simples notions de l'honnêteté? Si on la repoussait, que deviendrait la paix inhérente à une telle félicité? Rougissant peut-être de semblables conséquences, notre adversaire soutiendra sans doute que, en vertu de cette heureuse paix et de l'ordre établi en toutes choses, jamais la concupiscence de la chair n'aurait prévenu la volonté humaine; avant de s'émouvoir, elle aurait attendu les ordres de cette volonté ; celle-ci à son tour ne se serait prononcée que quand la génération serait devenue un besoin. De cette manière tout se serait passé dans un ordre parfait, avec un résultat certain, et sans aucun inconvénient possible, car la chair et la passion n'auraient été que des servantes dociles, toutes prêtes à obéir au premier signe de commandement. Or, si c'est là sa réponse, qu'il constate du moins que les choses se passent tout autrement aujourd'hui. Et s'il ne veut pas avouer que la passion soit un vice, qu'il nous concède au moins que la concupiscence de la chair a été viciée par la désobéissance de l'homme, en sorte qu'elle ne se meut aujourd'hui que d'une manière désobéissante et désordonnée, quand au contraire ses mouvements auraient dû se produire dans l'obéissance et l'ordre le plus parfaits. Même dans les époux les plus chastes, cette concupiscence est loin de se montrer docile à la volonté, car elle s'émeut sans aucune nécessité; et quand elle est nécessaire, elle se montre tan

tôt plus lente et tantôt plus empressée. C'est donc de cette désobéissance de la chair qu'ont été frappés nos premiers parents en punition de leur propre révolte, c'est d'elle aussi que nous héritons par voie de naissance et d'origine. S'ils ont rougi de leurs membres, tandis qu'auparavant ils pouvaient s'en glorifier, n'est-ce point parce que la concupiscence, jusque-là docile et soumise, leur fit ressentir des mouvements désordonnés?

60. Mais, comme je l'ai dit précédemment, que notre adversaire pense de la concupiscence ce qu'il voudra, qu'il la prêche, qu'il la loue comme il voudra; et en effet, dans plusieurs passages de ses écrits il lui prodigue de grands éloges; que les Pélagiens qui, par amour pour la continence, ne jouissent pas du mariage charnel, cherchent à suppléer à cette privation, en versant sur la concupiscence les louanges les plus abondantes; je leur laisse sur ce point liberté pleine et entière. Du moins, qu'il épargne les enfants, qu'il leur épargne des louanges inutiles et une justification cruelle ; qu'il ne dise point qu'ils sont sauvés, et qu'il leur permette de se présenter, non point à leur panégyriste Pélage, mais à Jésus-Christ leur Sauveur. Je veux terminer ce livre, comme il a terminé le sien, en citant ces paroles : « Croyez fermement que c'est  par Jésus que tout a été fait, et que rien n'a  été fait sans lui ». Oui, qu'il concède que Jésus est vraiment Jésus pour les enfants ; et, puisqu'il confesse que tout a été fait parle Verbe-Dieu, qu'il confesse également, s'il veut être catholique, que les enfants sont sauvés par Jésus. Ce n'est là, du reste, que l'application de cette parole de l'Evangile : « Ils le nommeront Jésus, car il sauvera son  peuple de leurs péchés (1) ». Dans la langue latine le mot Jésus n'est-il pas synonyme de Sauveur?  Il sauvera son peuple », et dans ce peuple sont également compris les enfants. « Il les sauvera de leurs péchés » ; si les enfants n'étaient pas coupables du péché originel, Jésus pourrait-il être leur Sauveur?

 

1. Matt. I, 21.

 

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX

 

FIN DU TOME QUINZIÈME

 

 

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