HEXAËMÉRON III

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HOMÉLIE TROISIÈME. ET DIEU DIT : Que le firmament soit fait. ( Genèse. I. 6. )

 

SOMMAIRE.

 

HOMÉLIE prononcée le matin , et formant seule le second tour de la création. Après un préambule où il exhorte ses auditeurs à l'écouter avec attention , dégagés de tous les soins temporels, saint Basile explique ces paroles : Et Dieu dit : Que le firmament soit fait au milieu des eaux , afin qu'il divise les eaux d'avec les eaux. Il examine d'abord comment Dieu parle et à qui il parle, et il tire de ce passage une preuve des trois personnes qui composent la Trinité. Il examine ensuite si le firmament , auquel on a aussi donné le nom de ciel, est différent du premier ciel, et si , en général, il existe deux ou plusieurs cieux; il soutient l'affirmative pour l'une ou l'autre question , et réfute le sentiment de ceux qui pensaient le contraire. Il montre comment les eaux pourraient tenir sur la voûte du firmament, quand même sa partie concave , ainsi qu'elle nous paroît , serait sphérique , et pourquoi on a donné à ce second ciel le nom de firmament. Immense quantité d'eaux supérieures et inférieures ; servent d'aliment au feu jusqu'à la consommation des siècles. C'est un faux principe que l'orateur développe fort au long. Des écrivains expliquaient d'une manière allégorique les eaux supérieures et inférieures ; saint Basile attaque ces explications , fait voir en quel sens Dieu trouve belles les choses qu'il a faites , et termine son homélie par des réflexions pieuses tirées du sujet.

 

LES ouvrages du premier jour, ou plutôt du jour ( car ne lui ôtons pas la dignité qu'il a reçue du Créateur , qui l'a fait à part, et ne l'a pas compte en rang

 

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avec les autres ) , les ouvrages créés en ce jour ont fait le sujet du discours d'hier , que nous avons partagé pour nos auditeurs en deux instructions , dont l'une a alimenté leurs âmes le matin, et l'autre les a réjouies le soir: nous allons passer maintenant aux spectacles du second jour. Je parle ainsi en faisant attention, non aux talents de l'orateur, mais à la beauté des Ecritures qui sont naturellement propres à être reçues avec plaisir, à flatter et à gagner les coeurs de ceux qui préfèrent la simple vérité à toute la pompe de l'éloquence humaine. Le psalmiste voulant présenter avec force cette douceur et cet agrément de la vérité, s'exprime ainsi : Que vos paroles sont agréables à ma bouche ! leur douceur l'emporte sur celle du miel. Hier donc, autant qu'il était possible, nous avons réjoui vos âmes en les occupant des paroles de Dieu ; nous nous sommes rassemblés aujourd'hui, un second jour , pour contempler le spectacle qu'offrent les ouvrages du second jour. Je n'ignore pas que la plupart de ceux qui m'écoutent sont appliqués à des arts mécaniques , et livrés à des travaux dont ils tirent leur subsistance journalière. Je suis obligé, à cause d'eux, d'abréger mon instruction , pour qu’ils ne soient pas éloignés trop longtemps de leur travail. Que leur dirai-je ? sans doute que la partie du temps qu'ils prêtent à Dieu n'est point perdue, mais leur est. rendue avec un ample intérêt. Le Seigneur écartera tous les accidents qui peuvent être un obstacle à leurs occupations ; il récompensera ceux qui préfèrent à tout les choses spirituelles , par la force du corps, par l'ardeur de l'esprit, par un succès facile dans les affaires, et par la prospérité dans tout le cours de la vie. Mais quand même ici bas vous ne réussiriez point selon vos espérances, la doctrine de

 

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l’Esprit-Saint est du moins un trésor pour le siècle futur. Bannissez donc de vos coeurs tout soin de la vie, et donnez-moi votre attention toute entière. Car à quoi me servirait que vos corps fussent présents, si vos coeurs étaient occupés d'un trésor terrestre ?

Et Dieu dit : Que le firmament soit fait au mi-lieu des eaux, afin qu'il divise les eaux d'avec les eaux. Nous avons déjà entendu hier ces paroles de Dieu: Que la lumière soit; et aujourd'hui: Que le firmament soit fait. Les paroles présentes disent quelque chose de plus; sans s’arrêter à un simple ordre, elles expliquent la cause pour laquelle Dieu a voulu créer le firmament. Afin, dit Moïse, qu'il divise les eaux d'avec les eaux. Examinons d'abord comment est-ce que Dieu parle. D'après notre manière, les images des choses se gravent-elles dans son esprit ? et quand il a conçu des idées, les énonce-t-il en se servant des expressions les plus propres et les plus convenables à chacune? après quoi, livrant ses pensées au ministère des organes de la voix, et frappant l'air par un mouvement articulé de la langue, manifeste-t-il ainsi ses conceptions? Mais ne serait-ce pas une fiction absurde de prétendre que Dieu a besoin de tout ce circuit pour énoncer ses idées et ses sentiments ? N'est-il pas plus conforme à la piété de dire que la parole dans Dieu est l'acte de sa volonté et la première impulsion de son désir ? L'Ecriture nous le représente employant paroles, afin de montrer qu'il n'a pas seulement voulu tirer du néant les êtres divers, mais leur donner l'existence par le ministère d'un coopérateur (1). Elle pouvait, cette divine Ecriture,

 

(1) D'un coopérateur: du Fils de Dieu , Dieu lui-même, éternel comme son Père.

 

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s'exprimer partout comme elle a fait d'abord: Au commencement Dieu créa; elle pouvait dire, il fit la lumière, il lit le firmament : mais introduisant Dieu qui ordonne et qui parle, elle indique tacitement quelqu'un auquel il ordonne et avec lequel il parle. Elle ne nous envie pas la connaissance de la vérité; mais enflammant notre ardeur pour la connaître , elle nous montre les traces et les indices d'un mystère vénérable (1). Ce qu'on acquiert par du travail est reçu avec plaisir et conservé avec soin; au lieu qu'on méprise la possession des choses dont l'acquisition est trop facile. C'est clone par un certain chemin et par un certain ordre que Dieu nous conduit à la connaissance de son Fils unique. Toutefois, même dans ce cas, une nature incorporelle n'avait pas besoin de l'organe de la voix, puisque ces pensées pouvaient se communiquer par elles-mêmes à son coopérateur. Quel besoin ont de la parole des êtres qui peuvent se communiquer leurs volontés par la pensée même ? La voix est pour l'ouïe et l'ouïe pour la voix. Où il n'y a ni air, ni langue, ni oreille, ni conduit tortueux qui porte les sons aux sens placés dans la tête, il n'est pas besoin de paroles; la communication de la volonté se fait, pour ainsi dire, par les seules pensées de l’âme. Je le répète donc, c'est pour exciter notre esprit à examiner la personne à laquelle s'adressent les discours , que l'Ecriture s'est servie avec art et avec sagesse de cette manière de parler.

Il faut examiner en second lieu si le firmament, auquel on a aussi donné le nom de ciel, est différent du ciel créé d'abord, et si en général il existe deux cieux. Les savants qui ont raisonné

 

(1) D'un mystère vénérable , du mystère de la sainte Trinité.

 

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sur le ciel consentiraient plutôt à perdre leur langue qu'à admettre ces deux cieux. Ils prétendent qu'il n'y a qu'un ciel, et que sa nature ne permet pas qu'il y en ait un second, un troisième, ou davantage , toute la substance du corps céleste ayant été épuisée a la formation d'un seul, comme ils le pensent. lis disent qu'un corps qui se meut en cercle est unique , que cet ouvrage a été consommé, et que tout ayant été employé pour un premier ciel, il ne reste plus rien pour un second ou pour un troisième. Voilà ce que forgent ces hommes qui fournissent à l'Ouvrier suprême une matière éternelle, et qui, de cette première fiction fausse, sont conduits à un mensonge lié avec elle par tin rapport naturel. Pour nous , nous demandons aux, sages de la Grèce de ne point se rire de nous avant que de s'être conciliés ensemble. Parmi eux, il en est qui supposent des cieux (1) et des mondes à l'infini. C'est lorsque cette opinion aura été attaquée et détruite comme absurde par les philosophes qui emploient les preuves les plus imposantes, qui prétendent établir, par des démonstrations géométriques, qu'il est contraire à la nature qu'il y ait plus d'un monde; c'est alors que nous nous moquerons davantage des inepties mathématiques et savantes de ces philosophes, si, voyant due, par une seule et même cause, des bulles se forment sur l'eau en grand nombre, ils cloutent après cela que la puissance créatrice ait pu donner l'être à plusieurs mondes; ces mondes dont la force et la grandeur ne diffèrent guère de ces gouttes d'eau qui s'enflent sur la surface des fontaines, si on les compare à la puissance infinie de Dieu. Ainsi leur

 

(1) Il en est qui supposent ... Tels que Démocrite et d'autres philosophes.

 

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raison d'impossibilité est ridicule. Pour nous sommes si éloignés de ne pas croire un second ciel, que nous en cherchons même un troisième, celui que le bienheureux Paul a eu l’avantage de contempler. En nommant les cieux des cieux, le psalmiste nous annonce qu'il en existe plusieurs. Les cieux ne sont pas plus extraordinaires que les sept cercles que parcourent les sept planètes, d'après le sentiment de presque tous les philosophes (1). Ces cercles, disent-ils, sont les uns dans les autres, comme ces barils que nous voyons emboîtés ensemble. Ils ajoutent que ces cercles emportés par un mouvement contraire au mouvement général, rendent, en traversant l'éther, un son agréable et mélodieux, supérieure à la plus belle musique. Lorsqu'on leur demande d'appuyer leur assertion par le témoignage des sens, que répondent-ils? ils disent qu'accoutumés à ce son dès notre naissance, une longue et continuelle habitude nous en a ôté le sentiment. Ainsi, dans les boutiques des forgerons, ceux dont les oreilles sont continuellement frappées, n'entendent plus rien. Réfuter de pareilles rêveries, dont la futilité se montre évidemment au premier coup-d'oeil, ce ne serait ni savoir ménager le temps, ni compter assez sur l'intelligence de ses auditeurs.

Mais laissant aux infidèles les erreurs des infidèles , revenons à l'explication de l'Écriture. Quelques-uns de nos prédécesseurs ont prétendu. que ce n'était pas la création d'un second ciel, mais le développement du premier: qu’il était

 

(1) De presque tous les philosophes , et surtout des Pithagoriciens. Cicéron parle, dans le songe de Scipion, de ces cercles, de leur mouvement , et des prétendus sous mélodieux qu'ils rendent.

 

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parlé d'abord en général de la création du ciel et de la terre; mais qu’ici l'Ecriture explique la manière plus particulière dont chaque chose a été faite. Pour nous, nous pensons que l’Écriture parlant d'un second ciel dont le nom est différent et l'usage particulier, ce ciel diffère de celui qui a été créé d'abord; qu'il est d'une substance plus ferme, et d'un usage spécial dans l'univers.

Et Dieu dit: Que le firmament soit fait , afin qu'il divise les eaux d'avec les eaux. Et Dieu fit le firmament; il divisa les eaux qui étaient sous le firmament d'avec celles qui étaient au-dessus du firmament. Avant de chercher le sens de ces paroles, tâchons de détruire les objections qui nous sont faites. On nous demande comment, s'il est vrai que le corps du firmament soit sphérique, ainsi qu'il le paraît à la vue, et si l'eau est de nature à s'échapper et à se répandre d'un lieu élevé; on nous demande comment les eaux ont pu se tenir sur une surface convexe. Que dirons-nous à cela ? Quoique dans sa partie concave un objet nous paraisse d'une exacte rondeur, ce n'est; pas une raison pour que sa partie convexe soit sphérique et se prolonge dans une ligne parfaitement circulaire. Par exemple , les bains et autres édifices pareils, quoiqu'arrondis en arcs au-dedans, nous offrent souvent au-dehors une surface plane et unie. Ainsi, qu'on ne se fasse pas à soi-même et qu'on ne nous fasse pas de difficultés, comme si l'eau ne pouvait tenir sur la partie élevée du firmament, dont nous allons examiner la nature, et pourquoi il est placé entre les eaux.

L'Ecriture, comme on le voit par divers passages (1), a coutume d'appeler firmament ce qui a

 

(1) Le grec cite quelques passages que je n'ai pas traduits, parce que la traduction n'aurait pu taire sentir ce que l'orateur veut prouver.

 

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une force et une solidité particulière. Les philosophes païens eux-mêmes appellent corps ferme , un corps plein et solide, pour le distinguer du corps mathématique. Le corps mathématique est celui qui n'existe que par des dimensions en longueur, largeur et profondeur. Le corps ferme est celui qui, outre ces dimensions, a encore de la résistance. L'Ecriture appelle firmament, tout ce qui est fort et inflexible : elle se sert même de ce mot pour exprimer un air extrêmement condensé. C'est moi qui affermis le tonnerre, dit-elle (Amos. 4. 13.). Elle appelle affermissement du tonnerre , la ferme résistance de l'air enfermé dans les nues, qui fait long-temps effort, et qui éclate enfin avec un bruit horrible. De même ici nous pensons que le mot firmament est employé pour exprimer une substance ferme et solide, laquelle est en état de retenir l'eau qui s'échappe et se répand aisément. N'allons pas croire néanmoins, parce que le firmament, selon l'acception commune, paraît tirer son origine de l'eau, qu'il ait quelque rapport ou avec l'eau gelée, ou avec quelque autre matière semblable, dont le principe est une eau filtrée, tel que le crystal, qui provient de la plus excellente des congélations; ou cette pierre diaphane (1) qui se forme dans les mines , et dont la transparence approche de celle de l'air le plus pur, lorsque dans toute sa largeur et toute sa profondeur elle n'offre aucune tache ni aucune fente. Le firmament ne ressemble à aucune de ces matières. il y a de la simplicité et de la puérilité à se faire de pareilles idées des corps célestes. Et parce que tous les éléments se trouvent partout, que le feu est dans la terre, l'air dans l'eau, et

 

(1) C'était la pierre spéculaire dont il est parlé dans Pline, autrement la sélénite.

 

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ainsi des autres; parce qu'aucun des éléments qui tombent sous nos sens n'est pur , qu’il est toujours mêlé avec l'élément dont il est l'ami oit l'ennemi, ne nous imaginons pas non plus à cause de cela que le firmament soit un des éléments simples ou tin mélange de plusieurs. Nous apprenons de l’Ecriture à ne point permettre à notre imagination de se figurer autre chose que ce que les Livres saints rapportent. N'oublions pas de remarquer qu’après que Dieu a donné cet ordre: Que le firmament soit, il n'est pas dit simplement et le firmament fut; mais, et Dieu fit le firmament ; ensuite, et Dieu divisa. Ecoutez, sourds, et vous, aveugles, levez les yeux. Et quel est le sourit, sinon celui qui n'entend pas l'Esprit-Saint qui crie d'une voix si éclatante quel est l'aveugle? celui, sans doute, qui n'aperçoit pas des preuves si sensibles du Fils unique de Dieu. Que le firmament soit; c'est la voix qu'adresse à son Fils le principal Auteur de l'univers. Dieu fit le firmament ; c'est le témoignage d'une puissance effectrice et créatrice (1).

Mais revenons à la suite de notre explication : Afin qu'il divise les eaux d'avec les eaux. Il y avait, ce semble, une immense quantité d'eaux, et elles n'étaient dans aucune proportion avec les autres éléments, puisqu'elles inondaient de toutes parts la terre, et qu'elles étaient suspendues au-dessus d'elle. C'est pour cela qu’il est dit auparavant, que l'abyme enveloppait de tous côtés la terre. Nous donnerons tout-à-l'heure la raison de cette immense quantité d'eau, Aucun de ceux qui ont le plus exercé leur esprit, et qui connaissent le mieux ce monde corruptible et passager n’attaquera

 

(1) D'une puissance… sans doute , du Fils de Dieu lui-même qui a créé le monde avec son Père.

 

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notre opinion comme supposant des choses impossibles ou imaginaires ; il ne nous demandera pas sur quoi pose l'élément de l'eau. Car par la raison qu'ils retirent des extrémités la terre plus pesante que l'eau, et qu'ils la suspendent au milieu du monde, par cette même raison, dis-je, ils accorderont que cette eau abondante , qui par sa nature se porte en bas et qui pèse en tout sens, s'arrête et repose sur la terre. Les eaux inondaient de toutes parts la terre ; extrêmement abondantes , elles n avoient aucune proportion avec elle, mais étaient infiniment plus étendues. Le souverain Ouvrier, dès le commencement , prévoyait l'avenir, et avait ainsi disposé les choses pour la suite. A quelle fin donc les eaux étaient elles en plus grande quantité qu'on ne peut dire? Comme l'élément du feu est nécessaire au monde, non-seulement pour les besoins terrestres, mais encore pour le complément de l'univers , qui manquerait, d'une partie essentielle , s'il manquait de l'élément le plus important de tous et le plus utile ; comme l'eau et le feu sont ennemis et opposés, et que l'un tend à détruire l'autre, le feu, lorsqu'il l'emporte par la puissance ; l'eau, lorsqu'elle domine par l'abondance : comme  il ne fallait pas qu'ils fussent en guerre ensemble, et que le défaut absolu de l'un des deux occasionnât la ruine de l'univers, l'Ordonnateur suprême a tellement multiplié les eaux, que, consumées peu à peu par la puissance du feu, elles pussent néanmoins résister jusqu'au temps marqué pour la fin du monde (1). Celui qui dispose tout avec

 

(1) Saint Basile ne fait pas attention que le feu ne détruit pas l'eau , mais ne fait qu'en décomposer les parties qu'il volatilise , comme il le dira lui-même par la suite. L'imagination de l'orateur , d'après un faux principe , a donc augmenté à l’excès la quantité des eaux qui étaient dans le monde au moment de la création.

 

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poids et mesure, qui, comme dit  Job nombre jusqu’aux gouttes de la pluie ( Job. 36. 27.) , savait quel temps il a marque pour la durée du monde, et combien il falloir d'aliment au feu. Voilà pourquoi l'eau a tellement abondé dans la création. Au reste, il n'est personne assez étranger à la société, pour qu'il faille lui apprendre combien le feu est essentiel au monde. Non-seulement les arts nécessaires à la vie, tels que l’agriculture, l'architecture et les autres, ont besoin de la vertu du feu ; mais ni les arbres ne peuvent fleurir, ni les fruits mûrir, ni les animaux terrestres ou aquatiques naître et se nourrir depuis le commencement jusqu'à la fin, sans la chaleur du feu. La chaleur du feu est donc nécessaire pour la naissance et la durée des êtres : l'abondance des eaux est nécessaire, partie que le feu consume sans cesse et sans relâche. Considérez toutes les choses créées, et vous verrez que la puissance du

feu domine dans tous les êtres qui s'engendrent et qui se corrompent.

C'est pour cela que beaucoup d'eau est répandue sur la terre , sans parler de celle que nous ne voyons pas et qui est suspendue, ni de celle qui est cachée au plus profond de ses entraides. De-là cette grande multitude de fontaines, de puits, de torrents et de fleuves, en un mot cette foule de réservoirs différents qui retiennent les eaux dans leur enceinte. Du coté de l'orient, des régions du tropique, coule l'Indus, le plus grand de tous les fleuves, au rapport de ceux qui ont fait la description du circuit de la terre. Du milieu de l'Orient coulent encore le Bâctre, le Choaspe et l'Araxe, d'où l’on voit sortir le Tanaïs qui va se décharger dans le Palus-Méotides. Ajoutez le Phase qui descend des monts Caucases, et une

 

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infinité d'autres qui , des contrées septentrionales, vont se jeter dans le Pont-Euxin. Vers l’occident, d'été, au pied des monts Pyrénées, jaillissent le Tartése et l’Ister (1) , dont l'un se porte dans la mer qui est au-delà des colonnes d’Hercule ; l'Ister traverse l'Europe, et va se perdre dans le Pont. Qu'est-il besoin de détailler les autres fleuves qu'engendrent les monts Riphées, au fond de la Scythie, parmi lesquels est le Rhône, et un nombre infini d'autres fleuves qui portent tous vaisseaux, et qui , après avoir côtoyé les pays des Galates , des Celtes et des Barbares voisins, vont tous se perdre dans la mer occidentale ? D'autres qui partent des régions supérieures du midi, après avoir traversé l'Ethiopie, se déchargent, les uns dans la Méditerranée, les autres dans l'Océan ; tels que l’Egon, le Nysès, celui qui est appelé Chremetès ; et outre cela , le Nil, qui ne ressemble pas aux autres fleuves, lorsqu’il monde l'Egypte comme une vaste mer. Ainsi la terre que nous habitons est environnée d'eaux, enchaînée par des mers immenses, traversée par des fleuves qui ne tarissent jamais, grâce à la sagesse admirable du Tout-Puissant qui abandonne au feu un élément ennemi, assez abondant pour qu'il ne puisse pas facilement l'épuiser. Il viendra un temps ou tout sera consumé par le feu, comme dit Isaïe en s'adressant au Créateur de l'univers :

 

(1) Fronton-du-Duc, dans une note sur tout cet endroit, observe que saint Basile , pour la topographie des fleuves , suivi Aristote qui doit être redressé d'après Ptolomée et Strabon. Par exemple, la source de l’Ister , ou Danube n'est pas au pied des monts Pyrénées , mais au milieu de la forêt Hercynienne. Le Rhône, dit Strabon, sort des Alpes, parcourt les Campagnes des Allobroges , reçoit la Saône près de Lyon , et va se jeter dans la Méditerranée non loin de Marseille. Il serait trop long d'exaucer les uns après les autres les fleuves dont parle l'orateur.

 

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tous qui dites à l'abyme : Tu seras désolé , et je dessécherai tes fleuves.

Ainsi, renonçant à une folle sagesse, recevez avec nous la doctrine de la vérité, dont les paroles sont simples, mais dont la connaissance est ferme et immuable. Voilà pourquoi nous lisons : Que le firmament soit au milieu des eaux, afin qu'il divise les eaux d'avec les eaux. Nous avons déjà dit ce qu'entend l'Écriture par le nom de firmament. Elle n'entend pas une substance ferme et solide, qui ait du poids et de la résistance ; autrement la terre auroit reçu plus proprement ce nom : mais elle se sert du nom de firmament par comparaison, à cause des êtres qui sont au-dessus, dont la nature légère et déliée ne peut être saisie par aucun de nos sens. Imaginez-vous un lieu qui ait la faculté de filtrer les eaux , qui élève dans la région supérieure la partie filtrée qui est la plus légère, et précipite en bas la partie terrestre qui est la plus grossière ; afin que l'humide étant peu à peu dissipé, la même température subsiste sans interruption. Si vous avez peine à croire la grande abondance des eaux, considérez la quantité du feu, qui, quoique beaucoup moins abondant, est capable par sa puissance de consumer tout l'humide. Il attire, il est vrai, l’humide qui est autour de lui, comme le prouve la cucurbite ; mais il consume ce qu’il attire, comme le feu de la lampe, qui , après avoir attiré l'huile qui lui sert d'aliment, la change bientôt et la dissipe en frimée (1). Qui est-ce qui doute que l'éther ne soit tout de feu et enflammé, s'il n'était contenu par les bornes puissantes que lui a marquées le Créateur, qui l'empêcherait

 

(1) Les parties de l'huile sont décomposées , mais ne sont pas perdues.

 

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de tout embraser de proche en proche, et d'épuiser en même temps toute l’humidité des êtres ? De-là cette immensité d’eau suspendue dans l'air lorsque la région supérieure est obscurcie par les vapeurs qu'envoient les fleuves, les fontaines, les marais , et toutes les mers , de peur que l’éther enflammé ne dévore tout. Ne voyons-nous pas dans l’été le soleil lui-même laisser en très-peu de temps à sec et sans humidité un pays ordinairement couvert d'eau et de fange ? Qu'est donc devenue cette eau ? que nos habiles physiciens le montrent. N’est-il pas clair que la chaleur du soleil la convertie en vapeurs et la dissipée?

Ils disent, ces physiciens ( car que ne se permettent-ils pas de dire ? ), que le soleil n'est pas chaud. Et voyez sur quelle preuve ils s'annotent pour combattre l’évidence. Comme sa couleur est blanche, disent-ils, qu'il n'est ni rouge ni blond, conséquemment il n'est pas de feu par sa nature, mais sa chaleur vient d'un mouvement fort rapide. Qu'infèrent-ils de-là ? croient-ils que le soleil ne consume aucune humidité ? Quoique leur assertion soit fausse, je ne la rejette pas néanmoins, parce qu'elle s'accorde avec mon opinion. Je disais que la grande quantité d'eau est nécessaire , parce que le feu en consume beaucoup. Or, que le soleil ne soit pas chaud par sa nature, mais qu'il recoure d'une certaine disposition sa chaleur inflammable, cela empêche-t-il qu’il ne produise les mêmes accidents sur les mêmes matières ? Que les bois frottés les uns contre les autres donnent le feu et la flamme , ou qu'ils soient embrasés par une flamme allumée, il résiste toujours le même effet de l'une et l'autre cause. Au reste , nous voyons la grande sagesse

 

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de celui qui gouverne l'univers, en ce qu'il fait passer le soleil d’un point à un autre, de crainte que s’arrêtant au même endroit, il ne ruine l'économie du monde par un excès de chaleur. Ainsi , tantôt vers le solstice d'hiver, il le transporte à la partie australe, tantôt il le fait passer aux signes équinoxiaux, et de-là, vers le solstice d'été, il le ramène aux plages septentrionales ; en sorte due, par ces passages insensibles, les contrées de la terre conservent une température favorable. Mais que les physiciens voient s'ils ne se contredisent pas eux-mêmes , eux qui conviennent que la mer reçoit moins de fleuves parce que le soleil consume beaucoup d'eau , et de plus que la partie amère et salée reste, parce que la chaleur enlève la partie légère et potable: ce qui arrive surtout par la séparation qu'opère le soleil, qui enlève ce qu'il y a de plus léger, et qui laisse, comme une espèce de lie et de fange, ce qui est grossier et terrestre ; d'où vient le salé et le desséchant des eaux de la mer. Eux qui parlent ainsi de la mer changent de sentiment, et prétendent que le soleil ne produit aucune diminution de l'humide (1).

Et Dieu donna au firmament le nom de ciel : nom qui convenait proprement à une autre substance, et qui était donné à celle-ci par la ressemblance qu'elle avait avec l’autre. Nous observons dans plusieurs endroits de l’Ecriture , qu'on appelle ciel cette continuité d'air épais qui s’offre à nos yeux, et que c'est parce qu’il frappe visiblement nos regards qu’il reçoit ce nom (2).

 

(1) Non, sans doute, parce que cet humide volatilisé s'élève dans l'air pour retomber bientôt sur la terre.

(2) Le mot grec ouranos , ciel , vient dit verbe orasthei, être vu.

 

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Ainsi nous lisons dans les psaumes : Les oiseaux du ciel ( Ps. 8. 9.) ; et ailleurs : Les oiseaux qui volent dans le firmament du ciel ( Gen. I. 20. ). Tel est encore ce passage : Ils montent jusqu'aux cieux ( Ps. 106. 26. ). Moïse bénissant la tribu de Joseph, lui promet les fruits du ciel et de la rosée ( Deut. 33. 13. ), les fruits nés de la vertu du soleil et de la lune, les fruits qui croissent sur le sommet des montagnes et sur les collines éternelles , la terre étant fertile par l'heureux concours de ces influences. Dans les malédictions qu'il adresse à Israël, il dit : Le ciel qui est au-dessus de votre tête sera pour vous d'airain ( Deut. 28. 23. ). Qu'entend-il par là ? sans doute cette sécheresse universelle et ce défaut d'eaux aériennes qui font naître et croître les fruits de la terre. Lors donc que l'Ecriture dit que la rosée de la pluie tombe du ciel, nous devons  l'entendre des eaux qui occupent les régions supérieures. Les vapeurs élevées de la terre se rassemblant en haut, et l'air étant condensé par la compression des vents, lorsque ces exhalaisons humides, qui, déliées et légères, étaient dispersées dans la nue, viennent à se réunir, elles deviennent des gouttes qui, par le poids qu'elles acquièrent, se portent en bas : et c'est là l'origine de la pluie. Lorsque ces mêmes eaux, coupées par la violence des vents, se réduisent en écumes, et, qu'extrêmement. refroidies, elles se gèlent toutes entières, alors rompant la nue, elles tombent sur la terre en neige. En général, nous pouvons, par la même raison, distinguer toutes les eaux suspendues dans l’air au-dessus de notre tête.

Mais que personne ne compare la simplicité des discours spirituels avec le faste des philosophes qui ont raisonné sur le ciel. Autant la beauté d’une

 

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femme sage est. supérieure à celle d'une courtisane, autant nos discours l'emportent sur ceux des païens. Ceux-ci cherchent à ravir les suffrages par la beauté des paroles ; nous, nous ne présentons que la vérité nue sans aucun artifice. Pourquoi nous fatiguer à réfuter leurs mensonges , lorsgu il nous suffit d'opposer leurs écrits les uns aux autres , et de regarder tranquillement la guerre qu'ils se font? En effet , ils ne sont inférieurs, ni en nombre , ni en mérite, mais ils combattent avec tout l'avantage de l'éloquence les raisons qui leur sont contraires, ceux qui disent que l'univers est embrasé, et qu'il revit (1) des semences qui restent dans les êtres consumés par le feu. D'où ils admettent une infinité de destructions et de régénérations du monde. Mais tous les infidèles s'éloignent également de la vérité, quoiqu'ils cherchent. de toutes parts des raisons pour défendre leurs erreurs.

Il nous faut ici répondre à quelques écrivains ecclésiastiques (2) sur la séparation des eaux. Sous prétexte de trouver dans l’Ecriture des sens plus relevés , recourant aux allégories, ils disent que les eaux signifient métaphoriquement des puissances spirituelles et incorporelles; que les meilleures de ces puissances sont restées en haut dans le firmament; que celles qui sont mauvaises ont été jetées en bas dans des lieux grossiers et terrestres. C'est pour cela, disent-il, que les eaux qui sont au-dessus des cieux louent le Seigneur ;

 

(1) C’était le sentiment d'Héraclite et de Zénon, chef de l’école stoïcienne.

(2) Saint Basile attaque ici et attaquera encore par la suite, sans les nommer, Origène et ceux qui, à son exemple, voulaient expliquer presque partout l’Ecriture par des sens allégoriques.

 

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c'est-à-dire, que les puissances bonnes, qui , par leur pureté, sont dignes de tenir le premier rang, payent au Créateur un tribut convenable de louanges ; que les eaux placées au-dessous des cieux. sont des esprits mauvais , qui sont tombés de leur nature sublime dans l'abyme de la méchanceté ; que, comme ils sont turbulents , séditieux, agités par le tumulte des passions , ils sont nominés mer à cause de la variation et de l'inconstance des mouvements de leur volonté. Rejetant de pareils discours comme des songes frivoles et des fables absurdes, par les eaux entendons les eaux, et croyons que la séparation en a été faite par le firmament pour la raison que j'ai dite. Que si les eaux placées au-dessus des cieux sont chargées quelquefois de glorifier le souverain Maître de l'univers, ne leur donnons pas à cause de cela une nature raisonnable. Car les cieux ne sont pas des êtres animés , parce qu’ils racontent la gloire de Dieu (Ps. 18. 1.) , et le firmament n'est pas un animal qui ait du sentiment, parce qu'il annonce l'ouvrage de ses mains. Si l'on dit que les cieux: sont des puissances contemplatives , et le firmament des puissances actives , occupées à faire ce qui convient, ce sont là de magnifiques discours, mais qui ne sont pas appuyés sur la vérité. Car alors la rosée, les frimas, le froid. et la chaleur seraient des êtres spirituels et invisibles ; parce que, dans le Prophète Daniel , ils reçoivent l'ordre de célébrer le grand Ouvrier du monde ( Dan. 3. 64. ). Mais c'est le rapport d'utilité de ces êtres considéré par des créatures raisonnables, qui constitue la louange adressée au Créateur. Non-seulement les eaux placées au-dessus des cieux chantent une hymne au Seigneur, comme méritant une distinction par l'excellence de leur vertu; mais,

 

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dit le psalmiste : Louez le Seigneur, nous qui êtes sur la terre, dragons et tous les abîmes ( Ps. 148. 7.) Ainsi cet abyme auquel ceux qui usent d'allégories accordent une si mauvaise part , n'a pas été jugé par David digne d'être rejeté , par David qui l'admet dans le choeur de toutes les créatures , et qui le charge de chanter avec elles l'hymne au Créateur suivant le langage qui lui est propre.

Et Dieu vit que cela était beau. Ce n'est point par les yeux que Dieu juge de la beauté des choses qu’il a faites, il ne se forme pas du beau la même idée que nous ; mais il regarde comme beau ce qui est fait suivant toutes les règles de l’art , et ce qui concourt à une fin utile. Celui donc qui s'est proposé dans la création tut but bien marqué, examine d'après ses principes les diverses parties à mesure qu’il les crée , et il les approuve comme remplissant; parfaitement leur fin. Une main seule, un oeil isolé, en un mot toits membres séparés d’une statue, ne sauraient paraître beaux a tout le monde: mais lorsqu'ils sont rangés à leur place, alors cette belle harmonie, qui se montrait à pente aux plus habiles, est aperçue des plus ignorants. Un artiste voit la beauté des membres avant qu'ils soient l'approchés, parce que sa pensée le reporte à leur fin. C'est ainsi que l'Ouvrier suprême nous est représenté louant chacun de ses ouvrages, lui qui doit accorder bientôt au monde entier achevé les louanges qui lui conviennent.

Mais finissons ici notre instruction sur le second lotir. Laissons aux auditeurs attentifs le temps d’examiner ce qu'ils ont entendu, en sorte qu'ils gravent dans leur mémoire les réflexions utiles, et que par nue méditation sérieuse, comme par

 

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une espèce de digestion, ils puissent les convertir en leur substance. Quant à ceux qui sont trop occupés des soins de la vie, procurons-leur la facilité de s'affranchir de ces soins dans l'intervalle, et de se présenter au festin spirituel da soir avec un esprit dégagé de toute inquiétude. Que le Dieu qui a fait de grandes choses, et qui m'a inspiré les faibles pareils dont j'ai alimenté vos âmes, vous donne en tout l'intelligence de sa vérité, afin que , par les choses visibles, vous connaissiez l'invisible, et que par la grandeur et la beauté des créatures , vous preniez une idée juste du Créateur. Ce qu'il y a d'invisible en Dieu, dit saint Paul , est devenu visible depuis la création du monde par la connaissance que ses ouvrages nous en donnent; lesquels ouvrages nous découvrent sa puissance éternelle et sa divinité ( Rom. 1. 20.). Ainsi la terre, l'air, le ciel, les eaux, le jour, la nuit, tous les objets visibles nous manifestent et nous rappellent l'idée de notre bienfaiteur. Nous ne fournirons pas d'occasion au péché, nous ne laisserons pas de place dans nos coeurs de notre ennemi , si , par un souvenir continuel , nous faisons habiter en nous le Dieu à qui appartiennent la gloire et l'adoration , maintenant et toujours dans tous les siècles des siècles.

 

Ainsi soit-il.

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