HEXAËMÉRON VII

Précédente Accueil Suivante

Accueil
PRÉLIMINAIRE
AVARICE
LECTURE
FAMINE
COLÈRE
ENVIE
MÉPRIS DU MONDE
DIEU ET LE MAL
SE RÉJOUIR
HUMILITÉ
IVROGNERIE
JEÛNE
PRENEZ GARDE
RICHES
QUARANTE MARTYRS
GORDIUS
PRÉLIMINAIRES
LETTRES I
LETTRES II
LETTRES III
LETTRES IV
HEXAËMÉRON
HEXAËMÉRON I
HEXAËMÉRON II
HEXAËMÉRON III
HEXAËMÉRON IV
HEXAËMÉRON V
HEXAËMÉRON VI
HEXAËMÉRON VII
HEXAËMÉRON VIII
HEXAËMÉRON IX
HEXAËMÉRON X

471 

HOMÉLIE SEPTIÈME. SUR LES REPTILES.

 

SOMMAIRE.

 

CETTE homélie a été prononcée le soir , et offre avec la suivante le cinquième jour de la création. L'orateur , sans aucun préambule , entre tout de suite en matière. Et Dieu dit : Que les eaux produisent des reptiles animés.... Ces reptiles animés, ce sont les poissons. Saint Basile décrit avec beaucoup d'intérêt leur nature commune, leurs espèces particulières, leur manière de vivre, leurs voyages , toutes les qualités propres â chaque espèce , en accompagnant ses descriptions de réflexions pieuses et morales, pour instruire et édifier ses auditeurs.

 

ET Dieu dit : Que les eaux produisent des reptiles animés, selon leur espèce, et des oiseaux qui voient dans le firmament du ciel selon leur espèce. Après la création des corps lumineux , les eaux aussi se remplirent d'animaux , et cette partie de la nature recul aussi son ornement. La terre avait reçu le sien par les productions qui lui sont propres ; aussi bien que le ciel par les astres qui sont comme des fleurs dont il est parsemé, et par les deux grands corps lumineux qui sont comme les deux yeux de tout le corps céleste. Il restait à donner aux eaux l'ornement qui lui était convenable. Un ordre du Seigneur est parti, aussitôt les fleuves ont la vertu de produire; les lacs enfantent les êtres qui leur sont naturels ; la mer

 

472

 

engendre tontes les espèces d’animaux nageurs; l'eau même des marais n'est pas oisive , elle contribue pour sa part à l'accomplissement de la création. On en vit sortir, sans doute , les grenouilles et une infinité d'insectes volants. Ce que nous voyons encore aujourd'hui est une preuve de ce qui s est opéré dans l'origine. Ainsi toutes les eaux s'empressèrent d'obéir à l'ordre du Créateur. Tous ces êtres dont il serait impossible de compter les espèces, la grande et ineffable puissance de bien les montra vivants et se mouvant , les eaux ayant reçu, avec l'ordre du souverain Maître, la faculté de les produire.

Que les eaux produisent, des reptiles animés. C'est pour la première fois qu'est créé un être anime et pourvu de sentiment. Quoique les plantes et les arbres vivent en quelque manière , puisqu'ils sont de nature à se nourrir et à croître, ce ne sont cependant pas des êtres vivants et animés. Ainsi , dit l’Écriture, que les eaux produisent des reptiles. Tout ce qui nage sur la surface de l'eau, tout ce qui fend cette même eau dans sa profondeur , est du genre des reptiles , puisqu'il se traîne. Certains animaux aquatiques , il est vrai , ont des pieds et marchent: ce sont surtout les amphibies, tels que les veaux et chevaux marins, les grenouilles , les crabes , les crocodiles : mais la principale espèce sont. dos reptiles nageurs. C'est pour cela qu'il est dit: Que les eaux produisent des reptiles. Dans ce peu de paroles quelle espèce est omise quelle espèce n'est pas comprise dans ce simple ordre? On y oit les animaux vivipares, tels que les veaux marins , les dauphins , les torpilles, et autres semblables , qui sont appelés cartilagineux ; on y voit les ovipares , tels que presque toutes les espèces de poissons; on y voit tous

 

473

 

ceux qui ont des écailles ou une espèce d'écorce ou de croûte, tous ceux qui ont des nageoires ou qui n'en ont point : une seule parole qui contient un ordre ; ou plutôt ce n'était pas une parole , mais un simple indice , un simple mouvement de volonté. Le serfs renfermé dans un ordre fort simple, est aussi étendu que les espèces différentes et communes des poissons, lesquelles espèces il n'est pas moins difficile de nombrer exactement que de compter les flots de la mer , ou de mesurer ses eaux dans le creux de la main. Que les eaux produisent des reptiles. Parmi ces animaux sont ceux qui vivent sur les rivages ou au fond de la mer, seuls ou en troupes , ceux qui s'attachent aux rochers , les poissons les plus petits et les plus énormes: car la même puissance et un seul ordre ont donné l'être à tout ce qu'il y a de plus petit et de plats grand. Que les eaux produisent. Ces paroles vous montrent le rapport naturel que les animaux nageurs ont avec l'eau. Aussi, pour peu que les poissons soient séparés de beau , ils meurent. Car ils n'ont pas un. organe pour attirer et renvoyer l’air que nous respirons; mais l’eau est pour les animaux, nageurs ce que l'air (1) est pour les animaux terrestres. La raison en est manifeste. Nous avons un poumon , viscère poreux et spongieux , lequel recevant l'air par la poitrine qui s'étend , évente et rafraîchit notre chaleur intérieure. bans les poissons, l'allongement et le resserrement des ouïes ou nageoires qui reçoivent l'eau et qui la renvoient, leur tient lieu de respiration. Les poissons ont un sort à

 

(1) Saint Basile semble faire entendre que les poissons n'ont pas besoin d'air pour vivre; cependant il est démontré qu'ils en ont besoin, et qu'ils sont construits de manière à pouvoir contraire de l'eau l'air nécessaire à leur respiration.

 

474

 

part , une nature particulière, une vie qui leur est propre , une manière de vivre qui n'appartient qu'il eux. Aussi aucun des animaux nageurs ne se laisse apprivoiser , et ne veut se soumettre à la main de l'homme.

Que les eaux produisent des reptiles animés selon leur espèce. Dieu ordonne maintenant de produire les prémices de chaque espèce, qui sont comme les germes de la nature : quant à la multitude des individus, il les réserve pour la suite des générations, quand il faudra qu'ils croissent et qu'ils se multiplient. Il est une espèce aussi étendue que variée; ce sont les poissons à écailles et à coquilles , tels que les conques , les pétoncles, les strombes , et tous ceux du même genre. Quelques-unes ont une enveloppe moins dure, tels que les crabes , les écrevisses , et toutes les espèces semblables. Plusieurs ont la chair molle et flasque, les polypes, les sèches, et autres de même nature. Toutes ces espèces sont variées à l’ infini. Pour les dragons, les lamproies, les couleuvres qui naissent dans les étangs et dans les marais , ils approchent moins, par leur constitution, de ce qu'on appelle poissons que des reptiles venimeux. L'espèce des vivipares est différente de celle des ovipares. Cette dernière comprend tout ce qui est nommé cartilagineux. La plupart des cétacées (1) sont vivipares ; par exemple , les dauphins et les veaux marins. On prétend que lorsque leurs petits , tout récemment nés, sont effrayés par quelque cause , ils les renferment de

 

(1) On appelle en général cétacées, des animaux d'une grandeur démesurée; mais on a restreint la signification de ce mot , à désigner de grands poissons de nier qui s'accouplent et se reproduisent à la tisanière des quadrupèdes. — On prétend… Ce fait n'est point confirmé par les naturalistes.

 

475

 

nouveau dans leurs entrailles pour les y mettre à l’abri. Que les eaux produisent selon l'espèce. L’espèce des plus grands poissons est autre que celle des plus petits. Leurs noms , leur nourriture , leurs formes , leur grandeur , les qualités de leur chair , tout cela les distingue les uns des autres , tout cela constitue une infinité d'espèces diverses et de genres différents. Ceux qui ont observé les thons pourraient-ils nous détailler même les différences des espèces , quoique, dans la grande multitude de poissons , ils s étudient à compter jusqu'aux individus ? Quelqu'un de ceux qui ont vieilli sur les côtes et sur les rivages pourrait-il nous donner une connaissance exacte de tous les animaux aquatiques ? Les peuples voisins de la mer Indienne en connaissent qui ignorent les peuples qui habitent près le golfe Egyptien, qu'ignorent les Maurusiens et insulaires, et ainsi réciproquement. C'est le premier ordre du Créateur, c'est sa puissance merveilleuse qui a donné hêtre à tous ces animaux grands et petits.

Que de diversités dans la manière de vivre des poissons et dans celle de se reproduire ! La plupart d'entre eux ne couvent pas leurs oeufs comme les oiseaux, ils ne construisent pas de nids, et ne nourrissent pas leurs petits avec soin et inquiétude : mais l'eau reçoit l'oeuf et en fait un animal (1). Il est impossible de mêler les espèces, et il ne peut y avoir parmi eux de mulets, comme sur la terre parmi les quadrupèdes , et même parmi certains oiseaux. Aucun poisson n'a une seule rangée de dents, comme chez nous le boeuf

 

(1) Et en fait un animal , sans doute lorsque la semence du mâle l'a fécondé. Le mâle répand la semence sur les oeufs à l'instant où la femelle les dépose dans l'eau , et c'est cette sentence qui les féconde.

 

476

 

et la brebis : car aucun ne rumine , excepté le scare (1), à ce que quelques-uns rapportent. Tous sont munis de deux rangées de dents très-serrées et fort aiguës, de peur que mâchant lentement la nourriture , elle ne leur échappe. Si elle n'était promptement brisée , et si elle ne passait aussitôt dans l’estomac, elle pourrait être emportée par l'eau tandis que l’animal la broierait. Chaque espèce de poisson. a sa nourriture particulière Les uns se nourrissent de limon, les autres d'algue , d'autres se contentent des herbes qui naissent dans l'eau. La plupart chez eux se dévorent les uns les autres, et le plus petit sert d'aliment au plus grand. S'il arrive quelquefois que celui qui en a dévoré un plus petit devienne la proie d'un autre, ils sont; engloutis tous deux dans le ventre du dernier. Que l'ont autre chose les hommes, lorsqu'abusant de leur puissance ils oppriment ceux qu'ils dominent? en quoi diffère du dernier poisson nomme qui , affamé de richesses, engloutit les faibles dans le goulue d'une cupidité insatiable ? Tel homme possédait les biens du pauvre; vous avez envahi ses possessions pour grossir votre opulence : vous volts êtes montré plus injuste que l'injuste, plus cupide que le cupide. Prenez garde d'éprouver le sort des poissons , et de vous trouver enfin pris à l’hameçon , dans la nasse ou dans le filet (Matth. 13. 47 et 48. ). Si nous nous permettons une foule d'injustices, nous ne pourrons nous soustraire aux peines les plus rigoureuses. Je veux aussi , en vous apprenant les

 

(1) Je n'ai point vu ce fait du scare ruminant confirmé par les naturalistes. — Tous sont munis… Des naturalistes ont observé le contraire; ils parlent de poissons, tels que l'alose et autres, qui n'en ont que de presque imperceptibles.

 

 

477

 

ruses et les artifices d'un faible animal, vous engager à fuir les exemples des méchants. Le crabe aime beaucoup la chair de l’huître. Mars cette proie n'est pas facile à prendre , parce que l'huître est couverte d'une très-dure écaille dont la nature a muni sa chair si tendre. Et comme deux cavités appliquées l'une sur l’autre l'enferment exactement , les pinces du crabe deviennent nécessairement inutiles. Que fait-il donc ? Lorsque, dans un lieu paisible, il voit l'huître étaler au soleil ses écailles ouvertes, et se chauffer à ses rayons , il y jette adroitement un petit caillou, les empêche de se refermer , et par-là obtient ce qu'il désire en suppléant à la force par l'adresse. Quelle est la ruse d’animaux qui n'ont ni la raison ni la parole. En admirant l'habileté des crabes à se procurer leur nourriture , vous devez vous abstenir de faire tort à votre prochain. Celui-là ressemble au crabe qui emploie la ruse avec son frère, qui profite des contre-temps de son prochain, qui tourne à son avantage les malheurs d'autrui. Craignez d'imiter ceux que tout le monde blâme. Contentez-vous de ce que vous avez. La pauvreté, pourvu qu'on ait le nécessaire , est préférable pour le sage à toutes les richesses. Je ne dois pas ici omettre la ruse du polype (1) pour saisir sa proie. Comme il prend la couleur du rocher où il s'attache, beaucoup de poissons en nageant vont tomber sur lui sans y l'aire attention , et deviennent la proie de cet animal rusé. Tel est le caractère de ceux qui , bassement soumis aux

 

(1) Saint Basile parle , sans doute, ici d'un polype d'eau douce, qui a le corps transparent , qui s'attache aux rochers , et qui dévore les insectes aquatiques qui viennent tomber sur lui. Voyez le dictionnaire de M. Valmont de Bomare, à l'article polypes d'eau douce.

 

478

 

puissances, el. s'accommodant aux conjonctures, changent aisément de système et de conduite, honorent la sagesse avec ceux qui sont sages, sont intempérants avec les intempérants, n agissent et ne pensent que pour plaire à ceux qu'ils veulent flatter. Il est difficile d'éviter ces personnes et de se garantir du mal qu'elles peuvent faire , parce qu'elles ont grand soin de cacher leurs mauvaises intentions sous le masque de l'amitié. Ce sont de tels hommes que le Seigneur appelle des loups ravissants qui se montrent sous la peau de brebis ( Matth. 7. 15. ). Fuyez les caractères doubles et trompeurs ; recherchez la vérité, la sincérité, la simplicité. Le serpent est plein de dissimulation; aussi a-t-il été condamné à ramper. Le juste est simple et sans fard comme Jacob (Gen. 25. 27) ; aussi le Seigneur fait-il habiter dans sa maison ceux qui ont un coeur droit et simple (Ps. 67. 7. ).

La mer , dit le Psalmiste , est d'une grande et vaste étendue : elle renferme un nombre infini de reptiles , une multitude de grands et de petits animaux (Ps. 103. 25. ). Cependant il règne parmi ces animaux un ordre et une police admirables. Car si nous trouvons dans les poissons des qualités particulières que nous devons éviter, nous cru trouvons aussi que nous pouvons imiter. Chacune des espèces s'est choisi une région qui lui est convenable; elles n'empiètent pas sur les demeures les unes des autres , mais elles restent dans les limites qui leur sont propres. Aucun géomètre ne leur a distribué leurs habitations, ne les a enfermées dans des murs, ne leur a assigné des bornes. D'elles-mêmes elles se sont marqué les lieux qui leur sont utiles. Tel golfe nourrit telles espèces de poissons, tel autre golfe en nourrit d'autres. Tels poissons qui abondent dans un endroit se

 

479

 

trouvent à peine ailleurs. Aucune montagne et étendant au loin ses sommets escarpes ne les sépare, aucun fleuve ne leur ferme les passages; mais une loi de la nature prescrit à chaque espèce, avec

justice et selon son avantage, une manière de vivre particulière. Mais nous , comment ne différons-nous pas de ces animaux ! Comment cela

? Nous remuons ces bornes éternelles qu'avaient placées nos pères (Prov. 22. 28.) : nous joignons maison à maison et champ à champ, afin de dépouiller notre prochain. Les monstres de la mer, fidèles à la manière de vivre qui leur a été prescrite par la nature, occupent , loin des pays habités, une mer où il n'y a aucune île , en face de laquelle ne se trouve aucun continent; une mer qu'on n'a jamais parcourue (1), parce que, ni le désir de s'instruire, ni aucune nécessité n'engage les hommes à tenter cette navigation périlleuse. Habitants de cette mer, ces poissons énormes, qui, par leur grosseur, si l'on en croit ceux qui en ont vu , ressemblent à de hautes montagnes, restent dans les limites qui leur sont propres, sans nuire aux îles , ni aux villes maritimes. Ainsi chaque espèce s'arrête dans les parties de la mer qui lui ont été marquées, comme dans des villes, ou dans des bourgs , ou dans des patries anciennes.

Il est des poissons voyageurs (2) , qui sont envoyés dans des pays éloignés comme d'après une délibération commune , et qui partent tous, pour ainsi dire, à un seul signal. Lorsque le temps de l'aire leurs petits est arrivé, avertis et excités par

 

(1) Cela était vrai du temps de saint Basile; mais depuis on a navigué sur cette mer.

(2) Ces poissons voyageurs sont les morues, harengs et autres.

 

480

 

une loi commune de la nature, ils sortent à la fois de divers golfes, et s'avancent en hâte vers la mer Septentrionale. Au temps de la marée montante , on voit les poissons se rassembler et se répandre comme un torrent par la Propontide, vers le Pont-Euxin. Qui est-ce qui les fait partir? quel est l'ordre du prince ? quel édit affiché dans une place publique annonce le jour du départ ? quels sont ceux qui conduisent les troupes ? Vous voyez la Providence divine qui exécute tout , et qui entre dans les plus petits détails. Le poisson observe fidèlement la loi du Seigneur; et les hommes ne peuvent obéir à des préceptes salutaires ! Ne méprisez pas les poissons, parce que ce sont des êtres muets et dépourvus d'intelligence ; mais craignez d'être plus déraisonnable que ces animaux, en vous opposant à l'ordre établi par le Créateur. Ecoutez les poissons dont la conduite est comme une voix qui vous crie : C'est pour la conservation de notre espèce que nous faisons ce long voyage. Ils ne sont pas doués de raison; mais ils ont au-dedans d'eux-mêmes une loi forte de la nature qui leur montre ce qu'ils ont à faire. Nous marchons, disent-ils, vers la mer Septentrionale; cette eau est plus douce que toutes les autres , parce que le soleil , qui v séjourne fort peu de temps , n'en pompe pas avec ses rayons toute la partie potable. Les habitons mêmes de la mer aiment les eaux douces. Aussi s'éloignent-ils souvent de la mer et remontent-ils vers les fleuves. C'est-là encore pourquoi ils préfèrent le Pont-Euxin aux autres golfes, comme plus propre à la génération et à la nourriture de leurs petits. Lorsqu'ils ont rempli suffisamment leurs voeux, alors tous ensemble ils retournent dans leur patrie. Quelle en est la cause ? apprenons-la de la bouche

 

481

 

de ces êtres muets. La mer Septentrionale, disent-ils, est peu profonde; elle est exposée dans toute son étendue à la violence des vents , ayant peu de rivages, de baies et de rades. Aussi les vents bouleversent-ils facilement jusqu'au fond de ses abîmes, de sorte que le sable qu’ils enlèvent se mêle avec les flots. De plus, elle est froide en hiver étant remplie d'un nombre de grands fleuves. Après donc que les poissons en ont joui pendant l'été dans une certaine mesure , ils regagnent en hiver des mers plus profondes et plus tempérées. Ils reviennent dans des régions exposées au soleil ; et fuyant les vents incommodes du septentrion , ils se réfugient dans des golfes moins agités. J'ai fait ces remarques , et j'ai admiré en tout la sagesse de Dieu. Si les brutes ont de la prévoyance et si elles pourvoient à leur salut; si le poisson sait ce qu'il doit faire et ce qu'il doit éviter, que diront les hommes qui sont honorés de la raison , instruits par la loi , excités par les promesses, éclairés par l'Esprit divin, et qui se conduisent moins raisonnablement que des poissons ? Des poissons savent prévoir l'avenir: et nous, négligeant de porter nos espérances dans l'avenir , nous consumons notre vie dans des voluptés brutales. Le poisson change de mers pour trouver son avantage : que pourrez-vous dire, vous qui languissez dans l'oisiveté , la source de tous les vices? Nous ne pouvons prétexter l'ignorance ; nous avons en nous-mêmes une raison naturelle, qui nous apprend à rechercher ce qui est bon, et à fuir ce qui est nuisible.

Je m'arrête à des exemples pris dans la mer , puisque la mer est l'objet qui nous occupe J'ai entendu dire à un habitant des côtes, que le hérisson de mer, animal fort petit et méprisable

 

482

 

est souvent, pour les navigateurs, un maître qui les avertit du calme et de la tempête. Lorsqu'il sent que les flots vont être soulevés par les vents, il prend un gros caillou sur lequel il s'appuie et se balance fermement comme sur une ancre , et dont le poids l'empêche d'être entraîné aisément par les flots. Lorsque les marins aperçoivent ce signe, ils savent qu'on est menacé d'une violente agitation des vents. Aucun astrologue , aucun devin, conjecturant d'après les levers des astres les mouvements de l'air, n'a donné de leçons à l'animal dont nous parlons; mais le souverain Maître de la nier et des vents a imprime dans un petit être des traces sensibles de sa grande sagesse. Dieu a pourvu à tout , il n'a rien négligé. Cet oeil qui ne repose jamais, examine tout: il fournit à tous les êtres ce qui est nécessaire à leur conservation. Sa providence s'est étendue jusque sur le hérisson de mer , et elle ne s'occuperait pas de

ce qui vous regarde!

Epoux , aimez vos femmes (Eph. 5. 25.) , quand même , avant d'être unis par le mariage, vous seriez les plus étrangers l'un à l'autre. Ce lien avoué par la nature , ce joug imposé par la religion , doit rapprocher les êtres les plus éloignés. La vipère, le plus affreux des reptiles, désire de contracter une espèce de mariage avec la lamproie maritime (1), et annonçant sa présence par tin sifflement, elle l'invite à sortir du fond des flots pour former avec elle cette union. La lamproie se rend à ses désirs, et s'unit avec l'animal venimeux. Quel est mon but en vous rapportant

cette histoire ? c est de vous apprendre que la

 

(1) Ce mariage de la vipère avec la lamproie maritime est une erreur des anciens, démentie par les nouveaux naturalistes.

 

483

 

femme doit supporter son mari, quelque dur et quelque féroce qu’il soit; qu'elle ne doit travailler pour aucune cause à rompre son mariage. Il est violent ! mais c’est votre époux. Il s'enivre ! mais il vous est uni par un lien naturel. Il est brutal et intraitable! mais c'est une portion de vous-même , et la portion la plus précieuse. Que l'homme écoute aussi la leçon qui lui est convenable. La vipère vomit son poison par égard pour le mariage; et vous, par respect pour l'union maritale, vous ne déposeriez pas la dureté et la férocité de votre caractère ! L'exemple de la vipère nous sera peut-être encore utile sous un autre rapport. Son union avec la lamproie est une sorte d'adultère dans la nature. Que ceux qui tendent des piéges aux mariages d'autrui apprennent donc à quel reptile ils se rendent semblables. Mon seul but est de chercher de toutes parts à édifier l'Eglise. Instruits par des exemples terrestres et maritimes , que les intempérants sachent réprimer leurs passions.

La faiblesse de mon corps et la fin du jour m'obligent de terminer ici cette instruction; car j'aurais encore à ajouter , pour ceux qui m'écoutent avec plaisir, bien des remarques propres à exciter l admiration, sur les productions de la mer et sur la mer elle-même. Je pourvois dire comment ses eaux s épaississent en sel; comment le corail (1), cette pierre si précieuse, qui dans la mer est une plante, prend la dureté d'une pierre lorsqu'il est tiré et exposé à l’air; comment

 

(1) Les uns ont regardé le corail comme une plante , les autres comme une pierre ; St. Basile prétend qu'il est plante dans la mer, et qu'il devient pierre quand il est dehors. De nouvelles observations ont montré qu'il était formé par de petits animaux qui s'attachent à un corps, et qui y établissent leur habitation.

 

484

 

la nature a mis la perle du plus grand prix dans l'écaille du plus vil animal. Oui , ce que désirent les trésors des princes, est jeté sur les rivages et sur les rochers, enfermé dans l'écaille d'un poisson méprisable (1). Je pourrais dire comment certains coquillages fournissent une laine d'or qu'aucun artisan n'a pu encore imiter; comment d'autres enrichissent les rois d'une pourpre qui, par sa couleur, efface les plus belles fleurs des prés. Que les eaux produisent. Et que n'ont-elles pas produit de choses nécessaires ou précieuses, soit pour servir aux besoins de l'homme, soit pour lui faire contempler et admirer les merveilles de la création? Il est d'autres objets, qui sont terribles et qui instruisent notre paresse. Dieu créa les grands poissons ( Gen. 1. 21.) Ils sont appelés grands, non parce qu'ils sont plus grands que la squille et l'anchois, mais parce que la finesse de leur corps les égale aux plus hautes montagnes. On les prend souvent pour des îles, lorsqu'il s'élèvent au-dessus de l'eau. Ces poissons énormes ne demeurent pas sur nos rivages, mais habitent la mer Atlantique. Tels sont les animaux qui ont été créés pour nous étonner et nous épouvanter. Mais si l'on vous dit qu'un très-petit poisson, le remore (2), arrête un très-grand navire,

 

(1) Ce poisson méprisable est une espèce d'huître qu'on appelle huître nacrée. Voyez le dictionnaire demi. Valmont de Bomare, article nacre de perles; et pour la note précédente, article corail. — Certains coquillages , les pinces-marines. — Une laine d'or , le plus beau byssus, espèce de soie d'un beau jaune ou coulent d'or, que l'on trouve dans la pinne-marine , très-grand coquillage bivalve, du genre des moules. — D'autres enrichissent… Tout le monde sait que l’on trouve la plus belle couleur de pourpre dans le murex , coquillage univalve.

(2) Remore ou remora, poisson long d'un pied et demi environ , qui s'attache sus vaisseaux , mais qui n'a pas, comme l'ont prétendu les anciens , la faculté de les arrêter. Voyez le dictionnaire de M. Valmont de Bomare, article remore.

 

485

 

qui, les voiles étendues, vogue au gré d'un vent favorable, et qu'il l’arrête au point de le tenir longtemps immobile, comme s'il était enraciné au fond de la mer, ne trouvez-vous pas encore dans ce petit animal une preuve de la puissance du Créateur? Ce ne sont pas seulement certains poissons voraces qui sont redoutables; l'aiguillon de la trygone marine (1), même lorsqu'elle est morte, et le lièvre de mer, ne sont pas moins à craindre, puisqu'ils causent une mort prompte et inévitable. Par-là , le Créateur veut que vous soyez toujours vigilants et attentifs, afin que, mettant votre espérance en Dieu, vous évitiez le mal que ces animaux peuvent vous faire.

Mais sortons des abîmes de l’océan, et cherchons un refuge sur la terre. Les merveilles de la création se succédant pour nous les unes aux autres, semblables à des flots qui se poussent sans cesse, ont comme inondé notre discours. Cependant je serais surpris si, rencontrant sur la terre des choses encore plus admirables, je ne cherchais pas, ainsi que Jonas, à retourner vers la mer. Il me semble que tombant sur une infinité de merveilles, j'ai oublié de me tenir dans de justes bornes, et que j'ai éprouvé ce qu'éprouvent les navigateurs, qui ignorent souvent quelle course ils ont fournie, faute de terme fixe pour en juger. Il m'est arrivé à moi-même, en parcourant la création, de ne pas n'apercevoir de la longueur du discours que je vous adressais. Mais quoique

 

(1) Trygone marine, poisson venimeux dont parlent Elien et Aristote. — Lièvre de mer, poisson aussi venimeux, autrement appelé , et avec plus de raison, limace de mer.

 

486

 

cette assemblée respectable ait quelque plaisir à m'entendre, quoique le récit des merveilles du souverain Maître soit agréable aux oreilles des serviteurs, finissons ici notre instruction, et attendons le jour pour expliquer ce qui reste. Levons-nous tous, rendons grâces à Dieu pour ce qui a été dit déjà, et prions-le de nous faire arriver au terme. Puissent les récits dont je vous ai entretenus ce matin et ce soir, vous servir de mets lorsque vous prendrez votre nourriture! Occupés pendant votre sommeil des réflexions que je vous ai faites, puissez-vous, même en dormant, jouir des agréments du jour! puissiez-vous dire avec Salomon: Je dors, et mon coeur veille (Cant. 5. 2.), mon coeur qui inédite jour et nuit la loi du Seigneur, à qui soient la gloire et l'empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Précédente Accueil Suivante