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HOMÉLIE NEUVIÈME. SUR LES ANIMAUX TERRESTRES.

 

SOMMAIRE.

 

Nous voici enfin arrivés au sixième jour de la création , ou ont été créés les animaux terrestres , et l'homme destiné à être leur roi. Pans cette homélie , prononcée le soir, ait il sera question des animaux terrestres , l'orateur dit un mot de l'homélie prononcée le matin ; il attaque de nouveau ceux qui , dans tous les passages de l'Ecriture, cherchaient des sens allégoriques; après quoi, il entre en matière. Il parle d'abord de ce qui est commun aux animaux , de leur génération successive, de leur stature par rapport à celle de l'homme , du défaut de raison qui distingue l’âme des bêtes de l’âme humaine; il parcourt ensuite les traits principaux qui caractérisent certaines espèces. En faisant remarquer leurs instincts et leurs prévoyances, il fait admirer la sagesse infinie du Créateur. Elle éclate , cette sagesse , demis les différentes parties qui les composent , dans la disposition et dans l'usage de leurs membres : il finit par préparer ceux qui l'écoutent à la création de l'homme , dont il doit les occuper un autre jour. Et Dieu dit : Faisons l'homme. Il s'étend sur ces paroles, dont il tire une preuve de la divinité du Verbe, et conclut en annonçant qu'il traitera plus en détail la formation de l'homme.

 

        COMMENT vous a paru le repas que je vous ai servi ce matin ? Pour moi , il m est venu dans l'esprit de comparer pion discours au festin que donne quelquefois un homme pauvre. Jaloux de traiter magnifiquement , ne pouvant se procurer des mets rares et délicats , il fatigue ses convives

 

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une profusion mal entendue d'aliments communs; de sorte qu'avec tout l'appareil qu'il étale, il ne parvient qu'à se donner du ridicule. Il en est de même de nous ; à moins que vous ne pensiez différemment , et que vous ne croyiez pas devoir dédaigner ce que nous volts servons, quel qu'il soit. Les amis du prophète Élisée ne le méprisaient point , parce qu'il ne les recevoir qu'avec des herbes sauvages ( 4. Rois. 4. 39. ). Je connais les règles de l'allégorie (1) , non pour les avoir trouvées par moi-même , mais pour les avoir remarquées dans certains livres. Ceux qui n admettent: pas les sens les plus simples de l'Écriture, ne regardent pas l’eau comme de l'eau, mais comme un être d'un autre genre. ils expliquent, d'après leur imagination , poisson et plante. La création des reptiles et des bêtes sauvages, ils l’interprètent d'après le système qu'ils adoptent , d'après le but qui ils se proposent , comme les interprètes des songes expliquent les rêves de la nuit. Pour moi , quand je lis herbe , j'entends herbe ; plante , poisson , bête sauvage , animal domestique, je prends tout cela comme il est écrit : car je ne rougis pas de l'Evangile ( Rom. 1. 16. ). Des physiciens qui ont traité du monde , ont beaucoup parlé de la ligure de la terre , ils ont examiné si c'est une sphère ou un cylindre, si elle ressemble à un disque, et si elle est arrondie de toutes parts , ou si elle a la forme d'un van , et si elle est creuse au milieu ; car telles sont les idées qu'ont eues les philosophes, et par lesquelles ils se sont combattus les uns les autres : pour moi , je ne me porterai pas à mépriser notre formation du monde, parce que

 

(1) Saint Basile attaque ici, sans les nommer, Origène, et ceux qui , à son exemple, donnaient des explications allégoriques à presque tous les passages de l’Ecriture.

 

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le serviteur de Dieu, Moïse, n'a point parlé de la figure de la terre, qu'il n'a point dit quelle a de circonférence cent quatre-vingt mille stades (1); par-ce qu'il n'a point mesuré l'espace de l'air dans lequel s'étend l'ombre de la terré lorsque le soleil a quitté notre horizon ; parce qu'il n'a pas expliqué comment cette même ombre, approchant de la lune . cause des éclipses. Quoi ! parce que l'Ecriture se tait sur des connaissances qui nous sont inutiles, préfèrerai-je une sagesse insensée aux oracles de l'Esprit-Saint ? ne glorifierai-je pas plutôt celui qui n'a pas occupé notre esprit de vains objets, mais qui a fait tout écrire pour l'édification et pour la perfection de nos aunes ? C'est ce que paraissent n'avoir pas compris ceux qui , tirant de leur imagination des sens détournés et allégoriques , ont voulu relever la simplicité de l'Ecriture en lui donnant un air plus auguste. Mais c'est-là vouloir être plus habile que l'Esprit-Saint lui-même, et , sous prétexte d'expliquer ses oracles , ne donner que ses propres idées. Que les choses soient donc entendues comme elles sont écrites.

Que la terre produise l'âme vivante des animaux domestiques, des bêtes sauvages et des reptiles. Considérez la parole de Dieu qui s'étend sur toutes les créatures, qui a commencé alors, qui agit encore maintenant, et qui continuera d'agir jusqu’à la consommation du monde. Car de même qu'un corps sphérique, qui, poussé par une force impulsive, rencontre une pente, se précipite tant par sa propre conformation que par la nature du lieu, et ne s'arrête que quand il

 

(1) Cent quatre-vingt mille stades , en supposant avec quelques savants qu'il faille vingt stades pour faire une lieue, font les neuf mille lieues qu'on donne encore à présent de circonférence à la terre.

 

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trouve une surface unie qui le reçoit dans sa course: ainsi le mouvement imprime a la. nature des êtres par un seul ordre de Dieu, se fat sentir également aux créatures dans leur génération et dans leur altération , conserve et conservera jusqu’à la fin la suite des espèces toujours les mêmes. ce mouvement fait succéder un cheval à un cheval, un lion à un bon, un aigle à un aigle, et par ales successions non interrompues , fait passer chaque animal de siècle en siècle jusqu'à la consommation. Aucun temps ne détruit ni n'efface les propriétés des animaux, dont la nature demeure toujours nouvelle dans le cours des âges comme si elle était toute récente. Que la terre produise l’âme vivante. Cet ordre est resté inhérent à la terre, qui ne cesse d'obéir au Créateur. Parmi les êtres , les uns doivent l'existence à une succession suivie; il est prouvé que les autres sont encore à présent engendrés de la terre (1). Non-seulement, dans un temps pluvieux, elle enfante des cigales, et cette multitude infinie d'insectes qui volent dans l'air , dont la plupart , vu leur petitesse, n'ont point de non, mais même elle fait sortir de son sein des rats et des grenouilles. Aux environs de Thèbes en Egypte, lorsque dans la chaleur il pleut abondamment, aussitôt le pays est rempli de rats sauvages. Nous voyons que les anguilles ne se forment pas autrement que de la vase et du limon; elles sont produites de la terre même, sans que ni oeuf, ni aucun autre germe en forme la génération successive.

 

(1) Sont engendrés de la terre. Voilà ce qu'on pensait du temps de saint Basile et avant lui ; mais des observations postérieures ont démontré que rien ne s'engendrait sans un germe ou un oeuf que la chaleur développait ou faisait éclore.

 

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Que la terre produise l’âme vivante. Les bêtes sont terrestres et penchées vers la terre; l’homme , qui est une plante céleste, l'emporte autant sur elles par la stature de son corps que par la dignité de son âme. Quelle est la position des quadrupèdes? leur tête est penchée vers la terre; ils regardent leur ventre , et recherchent de toutes les manières ce qui peut le contenter. Votre tête, ô homme, est tournée vers le ciel, vos yeux regardent les choses d'en haut. Si donc vous vous déshonorez vous-même par des affections charnelles, asservi au ventre et à toutes les voluptés brutales, vous vous rapprochez des bêtes qui n'ont point de raison, et vous leur devenez semblable (Ps. 48. 13. ). D'autres soins vous conviennent; vous devez chercher ce qui est dans le ciel, où est Jésus-Christ ( Coloss. 3 1 .) , et élever votre anse au-dessus des choses terrestres. Que votre vie réponde à votre conformation. Vivez dans le ciel (Phil. 3. 20.). La Jérusalem d’en haut est votre patrie véritable: vous êtes concitoyens des premiers nés dont les noms sont écrits dans les cieux (Heb. 12. 23).

Que le terre produise l'âme vivante. L'âme des bêtes n'a pas été mise dans la terre pour paraître au-dehors, mais elle a existé aussitôt qui; l'ordre a été profère. L’âmes des bêtes est uniforme ; un seul trait la caractérise, le défaut de raison: mais chaque animal est distingué par quelque trait caractéristique Le boeuf est constant, l’âne tardif, le cheval ardent pour courir après la femelle, le loup inapprivoisable, le renard rusé, le cerf timide, la fourmi laborieuse, le chien reconnaissant et sensible à l’amitié. Chaque être, au moment de sa création, a reçu le caractère qui lui est propre et qui le distingue. A l'instant qu'il a été créé, la

 

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fierté a été donnée au lion, cette inclination à vivre seul, à fuir toute société avec les autres animaux. Comme s'il était leur prince et leur monarque, son orgueil naturel ne lui permet point de souffrir d'égal. Il ne recherche point la nourriture qu'il a prise la veille, et ne retourne point aux restes de sa chasse. La nature lui a donné une voix si terrible, que beaucoup d'animaux qui l’emportent sur lui par la vitesse, sont souvent pris par son seul rugissement. La panthère est prompte et violente dans ses désirs; le corps qu'elle a reçu, par sa légèreté et son agilité, est tort propre à suivre les mouvements de son âme. L'ours est tardif de sa nature; il a un caractère à part; il est profondément caché et dissimulé. Le corps dont il est revêtu convient parfaitement à ces dispositions : lourd, compact, mal formé, il est fait véritable ment pour un animal froid et vivant dans un repaire. Si nous examinons en détail tous les soins que les animaux ont de leur vie, sans qu'ils aient d'autre maître que la nature, ou nous serons excités à veiller sur nous-mêmes et à pourvoir au salut de nos âmes, ou nous serons plus condamnables si nous sommes trouvés inférieurs même aux brutes. Lorsque l'ours a reçu de profondes blessures, il se guérit lui-même, en cherchant par tous les moyens à fermer ses plaies avec une herbe (1) dont la vertu est astringente. On voit le renard se guérir avec le suc que le pin distille. Le hérisson, qui s’est rassasié de la chair de la vipère, évite le mai que peut lui faire ce reptile venimeux, en prenant de l’origan (2), qui est pour lui un

 

(1) Cette herbe est appelée en grec phlomos.

(2) Origan , plante dont il y a plusieurs espèces. Voyez le dictionnaire de M. Valmont de Bomare.

 

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contre-poison. Le serpent remédie à son mal d’yeux en mangeant du fenouil.

Les prévoyances que les bêtes ont des changements de l'air ne surpassent-elles pas toute intelligence raisonnable ? Lorsque l’hiver approche, la brebis dévore sa pâture avidement, comme si elle se remplissait pour le besoin à venir. Les boeufs qui, durant l’hiver, ont été longtemps enfermés, connaissent, par un sentiment naturel, lorsque le printemps approche, le changement de saison; du fond de leurs étables, ils regardent la sortie des champs , et tournent leur tête de ce côté tous ensemble comme à un même signal. Quelques observateurs curieux ont remarqué que le hérisson de terre dispose dans sa retraite deux soupiraux; que, lorsque l'aquilon doit souffler, il ferme celui du septentrion; et que , lorsque le veut du midi prend la place, il passe au soupirail opposé. Quelle est la leçon que nous donne la conduite de cet animal? elle nous enseigne, non-seulement que les soins du Créateur s'étendent à tout, mais encore que les bêtes ont un certain pressentiment de l'avenir, afin que nous ne soyons pas attachés à la vie présente, mais que la vie future fixe nos désirs et occupe notre ardeur.

O homme, ne travaillerez-vous pas pour vous-même avec zèle? ne vous ménagerez-vous pas dans la vie présente un repos pour la vie future, en considérant l'exemple de la fourmi ? Elle amasse l'été sa subsistance pour l'hiver ; et parce que les rigueurs de cette dernière saison ne se font pas encore sentir, elle ne se livre pas à l'oisiveté, mais elle s'excite au travail avec un zèle infatigable, jusqu'à ce qu'elle ait déposé dans ses magasins une provision suffisante. Voyez quelle est sa prudence et son activité, comme elle emploie

 

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tous les moyens que peut lui fournir une sagesse intelligente pour conserver ses grains le plus longtemps qu'il est possible. Elle les coupe par le milieu avec ses petites serres, de peur que venant à germer, ils ne soient inutiles pour sa nourriture: lorsqu'elle les voit mouillés, elle les fait sécher ait soleil; et elle ne les expose pas en tout temps, mais quand elle s'aperçoit que l'air annonce une suite de plusieurs beaux jours. Aussi ne voit-on jamais la pluie tomber du ciel tout le temps que le blé des fourmis est exposé.

Quel orateur pourvoit rapporter toutes les merveilles sorties de la main de l'Ouvrier suprême? quel auditeur pourrait les comprendre ? quel temps pourvoit suffire pour les développer toutes et les détailler ? Disons donc nous-mêmes avec le Prophète: Que vos oeuvres , Seigneur, sont magnifiques ! vous avez tout fait avec sagesse (Ps. 103. 24.)

Nous ne sauvions dire pour nous excuser, que nous n'avons pas appris dans les livres les connaissance utiles, puisque la loi de la nature, qui n'a pas besoin d'être apprise , nous porte à choisir ce qui nous est avantageux. Savez-vous quel bien nous pourrez faire à votre prochain? c'est celui que vous voulez qu'un autre vous fasse. Savez-vous quel est le mal? c'est ce que vous ne voudriez pas souffrir d'un autre. Aucune étude des plantes et des racines n'a fait connaître aux bêtes celles qui leur sont salutaires: chaque animal peut se fournir naturellement ce qui est nécessaire à sa conservation ; il a en lui-même un rapport admirable avec ce qui est selon la nature. Il existe en nous des qualités innées, avec lesquelles notre âme a des rapports qui viennent, non de l’instruction , mais de la nature. Car de même

 

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qu'aucun discours ne nous apprend à haïr la maladie, mais que nous fuyons de nous-mêmes ce qui nous incommode; ainsi, sans étude, l’âme est portée à fuir le vice. Or le vice est la maladie de l’âme, comme la vertu en est la santé. Quelques-uns ont très-bien défini la santé, le meilleur état des fonctions naturelles. Cette définition peut être justement appliquée à la santé de l’âme, qui sans le secours de [instruction, désire ce qui lui est propre et convenable. C'est pour cela que tout le monde loue la tempérance, approuve la justice, admire le courage, recherche la prudence; vertus qui sont plus propres à l’âme que la santé ne l'est au corps. Enfants, aimez vos pères: Pères, n'irritez point vos enfants. (Eph. 6. 1. 4. ). La nature ne le dit-elle pas ? Paul ne prescrit rien de nouveau, il ne fait que resserrer le lien de la nature. Si la lionne chérit ses petits, si le loup combat pour les siens, que dira l’homme qui désobéit au précepte, et qui altère en lui la nature, lorsqu'un enfant déshonore la vieillesse de son père, ou qu'un père, volant à un second mariage, oublie ses premiers enfants? On voit dans les bêtes l'amour le plus fort entre les pères et les enfants, parce que Dieu qui les a créées à compensé en elles le défaut de raison par la vivacité du sentiment. Pourquoi , entre mille brebis, l'agneau, au sortir de l'étable, reconnaît-il la couleur et la voix de sa mère ? pourquoi court-il après elle et recherche-t-il les sources de lait qui lui appartiennent ? Quand les mamelles de sa mère auraient très-peu de lait, il s'en contente, et passe devant d’autres qui en sont pleines. Pourquoi la mère, au milieu de mille agneaux, reconnaît-elle le sien ? La couleur et la voix dans tous paraissent les mêmes, l'odeur est semblable, à en juger par notre odorat: mais il

 

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est dans ces animaux un sentiment plus subtil et plus vif que notre conception, d'après lequel chaque animal reconnaît ce qui est à lui. Le petit du loup n'a pas encore de dents ; et c'est néanmoins par la bouche qu'il se venge quand on lui fait du mal. Le veau n'a pas encore de cornes; et il sait où lui naîtront des armes. Cela prouve que dans tous les êtres vivants il est une nature qui n'a pas besoin d'étude ; que tout en eux a été réglé et déterminé ; qu'ils présentent tous des traces de la sagesse du Créateur, en montrant qu'ils ont été créés avec tout ce qu'il faut pour veiller à leur conservation.

Le chien n'a pas la raison en partage , mais il a un sentiment qui tient lieu de la raison. Ce que les sages du siècle ont trouvé avec peine et après de longues études , je veux dire les détours du raisonnement, le chien l'a appris de la nature. Lorsqu'il cherche les traces de la bête et qu'il trouve plusieurs voies , il les examine , et par sa conduite il semble faire tout haut ce raisonnement syllogistique Voici trois endroits par où a pu tourner la bête; elle n'a tourné ni par celui-ci , ni par celui-là : il reste donc qu'elle se soit élancée de ce côté. C'est ainsi qu'en écartant le faux il trouve le vrai. Que font de plus ces géomètres qui sont gravement assis pour démontrer un théorême, qui tracent des lignes sur la poussière, qui, de trois propositions en écartant deux, trouvent la vérité dans celle qui reste ? Quels hommes ingrats envers leurs bienfaiteurs ne doit pas faire rougir la reconnaissance de ce même animal ? On prétend que plusieurs chiens ont été trouvés morts avec leurs maîtres qui avaient été assassinés dans un lieu désert. Quelques-uns , lorsque le meurtre était récent, ont servi de guide à ceux qui cherchaient

 

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les meurtriers, et ont fait tram er au supplice les coupables. Que diront ces hommes qui non-seulement ne chérissent pas le Dieu qui les a créés et qui les nourrit, mais qui encore ont pour amis ceux qui outragent par leurs discours ce souverain Maître, qui partagent avec eux leur table., et qui, eu prenant de la nourriture, écoutent tranquillement les blasphèmes vomis contre celui auquel ils la doivent ?

Mais revenons à la contemplation des choses créées. Les animaux les plus faciles à prendre sont les plus féconds. C'est pour cela que les lièvres et les chèvres sauvages enfantent plusieurs petits , que les moutons sauvages en ont toujours deux, de peur que , consumée par les carnivores , l'espèce ne vienne à manquer. Les animaux qui détruisent les autres sont peu féconds. De-là, la lionne ne devient mère qu'avec peine d'un seul lionceau Elle ne le met au monde, dit-on, qu'en déchirant ses flancs avec ses ongles. Les vipères naissent en rongeant le ventre de leur mère qu’elles payent ainsi de leur avoir donné la naissance (1). Tout a donc été prévu dans les êtres , rien n'a été négligé de ce qui leur convient. Si vous examinez les membres des animaux , vous trouverez que le Créateur ne leur a rien accordé de superflu , ne leur a rien refusé de nécessaire. Il a armé les carnivores de dents tranchantes dont ils ont besoin pour leur genre de nourriture. Ceux qu'il n'a munis que d'un rang de dents, il leur a ménagé pour la nourriture plusieurs réservoirs. Comme leurs aliments ne sont pas assez broyés d'abord, il leur

 

(1) Les deux faits de la lionne et de la vipère sont reconnu, faux par les naturalistes. On a observe que la lionne a quelquefois quatre petits et mente six. On a cru longtemps qu'elle n'en avait jamais qu'un.

 

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a donné la faculté de remâcher ce qu’ils ont avalé, afin que l'ayant bien digéré en le ruminant , ils pussent l'identifier avec leur substance. La multiplicité des estomacs (1) , les panses, les grands intestins, ne sont pas Inutiles pour les animaux qui les ont, et chaque organe remplit sa fonction convenable. Le chameau a un long cou, afin qu’il réponde à ses pieds , et qu'il puisse atteindre l’herbe dont il vit. Le cou du lion, de l'ours, du tigre , et des autres bêtes de même espèce, est court et tient de près aux épaules , parce qu’ils ne vivent pas de l'herbe , et qu'ils n'ont pas besoin de se baisser à terre, étant carnivores, et subsistant de la proie d'autres animaux.

Que veut dire la trompe dans l'éléphant? Cet animal étant le plus gros des animaux terrestres, et fait pour étonner ceux qui le rencontrent , devait avoir une masse de corps énorme. S’il avait reçu un cou fort long et analogue à ses pieds, ce cou aurait été incommode par son extrême pesanteur , et se serait toujours porté en bas. Mais sa tête tient à l'épine du dos par de courtes vertèbres; et, à la place d'un cou allongé, il a une trompe par le moyen de laquelle il attire à lui sa nourriture et pompe sa boisson. Fermes comme des colonnes et sans aucune articulation, ses pieds sont propres à porter tout le fardeau. S'il eût eu des jambes déliées et flexibles, elles n'auraient pu soutenir le poids, et les articulations se seraient souvent dérangées de leur place lorsque l'animal se serait baissé ou levé. Mais le pied de l'éléphant a très-peu de talon; il n'a ni jointure ni genou , parce que des articulations mobiles n'auraient pu

 

(1) Les animaux vraiment ruminans , tels que le bœuf et autres, ont quatre estomacs. Voyez le dictionnaire de M. Valmont de Bomare, article taureau.

 

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supporter un corps immense et tremblant sous lequel elles auraient fléchi Il fallait donc cette espèce de nez qui descend jusqu'à terre. Ne voyez-vous point dans les combats que les éléphants précèdent les troupes comme des tours animées ; et que , semblables à des collines de chair , poussés avec une impétuosité insurmontable, ils rompent les bataillons ennemis. Si les parties inférieures ne répondaient pas à la masse , l'animal ne pourrait subsister un moment. Plusieurs rapportent qu'il vit plus de trois cents ans (1) ; ce qui n'arriverait certainement pas , si ses jambes n'étaient point fermes et sans articulation Il saisit en bas , comme nous l'avons dit, et porte en haut sa nourriture avec une trompe qui a la l'orme et la flexibilité d'un serpent. Au reste , cet animal si gros et si vaste , bien nous l'a soumis au point qu'il reçoit nos leçons et souffre nos coups: preuve évidente que le Créateur nous a tout assujetti parce qu il nous a faits à son image. Il est donc vrai que, dans les êtres créés, il est impossible de rien trouver de défectueux ni d'inutile.

Ce n'est pas seulement dans les grands animaux qu'on peut remarquer la sagesse incompréhensible de Dieu; mais les plus petits même n'offrent pas de moindres merveilles. En effet, de même que les sommets de ces hautes montagnes, qui , voisines des nues et continuellement frappées par les aquilons , conservent un hiver éternel , ne sont pas pour moi plus admirables que l'enfoncement des vallées, qui sous à l'abri de la violence des vents et présentent, toujours une douce température : ainsi je n'admire pas plus la grandeur

 

(1) La durée de la vie de l'éléphant n'est pas connue. Les uns le font vivre jusqu'à cent vingt et même cent cinquante ans; d'autres ont prolongé sa vie jusqu'à cinq cents ans.

 

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de l'éléphant que la petitesse du rat qui lui est redoutable, ou que l'aiguillon délié du scorpion, que l'Ouvrier suprême a creusé comme une flûte, pour qu'il puisse par-là lancer son venin sur les êtres qu'il a blessés.

Et que personne ne reproche au Créateur d'avoir produit des animaux venimeux, destructeurs par leur nature , et nuisibles à notre vie. C'est comme si l'on reprochait à un instituteur d'enfants de régler la légèreté de la jeunesse, et de réprimer sa pétulance par des corrections utiles. Les bêtes féroces et dangereuses éprouvent notre foi. Vous avez confiance dans le Seigneur ! Vous marcherez sur l'aspic et le basilic, vous foulerez aux pieds le lion et le dragon (Ps. 90. 13. ). Avec la foi vous

pouvez marcher impunément sur les serpents et les scorpions. Ne voyez-vous pas que Paul ramassant des sarments , ne reçut aucun mal dune vipère qui s'était attachée à sa main ( Act. 28. 3 et suiv. ), parce que ce saint homme fut trouvé plein de foi ? Si vous manquez de foi , craignez moins une bête dangereuse que votre incrédulité, qui vous rend susceptible de toute corruption.

Mais je m'aperçois qu'on me demande, il y a longtemps, de parler de la création de l'homme; et il me semble entendre mes auditeurs qui, au-dedans d'eux-mêmes , me disent : On nous enseigne bien quelle est la nature des êtres qui nous sont soumis , mais nous nous ignorons nous-mêmes. Il faut nécessairement que nous parlions de. l'homme sans être arrêtés par les difficultés du sujet : car il semble réellement très-difficile de se connaître soi-même. L'oeil, qui voit hors de lui , ne se sert pas pour lui-même de sa force intuitive: ainsi notre esprit, dont la vue est si pénétrante pour découvrir les fautes d'autrui , est fort lent

 

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pour reconnaître les siennes propres. C'est pour cela que notre discours, qui a détaillé avec tant d'ardeur et de vivacité ce qui regarde les autres êtres, est plein de lenteur et d'embarras pour examiner ce qui concerne l'Homme. Cependant, si l'on s'étudie soi-même avec intelligence , on peut connaître Dieu d'après sa propre constitution, aussi bien que d'après le ciel et la terre , selon ce que dit le Prophète : La science de votre nature a été en moi admirable d’après l’étude de moi-même (Ps. 138. 6. ); c'est-à-dire, dès que je me suis connu , j'ai appris à connaître votre sagesse suprême.

Et Dieu dit : Faisons l'homme. Où est ici le Juif, qui , dans ce qui précède, lorsque la lumière de la vérité brillait comme à travers un voile ; lorsque, d'une manière mystique et pas encore évidente, il se manifestait une seconde personne, combattait la vérité, prétendait que Dieu se parlait à lui-même ? C’est lui, disait-il , qui a parlé et qui a fait : Que la lumière soit, et la lumière fut. L'absurdité de leur réponse même alors était palpable. Car, quel est l’ouvrier qui, assis au milieu des instruments de son art, travaillant absolument seul , se dit à lui-même : Faisons une épée, fabriquons une charrue , achevons une chaussure? il fait en silence l'ouvrage qui convient à sa profession. C'est en effet un extrême ridicule de dire que quelqu'un est assis pour se commander à lui-même, pour se presser avec force et d'un ton de maître. Mais des hommes qui n'ont pas craint de calomnier le Seigneur lui-même, que ne diraient-ils pas ayant leur langue exercée au mensonge ? Toutefois le passage présent leur ferme entièrement la bouche. Et Dieu dit: Faisons l'Homme. Diras-tu encore , ô Juif! qu'il n'y a qu'une

 

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personne ? Tant qu'il ne paraissait pas encore d'être capable d'instruction, la prédication de la divinité était cachée profondément: lorsqu'ensuite la création de nomme est attendue, la foi se dévoile, le dogme de la vérité se manifeste d'une façon plus claire. Faisons l'homme. Entends-tu, ennemi dix Christ, que Dieu s'entretient avec celui qui partage l'ouvrage de la création, par qui il a fait les siècles, qui soutient tout par la parole de sa puissance (Héb. 1. 2 et 3.) ? Mais nos adversaires n'écoutent point, sans essayer de répondre, les preuves de notre foi : et de même que les bêtes farouches , les plus ennemies de l’homme, lorsqu’elles sont enfermées dans des cages, frémissent contre les barreaux , et manifestent toute la férocité de leur naturel sans pouvoir assouvir leur fureur; ainsi les Juifs, naturellement ennemis de la vérité, se voyant embarrassés, prétendent que c'est à beaucoup de personnes que la parole de Dieu s'adresse; que c'est aux anges présents qu'il dit : Faisons l'homme. C'est là vraiment une invention des Juifs , une fable, fruit de leur légèreté. Ils introduisent une infinité de personnes, pour n'être pas obligés d'en admettre une seule ; ils rejettent le Fils , et attribuent à des serviteurs la dignité sublime de conseillers du Très-Haut ; ils rendent maîtres de notre création ceux qui partagent avec nous la servitude. L'homme parfait peut s'élever jusqu'à la dignité des anges ; mais quelle créature peut devenir semblable à Dieu ? Considérez la suite , à notre image. Que dit-on à cela? limage de Dieu et des anges est-elle la même? La forme du Père et du Fils est la même nécessairement. La forme doit être entendue dans un sens convenable à Dieu, non dans le sens de figure corporelle , mais d'attribut propre à la divinité.

 

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Ecoutez, ô vous qui vous êtes fait nouvellement Juif, qui , sous prétexte de professer le christianisme, soutenez le judaïsme ! A qui Dieu dit-il : A notre image? à quel autre qu'à celui qui est la splendeur de sa gloire , le caractère de sa substance ( Heb. 1. 3 ) , l'image du Dieu invisible ? C'est à son image vivante qu'il a dit: Moi et mon Père nous sommes une même chose; qui m'a vu a vu mon Père ( Jean. 10. 13. — 14. 9.) ; c'est à cette image qu'il dit: Faisons l’homme à notre image. Où est la même image, peut-il y avoir disparité de nature ? Et Dieu fit l'homme. L'Ecriture ne dit pas, ils firent. Elle veut éviter ici la pluralité des personnes. Instruisant le Juif par les premières paroles, et rejetant par celles-ci l'erreur des Gentils, elle recourt sagement à l'unité , afin que vous conceviez le Fils avec le Père , et que vous évitiez le danger du polythéisme. Il le fit à l’image de Dieu. Elle introduit de nouveau la personne d'un coopérateur , en ne disant pas, à son image , mais , à l'image de Dieu. Or, en quoi l'homme porte l'image de Dieu , et comment il participe à sa ressemblance, c'est ce que je montrerai par la suite avec la grâce du Seigneur. Qu'il me suffise maintenant de clive à nos adversaires : S'il n'y a qu'une seule image , comment vous est-il venu dans l'esprit de débiter une impiété aussi horrible, de dire que le Fils n'est pas semblable au Père ? O ingratitude ! vous refusez à votre bienfaiteur la ressemblance que vous avez reçue de lui ! vous prétendez devoir conserver une prérogative qui est polir vous une pure grâce; et vous ne permettez pas que le Fils ait avec le Père une ressemblance qu'il tient de sa nature !

Mais le soir qui nous a conduits au coucher du soleil , et qui est déjà fort avancé , nous impose

 

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silence. Finissons donc ici notre instruction avec le jour , et contentons-nous de ce que nous avons dit. Nous n'avons touché le sujet du discours suivant qu'autant qu'il fallait pour réveiller votre ardeur. Nous l'examinerons bientôt plus en détail avec la grâce de l'Esprit-Saint. O vous , amis du Christ et son Eglise chérie , retirez-vous. Que le souvenir de ce que nous vous avons dit vous serve d'un repas honnête , préférable aux festins les plus magnifiques et aux mets les plus délicats.

Que les Juifs et les hérétiques ennemis de Jésus-Christ rougissent ; que le fidèle triomphe des dogmes de la vérité ; qu’il glorifie le Seigneur, à qui soient la gloire et l'empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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