ÉCHELLE DU CIEL

OPUSCULE TRADUIT DE BELLARMIN

 

Robert Bellarmin, cardinal, docteur de l'Église, (+ 1621)

 

Bibliothèque

 

 

ÉCHELLE DU CIEL , OU MOYENS EFFICACES DE PARVENIR AU VRAI BONHEUR,

PRÉFACE DE L'AUTEUR.

NOTICE.

APPROBATION.

ECHELLE DU CIEL.

PREMIER DEGRÉ. Considération de l'homme.

SECOND DEGRÉ. Considération de l'univers.

TROISIÈME DEGRÉ. Considération de la terre.

QUATRIÈME DEGRÉ. Considération des eaux, et principalement des fontaines.

CINQUIÈME DEGRÉ. La considération de l'air.

SIXIÈME DEGRÉ. Considération du feu.

SEPTIÈME DEGRÉ. Considération du ciel, c'est-à-dire du soleil, de la lune et des étoiles.

HUITIÈME DEGRÉ. Considération de l'âme raisonnable.

NEUVIEME DEGRÉ. Considération des anges.

DIXIÈME DEGRÉ. Considération de l'essence de Dieu, par la comparaison de ses grandeurs corporelles.

ONZIÈME DEGRÉ. Considération de la grande puissance de Dieu, comparée à la  grandeur corporelle.

DOUZIÈME DEGRÉ. Considération de la grandeur de la sagesse théorique de Dieu, par la comparaison de la grandeur corporelle.

TREIZIÈME DEGRÉ. Considération de la sagesse pratique de Dieu.

QUATORZIÈME DEGRÉ. Considération de la miséricorde de Dieu.

QUINZIÈME DEGRÉ. Considération de la grandeur de la justice de Dieu, par la comparaison de la grandeur corporelle.

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ÉCHELLE DU CIEL , OU MOYENS EFFICACES DE PARVENIR AU VRAI BONHEUR,EN CONSIDÉRANT, SELON DIEU, LES OEUVRES DE LA CRÉATION,

 

OPUSCULE TRADUIT DE BELLARMIN

 

PAR  M. CANDÈZE, GRAND-VICAIRE DU DIOCÈSE DE SAINT-FLOUR, ANCIEN CURÉ DU FAUBOURG  DE CETTE VILLE.

 

Ceoli enarrant gloria Dei, et opera manuum ejus annuntiat firmamentum

 

LYON, CHEZ PERISSE FRÈRES, LIBRAIRES, rue Mercière, 33.

PARIS, AU DÉPOT DE LIBRAIRIE DE PERISSE FRÈRES, rue du Pot-de-Fer St-Sulpice, 8. 1836.

 

 

PRÉFACE DE L'AUTEUR.

 

La sainte Écriture nous avertit fréquemment de chercher Dieu avec soin. Car quoique Dieu ne soit pas loin de nous , puisque c'est en lui que nous avons l'être, le mouvement et la vie ( Act. 17. ) , nous sommes cependant nous-mêmes loin de Dieu : et à moins de préparer dans notre coeur des degrés pour former en quelque sorte une échelle qui nous élève au ciel; à moins de chercher Dieu avec une grande sollicitude, nous ne pouvons; comme l'enfant prodigue, que paître les pourceaux dans une région lointaine, loin de notre patrie et de notre Père céleste.

Mais pour expliquer en peu de mots comment il se fait que Dieu ne soit pas loin de nous,tandis que nous sommes très-loin de lui, nous disons que Dieu n'est pas loin de nous, parce qu'il nous voit sans cesse, que tout est présent à ses yeux; parce qu'il pense continuellement à nous, et qu'il en prend soin (I. Petr. 5. ); parce qu'il nous touche continuellement, étant celui (lui soutient tout par la puissance de sa parole (Hebr. 1. 3.).Mais nous sommes très-éloignés de Dieu, parce que nous ne le voyons pas et qu'il nous est impossible de le voir, puisqu'il habite une lumière inaccessible ( I. Tim. 6.) ; parce que nous ne sommes pas capables de former de nous-mêmes aucune bonne pensée de Dieu (II Cor. 3.). Encore moins pouvons-nous l'approcher par de pieuses affections, et nous attacher à lui,s'il ne nous admet,et si sa droite ne nous attire. Ainsi David, après avoir dit à Dieu : Mon âme s'est attachée à tous , ajoute aussitôt: Votre droite m'a soutenue (Ps. 62. 8.). Nous sommes très-éloignés de Dieu, non-seulement en ce que nous ne pouvons ni le voir, ni penser facilement à !lui, ni nous y attacher par affection , mais encore parce qu'occupés des biens temporels , qui nous environnent et nous obsèdent de toutes parts, nous oublions facilement Dieu; et à peine notre langue prononce-t-elle son saint nom dans les Psaumes et les autres prières, tandis que le coeur ne ressent rien. C'est pour éviter ce malheur, que l'Esprit-Saint dans l'Écriture, comme nous l'avons dit , nous exhorte si souvent à chercher Dieu : Quaerite Deum, et vivet anima vestra (Ps. 68.). Cherchez la face sans cesse,ajoute le Prophète royal. Le Seigneur est bon à ceux qui espèrent en lui, il est bon à l’âme qui le cherche dit Jérémie (Lam.3.25.). Cherchez le Seigneur pendant qu'on peut le trouver,ajoute un autre prophète (Is. 55. 6.); mais cherchez-le dans la simplicité de votre coeur, vous dit le Sage (Sap. 1.). Lorsque vous chercherez le Seigneur votre Dieu , vous le trouverez , disait Moise , pourvu toutefois que vous le cherchiez de tout votre coeur (Deut. 4. 29.).

Or cette sollicitude pour chercher Dieu, quoiqu'elle concerne tous les fidèles . est cependant le partage propre de ceux qui gouvernent l'Eglise,d'après le témoignage des SS. Pères, et surtout de St. Augustin , de St. Grégoire et de St. Bernard. Ils font voir clairement qu'un pasteur ne peut être utile ni à lui ni aux autres , s'il ne médite sérieusement les choses divines, et ne prend un soin particulier de la nourriture de son âme. St: Augustin , dans le traité de la Cité de Dieu (Lib. 19. c.19.), enseigne que « l'amour de la vérité désire un saint repos, tandis que les devoirs de la charité nous engagent au travail ; mais il ne faut pas entièrement abandonner le plaisir de contempler la vérité, de peur que ce plaisir ne nous soit soustrait, et qu'ensuite nous ne soyons accablés par les oeuvres de la charité. » Parlant ensuite de lui-même ( Lib. Conf. 10. c. 40. ), et de ses fréquentes méditations sur Dieu par la considération des créatures, il dit: «Je m'y exerce souvent, j'y trouve du plaisir, et sitôt que j'ai un moment de loisir, je me livre à cette satisfaction. » St. Grégoire, dans son Pastoral (2e Part. c. 5.), dit ce qu'il faut que la compassion égale le pasteur à ses inférieurs, mais que la contemplation doit l'élever au-dessus d'eux.

S'il partage par sa piété et sa charité les peines et les faiblesses des autres , la sublimité de sa contemplation doit l'élever au-dessus de lui-même, pour ne s'occuper que des choses célestes et invisibles. » Dans ce même chapitre , St. Grégoire rapporte l'exemple de Moïse et de Jésus-Christ. Moïse entrait fréquemment dans le tabernacle et il en sortait : il y entrait pour connaître les secrets de Dieu ; il en sortait pour se charger des infirmités du prochain. Et Jésus-Christ lui-même travaillait au salut du prochain, en prêchant et opérant des miracles pendant le jour; mais il passait les nuits sans dormir , occupé de la prière et de la contemplation. Erat pernoctans in oratione Dei (Luc. 6.). On peut lire d'autres traits semblables dans le dernier chapitre du même livre.

Enfin St. Bernard , voulant donner des avis salutaires au pape Eugène , qui avait été son disciple , et l'exhorter à ne pas tellement se livrer aux occupations extérieures, qu'il ne se recueillit chaque jour un certain temps , pour jouir d'un saint repos et d'une nourriture toute céleste , écrivit les cinq livres de la considération, dans lesquels il l'exhorte non-seulement à la méditation des choses divines, mais encore il lui enseigne la manière et les moyens de méditer, et en méditant, de s'élever , et en s'élevant, de se transformer en Dieu par le secours de l'intelligence et de la volonté. Il n'admet point l'excuse que le pontife aurait pu alléguer, et qu'allèguent tant d'autres, savoir, le grand nombre d'occupations inséparables des fonctions pontificales , et qui ne laissent aucun intervalle aux prélats pour vaquer à la méditation des choses divines. Assurément, en effet, personne n'est tenu de se livrer tellement aux araires extérieures, qu'il ne lui reste pas de temps pour réparer ses forces par le boire et le manger, et par l'usage du repos et du sommeil. Et si le corps demande avec raison cette réfection et ce repos , avec combien plus de justice l'âme peut-elle exiger la réfection et le repos qui lui sont. propres? car elle ne peut aucunement , sans soulagement, s'acquitter de ses devoirs,au milieu d'occupations d'une si haute importance. Or la nourriture de l'âme, c'est l'oraison; son sommeil , c'est la contemplation par laquelle elle médite dans son coeur les moyens de s'élever , afin de voir le Dieu des dieux dans la céleste Sion, de la manière qu'on peut le voir dans cette vallée de larmes (Ps. 83.). Or une échelle. pour arriver jusqu'à Dieu, ne petit se former ici-bas que par les oeuvres de Dieu. Quant à ceux qui , par un privilège particulier , ont été introduits dans le paradis par une autre voie et ont été admis aux secrets de Dieu, à ces secrets dont il n'est pas permis à l'homme de parler, on peut dire qu'ils y ont été ravis, et non pas qu'ils  y sont montés. St. Paul nous le dit : J'ai été ravi dans le paradis, et j'y ai entendu des paroles ineffables qu'il n'est pas permis a un homme de rapporter. (Tel est le sens de ce qu'il dit en troisième personne.)

L'auteur du livre de la Sagesse (13.) et St. Paul (Rom. 1.) enseignent que l'homme petit, par les oeuvres de Dieu, c'est-à-dire par les créatures , s'élever à la connaissance et à l'amour du Créateur : la raison confirme ce que nous disons, puisque par les effets on connaît la cause efficiente, et que le tableau nous donne l'idée du modèle; et qu'il est certain que toutes les créatures sont l'ouvrage de Dieu. D'ailleurs l'Écriture ne nous laisse pas ignorer que les hommes et les anges sont non-seulement les Oeuvres , mais encore les images de Dieu.

Mu par ces raisons, et pendant un peu de repos que m'ont laissé les affaires publiques ; encouragé par l'exemple de St. Bonaventure qui, dans un loisir semblable , composa l'Itinéraire de l'aime vers Dieu , j'ai essayé de former, au moyen des créatures,une échelle pour monter jusqu'à Dieu: je l'ai partagée en quinze échelons, à l'instar des quinze degrés par lesquels on montait au temple de Salomon , et des     quinze Psaumes qu'on appelle graduels.

 

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NOTICE.

 

ROBERT BELLARMIN naquit à Monte-Pulciano en 1542. Il se fit jésuite à l’âge de 18 ans; enseigna la théologie à Louvain , et y prêcha avec tant de succès , que les protestants venaient d'Angleterre et de Hollande pour l'entendre. Après sept ans de séjour dans les Pays-Bas, il retourna en Italie. Grégoire XIII le choisit pour faire des leçons de controverse dans le collége qu'il venait de fonder. Sixte V le donna ensuite , en qualité de théologien, au légat qu'il envoya en France l'an 1590. Clément VIII le fit cardinal neuf ans après, et archevêque de Capoue le 21 avril 1602. Paul V ayant voulu le retenir auprès de lui , Bellarmin se démit de son archevêché, et se dévoua aux affaires de la cour de Rome jusqu'en 1621. Il mourut la même année, au noviciat des Jésuites, où il s'était retiré dès le commencement de sa maladie. Grégoire XV alla visiter le cardinal mourant qui lui adressa ces paroles: Domine, non sum dignus ut intres, etc.; paroles qui marquent jusqu'à quel point le cardinal Bellarmin portait son respect pour le vicaire de Jésus-Christ.

Ce savant cardinal a enrichi l'Église de plusieurs ouvrages , dont le détail se trouve dans Feller , d'où nous tirons cette notice ; et parmi ces ouvrages, celui dont nous offrons ici la traduction , est le fruit d'une philosophie solide et profonde : les écrivains les plus illustres , entre autres M. de Buffon, en ont tiré des passages intéressants. Mais c'est sons le rapport de la religion surtout , qu'il faut le considérer : sa lecture ne peut manquer de faire impression sur celui qui le méditera. Bellarmin appelle toutes les créatures à son secours pour éclairer l'homme , et toutes Jusqu'aux plus insensibles, lui prêtent leur ministère. Toutes lui crient en leur manière : Ce n'est pas nous qui nous sommes donné l'être , c'est Dieu qui nous a créées. Les degrés qui composent son échelle divine, sont un appui ferme, solide, inébranlable pour quiconque aura le courage de s'en servir, afin de s'élever d Dieu , et d'assurer son bonheur éternel.

L'Ecriture-Sainte, la Théologie, la Métaphysique , la Physique et la Morale,sont traitées dans cet ouvrage d'une manière savante et concise. Le jeune prédicateur peut y puiser des matériaux solides; le physicien, des idées nouvelles; le métaphysicien, en le lisant , pénètrera des secrets qu'il n'avait encore pu connaître , et le théologien y verra la solution de plusieurs questions difficiles qu'un passage de l'Écriture, appliqué à propos, lui développera parfaitement. Tels sont, en abrégé , les avantages que ce livre procurera aux lecteurs: l'instruction , l'amour de la vérité , la gloire de Dieu et le salut de l'âme.

 

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APPROBATION.

 

J'ai lu par l'ordre de Monseigneur de Gualy, évêque de St-Flour, la traduction d'un ouvrage intitulé : De ascensione mentis in Deum, etc.,  faite par M. Caadèze, curé du faubourg de cette ville. L'auteur de cet ouvrage est Bellarmin , célèbre jésuite italien en qui on trouvaille zèle joint à la piété , et le savoir à la modestie. Il est connu par une foule d'excellents, ouvrages; mais celui qui vient d'être traduit ne le cède à aucun autre par l'importance. de la matière qui en fait l'objet, et par le fréquent , mais toujours juste emploi de l'Écriture-Sainte. On doit féliciter M. Candèze d'avoir eu l'heureuse idée de traduire un ouvrage si plein de choses , et d'avoir su faire passer dans sa traduction la précision et les pieux sentiments qu'on remarque dans l'original. La lecture en sera agréable aux âmes dévotes qu'elle édifiera,et aux gens du monde qu'elle instruira. Fait à St-Flour, le 10 mai 1833.

 

BELLET , V. G.

 

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ECHELLE DU CIEL.

 

PREMIER DEGRÉ. Considération de l'homme.

 

Désirez-vous sincèrement de vous élever à Dieu; commencez par apprendre à vous connaître vous-même. Chacun de nous est la créature et l'image de Dieu, et. rien ne nous intéresse autant que nous-mêmes. C'est dans ce sens que Tobie a dit : Veillez sur vous, attende tibi (Tob. 4. 13.), paroles qui ont fourni à S. Basile la matière d'un savant discours. Celui qui s'examinera attentivement et considèrera ce qui se passe en lui-même y trouvera comme un abrégé de l'univers, d'où il pourra sans peine s'élever à la connaissance du créateur de toutes choses.

Mais il n'est ici question que de l'examen de quatre causes générales; savoir: quel est mon créateur, de quelle matière il m'a formé, quelle forme il m'adonnée, et pour quelle fin il m'a créé. Si je cherche à connaître mon créateur, je ne trouve que Dieu; si je désire connaître la matière dont il m'a formé, je rencontre le néant; d'où je conclus que tout ce qui est en moi est l'oeuvre de Dieu et lui appartient tout entier. Si j'examine la forme, je vois que je suis créé à l'image de Dieu; si je veux savoir pourquoi Dieu m'a créé, je ne puis douter que ce ne soit pour le posséder et pour être heureux de son propre bonheur. C'est pourquoi je comprends que ,j'ai des liaisons et des rapports si intimes avec Dieu, qu'il est lui-même mon créateur, l'auteur de ma vie, mon père, mon modèle, ma béatitude et mon tout. Et si je le comprends bien, comment pourrai-je ne pas le chercher avec ardeur ? ne pas penser à lui? ne pas soupirer après lui ? ne pas désirer de le voir et de le posséder ? Ou plutôt ne devrais-je pas gémir sur les épaisses ténèbres de mon coeur, qui pendant si longtemps n'a désiré, n'a cherché rien moins que ce Dieu qui est cependant mon unique ressource?

1° Mais entrons dans un plus long détail. Je vous en conjure, dites, ô mon âme, qui vous a tirée de ce néant où vous étiez plongée naguère ? ce ne sont pas certainement vos parents; s'ils ont engendré votre corps, vous savez que ce qui est né de la chair n'est que chair : Quod natum est ex carne, caro est. Mais vous êtes une substance spirituelle. Ce n'est ni le ciel, ni la terre, ni les astres qui vous ont produite. Ces choses sont corporelles et vous êtes spirituelle. Ce ne sont pas non plus les anges, ni aucune autre créature spirituelle, car vous n'avez été formée d'aucune matière, mais tirée du néant, et il n'y a que la toute-puissance de Dieu qui de rien puisse faire quelque chose. C'est donc lui seul qui, sans coopérateur, sans le ministère de qui que ce soit, vous a créée quand il l'a voulu, de ses propres mains, qui sont son intelligence et sa volonté. Mais peut-être ce n'est pas Dieu qui produit votre corps, peut-être le devez-vous à quelqu'être créé; Dieu aura formé votre âme, et vous devez votre corps à vos parents? Vous vous trompez, c'est Dieu qui en est l'auteur : il est le véritable architecte et le père non seulement de votre âme, mais encore de votre corps; vos parents n'ont été employés en cela que comme les derniers manoeuvres le sont dans la construction d'un édifice; vous appartenez entièrement à Dieu. En effet si vos parents avoient eu par eux-mêmes le pouvoir de former votre corps, ils connaîtraient le nombre des muscles, des veines, des nerfs, des os qui en composent la structure, et plusieurs autres merveilles qu'on y admire; cependant ils ignorent, à moins qu'ils ne l’aient appris par l'anatomie. Bien plus, lorsque le corps est malade, qu'un membre se dessèche, ou qu'il est amputé, ils pourraient le rétablir, si c'était eux qui l'eussent formé, de même que l'horloger répare sa montre et l'architecte restaure l'édifice qu'il a construit. Mais vos parents ne peuvent rien de semblable. Que dirons-nous de l'union de l’âme avec le corps, de l'esprit avec la matière, de ces deux substances qui n'ont entr'elles aucune ressemblance, aucune proportion, et qui sont néanmoins unies par des liens si forts, qu'elles ne font qu'une même substance ?N'est-ce pas là évidemment l'ouvrage d'une puissance infinie ? C'est donc au seul auteur des grandes merveilles, Qui facit mirabilia magna solus (Ps. 135. 4.), qu'il faut attribuer la création et l'union de l’âme avec le. corps.

L'Esprit-Saint parlait donc par la bouche de Moïse, lorsque celui-ci disait aux Hébreux ; N'est-ce pas Dieu qui est votre père, qui vous a possé  dés comme son héritage, qui vous a faits et qui vous a créés (Deuter. 36. 6.). Le S. homme Job nous enseigne la même vérité (10. 11.). Vous m'avez, dit-il à Dieu, vous m'avez revêtu de peau et de chair,vous m'avez affermi et soutenu parles os et des nerfs ; cette vérité est confirmée parle Prophète Royal (Ps. 118.) . Vos mains, dit-il, s'adressant à Dieu, vos mains m'ont fait et m'ont formé et fortifié ; c'est vous (Ps. 138 .) qui m'avez formé et qui avez mis la main sur moi pour me tirer du néant. La mère des Machabées disait aussi à ses enfants (. Mach. 7.): Je ne sais comment vous avez été formés dans mon sein, car ce n'est pas moi qui vous ai donné l'esprit, l’âme et la vie, ni qui ai joint vos membres pour en faire un corps; mais c'est le créateur du monde qui a formé l'homme dans sa naissance et qui adonné l'origine la toutes choses. Jésus-Christ lui-même nous dit (Math. 23.) : N’appelez personne votre père sur la terre; car vous n'avez qu'un seul père, qui est dans les cieux.

Courage donc, ô mon âme! si Dieu est votre créateur, sil est votre père, votre appui, votre nourricier ; si tout votre être, tout ce que vous avez est de lui, et vient de lui ; si tout ce que vous espérez, vous ne l'attendez que de lui, pourquoi ne pas vous glorifier d’un tel père? pourquoi ne pas l'aimer de tout votre coeur ? pourquoi ne pas mépriser, pour l'amour de lui, tout ce qui est terrestre? pourquoi vous laisser dominer par de vains désirs ? Elevez vers lui vos regards, et, ayant un père si puissant dans le Ciel, ne craignez point d'ennemis sur la terre. Imitez la confiance et l'amour de David (Ps. 118.), lorsqu'il disait: Je vous appartiens, ô mon Dieu, sauvez-moi. O mon âme! si vous considériez comment l'Eternel, le Tout-Puissant, qui n'a nul besoin de vos biens, qui ne perd rien en vous perdant, veut cependant arrêter continuellement sur vous ses regards et daigne vous aimer, vous protéger, voua diriger, vous favoriser comme si vous étiez pour lui un trésor précieux, certainement vous mettriez en lui toute votre confiance; vous le craindriez comme votre Seigneur,, vous l'aimeriez comme votre Père; et lesbiens ni les maux de cette vie, quelque grands qu'ils fussent, ne sauraient vous séparer de son amour.

2° Examinons maintenant la matière dont l'homme est formé. Il est vrai qu'elle est très-vile, mais par là-même elle doit nous inspirer la plus profonde humilité; vertu qui l'emporte ici-bas sur les autres par son utilité; vertu d'autant plus précieuse et désirable qu'elle est plus rare parmi les hommes.

On ne peut douter que la matière de l’âme ne soit le néant, qui est ce qu'il y a de plus vil. Quand à celle dont le, premier homme fut formé, ce ne fut qu'un peu de terre, ou de poussière et de boue. Dieu forma l'homme, dit l'Écriture, du limon de la terre (Genes. 2.), et peu de temps après sa chute, Dieu lui dit : Tu es poussière et tu retourneras en poussière (Genes. 3.). C'est pour cette raison que le patriarche Abraham, se rappelant son origine, disait à Dieu: Puisque j'ai commencé, je parlerai, à mon Seigneur, quoique je ne sois que cendre et poussière (Gen. 18.). Mais ce n'est pas eu cela seul que consiste la vilité de la matière

dont nous sommes formés. Car le limon, ou cette poussière, ne provient point d'une autre matière préexistante, mais du pur néant. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ; ils ne furent point tirés d'un autre ciel ni d'une autre terre, mais Dieu les forma de rien. C'est donc au néant que remonte l'origine de cet être si superbe qu'on appelle homme; soit qu'on le considère du côté du corps, soit qu'on le considère du côté de l’âme.

D'où il faut conclure que l’homme n'a rien dont il puisse se glorifier, comme s'il ne l'avait pas reçu de Dieu; tous les ouvrage sortis des mains de l'homme, fruits de son génie ou de son travail, ont d'eux-mêmes quelque chose dont ils pourraient tirer vanité, s'ils étaient capables . de sentiment et doués de la parole. Un vase d'or, un meuble de bois, une maison, fût-elle de marbre ou d'ivoire, pourraient dire à l’ouvrier qui les a faits : Nous vous sommes redevables de la forme, mais la matière ce n'est pas vous qui l’avez produite; et cependant ce que nous avions indépendamment de vous est plus précieux que ce que nous avons reçu de votre travail ou de votre génie. Mais l'homme, qui n'a et qui n'est absolument rien de lui-même, n'a aucun sujet de se glorifier. L'Apôtre a donc raison de dire: Si quelqu'un s'imagine être quelque chose, quoiqu'il ne soit rien, il se trompe (Gal.6.). Qu'avez-vous en effet que vous n'ayez reçu? et si vous l'ayez reçu pourquoi vous en glorifier; comme si vous ne l'aviez pas reçu ( I. Cor. 4.)? S. Cyprien parle dans le même sens lorsqu'il dit (Lib. 3. ad Quirinum, 4.) que n'ayant de nous-mêmes que le néant nous ne devons nous glorifier de rien. Mais direz-vous peut-être, les hommes sont justement loués de plusieurs actions d'éclat, afin d'encourager la vertu. Soit; j'accorde que certaines actions extraordinaires méritent d'être louées, non en elles-mêmes mais dans le Seigneur, Gomme dit l'Apôtre (2. Cor. 10. Ps. 33.) : Qui gloriatur, in Domino glorietur. In Domino laudabitur anima mea. Car, lorsqu'un homme fait quelque chose d'éclatant, je demanderai : de quelle manière l'a-t-il fait ? par quelle industrie, sous quelle direction et par quel secours. Il  est certain que la matière dont il s'est servi vient de Dieu et ce n'est pas l'homme qui l'a créée; son industrie est encore un don de Dieu, qui l'a dirigé et tellement aidé que, sans cette direction et ce secours, il n'aurait rien fait de bon. Car Dieu produit dans l'homme, et sans son secours, beaucoup de bien; mais l'homme ne fait aucun bien sans que Dieu l'opère avec lui, comme l'a décidé le deuxième concile d'Orange. C'est pourquoi Dieu daigne se servir du ministère de l'homme pour opérer le bien qu'il pourrait faire lui-même sans son secours, afin que l'homme s'avoue débiteur envers Dieu, qu'il ne s'enorgueillisse point, mais qu'il se glorifie dans le Seigneur.

Vous serez donc sage, ô mon âme! si vous vous placez toujours au dernier rang. Gardez-vous de jamais ravir la gloire de Dieu ; descendez dans votre néant, qui seul vous appartient, et dès lors le monde entier ne saurait vous inspirer de l'orgueil. Mais parce que cette précieuse vertu d'humilité avait presque disparu de ce monde, et qu'elle ne se trouvait plus ni dans les livres des philosophes, ni dans les moeurs des nations, le Maître de toutes les vertus est descendu du Ciel ; et quoiqu'il eût la nature de Dieu, quoiqu'il fût égal à Dieu son père; cependant il s'est anéanti lui-même en prenant la nature d'esclave, et il s'est rabaissé, se rendant obéissant jusqu'à la mort (Philip. 2.), et il a dit aux hommes! Apprenez de, moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes (Math. 11.) . O mon âme ! si vous rougissez d'imiter l'humilité des hommes, au moins ne rougissez pas d'imiter celle d'un Dieu, qui ne peut tromper, ni être trompé; qui résiste aux superbes, et donne sa grâce aux humbles (Jacques. 4.).

 Apres avoir parlé de la matière dont l’homme est pétri, parlons de la troisième cause, qui est la forme; autant celle-là est vile, autant celle-ci est précieuse et excellente. Sans parler de la forme extérieure et accidentelle du corps humain, qui l'emporte sur celle de tous les animaux, je viens à la forme substantielle de l'homme, je veux dire l'âme, qui le distingue de tous les autres animaux, cette âme qui est immortelle, douée de raison et de libre arbitre, faite à l'image de Dieu, sur le modèle de ses divines perfections. Car au temps de la création Dieu dit: Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, et qu'il commande aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, aux bêtes et a toute la terre et à tous, les reptiles qui se remuent sur la terre (Gen. 1.). L'homme est donc l'image de Dieu, non selon le corps, mais selon l'esprit ; car Dieu est esprit et il n'a pas de corps. Là est l'image de Dieu, dit St. Basile, où se trouve ce qui commande aux autres animaux ; mais l'homme ne commande pas aux bêtes par la- force de son corps, qui est moindre que dans plusieurs d'entr'elles; mais c'est par sou âme, douée de raison et de libre arbitre : ce n'est pas par ce qu'il a de commun avec les brutes qu'il est leur maître, mais par ce qui l'en distingue, c'est-à-dire parce qu'il a de ressemblance avec Dieu.

Elevez-vous maintenant, ô mon âme, vers votre modèle, et reconnaissez que tout ce qu'il y a de bon dans l'image consiste dans sa ressemblance avec ce modèle. Car si le modèle est difforme, tel qu'on représente quelquefois le démon, la perfection du portrait consistera à bien représenter la laideur de l'original; et tandis que la difformité du modèle sera une véritable difformité, celle du tableau passera pour une beauté. Mais si le modèle est beau, la copie en sera d'autant plus précieuse qu'elle se rapprochera ,avantage de la beauté du modèle: en sorte que si l'image avait du sentiment, elle ne souhaiterait rien tant que de  voir continuellement son modèle, de s’y conformer et de lui ressembler le plus qu'il lui serait possible.

Votre modèle, ô mon âme, c'est Dieu, beauté infinie, lumière sans ombres de ténèbres ( I Joan. 1,) dont la beauté est admirée par l'astre du jour et par celui de la nuit. Mais pour mieux réussir, par tous les moyens possibles, à imiter la beauté d'un si beau modèle, et avoir avec lui. une plus parfaite ressemblance, ce qui constitue toute votre perfection, tout votre avantage, tout votre honneur , toute votre joie, tout votre repos, tout votre bien, sachez que la beauté de Dieu, qui est votre modèle, consiste dans la sagesse et la sainteté. Car de même que la beauté du corps vient de la proportion des membres et de la beauté du teint; de même aussi dans la substance spirituelle, la lumière de la sagesse forme sa beauté, et c'est la justice qui établit la justesse de ses proportions. Remarquez cependant que parle mot de justice il ne faut pas entendre ici une vertu particulière; mais cette justice universelle qui renferme toutes les vertus. La plus belle âme est celle en qui brille la lumière de la sagesse et dont la volonté est, pour; ainsi dire, saturée de la justice parfaite. Mais c'est Dieu, mon âme, c'est votre divin modèle, qui est lui-même 1a sagesse, la justice et par conséquent la beauté par excellence; et parce que le nom de sainteté signifie ces précieux biens de là justice et de la sagesse, les Anges répètent sans cesse : Saint, saint, saint, est le Dieu des armées (Is. 6), et Dieu lui-même crie aux hommes, formés à sa ressemblance: Soyez saints, parce que moi, qui suis le Seigneur votre Dieu, je suis saint (Levit. 11) et il leur fait dire par son fils: Soyez parfaits, comme votre père céleste est parfait (Math. 5.).

Désirez-vous donc, ô mon âme, ressembler, autant que possible, à votre modèle, aimez par dessus tout la sagesse et la justice. La vraie sagesse consisté à juger de tout selon la première cause. Cette première cause est la volonté divine, ou la loi qui manifeste aux hommes la volonté de Dieu. Si fous aimez donc la sagesse, vous devez écouter non ce que dicte la loi charnelle, non l'impression des sens, non ce que le monde approuve, ce que les parents conseillent ou que les flatteurs proposent; mais, fermant l'oreille à tous ces faux conseils, à toutes ces perfides insinuations, vous devez vous conformer à la volonté de vôtre Dieu, et ne regarder comme utile, glorieux, désirable, et bon, sous tous les rapports, que ce qui est conforme à la volonté et à la loi de Dieu. C'est en cela que consiste la sagesse des saints; dont le Sage a dit: Je l'ai plus aimée que la santé et que la beauté; j'ai résolu de la prendre pour ma lumière, parce que sa clarté ne peut être jamais éteinte: Tous les biens me sont venus avec elle.

La justice, qui est l'autre partie de la beauté spirituelle, renferme toutes les vertus qui ornent et perfectionnent la volonté, mais surtout la charité; qui est la mère et la source de toutes ces vertus, de laquelle parle St. Augustin, dans son livre de la Nature et de la Grâce. Le, commencement de la charité, dit-il,est le commencement de la justice une charité plus étendue est une justice plus avancée; et enfin une charité parfaite est une parfaite justice (Chap. 70.). Car celui qui aime accomplit la loi, parce que la charité n'opère point le mal, et par cette raison la charité est l'accomplissement de la loi (Rom. 13). C'est dans ce sens que St. Jean ( I  Jean, 2.) assure que l'autour de Dieu est parfait dans celui qui garde sa parole, c'est-à-dire ses commandements : voulez-vous donc vous rendre conforme au divin modèle, obéissez à celui qui vous dit: Soyez les imitateurs de Dieu, comme ses enfants bien-aimés, et marchez dans l'amour et dans là charité pour vos frères (Eph: C.5. 1.). Car le fils est l'image du Père, et nous avons déjà dit qu'une image n'est parfaite qu'autant qu'elle a une parfaite ressemblance avec l'original.

Si vous compreniez parfaitement cette vérité, ô mon âme; et si, ressemblant à votre modèle par la beauté d'une vraie sagesse et d'une vraie justice, vous étiez agréable aux yeux du Souverain Roi, quelle ne serait pas alors la paix de votre âme ? de quelle joie ne serait-elle pas inondée ? avec quelle facilité foulerait-elle aux pieds les délices du monde? D'un autre côté, si vous considériez quelle est l'indignation de Dieu lorsqu'il voit en vous son image, destituée de la lumière, de la sagesse et de l'ornement de là justice, se souiller, se déshonorer, s'avilir, et l'homme, comblé d'honneur, au point d'être semblable à Dieu, s'assimiler maintenant à de vils animaux et leur devenir semblable, vous seriez saisie d'horreur et d'effroi, et vous ne sauriez goûter le repos que vous n'eussiez auparavant purifié toutes les souillures de votre âme par les larmes de la plus amère contrition, et que vous n'eussiez recouvré cette ressemblance avec votre divin modèle. Mais parce qu'encore, tandis que vous êtes éloignée du Seigneur, que vous marchez par la foi et non par une claire vue, vous avez besoin du secours continuel de Dieu, soit afin de persévérer dans sa ressemblance déjà acquise, sort pour lui devenir de jour en jour plus ressemblante, c'est-à-dire plus ornée, plus éclairée, poussez vers Dieu de profonds gémissements et dites-lui: Seigneur, saint et très miséricordieux, qui avez daigné créer cette âme à votre image, perfectionnez, je vous en conjure, cette misérable esquisse, augmentez en elle la sagesse, la justice; cachez-la dans l’intérieur de votre tabernacle, afin qu'elle ne puisse être souillée ni par la boue de la concupiscence charnelle, ni par la fumée des honneurs mondains, ni par la poussière des pensées terrestres.

4° Venons maintenant à la dernière cause, qui est la fin pour laquelle Dieu nous a crées. Cette fin est Dieu même. Elle est intrinsèque et extrinsèque. La fin intrinsèque duite chose est l'état de la plus grande perfection dont elle est susceptible. La fin intrinsèque d'un palais est l’achèvement de toutes ses parties ; on dit en effet qu'il est fini lorsqu'il ne manque plus rien de ce que demande sa construction. La fin intrinsèque d'un arbre est l’état parfait que demande sa nature; car on peut dire qu'un arbre a atteint ce but, lorsqu'il a étendu ses rameaux, produit des feuilles, qu'il s'est revêtu de fleurs, de fruits, et qu'après les avoir mûris on l'en voit tout chargé. On pourra donc dire que l'homme a atteint cette fin sublime pour laquelle il a été créé, lorsque son âme verra Dieu tel qu'il est; la connaissance de toutes choses sera l'effet de cette vision, et la volonté jouira du souverain bien qu'elle a si ardemment aimé et désiré, et le corps, doué de l'immortalité, de l’impassibilité et des autres glorieux avantages, jouira d'une paix et d'une joie éternelles. Et parce que l'essence de cette béatitude finale est la vision de. Dieu, qui doit nous conduire, nous qui sommes les images de Dieu, à l’état parfait et à la parfaite ressemblance avec notre divin modèle, St. Jean nous dit ( I Jean 3. 8.); Nous sommes déjà, enfants de Dieu; mais ce que nous serons un jour ne paraît pas encore. Nous savons que lorsque Jésus-Christ, se montrera dans sa gloire; nous serons semblables à lui; parce que nous le verrons tel qu'il est.

O si vous pouviez, ô mon âme ! comprendre le sens de ces paroles: Nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est, il n'en faudrait pas davantage pour dissiper les nuages de toutes les satisfactions terrestres! Dieu est très heureux, et ce suprême bonheur provient de ce qu'il se voit sans cesse tel qu'il est; de cette vision parfaite du souverain bien et de cet ardent amour de lui-même dont il jouit sans cesse depuis l'éternité. C'est pour cette fin sublime et très élevée qu'il vous a créée; je le vois dans ces paroles: Entrez dans la joie de votre Seigneur (Matt. 25.), c'est à dire, soyez participante de la joie dont Dieu jouit lui-même ; je le vois dans ce que dit St. Luc Je vous prépare le royaume céleste comme mon père me l'a préparé, afin que vous mangiez et que vous buviez à ma table dans mon royaume; c'est-à-dire je vous rendrai participante de mon royaume et de ma table royale, afin de vous faire jouir de l'honneur, de la puissance et des délices dont je jouis avec mon Père. Qui peut se faire une juste idée de cet honneur, de cette- puissance, de ces délices et de la félicité du Roi des rois, du Seigneur des seigneurs,de notre Dieu? Assurément, celui dont la pensée et l’espérance s'élèverait à cette hauteur de notre dernière fin, rougirait de disputer la possession des biens terrestres,de s'affliger de leur perte et de se réjouir de leur acquisition; il rougirait de rechercher, comme font les animaux, les voluptés sensibles,sachant qu’il peut prétendre à la société des anges et à la participation de l'amitié de Dieu et de ses  richesses inestimables.

5° Par la fin extrinsèque d'une chose, on entend la fin pour laquelle cette chose a été faite. Un palais est fait pour celui qui doit l'habiter; l'arbre croît pour son maître, et la fin de l'homme est Dieu, qui est son unique souverain:, car c'est lui qui a créé l'homme, il l'a formé de son propre fonds, et il l'a créé pour lui; c'est lui qui le conserve, qui pourvoit à ses besoins, et qui le récompense. C’est donc avec raison qu'il lui fait ce précepte: Fous adorerez le Seigneur votre Dieu, et vous ne servirez que lui. (Deut. 6. Math. 4): Mais réveillez ici votre attention, O mon âme; les autres choses, qui ont été créées pour l'homme, lui sont utiles, et non à elles-mêmes: le boeuf laboure pour l'homme et non pour lui; les champs, les vignes, les jardins ne remplissent ni leur cave, ni leur grenier, ni leur bourse , mais celle de l'homme; enfin le travail, les sueurs et la fatigue sont le partage des esclaves, et les profits, le repos et les jouissances sont pour le maître. Mais le Seigneur votre Dieu, qui n'a besoin de rien, en exigeant que l'homme le serve, renonce au profit et fait rejaillir sur celui qui le sert l'utilité, le gain et la récompense.

O Seigneur, qui êtes suave, doux et rempli de miséricorde (Ps. 85.), quel est l'homme qui ne vous servira pas de tout son coeur, si peu qu'il ait commencé de goûter la douceur de votre domination paternelle? Qu'ordonnez-vous, Seigneur, à ceux qui vous servent ?vous leur dites : Chargez-vous de mon joug (Math. 11.) ; et qu'est-ce que votre joug? C'est, leur répondez-vous, un joug suave, et un fardeau léger. Qui ne se chargera volontiers d'un joug qui soulage au lieu de gêner, et d'un fardeau qui délasse au lieu de charger ? vous avez donc ajouté avec raison qu'en vous servant nous trouvons le repos de nos âmes (Math. 22.); et ce qui constitue votre joug ne fatigue point, mais nous procure le repos ; c'est le premier et le plus grand de vos commandements: Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre coeur (Math. 22.). Qu'y a-t-il en effet de plus facile, de plus suave, de plus doux, que d'aimer la bonté, la beauté, et l'amour qui constituent votre essence? ô Seigneur mon Dieu ! votre serviteur David avait bien raison de dire que vos commandements sont plus aimables que l'or et que toutes les pierres précieuses; qu'ils sont plus doux que le miel, que le rayon de miel le plus excellent, et d'ajouter, que ceux qui les gardent y trouveront une grande récompense (Ps. 18. 11. 12.). Qu'entends je, ô mon Dieu! vous promettez une récompense à ceux qui garderont des commandements plus aimables que l'or, et plus doux que le miel! oui, vous leur promettez, c'est votre apôtre St. Jacques qui nous l'assure (Jacq. 1. 12.) une récompense,et des plus magnifiques, qui est la couronne de vie que vous avez promise à ceux qui vous aiment. Et que faut-il entendre par cette couronne de vie ? C'est, comme l'enseigne St. Paul d'après Isaïe (1 Cor. 2. 9. Isai. 64.) le plus grand bien que nous puissions penser ou désirer. Car, nous dit-il, l'oeil n'a point vu, l'oreille n'a point entendu, et le coeur de l'homme n'a jamais connu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment. C'est vraiment, ô mon Dieu ! une grande récompense que celle qui est attachée à l'observation de vos commandements. Non seulement il est utile à l'homme qui obéit et nullement à Dieu qui commande, d'observer ce premier commandement, qui est le plus. grand de tous, mais encore les autres, destinés à perfectionner l'homme, à l'orner, à l'instruire, à l'illustrer, à le rendre bon et heureux. Soyez donc assez sage pour comprendre que Dieu vous a créée pour un bonheur éternel, que c'est là votre fin, votre centre, le trésor de votre cœur. En parvenant à cette fin vous serez heureuse , et malheureuse si vous vous en écartez. Regardez donc comme vraiment avantageux pour vous, tout ce qui conduit à cette fin; et comme vraiment pernicieux tout ce qui vous en éloigne. Le sage doit rester indifférent pour la prospérité et l'adversité, pour les richesses et la pauvreté, pour la santé et la maladie, pour les honneurs et l'ignominie, pour la vie' et pour la mort, considérées en elles-mêmes; mais si ces choses contribuent à la gloire de Dieu et à la félicité éternelle, elles sont bonnes et désirables; comme elles son t un mal qu'il faut fuir dès qu'elles sont un obstacle au salut.

 

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SECOND DEGRÉ. Considération de l'univers.

Nous avons composé le premier degré de l'échelle d'ascension vers Dieu en considérant l'homme, qu'on peut appeler l'univers en raccourci; il s'agit maintenant; pour former le second degré, d'examiner cette énorme masse qu'on appelle le grand univers. A la vérité, si Grégoire de Nazianze dit que Dieu a placé l'homme comme un grand monde dans le petit monde; ce qui est vrai, si du monde nous en excluons les anges ; car l'homme est plus grand que tout le monde corporel, non par sa masse, mais par sa vertu : mais si dans le monde nous comprenons les anges, comme nous entendons le faire ici, l'homme est un petit monde placé dans le grand. Il  y a donc de véritables merveilles dans ce grand monde qui renferme l'universalité. des êtres créés ; les plus remarquables sont leur grandeur, leur multitude, leur variété, leurs propriétés et leur beauté. Si, éclairés d'en haut, nous considérons attentivement ces merveilles; elles seront -un puissant secours pour élever notre âme à un tel point d'admiration pour ces grandeurs immenses, pour cette multitude et cette variété innombrables, pour leurs propriétés et leur beauté, qu'elle en restera comme extasiée; et, rentrée en elle-même, elle méprisera comme un vil néant tout ce qui ne se rapporte pas à Dieu.

1° Point de doute que l'univers ne soit grand, et tellement grand que l'Ecclésiastique nous dit: (1.): Qui a mesuré la largeur de la terre et la profondeur de l'abyme ? on peut aussi se faire une idée de cette vaste étendue de la terre seule, en considérant l'impossibilité où ont été les hommes qui, ont vécu depuis tant de milliers d'années écoulées depuis la création, de la connaître entièrement, malgré les peines et les fatigues qu'ils se sont données pour en venir à bout. Mais qu'est cette masse de la terre comparée à la vaste étendue du ciel supérieur? elle n'est qu'un point, disent avec raison, les astronomes; car nous voyons les rayons solaires transmis aux étoiles opposées du firmament, indépendamment de la terre, placée entre deux, comme si elle n'existait pas. Et si une étoile quelconque du firmament , plus grande que toute la terre, comme le pensent ces savants, nous paraît cependant si petite, à cause de sa distance infinie, qui pourra comprendre la vaste étendue du ciel, où brillent tant de milliers de ces astres radieux? Si l'Ecclésiastique, parlant de la superficie et de l'étendue de la terre, a dit que sa largeur et sa profondeur étaient incommensurables, que dirait-il donc de la superficie extérieure du ciel et de sa profondeur depuis le plus haut des cieux jusqu'au fond des abymes ? Cette masse du monde matériel est tellement grande qu'elle échappe à la pénétration du génie le plus sublime, du penseur le plus profond. A présent souffrez, ô mon âme, que je vous interroge. Si le monde est si grand, que pensez-vous de la grandeur de celui qui l'a fait? vous répondrez sans doute avec le Prophète: Le Seigneur est grand, et sa grandeur n'a point de bornes. Mais écoutez Isaie : il demande qui est celui qui a mesuré les eaux dans le creux de sa main, et qui, la tenant étendue, a pesé les cieux, qui soutient de trois doigts toute la masse de la terre (40. 12)? Sur ce passage, St. Jérôme, d'après la version d'Aquila, entend par pugillum le plus petit doigt, comme qui dirait que Dieu mesure toute l’eau qui est moindre que la terre 1) )d'un seul de ses doigts; qu'il en emploie trois pour porter la terre, et qu'il contient les cieux, plus grands que la terre et l’eau réunies,dans la paume de sa main. Ce sont, il est vrai, des métaphores, puisque Dieu étant esprit n'a, à proprement parler, ni doigts, ni mains. Mais l'Ecriture montre assez par ces comparaisons que Dieu est infiniment plus grand que ses créatures, puisque, au témoignage de Salomon (2. Par. 6.), le ciel ni les cieux des cieux ne peuvent le contenir; ce qui est tellement vrai que si Dieu créait un autre monde, et plusieurs mondes et même une infinité de mondes il les remplirait tous. Et ne pensez pas, ô mon âme, que Dieu remplisse le monde de manière qu'une partie de Dieu soit dans une partie du monde; et qu'il soit tout entier dans la totalité des êtres créés ; car Dieu n'a point de parties, et il est tout dans le mondé et tout entier clans chaque partie du monde. D'où il suit qu'il est présent par tout avec sa sagesse et sa toute-puissance; aussi, pourvu que vous lui soyez fidèle, votre coeur n'aura rien à craindre, quand même des armées s'élèveraient contre vous. Que peut craindre en effet celui qui possède au-dedans de soi un père,  un ami, un époux tout-puissant, qui voit tout et qui nous aime avec ardeur? Mais si vos péchés font de votre Dieu un juge irrité, un ennemi

 

(1) II y a beaucoup plus d'eau que de terre.

 

tout-puissant, qui voit tout, et qui porte une main implacable au péché, vous devez craindre, être saisie de frayeur, et ne vous donner aucun repos que vous n'ayez apaisé votre Dieu par une sincère pénitence, qui vous ouvrira le sein de sa miséricorde.

2° Voyons maintenant s'il est possible d'énumérer l'innombrable multitude des êtres que Dieu a formés ; on aurait plus tôt compté les grains de sable de la mer et les gouttes d'eau qu'elle renferme. Combien de métaux précieux d'or et d'argent, d'airain et de plomb, de pierres précieuses et de perles renfermés dans le sein de la serre et des eaux ? sur la terre que de genres; d'espèces et d'individus de toutes sortes d'herbes, de fruits et de plantes ? que de parties dans chacune d'elles? que de genres, d'espèces et d'individus d'animaux parfaits et imparfaits, de quadrupèdes,de reptiles et d'oiseaux ?Quelle variété admirable dans les poissons de la mer ? et qui pourrait les compter? Que dirons-nous de cette multitude d'hommes qui habitent le globe, dont il est dit (Ps. 11. 9), que Dieu les a multipliés selon la profondeur de sa, sagesse? combien d'étoiles suspendues a la voûte des cieux ? combien d'esprits célestes dans le séjour du bonheur ? Les étoiles sont innombrables, dit l'écrivain sacré (Gen. 15.); leur multitude est comparée aux grains de sable de la mer ; et Daniel, parlant des anges (7. 10.), dit qu'un million d'anges servaient Dieu , et mille millions assistaient devant lui. St. Thomas (1. p. q. 50. art. 3. ) assure avec St. Denis que le nombre des anges surpasse celui de toutes les choses matérielles ; cette multitude presque infinie d'êtres , sortie des mains du Tout-Puissant, ne démontre-t-elle pas que l'essence divine renferme des perfections infinies ? En effet, Dieu a voulu que l'homme le connût par sas créatures , et parce qu'aucune d'elles ne pouvait représenter convenablement les perfections infinies du Créateur , il les a multipliées, donnant à chacune un certain degré de bonté et de perfection , afin qu'on pût juger de là de la bonté et des perfections de celui qui les renferme toutes dans son essence , en quelque sorte comme une pièce d'or équivaut à un grand nombre de pièces de cuivre. Servez-vous donc , ô mon âme , de tout ce que vous voyez , de tout ce que vous concevez d'admirable , pour vous faire une idée des perfections du Créateur , qui sont encore bien incomparablement au-dessus de tout ce que vous sauriez imaginer ; de cette manière les créatures qui sont devenues un filet où les pieds des insensés se sont pris : Quae factae sunt... in muscipulant pedibus insipientium ( Sap. 14. 11. ), deviendront pour vous un sujet d'instruction, et contribueront à  vous rendre meilleur. A l'aspect de l'or , de l'argent , des pierres précieuses , vous direz dans le fend de votre coeur : Mon Dieu qui a promis de se donner à moi , si je le préfère à ces trésors , vaut infiniment mieux. En admirant les royaumes , les empires de ce monde , vous direz : Combien est plus pi cieux le royaume du ciel , qui doit durer éternellement , et que la souveraine Vérité a promis à ceux qui l'aimeraient ! Quand les voluptés et les délices de la chair commenceront à s'emparer de vos sens , vous leur opposerez les voluptés de l'esprit, et les délices de l'âme , si supérieures aux voluptés charnelles et aux délices du  ventre ; ces dernières en effet nous sont offertes par la créature, mais c'est Dieu lui-même , le Dieu de toute consolation qui nous offre les autres , et celui qui a le bonheur de les goûter peut dire avec l'Apôtre : Je suis rempli de consolation , je suis comblé de joie parmi toutes mes souffrances. ( 2. Cor. 7. 4.) Enfin si, pour vous faire abandonner Dieu , on vous offre quelque chose de beau , de nouveau , d'insolite , de grand , de merveilleux , répondez avec assurance que votre Dieu possède sans contredit plus de perfections que tout ce que l'on vous offre , et qu'ainsi il ne vous est pas avantageux d'échanger de la monnaie de cuivre pour celle qui est en or, un morceau de verre pour des pierres précieuses , de petites choses pour des grandes , le certain pour l'incertain , et ce qui est éternel pour des choses temporelles.

3° Mais quelque admirable que soit cette multitude d'êtres dont nous venons de parler, et quelque grande que soit l'idée qu'elle nous donne des perfections de Dieu, je trouve plus admirable encore cette variété que Dieu a mise dans cette multiplication des êtres ; elle me donne plus de facilité pour m'élever à la connaissance de Dieu. Un cachet peut faire plusieurs figures semblables , les mêmes caractères peuvent former des lettres innombrables ; mais varier les formes presqu'à l'infini , comme Dieu l'a fait dans la création , voilà ce qui porte un caractère de divinité qui mérite de notre part l'admiration la plus étendue; Passant sous silence les genres et les espèces qui sont si différentes et si diversifiées ; quelle variété ne peut-on pas remarquer dans les individus des herbes, des plantes,   des fleurs et des fruits ! N'aperçoit-on pas une infinité de variations dans leurs figures , leurs couleurs , leurs odeurs , leurs goûts ? Ne remarque-t-on pas les mêmes choses dans les animaux ? Mais que dirai-je des hommes, puisque dans une armée nombreuse à peine en trouve-t-on deux qui se ressemblent ? La  même variété est donc dans les étoiles et les anges ; car entre les étoiles l'une est plus éclatante que l'autre , comme le dit l'Apôtre ( I. Cor. 15. 41. ) , et St. Thomas (1 p. q. 50. art. 4. ) affirme que quoique le nombre des Anges surpasse celui des choses corporelles , ils diffèrent cependant entre eux non-seulement par l'individualité du nombre , mais encore par leur forme spécifique.

Élevez donc , à présent , ô mon âme ! vos regards intérieurs vers Dieu , en qui se trouve la raison de tous les êtres , et d'où découle , comme d'une source intarissable, cette variété presque infinie ; car Dieu n'aurait pu imprimer aux créatures cette innombrable variété de formes s'il ne les renfermait éminemment en lui. Aussi le grand Apôtre ne peut contenir son admiration : O profondeur des trésors de, la sagesse et de la science de Dieu, s'écrie-t-il, que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables (Rom. 11. 33) ! C'est vraiment un puits d'une profondeur infinie où sont cachés des trésors de richesses, de science et de sagesse , seuls capables de produire cette admirable et étonnante variété. Saint François d'Assise, éclairé d'en haut, disait dans ses transports d'admiration : Mon Dieu et mon tout , Deus meus et omnia. Il avait raison, car tous les différents biens qu'on trouve disséminés dans les créatures, sont réunis en Dieu d'une manière plus parfaite et plus élevée. Vous direz peut-être: Cela paraît vrai, mais nous voyons les choses créées de nos yeux , nous les touchons, nous les goûtons, nous en jouissons, tandis que nous ne voyons pas Dieu; nous ne pouvons ni le toucher, ni le goûter , ni le posséder ; et à peine le concevons-nous par la pensée, comme un objet placé bien loin de nous: il ne faut donc pas être surpris si nous sommes plus affectés des choses créées que de Dieu. Mais je vous répondrai que si vous avez une foi vive et agissante , et que vous persévériez dans cette foi, dans l'espérance et dans la charité, vous ne pouvez ignorer qu'après cette vie , qui s'enfuit comme une ombre , vous verrez véritablement et clairement Dieu tel qu'il est cri lui-même, vous le posséderez et vous en jouirez beaucoup mieux et plus intimement que vous ne jouissez maintenant des choses créées. Écoutez le Seigneur lui-même qui vous dit: Bienheureux ceux qui ont le cœur pur,parce qu'ils verront Dieu. Écoutez saint Paul (1 Cor.13. 12.)qui ajoute : Nous ne voyons Dieu maintenant que comme en un miroir et en des énigmes; mais alors noies le verrons face à face. Écoutez saint Jean qui nous assure que nous serons semblables à Dieu, parce que nous le verrons tel qu'il est (1 Jean, 3.). Je vous demande enfin si votre lot, dans le partage de ce monde, sera bien grand ? Vous ne le possédez pas tout, ni le tiers, ni le quart, à peine en avez-vous une très-petite portion qu'il vous faudra, bon gré, malgré , abandonner dans peu de temps ; mais vous posséderez entièrement et éternellement Dieu, en qui sont toutes choses ; car Dieu est tout dans tous les saints, selon la doctrine de saint Paul, Deus omnia et in omnibus. Il sera lui-même votre vie , votre nourriture , votre vêlement , votre habitation , votre gloire , vos richesses , votre joie , votre tout ; ajoutez encore que ce Dieu plein de bonté et de douceur ne veut pas vous priver de la consolation des créatures pendant votre pèlerinage, puisqu'au, contraire il les a toutes créées pour vous servir ; mais il veut,que vous en usiez avec modération , sobriété et tempérance ; que vous en fassiez volontiers part aux, pauvres ; que vous dominiez sur elles au lieu de vous en laisser dominer ; et que vous n'en usiez que pour vous élever jusqu'à lui. Pensez donc sérieusement s'il ne vaut pas mieux pour vous de vous contenter en cette vie des choses nécessaires , pour mériter de posséder dans l'autre votre Créateur, en qui sont renfermés tous les biens, que de vous tourmenter sans cesse ici-bas pour acquérir des biens temporels qui ne satisferont . jamais vos désirs, et de vous voir privé tout-à-coup par la mort, et des biens temporels, et des biens éternels. Ajoutez encore que Dieu accorde à ceux qui l'aiment,  dès cette vie même , de grandes consolations , et plus grandes que n'en trouvent les amateurs du siècle dans la possession des choses créées ; car il est écrit dans les psaumes : Je nie suis souvenu de Dieu et j'ai trouvé ma joie dans ce souvenir.... Mettez votre joie dans le Seigneur, et il vous accordera les demandes de votre coeur... Aussi je me réjouirai dans le Seigneur, et lui dirai : Répandez, Seigneur, la joie dans l'âme de votre  serviteur , parce que je tiens mon âme élevée en nous.... Et j'ajouterai avec l'apôtre : Je suis rempli de consolation , je suis comblé de joie parmi toutes nies souffrances (2 Cor. 7. 4.). Assurément l'Apôtre ne veut pas dire que la tribulation procure la consolation , ni que la douleur procure la joie, car les épines ne produisent pas des raisins , et on ne recueille pas des figues sur les buissons ; mais il nous apprend que, pour adoucir nos souffrances , Dieu répand dans ses amis des consolations si pures , si parfaites et si solides , qu'on ne peut en aucune manière les comparer aux joies temporelles du monde. Concluez donc, ô mon âme, que c'est avoir tout trouvé que d'avoir trouvé Dieu , comme c'est avoir tout perdu que de le perdre.

4° Servons-nous maintenant des qualités que Dieu a mises dans les créatures pour nous élever à la connaissance des qualités infinies du Créateur. Il n'y a point de chose qui n'ait une propriété, une puissance et une efficacité admirable. Voyez avec quelle impétuosité la pierre, tombant d'en haut, se précipite vers son centre! Elle brise tout, rien ne lui résiste. L'Esprit-Saint, dans l'Apocalypse, voulant dépeindre l'impétuosité avec laquelle la grande Babylone , c'est-à-dire la masse des impies, sera, au jour du jugement, précipitée dans la profondeur de l'abîme , s'exprime ainsi : Alors un ange fort et puissant leva en haut une pierre semblable à une grande meule de moulin, et la jeta dans la mer, en disant : C'est ainsi que Babylone, cette grande ville, sera précipitée avec impétuosité, en sorte qu'elle ne se trouvera plus. L'eau qui coule si agréablement et avec une molle douceur sur la surface de la terre, si elle vient à s'irriter et à grossir dans les fleuves et les torrents , elle renverse et détruit tout, là cabane du laboureur, les remparts des cités, et les ponts les plus solides. Les vents qui soufflent quelquefois si agréablement, brisent les plus grands vaisseaux contre les écueils, déracinent et renversent les chênes antiques. J'ai vu (c'est Bellarmin qui parle) de mes propres yeux ce que je n'aurais jamais cru sur le rapport d'autrui , une grande masse de terre arrachée par un vent impétueux , et portée sur un village , en telle sorte qu'on voyait une fosse profonde là où la terre avait été enlevée , et ce village tout couvert et presque enseveli par la terre que. le vent y avait apportée. Que dirons. nous du feu ? avec quelle vivacité une étincelle s'accroît au point de dévorer et consumer en un instant des villages et des forêts? Ecce quantulus ignis quam magnan, silvam incendit (Jacq. 3.) ! Que de propriétés dans les plantes ! Quelle admirable vertu dans les pierres , et surtout dans l'aimant et le succin (1) ? Parmi les animaux, les uns se font admirer par leur force prodigieuse, tels que le lion, l'ours , le taureau, l'éléphant ; les autres , quoique très-petits , montrent une adresse étonnante, tels que la fourmi , l'araignée, l'abeille , le fourmi-lion. Je ne parle pas ici de la puissance des anges, des propriétés du soleil et des étoiles placés loin de nous; mais j'admire le génie de l'homme, qui a inventé les arts et les a perfectionnés à un tel point que souvent l'adresse semble le disputer à la nature.

Élevez donc maintenant, ô mon âme , votre esprit vers Dieu , et considérez quelle doit être sa vertu , son efficacité , sa puissance ! Quis similis tui in fortibus, Domine? Sans le secours de personne vous opérez les plus grandes merveilles; heureux et seul puissant, vous êtes le

 

(1) Cire d'Espagne.

 

Roi des rois, le Seigneur des seigneurs. Eu effet, tout ce que les créatures ont de puissant, elles le tiennent de Dieu, et ne le conservent qu'autant qu'il plaît a Dieu. Quel autre que Dieu conserva Jonas dans le ventre de la baleine (1) sans que les eaux de la mer, .ni les dents de ce crustacée pussent lui nuire ? Quel autre que Dieu ferma la bouche aux lions affamés pour sauver Daniel? Quel autre que Dieu conserva les trois enfants dans la fournaise ardente ? Et n'est-ce pas encore Jésus-Christ, vrai,Dieu, qui commanda aux flots de la mer irritée, et ramena subitement le calme ? Tace, obmutesce ; et cessavit ventus, et facta est tranquillitas magna (Marc 4.). Oui, ce Dieu qui ne tient le pouvoir que de lui, dont la volonté est la puissance , et dont la puissance n'éprouve jamais d'obstacles ; ce Dieu , dis-je, a toujours eu en tous lieux, une puissance infinie, et toute la puissance des hommes ; comparée à la puissance de. Dieu, est non-seulement peu de chose, mais un pur néant. Omnes gentes quasi non sint, sic sunt coram eo, et quasi nihilum et inane reputatae sunt ei (Isaie 40.). Ne faut-il pas qualifier d'insensés tous ceux qui craignent . les créatures et ne craignent pas le Tout-Puissant? Tous ceux qui s'appuient sur;leurs forces ou sur celles de leurs amis , et ne se confient point en

 

(1) Ou de quelque autre poisson:

 

Dieu ? Si Dieu est pour nous, qui pourrait être contre nous, et si Dieu est contre nous, qui sera pour nous?

Humiliez-vous donc, ô mon âme, sous la puissante main de Dieu; attachez-vous à lui par une piété sincère, et vous ne craindrez ni les hommes, ni les démons, ni aucune créature. Mais si vous avez abandonné la piété , si votes avez provoqué la colère de Dieu, ne prenez point de repos que vous n'ayez fait votre paix avec lui , car il est horrible de torcher entre les mains du Dieu, vivant (Hebr. 10.).

5° Il nous reste a examiner la beauté des choses créées dont le Prophète a dit : Seigneur, vous m'avez rempli de joie dans la vue de vus ouvrages (Ps. 91. 4.) ; et assurément un peu d'attention nous fera découvrir, dans les oeuvres de Dieu, autant de beauté que de bonté. Passant sous silence bien des perfections , attachons-nous à ce qui est jugé beau par le commun des hommes. On admire sans contredit urne prairie verdoyante, un jardin bien cultivé, une forêt agréable , une mer tranquille, le cristal des fontaines, la majesté d'un fleuve, la régularité d'une ville, l'aspect du firmament tout parsemé d'étoiles. Quel plaisir encore de voir des arbres chargés de fleurs ou de fruits ; les différentes espèces de quadrupèdes, le vol des oiseaux, ou les poissons qui se jouent dans leur élément! Que dirai-je de la beauté des étoiles, de la lune, et surtout de cet astre radieux dont, l'apparition cause une joie universelle ? (Mais les hommes auxquels nous nous adressons plus particulièrement , sont les plus enchantés de leur propre beauté. Propter speciem mulieris inulti perierunt (Eccli. 9.). Nous avons vu en gémissant , des hommes sages dans tout le reste , tellement épris de la beauté des femmes, et des femmes tellement éprises , affolées pour des hommes , quoique bien élevées et d'un rang distingué, que les uns et les autres abandonnaient leurs affaires, leurs emplois , leurs enfants, leurs parents pour les suivre au péril même de leur vie et de leur salut éternel. Chacun sait ce qui concerne David, Salomon, Samson ; et l'histoire est remplie de pareils exemples;

Si la beauté que Dieu a répandue dans les choses créées est si grande, combien pensez-vous, ô mon âme, que sera la beauté du créateur! car personne ne peut donner ce qu'il n'a point : et si les hommes , trompés par la beauté lu soleil et des astres, les ont pris pour des divinités, qu'ils conçoivent de là combien celui lui en est le dominateur doit encore être plus beau ; car c'est l'auteur de toute beauté qui donne l’être à toutes choses (Sag. 13. 3.). Nous connaissons l'infinie beauté de Dieu non-seulenent en considérant qu'il renferme éminemment la beauté des créatures, mais encore en ce qu'étant invisible pour nous durant notre pèlerinage, néanmoins plusieurs saints l'ont tellement aimé qu'ils se sont concentrés dans des lieux déserts pour vaquer à sa contemplation, comme sainte Marie-Magdeleine , saint Paul, premier ermite, le grand saint Antoine , et une infinité d'autres dont Théodoret nous a conservé les noms dans son histoire religieuse. D'autres abandonnant leurs épouses , leurs enfants et tout ce qu'ils possédaient, se sont, confinés dans des monastères pour y vivre sous la dépendance d'autrui, afin de jouir de l'amitié de Dieu. Enfin il en est qui se sont exposés avec joie aux plus cruelles douleurs, pour mériter la vision de l'infinie beauté de Dieu. Écoutez saint Ignace, martyr, dans son épître qu'il adresse aux Romains : Le feu, la croix, les bêtes, la dislocation des os, la division des membres et le brisement de tout le corps, et tous les tourment du démon peuvent venir fondre sur moi sans que je les craigne , pourvu que je jouisse de Jésus-Christ. Tantum Christo fruar. Mais si la beauté de Dieu, seulement connue par la foi et l'espérance, excite un si ardent désir, que sera-ce lorsqu'elle se montrera sans voile et telle qu'elle est? Il arrivera alors qu'enivrés d'un torrent de délices, nous ne voudrons ni nous ne pourrons en détourner les veux un seul instant. Est-il étonnant, après tout, que les anges et les âmes bienheureuses voient sans cesse la face du Père céleste sans en éprouver de dégoût ni d'ennui, puisque Dieu lui-même se complaît de toute éternité a contempler sa beauté, qu'il trouve son bonheur dans cette contemplation, qu'il ne désire autre chose, et que renfermé, pour ainsi dire , dans le cellier où il met son vin (Cant. 2. 4.) , et dans le jardin où se trouvent toutes les délices , il n'en est jamais sorti et n'en sortira jamais durant l'éternité. Cherchez cette beauté, ô mon âme , nuit et jour soupirez après elle ; dites avec le Prophète : Mon dure a une soif ardente pour le Dieu vivant : quand irai-je paraître devant la, face de mon Dieu. ? Dites avec l'Apôtre (2 Cor. 5. 8.) : Pleins de confiance, nous aimons mieux sortir de la maison de ce corps, pour aller habiter avec le Seigneur, que d'y demeurer plus longtemps , étant privés de ce bonheur. Du reste, ne craignez pas d'être souillée par un excès d'amour pour cette beauté; car l'amour de la beauté divine perfectionne le coeur, et ne le dégrade pas; le sanctifie et ne le souille pas. Entendez sainte Agnès dire avec transport : J'aime Jésus-Christ dont la Mère est vierge , et dont le Père est Dieu.. en l'aimant je serai chaste , en m'approchant de lui je serai plus pure , en l'épousant je serai vierge. Mais si vous désirez vraiment de voir cette beauté incréée, il faut accomplir ce qu'ajoute l'Apôtre Et faire consister toute votre ambition à lui être agréable, soit a présent que nous sommes éloignés de lui, soit lorsque nous serons en sa présence. Si Dieu vous plaît, il faut aussi que vous plaisiez à Dieu. A la vérité , quand nous serons dans la région des vivans, éclairés de sa splendeur, nul doute que nous ne plaisions a Dieu: Placebo Domino in regione vivorum. Mais dans ce pèlerinage nous nous souillons et nous nous entachons si facilement de la boue du péché, que l'apôtre saint Jacques n'a pas craint de dire que nous faisons tous beaucoup de fautes : In multis offendimus omnes ; et le prophète David, pour montrer, combien sont rares ceux qui vivent sans souillure , les appelle bienheureux: Beati immaculati in via. Si vous désirez donc , ô mon âme, plaire a votre Bien-Aimé dans cette terre d'exil, il ne suffit pas de le vouloir, il faut encore, vous dit l'Apôtre, vous efforcer de lui plaire, c'est-à-dire, par un soin assidu et continuel éviter les souillures qui pourraient défigurer votre âme, et employer les mêmes soins et la même peine pour vous purifier de celles qui s'y seraient glissées. Ne voyez-vous pas quels soins prennent certaines femmes pour plaire à leurs maris ; les heures qu'elles emploient pour orner leur chevelure, pour embellir leur visage, pour faire disparaître les taches de leurs habits, et tout cela pour un homme mortel, qui, sous peu de jours, doit devenir la proie des vers. Jugez de là ce que vous devez faire pour plaire aux yeux d'un époux immortel qui vous voit sans cesse , et qui désire vous posséder sans tache et sans souillure. Il faut assurément faire tous vos efforts pour marcher en sa présence dans la sainteté et la justice : In sanctitate et justitia coram ipso. Il vous faut éloigner, retrancher vigoureusement tout obstacle à la véritable sainteté et à la véritable justice, sans égard pour la chair et le sang , sans égard pour les discours et les jugements des hommes; car l'Apôtre vous dit que vous ne sauriez plaire en même temps à Dieu et aux hommes : Si hominibus placere vellem, Christi serves non essem.

 

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TROISIÈME DEGRÉ. Considération de la terre.

 

APRÈS avoir considéré le monde corporel en général , nous allons examiner en particulier chacune de ses principales parties , pour nous ,lever, par ce moyen, autant que possible, à. a contemplation du suprême Architecte.

La terre s'offre la première à nos méditations. Quoiqu'elle occupe le dernier rang , et qu'elle paraisse inférieure aux autres éléments , cependant elle n'est pas moindre que l'eau, et elle surpasse en dignité tous les autres éléments. Ainsi lisons-nous fréquemment dans l'Écriture que Dieu a fait le ciel et la terre comme les principales parties du monde auxquelles toutes les autres doivent être assujetties : car il a créé le ciel pour être le palais de Dieu et des anges; la terre pour être celui des hommes. Caelum caeli Domino, terrant autem dedit filiis hominum. C'est pour cette raison que le ciel est parsemé d'étoiles brillantes , et que la terre abonde en richesses de toute espèce , par ses métaux , ses pierres précieuses , ses plantes, ses arbres, ses animaux si variés , tandis due l'eau n'a guère que ses poissons , et que l'air et le feu ne possèdent rien pour ainsi dire. Mais sans insister sur ces détails , nous allons considérer trois propriétés de la terre bien propres à nous élever à Dieu.

1° La terre est le solide fondement sans lequel l'homme ne pourrait ni marcher , ni se reposer, ni travailler, ni vivre en aucune façon. Dieu , dit le Prophète , a affermi la terre, et elle ne sera point ébranlée... Vous avez fondé la terre, continue-t-il, sur sa propre solidité; elle ne sera jamais ébranlée. Ensuite la terre, comme une bonne nourrice , produit abondamment pour l'homme et pour tous les animaux , des herbes , du grain , des fruits, des graines et une infinité d'autres choses. Car Dieu s'exprime ainsi (Genés. 1 . 29.) en parlant à nos premiers pères : Je vous ai donné toutes les herbes qui portent leur graine sur la terre,et tous, les arbres qui renferment en eux-mêmes leur semence chacun selon son espèce, afin qu'ils vous servent de nourriture a vous et à tous les animais de la terre. Troisièmement, la terre produit le pierres et le bois pour les constructions ; l'airain et le fer pour différents usages; l'or et l'argent pont fabriquer les monnaies si utiles au commerce de la société.

Revenant à cette première propriété de la terre, qui est de fournir l'appui et le repos à nos Corps, ce que ne peuvent faire l'eau , ni l'air, ni le feu, elle nous représente le Créateur, en qui seul l'âme peut trouver son repos. Vous nous avez faits pour vous, disait St. Augustin, et notre docteur est dans l'agitation en attendant qu'il se repose en vous (Conf. liv. 1. ch. 1.). Le roi Salomon chercha son repos dans la puissance, dans les richesses et dans les plaisirs; il se vit à la tête du plus vaste et du plus paisible royaume, en sorte que l'Écriture dit que sa domination s'étendait à tous les royaumes depuis le fleuve d'Euphrate jusqu'au pays des Philistins et jusqu'à la frontière d'Égypte. Ils lui offraient tous des présents et lui demeuraient assujettis tous les jours de sa vie (3 Reg. 4. 21). Outre cela, il eut des richesses immenses, en sorte qu'il avait quarante mille chevaux dans ses écuries pour les chariots, et douze mille chevaux de selle; et comme nous lisons dans le même livre (Ch. 9. 20.) , la flotte de Salomon apportait d'Ophir tant d'or et de pierres précieuses, que l'on ne faisait aucun compte de l'argent, qu'on regardait dans Jérusalem comme des pierres. Il est incroyable combien il se procurait de plaisirs ; il eut sept cents femmes qui portèrent le nom de reines, et trois cents concubines ; mais écoutons-le , pariant de lui-même J'ai fait des ouvrages magnifiques, dit-il , j'ai bâti des maisons, j'ai planté. des vignes ; j'ai fait des jardins et des clos où j'ai mis toute sorte d'arbres ; j'ai fait des réservoirs d'eaux pour arroser les plantes des jeunes arbres que je faisais cultiver; j'ai eu des serviteurs et un grand nombre d'esclaves nés dans ma maison, un grand nombre de boeufs et de troupeaux de brebis , plus que n'en ont jamais eu ceux qui ont été avant moi dans Jérusalem ; j'ai amassé une grande quantité d'or et d'argent; j'ai possédé les richesses des rois que mon père avait vaincus , et j'ai reçu le tribut des provinces qu'il

avait soumises à son empire ; j'ai établi dans, mon palais des musiciens et des musiciennes , et je me suis accordé tout ce qui fait les délices des enfants des hommes; j'ai eu des coupes d'or  et des vases précieux pour servir le vin à ma table, et j'ai surpassé en richesses tous ceux qui ont été avant moi clans Jérusalem; et la sagesse nécessaire pour concevoir de grands desseins , et pour les exécuter, a toujours été avec moi, et m'a conduit dans toutes mes entreprises. Enfin , je n'ai rien refusé à mes yeux de tout ce qu'ils ont désiré; j'ai permis à mon cœur de jouir de toutes sortes de plaisirs, et de prendre ses délices dans tout ce que j'avais préparé ; et j'ai cru que mon partage le plus avantageux était de jouir ainsi de mes travaux (Eccles. 2.). Voilà, s'il en fut, un homme qui dut jouir du plus grand repos, si le repos peut se trouver dans les choses créées; car rien ne lui manqua, ni la puissance , ni les richesses, ni les plaisirs, ni la sagesse qu'il eut au plus haut point, ni la paix et la tranquillité pour jouir, et posséder pendant longtemps des biens immenses.

Demandons-lui maintenant si tant de jouissances lui ont procuré le repos, et satisfait les désirs de son âme , il nous répondra que : Tournant ensuite les yeux vers tous les ouvrages que ses mains avaient faits, et considérant tous les travaux auxquels il avait pris une peine si inutile, il a reconnu qu'il n'y avait que vanité et affliction d'esprit dans toutes ces choses, et, que rien n'est stable sous le soleil, ni capable de contenter le coeur de l'homme (Ibid.). Salomon ne trouva donc pas le repos dans ces grandes richesses , ces délices , ces honneurs , cette sagesse ; et il ne l'aurait pas trouvé quand il aurait obtenu des biens beaucoup plus grands , parce que notre âme est immortelle, et ces biens ne le sont pas. Ils ne peuvent subsister longtemps, ni, pour cette raison, rassasier un cœur capable d'un bien infini : car de même que notre corps ne peut reposer dans l'air malgré son étendue , ni dans l'eau malgré sa profondeur, parce que ce n'est ni l'air, ni l'eau, mais la terre qui est son centre ; de même notre âme ne repose jamais parfaitement ni dans les dignités aussi inconstantes que l'air, ni dans des richesses de boue, ni dans des voluptés sordides qui s'écoulent comme l'eau, ni dans le faux éclat des sciences humaines, mais dans Dieu seul qui est le centre de notre esprit, et le seul vrai terme de notre repos. O combien le Roi-Prophète avait raison de dire : Que désiré je dans le ciel , et que veux-je sur la terre , sinon vous seul qui êtes le Dieu de mon cœur et mon partage pour jamais ! C'est comme s'il eût dit : Je ne trouve rien ni dans le ciel, ni sur la terre , ni dans aucune créature terrestre qui puisse me procurer un vrai repos. Vous seul êtes le Dieu de mon coeur , c'est-à-dire la pierre solide sur laquelle il se reposera, vous seul êtes ma portion , mon héritage , tout mon bien ; le reste ne m'est rien et ne peut remplir mon coeur; ce n'est ni pour un jour , ni pour une année , mais pour une éternité que vous suffirez à mes désirs. Reconnaissez encore, ô mon âme, que Dieu seul est la pierre fondamentale de votre repos, le reste n'est que vanité et affliction d'esprit; ce sont des biens sans réalité, qui affligent au lieu de consoler. On les acquiert avec peine, on les conserve avec crainte , et on les perd avec douleur. Méprisez donc , si vous êtes sage, tout ce qui passe, de peur qu'il ne vous entraîne avec soi , et attachez-vous uniquement à la charité qui dure éternellement : élevez votre coeur vers le ciel , de peur qu'il ne se corrompe sur la terre. Apprenez la vraie sagesse par l'exemple funeste de ceux que désigne l'Écriture dans le livre de la Sagesse (5.). Ils diront un jour en voyant l'heureux partage des élus: Nous nous sommes donc égarés de la voie de la vérité; la lumière de la justice n'a point lui pour nous, et le soleil de l'intelligence ne s'est point levé sur nous. Nous nous sommes lassés dans la voie de l'iniquité et de la perdition : nous avons marché dans des chemins âpres et nous avons ignoré la voie du Seigneur. De quoi nous a servi notre orgueil ? Qu'avons-nous tiré de la vaine ostentation de nos richesses ? Toutes ces choses sont passées comme l'ombre qui se dissipe, et comme un courrier qui court... Et nous avons été consume par notre propre malice.

  La pierre ferme est encore , sous un autre rapport , le symbole de notre Dieu. Nous lisons dans St. Matthieu (7.) , qu'une maison bâtie sur la pierre est solide : la pluie est tombée, les fleures se. sont débordés, les vents ont soufflé et sont venus fondre sur cette maison ; mais elle n'a point été renversée , parce qu'elle étau fondée sur la pierre; tandis que la maison fondée sur le sable ne peut résister à aucune de ces choses, et qu'elle croule à la première irruption de la pluie , du vent ou de l'inondation.

O mon âme , dont les puissances et les propriétés peuvent être comparées aux parties d'un édifice , si vous établissez en Dieu , comme sur la pierre inébranlable, votre demeure spirituelle, c'est-à-dire, si vous croyez fermement en Dieu, et chie vous placiez en lui toute votre confiance; si vous êtes fondée, enracinée en Dieu par la charité, au point de pouvoir dire avec l’Apôtre : Qui nous séparera de l'amour de Jésus-Christ ? rassurez-vous , parce qu'alors ni les mauvais esprits qui sont au-dessus, ni la concupiscence charnelle qui est au-dessous, ni nos ennemis domestiques qui sont autour de nous , je veux dire nos parents, nos amis, ne pourront jamais, avec toute leur malice, rien faire contre vous. Ce sont, il est vrai , des forces redoutables, la ruse des puissances infernales est grande ; mais la puissance et la sagesse de l'Esprit-Saint qui préside à nu édifice dont Dieu est le fondement, sont plus grandes encore. La chair aura beau combattre avec acharnement contre l'esprit , et la concupiscence charnelle aura beau se vanter de triompher fréquemment des plus forts , l'amour de Dieu surmontera aisément l'amour charnel , et la crainte de Dieu détruira sans peine la crainte du monde. Enfin, ceux qui nous approchent de plus près sont nos plus dangereux ennemis , et leurs perfides conseils nous associent souvent aux pécheurs mais l'âme qui espère avec une humble confiance d'avoir Dieu pour père,pour frère et pour époux dans le ciel , se résigne aisément non-seulement à mépriser, mais encore à haïr ces parents et ces amis charnels. Elle dit avec l'Apôtre Je suis assuré que ni la mort , ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les puissances ni les choses présentes, ni les futures.... , ni aucune autre créature ne me pourra jamais séparer de l'amour de Dieu qui est en Jésus-Christ notre Seigneur (Rom. 8. 38.). Mais malheureuse est l'âme dont la demeure est construite sur le sable ; elle lie pourra durer longtemps, et elle est menacée d'une ruine désastreuse; elle s'est confiée au mensonge , elle s'est appuyée sur un roseau, elle a fait son Dieu de son ventre, de ses richesses et des hommes mondains, et voilà que tous ces objets disparaissent et s'évanouissent comme un songe, et la précipitent dans un malheur éternel.

3° Une autre propriété de la terre consiste en ce que, comme une bonne nourrice, elle fournit abondamment les plantes , les fruits et les autres choses nécessaires à la nourriture de l'homme et de tous les animaux ; or c'est cette propriété qui nous élève à notre Créateur comme au vrai nourricier ; car ce n'est pas la terre par elle-même, mais c'est Dieu qui se sert de la terre pour produire tous les biens d'en bas. Car voici comme parle l'Esprit-Saint par la bouche de David : C'est Dieu qui produit le foin sur les montagnes, et l'herbe pour le service de l'homme... Oui, Seigneur, toutes les créatures attendent de vous que vous leur donniez leur nourriture en leur temps ; vous la leur donne et elles la recueillent; vous ouvrez votre main, et elles sont rassasiées de vos biens... Considérez , dit Jésus-Christ , les oiseaux dit ciel; ils ne sèment point, ils ne moissonnent point et ils n'amassent rien dans des greniers ; mais votre père céleste les nourrit... Il n'a jamais cessé, dit St. Paul, de rendre témoignage de ce qu'il est, en faisant du bien aux hommes, en dispensant les pluies dit ciel et les saisons favorables pour les fruits de la terre, en nous donnant la nourriture avec abondance (Act. 14. 16), accomplissant la promesse qu'il fit au temps de la création lorsqu'il ordonna à ta terre de produire de l'herbe verte qui porte de la graine, et des arbres fruitiers qui portent du fruit chacun selon son espèce; car la terre produit vraiment toutes ces choses, mais c'est par la vertu que Dieu lui a donnée: en sorte que c'est Dieu lui-même qui, parle moyen de la terre, produit , conserve et donne l'accroissement. C'est pourquoi David invitant toutes les créatures à louer Dieu , n'oublie pas de faire mention des arbres fruitiers et des cèdres du Liban : Ligna frutti fera et omnes cedri. Et les trois enfants dont parle Daniel exhortent toutes les productions de la terre à se réunir aux autres créatures pour bénir le Seigneur, le louer et l'exalter dans tous les siècles (Dan. 3.).

Et puisque toutes les créatures louent Dieu en leur manière, avec quelle affection devons-nous, ô mon âme, le bénir, 1e louer pour tous les bienfaits dont vous jouissez continuellement ; reconnaissant dans ces bienfaits la main cachée du Tout-Puissant qui nous donne tous ces biens, et l'amour visible, paternel et désintéressé de votre Dieu qui ne cesse un seul instant de vous faire du bien et de pourvoir à tous vos besoins. Mais tout cela est peu de chose aux yeux de votre Dieu, car c'est lui qui fait germer dans vous, Comme dans son champ spirituel , la plus noble charité; cette charité qui ne vient pas du monde, mais de Dieu, comme l'enseigne le disciple bien-aimé ; de cette charité d'où procèdent, comme d'un arbre divin et céleste, les fleurs éclatantes et odoriférantes des saintes pensées, les feuilles verdoyantes des paroles utiles au salut des nations , et les fruits des bonnes oeuvres par lesquelles Dieu est glorifié , le prochain secouru , les mérites accumulés et conservés pour la vie éternelle..

Mais malheur à ceux qui, semblables aux animaux sans raison , désirent se rassasier des fruits de la terre , les ramassent et entassent avec cupidité , sans penser au Créateur et sans l'en remercier ; leur âme est semblable à une terre maudite du Seigneur , qui ne produit plus que des épines et des ronces. Que peuvent en effet ceux en qui Dieu n'a pas semé de chastes conseils ? Leur esprit n'est occupé que de fornications , d'adultères , d'homicides , de sacrilèges , de vols, de trahisons et de toutes sortes de crimes... Et quels sont leurs discours , sinon des blasphèmes , des parjures, des malédictions , des erreurs , des insultes , des outrages, de faux témoignages , des mensonges , et d'autres abominations que leur a enseignées le démon qui est leur père ?Enfin quels fruits peuvent-ils produire, si ce n'est des fruits empoisonnés, procédant de leurs mauvaises pensées et de leurs mauvais discours, et que l'Apôtre appelle les oeuvres de la chair ? Ce sont là vraiment des épines qui poignent d'abord l'âme de ceux qui les produisent, parla piqûre amère de la crainte et de la sollicitude; elles font ensuite à la réputation , au corps et à l'âme du prochain, des blessures graves, souvent irréparables, d'où proviennent enfin, pour le prochain, les plus grands et les plus terribles dommages.

Mais , abandonnant ces tristes détails, si vous êtes, ô mon âme, ce jardin du céleste cultivateur, prenez garde d'y faire germer jamais les ronces et les épines , mais produisez avec le plus grand soin l'arbre de la charité , le lis de la pureté et le nard de l'humilité. Gardez-vous cependant de vous attribuer ces précieux germes des vertus célestes. Elles viennent de Dieu , qui est le Seigneur des vertus et l'ardeur des chastes conseils ; ne vous attribuez pas non plus la conservation, l'accroissement et la maturité des fruits de vos bonnes oeuvres ; mais rendez-en gloire à Dieu et que toute votre force repose en lui.

4° Il nous reste à parler d'une dernière propriété de la terre , qui consiste à produire dans son sein l'or , l'argent et les pierres précieuses. Mais assurément ce n'est pas par sa propre vertu que la terre nous donne tant de choses rares , mais par la vertu de celui qui dit dans Aggée que l'argent et l'or lui appartiennent: Meum est argentum, et meum est aurum (Ag. 9.22.) O bienfaiteur des hommes ! votre bonté ne s'est pas bornée à leur donner la pierre , le bois , le fer, l'airain et les autres choses nécessaires pour se construire des habitations, des vaisseaux , et pour fabriquer divers instruments nécessaires , mais vous leur avez encore prodigué l'or , l'argent et les pierres précieuses pour leur servir d'ornement et de décoration. Et si vous accordez tout cela dans une terre d'exil , non-seulement à vos fidèles serviteurs, mais encore à vos ennemis , à ceux qui blasphèment votre saint nom , que n'accorderez-vous point dans le ciel à vos amis lorsqu'ils vous béniront et régneront avec vous ! Ce ne sera plus un peu d'or ou d'argent, ce ne seront plus quelques pierreries que vous leur donnerez , mais vous les admettrez dans cette cité décrite par saint Jean , dont les murailles sont bâties de jaspe , cette ville d'un or pur, semblable à du verre très-clair, dont les fondements sont ornés de toutes sortes de pierres précieuses , et dont les douze portes sont douze perles ( Ap. 2l.). N'allez pas croire cependant que la Jérusalem céleste soit ornée de cet or, de ces pierres précieuses, et de ces perles que nous connaissons ici-bas, car nous savons que l'Esprit-Saint se sert de ce expressions, pour se faire entendre à nous qu ne connaissons rien de plus précieux. Mais nul doute que cette cité, qui sera la patrie des élus, ne l'emporte sur toutes les cités terrestres , autant qu'une ville toute d'or et de pierres précieuses l'emporte sur des cabanes construites de boue et couvertes de chaume.

Élevez donc , ô mon âme, vos yeux au ciel, et considérez combien il faut estimer lesbiens qui s'y trouvent réunis , puisque l'or , l'argent et les pierres précieuses qu'on recherche tant ici-bas , sont, moins que de la boue et de la paille comparées à ces biens célestes ! Ajoutez encore que l'or, l’argent et les pierres précieuses dont les hommes font tant de cas , sont sujettes à la Corruption , tandis que ce qui brille dans le ciel est éternel et incorruptible. Mais si vous voulez transmettre dans le ciel cet or et cet argent corruptibles que vous possédez par l’entremise des pauvres, ce que vous ferez si vous êtes sage, alors vous le rendrez incorruptible et vous le posséderez éternellement ; car la souveraine Vérité ne saurait mentir , et elle vous dit : Vendez ce que vous avez et le donnez aux pauvres , et vous aurez un trésor dans le ciel ... Vendez ce que vous possédez, et donnez l'aumône ; faites-vous des bourses qui ne s'usent point par le temps , et amassez ainsi dans le ciel un trésor qui ne s'épuise jamais , d'où les voleurs n'osent approcher et que les vers ne puissent corrompre (Luc  12. 33. ).

O incrédulité des enfants des hommes! L'homme, menteur par un désordre de sa nature corrompue, promet de paver dis pour cent d'intérêt, et de plus de rendre le capital; on se fie à sa parole : Dieu, qui ne ment jamais, promet à celui qui donne l'aumône, un trésor dans le ciel; bien plus , il promet cent pour un et par-dessus encore la vie éternelle, et cependant l’homme avare balance , on ne peut lui inspirer la confiance , et il aime mieux cacher un trésor que la rouille consume , que les voleurs déterrent et emportent souvent, que de le placer dans le ciel d'où les voleurs ne sauraient approcher, ni la rouille l’y consumer. Mais quand même vos trésors seraient à  l’abri des voleurs et des autres accidents , je vous demande , malheureux ! à qui seront un jour ces trésors dont l'acquisition et la conservation vous ont coûté tant de peines ? Ils ne seront plus certainement à vous , tandis qu'ils auraient continué de l'être , si vous eussiez chargé les pauvres de les porter dans le ciel. il arrive communément que ce que les avares ont ramassé passe à des héritiers prodigues qui mettent moins de temps à le dissiper qu'ils n'en avaient mis eux-mêmes à le ramasser. Cependant le péché de l'avare demeurera et subsistera éternellement ; le ver de la conscience ne meurt point  et le feu de l’enfer ne s'éteindra jamais.

Instruisez-vous donc, ô mon âme, parles folies d'autrui ; croyez le Seigneur votre maître qui vous dit d'éviter toute espèce d'avarice : car en quelque abondance qu'un homme soit, la conservation de sa vie ne dépend point des grands biens qu'il possède (Luc 12. 15. ) L'avare ramasse et conserve pour avoir de quoi vivre longtemps , mais il arrive tout le contraire ; car au moment où il y pense le moins , ta mort le surprend , et tous les biens qu'il a ramassés et conservés si avaricieusement engendrent ce ver qui ne meurt point , et allument ce feu quine s'éteindra jamais. O avare infortuné! était-ce pour allumer le feu inextinguible de l'enfer, que tu as ramassé des trésors avec tant de sollicitude? Écoute l'apôtre saint Jacques qui dit à toi et à tous ceux qui te ressemblent . Riches , qui ne pensez qu'a augmenter votre trésor, pleurez , poussez des cris , et. comme des hurlements dans la vue des misères qui doivent fondre sur vous pour vous punir de votre avarice; la pourriture consume les richesses que vous gardez ; les vers mangent les vêtements que vous avez en réserve ; la rouille gâte l'or et l'argent que vous cachez, et cette rouille portera témoignage contre vous au jugement de Dieu,

et dévorera votre chair comme un feu (5.1.). Vous vous estimez heureux , observe St. Jacques , parce que vous vous croyez riches et vous le dites ; mais il est vrai que vous êtes misérables et les plus misérables            de tous , et que vous avez grand sujet de pleurer et de pousser des hurlements à cause de la grande misère dont vous êtes menacés. Car ces richesses surabondantes que vous avez conservées , et que vous saviez devoir se perdre,  tandis que vous auriez pu les donner aux pauvres ; ces habits superflus que vous avez mieux aimé laisser gâter par les teignes que d'en revêtir ceux qui étaient nus ; cet or et cet argent que vous avez laissé endommager par la rouille , plutôt que d'en faire l'aumône et d'en acheter de quoi nourrir les indigents ; tous ces objets de votre avarice déposeront contre vous au jour du jugement : la teigne et la rouille de vos richesses se convertiront en un feu brûlant qui dévorera éternellement vos chairs sans les consumer , afin que le feu ne s'éteigne point et que la douleur ne finisse jamais.  Concluons donc avec le prophète , que si les insensés appellent bienheureux ceux qui possèdent les biens terrestres , les richesses superflues, ceux qui sont vraiment sages attribuent ce bonheur au peuple quia pris Dieu pour son partage : Beatus populus Dominus Deus ejus (Ps. 143.),

 

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QUATRIÈME DEGRÉ. Considération des eaux, et principalement des fontaines.

 

L'Eau tient le second rang parmi les éléments. Bien considérée elle peut nous servir de degré pour nous élever à Dieu. Nous allons en parler d'abord en général ; ensuite nous tirerons des fontaines des considérations particulières pour nous porter à Dieu.

L'eau est humide et froide, d'où résultent cinq propriétés. Elle lave et purifie les taches., elle éteint le feu , elle rafraîchit et tempère la soif, réunit ensemble plusieurs corps, enfin elle remonte aussi haut qu'elle était descendue. Toutes ces propriétés sont de vrais symboles, ou des traces pour découvrir le, créateur de toutes choses. 1° L'eau lave les taches corporelles , Dieu lave les souillures spirituelles. Lavabis me, et super nivem dealbabor. En effet, quoique les souillures du coeur puissent être lavées par la contrition , par les sacrements, par les prêtres qui les administrent, par l'aumône et par d'autres oeuvres de piété, cependant ce ne sont là que des instruments ou des dispositions. Dieu seul lave nos souillures : C'est moi, dit-il dans Isaïe, c'est moi-même qui efface vos iniquités, pour l'amour de moi (43.). C'est dans ce sens que les pharisiens, murmurant contre Jésus-Christ, disaient qu'il n'appartenait qu'à Dieu de remettre les péchés : Quis potens dimittere peccata, nisi solus Deus ?  Ils disaient la vérité, mais ils se trompaient en ne reconnaissant pas Jésus-Christ pour Dieu : ainsi ils blasphémaient et ils disaient vrai en même temps.

Non-seulement Dieu lave les taches du coeur à l’imitation de l'eau, mais encore il a voulu en prendre le nom. Écoutons St. Jean (7. , 38.) : Si quelqu'un croit en moi, il sortira de son coeur des fleuves d'eau vive, comme dit l'Écriture; ce qu'il entendait de l'Esprit-Saint que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui: car le Saint-Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié« D'où l'on voit que l'Esprit-Saint , qui est Dieu, est une eau vive, cette eau dont parle Ezéchiel lorsque Dieu dit par sa bouche (36. 25.) : Je répandrai sur vous de l'eau pitre, et vous serez purifiés de toutes vos souillures. Et parce que cette eau céleste et incréée surpasse de beaucoup les propriétés de l'eau créée et terrestre , on peut établir trois différences entre l'une et l’autre.

L'eau créée lave les souillures des corps , mais non pas toutes; il en est plusieurs qu'elle ne peut déterrer qu'avec d'autres ingrédiens , tandis que l'eau incréée les nettoie toutes sans exception : Et mundabimini ab omnibus inquinamentis vestris.

L'eau créée ne lave jamais si bien les taches qu'il n'en reste quelque chose. L'eau incréée purifie non-seulement de toute souillure, mais elle rend encore l'objet purifié plus beau qu'il n'était auparavant . Lavabis me, et super nivem dealbabor. Quand vos péchés seraient comme l'écarlate, dit le Seigneur (Isaïe 1. 18.) , ils deviendront blancs comme la neige; et quand ils seraient rouges comme du vermillon, ils seront blancs comme la neige la plus blanche.

Enfin l'eau créée lave les taches naturelles, qui ne résistent point à celui qui les déterge ; mais l'eau incréée lave des souillures volontaires, qui ne peuvent être détergées qu'autant que l'âme est d'accord avec celai qui opère. Et la vertu de cette eau est si admirable , qu'elle peut pénétrer suavement un coeur de pierre; et c'est la raison pour laquelle la dureté du coeur , quelle qu'elle soit, ne lui oppose pas de résistance , parce que cette eau salutaire le dispose à se laisser purifier selon la remarque de St. Augustin. Qui peut comprendre, Seigneur, par quel merveilleux moyen vous inspirez la foi aux infidèles, l'humilité aux orgueilleux, la charité à ceux qui ne vous aiment pas; en telle sorte que celai qui peu auparavant ne respirait que menaces et carnage , et qui vous poursuivait dans la personne devon disciples, changé tout – à - coup , se montra disposé à souffrir les menaces et la mort pour vous et pour votre Église ? Il est trop au-dessus de mes forces de pénétrer en cela vos desseins secrets, et j'aime mieux éprouver votre grâce que de disputer sur son efficacité. Ainsi connaissant que cette eau salutaire est une pluie     volontaire , destinée fertiliser votre héritage, comme dit le prophète (67. 10.) , je vous supplie humblement de m’admettre dans cet            héritage de salut, de répandre votre grâce dans mon coeur , afin qu'il ne demeure pas comme une terre sèche et sans eau , ...., jeune terre aride et stérile, telle qu'elle est de sa nature, n'étant pas capable d'avoir d'elle-même une seule bonne pensée

2° Une seconde propriété de l'eau est d'éteindre le feu; et l'eau céleste qui est la grâce de l’Esprit-Saint éteint d'une manière admirable le feu de la concupiscence charnelle. Un moyen bien propre à éteindre le feu est, à la vérité , le jeûne et les afflictions corporelles; mais il faut q~et les soient employées comme instrument de la grâce : d'elles-mêmes, elles ont peu d'efficacité , car l'amour est le principe des affections et des troubles de l'âme ; tout est régi  par lui et tout lui obéit. L'amour ne veut pas être violenté, et si d'un coté on lui oppose des obstacles, il se fait jour par un autre endroit. L'amour ne craint rien, il ose tout, il surmonte tout, il ne voit rien de difficile, il croit qu'il n'y a rien d'impossible, enfin un moindre amour ne cède qu'à un amour plus grand et plus véhément. Ainsi l'amour charnel , soit qu'il ait pour objet les richesses, soit qu'il ait choisi les délices du monde , ne cédera jamais qu'à l'amour de Dieu.  Dès que l'eau de l'Esprit-Saint commence à distiller , à s'insinuer dans une âme, l'amour des choses terrestres ne tarde pas à se refroidir. Témoin saint Augustin , si habitué aux plaisirs des sens, qu'il regardait comme impossible de vivre chastement dans le célibat. Cependant dès qu'il eût commencé à goûter la grâce de l'Esprit-Saint , il dit : «Combien trouvais-je tout d'un coup de douceur à me sevrer de celles que j'avais cherchées jusqu'alors sous les amusements et les niaiseries du siècle ? Car au lieu qu'un moment auparavant je mourais de peur de les perdre , je me ferais désormais un plaisir d'y renoncer et de les quitter , parce que vous les chassiez de mon coeur, souveraine douceur de nos âmes, douceur solide et véritable et que vous y entriez a leur place ; vous, ô mon Dieu , en qui l'on trouve et des douceurs qui sont infiniment au-dessus de toutes les voluptés , mais que la chair et le sang ne sauraient goûter ; et une lumière mille et mille fois plus brillante que toute autre lumière, mais plus intime et plus cachée que ce qui l'est le plus , et une grandeur qui passe sans proportion tout ce qu'on trouve de plus grand et de plus élevé dans le monde , mais qui ne saurait être aperçue de ceux qui sont grands à leurs propres yeux. » (Liv. 9. des Confess. ch. 1. )

3° L'eau apaise encore la soif., et l'eau céleste peut seule échauffer celle des désirs du coeur humain qui sont si importuns et variés à l'infini. C'est ainsi que la Vérité suprême , s'adressant à la Samaritaine , lui dit ; Celui qui boit de cette eau que vous puisez, aura soif encore ; mais celui qui boira de l'eau que je lui donnerai , n'aura plus de soif : Non sitiet in aeternum. En effet., observe l'Ecclésiastique , l’oeil ne se rassasie pas de voir, ni l'oreille d'entendre. Rien de ce qu'on offre à l'homme ne peut contenter ses désirs , il est capable d'un bien infini tandis que les créatures sont bornées. Mais celui qui commence à se désaltérer dans cette fontaine céleste, où sont renfermés tous les biens., ne désire et ne recherche plus rien.

4° L'eau rejoint et unit ensemble des choses qui ne paraissaient pas susceptibles de cette union ; ainsi au moyen de l'eau, du mélange de plusieurs grains moulus , l'on forme un seul pain, et de plusieurs parties de terre se confectionnent les briques. Mais c'est avec beaucoup plus de facilité et de solidité que l'eau de l'Esprit-Saint réunit plusieurs personnes

au point de n'avoir qu'un coeur et qu’une âme (Act. 4.), comme il est dit , dans les Actes des Apdtres , des premiers chrétiens sur lesquels le St-Esprit était descendu. Jésus-Christ , devant revenir auprès de son Père , avait recommandé et prédit cette unité qu'opère l'eau céleste de l'Esprit-Saint , lorsqu'il dit : Je ne prie pas seulement pour eux, ratais encore pour ceux qui doivent croire en moi par leur parole ( des apôtres), afin que tous ensemble ils ne soient qu'un par l'unité d'un même esprit , d'une même foi et d'une même charité , et que comme vous, mon Père, êtes en moi et moi en vous, de même ils ne soient qu'un en nous, afin que le monde croie que vous m'avez envoyé, en voyant l'union           que mes disciples auront entre eux ; et la société que vous voudrez bien qu'ils aient avec vous.... afin qu'ils       soient un avec nous, comme nous sommes une même chose vous et moi (Jean 17. 21. 3.). C'est cette même unité que recommande St. Paul (Eph. 4.) : Je vous conjure de travailler avec soin la conserver l'unité d'un même esprit par le lien de la paix. Fous n'êtes tous qu'un même corps en Jésus-Christ et vous n'axez tous reçu qu'un même esprit, comme vous n'avez tous été appelés qu'à une même espérance. O heureuse union qui de plusieurs hommes ne fait qu'un corps en Jésus-Christ , qui est régi par un même chef , nourri d'un même pain , buvant à la même coupe , vivant d'un même esprit , et ne faisant qu'un même esprit avec Dieu par sa parfaite adhésion ! Que peut désirer de plus le serviteur, que d'are non-seulement participant. de tous les biens de son maître, mais encore de ne faire qu'un avec son Seigneur tout-puissant, infiniment sage, infiniment bon , par les liens d'un amour indissoluble ( 1 Th. 6.) ? Or les grâces de l'Esprit-Saint , comme une eau vivante et vivifiante , opère toutes ces merveilles lorsqu'elle est reçue dévotement dans un coeur, et qu'elle y est gardée avec soin et avec sollicitude.

5° Enfin l'eau remonte aussi haut que l'endroit d'où elle est descendue, et parce que l'Esprit-Saint était descendu du ciel en terre, il deviendra , pour celui qui le reçoit dans son coeur, une fontaine d'eau rejaillissante jusqu'à la vie éternelle : Fit fons aquae salientis in vitam aeternam ( Jean. 5. ). C'est-à-dire que celai qui renaît de l'eau et de l'Esprit-Saint, et qui le conserve dans son coeur, dirige ses mérites vers l'endroit d'où la grâce est descendue.

Instruite et encouragée par les paroles de l'Écriture , dites sans cesse , ô mon âme , à votre Père , en poussant des            gémissements ineffables : Donnez-moi de cette eau qui purifie toutes mes souillures , qui éteigne l'ardeur de ma concupiscence , qui étanche toute ma soif et tous mes désirs , qui fasse de mon es,prit un même esprit avec le vôtre ; qu'il devienne une source d'eau vive rejaillissante jusqu'à la vie éternelle, afin de faire précéder mes mérites là où j'espère habiter éternellement. Ce n'est pas sans sujet que le Fils de Dieu a dit ( Luc 11. 13. ) : Si vous autres, tout méchants que vous êtes, vous savez néanmoins donner de bonnes choses à vos enfants , à combien plus forte raison votre Père qui est dans le ciel , qui est la bonté même, donnera-t-il le bon esprit à ceux qui le lui demandent avec foi et persévérance ? Il ne dit pas que le Père céleste donnera du pain , ou des babils, ou la sagesse, ou la charité, ou le royaume des cieux , ou la vie éternelle., mais il dit qu'il lui donnera le bon esprit, parce qu'en lui se trouve renfermé tout le reste. Ne cessez donc , chaque jour , de rappeler au Père les promesses du Fils, et de dire avec une grande ferveur et une grande confiance : Père saint, ce n'est pas sur ma justice que je fonde ma prière, mais sur la promesse de votre Fils unique ; il nous dit: combien plus forte raison votre Père donnera-t-il le bort esprit à ceux qui le lui demandent ! Assurément votre Fils est la vérité, il ne nous a pas trompés : accomplissez donc la promesse de ce Fils qui vous a glorifié sur la terre , qui vous a obéi jusqu'à la mort et à la mort de la croix ; donnez le bon esprit à celui qui vous le demande , donnez-lui l'esprit de crainte et d'amour, afin que votre serviteur ne craigne autre chose que de vous offenser, qu'il n'aime que vous et on prochain pour l'amour de vous. Créez en moi un coeur pur, et renouvelez au fond de mes entrailles l'esprit de droiture et de justice, ne me rejetez pas de devant votre face et ne retirez pas de moi votre Esprit-Saint: rendez-moi la grâce de votre joie salutaire, et fortifiez-moi par l'esprit d'une piété toute volontaire ( Ps. 50. ).

6° Examinons maintenant la ressemblance qu'ont les fontaines avec Dieu : notre esprit se servira utilement de cette comparaison pour contempler l'admirable excellence du Créateur. Dieu est appelé dans l'Écriture une fontaine de vie, une fontaine de sagesse , une fontaine d’eau vive; on peut ajouter , d'après les paroles que Dieu adresse à Moïse , qu'il est encore la source de l'être ou de l'existence, car il lui dit : Je suis celui qui est. (Vous direz) Celui qui est m'envoie vers vous. L'apôtre St. Paul a renfermé tous ces différents titres en disant que c'est en Dieu que nous avons la vie , le mouvement et l'être : In ipso vivimus , et inovemur , et sumus. Car nous sommes en lui comme dans la source de l'être; nous vivons en lui , comme dans la source de la vie ; et nous nous mouvons en lui , comme dans la source de la sagesse parce que la sagesse est plus cultivée que toutes les choses les plus agissantes, et elle atteint partout à cause de sa pureté ( Sag. 7. 24)

Les fontaines terrestres donnent naissance aux fleuves , qui tariraient si les fontaines cessaient de couler. Mais la fontaine n'est pas ainsi dépendante des fleuves , parce que ce n'est pas d'eux qu'elle revoit ses eaux , elle les possède en propre et les leur communique. C'est ici un vrai symbole de la Divinité; car Dieu est la vraie source de l'être ; en effet , il le possède sans l'avoir reçu de personne , et toutes les créatures le reçoivent de lui ; Dieu ne reçoit l'être de personne, car l'être est l'essence de Dieu, et son essence est son existence; en sorte qu'on ne peut se figurer que Dieu n'ait pas toujours existé, et qu'il n'existera pas toujours. Les autres êtres peuvent exister dans un temps et ne pas exister dans un autre , puisqu'il n'est pas de leur essence d'exister. Ainsi par exemple , il est de l'essence de l'homme qu'il soit un animal raisonnable , en sorte qu'il ne peut être homme et ne pas être animal raisonnable : et s'il était de l'essence de l'homme d'exister, il ne pourrait pas ne pas exister toujours ; mais parce qu'il n'est pas de son essence d'exister , il peut exister , ou ne pas exister. Dieu est donc la source de l'Être , parce qu'il renferme dans son essence la nécessité d'exister toujours, c'est ce que signifient ces           paroles : Je suis celui qui est : c'est-à-dire je suis l'être véritable , je ne le reçois pas d'ailleurs, mais je l'ai en moi-même; à Moi seul convient d'avoir l'être par essence. De là vient qu'il a seul l'éternité et l'immortalité en partage : Solus hahet immortalitatem. Pour les autres créatures , elles reçoivent tellement l'être de Dieu, que si elles ne dépendaient sans cesse de lui , et si elles n'étaient conservées par sa providence, elles cesseraient aussitôt d'exister. De là suit cette expression de l'apôtre : Il soutient tout par la puissance de sa parole ( Hébr. 1. 3. ), parce que les choses créées ont besoin d'être continuellement soutenues de Dieu pour subsister.

Contemplez donc et admirez, ô mon âme la bonté infinie du Créateur qui porte et con. serve si amoureusement ses ouvrages, quoi qu'il n'en ait aucun besoin ; et n'admirez pas moins sa patience à supporter avec tant de bonté les ingrats et les méchants , qui tam benignus est, super ingratos et malos (Luc. 6.), qu'il nourrit ceux qui le blasphèment , et en conserve plusieurs qui seraient dignes d'être anéantis ; et ne regardez plus comme trop pénible d'être obligés à supporter les infirmités de vos frères, et de faire du bien à ceux qui vous haïssent.

Mais ce n'est pas en cela seul que consiste la supériorité de cette source de l'être , qui ne le reçoit de personne et le communique à tout, Car les eaux des fontaines sont du même genre que celles des fleuves ; et quoique les fontaines ne reçoivent point leurs eaux d'autres fontaines , elles ont cependant leur origine dans les vapeurs de la terre ; ces vapeurs sont produites par d'autres causes qui remontent à Dieu , première cause de tous les êtres créés. Mais Dieu , votre créateur , n'est pas, ô mon âme, de même genre que les choses créées ; il en diffère infiniment par sa dignité , sa noblesse et son excellence ; il est vraiment et proprement la source de l'être , non-seulement parce qu'il ne tient l'être de personne, mais encore parce qu'il ne reconnaît aucun principe de son existence , étant à lui-même son principe. Une source d'eau terrestre , comme nous l'avons dit, dérive non d’une autre source, mais d'une autre cause

la source de l'être étant incréée , n'a rien qui la précède , ne dépend et n'a besoin d'aucune Chose ; rien ne peut lui nuire , mais tout dépend de ce principe, de cette source, qui peut d'un seul signe anéantir toutes les créatures. Admirez, ô mon âme , cette suprême majesté, ce principe sans principe, cette cause sans cause , cet être infini , illimité , immense, absolument nécessaire, tandis que tout le reste n'est que contingent. C'est peut-être dans ce sens que la suprême Vérité a dit qu'une seule chose était nécessaire : Porrò unum est necessarium ( Luc 10. ). C'est pourquoi ne vous attachez qu'à lui , ne servez que lui , ne cherchez d'autre plaisir que celui de l'aimer, et ne désirez que de le posséder ; méprisez pour lui tout le reste, ou du moins n'en ayez pas trop de sollicitude, puisqu'une seule chose est nécessaire , et que cette seule chose qui est Dieu peut suffire à vous et à tout le monde. Ainsi n'ayez d'autre sollicitude que celle de ne jamais perdre sa grâce et de lui plaire toujours et en toutes manières.

            7° C'est donc dans le sens le plus strict, le plus vrai , que Dieu est appelé une source de vie, parce qu'il vit, qu'il a la vie en lui, et qu'il est lui-même la vie éternelle : Hic est verus Deus et vita aeterna (1. Jean. 5. ), et que tous les êtres vivants tirent leur vie de cette source, et qu'ils s'anéantissent et retournent dans la poussière , dès que Dieu cesse de les soutenir (Ps. 103. ).Produire son semblable est le privilège des êtres vivants ; or Dieu a engendré un Fils qui lui est parfaitement semblable Dieu comme lui, vivant par lui-même comme lui : Car, dit St. Jean (5), comme le Père a la vie en lui-même, et qu'il est le principe de la vie de son Fils, il a aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui-même , et d'être le principe de la vie des hommes. Or le Père a la vie en lui-même , parce qu'il est la source de la vie et qu'il ne la reçoit pas d'ailleurs ; et il a donné au Fils d'avoir la vie en lui-même, parce qu'il lui a donné la même vie qu'il possède , et par ce moyen le Fils est aussi une source de vie, mais une source dérivant d'une autre source , comme il est Dieu de Dieu et lumière de lumière. Qui expliquera , qui comprendra même cette vie de Dieu , cette fontaine de vie où vont puiser toutes les créatures vivantes sur la terre et dans le ciel ? La vie que nous connaissons dans ce lieu d'exil n’est autre chose que le principe de mouvement interne ;car nous attribuons la vie à ce qui se meut, d'où vient que par ressemblance nous appelons eaux vives, celles des fontaines et des fleuves , et que nous donnons le nom d'eaux mortes à celles qui croupissent dans les étangs ; parce que celles-là paraissent se mouvoir, tandis que celles-ci ne le peuvent sans être agitées par les vents ou par quelque autre moteur externe.

Votre Dieu vit véritablement, ô mon âme , et il est l'auteur et la source de la vie. Il nous l'apprend dans plusieurs endroits de l'Écriture : Vivo ego , ait Domitius; vivit Dominus. Il se plaint, par son prophète Jérémie , qu'ils l'ont abandonné , lui qui est une source d'eau vive : Me dereliquerunt fontem aquae vivae. Et cependant il n'est mu ni par lui-même, ni par autrui : Ego Domitius, et non mutor (Malach. 3. ). Dieu n'est pas sujet au changement comme les enfants des hommes (Nomb. 13. ). Dans l'office de Nones nous disons encore la même chose : Rerum, Deus, tenax vigor, immotus in te permanens, etc., pour signifier son repos.

Quoique Dieu engendre son Fils, il l'engendre sans changement : et s'il voit, s'il entend, s'il parle , s'il aime, s'il a compassion, s'il juge,il fait toutes ces choses sans changement; qu'il crée et conserve ses créatures, ou qu'il les détruise ou les disperse, et que de nouveau il les renouvelle et les change , il ne perdra pas pour cela son repos , ni son immutabilité. Mais comment vit-il , s'il ne se meut point? Et comment supposer qu'il ne vit pas , s'il est la source , le principe de la vie? On ne peut résoudre facilement cette difficulté ; car il suffit absolument pour vivre , que l'être vivant agisse par lui-même, et ne soit pas mu par un autre. Mais la vie, dans les êtres créés , est pour l'ordinaire le principe interne du mouvement , parce que les choses créées sont imparfaites, et manquent de beaucoup de qualités pour pouvoir remplir les fonctions de la vie; tandis que. Dieu est une perfection infinie , qui n'a besoin de rien qui soit hors de lui , et c'est pourquoi il agit par lui-même sans être mu par un autre d'où il résulte qu'il n'a besoin ni de mouvement, ni de changement. Les créatures ont besoin de changement pour se reproduire, parce que cette reproduction se fait hors d'elles-mêmes , et il faut que la chose produite passe du non-être à l'être; mais Dieu qui engendre le Fils , et produit le Saint-Esprit au dedans de lui-même , et le Fils, ni le Saint-Esprit n'ont pas besoin de changement pour passer du non-être à l'être , parce qu'ils reçoivent l'être qui a toujours existé; et ils le reçoivent non dans le temps , mais dans l'éternité. Les créatures ont besoin d'un mouvement d'accroissement , parce qu'elles naissent imparfaites; mais Dieu le Fils est engendré dans toute sa perfection , et Dieu le Saint-Esprit procède du Père aussi dans toute sa perfection. Les créatures ont besoin du mouvement d'altération , pour acquérir les différentes qualités qui leur sont nécessaires; mais Dieu n'a besoin de rien , puisqu'il possède l'essence d'une infinité de perfections. Les créatures ont besoin du changement de lieu , parce qu'elles ne sauraient être partout en même temps; mais Dieu est tout entier eu tous lieux. De plus, les créatures ont besoin de secours étrangers pour voir , pour entendre , pour parler , pour opérer ,  parce que leur vie est imparfaite et privée de beaucoup de choses ; mais Dieu n'a besoin de rien qui soit hors de lui , pour tout voir , tout entendre , se faire entendre de tous et tout opérer en toutes choses ; parce que non-seulement il a la vie, mais une vie des plus abondantes et des plus heureuses, et qu'il est lui-même la vie et la source de la vie. Pour donner un exemple de l'action de voir , considérons les besoins de l'homme ; pour exercer cette faculté, il a besoin de la puissance visuelle , qui est distincte de l'âme, laquelle vit et voit par elle-même ; il lui faut un objet , je veux dire un corps coloré placé hors de lui ; il lui faut la lumière du soleil , ou de quelque autre corps lumineux ; il lui faut un milieu , c'est-à-dire un corps visible ; il lui faut une image sensible , qui de l'objet parvienne à ses yeux ;  il lui faut un organe corporel, c'est-à-dire, un oeil pourvu de différentes humeurs et de tuniques ou pellicules charnues ; il lui faut des esprits sensitifs, et des nerfs optiques qui servent de passage à ces esprits; il lui faut une distance proportionnée , et l'application de la puissance visuelle. Voyez de combien de secours les hommes et tous les animaux ont besoin pour remplir une seule fonction de la vie! Mais Dieu, qui possède véritablement toute la vie en lui-même , n'a besoin de rien. Son essence infinie lui tient lieu de puissance , d'objet , d'images, de lumière et de tout le reste. De lui-même , par lui-même et en lui-même , Dieu voit tout ce qui existe , tout ce qui a existé , et tout ce qui existera, et il connaît parfaitement tout ce qui peut exister. Avant que le monde fût, Dieu voyait tous les êtres , et la création n'a rien ajouté à sa science ni à sa connaissance. Que vous arrivera-t-il donc, ô mon âme , quand vous serez participante de sa vie Dieu vous commande-t-il quelque chose de trop , lorsqu'il exige que vous employiez cette vie corporelle, animale, imparfaite et misérable , pour le service de vos frères et pour le sien, afin de mériter de participer à cette vie éternelle, fortunée et infiniment heureuse ? Et s'il ne commande rien de trop pénible , en nous ordonnant de mépriser la vie pour son amour , combien devons nous regarder comme facile et léger de donner aux pauvres des richesses périssables ? de nous abstenir des concupiscences charnelles , de renoncer au démon et à ses pompes, et de soupirer avec toute l'ardeur de notre âme vers cette vie qui seule mérite de porter le nom de vie ?

8° Mais il est déjà temps de monter, comme nous pourrons, à la source de la sagesse Fons sapientiae verbum Dei in excelsis (Eccli. 1. ). L'écrivain sacré a raison de dire que cette source est dans les lieu-, élevés ; car la source de la sagesse coule abondamment et copieusement sur les saints anges , et sur les âmes bienheureuses qui habitent le ciel pour nous, voyageurs et pèlerins dans le désert de la vie , nous n'avons en partage qu'une vapeur , pour ainsi dire, et un parfum de cette sagesse.

C'est pourquoi , ô mon âme , ne vous élevez pas trop maintenant. N'allez pas scruter la Majesté suprême , de peur d'être opprimée par sa gloire. Admirez la sagesse de celui que l'Apôtre (Rom. 16. ) appelle le,seul sage : Soli sapienti Deo. Félicitez les bienheureux esprits de se désaltérer à la source de la sagesse ; et quoiqu'ils n'aient pas la compréhension de Dieu , qui est réservée à la source clé la sage, ils voient cependant sans voile !a face de Dieu, c'est-à-dire de la première cause; éclairés par lui ils jugent parfaitement de tout; à l'aide de cette lumière brillante de la sagesse, ils ne craignent ni les ténèbres de l'erreur,           ni l'obscurité de l'ignorance , ni l'éblouissement des opinions. Aspirez à cette félicité , et, pour y parvenir sûrement, aimez de tout votre coeur notre Seigneur Jésus-Christ , en qui sont renfermés tous les trésors de la. science et de la sagesse de Dieu ( Col. 2. ).  Il vous dit lui-même dans l'Évangile ( Joan. 14. 21. ) : Celui qui m'aime sera aimé de mon Père, et je l'aimerai aussi, et Je me découvrirai à lui, c'est-à-dire, je lui découvrirai tous les trésors de la science et de la sagesse de Dieu que je renferme en moi-même. Tout homme désire naturellement de savoir ; et quoique les plaisirs sensuels émoussent ce désir dans quelques-uns , cependant , lorsque nous aurons déposé ce corps qui doit être détruit , et qui maintenant appesantit l' âme, l'ardeur de ce désir l'emportera sur tous les autres. Quelle sera donc votre félicité , ô mon âme , lorsque Jésus-Christ , que vous aimez et qui vous aime , vous montrera tous les trésors de la science et de la sagesse de Dieu! Pour n'être pas frustrée d'une si belle espérance, appliquez-vous à l'observation des commandements de Jésus-Christ; il vous dit lui-même ( Joan. 14.) : Celui qui m'aime observe mes commandements. En attendant, attachez-vous à cette sagesse que décrit le saint homme Job ( 28) lorsqu'il dit que la crainte de Dieu est elle-même la sagesse; et que l'intelligence consiste à s'abstenir du mal. Et quelques perfections que vous voyiez dans les créatures , sachez quelles: découlent du Dieu de bonté comme de leur source, afin que vous appreniez, avec St. François , à goûter dans chaque créature, comme dans autant de ruisseaux, la bonté fécondante de Dieu ( V. St. Bonav. dans la vie de St. François,Chap. 9).

 

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CINQUIÈME DEGRÉ. La considération de l'air.

 

En considérant cet élément , nous pourrons en tirer une excellente instruction pour les moeurs; en effet, si quelqu'un veut examiner ces divers avantages que , par une disposition de la Providence, l'air procure sans cesse au genre humain, il y trouvera non-seulement de pré, cieux document pour la philosophie, mais encore il y découvrira des mystères profonds et propres à. reculer les bornes de la science théologique.

1° Une des principales propriétés de l'air est, en favorisant la respiration, de conserver la vie des animaux terrestres et celle de l'homme même. Ensuite l'air est si nécessaire à la vue, à l'ouïe, à la parole extérieure, que, sans son secours, on serait aveugle, sourd et muet; enfin l'air est si essentiel au mouvement des êtres vivants, que sans lui il n'y aurait plus de mouvement, tous les arts et tous les ouvrages de l'homme cesseraient aussitôt. Entrons en matière.

Si les hommes comprenaient que les âmes n'ont pas moins besoin de respirer que les corps, plusieurs de ceux qui périssent, se sauveraient. Le corps a continuellement besoin de respiration , parce que la chaleur naturelle, dont le coeur est rempli , est tellement tempérée par l'action des poumons qui attirent l'air froid et rejettent celui qui est chaud, que la vie en est conservée. Sans cette respiration il serait impossible de vivre; aussi respirer et vivre sont lies termes synonymes, car quiconque respire vit; et  dès qu'on cesse de respirer, on cesse aussi de vivre. Et vous, ô mon âme, vous avez besoin d'une respiration continuelle , pour conserver la vie spirituelle qui est la grâce; cette respiration se fait en faisant monter vers Dieu, par l'oraison , des soupirs enflammés , et en recevant de Dieu une nouvelle grâce de l' Esprit-Saint. Et quelle autre chose signifient ces paroles de notre Seigneur : Il faut toujours prier et ne jamais cesser : Oportet semper orare et non deficere (Luc 18.), si ce n'est qu'il faut toujours soupirer, et recevoir un nouvel esprit, pour empêcher la vie spirituelle de s'éteindre en vous ? C'est ce que répète notre adorable Sauveur en disant . Veillez et priez sans cesse Figilate itaque, omni tempore orantes (Luc 21.). L'Apôtre confirme ce précepte dans sa première Épître aux Thessaloniciens, en leur recommandant de prier saris intermission : Sine intermissione orare. St. Pierre enseigne la même doctrine, en nous exhortant à être prudents,et à veiller dans l'exercice de l'oraison : Estote itaque prudentes et vigilate in orationibus ; car la vraie prudence consiste à demander sans cesse à Dieu un secours dont nous avons sans cesse besoin. A la vérité notre Père les connaît, ces besoins, et il est prêt à y subvenir libéralement, surtout en ce qui regarde le salut éternel ; mais il ne veut nous l'accorder que par le moyen de l'oraison, parce que cela lui fait plus d'honneur, et que ce nous est plus utile que s'il nous l'accordait sans le lui avoir demandé. C'est pour cette raison que ce maître libéral nous exhorte et nous presse à lui demander ce dont nous avons besoin : Je vous le dis : Demandez, et l'on vous donnera; cherchez et vous trouverez; frappez, et l'on vous ouvrira; car celui qui demande, obtient; celui gui cherche, trouve; et, l'on ouvre à celui qui frappe (Luc 11.). Jésus-Christ nous fait connaître ensuite ce qu'il faut lui demander et ce qu'il nous accordera infailliblement: Si vous, tout méchants que vous êtes, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père céleste donnera le bon esprit à ceux qui le lui demandent! Ce qu'il rions faut donc demander d'abord et préférablement à tout le reste, et ce que Dieu nous accordera infailliblement si nous le demandons bien, c'est le bon esprit, au moyen duquel nous respirons en Dieu et nous conservons la vie spirituelle, à l'exemple de David qui ouvrit la bouche pour attirer cet esprit : Os meum aperui, et, attraxi spiritum ; c'est-à-dire, qu'il ouvrait sa bouche en désirant, en soupirant et en demandant par des gémissements ineffables, et attirant le vent très-suave de l'esprit de Dieu, qui refroidissait le feu de la concupiscence et l'affermissait dans la pratique du bien. Cela étant ainsi , qui oserait dire que ceux qui passent les jours entiers, les mois et les années sans soupirer vers Dieu, et sans respirer en Dieu, vivent néanmoins selon Dieu ? C'est un signe évident de mort que de ne pas respirer ; mais si respirer c'est prier, c'est un signe de mort de ne pas prier. La vie spirituelle qui nous fait enfants de Dieu , consiste dans la charité. Considérez donc , nous dit St. Jean (Joan. 3. 1.), quel amour le Père nous a témoigné, de vouloir que nous soyons appelés et que nous soyons en effet enfants de Dieu. Mais quel est celui qui aime et ne désire pas en même temps de voir l’objet de son amour ? qui désire et ne demande pas en même temps ce qu'il désire , à celui qu'il sait le lui devoir accorder si tôt qu'il en sera prié ? D'où il faut conclure que celui qui ne demande pas assidûment à voir la face de Dieu, ne désire pas de le voir ; mais celui qui ne désire point n'aime point; et celui qui n'aime point, ne vit point. Que suit-il de là? Il suit que nous devons regarder comme morts à Dieu, quoiqu'ils vivent au monde, tous ceux qui ne s'appliquent pas sérieusement à l'oraison, et que prier seulement des lèvres, n'est pas prier véritablement, ni par conséquent respirer et vivre spirituellement : car la prière est une élévation du coeur vers Dieu, et non de la voix seulement.

Ne vous faites donc pas illusion, ô mon âme , jusqu'à croire que vous vivez pour Dieu, si vous ne le cherchez sérieusement et de tout votre coeur, et si vous ne soupirez vers lui nuit et jour. Ne dites pas que les autres occupations vous empêchent de vaquer aux colloques divins et à l'oraison ; car les apôtres étaient tellement occupés, même à l'œuvre de Dieu et au salut des âmes,que l'un d'entre eux disait qu'outré les maux extérieurs dont il avait fait l'énumération, le soin des églises attirait sur lui une foule d'affaires qui l'affligeaient tous les jours. Qui est faible, disait il, sans que je m'affaiblisse avec lui? qui est scandalisé, sans que je brùle, et que je ressente une vive douleur de sa chute (2. Cor. 11. 29. ) ? Et cependant ce même apôtre , non content de nous rappeler ses fréquentes prières, écrit aux Philippiens que sa conversation est dans le ciel : Nostra conversatio in coelis est, parce qu'au milieu de ses occupations il tournait sans cesse ses désirs vers le ciel, et qu'il n'oubliait jamais son bien-aimé; autrement comment aurait-il pu dire : J'ai été crucifié (dans mon baptême) avec Jésus-Christ; et je vis à présent, ou plutôt ce n'est plus moi qui vis, mais c'est Jésus-Christ qui vit en moi (Gal. 2. 20.) ?

2° Une autre propriété de l'air , c'est de servir de milieu pour transmettre les couleurs, à nos yeux, et le son à nos oreilles. Sans l'air nous ne pourrions ni voir, ni entendre, ni parler. En cela nous devons d'abord rendre grâces à Dieu d'avoir daigné douer notre nature d'un si précieux bienfait. Il faut ensuite admirer la sagesse du Créateur dans un ouvrage si' subtil et si délié, au point que l'air, qui est un vrai corps , et si grand qu'il remplit un espace immense, n'est cependant ni aperçu ni senti à cause de sa ténuité incroyable. L'antiquité s'extasiait sur la délicatesse d'un trait de pinceau qu'Apelles avait figuré ; mais après tout on voyait cette ligne, on la touchait, et par là même on ne pouvait nullement la comparer a la ténuité de ce voile délié qui nous entoure, qui nous touche , et que cependant personne ne peut apercevoir , tant il est subtil. Ce qui est encore plus admirable, c'est la facilité de l'air à se rejoindre promplement pour ne faire qu'un corps, lorsqu'il a été divisé, sans laisser aucune trace de cette séparation. Quoiqu'une toile d'araignée soit: très-mince, il ne se,trouvera assurément aucun ouvrier assez habile pour la rejoindre sans que rien paraisse, après qu'elle aura été rompue : ajoutez, et c'est ici une chose admirable et que la seule sagesse de Dieu peut opérer; ajoutez, dis-je, qu'un nombre infini de couleurs passent à travers une même partie de l'air, sans mélange ni confusion. Au milieu de la nuit, par un beau clair de lune, quelqu'un qui serait placé dans un lieu découvert et élevé , s'il aperçoit les étoiles qui ornent le firmament, les campagnes émaillées de fleurs, des maisons, des arbres, des animaux,et plusieurs autres objets de cette espèce, il ne pourra disconvenir que la figure de tous ces objets ne soit contenue , sans mélange, dans l'air qui l'environne. Mais qui peut comprendre ces merveilles ? qui peut les pénétrer ? Comment se fait-il qu'un corps si délié puisse contenir une si étonnante variété de formes ? Et que serait-ce si dans le même temps on entendait le chant mélodieux des oiseaux d'un côté, et d'un autre celui d'une agréable symphonie mêlée au doux murmure des eaux? Ne faudrait-il pas que l'air contint en même temps et toutes ces couleurs et tous ces sons différeras ? Qui a fait cela , ô mon âme ? c'est votre Créateur, à qui seul appartient d'opérer des merveilles. Mais si ses œuvres sont admirables, combien plus le sera-t-il lui-même ? L'air renferme encore une autre propriété qui est, non-seulement de ne pas retarder, mais de favoriser même le mouvement des corps qui le traversent. Nous savons tous la peine qu'il y a pour faire avancer un vaisseau sur mer, quoique l'eau paraisse si facile à diviser. Il arrive quelquefois que les vents et les rames sont insuffisants , et qu'il faut employer le secours des animaux pour conduire de simples barques sur un canal ou sur une rivière; et s'il faut s'ouvrir un passage dans des endroits montueux, que de sueurs que de temps même pour parcourir un espace très-court ?

Mais au milieu de l'air , on n'éprouve aucune peine; c'est avec la glus grande facilité et la plus grande célérité que le coursier , que l'oiseau et la flèche le traversent. Dans nos exercices journaliers , nous montons , nous descendons, nous promenons , nous courons; les pieds, les bras , les mains font leurs mouvements en tout sens, et l'air au milieu duquel s'opèrent ces mouvements n'oppose pas plus d'obstacle que s'il n'était pas corporel. On le dirait d'une nature spirituelle ou presque rien.

3° Enfin l'air se prête à toutes les formes; il se laisse, diviser et briser , pour ainsi dire, afin de nous devenir utile : on le croirait donné aux hommes pour leur être un modèle d'humilité, de patience et de charité. Mais ce qui doit vous porter à aimer votre Créateur , c'est , ô mon âme , que cet air dont nous parlons, nous représente la douceur indicible et la bonté infinie de notre Dieu. Recueillez-vous mon âme , et pensez sérieusement que votre Seigneur est sans cesse présent à toutes les créatures , et qu'il opère sans cesse avec elles, et, ce qui nous fait voir son infinie bonté , il accommode sa coopération à la nature particulière de chacune d'elles ; comme s'il disait avec l'Apôtre : Je me suis fait tout à tous . Omnibus omnia factus sum , afin de les aider, de les perfectionner tous. Il coopère avec les agents nécessaires , pour qu'ils remplissent leur destination avec les agents volontaires, libres, pour qu'ils agissent volontairement , librement. Il aide et meut le feu, de manière qu'il s'élève en haut ; la terre , pour qu'elle tende en bas ; l'eau, pour qu'elle coule sur sa pente ; l'air , pour qu'il aille partout où il est poussé. Il aide les étoiles , pour leur faire décrire sans cesse leurs orbites; les herbes, les fruits, les plantes, pour qu'elles portent des fruits selon leur espèce; les animaux terrestres , aquatiques , volatiles , afin qu'ils remplissent leur destination. Mais si la bonté divine brille si éminemment dans sa coopération avec les créatures clans les ouvrages de la nature , que pensons-nous qu'il en sera dans ceux de la grâce ? Il est vrai que Dieu a       laissé à l'homme le libre arbitre , mais à condition qu'il lui donnerait sa loi pour le régir , qu'il emploierait ses menaces pour l'effrayer, qu'il lui offrirait des récompenses pour l’attirer : Ut eum regeret imperio, terreret exitio, alliceret beneficio. Dieu veut le salut de tous les hommes, mais il le veut avec une condition qui est que l'homme le voudra, et c'est pour cela qu'il le prévient, qu'il l'excite, qu'il le conduit et le ramène avec tant de douceur que sa conversion est une chose admirable. Ce sont là les conventions de la sagesse divine dont parle Isaïe,lorsqu'il invite les serviteurs, de Dieu à les faire connaître aux peuples de la terre : Notas facitem populis adinventiones ejus (Is. 12. 4). En effet , tantôt ce Dieu de bonté effraie l'impie , tantôt il l'avertit avec clémence , tantôt il le corrige dans sa miséricorde, selon qu'il le juge convenable à son caractère et à ses moeurs. Ecoutez les paroles. pleines de mansuétude, qu'il adresse au premier pécheur : Adam, lui dit-il , où êtes-vous ?  Adam lui répond : J'ai entendu votre voix dans le paradis et j'ai eu peur de paraître devant vous, parce que j'étais nu , c'est pourquoi je me suis caché. Le Seigneur lui repartit avec la même douceur : et d'où avez-vous su que vous étiez nu et que vous deviez en rougir , sinon de ce que vous avez mangé du fruit de l'arbre dont je vous avais défendu de manger ? Adam , averti par cette pieuse correction, se repentit de suite comme l'atteste l'Écriture ( Sap. 10. 1.), lorsqu'elle enseigne que c'est la sagesse qui conserva celui que Dieu avait formé le premier pour être le père du monde , ayant d'abord été créé seul ; c'est elle aussi qui,      après sa chute , le tira de son péché. Ecoutez encore avec quelle mansuétude et quelle douceur il corrigea les enfants d'Israël par le ministère d'un ange, et les engagea à faire pénitence : L'ange du Seigneur vint de Galgala où ils avaient renouvelé l'alliance avec le Seigneur, au lieu où ils étaient assemblés, qui fut appelé depuis le lieu des pleurants ; et parlant en la personne de Dieu même il dit : Je vous ai tirés de l'Egypte, je vous ai fait entrer dans la terre que j'avais juré de donner à vos pères, et je vous ai promis de garder à jamais l'alliance que j'avais faite avec vous, mais à condition que vous ne feriez point d'alliance avec les habitants du pays de Chanaan , et que vous renverseriez leurs autels ; et cependant vous n'avez point voulu écouter ma voix. Pourquoi avez-vous agi de la sorte ? Lorsque l'Ange du Seigneur disait ces paroles à tous les en fans d'Israël ,         ils élevèrent leurs voix, et se mirent à pleurer. Ce même lieu en fut appelé le lieu des pleurants ou le lieu des larmes , et ils immolèrent des hosties au Seigneur (Les Jug. 2. 1. ). Le nom donné à ce lieu , Locus flentium, sive lacrymarum , qui a passé à la postérité , atteste que ces pleurs et ces larmes abondantes étaient la marque d'une vraie et sincère pénitence. Que dirai-je maintenant des prophètes ? Ils enseignent tous universellement , ils proclament tous que Dieu ne veut pas la mort des pécheurs , mais qu'ils se convertissent et qu'ils vivent. On dit communément , observe Jérémie : Si une femme, après avoir été répudiée par son mari , et l'avoir quitté , en épouse un autre , son mari la reprendra-t-il encore? Et cette femme n'est elle pas considérée de lui comme étant impure et déshonorée ? Pour vous, ô fille d'Israël , vous vous êtes corrompue avec plusieurs qui vous aimaient, cependant revenez ci moi , dit le Seigneur , et je vous recevrai ( Jérém. 3. 1. ). Ezéchiel n'est pas moins expressif : Voici la manière dont vous avez accoutumé de parler , dit ce prophète en s'adressant au peuple ; nos iniquités et nos péchés sont sur nous ; nous en portons la peine ; nous séchons et nous languissons dans les maux que nos crimes nous ont attirés ; comment donc pourrions-nous  vivre, et comment donc pourrions -nous éviter la mort à laquelle Dieu nous a condamnés? Dites-leur donc ces paroles : Je jure par moi-même, dit le Seigneur , que je ne veux pas la mort de l'impie , mais que je veux que l'impie se convertisse, qu'il quitte sa mauvaise voie, et qu'il vive. Convertissez-vous , convertissez-vous quittez vos voies toutes corrompues. Pourquoi mourriez-vous, maison d'Israël? Je ne veux point votre mort , je souhaite au contraire que vous vous convertissiez , et que vous ayez la vie (Ezech. 33. 10 et 11. ). Mais laissant les impies , voyons maintenant quelle est la bonté et la douceur plus que paternelle et maternelle du Seigneur notre Dieu envers ceux qui le craignent et qui espèrent en lui. Écoulons le Prophète royal qui nous assure qu'autant que le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant a-t-il affermi la grandeur de sa miséricorde sur ceux qui le craignent.... Car , comme un père a une compassion pleine de tendresse pour ses enfants , aussi le Seigneur est touché de compassion pour ceux qui le craignent.... La miséricorde du Seigneur est de toute éternité, et elle demeurera éternellement sur ceux qui le craignent (Ps. 102. 11. ), Goûtez donc et voyez combien le Seigneur est doux. Heureux est l'homme qui espère en lui ( Ps. 33. 8. ). Que le Dieu d'Israël est bon à ceux qui ont le coeur droit! c'est-à-dire : Qui expliquera la bonté, la suavité , la douceur du Seigneur envers les âmes pieuses et justes ? Le Seigneur dit aussi dans Isaïe (49, 15. ) : Une mère peut-elle oublier son enfant, et n'avoir point compassion du fils qu'elle a porté dans ses entrailles ? Mais quand même elle l'oublierait , pour moi je ne vous oublierai jamais. Jérémie ajoute ( Thren. 3. 24. ) : Le Seigneur est mon partage , dit mon âme en elle-même , c'est pour cela que je l'attendrai. Le Seigneur est bon à ceux qui espèrent en lui, il est bon à l’âme qui le cherche. Ainsi il est bon d'attendre en silence le salut que Dieu nous promet.

Si je voulais encore ajouter ce que les apôtres dans leurs épîtres enseignent de la bonté paternelle du Seigneur notre Dieu envers les hommes pieux , non je n'en finirais point. Bornons-nous au seul passage de la seconde épître de St. Paul aux Corinthiens ( 1. 3. ) : Béni soit , dit-il , Dieu, le père de notre Seigneur Jésus-Christ , le père des miséricordes et le Dieu de toute consolation ; qui nous console dans tous nos maux, afin que nous puissions aussi consoler les autres dans tous leurs maux par la même consolation dont nous sommes nous-mêmes consolés de Dieu. Il ne dit pas seulement que Dieu est consolateur , mais qu'il est plein de toute consolation ; il ne dit pas qu'il nous console seulement dans quelque tribulation , mais dans toutes nos peines. Pouvait-il mieux cous apprendre combien le Seigneur est doux et suave envers ceux qu'il aime et dont il est aimé!

Il ne sera pas inutile , en finissant, de citer un passage de St. Prosper où il explique la  bonté de Dieu , non-seulement envers les bons, mais encore envers les méchants pour les rendre bons. « Sa grâce , dit-il , l'emporte sur tous les autres moyens de salut , elle persuade par les exhortations , elle avertit par les exemples, elle effraie par les dangers , elle encourage par les miracles ; elle donne l'intelligence, inspire le conseil , éclaire l'esprit et le coeur en y faisant pénétrer le flambeau de la foi. D'un autre côté, la volonté de l'homme excitée par ces secours se réunit et se joint à la grâce pour coopérer avec elle à l'oeuvre de Dieu, et pour commencer à recueillir des mérites de cette semence divine qu'elle a reçue dans son coeur , attribuant à son inconstance l'interruption du bien , au secours de la grâce ses progrès dans la vertu : secours qui est accordé à tous par une infinité de moyens intérieurs ou extérieurs. Et c'est de la malice d'un grand nombre que provient l'inutilité de ses secours , de même que c'est à la volonté de l'homme, aidé de la grâce divine , qu'il faut attribuer tout le bien qui en résulte. » ( Lib. 2. de vocatione gentium, c. 26. )

4° Courage donc , ô mon âme , si votre Créateur est si suave et si doux envers ses serviteurs , s'il souffre avec tant de bonté les pécheurs , pour les convertir ; et s'il console les justes , afin qu'ils avancent de jour en jour dans la justice et la sainteté , ne devez-vous pas supporter avec douceur votre prochain , et  vous faire tout à tous pour les gagner tous au Seigneur votre Dieu ? Pensez à quelle sublime fonction vous destine l'Apôtre, lorsqu'il vous dit (Eph. 5. 1.) : Soyez les imitateurs de Dieu comme étant ses enfants bien-aimés, et marchez dans l'amour et dans la charité pour vos frères, comme Jésus-Christ nous a aimés et s'est livré lui-même pour nous, en s'offrant h Dieu pour l'expiation de nos péchés , comme une oblation et une victime d'une agréable odeur. Imitez donc Dieu le Père qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes ( Math. 5. 45 ). Imitez Dieu le Fils, qui, après avoir pris la nature humaine pour l'amour de nous , a donné sa propre vie pour nous arracher à la puissance des ténèbres et à la mort éternelle. Imitez Dieu le Saint-Esprit, qui a répandu abondamment ses dons précieux pour nous rendre spirituels de charnels que nous étions.

 

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SIXIÈME DEGRÉ. Considération du feu.

 

Le feu est un élément si pur et si noble que Pieu a voulu en prendre le nom : Deus noster ignis consumens est (Deut. 4.). Et lorsqu'il apparut la première fois à Moïse , il se fit voir dans un buisson ardent qui brûlait sans se consumer (Exod. 3.). Il en fit de même lors. qu'il voulut donner la loi à son peuple : Totus mons Sinaï fumabat eò quòd descendisset Dominus super eum in igne ( Exod. 19. ). Et dans la promulgation de la loi nouvelle , l'Esprit-Saint apparut aux apôtres en forme de langues de feu. Enfin , les esprits célestes, qui approchaient le plus près de Dieu dans le ciel, sont appelés Séraphins, qui signifie embrasés, parce qu'ils sont plus pénétrés que les autres anges de ce feu divin, et pleins d'ardeur. Les choses étant ainsi, il n'est pas difficile de nous former de la considération du feu, de sa nature et de ses propriétés , un degré qui nous élève à Dieu par la méditation et la prière. Il sera assurément moins difficile de nous élever vers Dieu avec Élie sur un char de feu , qu'il ne l'a été par les considérations que nous avons déjà faites sur la terre , sur l'eau et sur l'air. Entrons en matière. Le feu agit diversement sur divers objets il consume le bois, le foin, la paille en très-peu de temps : il purifie et rend plus beau l'or , l'argent et les pierres précieuses. Quant au fer, qui de sa nature est noir , froid, dur et pesant , le feu le transforme en des qualités si opposées qu'il le rend brillant , chaud , malléable et léger; il le rend brillant comme une étoile, brûlant comme le feu lui-même , liquide comme l'eau , et tellement léger qu'il peut être manié en tous sens par l'ouvrier.

Toutes ces opérations du feu se font remarquer en Dieu. Premièrement le bois , le foin et la paille signifient, d'après l'Apôtre , les actions mauvaises qui ne peuvent supporter le feu du jugement de. Dieu : on ne saurait croire combien déplaisent à Dieu, qui est un feu très-pur , tous les péchés des hommes ; et avec quel cèle il les consume et les détruit, s'ils peuvent être détruits par la pénitence, c'est-à-dire, si celui qui a péché est en état de pouvoir se repentir ; car tous les péchés sont effacés par cette vertu de pénitence jointe au sacrement. Mais si le pécheur n'est plus capable de pénitence, comme sont les démons et les hommes après être sortis de cette vie , alors la colère divine se tourne contre les impies qui sont haïs de Dieu ainsi que leur impiété : Odio suret Deo impies et impietas ejus ( Sages. 14. ). Jugeons de la grandeur et de l'étendue de cette haine par l'ange rebelle qui n'a péché qu'une fois. Quoiqu'il frit le premier des anges et un prince du premier ordre dans leur hiérarchie , comme l'atteste S. Grégoire , cependant il fut de suite chassé du ciel, dépouillé de toutes ses prérogatives et de la grâce , changé en un monstre j horrible et précipité dans un abîme éternel, Jugeons-en encore par la conduite admirable de Jésus-Christ, qui est descendu du ciel pour détruire l'oeuvre du démon, c'est-à-dire du péché, et qui pour cette raison est appelé l'Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde. Or qui pourra dire , qui pourrait même penser ce que Jésus-Christ a souffert pour détruire l’oeuvre de Satan et pour satisfaire pleinement à la justice de Dieu? D'abord étant semblable à Dieu, il s'est anéanti jusqu'à prendre la forme d'esclave ( Phil. 2 ). Étant riche, il s'est fait pauvre pour nous : Propter nos egenus factus est cum esset dives ( 2. Cor. 8. ). Il n'avait pas où reposer sa tête, lui qui avait fait le ciel et la terre; il est venu dans son propre héritage, et les siens ne l'ont pas repu ( Joan. 1. ). Quand on l'a chargé d'injures il n'a point répondu par des injures; quand on l'a maltraité , il n'a point fait de menaces ; mais il s'est livré sans aucune résistance entre les mains de celui qui le jugeait injustement, laissant a Dieu le soin de lui rendre justice. C'est lui qui a porté nos péchés en son corps sur la croix, afin qu'étant morts au péché par sa mort, nous vivions pour la justice; c'est lui qui s'est humilié , se rendant obéissant jusqu'à la mort,et jusqu'à la mort de la croix, et c'est par ses meurtrissures         que nous avons été guéris : Cujus livore sanati sumus (1. Petr. 2 et Phil. 2.). Enfin après avoir été moqué , conspué , flagellé , couronné d'épines , crucifié ignominieusement , dans les plus grandes douleurs , il a donné sa vie avec son sang; et s'il a tant souffert, ç'a été pour détruire les oeuvres du démon et pour effacer nos péchés. Jugeons-en par la loi divine qui interdit et punit toutes sortes de péchés, qui ne laissera pas sans châtiment même une parole oiseuse. Et combien doit haïr les crimes et les actions détestables celui qui né peut souffrir une parole inutile! La loi de Dieu est sans tache , dit un prophète ; ses préceptes sont clairs , ils ne supportent ni défauts , ni obscurité, et il ne peut y avoir aucune communication entre la lumière et les ténèbres , entre la justice et l'iniquité ( 2. Cor. 6.). Jugeons-en enfin par les tourments que Dieu réserve aux impies et aux pécheurs qui auraient pu laver leurs souillures dans le sang de l'Agneau , et qui ne l'auront pas voulu ou l’auront négligé ; car il est juste que Dieu inflige une peine éternelle à un péché qui subsistera éternellement. Nous verrons à la fin de cet ouvrage quelle et combien grande est cette peine que Dieu réserve aux impies.

Puisque la haine de Dieu contre le péché est si grande , si vous aimez Dieu par-dessus tout , ô mon âme , vous devez aussi détester le péché par-dessus tout. Ne vous laissez pas tromper par ceux qui affaiblissent ou excusent le péché, prenez garde de vous laisser séduire par leurs fausses raisons. Vous n'aimez pas Dieu si le péché ne vous déplaît pas dans vous et dans les autres ; et si vous n'aimez pas Dieu , vous êtes perdue. D'un autre côté , si vous voulez témoigner votre gratitude à Jésus-Christ , de combien pensez-vous que vous lui êtes redevable? C'est pour vous qu'il a souffert , c'est pour vous qu'il a donné son sang et sa vie, afin d'effacer vos péchés et de vous réconcilier avec son. Père. Pourra-t-il dorénavant vous paraître pénible de souffrir quelque chose pour Jésus-Christ , et, aidée de sa grâce , ne devez-vous pas résister jusqu'au sang au péché pour l'amour de lui ? Enfin , si vous ne vous sentes pas la force d'endurer les tourments de l'enfer, vous ne devez pas souffrir le péché qui y conduit , mais le fuir , comme l'on fuit à l'aspect d'un serpent , et ne pas en souffrir la moindre souillure dans votre âme. Prenez donc la ferme et inébranlable résolution d'aimer souverainement Dieu et de haïr souverainement le péché.

2° Le même feu qui consume le bois ne détruit point l'or , l'argent, ni les pierres précieuses ; au contraire il les perfectionne et leur donne de l'éclat , parce que , dit l'Apôtre ( I. Cor. 3.) , ces métaux signifient les oeuvres qui sont bonnes et parfaites que le feu du jugement de Dieu éprouve , et qui doivent recevoir une grande récompense. Dieu approuve les oeuvres, parce qu'elles sont des dons de sa grâce, selon la doctrine reçue de St. Augustin Cm coronat merita nostra, coronat munera sua. Car elles ont été faites par ses ordres avec son secours , avec sa coopération et par sa direction , au moyen de sa loi et des règles qu'il a établies. D'abord l'or est le symbole de la charité : comment les oeuvres de la charité pourraient-elles ne pas plaire infiniment à Dieu qui est lui-même la charité? L'argent désigne les oeuvres de la sagesse, les oeuvres de ceux qui enseignent aux autres les règles de la justice : Qui ad justitiam erudiunt multos (Daniel 12.) , oeuvres que Dieu approuve et qui lui plaisent beaucoup,d'après le témoignage de Jésus-Christ lui-même, qui nous assure que celui qui fera et enseignera tout ce que la loi ordonne, sera grand dans le royaume des cieux (Matth. 5. 19.). Les pierres précieuses représentent les oeuvres d'une ante chaste : Tout le prix de l'or n'est rien au prix d'une dîne vraiment chaste, dit l'Ecclésiastique (Eccli. 26. 20. ) ; c'est pour cette raison que l'Église, dans l'office des Vierges , a choisi l'Évangile où l'on parle de la perle qui a été trouvée : Inventa autem una pretiosa margarita , abiit, etc. (Matth. 13. 46.). Le prophète Isaïe nous fait encore connaître l'estime queDieu fait de la pureté virginale, lorsqu'il dit au nom du Seigneur ( 56. 5. ) : Je leur donnerai (aux vierges) dans m'a maison, et dans l'enceinte de rues murailles, une place avantageuse , et un nom qui leur sera meilleur que des fils et des filles : car je leur donnerai un nom éternel qui ne périra jamais (Voy. l'inter. de St. Aux. de sanctâ virginitate, c. 24 et 25.). D'après les sentiments unanimes des SS. docteurs,les trois sortes de bonnes oeuvres auxquelles est due l'auréole dans le royaume des cieux , sont le martyre, l'enseignement et la virginité. Outre la vie éternelle dont jouiront tous les saints , l'auréole est une certaine récompense privilégiée , accordée aux martyrs, pour l'excellence de leur charité qui leur a fait sacrifier leur vie pour l'amour de Jésus-Christ : Majorent hâc dilectionem nemo habet ut animant suam ponat quis pro amicis suis ( Joan. 15.). Elle est accordée aux docteurs, pour récompenser leur éminente sagesse, dont parle Daniel en assurant (12. 3.) que ceux qui eu auront instruit plusieurs dans la voie de la justice, luiront comme des étoiles dans toute l'éternité. Elle est accordée aux vierges à cause du prix incomparable de la pureté, en faveur de laquelle il leur a été accordé (Apoc. 14. 3. 4.) de chanter un cantique nouveau , que personne plus ne peut chanter. Ce sont ceux, dit St. Jean, qui ne se sont point souillés avec les femmes, parce qu'ils sont vierges. Ceux-là suivent l'Agneau partout où il va. Ne croyez pas cependant que la charité des martyrs , la sagesse des docteurs et la pureté des vierges soient les seules vertus qu'approuve le feu du jugement de Dieu, et les seules qui reçoivent une pleine récompense; car toutes les bonnes oeuvres, quelles qu'elles soient, pourvu qu'elles soient faites dans la charité, sont comptées parmi les vases d'or , elles soutiendront l'épreuve de ce feu divin et elles recevront leur récompense. Car , au dernier jugement , Dieu adressera ces paroles consolantes aux élus : Venez, les bénis de mon Père, venez posséder le royaume qui a été préparé dès l'origine du monde (Matth. 25.) à ceux qui auront donné à manger aux faméliques, à boire aux altérés, l'hospitalité aux voyageurs, des habits à ceux qui sont nus, des consolations aux affligés , aux malades et aux prisonniers ; et le Seigneur a promis de ne pas laisser sans récompense un verre d'eau froide donné a un de ses disciples par amour pour Dieu.

Comprenez-vous , ô mon âme , la différence qui existe entre les actions humaines; et combien il faut être insensé et misérable, tandis qu'on peut facilement s'approvisionner d'or, d'argent et de pierres précieuses , de prendre tant de peine pour ne ramasser que du bois sec, du foin et de la paille ? Plût à Dieu qu'on fût doué de sagesse et d'intelligence pour prévoir ce qui arrivera à la fin de cette vie , lorsque toutes les oeuvres seront examinées et éprouvées par le feu du jugement de Dieu ; les unes pour être louées et couronnées , les autres pour être brûlées, réduites en cendre et en fumée! Pourquoi faites-vous maintenant un choix qui doit vous procurer des regrets si amers? Pourquoi ne pas condamner aujourd'hui, tandis que vous le pouvez utilement, ce que vous condamnerez un jour sans aucun fruit,? Si vous n'apprenez pas maintenant la vérité , si les choses présentes sont pour vous un voile qui vous empêche de la percevoir, priez Dieu bien affectueusement; dites-lui avec l'aveugle de l'Évangile : Seigneur, faites que je voie; ou bien avec le Prophète : Ouvrez, mes yeux et je considèrerai les Merveilles de votre loi ( Ps. 118.). Car , il faut l'avouer , c'est une grande merveille que les oeuvres faites dans la charité se convertissent en or , en argent et en pierres précieuses, tandis que celles qui se font dans le péché ne sont que du bois sec , de la paille et du foin.

3° Considérons maintenant une autre propriété du feu. Jusqu'à présent la considération que nous en avons faite , nous a fait connaître ce que Dieu opère en ceux qui sortent de cette vie avec des œuvres mauvaises, et ceux qui en sortent avec la pratique constante des bonnes oeuvres. Une autre comparaison tirée du feu nous fera comprendre la conduite de Dieu envers ceux qu'il appelle du péché à la pénitence.

L'homme pécheur est semblable au fer qui, éloigné du feu, reste noir, froid , dur et pesant, mais qui change en quelque sorte de qualité, devient brillant , chaud , mou et léger dès que le feu agit sur lui. Tout pécheur est privé de la lumière intérieure ; il marche dans les ténèbres , et par là imite la noirceur du fer. Quoiqu'il montre du génie , et qu'il paraisse' être rempli de jugement dans les sciences et dans le commerce de la vie humaine , cependant il est aveugle et plus misérable qu'un aveugle dans le jugement qu'il faut porter sur le bien et le mal. En effet, un aveugle ne voit rien et ne peut se mouvoir sans un guide ; mais le pécheur croit voir ce qu'il ne voit point , ou il voit une chose pour l'autre ; il juge que ce qui est bien est mal , et que ce qui est mal est bien ; il prend pour grand ce qui est petit , et pour petit ce qui est grand; il attribue une longue durée à ce qui s'écoule rapidement, et il regarde comme durant peu de temps ce qui est de longue durée ; .et c'est ainsi qu'il se trompe perpétuellement dans les choix qu'il fait. C'est ce que disait l'Apôtre en parlant des Gentils ( Eph. 4. 18.) : Ils ont l'esprit plein de ténèbres; ils sont entièrement éloignés de la vie de Dieu, à cause de l'ignorance où ils sont, et de l'aveuglement de leur coeur. C'est ce que le Seigneur lui-même reproche si souvent dans l'Évangile aux scribes et aux pharisiens (Matth. 15. 23. ), les appelant les aveugles , conducteurs d'autres aveugles. C'est ce que le prophète Isaïe reprochait aux juifs de son temps lorsqu'il leur disait : Sourds, écoutez, et vous, aveugles, ouvrez les yeux et voyez (Is. 42. 18.). G'est ce que le même Prophète prédisait du Messie qui ouvrirait les yeux aux aveugles , en parlant au nom de Dieu du nouveau Testament , lorsqu'il ajoutait : Je conduirai les aveugles dans une voie, et je les ferai marcher dans des sentiers que jusqu'alors ils avaient ignorés; je ferai que les ténèbres devant eux se changeront en lumière et que les chemins tortueux seront redressés ( Is. 42.16. ). C'est enfin ce que les impies eux-mêmes seront forcés d'avouer au sortir de cette -vie, lorsque le châtiment commencera d'ouvrir leurs yeux que leurs péchés avaient fermés ; ils diront : Nous nous sommes donc égarés de la voie de la vérité ; la lumière de la justice n'a point lui pour nous, et le soleil

de l'intelligence ne s'est point levé sur nous (Sap. 5. 6. ). Et il n'est pas étonnant que ceux qui ne suivent ni la volonté , ni l'esprit de Dieu , soient des aveugles : car Dieu est la lumière et il n'y a point de ténèbres en lui : d'où l'Apôtre saint Jean conclut que celui qui dit être dans la lumière , et hait son frère , est encore dans les ténèbres , qu'il marche dans les ténèbres , qu'il ne sait où il va , parce que les ténèbres l'ont aveuglé.

L'aveuglement des pécheurs provient non-seulement de leur éloignement de la lumière divine , mais encore de leur malice qui les aveugle ( Sap. 2 ). Car l'amour et la haine, la colère et l'envie et les autres mauvaises passions de l'âme, l'aveuglent au point de ne pouvoir plus discerner la vérité. Ces passions produisent l'effet des miroirs colorés qui font voir les objets rouges , lorsqu'ils sont blancs ; ou celui de ces autres miroirs colorés qui grossissent les objets, ou les rapetissent, ou les éloignent, ou les rapprochent. Celui qui aime avec passion regarde l'objet de son amour comme le plus beau , le plus utile , le meilleur, le plus nécessaire , et sacrifie tout le reste pour l'acquérir. Au contraire, si sa passion est une passion de haine , le même objet lui paraîtra horrible , inutile , mauvais , pernicieux , et il le repoussera au préjudice même de tout ce qu'il possède. Mais si le fer, tout noir et tout sale qu'il est,est échauffé par le feu, c'est-à-dire, si le pécheur quitte le péché et se tourne vers Dieu , peu à peu il commence à être éclairé et à découvrir clairement la vérité , dans la lumière divine, selon ces paroles de David : C'est dans votre lumière que nous verrons la lumière. Et alors le faux miroir des passions étant brisé et remplacé par celui de cristal , c'est-à-dire de la pure charité, le pécheur attache de l'importance aux seuls biens éternels, et regarde comme de peu de valeur et presque nuls tous les biens temporels. Il voit clairement qu'aucun éclat , qu'aucune beauté créée ne peut être comparée à la lumière de la sagesse et de la vérité qui se trouve en Dieu et qui est Dieu même ; c'est pour cette raison qu'il s'écrie avec St. Augustin : Que je vous ai aimée tard, beauté toujours ancienne et toujours nouvelle ,       que je vous ai aimée tard ( Conf. 1. 10. c. 77. ) ! Et parce que Jésus-Christ nous dit que nous connaîtrons la vérité et que la vérité nous délivrerai de ce pécheur déjà éclairé, et délivré par la lumière divine des lieds de la concupiscence, de l'avarice, de l'ambition et des autres passions , tressaille de joie et s'écrie avec le Prophète : Fous avez rompu nos liens, Seigneur, je vous offrirai un sacrifice de louange et j'invoquerai votre saint nom (Ps. 115)

4° Le feu ne substitue pas seulement la clarté à l'obscurité du fer, mais encore de froid qu'il était , il le rend brûlant et tellement ardent qu'il paraît être changé en feu. Que le Seigneur est grand! que sa puissance est admirable! Quoique l'homme soit naturellement froid , timide et peureux , quoiqu'il ne sache ni parler , ni se produire , ni tenter rien qui soit tant soit peu difficile , cependant dès que Dieu l'a embrasé du feu de la charité , il devient courageux comme un lion , qui répand la terreur par ses rugissements et triomphe de tout par sa force. Rien ne lui paraît difficile, il ne trouve rien de trop pénible, et il s'écrie avec l'Apôtre qui était entièrement enflammé de ce feu : Je puis tout dans celui qui me fortifie : Omnia possum in eo qui me confortat (Phil. 4.)

Mais parlons en détail de cette efficacité du feu ; et premièrement de la puissance de la parole , ensuite nous dirons en peu de mots quelque chose de l'efficacité des oeuvres. Nous avons aujourd'hui et il y a toujours eu dans l'Église plusieurs prédicateurs qui annoncent la parole de Dieu ; d'où vient-il qu'il y a si peu de conversions? On voit dans les grandes villes , pendant tout le carême et chaque jour, une vingtaine et quelquefois une quarantaine de prédicateurs qui font retentir les chaires chrétiennes ; cependant le carême fini on n'aperçoit presque aucun changement dans les moeurs des habitants. Partout les mêmes vices , les mêmes péchés , la même froideur , les mêmes dissolutions. Je n'en vois pas d'autres raisons, sinon que ces discours érudits, élégants et fleuris manquent d'âme, de vie et de feu, en un mot de ce feu de la charité qui seule peut animer et enflammer les paroles de l’orateur,et, en communiquant ce feu, changer le coeur de ceux qui l'écoutent. Je ne veux pas dire que ces prédicateurs manquent d'une voix forte et sonore, ni de geste ; mais les machines de guerre, telles que les canons , ne font-elles pas autant de bruit ( sans aucun effet néanmoins ) lorsqu'elles sont seulement chargées de poudre que lorsqu'on les a remplies de boulets ou de mitraille ? Ce qui manque à ces prédicateurs, c'est un vrai zèle pour la gloire de Dieu et pour le salut des âmes. St. Pierre n'avait pas appris l'art oratoire; il ne savait que conduire sa barque , raccommoder et jeter ses filets ; mais dès que l'Esprit-Saint fut descendu sur lui en forme de langue de feu et l'eut rempli d'une ardente charité , il commença aussitôt à prêcher au milieu de Jérusalem avec tant d'autorité , avec tant d'ardeur et d'efficacité , que dans un seul sermon

il convertit à la pénitence plusieurs mille personnes (Act. 2.). Nous ne lisons pas cependant qu'il fit de grands efforts de voix, ni qu'il gesticulât beaucoup. St. Bonaventure dit que St. François n'était ni très-instruit , ni un grand rhéteur, et cependant , lorsqu'il prêchait , on l'écoutait comme un ange descendu du ciel ; sa parole, ajoute le même saint, était comme un feu qui pénétrait les replis les plus secrets du coeur, et il est dit dans les chroniques de l'ordre     des mineurs ( ch. 30. ) qu'un jour ayant improvisé quelques paroles au peuple, tous en furent si pénétrés qu'on aurait pris ce jour pour un vendredi-saint , tant les sentiments de pénitence excitaient de larmes dans tous les auditeurs. D'où pouvait provenir tant d'efficacité à si peu de paroles ? C'est que ce saint prédicateur, semblable au prophète Élie, était comme un charbon embrasé , et ses paroles comme un flambeau ardent ( Eccli. 48. ). Nous avons les discours de S. Vincent, de S. Bernardin et de quelques autres saints qu'on ne daigne pas lire à cause de leur simplicité ; et nous savons cependant que ces sermons ont converti à Dieu plusieurs milliers d'âmes , et qu'on y affluait de toutes parts ; pourquoi? parce que ces paroles, toutes simples qu'elles étaient , sortaient d'un cœur enflammé, dont les étincelles se répandaient sur les auditeurs.

Or, ce feu divin n'a pas été moins efficace en oeuvres qu'en paroles. Dieu résolut de subjuguer, par l'apôtre St. Pierre, la capitale du monde, la maîtresse des nations : il résolut aussi d'envoyer les autres apôtres, les uns en Éthiopie, les autres dans les Indes, dans la Scythie, et jusqu'au fond de l'Angleterre , pour y renverser les idoles , y ériger les trophées de la croix, changer les lois et les coutumes , et détruire la tyrannie du démon. Si quelqu'un avait prédit cela aux apôtres lorsqu'ils prêchaient sur le lac de Nazareth , ou dans le temps de la passion de leur divin Maître , ils auraient pris cette prophétie pour un songe ou pour un conte de vieille : et cependant peu de temps après tout s'exécuta , sans autres secours que ceux de l'ardente charité que l'Esprit-Saint avait allumée dans leurs coeurs. Car la charité bannit la crainte, elle souffre tout , elle espère tout; elle croit que tout lui est possible, et dit avec St. Paul : Je puis tout en celui qui me fortifie; aussi nous voyons, par ces hommes armés de la seule charité, l'idolâtrie renversée dans tout l'univers ; les églises de Jésus-Christ s'élever en tous lieux , et la croix arborée dans tous les royaumes, sans qu'il ait été besoin d'employer la force des armes ni aucun moyen humain.

5° Le feu amollit le fer et le rend propre à être aminci et laminé , et à prendre toutes les formes qu'il plaît a l'ouvrier de lui. donner. Cette propriété est admirable, il est vrai; mais la puissance de Dieu sur des coeurs endurcis et obstinés l'est bien davantage. Écoutez ce que dit St. Bernard ( De consideratione , lib. 1. c. 2. ) : « Le cœur dur est celui qui , après avoir perdu tout sentiment , n'a plus horreur de lui-même. Qu'est-ce-donc qu'un coeur dur ? c'est celui qui n'est pas brisé par la componction , ni amolli par la piété, ni touché par les prières , qui ne cède point aux menaces, qui s'endurcit aux coups, qui n'a que de l'ingratitude pour les bienfaits, et de l'infidélité pour les conseils qu'il reçoit.... C'est celui qui ne craint ni Dieu, ni les hommes. »

Tel fut le coeur de Pharaon, qui s'endurcissait davantage , à mesure que Dieu l'accablait de nouveaux malheurs ; et qui témoignait d'autant plus de mépris à Dieu , que sa clémence paraissait grande dans la cessation des fléaux. Mais lorsqu'il plaît à Dieu de jeter une étincelle du feu de son amour dans un cœur quelque dur qu'il soit, aussitôt il s'amollit comme la cire, et bientôt l'on voit céder à cette vertu divine l'obstination la plus dure et la plus invétérée. Ce coeur de pierre devient un coeur de chair, le souffle de l'Esprit-Saint fond. cette glace, et les eaux de la pénitence coulent abondamment. Voyez la pécheresse de l'Évangile : ni les avis d'un frère , ni les reproches d'une soeur , ni l'honneur de la famille, ni sa propre réputation n'avaient pu la détourner du péché ; mais à peine un rayon de la grâce de Jésus-Christ a pénétré dans somme pour y allumer le feu de son amour, que tout-à-coup elle est changée à un tel point qu'elle ne rougit pas d'aller , au milieu d'une assemblée et d'un festin, se jeter aux pieds de Jésus-Christ, et toute fondant en larmes , en laver les pieds de son Sauveur , les essuyer de ses cheveux , les baiser amoureusement, y répandre un parfum précieux , pour signifier qu'elle se consacrait il avec tous ses biens , au service de son nouveau maître. Aussi mérita-t-elle d'entendre ces paroles de Jésus-Christ : Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a aimé beaucoup (Luc. 7. ). Citons un autre exemple beaucoup plus récent. Du temps de saint Bernard on vit Guillaume , duc d'Aquitaine, protéger obstinément Anaclet, pontife schismatique , contre innocent qui était pape légitime. Il avait chassé de ses États tous les évêques catholiques, et avait fait serment de ne jamais se réconcilier avec eux. Connaissant son endurcissement et redoutant sa férocité, il ne se trouvait personne qui osât l'avertir; mais il plut à la divine bonté d'employer saint Bernard pour pénétrer dans ce coeur endurci , et y jeter une aussi forte étincelle du feu de l'amour divin qu'aussitôt de lion il devint agneau , d'orgueilleux il devint humble, et que son obstination fit place à la soumission la plus parfaite. Une seule parole de saint Bernard lui fit rappeler l'évêque de Poitiers, qu'il embrassa affectueusement et rétablit sur son siége ; et ce qui est plus admirable encore , c'est qu'ayant prié un ermite de lui indiquer un moyen de sanctifier son âme après avoir commis tant de péchés , et celui-ci lui ayant ordonné de mettre sur son corps nu une cuirasse d'airain , et de l'attacher de manière à ne pouvoir plus l'ôter, il lui obéit sans répliquer. L'ermite l'ayant obligé de recourir au souverain pontife pour obtenir l'absolution de ses crimes, il obéit encore i et comme le souverain Pontife, doutant de la sûreté de sa pénitence ou voulant l'éprouver , l'eut envoyé à Jérusalem pour être absous par le patriarche de cette ville , Guillaume se met en route, et accomplit l'ordre du pape. Enfin de prince puissant qu'il était , s'étant fait moine , il l'emporta sur presque tous ceux de son temps par sa modestie, son détachement , sa patience , sa pauvreté et sa piété. Tel est le changement qu'opère la droite du Tout-Puissant ! tel est le pouvoir de ce feu divin à qui nulle obstination ne pourrait résister.

6° Enfin une dernière propriété du feu est de rendre léger ce qui était pesant, et de pouvoir le manier avec plus de facilité. Pourquoi ceux quine brûlent point de l'amour divin ont-ils le cœur pesant, et méritent-ils que le Prophète leur adresse ce reproche : Enfants des hommes, jusqu'à quand aurez-vous le cœur appesanti ? Pourquoi aimez-vous la vanité et cherchez-vous le mensonge ? C'est parce que le corps qui se corrompt appesantit  l’âme (Sap.9 15.), et qu'un joug pesant accable les en fans d'Adam depuis le jour qu'ils sortent du ventre de leur mère, jusqu'au jour de leur sépulture, où ils rentrent dans la terre qui est la mère commune de tous (Eccli. 40. 1.). Le même auteur inspiré explique quel est ce joug pesant qui appesantit l'âme, lorsqu'il ajoute que la fureur, la jalousie, l'incertitude , la crainte, la colère et les autres passions sont ce joug qui est si pesant ; il appesantit l'homme à un tel point qu'il ne voit que la terre à laquelle il semble incorporé ; étant incapable de chercher Dieu , ni de courir dans la voie de ses commandements. Mais à peine ce feu divin descend-il dans le cœur humain qu'il calme les passions , les mortifie , et commence à rendre le joug plus léger ; si l'ardeur de ce feu vient à s'accroître, le cœur humain en est si soulagé , qu'il prend son essort comme la colombe, et va établir sa conversation dans le ciel : Nostra conversatio in caelis est. Ce cœur dilaté par le feu s'écrie avec David : J’ai couru dans la voie de vos commandements, dès que vous avez dilaté mon coeur. Et assurément après que le Sauveur eût dit : Je suis venu apporter le feu sur la terre, et que veux-je sinon qu'il brûle, l'on a vu des chrétiens devenus tellement détachés qu'ils ont abandonné les honneurs , les plaisirs et les richesses , pour pouvoir dire à Jésus -Christ qui remontait aux cieux : Tirez-nous après vous : Trahe nos post te. C'est de cette époque que datent tant de monastères, et que l'on commença d'habiter tant de déserts , qu'il se forma tant de choeurs de vierges, qui trouvèrent facile, non-seulement de courir dans la voie des commandements, mais de s'élever à la perfection par l'observation des conseils, et de suivre l'Agneau partout où il porterait ses pas.

O bienheureux feu, qui, non content de consumer, illuminez ; et qui ne consumez que ce qu'il y a de pernicieux en nous , pour nous conserver la vie ! quel bonheur pour moi, si

je suis purifié par ce feu , qui purgera et détruira l'obscurité de mon ignorance, et, par la lumière de la vraie sagesse, réformera ma conscience erronée ; qui fera cesser le froid de la paresse, de l'indévotion et de la négligence, pour faire régner en leur place les flammes de l'amour divin ; qui ne permettra jamais à mon coeur de s'endurcir, mais qui l'amollira toujours par sa chaleur et le rendra obéissant et dévot; qui détruira enfin le joug pesant des sollicitudes et des désirs terrestres, par les ailes d'une sainte contemplation , nourrira et augmentera la charité, élèvera mon coeur, en sorte qu'il puisse dire avec le Prophète : Remplissez de joie l’âme de votre serviteur, parce que j'ai élevé mon âme vers vous, Seigneur (Ps. 85. 3. ).

 

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SEPTIÈME DEGRÉ. Considération du ciel, c'est-à-dire du soleil, de la lune et des étoiles.

 

Nous n'aurons pas de peine ici à nous élever a Dieu par la considération du ciel , car nous avons pour guide le Prophète royal qui dit que les cieux racontent la gloire de Dieu , et le firmament publie sa puissance qui éclate dans les ouvrages de ses mains; et parce qu'il y a deux temps pour nous élever à Dieu sur les ailes de la contemplation , savoir: le jour et la nuit , le Prophète ajouté que ce Dieu si grand et si admirable a particulièrement établi sa tente dans le soleil , qu'il fait particulièrement éclater sa gloire et sa majesté dans la splendeur de ce bel astre qui, semblable à un époux sortant de sa chambre nuptiale , parait tout brillant de lumière dans son orient , et part avec ardeur pour courir, comme un géant dans sa carrière. Il part, de l'extrémité du ciel , et va jusqu'à l'autre extrémité répandant ses biens et sa lumière sur tous les hommes ; en sorte qu'il n'y a personne qui se cache à sa chaleur; et en parlant de la nuit, il dit : Je considère vos cieux, qui sont les ouvrages de vos doigts, la lune et les étoiles que vous avez affermis.

Commençons à parler du premier temps. L'Esprit-Saint par la bouche de David dit quatre choses du soleil qui préside au jour 1° qu'il est te tabernacle de Dieu ; 2° qu'il est très-beau ; 3° qu'il décrit sa course avec vélocité , sans éprouver de fatigue; 4° qu'il nous fait sentir surtout ses influences par sa lumière et par sa chaleur. L'Ecclésiastique ( 43. 2. 5. ) réunit toutes ces qualités dans l'éloge qu'il en fait : C'est , dit-il , le vase admirable de la puissance du Seigneur , l'ouvrage exquis dit Très-haut... Le Seigneur qui l'a créé est grand.

D'abord Dieu, créateur de toutes choses, a établi son tabernacle dans le soleil, comme dans un lieu très-convenable à sa grandeur; c'est-à-dire que, parmi les choses corporelles, Dieu a choisi le soleil pour y habiter comme dans un palais royal , ou un sanctuaire divin : à la vérité Dieu remplit le ciel et la terre , et le ciel et les cieux des cieux ne peuvent le contenir ; cependant on         dit qu'il habite plus particulièrement là où il manifeste davantage sa présence par les merveilles de ses oeuvres. Et parce que nous lisons dans l'hébreu que Dieu a placé son tabernacle dans le soleil qui est dans les cieux : Soli posuit tabernaculum in eis, nous découvrons, par ce passage , une autre excellence du soleil qui ne contredit point la première. Le soleil est un grand astre, pour qui Dieu a préparé un palais très-vaste ,         très-beau et très-élégant; car il a voulu que le ciel fût le palais du soleil , où il pût promener et opérer librement ; et que le soleil à son tour fût le palais de Dieu qui est le souverain Seigneur. De même donc que nous connaissons la grandeur et l'éminence du soleil , en ce que son tabernacle est le ciel; de même aussi nous nous faisons une idée de la grandeur et de l'éminence de Dieu , en ce que le soleil est sa demeure , vase vraiment admirable et qui n'a rien de semblable dans les choses corporelles.

Ensuite David , voulant nous montrer la grande beauté du soleil par une comparaison, se sert de celle d'un époux qui sort de

 

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sa chambre nuptiale : en effet , les hommes ne prennent jamais mieux le soin de s'orner , ils' ne désirent jamais tant faire parade de leur beauté, que lorsqu'ils deviennent époux; car alors ils souhaitent ardemment de plaire à une épouse qu'ils aiment avec passion. Mais si nos yeux pouvaient fixer le soleil; si nous étions plus près de lui, et que nous vissions tous cet astre , combien il est grand et comment il est fait , nous n'aurions pas besoin de la comparaison d'un époux pour nous faire une idée de son incroyable beauté. Assurément toute beauté des couleurs dépend de la lumière , et elle s'évanouit   dés que la, lumière disparaît ; ainsi rien n'est plus beau que la lumière , et Dieu , qui est la beauté même , a voulu prendre le nom de lumière : Deus lux est, et tenebrae in eo non sont ullae (I. Joan. 1.). Or, parmi les choses corporelles, rien n'est plies brillant que le soleil , et, par la même , rien n'est plus beau. Ajoutez que la beauté des choses inférieures, et surtout celle des hommes, disparaît bientôt, tandis que celle du soleil ne s'éteint jamais , jamais ne souffre de diminution ; son éclat reste toujours le même. Ne voyons-nous pas qu'au lever du soleil toute la nature semble se réjouir ? Ce ne sont pas seulement les hommes qui ressentent cette joie, mais vous entendez encore le souffle des doux zéphyrs; les fleurs ouvrent leur calice; les plantes reprennent leur accroissement ; les oiseaux font entendre dans l'air une douce mélodie. De là vient que Tobie, frappé de cécité , répondit à l'ange, qui l'invitait à se réjouir: Quelle joie puis-je ressentir, moi qui suis privé de la vue et quine vois jamais la lumière du ciel (5.)

Prenez donc courage, ô, mon âme , et dites . Si le soleil créé réjouit toute la nature lorsqu'il paraît , quelle joie n'apportera pas le soleil incréé , incomparablement plus. beau et plus brillant, quand il se montrera à ceux qui ont le coeur pur, non pour un peu de temps, mais pour se laisser contempler éternellement ! Combien lamentable sera le sort des méchants, lorsqu'ils seront ensevelis dans des ténèbres éternelles, où jamais ne pénétrera un seul rayon ni du soleil matériel, ni du soleil incréé ! Et quelle sera la joie de cette âme à qui le Père des lumières adressera ces consolantes paroles : Entrez dans la joie de votre-Seigneur (Matth. 25. ) !

2° Ensuite le même prophète décrit la course admirable du soleil : Il part avec ardeur pour courir comme un géant clans sa carrière. Un géant robuste a bientôt parcouru un long espace , lorsqu'il veut faire usage de sa force et de l'avantage que lui donne sa taille extraordinaire ; et le prophète , après avoir comparé le soleil à l'époux qui vient de se parer, pour en faire comprendre la beauté, a recours à un géant pour exprimer, comme il peut, combien est accélérée la course du soleil : mais eût-il comparé la vélocité de cet astre au vol de l'oiseau , à la rapidité de la flèche , du vent ou de la foudre , encore il a'en aurait pas dit assez. Car, d'après un système assez répandu , le soleil parcourt son orbite dans vingt-quatre heures; l'orbite du soleil est, pour ainsi dire, infiniment plus grande que la circonférence de la terre (puisqu'il en est séparé par trente-deux millions de lieues); cependant la terre a environ, neuf mille lieues de circonférence : d'où il suit qu'à chaque heure, à chaque instant, le soleil parcourt plusieurs milliers de lieues. Car si quelqu'un veut observer le lever ou le coucher du soleil, sur un horizon bien découvert , comme , par exemple, sur la mer , ou dans une vaste plaine, il remarquera que le disque de cet astre monte sur l'horizon dans moins de huit minutes, et cependant le diamètre du soleil est beaucoup plus grand que celui de la terre qui est néanmoins de trois mille lieues. Voulant moi-même (Bellarmin ) connaître en combien de temps le soleil disparaîtrait sous l'horizon , sur mer, je commençai à lire le Miserere mei, et à peine l'eus-je lu deux fois qu'il eut disparu. Il faut donc que dans l'espace de temps nécessaire pour lire deux fois le Miserere, le soleil en parcoure un beaucoup plus grand que celui du diamètre de la terre. Qui le croirait, si l'expérience ne le démontrait? Si nous ajoutons maintenant que la tuasse de cet astre, qui court si vite, est beaucoup plus grande que celle de la terre , et que le mouvement d'un si grand corps , qui se meut avec tant vitesse, se fait sans interruption et sans lassitude , et qu'il continuerait éternellement si Dieu le voulait ; nous ne pouvons nous empêcher d'admirer la puissance infinie du Créateur. Ce soleil est véritablement, comme dit l'Ecclésiastique , un vase admirable , l'ouvrage du Très-Haut , et le Seigneur qui ha fait est véritablement grand (43).

3° Il nous reste à parler des effets de la lumière et de la chaleur du soleil , qui répand ses influences sur toute la nature : Nec est qui se abscondat à colore ejus. Ce corps lumineux , placé au centre du monde , éclaire les astres , l'air, la mer et la terre ; sa chaleur vivifiante fait germer les plantes , croître et mûrir les moissons et les fruits de toute espèce. Ses influences pénètrent jusque dans les entrailles de la terre pour y produire les métaux de toute espèce. Aussi St. Jacques , au commencement de son Épître , compare Dieu au soleil: Toute grâce excellente , dit-il (1. 17. ) , et tout don parfait vient d'en-haut, et descend du Père des lumières, qui ne peut recevoir ni de changement , ni d'ombre par aucune révolution. Le soleil est,à la vérité,le père des lumières corporelles; Dieu est le père des lumières spirituelles. Mais il y a trois grandes différences entre Dieu et le soleil. D'abord le soleil a besoin d'une transmission perpétuelle pour remplir la terre de sa lumière et de sa chaleur ; tandis que Dieu , qui est tout en tous lieux, n'en a pas besoin, comme l'assure St. Jacques : Apud quem non est transmutatio. Ensuite le soleil dans sa course donne alternativement le jour et la nuit, la lumière et les ténèbres. Mais Dieu ne change jamais; il est toujours présent à tout; il n'y a point en lui d'ombre par aucune révolution. Enfin, ce qui est le plus digne d'attention , le soleil, père           des lumières corporelles, fait croître tout sur la terre ; mais ces biens terrestres ne sont ni excellents, ni parfaits; ce sont plutôt des biens de peu de valeur , temporels , caducs; ils ne rendent pas l'homme bon ; il peut en faire un mauvais usage, et plusieurs s'en servent pour leur perte. Mais de Dieu , père des lumières spirituelles, procèdent tous les dons excellents et parfaits ; ils rendent meilleurs ceux qui les possèdent; personne ne peut en faire un mauvais usage; ils conduisent à la vraie félicité où se trouvent réunis tous les biens.

Cherchez donc , ô mon âme , ces dons excellents , ces dons parfaits qui viennent d'en-haut, et descendent du Père des lumières; et quand vous les aurez découverts , ne les perdez pas de vue et ne négligez rien pour les obtenir. Mais ces biens ne sont pas loin de vous la nature du soleil va vous l'apprendre. Le soleil en effet opère tous ses effets par sa lumière et par sa chaleur ; en sorte que les dons du père des lumières corporelles sont la lumière et la chaleur. Ainsi les biens excellents et les dons parfaits qui viennent d'en-haut et descendent du vrai Père des lumières qui est Dieu, sont la lumière de la sagesse et la règle de la charité. La lumière de la sagesse , qui rend vraiment sage , dont personne ne peut mal user, et qui conduit à la source de la sagesse dans la céleste patrie, est cette lumière qui apprend a mépriser les choses temporelles et a estimer beaucoup les biens éternels ; elle nous apprend à mettre notre confiance dans le Dieu vivant , et non dans les richesses incertaines et périssables (I. Tim. 6. 17. ). Elle nous apprend à ne pas chercher notre patrie dans un lieu d'exil , à ne pas aimer notre pèlerinage, mais à nous y résigner ; enfin elle nous apprend a souffrir avec patience cette vie pleine de périls et de tentations , et a désirer la mort, parce qu'il est écrit que ceux qui meurent dans le Seigneur sont heureux : Beati qui in Domino moriuntur (Apoc. 14. ).La règle de la vraie charité, c'est d'aimer Dieu , qui est le but de tous nos désirs, et de l'aimer sans fin et sans mesure ; et pour les autres choses, qui sont des moyens pour parvenir à notre fin dernière, de les aimer avec poids et mesure, c'est-à-dire, autant qu'elles nous sont nécessaires pour atteindre cette fin qui est la béatitude. Parmi les enfants des hommes vous ne trouverez certainement personne qui, dans les soins de son corps, intervertisse l'ordre établi ; en sorte qu'il aime la santé avec mesure, et une potion amère sans mesure, sachant que la santé est la fin, tandis que les remèdes ne sont que le moyen d'avoir la santé. Comment se fait-il donc que tant de prétendus sages ne se lassent jamais de ramasser des richesses, de chercher des plaisirs, d'obtenir des honneurs, comme si ces biens étaient la , fin que doit se proposer le coeur de l'homme ; tandis qu'ils restent tranquilles au milieu du péril que court leur salut , sans s'exciter à l'amour de Dieu , ni à la recherche du bonheur éternel, comme si cet amour et cette recherche n'étaient qu'un moyen pour conduire a cette heureuse fin, et non la fin elle-même ? C'est pour cela qu'ils n'ont que la sagesse de ce monde au lieu de la sagesse d'en-haut , qui descend du Père des lumières ; et parce que leur charité est désordonnée , ils n'ont point la vraie charité qui consiste dans l'ordre; mais ils sont dominés par la cupidité , qui vient du monde et non du Père céleste. Pour vous, ô mon âme , pendant votre pèlerinage , au milieu de tant d'ennemis qui voudraient, après vous avoir fait perdre la vraie sagesse et la vraie charité, leur substituer la fraude et la cupidité , poussez ; du fond du coeur, vos gémissements vers le Père des lumières; priez-le de faire descendre dans votre âme les dons parfaits qui sont la lumière de la sagesse , et les saintes ardeurs d'une charité bien réglée afin que, en étant remplie, vous puissiez courir sans danger dans la voie de ses saints préceptes , et parvenir à cette fortunée patrie où l'on se désaltère à la source de la sagesse, et où l'on vit du lait pur de la charité.

4° Nous allons parler maintenant du temps de la nuit , où le ciel, par le moyen de la lune et des étoiles , nous offre un nouveau degré d'ascension vers Dieu. Voici comment s'exprime David à ce sujet (Ps. 8. 4.) : Je considère les cieux qui sont l'ouvrage de vos doigts; la lune et les étoiles, que fous avez affermies. Si nous pouvions voir le ciel même, le Prophète ne dirait pas, comme pour expliquer sa pensée: La lune et les étoiles que ,vous avez affermies. Et assurément si nos sens pouvaient pénétrer jusque dans le ciel , ou connaître exactement sa nature et ses qualités, nous aurions alors un beau moyen pour nous élever à Dieu. Nous savons que certains savants ont, d'après le mouvement des étoiles, regardé le ciel comme un cinquième élément d'une nature simple, incorruptible, et dans un mouvement perpétuel ; mais nous savons aussi que d'autres ont prétendu que le ciel est l'élément du feu , qu'il n'a pas de mouvement circulaire , et que ses parties ne sont pas incorruptibles. Pour nous , renonçant aux opinions, nous cherchons la science certaine de la foi , pour en construire une échelle solide qui nous élève à la connaissance de Dieu. Nous nous contenterons donc ici de considérer la lune et les étoiles que nous voyons , pour atteindre notre but ; comme nous nous sommes contentés de l'inspection du soleil, qui est une lumière et le principe des autres lumières.

La lune a deux propriétés pour nous élever à Dieu. La première consiste en ce que plus elle approche du soleil, plus elle est éclairée dans sa partie supérieure , qui regarde le ciel , et plus elle est obscurcie dans la partie inférieure qui regarde la terre; au contraire , lorsqu'elle est en opposition avec le soleil , elle apparaît toute lumineuse à ceux qui habitent la terre , tandis que les habitants du ciel la voient dépourvue de clarté dans sa partie supérieure. Cette propriété de la lune offre aux mortels une instruction qui a son prix , et leur fait sentir combien il leur importe de s'approcher, de se soumettre et de s'unir à Dieu, le Père des lumières. La lune désigne l'homme, et le soleil représente Dieu. Tant que la lune est opposée au soleil, elle ne regarde que la terre, quoique sa lumière lui vienne du soleil , et elle tourne en quelque sorte le dos au ciel; de là vient aussi qu'elle paraît très-belle aux habitants de la terre, tandis qu'elle. est difforme à ceux du ciel. C'est ainsi que 1'homme qui s'éloigne de Dieu , comme l'enfant prodigue qui voulut quitter son père pour aller dans une région lointaine , abuse de la lumière de la raison qu'il avait reçue du Père des lumières , pour ne considérer que la terre; et oubliant Dieu , il ne pense qu'à la terre , il n'aime que la terre , et ne s'occupe qu'à ramasser les biens . de la fortune. Alors il est proclamé sage et heureux par les enfants du siècle ; mais ceux qui habitent le ciel le jugent pauvre , nu , défiguré , malheureux et très-misérable. Au contraire , tandis que la lune est en conjonction avec le soleil, elle lui est parfaitement soumise , elle est toute brillante dans sa partie supérieure , et elle aie regarde que le ciel ; tandis qu'elle tourne le dos en quelque sorte à la terre, et disparaît entièrement aux yeux de ses habitants. C'est encore ici exactement ce qui arrive à l'impie qui commence à devenir pieux , et à se soumettre humblement, par une parfaite conversion, à Dieu, vrai soleil des âmes , et à s'unir à lui par la charité ; alors il accomplit ce que recommande l'Apôtre , en recherchant ce qui est au-dessus de lui dans le ciel , là où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu, et n'ayant de goût et d'affection que pour les choses d'en-haut, et non pour celles de la terre ( Col. 3. 1. ) : alors il est méprisé par les insensés, et regardé comme un homme mort. Car agir ainsi, c'est vraiment mourir au monde, pour mener une vie cachée en Dieu avec Jésus-Christ ; mais lorsque Jésus-Christ, qui est sa vie , apparaîtra, alors il paraîtra aussi lui-même avec Jésus-Christ dans sa gloire , comme ajoute le même apôtre.

Voilà pourquoi , selon que le remarque St. Augustin , la Pâque, tant sous la loi ancienne que sous la loi nouvelle, ne pouvait se célébrer qu'après la pleine lune , c'est-à-dire , lorsque la lune commençait à reprendre sa conjonction avec le soleil, dont elle s'était éloignée dans son plein. Car Dieu a voulu par ce signe céleste démontrer que, par la passion et la résurrection du Seigneur, l'homme, opposé à Dieu par son iniquité , commencerait à se tourner vers lui , et à rechercher avec empressement sa grâce et son union par les mérites de Jésus-Christ.

Mais vous , ô mon âme , si , par l'attrait de la grâce de Dieu , vous vous trouvez soumise au Père des lumières par une vraie humilité , et heureusement unie par une ardente charité , n'imitez pas les insensés qui changent comme la lune , mais modelez-vous sur les sages qui sont stables comme le soleil (Eccli 27. ). Car la lune s'éloigne aussi promptement du soleil , qu'elle s'en était approchée. Pour vous , si vous êtes sage, conservez précieusement la grâce , ne l'abandonnez point, ne vous en éloignez point ; nulle part vous ne trouverez rien de meilleur; en l'abandonnant volontairement, qui sait s'il vous sera possible de la recouvrer ? Celui qui a promis le pardon aux pénitents et la grâce à ceux qui reviennent à lui , ne vous a promis ni de prolonger votre vie , ni de vous accorder le don de la pénitence. Tournez donc avec assurance le dos à la terre; regardez le soleil de justice ; reposez-vous, complaisez-vous en lui , et ne vous en détournez jamais. Dites avec S. Pierre : Il fait bon ici : Bonum est nos hic esse; et avec St. Ignace, martyr : Il est plus avantageux pour moi de vivre avec Jésus-Christ , que de régner sur tout l'univers; ne vous inquiétez point du jugement que porteront de vous les amateurs de ce monde car ce n'est pas celui que le monde loue, qui mérite d'être loué; mais c'est celui qui est approuvé de Dieu.

5° Une autre fonction de la lune est aussi celle de Dieu envers ses élus. La lune préside a la nuit , comme le soleil préside au jour, selon ce que dit Moïse dans la Genèse, et David dans les Psaumes. Mais le soleil répand toute sa lumière sur le jour, tandis que la lune n'éclaire la nuit que d'une manière inégale ; répandant tantôt une grande lumière , tantôt une pâle lueur ; et d'autres fois elle l'abandonne aux plus épaisses ténèbres. C'est ainsi que Dieu , comme un soleil, éclaire d'une lumière perpétuelle les anges et les saints. Il est pour eux un jour perpétuel. Quant à nous, durant notre pèlerinage et notre exil , où nous marchons à la lueur du flambeau de la foi, et non de la réalité , gui  dés par les saintes Écritures comme par une lampe placée dans un lieu ténébreux, selon l'expression de S. Pierre, Dieu , comme l'astre de la nuit, vient et éclaire nos âmes a diverses époques, et d'autrefois il les laisse dans les ténèbres de la désolation. Cependant, ô mon âme , vous ne devez pas trop vous affliger , lorsque vous êtes privée de consolations ; ni trop vous réjouir si , peu après , vous êtes consolée et fortifiée par la lumière divine. Car, dans la nuit de ce siècle, Dieu agit envers nous comme falune, et non comme le soleil ; encore apparaît-il a nous faibles et imparfaits, tantôt comme la lune dans son plein , par ses divines consolations; tantôt sans lumière , nous abandonnant aux horreurs et aux plus épaisses ténèbres de la nuit ; car l'apôtre S. Paul , ce vase d'élection, qui , ravi jusqu'au troisième ciel , y entendit des paroles mystérieuses qu'il n'est pas donné h l'homme d'exprimer , dit tantôt qu'il est rempli de consolation et inondé de joie dans toutes ses tribulations, tantôt qu'il gémit et se lamente en disant : Je sens dans les membres de mon corps une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit , et qui me rend captif sous la loi du péché qui est dans les membres de mon corps. Malheureux homme que je suis ! qui me délivrera de ce corps de mort ( Rom. 7. 23. ) ? Je suis bien aise, mes frères, que vous sachiez l'affliction qui nous est survenue en Asie , qui a été telle que les maux dont nous sommes accablés , ont été excessifs et au-dessus de nos forces, jusqu'à nous rendre même la vie ennuyeuse (II Cor. 1. ). Saint Jean Chrysostome nous le fait com. prendre , lorsqu'il nous dit que Dieu se conduit envers les saints, de manière à ce qu'ils n'éprouvent ni des tribulations, ni des consolations continuelles ; mais il entremêle la vie des justes d'une variété admirable d'adversités et de prospérités.

6° Les étoiles sont un autre ornement du ciel : Species caeli gloria stellarum (Eccli. 43. 10.). C'est le Seigneur qui par elles éclaire le monde durant la nuit, et qui y répand la lumière des cieux les plus hauts ( Ibid. ) : car toute la beauté des étoiles , comme celle de la lune, vient du Père des lumières , et ce n'est pas le soleil durant le jour, ni la lune et les étoiles pendant la nuit ,qui éclairent le monde; mais c'est le Seigneur , qui habite dans les hauts lieux , qui se sert du soleil, de la lune et des étoiles pour éclairer le monde de sa propre lumière. Car c'est lui-même, dit le prophète Baruch ( 3. 33. ) , qui envoie la lumière, et elle part aussitôt; qui l'appelle, et elle obéit avec tremblement; les étoiles, à ses ordres , ont répandu leur lumière chacune en sa place , et elles ont été dans la joie en lui obéissant. Dieu les a appelées, et elles ont dit: Nous voici; et elles ont pris plaisir a luire pour obéir à celui qui les a créées. Ces expressions nous font connaître la puissance infinie de Dieu qui a produit en un moment, avec une facilité incroyable, des corps :si vastes et si beaux, qui les orne et les fait mouvoir. Appeler, signifie, en Dieu, créer, produire; car il appelle ce qui n'est pas encore , et en l'appelant il lui donne l'être. Et lorsque les étoiles répondent : Nous voici, adsumus, elles ne font autre chose que d'exister et de le mouvoir à la voix du Tout-Puissant ; cette existence, le mouvement , est leur parole , leur réponse. Lorsque le prophète dit qu'elles ont répandu leur lumière avec joie en obéissant a leur Créateur, il a voulu dire qu'elles obéissent avec autant de promptitude et de facilité que si elles ressentaient de la joie en exécutant les ordres de leur maître. Mais ce qu'il y a d'admirable dans les étoiles , c'est que malgré leur mouvement très-rapide , et quoiqu'elles ne s'arrêtent jamais dans leur course précipitée ; quoiqu'elles décrivent leur orbite, les unes avec moins, les autres avec plus de vitesse , elles se tiennent cependant a la distance marquée entre elles si exactement, qu'il en résulte un concert harmonieux et des plus admirables : Qui racontera toute la conduite des cieux , dit Job (38.), et qui pourra faire cesser l'harmonie du ciel ? Cette harmonie ne consiste point dans des paroles ou des sons, qui frappent les oreilles du corps; mais c'est le coeur qui est frappé de cet accord de proportion dans le mouvement des astres. Car les étoiles du firmament parcourent toutes ensemble avec la même vélocité , en vingt-quatre heures , toute l'orbite du ciel , tandis, que les sept planètes , qu'on appelle étoiles errantes , par leurs différents mouvements , les uns plus accélérés , les autres plus lents , semblent faire un concert avec les étoiles du firmament, les unes faisant , pour ainsi dire, la basse, et les autres un contre-point continuel et très-mélodieux. Mais ces prodiges sont trop au-dessus de notre faible intelligence, et ce concert ne peut être entendu que par ceux qui , placés dans le ciel, comprennent l'ordre de cet admirable mouvement. M parce que les étoiles , en gardant leurs distances entre elles, ne se fatiguent jamais dans leurs mouvements perpétuels, on peut les comparer à un choeur de jeunes vierges , à cause de cette agréable cadence avec laquelle elles exécutent sans cesse dans le ciel leurs mouvements si variés.

Pour vous , ô mon âme , élevez plus haut vos pensées si vous pouvez ; et après avoir considéré la splendeur du soleil , l'éclat de la lune , la beauté et la variété des étoiles , l'admirable concert des cieux, l'agréable cadence des étoiles, pensez ce que ce sera de voir,  dans ciel, Dieu , soleil de justice , qui habite une lumière inaccessible ; cette Vierge , reine du ciel , belle comme la lune , qui réjouit toute la maison de Dieu ; ces choeurs et ces ordres de plusieurs millions d'anges , qui plus nombreux et plus brillants que les étoiles, ornent et embellissent ce ciel des cieux ; ces âmes bienheureuses , associées aux choeurs des anges, et mêlées comme des planètes aux étoiles du firmament. Et quel plaisir d'entendre ces cantiques de louanges , et cet alleluia éternel :qu'un concert mélodieux fait retentir agréablement sur les places de la cité bienheureuse ! Alors la beauté même du ciel, que nous apercevons ici-bas, vous paraîtra peu de chose ; et vous regarderez tout ce qui est au-dessous du ciel , sur la terre , comme petit , presque nul , et par là même digne de mépris.

 

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HUITIÈME DEGRÉ. Considération de l'âme raisonnable.

 

1° Après avoir parcouru jusqu'à présent toutes les choses corporelles pour nous élever jusqu'au Créateur, en les considérant selon les vues de l'esprit; nous allons maintenant considérer l'âme, qui est, par sa dignité, supérieure à tout ce qui est corporel, quoique placée au dernier degré parmi les autres substances spirituelles qui sont Dieu et les anges.

Or l’âme humaine a une telle ressemblait avec Dieu qui l'a créée, que je doute s’il peut y avoir un autre moyen plus facile de nous élever à Dieu, que celui que nous fournit la considération de cette substance spirituelle qui est la principale partie de nous-mêmes. C'est pourquoi Dieu a voulu que l'homme fût inexcusable de ne pas le connaître , puisque, aidé de son secours, il pouvait puiser facilement cette connaissance dans la connaissance de son âme.

D'abord notre âme est un esprit : Le Seigneur Dieu forma l'homme du limon de la terre , et il répandit sur son visage un souffle de vie ( Gen. 2. 7. ). Commandez que mon âme soit reçue en paix , disait Tobie à Dieu (3. 6. ) , que la poussière rentre dans la terre d'où elle avait été tirée, et que l'esprit retourne à Dieu qui l'avait formé ( Eccli. 12.7.). Quoique le mot esprit signifie aussi le vent dans plusieurs endroits de l'Écriture (Ps. 148 et Joan. 3.) , parce que le vent par sa subtilité se rapproche , plus qu'aucun autre corps, de la nature des esprits , c'est cependant, c'est vraiment l'âme humaine qui est spirituelle, indépendante de la matière , elle est créée de Dieu c'est , d'ailleurs , une vérité de foi qu'un homme se garde bien de contester.

C'est donc ici que commence l'excellence de l’âme, et ses ressemblances avec Dieu. Car Dieu esprit et vérité, et ainsi il faut que ceux l'adorent , l'adorent en esprit et en vérité ( Joan. 4. 24. ). Mais quoique notre âme un esprit comme Dieu est un esprit , cependant Dieu est un esprit incréé et créa tandis que l'âme est un esprit créé ; d’où il suit qu'il y a une distance infinie mire un esprit qui est âme, et l'esprit qui est Dieu ; et par conséquent si l'âme doit se jouir d'être une substance spirituelle, et en cela d'une nature plus élevée que le ciel et les astres , d'une autre part elle doit s'humilier et se soumettre à Dieu qui l'a tirée du néant, et reconnaître que d'elle-même elle n'est rien.

2° Notre âme étant un pur esprit, est par là même immortelle ; car il n'y a rien en elle qui soit sujet à la corruption , ni à la mort ; mais si cette prérogative l'élève au-dessus de l'âme des brutes, qui périt avec leur corps, elle doit aussi contempler et admirer l'excellence de son Créateur, qui est non-seulement immortel , mais éternel. Il fut un temps où notre âme n'existait pas ; elle reçut l'être du seul bon plaisir de Dieu , qui pourrait l'anéantir avec la même facilité qu'il l’a créée, quoiqu'elle n'ait aucun principe de corruption. C'est donc avec raison que l'Apôtre attribue à Dieu seul l'immortalité : Qui solos habet immortalitatem ( 1. Tim. 6. ) ; car il est le seul qui ne peut être détruit pari aucune force , par aucun accident , ni par; aucun moyen quelconque , étant l'être , la vie, la source de l'être et celle de la vie.

3° Notre âme est douée d'intelligence. Elle connaît non-seulement les couleurs,les saveurs, les odeurs, les sons , la chaleur et le froid , et qui est dur, ce qui est mou, et autres choses semblables qui tombent sous les sens; mais encore elle juge des substances et des choses non-seulement en particulier, mais en général. Ses connaissances ne se bornent pas au présent : elle prédit l'avenir , s'élève jusqu'aux cieux, pénètre les abîmes, raisonne des effets par leurs causes et des causes par leurs effets ; enfin, son rail pénètre jusqu'à Dieu lui-même , quoiqu'il habite une lumière inaccessible , cette vraie lumière qui éclaire tout homme venant dans ce monde. C'est pourquoi le Prophète dit, s'adressant à Dieu : La lumière de votre visage est gravée sur nous, Seigneur; puis il dit à l'homme : Gardez-vous d'être comme le cheval et le mulet qui n'ont point d'intelligence (Ps. 31. 11. ). Grande est cette dignité de l'âme par laquelle l'homme, différant de la brute , est semblable h Dieu, et de 1a il peut et il doit conjecturer quelle est l'éminence et la sublimité de son Créateur. Car notre âme possède la lumière de l'intelligence, , mais Dieu est lumière et intelligence. Notre âme peut de la cause descendre aux effets, et des effets remonter à la cause, et ce n'est pas sans peine qu'on acquiert la science par cette manière de raisonner ; mais Dieu , par une simple intuition connaît parfaitement toutes choses. Notre âme comprend les choses qui existent, et par la même sa science dépend de ces choses ; mais Dieu par son intelligence tire les êtres du néant, et par là même l'existence des êtres dépend de la science de Dieu. Notre âme fait des conjectures plus ou moins justes sur les choses a venir; mais Dieu connaît parfaitement le passé , le présent et le futur. Notre âme a besoin de secours pour exercer son intelligence, elle a besoin de l'objet, de la figure, de l'image et d'autres choses ; tandis que Dieu n'a besoin de rien , car son essence lui tient lieu de tout : bien plus, son essence est son intelligence. Enfin notre âme , captive dans le corps , ne voit point Dieu ni les anges, elle ne se voit pas elle-même ; elle ne voit parfaitement aucune substance, même corporelle; elle se trompe sur beaucoup de choses, elle en ignore plusieurs autres; elle n'a que des opinions sur plusieurs objets,et n'en tonnait parfaitement qu'un bien petit nombre, Mais Dieu, n'ignore rien; point d'opinion en lui; il ne se trompe jamais, et il n'est jamais trompé : Omnia nuda et aperta sunt oculis ejus ( Hebr. 4. ). Si l'homme estime tant la science, scientia inflat, combien doit-il donc admirer celle du Créateur , en comparaison de laquelle la nôtre n'est qu'ignorance!

4° Notre âme possède un antre genre de science , non pas seulement spéculative , mais qui consiste dans l'action. C'est elle qui a fait enfanter aux philosophes cette grande multitude de livres sur les vices et les vertus ; aux princes et aux jurisconsultes, tant de lois, tant de décisions ; c'est elle qui nous a donné tant d'institutions et tant de règles pour apprendre. l'art de bien vivre. En cela on ne peut s'empêcher d'admirer dans l'homme la lumière de la raison , qui le place si haut au-dessus de la brute. Mais tout cela est moins que rien en comparaison de la loi éternelle qui réside dans le sein du Créateur , de laquelle, comme d'une source féconde, émanent toutes les lois et tous les droits : car il n'y a qu'un seul législateur et un seul juge, qui est Dieu (Jac. 4.). Il est lui-même la vérité , la justice et la sagesse; c'est par lui élue règnent les rois., et. que les législateurs font des lois justes (Prov. 8. ). Ainsi vous n'apprendrez jamais l'art de bien vivre, à moins qu'admis à l'école de Jésus-Christ , qui est le seul vrai maître , vous n'appreniez, par ses leçons et ses exemples, cette justice qui est plus abondante que celle des scribes et des pharisiens, et même que celle des philosophes; cette justice dont la fin est la charité qui naît d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une joie sincère ( I. Tim. 1. 5. ).

5° Notre âme possède une troisième espèce de science, qui consiste à exécuter des closes ingénieuses. Les araignées, il est vrai , savent façonner leurs toiles, les oiseaux leurs nids , les abeilles leur miel, les renards leurs tanières : mais ces animaux , guidés par l’instinct , agissent toujours de la même manière ; taudis que notre âme, douée de raison et de jugement , a inventé une infinité de moyens par lesquels elle commande à tous les animaux et peut les dompter. Les ailes ne sauraient sauver l'oiseau de ses mains , la profondeur de la mer ne met pas le poisson à l'abri de son adresse , la force du lion et de l'ours est vaincue par lui : il dompte l'impétuosité: du cheval , et met en défaut l'agilité même du cerf; en effet, de petits enfants savent prendre les oiseaux au lacet et à la glu, les pécheurs prennent les poissons à l'hameçon et au filet ; l'homme a su par son adresse faire tomber le lion et l'ours dans des fosses ; entre ses mains, le plomb meurtrier atteint le sanglier et le cerf; le frein lui a suffi pour dompter le cheval et se l'assujettir. Quoi de plus merveilleux que l'art de la navigation? quel génie n'a-t-il pas fallu pour lancer, au milieu de l'élément liquide, ces gros vaisseaux, énormément chargés, pour les faire non-seulement marcher, au moyen des rames, comme s'ils avaient des pieds, mais encore les faire voler, comme s'ils avaient des ailes, par l'invention des voiles? Que dirons-nous de l’agriculture ? n'est-on pas émerveillé du génie de l'homme , lorsqu'on porte ses regards sur les moissons , sur les vignes , sur les vergers , sur les jardins , sur les étangs , et sur ces canaux destinés à l'irrigation des jardins et des champs ? Et l'architecture n'offre-t-elle pas d'autres merveilles? Peut-on ne pas admirer les temples , les palais , les villes , les forteresses , les tours, les amphithéâtres, les pyramides , les obélisques. Je passe sous silence la peinture et la sculpture qui nous représentent par les couleurs, ou par l'effet du ciseau, la figure humaine ou toute autre chose , d'une manière si vive qu'on prendrait l'image pour la réalité. Je ne parle pas non plus des autres arts imaginés pour les besoins de l'homme , pour sa commodité ou pour ses plaisirs. Ils sont en si grand nombre qu'il serait impossible de les compter.

Rendez-donc , ô mon âme , de sincères actions de grâces à Dieu de ce qu'il daigne mettre une si avantageuse différence entre votre nature et celle des animaux. Mais élevez en même temps les yeux de l'esprit vers votre Créateur , en qui réside la vraie source du génie et de la sagesse créatrice : c'est de cette source qu'a découlé tout ce que vous avez de génie ; et si vous admirez le génie de l'homme, en ce qu'il le fait triompher, par son adresse, des animaux sans raison , admirez encore plus votre Dieu à qui tout obéit, non-seulement les animaux, mais encore les êtres insensibles. Si vous trouvez étonnant que l'homme ait inventé tant de moyens pour traverser les mers , pour construire les édifices , pour cultiver la terre , soyez plus étonnée de la sagesse de Dieu qui a fabrique? les cieux, la terre et la mer , avec tout ce qu'ils renferment , et de ce qu'il régit et gouverne tout. Enfin , si vous êtes ravie à la vue d'un tableau parlant , d'une statue animée , pourquoi ne le seriez-vous pas davantage en pensant que votre Créateur, d'un peu de boue a formé non plus une image , mais un homme véritable et vivant ; et qu'il a tiré d'une de ses côtes une femme animée , pour lui servir de compagne ? surtout si vous faites attention que ce que font les hommes , a besoin de la coopération de Dieu ; tandis que ce que Dieu fait , il le fait par lui-même sans qu'il ait besoin de personne.

6° L'âme est douée du libre arbitre comme Dieu et les anges , ce qui la distingue beaucoup des autres créatures. C'est là une grande prérogative et un privilège excellent. Mais la liberté du Créateur est tant au-dessus de celle de notre âme , qu'en les comparant , celle-ci n'est qu'une ombre de celle de Dieu. D'abord la liberté de l'homme est faible, plus portée au mal qu'au bien : la liberté de Dieu est très-forte , elle ne sait jamais incliner au mal. De même que pouvoir mourir est une infirmité du corps mortel , et ne pouvoir mourir, une prérogative du corps glorifié; ainsi pouvoir pécher est un défaut du libre arbitre , et ne pouvoir pécher sera la perfection du libre arbitre , lorsque Dieu nous aura conféré , par grâce , dans la céleste patrie, ce qu'il possède sans cesse par nature. Ensuite notre libre arbitre peut s'exercer sur le vouloir et le non-vouloir , ou rester indifférent ; mais il ne peut opérer ce qu'il veut , ni empêcher ce qu'il ne veut pas , même au-dedans de lui, encore moins dans les autres Non quod volo bonuni hoc fado ; sed quod nolo malum, hoc ago ( Rom. 7. ). Qui de nous n'éprouve pas ce dont se plaignait saint Paul ? Je veux prier Dieu attentivement , je commande à mon imagination de ne point divaguer pendant ma prière , de ne pas me représenter d'autres objets , et je ne puis la contenir ; et lorsque j'y pense le moins , je m'aperçois qu'elle m'a trompé , me faisant abandonner l'oraison, pour me porter à d'autres objets. Je voudrais ne pas concevoir de mauvais désirs , ne pas me mettre en colère en vertu de mon libre arbitre , je commande à la faculté irascible et à la concupiscible ; par droit de raison elles devraient m'obéir , ne pas se laisser dominer par les sens ; mais souvent je ne suis pas obéi, et il n'arrive pas ce que je veux , mais, ce que je ne veux pas. Ce qu'il y a de plus admirable , et de pl us malheureux en même temps , c'est que l'esprit commande au corps, et aussitôt le corps obéit; l'esprit se commande à lui-même, et il n'est point obéi :  « N'y a-t-il pas en cela quelque chose de monstrueux, dit saint Augustin ( Lib 8. c. 9. Confes. ) ?        l'esprit commande à la main de se mouvoir, et l'obéissance de la main est si prompte , qu'à peine peut-on remarquer que le commandement de l'esprit ait précédé , quoique, l'esprit et la main soient des choses toutes différentes , puisque l'une est esprit et l'autre est corps ; l'esprit se commande à lui-même de vouloir certaines choses , et il ne s'en fait rien , quoique ce qui reçoit le commandement et ce qui le fait , ne soient que la même chose : d'où vient donc que ce que commande l'esprit ne se fait pas? C'est qu'il ne commande qu'à demi, par ce qu'il ne veut qu'à. demi... Ce            qui paraissait si monstrueux ne l'est donc point. C'est une maladie de l'âme , appesantie par le poids de l'accoutumance, qui l'attire en bas ; elle n'est emportée qu'à demi , par celui de la vérité qui l'attire en haut. » Mais la liberté de Dieu est tellement inséparable d'une puissance pleine et absolue, qu'il fait tout ce qu'il veut, et qu'il n'y a aucune créature qui puisse résister à sa volonté (Ps. 113. Esth. 13. ). C'est pourquoi, ô mon âme, si vous êtes sage , ne vous glorifiez point des forces de votre libre arbitre , avant de parvenir à la liberté glorieuse des enfants de Dieu , lorsque   ce céleste médecin aura guéri toutes vos langueurs , et aura rempli vos désirs de toutes sortes de biens ; en attendant ne cessez de gémir , et dites a Dieu avec le Prophète: Secourez-moi , et ne m'abandonnez point. Répétez souvent , non par confiance , ni avec nonchalance , mais de tout votre coeur, ces paroles saintes ! Mon Dieu , venez à mon aide ; hâtez-vous , Seigneur , de me secourir (Ps. 63.).

7° Notre âme jouit d'une volonté raisonnable , qui peut non-seulement désirer les biens présents , particuliers et corporels , comme les animaux ; mais encore les biens absents , généraux et spirituels , qui nous sont montrés par la foi et la raison , et par là même le bien souverain et infini qui est Dieu lui-même.

Et c'est ce qui rend l'homme capable des grandes vertus et surtout de la reine de toutes , qui est la charité. Les brutes aiment , mais c'est d'un amour de concupiscence; elles ne. connaissent point l'amitié ; pour vous , ô mon âme, Dieu vous a rendue capable de recevoir ce don , qui est le plus excellent , et qui nous unit tellement à Dieu , souverain bien, qu'il demeure en nous , et nous en lui, par celte même charité : Car Dieu est charité , et celui qui conserve la charité demeure en Dieu , et Dieu demeure en lui (1. Joan. 4. ). Mais si la charité est un si grand bien dans la créature , que ne sera-t-elle pas dans le Créateur ? La seule volonté de Dieu est capable d'un amour infini, dont est digne d'être aimée l'infinie bonté de Dieu. Cette volonté n'a pas besoin du secours des vertus, ni d'être dirigée par l'intellect ; car elle ne fait qu'un avec l'intelligence , comme la sagesse et la charité ne sont qu'une même chose en Dieu.

8° Notre âme est dans le corps , mais elle y est bien différemment que dans le corps des brutes. L'âme des brutes est matérielle et étendue dans le corps , en sorte qu'une partie de cette âme est dans une partie du corps , et qu'elle est toute dans le tout. Mais notre âme, étant un esprit indivisible, se trouve toute dans le tout , et toute dans chaque partie ; et quoiqu'elle remplisse tout le corps , cependant elle n'y occupe aucune place : quand le corps croit, l'âme ne croît point, mais elle commence d'être là où elle n'était pas auparavant ; et si l'on coupe un membre , ou s'il se dessèche, l'âme n'est pas diminuée , ni desséchée , seulement elle cesse d'être dans ce membre où elle était auparavant , sans qu'elle ait reçu aucune lésion. C'est un vrai miroir de l'existence de Dieu dans les créatures. Car Dieu est un esprit indivisible , et cependant il remplit tout l'univers et chacune de ses parties , sans occuper aucune place ; il est tout dans tout le monde 1 et tout dans chaque partie du monde : lorsqu'il produit une nouvelle créature , Dieu commence d'être en elle sans néanmoins se mouvoir ; et lorsqu'une créature est détruite, ou morte , Dieu n'est pas détruit, il ne meurt pas , mais cesse d'être dans cette créature, sans néanmoins changer de lieu : c'est pourquoi Dieu et l'âme se ressemblent en ce point. Mais cependant Dieu en diffère sur plusieurs autres; car pour habiter le corps , le régir et le mouvoir , il faut que l'âme devienne la forme du corps pour se l'unir et ne faire avec lui qu'un seul homme. Dieu n'a pas besoin de devenir la forme ni l'âme du monde , ni de former avec lui une substance composée; mais son immensité le rend présent partout ; son indivisible unité fait qu'il est tout entier en chaque lieu ; par sa toute-puissance, il régit tout ,    il porte tout, il donne le mouvement à tout. Ensuite , quoique l'âme soit dans tout le corps , cependant elle n'est , à proprement parler , que dans les parties vivantes ou animées; d'où il suit qu'elle   n'est pas dans les humeurs, dans les cheveux , dans les ongles, ni dans les membres desséchés. Dieu est absolument dans toutes choses, corporelles et spirituelles; et rien ne peut exister sans Dieu. De plus, l'âme n'habite que son corps, qui est de peu d'étendue, et dont les parties sont réunies ensemble. Sitôt qu'il y a séparation, l'âme cesse d'être dans la partie séparée ; mais Dieu est tout dans cette nombreuse diversité d'êtres, qui est si grande, quoique les parties de cette universalité ne soient point unies ni contiguës ; et s'il y avait plusieurs mondes , Dieu serait dans tous. Il est écrit que le ciel, et les cieux ales cieux ne peuvent le contenir ( II. Par. 6. ). S'il y avait d'autres cieux et d'autres terres , il y serait aussi , et quand ces cieux et ces terres se multiplieraient à l'infini , il serait partout , et là où il ne serait point , il ne saurait rien exister.

9° Notre âme porte encore en soi , quoique d'une manière obscure , l'image de la très-sainte Trinité ; soit parce qu'elle a une mémoire féconde , la faculté de comprendre et celle d'aimer; soit aussi parce que son intelligence lui sert à former en quelque sorte son Verbe ou sa parole, et que de cette intelligence et de cette parole procède l'amour : parce que ce qui est connu par l'esprit, et représenté par la parole comme bon , est aussitôt aimé et désiré par la volonté. Mais c'est cependant d'unie manière plus relevée et plus divine que Dieu le Père engendre son Verbe qui est Dieu , et que le Père et le Verbe produisent le Saint-Esprit,

Dieu comme le Père et le Fils , qui est l'amour vivant et la source vivante de tout amour chaste. Et c'est pour cette raison que le mystère de la Trinité est au-dessus de toute science naturelle , et que , sans la révélation divine , le plus savant philosophe ne saurait le connaître. En effet , notre âme produit la parole et l'amour , qui ne sont point des substances , mais de simples accidents incapables de constituer des personnes : mais Dieu le Père engendre un Verbe consubstantiel, et le Père et le Verbe produisent le Saint-Esprit qui est consubstantiel à l'un et à l'autre ; d'où il suit que le Père , le Fils et le Saint-Esprit sont justement appelés trois personnes. Ensuite notre âme produit la parole qui tic dure pas longtemps, et la volonté produit l'amour qui ne dure guère plus : mais Dieu le Père engendre son Verbe éternel, et le Père et le Verbe produisent le Saint-Esprit qui est aussi éternel ; car Dieu ne peut être sans son Verbe et son Esprit. Enfin notre âme, par une parole , ne représente qu'une chose , et c'est pourquoi elle multiplie la parole intérieure et extérieure, et sa volonté a besoin de produire plusieurs actes d'amour , si elle veut aimer plusieurs choses; mais Dieu par son seul Verbe dit tout ce qui est vrai , et il aime tout ce qui est bon par un seul acte d'amour.

10° Enfin, une dernière propriété de notre âme, pendant qu'elle habite le corps , c'est que quoiqu'elle ne soit vue , ni entendue, ni mue, ni même aperçue, et quoiqu'il ne paraisse rien manquer au corps lorsqu'elle le quitte , c'est cependant elle qui lui procure tous les biens , les sensations, le mouvement , la parole , l'existence , la beauté, la force. Car si l'homme, pendant sa vie, voit , entend, parle, se meut, subsiste; s'il est doué de beauté, de force et d'amabilité , c'est parce que son âme habite en lui ; et si, après sa mort, il est privé de la vue , de l'ouïe , de la parole , du mouvement ; s'il est défiguré , inutile à tout et vu avec horreur , il faut l'attribuer à l'absence de son âme , d'où lui venaient tous ces avantages. C'est ainsi que votre Dieu , ô mon âme, pendant qu'il vit en vous par sa grâce , fait que vous voyez ce que la foi vous montre , que vous entendez ce que le Seigneur volis dit intérieurement, et que vous avancez par la voie de ses commandements vers la céleste patrie ; que vous parlez à Dieu dans l'oraison, et au prochain par de saintes exhortations; c'est ainsi que sa grâce vous fait subsister en persévérant dans les bonnes oeuvres , vous rend fort et courageux dans le combat que vous avez à soutenir contre les ennemis invisibles , vous communique cette beauté qui vous rend agréable à Dieu et aux anges. Mais prenez garde qu'en perdant la grâce , qui est la vie de votre âme , vous n'éprouviez les pertes que procure la première mort, et que de là vous ne soyez entraîné a la seconde , de laquelle on ne ressuscite jadis. Oh! si Dieu daignait vous ouvrir les yeux de l'esprit , et si vous pouviez voir l'excellente beauté et la grande splendeur dont se trouve ornée l'âme qui est agréable à Dieu, qui lui est unie par la vraie charité, quels regards Dieu daigne jeter sur elle , quelle place il lui destine, quelle joie il lui promet , et combien son arrivée est désirée par les anges et les autres esprits bienheureux, assurément vous ne pourriez souffrir qu'une telle beauté fût souillée par le moindre défaut; et si cela arrivait , vous vous efforceriez au moins de noyer ces taches, quoique légères, dans des torrents de larmes. C'est ce que saint Bonaventure raconte de saint François qui , considérant qu'il ne pouvait accompagner l'Agneau sans tache sans contracter quelque souillure, tâchait au moins chaque jour , par des larmes abondantes, de purifier son âme et de laver toutes ses fautes , quelque légères qu'elles fussent. Mais si Dieu au moyen de la même grâce, ouvrait vos yeux intérieurs, et que vous puissiez voir la difformité d'une âme pécheresse , l'odeur infecte qu'elle répand, comme ferait un cadavre en putréfaction ; et combien Dieu et les saints affectent d'en détourner leurs regards,quoique d'ailleurs elle anime un corps beau et bien proportionné , très-aimable aux yeux des hommes oh ! sans doute vous en seriez tellement saisie d'horreur, que vous ne voudriez pas pour tout au monde, lui ressembler ; et si vous aviez ce malheur , vous ne voudriez pas persévérer un seul instant dans un si misérable état.

 

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NEUVIEME DEGRÉ. Considération des anges.

 

1° Nous voici arrivés au plus haut degré d'ascension vers Dieu , parmi ceux qu'on peut former par le moyen des créatures . car il n'y a aucune substance créée plus sublime que celle des anges, si nous nous bornons a parler des perfections naturelles. Nous considérerons d'abord dans les anges l'excellence de leur nature , ensuite la sublimité de la grâce, enfin leurs fonctions. Notre dessein n'est pas de faire un traité parfait sur les anges , mais de traiter seulement ce qui peut contribuer à élever notre esprit é Dieu. Si nous comparons l'ange avec l'âme humaine , nous pourrons le définir assez exactement en disant que c'est une âme parfaite , de même que notre âme peut être appelée un ange imparfait. Car le Prophète, parlant de l'âme raisonnable , a dit en s'adressant à Dieu : Vous l'avez abaissée un peu au-dessous des anges ( Ps. 8. ). L'ange est une substance spirituelle, entière et parfaite ; notre âme n'est qu'une moitié de substance et encore imparfaite , parce qu'elle est la forme des corps et une partie de l'homme. C'est pourquoi l'ange est tout esprit ; et l'homme est partie esprit , et partie chair, ou il est partie ange et partie bête : c'est comme qui dirait que l'ange est tout d'or, et l'homme partie d'or et partie de boue. C'est ce qui justifie l'expression du Prophète , lorsqu'il dit que l'homme a été un peu abaissé au-dessous des anges; mais il est encore vrai que notre âme, qui est une partie de nous-mêmes , a été abaissée au-dessous des anges. D'où il suit que l'ange a plus de ressemblance avec Dieu que n'a l'homme, et même son âme considérée seule ; parce que Dieu est un esprit , et qu'il n'est ni corps , ni forme d'aucun corps. Cette plus grande ressemblance de l'ange avec Dieu ne comble pas cependant l'intervalle immense qui le distingue de Dieu élevé au-dessus de la sublimité angélique; car Dieu est un esprit incréé , éternel , immense , seul puissant, seul sage, seul bon, seul Très-Haut. C'est pourquoi , si vous croyez, ô mon âme, avec raison devoir admirer la nature des anges , combien plus devez-vous admirer celle de Dieu , qui , par son éminente dignité , l'emporte infiniment sur celle de ces esprits bienheureux !

2° Ce n'est pas seulement sous le rapport de la nature ou de la substance , que l'ange peut être appelé un homme parfait , et l'homme un ange imparfait; mais on peut le voir encore sous le rapport de l'intelligence et de la science. Car l'homme ou l'âme humaine comprend difficilement les choses , et a besoin des sens pour discourir et acquérir la science , en remontant des effets à la cause, ou en descendant de la cause aux effets; d'où il arrive qu'il hésite , qu'il se trompe souvent, et qu'il arrive rarement à la certitude. Mais l'ange voit la chose du premier aperçu , il voit tout ensemble la cause et les effets , et découvre non-seulement les simples accidents , mais la substance même des êtres ; sa pénétration ne se borne pas aux choses           corporelles , il voit encore celles qui sont spirituelles. C'est pourquoi l'homme , durant son pèlerinage , est non-seulement placé un peu , mais beaucoup au-dessous des anges ; et quels que soient son génie, son étude et sa science, il n'est encore qu'un enfant , et un enfant à la mamelle , en comparaison de fange. Aussi le Prophète dit-il (Ps. 8) que c'est de la bouche des en fans et de ceux qui sont à la mamelle que Dieu a tiré la louange; et le Sage , estimant ce que vaut cette science qui nous enorgueillit, a dit que toutes les choses du monde sont difficiles ; l'homme, ne les peut comprendre par son esprit , ni les expliquer par ses paroles (Eccles. 1.) ; et plus bas (3.) il ajoute que Dieu a livré le monde aux vaines disputes des hommes, sans qu'ils puissent, par toutes leurs recherches , connaître parfaitement les ouvrages que Dieu a créés dès le commencement du monde, et qu'il conserve jusqu'à la fin. Si tout est difficile et inexplicable pour l'homme , et si , depuis la première chose créée jusqu'à la dernière, il ne comprend rien dans ce monde visible ; s'il ne comprend rien , dis-je, parfaitement , et s'il ne peut expliquer la nature , les propriétés , les accidents , les vertus et les autres qualités renfermées dans chaque chose terrestre , dans combien d'erreurs tombera-t-il, s'il entreprend de discourir sur les choses qui sont dans le ciel ? C'est pourquoi je vous conseille, ô mon âme , de rechercher la science du salut, et la sagesse des saints , qui consistent à craindre Dieu et à observer ses préceptes ; préférez la prière à la discussion , et la charité qui édifie à la science qui enfle ; car telle est la voie qui conduit à la vie et au royaume des cieux, où , petits enfants que nous sommes, nous serons associés aux anges qui voient sans cesse la face du père qui est dans les cieux.

3. Il existe encore un troisième rapport sous lequel notre âme est abaissée , non pas un peu, mais beaucoup au-dessous de l'ange ; c'est celui de la puissance et de l'empire sur les corps. Car notre âme n'a de pouvoir que sur son, propre corps, et sa volonté ne peut influer sur les autres ; elle ne peut mouvoir son corps que progressivement , elle ne saurait le sus-, pendre sur les eaux, ni l'élever dans les airs , ni le transporter la où elle voudrait; mais les anges , parle seul mouvement de leur, esprit, c'est-à-dire, par les ordres de leur volonté, peuvent enlever les corps les plus pesants, et les porter 1à où il leur plaît. C'est ainsi qu'un ange enleva Habacuc , et dans un instant le porta a Babylone pour faire manger Daniel , et le rapporta ensuite en Palestine (Dan. 14.). Ensuite l'homme ne peut , parla seule force de son esprit , combattre ses. ennemis; il a besoin de se servir de ses mains, pour manier les armes; tandis que l'ange, sans mains et sans armes , par la seule puissance de son esprit, peut et combattre et vaincre des armées entières d'hommes aguerris et bien armés. C'est ainsi qu'un seul ange tua autrefois cent quatre-vingt-cinq mille Assyriens (IV. Reg. 19.). Et si l'ange a tant de puissance, quelle sera celle du Créateur et du Seigneur des anges! Il pourra , sans nul doute , faire rentrer dans le néant , tous les êtres qu'il eu a tirés. Notre esprit , aidé de la peinture et de la sculpture, et a force d'imagination et de travail , peut faire des portraits qui représentent l'homme au naturel, et semblent animés. Les anges peuvent sans peine , privés de mains et d'instruments , et dans un instant, s'adapter tellement un corps, qu'il passera aux yeux des plus éclairés pour un véritable corps humain, capable de marcher, de parler , de manger , de boire , d'être, touché , palpé et même lavé. C'est ainsi qu'Abraham prépara a manger aux anges et leur lava les pieds (Genes, 18.), parce que, selon la remarque de S. Paul (Hebr. 13.), il leur donna l’hospitalité , les prenant pour des hommes. Il en arriva autant b son neveu Loth, lorsqu'il reçut dans sa maison deux anges qu'il prit pour des voyageurs (Gen. 19. ). Nous voyons encore l'ange Raphaël rester plusieurs jours avec le jeune Tobie, marcher, parer , manger et boire, comme si véritablement il était un homme , et cependant il dit, en disparaissant : Je paraissais,  il est vrai , manger et boire. avec vous ; mais j'use d'une nourriture invisible , et d'une boisson qui ne peut être aperçue des hommes ( Tob. 12.). Il faut assurément une grande puissance pour former , en un instant un corps qui paraît ne différer en rien d'un corps vivant, et pour le détruire à volonté , sans qu'il en reste aucune trace. Mais si la puissance de l'ange s'étend si loin, jusqu'où doit s'étendre celle du Créateur des anges , qui les a formés, et leur a donné une aussi grande puissance qu'il a voulu ? De même que notre science , comparée à celle des anges , n'est qu'une ignorance, et que la justice des anges et la nôtre comparée à celte de Dieu, est encore une injustice ; de même la puissance des anges et notre puissance , comparée à la puissance de Dieu , ne mérite que le nom de faiblesse : et c'est pourquoi notre Dieu est le seul sage, le seul bon et le seul puissant.

4° Enfin, si nous comparons l'habitation des anges avec la nôtre ,      nous verrons encore que l'homme ,       ou son âme n'est pas seulement un peu , mais beaucoup abaissée au-dessous des anges, pour me servir de l'expression de St. Paul (Hebr. 2.). En effet, Dieu a placé notre âme sur la terre , et il a colloqué les anges dans le ciel, c'est-à-dire dans son palais ; car le ciel est au Seigneur, et il a donné la terre aux en fans des hommes (Ps. 113.). Jésus-Christ appelle les esprits célestes les anges du ciel (Matth. 24.) ; et S. Luc, (15.) dit qu'il y aura de la joie dans le ciel pour un pécheur qui fait pénitence. Outre cela Dieu a tellement uni l'âme au corps que sans lui elle ne peut changer de place ; mais pour les anges, Dieu ne les a assujettis à aucun corps , et il leur a donné le pouvoir de descendre sur la terre , de remonter au ciel ou de se transporter, partout où il leur plaira, avec la plus grande vitesse. C'est ainsi que l'ange , proche de Dieu par la dignité de sa nature , imite encore en quelque sorte son ubiquité par sa subtilité. Car Dieu est partout par la nature de son immensité , et parce qu'il est partout, il n'a pas besoin de changer jamais de place; et l'ange, par sa vélocité , passe si facilement d'un lieu en un autre , et se montre si aisément en tous les lieux où il se transporte , qu'on le croirait présent partout.

Pour vous , ô mon âme , si vous voulez écouter le Maître des anges , vous n'aurez à leur envier ni leur demeure sublime , ni leur étonnante vélocité. Car non-seulement , après que vous serez séparée du corps , vous serez égale aux anges ; mais encore, lorsque vous vous réunirez à ce corps que Jésus-Christ aura rendu semblable à son corps glorifié , vous posséderez , avec ce corps , le ciel comme votre propre habitation, et ce corps, devenu spirituel, se transportera, sans peine, ni fatigues, la où vous voudrez , la où vous lui ordonnerez de se transporter. Dieu , qui ne       ment point , vous dit dans   l'Évangile

( Joan.            14.) : Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père... je m'en vais vous préparer le lieu ; et après que je m'en serai allé et que je vous aurai préparé le lieu, je viendrai à vous et vous retirerai à moi, afin que vous soyez où je serai alors , et où je suis dès à présent. Puis s'adressant à son Père, il lui dit (Joan. 17. 24.) : Mon Père, je désirerais que là où je suis , ceux que vous m'avez donnés J soient aussi avec moi, afin qu'ils contemplent mea gloire que vous m'avez donnée. Or, vous savez où est Jésus-Christ, et quelles sont les qualités de son corps; car vous récitez tous les jours , dans le symbole, que Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts et qu'il est monté aux cieux. Vous savez encore qu'après sa résurrection il avait accoutumé d'entrer chez ses disciples lorsque les portes étaient fermées (Luc. 24.), et qu'en se retirant il ne marchait point , mais qu'il disparaissait, c'est-à-dire , qu'il transportait aussi promptement son corps d'un lieu en un autre, que s'il eût été un esprit. Mais si vous aspirez a cette gloire, il faut d'abord due vous conformiez ici-bas votre corps a l'humilité du corps de Jésus-Christ , et alors Jésus-Christ le conformera à son corps glorieux. Il faut ensuite que vous suiviez ses traces, car Jésus-Christ est mort pour nous , nous laissant son exemple , afin que nous suivions ses traces ( I. Petr. 2. ). Et quelles sont ses traces ? Ce sont celles de celui qui n'a point péché, dit le même apôtre, et de la bouche duquel nulle parole trompeuse n'est jamais sortie; qui, quand on l'a chargé d'injures, n'a point répondu par des injures; qui , quand on l'a maltraité, n'a point fait. de menaces ( Ibid. V. 23 ). Il y a deux routes que Jésus-Christ nous a tracées si vous vous en écartez, vous perdrez le chemin, et vous n'arriverez jamais au ciel

il ne faut pas faire le mal , mais il faut le souffrir ; il faut faire le bien , et ne pas en attendre la récompense dans cette vie ; et ce qui est le plus parfait, il faut aimer pour Dieu le prochain d'un amour vrai , par pure amitié et non par concupiscence, gratuitement et non d'un amour intéressé , nous contentant seulement de la récompense que Dieu nous promet et qui surpasse toute mesure.

5° Considérons maintenant la dignité de l'ange sous le rapport de la grâce. On peut dire aussi qu'en cela l'homme a été extrêmement abaissé au-dessous de l'ange; car au commencement Dieu créa les anges, de manière qu'il leur communiqua la grâce en même temps qu'il les forma , comme l'enseigne saint Augustin dans la Cité de Dieu ( lib. 12. c. 9.). Ensuite ayant témoigné à Dieu leur soumission par une délibération libre de leur esprit, ils reçurent la couronne de la béatitude et celle de la gloire , en même temps que les rebelles furent précipités dans l'abîme. C'est pourquoi leur pèlerinage fut court, et leur demeure dans le ciel sera éternelle , si toutefois on peut appeler pèlerinage ce court espace qui sépare leur création de leur béatitude. Quant à nous , la grâce , il est vrai , nous,a été communiquée en même temps que l'existence ; mais ce n'a été que dans nos premiers parents et non pas dans nous ; par leur chute, ils nous ont tous entraînés; nous avons tous péché en Adam , dit St. Paul ( Rom. 5. ) : et quoique nous avons été réconciliés avec Dieu par Jésus-Christ, médiateur entre Dieu et les hommes , nous sommes cependant condamnés a l'exil , et éloignés de Dieu pendant que nous habitons le corps. Car nous marchons à la lueur de la foi , et non par une vue claire; et ce qui afflige les âmes pieuses, qui soupirent après leur patrie , c'est que nous nous trouvons au milieu d'ennemis cruels , et qu'il est dangereux , qu'en étant circonvenus et vaincus , nous soyons privés pour toujours du bonheur de cette céleste patrie; de la ces gémissements : Hélas ! que je suis malheureux de ce que mon exil est si long ! J'ai demeuré avec les habitants de Cédar, mon âme a été longtemps étrangère. ( Ps. 119. 5. ). Mais quoique sous ce rapport nous soyons au-dessous des anges , cependant la bonté admirable de Dieu nous console , soit en daignant nous donner dans le ciel, où il les a placés au-dessus des anges , Jésus et Marie qui ont été comme nous revêtus d'une chair mortelle ; soit en élevant par sa grâce grand nombre de saints au-dessus de plusieurs anges, et en en associant d'autres aux plus élevés de ces esprits bienheureux , parce que la grâce les leur a rendus supérieurs, quoiqu'ils leur fussent inférieurs par leur nature. Assurément St. Jean Chrysostome, expliquant l’Epître aux Romains (Homil. 32.), n'a pas fait difficulté de placer, au rang des Séraphins , Pierre et Paul , princes des apôtres ; et l'on ne peut croire pieusement qu'il en a été de même de St. Jean-Baptiste et de quelques autres saints. Ajoutez que ce fut après le premier mérite due les bons anges parvinrent à la gloire , taudis que d'un autre côté, les mauvais anges furent précipités dans l'enfer après le premier péché. Ainsi les hommes ne doivent passe plaindre de leur longue vie , puisqu'ils peuvent souvent revenir de leurs égarements, et en obtenir le pardon par la pénitence.

6° Disons maintenant un mot des fonctions des anges. Elles peuvent se réduire à cinq la première est de chanter sans cesse au Créateur des hymnes et des cantiques de louanges; et pour comprendre l'estime que Dieu fait de celte fonction , considérons qu'elle est confiée aux plus élevés. Ils préludent , et tous les esprits bienheureux s'unissent à leurs concerts avec une jubilation indicible: Je vis le Seigneur, dit Isaïe ( 6. 1. ) , assis sur un trône sublime et élevé , et le bas de ses vêtements remplissait le temple. Les Séraphins étaient autour du trône ; ils avaient chacun six ailes: deux dont ils voilaient leurs faces, deux dont ils voilaient leurs pieds , et deux autres dont ils volaient. Ils criaient l'un à l'autre , et ils disaient : Saint,            saint, saint est le Seigneur, le Dieu des années : la terre est toute remplie de l'éclat de sa gloire. Les Séraphins sont les princes du premier ordre vous les voyez voiler leurs faces et leurs pieds, en signe de respect, comme s'ils n'osaient point regarder la face , ni toucher les pieds; vous les voyez voler continuellement pendant qu'ils chantent, pour signifier l'affection et le désir de s'approcher sans cesse de Dieu deux choses qui sont nécessaires à ceux qui veulent plaire à Dieu , en chantant ses louanges, afin de faire un heureux mélange de l'amour avec le respect, et du respect avec l'amour. Ce qu'a parfaitement exprimé David, en disant : Seriez le Seigneur dans la crainte, et réjouissez-vous en lui avec un saint tremblement ( Ps. 2. 11. ).

De là apprenez , ô mon âme, quel respect mérite Dieu , puisque les princes du ciel, qui assistent sans cesse en sa présence , et voient toujours sa face, ne cessent, en chantant ses louanges, de témoigner leur respect et leur soumission, malgré leur élévation sublime, et leur longue familiarité. Que répondrez-vous, vous qui n'êtes que cendre et poussière , lorsqu'au jour du jugement on vous reprochera votre indolence , vos distractions pendant une occupation si sublime , dont vous n'étiez pas digue? Instruits par un tel exemple, apprenez au moins à chanter par la suite les louanges de Dieu avec crainte et. tremblement , avec attention et vigilance, avec amour et désir.

Une autre fonction des anges, est de présenter à Dieu les prières   dés mortels, et de les recommander par leurs suffrages. Raphaël dit à Tobie (12.) : Lorsque vous priiez avec larmes , que vous ensevelissiez les morts, et que vous quittiez votre dîner pour cette bonne oeuvre, j'offrais votre prière au Seigneur. St. Jean ( Apoc. 8. ) vit un ange debout devant l'autel avec un encensoir d'or , et on lui donna une grande quantité de parfums , afin qu'il offrit les prières de tous les saints sur l'autel d'or qui est devant le trône de Dieu. C'est ici qu'on peut se faire une idée de l'inconcevable miséricorde de Dieu ; car il ne s'est pas contenté de nous exhorter à prier et à demander, d'abord par les prophètes , et ensuite par son Fils et ses apôtres ; mais il a encore promis de nous donner tout ce que nous lui demanderions : Petite et dabitur vobis ( Luc. 11. ) : Si vous demandez en mon nom quelque chose ci mon Père , il vous l'accordera ( Joan. 14. ). Et non content de cette marque de sa bonté , il a promis une récompense a ceux qui prieront : Pour vous, dit-il , lorsque vous prierez , entrez dans votre chambre, et après en avoir fermé la porte, priez votre Père en secret , et votre Père qui voit ce qui se passe dans le secret, vous en rendra toute la récompense devant tout le monde (Matth. 6. 6.). Jésus-Christ s'exprime de même en parlant du jeûne et de l'aumône. Mais peu content encore de cette bonté paternelle, Dieu a établi des anges , comme ses ministres intimes, pour tenir compte des prières des pauvres , les lui présenter , lui exposer leurs besoins , afin qu'aucune de leurs demandes ne soit mise en oubli. Quel est le prince de la terre qui ait jamais promis une récompense à ceux qui viendront lui demander quel, que grâce, ou le prier de leur rendre justice? Et cependant ceux qui viennent auprès des princes de la terre sont des hommes de même nature que le prince, formés du même limon, et sujets du Mme souverain prince, qui est Dieu. Mais si c'est une chose onéreuse de donner une récompense à ceux qui viennent demander quelque chose, il ne devrait pas être onéreux de les admettre sans peine, et d'établir un ministre fidèle, qui enregistrât les requêtes des sujets , les conservât avec soin , les présentât, et sollicitât une prompte expédition des affaires.

Une troisième fonction des anges est de porter sur la terre les ordres de Dieu , surtout en ce qui concerne la rédemption et le salut éternel: Tous les anges ne sont-ils pas, dit St. Paul ( Hebr. 1. 14.) , des esprits qui tiennent lieu de serviteurs et, de ministres , étant envoyés pour exercer leur ministère en faveur de ceux qui doivent être les héritiers du salut ? C'est musique nous voyons, dans l'ancien Testament, les anges apparaître de fois à autre aux patriarches et aux prophètes, et leur faire connaître les volontés de Dieu : c'est ainsi encore que , dans le nouveau Testament, l'archange Gabriel fut envoyé à Zacharie et à la sainte Vierge (Luc,. 2.). Nous voyons ensuite que des anges furent députés aux bergers , à saint Joseph, et , après la Résurrection, aux saintes femmes qui regardaient dans le sépulcre , et , après l'Ascension , à tous les disciples ( Matth. 1. 2. 28. Joan. 20. let. 11. ). Dieu qui est partout, et qui peut facilement parler au coeur de l'homme , a voulu cependant envoyer ses anges pour faire comprendre aux hommes qu'il n'oubliait pas leurs besoins, et qu'il gouverne et dirige toutes choses. Les hommes pourraient encore se persuader aisément que les inspirations divines ne sont autre chose que leurs propres raisonnements ou leurs inventions ; mais voyant ou apprenant que Dieu envoie des anges , et que la prédiction des esprits célestes s'accomplissait, ils n'ont pu douter de la providence de Dieu, surtout dans ce qui concerne le salut éternel des élus.

Une quatrième fonction des anges est de protéger les hommes, tant en particulier qu'en général. Il a plu à la bonté de notre Père céleste de recommander à ses plus puissants serviteurs les besoins des mortels , et de remplir à leur égard les devoirs de pédagogues, d'auteurs, de patrons, de pasteurs, de médecins , de défenseurs et de protecteurs , pour les instruire comme des enfants , les protéger comme des orphelins , les recommander comme leurs clients , les garder comme des brebis , les guérir comme des malades , les défendre comme des pupilles , et les protéger lorsque , ne pouvant se défendre eux-mêmes, ils ont besoin de se placer sous les ailes de plus puissants qu'eux. Pour la protection particulière des anges , David nous l'enseigne : il a commandé à ses anges de vous garder dans vos voies ( Ps. 90., 11. ). Jésus-Christ , témoin irrécusable , nous dit encore dans St. Matthieu (18. 10.) : Prenez bien garde de ne mépriser aucun de ces petits (les enfants), et de leur être une occasion de péché; car je vous déclare que, dans le ciel, leurs anges voient sans cesse la face de mon Père qui est dans les cieux. Quant à la protection que les anges donnent aux provinces et aux royaumes, nous avons Daniel qui parle de l'ange protecteur du royaume de Perse        : il appelle roi , celui qui protégeait le royaume de la Grèce , et nomme Michel comme le protecteur des enfants d'Israël (10.). Enfin saint Jean, dans son Apocalypse, fait mention des anges (*), protecteurs des Églises d'Éphèse , de Smyrne

 

(*) C'est le sentiment de l'auteur.

 

et de plusieurs autres (2 et 3.). C'est pourquoi dans chaque royaume il y a deux rois : l'un visible, qui est un homme ; et l'autre invisible, qui est un ange. Et dans chaque Église il y a deux évêques : un visible , c'est un homme; et l'autre invisible , c'est un ange; enfin dans toute l'Église catholique il y a deux souverains pontifes, vicaires de Jésus-Christ : l'un visible, c'est le pape; l'autre invisible , c'est un ange , que nous croyons être l'archange St. Michel ; car l'Église chrétienne , imitant en cela la synagogue , le révère comme son patron.

Voyez-vous , ô mon âme, le soin que prend de nous , qui sommes ses serviteurs , mais des serviteurs inutiles , la Majesté suprême ? Qu'a-t-elle pu faire , et qu'elle n'ait pas fait , pour nous témoigner son amour ? Elle nous a comblés de bienfaits , pour nous engager à lui rester fidèles; elle nous a entourés de gardes pour nous empêcher de nous enfuir; elle a placé de toutes parts des protecteurs , de peur que nous fussions enlevés par nos ennemis que ferait-elle de plus si nous étions son trésor , comme elle est véritablement le nôtre? Rendez-vous donc , ô mon âme , rendez-vous enfin à tant d'amour; et parce que votre amour pour Dieu ne saurait approcher de celui que Dieu a pour vous , livrez-vous à lui tout entière , sans aucune réserve ; consacrez-vous à son service , jurez de faire toujours sa volonté adorable. Ne vous laissez plus détourner par les choses visibles , mais pensez aux biens invisibles , soupirez après leur possession , parce que , selon la doctrine de saint Paul (II. Cor. 4. 18.), les choses visibles sont temporelles et passent avec le temps ; mais les invisibles sont éternelles et ne finissent jamais.

Enfin une dernière fonction des anges est d'être une milice armée dont Dieu se sert pour se venger des nations , et pour châtier les peuples ( Ps. 149. 7. ). Ce furent les anges qui brûlèrent avec le feu et le soufre les villes infâmes (Gen. 19.) ; qui tuèrent tous les premiers nés des Égyptiens ( Exod. 12.) ; qui firent périr plusieurs mille Assyriens (IV. Reg. 19.). Ce sont les anges , au dernier jour , qui sépareront les méchants du milieu des justes, et qui les précipiteront dans un brasier de feu ( Matth. 13. ).

Que les âmes pieuses aiment donc les anges, qui sont leurs concitoyens ; que les méchants redoutent leur puissance , puisqu'ils sont les ministres de la colère du Tout-Puissant , des mains duquel personne ne pourra les délivrer.

 

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DIXIÈME DEGRÉ. Considération de l'essence de Dieu, par la comparaison de ses grandeurs corporelles.

 

1. Nous nous sommes élevés vers Dieu , tant qu'il nous a été possible , par la considération des substances créées. Cependant nous ne sommes pas parvenus à cette connaissance de Dieu qu'on peut acquérir par la spéculation , même dans cette vallée de larmes. Il nous reste donc à examiner si par les dimensions de la quantité corporelle , que nous connaissons , nous pourrons monter à cette largeur , longueur , hauteur et profondeur de l'essence invisible de Dieu dont parle St. Paul (Ephes. 3.). Car parmi les créatures on appelle grand , tout ce qui a ces quatre dimensions ; or, dans les Psaumes (47.) et dans plusieurs antres endroits de l'Écriture, Dieu est appelé grand , et il y est dit que sa grandeur est sans fin. Saint Bernard , exercé à la contemplation, se fait de ces dimensions des degrés pour connaître Dieu ( voyez sont traité de la Considération adressé au pape Eugène.). Il n'a pas été le premier inventeur de ces sortes d'échelles; la découverte en est due à St. Paul qui fut ravi jusqu'au troisième ciel et dans le paradis. Nous venons de citer ses paroles. Car dès que l'on fait une sérieuse attention , on voit que , hors de Dieu, il n'y a rien de plein , ni de solide; que tout y est resserré , borné , bas , et vain ou superficiel. Mais en Dieu se trouve la vraie largeur dans son immensité ; la vraie longueur dans son éternité ; la vraie hauteur, dans la sublimité de sa nature; la vraie profondeur, et une profondeur sans fond, dans son incompréhensibilité : et encore on peut dire que sa toute-puissance désigne sa véritable hauteur; son infinie sagesse , sa vraie profondeur ; ses entrailles pleines de miséricorde, sa juste largeur ; la manifestation de son jugement et sa justice parfaite , sa parfaite longueur. Mais il ne suffit pas , à celui qui veut s'élever et trouver ce qu'il cherche, de traiter légèrement ce sujet ; il faut , vous dit saint Paul , que vous puissiez comprendre avec tous les saints quelle est la largeur, la longueur , la hauteur et la profondeur , en un mot , l'immensité du mystère de la bonté de Dieu pour les hommes. Celui-là le comprend véritablement, qui , après y avoir sérieusement réfléchi , est persuadé de la vérité de la chose, cri sorte qu'il s'empresse de vendre tout ce qu'il possède, pour acquérir ce trésor qu'il vient de découvrir ; c'est pourquoi saint Paul ajoute : Avec tous les saints. Car il n'y a que les saints qui le comprennent bien , ou plutôt personne ne le comprend bien, qu'il ne devienne saint aussitôt qu'il l'a compris. Saint Augustin, il est vrai , dit que saint Paul, dans le passage cité , a voulu parler des dimensions de la croix sur laquelle Jésus-Christ fut attaché. La barre transversale, dit-il , sur laquelle étaient clouées les mains de Jésus , désignait la largeur ; la barre perpendiculaire , où pendait son corps adorable, marquait sa longueur; la pièce de bois, qui portait l'inscription, indiquait sa sublimité, ou sa hauteur; la profondeur infinie était signifiée par la partie du bois qui était enfermée dans la terre. Mais cette interprétation , loin de nous contrarier , nous servira beaucoup : car la croix de Jésus-Christ est la voie qui nous conduit à la vraie largeur, longueur,  hauteur et profondeur. En effet , quoique la croix de Jésus-Christ paraisse aux yeux des hommes resserrée , bornée , basse et peu profonde, c'est cependant cette croix qui étend ses bras depuis l'orient jusqu'à l'occident , depuis l'aquilon jusqu'au midi; c'est-à-dire qu'elle a étendu sa gloire partout , par la prédication des apôtres; que son sommet s'est élevé jusqu'au ciel, qu'elle a ouvert aux élus, et qu'elle a pénétré jusqu'au fond des enfers, pour les fermer pour toujours à ces mêmes élus.

2° Parlons d'abord de l'essence divine, nous parlerons ensuite de ses attributs. On peut dire que sous plusieurs rapports l'essence de Dieu est infiniment étendue. Elle est d'abord très-étendue en elle-même, et absolument immense : en effet elle contient les perfections de toutes les créatures existantes et possibles ; car tout ce qui a été fait , tout ce qui se fera ou pourrait se faire, est éminemment renfermé en Dieu. C'est pourquoi les choses créées ne sont bonnes qu'avec addition:on dit un homme bon, une maison bonne , un habit bon , et ainsi des autres créatures ; mais s'agit-il de Dieu, il est tout bon. Moïse priant Dieu de lui montrer sa gloire , Dieu lui répondit . Je vous ferai voir toutes sortes de biens : Ego ostendam omne bonum tibi ( Ex. 33. ). Si quelqu'un possédait une chose qui renfermât tout ce qui peut flatter les sens dans la plus grande perfection, en sorte qu'il n'eût jamais besoin de sortir de sa maison pour voir, entendre , flairer , goûter, ou toucher les objets , ayant, sans sortir de chez lui, autant de satisfaction qu'en puisse désirer le plus voluptueux , cette chose ne serait-elle pas très-précieuse et si cette chose procurait autant de richesses de toute espèce, qu'en puisse souhaiter le plus avare , en sorte qu'il ne voulût pas sortir de sa maison pour en acquérir davantage , cette chose ne serait elle pas très-précieuse et très-chère? et encore si cette chose pouvait procurer tous les honneurs désirables , même aux plus ambitieux , ne serait-elle pas au-dessus de tout prix ? et si cette chose pouvait remplir , non-seulement tous les désirs de l'homme , mais encore ceux des anges, d'autant plus grands que leurs connaissances sont plus étendues que celles de l'homme, que diriez-vous ? et cependant la bonté de cette chose serait encore inférieure a la bonté de Dieu , qui est si grande qu'elle rassasie et remplit le désir infini de Dieu , ou plutôt son infinis capacité. O admirable largeur des perfections de l'essence divine, qui embrasse une immensité de biens capable de suffire à une capacité infinie qui est Dieu ! Car Dieu ne sort jamais hors de lui-même , possédant tous les biens au dedans de lui : et avant que le monde fût , il était aussi riche et aussi heureux qu'après qu'il l'eût créé , parce qu'il n'a rien produit hors de lui qu'il ne possédât en lui d'une manière plus éminente. Comprenez-vous , ô mon âme , de quel bien vous jouirez dans la céleste patrie , si vous aimez Dieu pendant le voyage qui y conduit; et de quel bien vous vous priverez , si vous vous conduisez anal ? Car Dieu se donnera lui-même à ceux qui l'aiment, et dira au serviteur bon et fidèle: Entrez dans la joie de votre Seigneur : Intra in gaudium Domini tui.

3° On peut dire encore que Dieu est immense sous un autre rapport ; car il remplit absolument tout ce qui existe parmi les êtres créés : Caelum et terram ego impleo , dicit Dominus ( Jerem. 23. ). Et s'il y avait plusieurs mondes , il les remplirait tous : Si je monte au ciel, dit le Prophète, je vous y trouve ; si je descends aux enfers , vous y êtes encore ( Ps. 138. ). J'ajoute aussi que si j'allais au-dessus du ciel, ou au-dessous dit ciel , ou au-delà du ciel , je ne serais pas seul , parce que vous y       seriez ; car je ne puis être sans que je ne sois en vous, sans que vous ne me portiez,vous qui soutenez tout par la puissance de votre parole (Hebr. 1. 3.). Dieu ne remplit pas seulement tous les corps par son immensité, mais encore les esprits , les cœurs et les Âmes. Car pourrait-il scruter les cœurs , s'il ne les habitait pas ? Pourrait-il entendre les peines du coeur , s'il n'avait pour ainsi dire ses oreilles dans notre coeur ? Et comment le Prophète aurait-il pu dire : J'écouterai ce que me dira le Seigneur intérieurement ( Ps. 84. ), si Dieu ne parlait point aux oreilles de notre coeur ? Heureuse l'âme qui aime Dieu, parce qu'elle a toujours son bien-aimé avec elle , parce qu'elle le porte dans son sein , et qu'elle est elle-même toujours abritée dans le sein de son bien-aimé ! Qui enim manet in caritate, in Deo manet, et Deus in eo ( I. Joan. 4. ).

Non-seulement tout est rempli de la présence de Dieu , mais encore de sa gloire , comme le chantent les Séraphins : Plena est omnis terra gloria ejus ( Isa. 6.) ; et David! ajoute : Seigneur , qui êtes notre souverain; Seigneur , que votre nom est admirable dans toute la terre! votre gloire et votre puis sance sont incomparables ;        car votre magnificence est élevée au-dessus des cieux (Ps. 8.). C'est comme s'il disait : Non-seulement votre nom, votre réputation et votre gloire , remplissent la terre d'admiration ; mais cette gloire s'élève jusqu'aux cieux et même au-dessus des cieux. Enfin l'Ecclésiastique ajoute que la gloire du Seigneur éclate dans toutes ses oeuvres (Eccli. 42. 16.), car il n'y a aucune créature dans le ciel ni sur la terre qui ne loue assidûment Dieu. C'est pourquoi David , dans les Psaumes (143.) , et les trois enfants dont parle Daniel (3.), invitent toutes les créatures à bénir le Créateur et à le célébrer par lents louanges. Ils savaient bien que toutes les créatures n'étaient pas capables d'entendre leurs invitations ; mais sachant que tous les ouvrages de Dieu sont bons, et que par là même ils louaient le suprême ouvrier chacun en sa manière , ils les en félicitaient, et les exhortaient à continuer ce concert de louanges.

Et certainement si quelqu'un avait des yeux intérieurs, il verrait tous les ouvrages de Dieu comme autant d'encensoirs qui envoient à la gloire de Dieu une odeur de suavité; et s'il avez des oreilles intérieures, il entendrait toutes les créatures formant un concert de toutes sortes d'instruments de musique , louant Dieu et lui disant : C'est lui qui nous a faits , et nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes ( Ps. 99. ). Car encore qu'il y ait des impies qui maudissent Dieu et blasphèment son saint nom , ces impies mêmes sont cependant forcés à louer le Seigneur de la manière que l'ouvrage matériel loue son ouvrier. Car en eux brille admirablement la puissance de Dieu qui les a créés ; la sagesse qui les gouverne ; sa bonté qui leur conserve la vie marré leur ingratitude et leur méchanceté ; enfin sa miséricorde et sa justice, qui leur destine le châtiment , ou qui les attend miséricordieusement à la pénitence.

Plusieurs ici-bas n'entendent pas la voix des créatures , quoiqu'elles ne cessent de crier ; mais il y a un grand nombre d'anges et de saints qui entendent leurs louanges, y prennent plaisir, et célèbrent avec elles par des hymnes et des cantiques la gloire du Créateur.

4° La longueur de l'essence divine est son éternité qui n'a pas eu de commencement, qui n'aura pas de fin , et qui n'éprouvera jamais aucun changement : Tu autem idem ipse es , et anni tui non deficient (Ps. 161.). Tobie, et après lui le grand Apôtre, appellent Dieu le roi des siècles (Tob. 13.1. Tim. 1. ), parce qu'il est le seul qui ne soit pas soumis aux siècles , mais auquel les siècles sont soumis , qui les gouverne comme les ayant seul précédés. Les autres êtres ou ont un commencement et une fin, et ne restent jamais dans le même état ; ou ils ont un commencement sans avoir de fin , et leur substance ne change point; mais ils pourraient cesser d'exister , s'il plaisait au Créateur de les anéantir. C'est pourquoi à Dieu seul appartient l'éternité proprement dite : elle n'appartient à aucune créature , et il n'y a point eu de prince assez arrogant , pour mettre l'éternité au rang de ses titres , si ce n'est peut-être dan,; un autre sens , comme lorsque Constantin fut appelé l'empereur éternel, pour signifier qu'il ne . l'était pas seulement pour un temps, mais à vie. Pour vous, ô mon âme, vous pouvez prendre rang parmi les deux sortes de créatures dont nous venons de parler. Car vous avez un corps qui a commencé d'exister au moment de sa conception et de sa naissance , qui par son accroissement est parvenu au point de perfection que Dieu lui avait fixé , et il doit ensuite se délivrer en décroissant jusqu'à la mort où il cessera d'être ; et par là même il ne doit jamais rester dans le même état , mais changer à toute heure, puisque le matin il était comme l'herbe qui passe bientôt , il a fleuri le matin et il a passé durant le jour ; il est tombé le soir , il s'est endura et il a séché (Ps. 89. 6.). Car le matin, c'est-à-dire dans son enfance , le corps de l'homme croit comme l'herbe, mais le voilà bientôt parvenu à l'adolescence; il fleurit en quelque sorte au milieu de la jeunesse , mais bientôt il devient vieux ; vers le soir de sa vieillesse , c'est-à-dire dans la décrépitude, il tombe ; dans la mort il s'endurcit; dans le tombeau il se dessèche et retourne dans la poussière d'où il a été tiré. Voyez donc , ô mon âme, combien votre corps est loin d'avoir pour lui l'éternité  pour vous, vous avez été créée dans le temps; auparavant vous n'étiez rien. En cela vous différez beaucoup de votre Créateur, qui est éternel;           vous n'aurez point de fin, et sous ce rapport vous avez quelque chose de commua avec le Créateur. Mais parce que , pendant votre union avec le corps , vous êtes changeante , que vous passez du vice à la vertu, et de la vertu au vice; parce que vous serez jugée , au sortir de ce corps , pour régner dans le ciel avec Dieu , ou pour souffrir dans l'enfer avec les démons, rien ne vous intéresse plus que de fuir le vice et de pratiquer la vertu. Prenez donc garde de vous laisser séduire par les plaisirs des sens , au détriment de ce corps et à votre propre détriment ; mais crucifiez votre chair avec ses vices et ses concupiscences ( Galat. 5. ), afin que dans peu vous viviez éternellement heureux, et que votre corps ressuscite glorieux, pour vous être uni de nouveau; et demeurer éternellement avec Dieu. Du reste , quoique les âmes des bienheureux , ainsi que les anges, soient participantes de l'éternité de Dieu dans cette sublime et fortunée union qu'ils auront avec Dieu par le moyen de la vision et de l'amour béatifiques ; union qui non-seulement n'aura point de fin , mais qui sera encore stable et immuable ; cependant les bienheureux pourront en plusieurs autres manières changer et varier leurs pensées , leurs affections et leurs places, et de là ils admireront et contempleront sans cesse au-dessus d'eux l'éternité de Dieu , où ne se trouve nul changement de pensée , de volonté, ni de lieu, et auquel cependant rien ne manquera ; mais qui possédera dans ce repos tout ce que des changements éternels auraient pu lui procurer. C'est pourquoi la longueur de l’éternité est une chose infinie , et n'appartient pas moins exclusivement à. Dieu que la largeur de son immensité.

5° Il nous Faut considérer maintenant la sublimité ou la hauteur de Dieu dont parle le Prophète : Tu solus allissinius (Ps. 82.). Dieu est le seul très-haut par la noblesse de sa nature; car les choses sont d'autant plus nobles et plus élevées , qu'elles sont plus pures et plus séparées de la matière. Nous voyons cela d'abord dans les choses, corporelles . car l'eau n'est plus élevée que la terre que parce qu'elle est plus pure ; et , par le même principe , l'air est plus élevé que l'eau , le feu que l'air, et le ciel que le feu. Nous voyons ensuite la même différence dans les choses spirituelles l'intellect est au-dessus des sens , parce que ceux-ci et non pas l'autre ont besoin d'organes corporels ; et l'intellect des anges est plus élevé que celui de l'homme , parce que celui-ci , et non pas celui des anges , a besoin du secours de l'imagination ; et parmi les anges , les plus élevés sont ceux dont la nature est la plus simple, et l'intelligence la plus développée. D'où il suit que Dieu est un pur acte, et qu'il n'a besoin de rien hors (le lui, ni d'organes, ni d'imagination , ni d'esprit , ni de la présence des objets qui seraient hors de lui ; mais a qui son essence est tout, et qui n'a rien qu'il n'ait toujours eu actuellement , et pour qui, avoir les choses actuellement , n'est autre chose qu'être actuellement ,            purement et simplement ; il suit de là, dis-je , que sa nature est la plus sublime, et qu'il ne peut avoir de semblable ; c'est pourquoi celui qui dit : Je serai semblable au Très-Haut ( Is. -14. ), fut aussitôt chassé du ciel et précipité dans l'enfer ; ce que dit ensuite Jésus-Christ ( Luc. 10. ) : Je voyais au commencement du monde , Satan tomber du ciel comme un éclair.

Dieu est encore le Très-Haut sous un autre rapport ; car il est la première cause efficiente, exemplaire et finale de toutes choses : je dis la première cause efficiente , car toutes les causes efficientes créées , tirent de Dieu la vertu de produire, tandis que Dieu ne la tire de personne. De plus, aucune cause efficiente ne peut agir sans être mue de Dieu; mais Dieu n'est mu par aucun autre. Enfin, les autres causes, qui ont le premier rang parmi les choses créées, sont celles qu'on appelle universelles, de qui les particulières dépendent, comme les cieux et les anges qui meuvent les cieux ; mais c'est Dieu qui a fait les anges et les cieux ; il est donc seul la première et la plus haute cause efficiente. Il est encore la première cause exemplaire , parce que Dieu a donné la forme à tous les êtres, selon les idées qu'il avait en lui. Il est enfin la première cause finale, parce qu'il a tout créé pour lui, c'est-à-dire pour manifester sa gloire (Prov. 16.) Mais c'est très justement qu'il est appelé le Très-Haut , parce qu'il est assis sur un trône très-élevé : J'ai vu le Seigneur, dit Isaïe (6.), assis sur un trône sublime et très élevé. Et parce qu'on est placé sur un siège pour juger ou pour prendre du repos , nous allons considérer, l'un après l'autre, les deux usages qu'on en fait.

6° D'abord Dieu est assis sur un siège très-élevé, parce qu'il est le souverain juge. Car Abraham dit à Dieu : Vous jugez toute la terre ( Gen. 18.) , et David assure que Dieu juge les Dieux (Ps. 81. ) ; c'est-à-dire qu'il juge les juges eux-mêmes que l'Écriture appelle des dieux. St. Jacques est encore plus clair, quand il dit qu'il n'y a qu'un seul législateur et un seul juge (Jacob. 4.) ; c'est-à-dire que Dieu seul est proprement législateur et juge, parce que lui seul donne des lois à tous, et n'en reçoit de personne; qu'il juge tout le monde, et n'est jugé par personne. Ensuite il faut remarquer que Dieu n'est pas seulement juge, mais qu'il est encore roi ; ainsi il ne juge pas comme étant établi par un roi, mais comme roi et prince suprême ; aussi est-il appelé : Le Roi des rois et un roi élevé au-dessus de tous les dieux, et terrible aux rois de la terre (Apoc. 19. Ps. 94.), parce qu'il transfère , quand il veut, les royaumes et les empires d'une nation à une autre, et, quand cela lui plait , il ôte la vie aux princes ( Ps. 75. 12.). Enfin Dieu n'est pas seulement juge: et roi suprême , mais, ce qui forme son plus beau titre, il est maître absolu. Car les princes ne sont pas tellement les maîtres de leurs sujets , qu'ils puissent, selon leur bon plaisir, les priver de leurs biens et de la vie. Achab en est un exemple : il lui fallut la ruse et les calomnies de sa femme, pour usurper la vigne de Naboth ; mais , en punition , ils périrent tous les deux misérablement. Dieu, au contraire , est véritablement et proprement Seigneur ; tout lui est soumis, et il n'est soumis à personne , et il pourrait, s'il le voulait faire, tout rentrer dans le néant, parce qu'il en a tout tiré. Pensez donc , ô mon âme , quelle crainte et quel tremblement nous devoirs avoir, nous misérables vers de terre , en présence de celui qui est assis sur un trône si élevé qu'il n'y a personne au-dessus de lui! Si je suis le Seigneur , dit-il dans Malachie , où est la crainte que vous me devez ( 1. 6. ) ? Et si ces grands princes du ciel assistent en sa présence avec crainte et tremblement, que ne devons-nous pas faire, nous mortels et fragiles qui habitons ici-bas avec les bêtes ? Mais ce qu'il y a d'admirable , c'est que le Dieu très-haut n'aime point les créatures élevées et sublimes qui veulent s'assimiler à lui ; mais il donne soit affection à celles qui sont humbles et pauvres. Car il s'exprime ainsi par la bouche d'Isaïe (66. 2. ) : Sur qui jetterai-je les yeux , sinon sur le pauvre qui a lé coeur brisé et humilié, et qui écoute nies paroles avec crainte et tremblement ? David ajoute : Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations.... et il regarde ce qu'il y a de plus abaissé dans le ciel et sur la terre (Ps. 112. vers. 4 et 5. ). Il y a plus, Dieu aime les choses élevées et sublimes, lorsqu'elles le sont véritablement et non en apparence : c'est pourquoi il n'aime pas les orgueilleux , qu'on ne peut appeler élevés et sublimes , mais seulement , bouffis et enflés ; mais il aime les humbles qui le craignent , parce que plus ils s'abaissent, plus Dieu se plaît à les élever ; et ceux-là sont vraiment grands que Dieu élève. C'est pourquoi ils sont. en même temps humbles et élevés humbles à leurs propres yeux, élevés aux yeux de Dieu. Si quelqu'un avait pu voir non-seulement des yeux du corps , mais encore des yeux de l'âme , éclairée d'en-haut , ce riche gourmand couvert de soie et de pourpre, assis à une table servie de toutes sortes de mets exquis, entouré de serviteurs attentifs à ses ordres ; et qu'il eût vu en même temps le pauvre Lazare à demi nu, couvert d'ulcères , assis à la porte du riche s et désirant se rassasier des miettes qui tombaient de sa table; celui-là aurait vu ce riche., que tout le monde croyait très-heureux , abominable aux yeux de Dieu et des anges, et aussi vil que la boue ou l'ordure de la terre. Car ce qui est grand aux yeux des hommes, est en abomination devant Dieu (Luc. 16. ). Il aurait vu au contraire l'humble et pauvre Lazare plein de noblesse , et honoré aux yeux de Dieu comme une perle de grand prix , et l'événement le fit bien voir : car Lazare chéri de Dieu fit porté par les mains des anges dans le sein d'Abraham , et le riche haï de Dieu fut entraîné dans l’enfer par les démons. Mais qu'ai-je besoin de parler de Lazare ? Personne n'a été plus grand aux yeux de Dieu que Jésus-Christ, même , selon son humanité, et cependant qui , dans le ciel et sur la terre, fut plus humble que lui ? n'a-t-il pas dit : Apprenez           de. moi, que je suis doux et humble de cœur ? Car plus cette âme très-sainte connaît clairement pardessus tous , l'élévation infinie de la Divinité, plus elle connaît aussi la bassesse de la créature qui a été tirée du néant ; et de là il arrive que, s'étant fait créature: lui-même, Jésus-Christ se soumet à Dieu plus que personne , s'humilie et exalte Dieu ; qui à son tour l'élève au-dessus de toutes les créatures, même des anges. Nous pourrions en dire autant des anges bienheureux et des saints. Car il n'y a pas d'anges plus humbles que ceux qui sont placés le plus haut dans le ciel ; parce qu'étant plus près de Dieu , ils voient plus clairement l'intervalle immense qui sépare les créatures du Créateur.

C'est pourquoi , ô mon âme, aimez l'humilité , si vous désirez la vraie gloire : imitez l'Agneau sans tache, imitez sa sainte Mère , imitez les Chérubins et les Séraphins , d'autant plus humbles qu'ils sont plus élevés.

7° Non-seulement Dieu a placé son trône au-dessus de tous les trônes, parce qu'il est. le souverain juge ; mais il jouit encore du plus profond repos et il en fait jouir ceux qui le possèdent. Le trône sublime de Dieu n'est autre chose que la sublimité de son repos. Car son gouvernement de l'univers , où sont des guerres continuelles et un conflit perpétuel entre les éléments , les animaux et les hommes , est cependant un gouvernement paisible ; il juge avec tranquillité (Sap. 12.) Jouit sans cesse d'une paix profonde , en sorte que rien n'est capable de troubler son repos , ni la contemplation de lui-même qui fait ses délices éternelles ; voilà pourquoi il est appelé roi de Jérusalem, qui est le symbole de la paix. Les esprits bienheureux forment son trône Sedet super Cherubim (Ps. 79 et 98.). C'est sur les Chérubins, qui désignent l'étendue de la science, plutôt que sir l'étendue .des Séraphins, qui indiquent l'ardeur de la charité, que Dieu établit son trône ; parce que le repos est le fruit de la science , tandis que la sollicitude et l'anxiété sont le partage de l'amour, à moins qu'il ne soit uni à la sagesse ; c'est dans ce sens que l'âme du juste est appelée le siège de la sagesse. Enfin lorsque Isaïe dit : Le ciel est mon trône , et que David assure que le ciel le plus élevé est au Seigneur Caelum caeli Domino (Ps. 113.), par ce ciel on entend les cieux spirituels qui habitent audessus des cieux corporels , c'est-à-dire , les esprits bienheureux, comme l'explique St. Augustin (in expos. Ps. 113.). Or la paix et le repos que Dieu procure à ces lieux est une aix et un repos qui surpassent tout ce qu'on en pourrait imaginer : Pax quae exsuperat omnem sensum. Écoutons ce qu'en dit St. Bernard dans son sermon 23 sur le Cantique des cantiques: « Dieu communique son repos à tous ceux qui l'environnent ; il suffit d'être admis à le voir pour jouir de ce repos. Tel qu'un roi , qui , après les occupations de la journée , après avoir renvoyé la foule , suspendu la sollicitude des affaires , se retire dans son palais avec un petit nombre de ses amis, qu'il honore de son intimité et de sa familiarité. Son repos est d'autant plus sûr, qu'il est plus secret; et la sérénité de son front se fait d'autant plus remarquer, qu'il ne promène ses regards que sur des amis choisis. » St. Bernard donne assez à entendre par ces paroles que Dieu ne se montre point aux bienheureux comme un juge et un maître ; mais comme l'ami le plus intime ; et dans cette vie même quelle intimité, quelle familiarité ne montre-t-il pas aux âmes pures ? Mes délices , dit-il. (Prov. 8 et 3.), sont d'être avec les enfants des hommes , et de m'entretenir avec ceux qui marchent dans la simplicité.

Aussi voyons-nous tous les saints , malgré les peines et les persécutions qu'on leur a suscitées, jouir d'une paix profonde dans le fond de leur coeur,  parce que Dieu y habite. C'est pourquoi on les a toujours vus dans la joie, avec la sérénité peinte sur leur front , parce que la paix était dans leur âme. Jésus-Christ leur avait dit : Votre coeur se réjouira , et personne ne pourra vous ôter cette joie : Gaudebit cor vestrum , et gaudium vestrum nemo tollet a vobis (Joan. 6.).

8° Il nous reste à expliquer la quatrième partie de la grandeur des êtres , qui est la profondeur. Cette qualité est de plusieurs sortes dans l'essence divine. D'abord la Divinité elle-même est très-profonde ,            n'étant pas superficielle et inaperçue , mais parfaitement pleine et parfaitement solide. La Divinité n'est pas comme une masse dorée , qui n'a de l'or qu'à la superficie , et, dont l'intérieur est d'airain ou de bois; mais on peut la comparer à une masse qui serait toute d'or; à une masse grande et immense, ou plutôt à une mine d'or profonde et inépuisable : ainsi nous voyons que Dieu est absolument incompréhensible, parce qu'ainsi qu'une mine qui n'aurait point de fond , ne pourrait jamais s'épuiser, ainsi Dieu dont la grandeur est infinie, ne pourra jamais être si parfaitement connu de notre âme , qu'elle ne puisse toujours le connaître davantage. Il n'y a que Dieu dont l'intelligence est infinie , qui puisse sonder la profondeur de son être. Dieu est encore profond sous le rapport du lieu; carde même qu'il est très-élevé parce qu'il préside à tout , et qu'il est au-dessus de tous les êtres , on peut dire de même qu'il est . très-profond , parce qu'il est au-dessous de tous les êtres pour les soutenir et pour les porter : car c'est lui , dit l'Apôtre (Hebr. 1.) , qui soutient tout par la puissance de sa parole. C'est pourquoi Dieu est comme le fondement et le faîte de l'édifice , c'est en lui que nous avons l'être, le mouvement et la vie (Act. 17.) ; et comme dit Salomon (II. Paral. 6. 18.) , le ciel et les cieux des cieux ne peuvent le contenir , parce que c'est plutôt - Dieu, qui,.. contient les cieux et tout ce qui est au-dessous. Enfin la profondeur de Dieu est son invisibilité : car Dieu est la lumière , mais une lumière inaccessible; il est la vérité, mais une vérité très-intime, et plus intérieure que ce qui l'est le plus : il se cache dans les ténèbres: Posuit tenebras latibulum suum (ps. 17. 13.) il est vraiment un Dieu caché : Vere Deus absconditus (Is.45.) St. Augustin, Lib. 9. Conf. C. 10. Lib. 10. C. 6. et in Ps. 26 et 448, cherchant Dieu , envoya un jour aux cieux deux messagers qui étaient ses yeux ; les cieux lui répondirent : Nous ne sommes pas celui que vous cherchez , c'est lui qui nous a faits: Ipse fecit nos. Ne pouvant découvrir Dieu par les sens extérieurs , il essaya de s'élever à lui par les voies intérieures, et il comprit que ce moyeu était le plus facile pour approcher de Dieu ; car il comprit que l'aine était meilleure que le corps ; que le sens intérieur l'emportait sur le sens extérieur ; et que l'intellect, qui est encore intérieur, était au-dessous des sens internes : d'où il conclut que Dieu, qui est plus intérieur crue notre intellect , était meilleur que lui ; et que par conséquent rien de ce que nous comprenons , ou de ce que nous imaginons , n'était Dieu, mais quelque chose de moindre que Dieu , parce que Dieu est meilleur que tout ce que nous pouvons comprendre ou imaginer. Courage donc , ô mon âme , si vous valez mieux due votre corps auquel vous donnez la vie, parce qu'il est corps et que vous êtes esprit, et que l’oeil de votre corps ne vous voit point parce qu'il est extérieur et que vous êtes intérieure; croyez que Dieu est meilleur que vous, puisqu'il vous donne l'intelligence, et qu'il est pour ainsi dire votre âme : c'est pour cela que vous ne pouvez le voir , parce qu'il est un esprit plus élevé et plus intérieur que vous et que vous restez en quelque sorte dehors tandis qu'il habite l'intérieur le plus secret et le plus profond. Mais ne serez-vous jamais admise à cette retraite cachée? Loin de vous une pensée semblable ! Le Seigneur qui ne ment point a dit : Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu. Son Apôtre nous assure (I. Cor. 13. 12.) que si nous ne voyons Dieu maintenant que comme en un miroir et en des énigmes , un jour nous le verrons face à face ; et St. Jean (I. 3. 2) dit que nous savons que lorsque Jésus-Christ se montrera dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est. Représentez-vous donc quelle sera votre joie , lorsque admise dans ce sanctuaire secret , vous verrez et vous posséderez la lumière elle-même, la véritable: réalité , la beauté , la bonté par essence. Alors vous comprendrez combien sont vains , futiles et nuls les biens de ce monde; ces biens qui par leur charme trompeur plongent l'homme dans l'ivresse, et lui font oublier les seuls vrais biens , les biens éternels. Mais si vous êtes vraiment altéré du désir de posséder le Dieu vivant ; si les larmes sont devenues votre pain quotidien; en attendant que vous trouviez votre Dieu (Ps. 41) , ne négligez point de purifier votre coeur pour le rendre digne de voir ce Dieu que vous cherchez ; ne discontinuez point de méditer dans votre coeur les moyens de vous élever vers Dieu, jusqu'à ce que vous le verrez dans la céleste Sion (Ps. 83. 6. 7.); et ne laissez point refroidir en vous l'amour de Dieu et du prochain, n'aimez pas de parole et de langue, mais par oeuvre et en vérité (I. Joan. 3. 18.). Car c'est là le chemin qui conduit à la vie.

 

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ONZIÈME DEGRÉ. Considération de la grande puissance de Dieu, comparée à la  grandeur corporelle.

 

Le Seigneur est grand , et sa grandeur n'a ni bornes ni mesure. Il est non-seulement grand en ce qu'une puissance infinie fait sa hauteur; une sagesse incompréhensible , sa profondeur; une miséricorde universelle , sa largeur ; et une justice inflexible , sa longueur ; mais encore parce que chacun de ces grands attributs a une grandeur infinie en largeur, en longueur, en hauteur et en profondeur.

Et d'abord, si nous commençons parla puissance , ou plutôt la toute-puissance de Dieu , nous verrons que sa largeur s'étend à une infinité de choses, premièrement: à tout ce qui a été fait; car , dans toute cette universalité d'êtres , depuis le premier ange jusqu'au dernier vermisseau , et depuis le haut du ciel jusqu'au plus profond des abîmes , il n'y a rien qui n'ait été produit par la puissance de Dieu : Omnia per ipsum facta sunt , et sine ipso factum est nihil... et mundus per ipsum factus est (Joan. 1.). Ensuite cette même puissance s'étend à tout ce qui se fera éternellement. Car de même que rien n'a pu être fait que par lui, rien non plus ne peut être fait sans lui : Ex ipso , et per ipsum, et in ipso sunt omnia (Rom. 11.). Troisièmement la puissance de Dieu s'étend à tout ce qui peut être fait , quoique cela ne doive jamais être fait Non exit impossibile apud Deum omne verhum (Luc. 1.). Quatrièmement elle s'étend à la destruction de tout ce qui a été fait. Car de même que Dieu a pu faire périr par le déluge tous les hommes et tous les animaux qui étaient sur la terre , à l'exception d'un petit nombre que Noé sauva dans l'Arche , de même aussi il pourra par un déluge de feu détruire en même temps non-seulement tous les hommes et tous les animaux qui existeront au dernier jour, mais encore tous les arbres, toutes, les, villes., et tout ce qui sera sur la terre. Car, dit St. Pierre, (II. 3. 10.)comme le larron vient durant la nuit, aussi le jour du Seigneur viendra tout d'un coup : et alors dans le bruit d'une effroyable tempête, les cieux passeront, les éléments embrasés se dissoudront, et la terre avec tout ce qu'elle contient sera consumée par le feu. Cette étendue de la puissance de Dieu est vraiment grande. Pour l'admirer autant qu'elle le mérite, il faudrait connaître la multitude des êtres que Dieu a déjà créés , de ceux qu'il créera par la suite , et enfin de ceux qu'il pourrait créer s'il le voulait; mais pour compter cette multitude infinie d'êtres , il faut la science infinie de celui qui seul peut les produire. On est encore plus étonné de la grandeur de cette puissance , si l'on considère que celui qui a produit depuis tant de siècles ces êtres s divers , peut sans effort les détruire en un instant: Uno nutu delere (2 Mach. 8.) Écrions-nous donc avec Moïse Qui d'entre les forts est semblable à volts, Seigneur ( Exod.15. 11.)?

2° On reconnaît la longitude de la puissance divine dans sa coopération continuelle à tout ce qu'elle a produit , sans qu'elle en ait éprouvé, et sans qu'elle doive jamais en éprouver de fatigues. Car cette puissance de Dieu ne peut ni diminuer ni s'affaiblir , ni se détruire en aucune manière , puisqu'elle est unie à l'éternité, ou plutôt parce qu'elle est la vraie éternité de Dieu. C'est pour plusieurs un grand sujet d'admiration , de considérer comment le soleil , la lune et les étoiles font depuis tant de siècles , avec tant de célérité, leur course d'orient en occident, et décrivent leurs orbes sans interruption ; ils auraient raison de s'étonner; et ce phénomène serait inexplicable , si nous ne savions que ces grands corps sont mus par celui qui soutient tout par la puissance de sa parole ( Hebr. 1. ). D'autres ne peuvent comprendre comment dans l'enfer le feu pourra durer éternellement, ni comment les corps des damnés

pourront n'être pas consumés par des flammes éternelles. Mais quoique cela soit admirable et même impossible à tout autre , cependant l'éternité et la toute- puissance de Dieu entretiendra toujours l'ardeur du feu, et l’empêchera de s'éteindre ; elle conservera de telle manière , dans ce feu, les corps des réprouvés, qu'ils brûleront sans cesse et ne seront jamais consumés. Enfin il en est qui sont étonnés que Dieu puisse porter et soutenir tout ce qui existe, sans être fatigué par cette masse immense et ce poids presque infini : en effet un homme robuste , un animal bien fort peuvent , il est vrai , porter un grand fardeau pendant un court espace de temps ; mais il n'y a point de forces créées capables de porter sans fatigue et sans discontinuation un fardeau énorme. Quant au Tout-puissant , ses forces n'ont point de bornes comme celles des créatures , mais elles sont infinies comme ses autres attributs ; ainsi il ne faut pas s'étonner que le poids de l'univers, tout énorme qu'il est, ne lui procure ni fatigue , ni lassitude ; écrions-nous donc avec Moïse : Qui d'entre les forts est semblable à vous, Seigneur?

3° Traitons maintenant de la hauteur ou de l'élévation de la puissance de Dieu, et considérons-la sous deux rapports. D'abord on peut dire que la toute-puissance de Dieu est très-haute, parce que lui seul a fait ce qu'il a de plus élevé. A la vérité Dieu créa dans le principe les êtres sublunaires, mais ces êtres peuvent par l'action des créatures se reproduire , se transformer et se corrompre : car les éléments se transforment dans leurs parties; la terre produit les plantes elles arbres ; les animaux se propagent ; les poissons se reproduisent dans l'eau; dans l'air se forment les nuages et la pluie; le feu produit les comètes. Mais Dieu seul a créé, Dieu seul conserve le ciel et les astres , qui sont les corps les plus élevés , et la créature n'a. aucune, action pour les former , ni pour les transformer , ni pour les dissoudre , ni pour les conserver : Je considère les cieux, dit le Prophète, qui sont les ouvrages de vos doigts , la lune et les étoiles que vous avez affermes. Car le Très-Haut s'est réservé à lui seul les ouvrages les plus élevés; il les a pris aux fondements, il les a conduits jusqu'au faîte; c'est encore par sa puissance infinie qu'il a seul créé les substances spirituelles, les anges et nos âmes, et qui sont les oeuvres les plus sublimes et les plus nobles; lui seul les conserve et les conservera éternellement, ne permettant jamais qu'elles s'anéantissent. Les créatures n'ont ici rien à faire ; toutes ensemble ne sauraient produire un ange ai une âme , encore moins pourraient-elles les détruire. Ensuite l'élévation de la puissance divine se montre clairement dans les miracles , qui , selon la définition de S. Augustin , sont des oeuvres qui s'écartent du cours usité et ordinaire de la nature, et se font admirer de tous, même des anges. Quel est l'esprit céleste qui ne fût ravi d'admiration , lorsqu'à la voix de Josué le soleil et la lune interrompirent leur course précipitée et restèrent immobiles ( Jos. 10 ) ? Croirions-nous que ce fut un effet du hasard ? (car il ne viendra jamais dans, l'esprit de qui que ce soit qu'un homme mortel ait pu par lui-même opérer un tel prodige) ? L'Esprit-Saint a parlé , et il a dit que Dieu en cette circonstance obéit à la voix de l'homme Obediente Domino voci hominis (Jos. 10.).En effet,il ne faut pas croire que Josué se soit adressé directement au soleil et à la lune, qu'il savait ne pouvoir l'entendre, mais il pria le Seigneur et sembla dire : Par l'ordre de Dieu, soleil, arrête-toi sur Gabaon; lune, n'avance point sur la vallée d'Ajalon (Josué 10. 12.).Or le Seigneur obéit à la voix d'un homme , c'est-à-dire qu'il fit que ces deux astres obéirent à la voix d'un homme; à la voix de Josué. Car souvent dans l'Écriture on attribue à l'action divine ce dont elle est la cause ; comme quand le Seigneur dit à Abraham : Je connais maintenant que vous craignez Dieu (Gen. 22.). Le sens de ces paroles est celui-ci : J'ai fait maintenant connaître à vous et a d'autres que vous craignez vraiment le Seigneur. Un autre prodige qui attestait la grandeur de la puissance de Dieu eut lieu au temps de la passion de Jésus-Christ , lorsque la lune qui était dans son plein et par la même à sa plus grande distance du soleil , s'en rapprocha avec célérité, l'éclipsa pendant trois heures , et revint ensuite avec la même vitesse au point d'où elle était partie. Cet étonnant prodige a été vu et observé par St.Denis l'Aréopagite, qui l'écrivit à St. Polycarpe. Ce miracle est le contraire de celui de Josué ; mais il n'en est pas moins admirable , car c'est une chose tout aussi nouvelle, insolite, et au-dessus des forces de la nature,de voir la lune précipiter sa course contre son cours ordinaire, que de la voir s'arrêter. Je passe sous silence la guérison des aveugles, la résurrection des morts et une infinité d'autres miracles que Dieu a opérés et qu'il opère encore par ses prophètes , par ses apôtres et par ses autres fidèles serviteurs ; œuvres éclatantes qui semblent dire : Qui d'entre les forts est semblable ù vous , Seigneur ( Ex. l5.) ? Mais je ne puis omettre ce grand, cet étonnant miracle que Dieu fera au dernier jour lorsque tous les morts ressusciteront ensemble , quoique leurs corps aient été réduits en cendres et dispersés ou dévorés par les bêtes et transformés en d'autres corps , ou ensevelis dans les cimetières,dans les champs, et convertis en différentes plantes. Quel est l'ange qui ne sera pas dans l'étonnement , lorsqu'il verra dans un clin-d'eeil , à la voix du Tout-Puissant , tant de milliers d'hommes morts depuis tant de siècles , dispersés et détruits en tant de manières, reprendre tout-à-coup leurs corps? C'est donc ici que se manifeste la hauteur ou l'élévation de la puissance de Dieu qui doit nous faire répéter . Qui d'entre les forts est semblable hvous, Seigneur ?

4° Il nous reste à dire un mot de la profondeur de cette puissance divine. Elle semble se manifester plus spécialement dans la création des êtres. En effet, qui peut comprendre la manière de faire quelque chose de rien ? Ces philosophes qui jadis mirent en principe que du néant il n'en pouvait rien sortir, n'avaient su pénétrer dans cet abîme de la puissance de Dieu. Pour nous , parfaitement rassurés par la véracité de Dieu qui ne peut mentir , nous croyons ce que nous ne pouvons comprendre ; nous croyons que le ciel et la terre avec tout ce qu'ils renferment, ont été créés de Dieu, sans qu'il existât rien auparavant qui ait servi à les former : car Dieu n'aurait pas vraiment fait tout ce qui a été fait , s'il avait préexisté une matière pour le former. Mais savoir comment ce qui n'existait point a pu exister et passer du non-être à l'être , c'est un abîme profond où il nous est impossible de pénétrer. Ensuite Dieu n'a pas seulement tiré du néant tout ce qui existe, mais il l'a fait dans le néant, c'est-à-dire sans espace préexistant , sans lieu pour placer ce qu'il faisait , ce qu'il est presque impossible de comprendre, surtout dans les choses corporelles. C'est un abîme impénétrable. Otez aux; corps l'espace des lieux , dit St. Augustin ; et ils ne seront nulle part , et parce qu'ils ne seront nulle part, ils n'existeront point : Spatia locorum tolle à corporibus, et nusquam erunt, et quia nusquam erunt , nec erunt. Mais si rien n'existait avant que Dieu créât le ciel et la terre , où plaça-t-il le ciel et la terre? Ils ne purent certainement être placés dans le ciel (quoiqu'ils fussent faits dans le néant), et cependant ils furent créés, et ils sont à eux-mêmes leur lieu ; parce qu'ainsi l'a voulu, et l'a pu celui qui peut tout, quoique nous ne puissions comprendre comment cela s'est fait.

Dieu fait allusion à ses oeuvres étonnantes, lorsqu'il dit à Job (38. 4.). Où étiez-vous quand je jetais les fondements de la terre? dites-le moi, si vous avez de l'intelligence; savez-vous qui en a réglé toutes les mesures, ou qui a tendu sur elle le cordeau , sur quoi ses bases sont affermies, ou qui en a posa la pierre angulaire? Et pour nous faire comprendre que ces oeuvres doivent exciter toute notre admiration, le Seigneur demande encore à son serviteur Job: Où étiez-vous aussi lorsque les astres du matin me louaient tous ensemble, et que tous les enfants de Dieu étaient transportés de joie ? Il faut entendre ici les anges qui furent créés en même temps que le ciel et la terre et qui sont en quelque sorte des astres spirituels et très-brillants , appelés les enfants de Dieu. Dès qu'ils virent sortir du néant le ciel et la terre, semblant reposer sur le néant, et cependant fortement et solidement appuyés sur leur propre masse , saisis d'admiration , ils firent éclater leur joie ; et exaltèrent la tourte-puissance du Créateur.

La manière dont Dieu érigea ces masses immenses par un seul acte de sa volonté , ne présente pas un abîme moins profond à notre intelligence : car dans la construction des édifices sans comparaison moins importants, que d'instruments , que de machines, que d'ouvriers ne faut-il pas! Qui pourra donc comprendre la puissance de cette volonté intérieure de Dieu , quia produit extérieurement des ouvrages si immenses et si variés? Dieu dit, et en lui-même, car la parole de Dieu est en Dieu , elle est Dieu lui-même; il dit, dis je, en ordonnant et en exprimant l'ordre de sa volonté (Gen. 1.) : Que le ciel soit fait, et le ciel fut fait ; que la terre soit faite , et la terre fut faite ; que la lumière soit faite, que le soleil soit fait , que les étoiles , que les arbres , que les animaux , que les hommes, que les anges soient faits, et tout fut fait. Ajoutez que Dieu pourrait, s'il le voulait, détruire en un instant tout ce qu'il a créé (II. Mach. 8.). Mystère impénétrable ! de savoir comment Dieu a pu créer dans un moment tant d'êtres si multipliés, si grands, composés de tant de membres ou de parties si diverses! Parmi nous l'art et la nature demandent un long espace de temps pour perfectionner leurs ouvrages ; nous voyons les semences des plantes rester longtemps cachées dans le sein de la terre avant de germer et de croître; il faut aux arbres des siècles entiers ou du moins plusieurs années pour s'enraciner, pour étendre leurs branches et produire des fruits; dans les animaux, quel temps au fétus pour se former! Il faut qu'il soit longtemps allaité après sa naissance , et encore il lui faut plusieurs années pour acquérir son accroissement.          Quant aux arts, il est inutile d'insister que ce n'est qu'à la longue que les artistes perfectionnent leurs ouvrages.

Qu'elle est donc grande la puissance de Dieu! Dans ses oeuvres l'exécution semble devancer ses ordres. Je ne veux pas discuter ici si. Dieu a formé le ciel et la terre dans un moment, ou s'il a employé six jours entiers à la création. J’ai entrepris , non d'expliquer les difficultés, mais de m'élever à Dieu par la considération des créatures. Dans mon admiration , j'établis un seul principe qui est que le Tout-Puissant a créé chaque chose dans un instant. Pour ce qui est de la terre , de l'eau, de l'air et du feu, tous s'accordent à dire, qu'ainsi que les anges , ces choses furent créées dans un instant. On convient aussi que le firmament et la division des eaux furent opérés par la seule puissance du Verbe, lorsqu'il dit: Que le firmament soit fait au milieu des cieux et cela se fit en un moment; puisque l'écrivain ajoute : Et il fut fait ainsi,et factum est ita. Dieu dit seulement , remarque St. Chrysostome , et l'ouvrage fut fait. Qui ne sera étonné ajoute le même auteur , en voyant comment au son de ces paroles : Germinet terra herbam virentem, la terre fut richement décorée, comme d'une robe éclatante, par aine variété de fleurs innombrables; vous eussiez vu tout-à-coup la terre, auparavant informe et muette , le disputer en beauté , à l'éclat des cieux. Et ensuite expliquant ces paroles : Fiant luminaria , le saint docteur ajoute : Dieu dit seulement , et cet astre admirable que nous appelons soleil fut produit. Qu'il est étonnant de voir au même moment, par cette même parole , paraître la lune et toutes les étoiles! Expliquant les paroles suivantes Producant aquae , etc. Quelle langue, dit-il , pourrait louer convenablement le Créateur ? Car , de même qu'après avoir commandé à la terre, elle s'empresse de produire les plantes et les fleurs; de même aussi,après avoir commandé aux eaux, elles produisent à l'instant une multitude innombrable de reptiles et de volatiles de toute espèce : Qui donc parmi les forts est semblable à vous, Seigneur ?

5° Pour vous, ô mon âme , vous comprenez déjà parfaitement combien est grande la puissance de votre Créateur , qui par sa largeur s'étend à tout, par sa longueur dure sans cesse, porte et gouverne tout sans fatigue; par sa hauteur ou son élévation peut faire ce qui paraît impossible, et ce qui l'est en effet à tout autre qu'à lui ; et par sa profondeur produit les êtres de manière que son action surpasse l'intelligence des créatures, puisque par sa seule parole et par son ordre, sans instruments quelconques, sans espace de temps, il les fait du néant et dans le néant : Ipse dixit et facta sunt : ipse mandavit et creata sunt (Ps. 148.).Vous en conclurez, si vous êtes sage, combien il importe d'avoir ses bonnes grâces et son amitié. Car si vous avez Dieu pour ennemi , s'il est irrité contre vous, il peut en un instant vous priver de toutes sortes de biens et vous accabler d'une infinité de anaux , sans que personne puisse vous délivrer de ses mains : car qui oserait disputer contre le Tout-Puissant ? Si vous vous trouviez seul et sans armes en présence d'un ennemi implacable qui vous poursuivît avec son épée, que feriez-vous ? La sueur vous monterait au front , vous pâliriez,vous trembleriez , et vous mettant à genoux,vous demanderiez grâce. Et cependant cet ennemi n'est qu'un homme; peut-être en fuyant, en opposant de la résistance et en lui arrachant le fer des mains vous pourriez éviter la mort. Mais que ferez-vous contre un Dieu irrité ? vous ne pouvez le fuir , puisqu'il est partout ; ni lui résister, car il est tout-puissant ; ni gagner du ;temps , puisqu'il agit dans un instant , et par un seul acte de sa volonté. Ce n'est donc pas sans raison que l'Apôtre a dit : Qu'il est horrible de tomber entre les mains du Dieu vivant (Hebr. 10.).Mais si vous êtes dans l'heureux état de la grâce , s'il est votre ami , quel bonheur pour vous ! il peut, s'il le veut, et il le veut, s'il est votre ami , vous combler de toutes sortes de biens , et vous préserver de toutes sortes de maux; et cependant, tandis que vous êtes dans cette vie , il dépend de vous d'avoir Dieu pour ennemi , ou pour ami : car il n'a jamais cessé,d'abord par ses prophètes, ensuite par son propre Fils et par ses apôtres , d'inviter les pécheurs à la pénitence , et les justes à l'observation de ses commandements , pour avoir les uns et les autres dans son amitié, pour en faire ses enfants chéris et les héritiers de son royaume. Écoutez Ézéchiel ( 33. 11. ) : J'en jure par moi-même, dit le Seigneur, je ne veux point la mort de l'impie; mais je veux qu'il se convertisse , qu'il quitte sa mauvaise voie et qu'il vive. Convertissez-vous, convertissez-vous, quittez vos voies toutes corrompues Pourquoi mourriez-vous, maison d'Israël. En quelque jour que l'impie se convertisse, son impiété passée ne lui nuira point. Jérémie et les autres prophètes répètent les mêmes choses qu'Ézéchiel. Écoutez encore le Fils de Dieu , lorsqu'il commence ses prédications : Jésus, dit l'Évangéliste (Math. 4.) commença à prêcher, et à dire: Faites pénitence,car le royaume de Dieu approche. Écoutez St. Paul parlant de lui-même et des autres apôtres (II. Cor. 5. 20.): Nous faisons auprès de vous la charge d'ambassadeurs de Jésus-Christ , et c'est Dieu même qui nous exhorte par notre bouche, lorsque nous vous conjurons au nom, de Jésus-Christ de vous réconcilier avec Dieu. Quoi de plus clair? quoi de plus doux ? l'Apôtre nous conjure , au nom de Jésus-Christ, de nous réconcilier avec Dieu et de préférer son amitié h sa haine. Après cela, qui pourra douter de la miséricorde de Dieu, s'il revient sérieusement à lui ? Ce père infiniment aimable recevra les pécheurs repentants , comme il reçut l'enfant prodigue. Une fois convertis et réconciliés , que demande-t-il de nous, sinon que nous persévérions a être ses amis , ses enfants , et que nous observions ses préceptes : Si vis ad vitam ingredi, servi mandata (Matth. 19.) ? Mais afin que vous n'alléguiez point pour excuse que vous ne pouvez observer les commandements sans le secours de Dieu , St. Augustin partant du précepte le plus difficile (in Psal. 56.), qui est de donner sa vie pour ses frères, s'exprime ainsi : « Dieu ne nous commanderait pas une chose , s'il jugeait que l'homme n'est pas capable de l'accomplir; et si, vous défiant de votre faiblesse, vous craignez à la vue du précepte, cherchez de la force dans l'exemple. Vous en avez un bon nombre , et surtout l'exemple que vous a donné celui qui vous donnera la grâce pour accomplir ce qu'il vous ordonne. » Mais afin de confirmer cette consolante vérité par l'assertion de deux témoins , écoutez saint Léon : « Puisque Dieu nous donne le secours » nécessaire à l'accomplissement des préceptes, c'est donc avec justice qu'il nous les fait. » Juste Deus instat praecepto , qui praecurrit auxilio (Serm. 16 de passion Dom.). Pourquoi donc, ô mon âme, craindriez-vous d'entrer dans la voie des commandements,puisque vous aurez pour guide celui qui, par le secours puissant de sa grâce, redresse les chemins tortueux , et aplanit ceux qui sont difficiles (Is. 40.4.) Avec ce secours le joug du Seigneur devient doux,et son fardeau léger; ses préceptes ne sont point onéreux, dit St. Jean : Mandata ejus gravies non sunt (1. Joan. 5.).Mais si,malgré tant de témoignages,les préceptes divins vous paraissent pénibles et difficiles à observer, pensez combien seront plus pénibles encore les tourments de l'enfer, et ne soyez pas assez insensé pour vouloir en faire la triste expérience. Pensez et pensez sans cesse , n'oubliez jamais que c'est maintenant le temps de la miséricorde , et ensuite celui de la justice ; que vous êtes maintenant libre de pécher, et que vous serez ensuite forcé d'expier vos péchés dans d'horribles tourments ; que l'homme peut maintenant s'arranger facilement avec son Dieu , et par une pénitence de peu de temps obtenir une grande miséricorde , et par quelques larmes éviter des larmes éternelles : et d'un autre côté , considérez que chaque bonne oeuvre faite dans la charité, peut maintenant nous mériter le ciel, tandis qu'après cette vie, tous les biens de la terre ne suffiraient point pour nous procurer une seule goutte d'eau pour soulager nos tourments.

 

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DOUZIÈME DEGRÉ. Considération de la grandeur de la sagesse théorique de Dieu, par la comparaison de la grandeur corporelle.

 

Nous comprendrons combien sont vraies les paroles de St. Paul,lorsqu'il dit dans son Épître aux Romains (16.) : Que Dieu seul est sage , si nous considérons attentivement la largeur , la longueur , la hauteur et la profondeur de la sagesse divine! Et , pour commencer par la largeur, nous pouvons assurer qu’elle est immense, parce que Dieu connaît distinctement et parfaitement tout ce qui existe dans la nature, depuis le premier ange jusqu'au dernier vermisseau ; non-seulement il connaît toutes les substances, mais encore leurs parties, leurs propriétés , leurs forces , leurs accidents et leurs actions : c'est ce qui fait dire à Job parlant à Dieu (14) : Vous avez compté tous mes pas; et à l'auteur du livre des Proverbes (5) : Dieu examine les démarches de l'homme et considère tous ses pas. Mais s'il compte et s'il examine chaque démarche extérieure, combien plus examinera-t-il les actions bonnes ou mauvaises de notre âme! Si Dieu tient compte de nos cheveux, comme il le dit lui-même : Vestri autem capilli  capitis omnes numerati sunt (Matth. 10.), combien connaît-il plus exactement encore tous les membres des corps et toutes les dispositions des esprits ! S'il connaît le nombre des grains de sable de la mer et de toutes les gouttes de pluie (Eccli. 1.), combien plus doit-il connaître le nombre des étoiles et celui des anges! Si,comme il nous l'assure , il doit faire rendre compte au jour du jugement de toutes les paroles inutiles (Matth. 12.), ne devons-nous pas conclure qu'il entend tout ce que les hommes disent, et qu'il connaît tout ce qu'ils pensent et qu'ils désirent? Qu'elle est d'one grande, qu'elle est immense cette largeur d'une sagesse qui embrasse et connaît tout ce qui est, tout ce qui a été , tout ce, qui sera , et tout ce qui pourrait être ! Ne croyez pas cependant , comme l'ont rêvé certains philosophes, que cette connaissance si détaillée avilisse la sagesse divine : cela pourrait être si Dieu puisait,comme nous,ses connaissances, dans les êtres créés; mais parce qu'il voit tout dans son essence , ce détail n'est plus indigne de lui. Et pour nous, il y a plus de noblesse à recueillir la science parmi les créatures, ce qui est le privilège de l'homme , que de ne pas en avoir du tout , ce qui est la condition des brutes ; de même qu'il vaut mieux être aveugle par accident, ce qui est le propre des animaux, que de ne pas être apte à voir, sans être exposé à la cécité, ce qui convient a la pierre; et les autres membres du corps ne sont pas plus nobles que les yeux, pour n'être pas exposés à la cécité; mais les yeux sont plus nobles , parce qu'ils ont la faculté de voir, quoiqu'ils puissent la perdre, selon la remarque de St. Augustin dans son livre de la Cité de Dieu (10. c. 1.). Concluez , ô mon âme , que vous devez en tout lieu et en tout temps faire attention à ce que vous dites, à ce que vous faites, à ce que vous pensez; puisque vous ne pouvez rien faire , dire ou penser sans être vue, entendue et considérée de Dieu. Vous n'oseriez rien faire , ni rien dire de mal , quoique pressée par une forte inclination, si vous saviez que vous êtes vue et entendue par des personnes que vous respectez : comment donc Posez-vous en présence de Dieu qui vous voit et qui en est indigné? Mais supposons que personne ne vous voit, comment éviterez-vous les regards de cette sentinelle vigilante à qui on ne peut rien cacher ( St. Aug. in regula sanctimonialium, epist.103.) ? Et St. Bazile, interpellant une vierge qu'il suppose renfermée seule dans sa chambre, lui recommande le plus profond respect pour son époux présent en tous fieux,pour le Père céleste et pour l'Esprit-Saint, et pour l'innombrable multitude d'anges qui accompagnent l'adorable Trinité , ainsi que les âmes des SS. Pères ; car, ajoute-t-il, il n'y a aucun d'eux qui ne voie partout tout ce qui se passe : Nullus enim horum est, qui non ubique, omnia videat (Lib. de Virgin.). Que vous serez heureuse , ô mon âme , si vous pensez toujours, même au milieu des plus épaisses ténèbres de la nuit et dans le silence, que vous êtes environnée de Dieu et de ces bienheureux esprits ! Combien alors votre vie sera parfaite, avec quel soin éviterez-vous la légèreté et la dissipation ! C'est. ce qui fut révélé jadis au patriarche Abraham : Marchez en ma présence, lui dit le Seigneur, et soyez parfait (Gen. 15.), c'est-à-dire , pensez que je vous vois toujours , et point de doute que vous ne soyez parfait.

2° La longitude ou l'étendue de la sagesse se reconnaît dans la connaissance de l'avenir. Dieu voit si clairement, que de toute éternité il a vu ce qui doit arriver dans les derniers temps et jusque dans l'éternité. Peut-on imaginer une plus grande étendue de connaissance? Fous avez découvert de loin mes pensées, dit David (Ps. 138. 2.).... Tout vous est connu , l'avenir et le passé, c'est-à-dire tout ce qui doit arriver et tout ce qui s'est passé. Les livres des prophètes sont remplis de prédictions claires et très-vraies, qu'ils n'ont pas faites d'eux-mêmes;mais,comme le dit Zacharie , Dieu a parlé par la bouche de ses saints prophètes qui ont été dans les siècles passés (Luc. 1. 70.). Et cette prévision et ces prédictions appartiennent tellement à Dieu seul, qu'il dit lui-même dans Isaïe, s'adressant à son peuple et lui faisant connaître la vanité des idoles (41. 23.) : Découvrez-nous donc ce qui doit arriver à l'avenir, et nous reconnaîtrons que vous êtes Dieu. Et pour dire beaucoup en peu de mots, Isaïe s'exprime ainsi (45.1.). Voici ce que dit le Seigneur à Cyrus qui est mon christ et mon oint que j'ai établi roi, et que j'ai pris par la main pour lui assujettir les nations, pour mettre les rois en fuite, etc. Dans ce chapitre est prédite la monarchie des Perses; Cyrus, premier roi des Perses, y est désigné par son nom propre; on y explique pourquoi Dieu a voulu élever ce prince , savoir, pour faire cesser la captivité de Babylone , et tout s'accomplit au bout de deux cents ans. La comparaison d'une grande statue dont la tête était d'or , la poitrine d'argent , le ventre et les cuisses d'airain, et les pieds en partie de fer et en partie de terre , servit encore à Daniel pour prédire les quatre monarchies des Babyloniens, des Perses, des Grecs et des Romains ; et dans le temps de la dernière monarchie , le royaume de Jésus-Christ, c'est-à-dire,l'Église chrétienne , supérieure à tous ces royaumes. Il décrit ensuite si clairement les guerres des successeurs d'Alexandre-le-Grand (Dan. 11.), que quelques incrédules ont soupçonné que ces prophéties fussent écrites après les événements : et passant sous silence les autres prophéties, nous vouons , dans St. Luc (19.), Jésus-Christ déplorant la ruine de Jérusalem , qui ne devait arriver que plusieurs années après, et dépeignant d'une manière si distincte et si détaillée chaque évènement , qu'on croirait lire l'histoire d'un fait déjà accompli. Je ne dis rien d'un grand nombre d'autres prophéties, dont les livres saints sont remplis. Quant aux astrologues et autres devins , qui, comme des singes , veulent imiter la prescience de Dieu,on ne peut que s'en moquer. Il ne leur est pas possible de prévoir les événements libres et contingents ; il n'y a que le hasard qui puisse quelquefois leur faire rencontrer la vérité. En effet, puisque Dieu préside en maître à toutes les causes nécessaires , contingentes et libres, et qu'il peut empêcher , quand il lui plaît, l'action des causes secondes, personne ne peut prédire l'avenir , à moins que Dieu ne lui ait manifesté sa volonté, comme il l'a souvent manifestée aux prophètes. Et ceci est tellement vrai , que les démons voulant se faire passer pour dieux, se sont servis de ce moyen , en annonçant des oracles, en prédisant l'avenir. Mais St. Augustin,qui fait cette remarque ( De Civitate Dei, lib. 18. c. 24.) , ajoute, en parlant de la divination des démons ( et il le démontre clairement) , que cette divination était  aussi fausse que leur divinité. Car ils ne disent rien ouvertement , si ce n'est ce qu'ils veulent faire, ou ce qui a été fait ailleurs , bien loin de là , et que leur extrême vélocité leur permet de faire connaître de suite ; ou ce que leur longue expérience leur permet de conjecturer , de même que les nautoniers, les cultivateurs et les médecins sont habitués à prévoir les vents,la pluie, les maladies. Lorsque les démons ignorent ce qu'on leur demande, ils emploient des détours, et répondent par des équivoques ; et lorsque ce qu'ils ont annoncé n'arrive pas , ils en rejettent la faute sur les interprètes. Il n'y, a donc que le Seigneur notre Dieu , dont la sagesse est infinie, qui puisse rendre de vrais oracles, et prédire l'avenir dans ce qui est continrent et libre.

3° Nous allons examiner maintenant la hauteur de la sagesse de Dieu. Elle surpasse infiniment toute la sublimité de la sagesse des hommes et des anges. On la connaît par la noblesse de son objet, de sa puissance , de son espèce et de ses actes. L'objet non-seulement naturel , mais encore proportionné de la sagesse de Dieu, est sa divine essence , qui est si sublime, qu'elle ne peut avoir de proportion ni avec l'intelligence de l'homme, ni avec celle de l'ange. C'est pourquoi les esprits célestes les plus élevés , ne peuvent parvenir à la vision de Dieu que par la lumière de la gloire ; voilà pourquoi Dieu est appelé le roi invisible : Regi seculorum immortali et invisibili, soli Deo (1. Tim. 1.) ; et dans un autre endroit ( 1. Tim. 6. ) l'Apôtre dit qu'il habite une lumière inaccessible. Ensuite il faut remarquer que la sagesse qui est en nous est accidentelle , et qu'en Dieu elle est sa substance, et que par là même elle est infiniment plus sublime et plus élevée que dans nous. L'espèce est d'autant plus élevée, qu'elle représente plus d'objets : ainsi les anges , dont les espèces sont plus universelles et en moindre nombre, ont une science plus étendue. Quelle sera donc la hauteur de la sagesse de Dieu, qui n'a d'autre espèce que son essence , qui est unique, et qui suffit à Dieu pour se connaître lui-même , et pour connaître et se représenter tout ce qui est créé, tout ce qui le sera et tout ce qui pourrait l'être? Enfin la science ou la sagesse est d'autant plus noble et plus élevée qu'elle connaît plus d'objets par un moindre nombre d'actes; mais Dieu, par une seule intuition, qui est en lui permanente et immuable , se connaît parfaitement lui et toutes les créatures. Il n'y a donc que la sagesse de Dieu à qui on puisse donner le nom de très-noble et très-élevée. Élevez donc vos regards , ô mon âme, et voyez combien votre science différe de la science de votre Créateur. A peine pouvez-vous connaître parfaitement une seule chose par plusieurs actes et par plusieurs raisonnements; tandis que votre Créateur, par un seul acte, envisage tous les êtres et se connaît clairement et distinctement lui-même. Et cependant vous , qui êtes maintenant dans les ténèbres , pouvez, si vous le voulez , avec les ailes de la foi et de la charité, vous élever si haut , qu'après la déposition de ce corps mortel , transformée de clarté en clarté , vous voyiez dans la lumière de Dieu , la lumière qui doit remplir vos désirs (Ps. 35. 10.),et devenue semblable à Dieu , vous voyiez aussi d'un seul regard,et pendant l'éternité, Dieu en lui-même, et vous et toutes les choses créées en Dieu. Car , dit St. Grégoire, y a-t-il quelque chose de caché pour celui qui voit celui qui voit toutes choses ? Quid enim non videt , qui videntem omnia videt ? Et quelle sera cette pure volupté, cette gloire, cette abondance de toutes sortes de biens dont vous jouirez, lorsque,admise à cette lumière inaccessible, vous participerez à tous les biens de votre Seigneur ? La reine de Saba ayant ouï parler de la sagesse de Salomon,et ayant vu le bel ordre qui régnait dans l'administration de sa maison, en fut si étonnée qu'elle n'en pouvait revenir. Elle s'écria : Heureux ceux qui sont à vous !  heureux vos serviteurs qui jouissent toujours de votre présence et qui écoutent votre sagesse (III. Reg. 10. 8. ). Et cependant quelle comparaison à faire entre la sagesse de Salomon et la sagesse de Dieu, qui est seul sage et la sagesse même? Quelle comparaison entre l'ordre qui régnait dans la maison de Salomon, et les neuf chœurs des anges de Dieu que servent un million d'anges , tandis que mille millions assistent devant lui (Daniel 7. 10.) ? Il est certain , pour peu que vous puissiez comprendre ces merveilles , que vous emploieriez tous les moyens, que vous feriez tous vos efforts, que vous souffririez volontiers les plus grands travaux pour mériter de posséder Dieu : humiliez-vous, en attendant, sous sa main puissante, afin de mériter qu'il vous élève au jour de sa vérité (1. Petr. 5.). Soumettez votre intelligence à la foi , pour parvenir à la vision de Dieu; votre volonté à la pratique des commandements , pour volis élever à la glorieuse liberté des enfants de Dieu ; votre corps enfin à la patience et aux travaux , afin que Dieu , après l'avoir glorifié , lui accorde le repos éternel (Rom. 8.).

4° Il nous reste à considérer l'immense profondeur de la sagesse de Dieu, qui semble principalement consister dans la connaissance des pensées et des inclinations présentes et futures de l'homme aussi lisons-nous dans le 1er livre des Rois (16) : L'homme voit ce qui est extérieur, mais Dieu porte ses regards jusque dans le coeur; et dans le II° livre des Paralipomènes (6.):  Vous seul (ô mon Dieu!) connaissez les coeurs des en fans des hommes. Vous avez découvert de loin,ajoute le Prophète (Ps. 138.2.), mes pensées ; vous les avez vues avant que je les eusse formées ; vous avez remarqué le sentier par lequel je marche, avant que j'y fusse entré; et toute la suite de ma vie vous a été connue, avant que j'eusse commencé à vivre , car vous avez prévu toutes mes voies. C'est lui, ajoute le même Prophète (Ps. 43. 23.) , qui connaît ce qu'il y a de plus caché au fond du coeur. Le coeur de tous les hommes est corrrompu, il est impénétrable, dit Isaïe (17. 9.); qui pourra le connaître ?C'est moi qui le pourrai, moi qui suis le Seigneur, qui sonde les coeurs et qui éprouve les reins. Au lieu de pravum, les Septante ont traduit: Profundum est cor hominis et inscrutabile, le coeur de l'homme est profond et impénétrable; et St. Jérôme, expliquant ce passage, prouve la divinité de Jésus-Christ en ce qu'il voyait les pensées des hommes ; ce qui n'appartient qu'à Dieu (*).Voyez St. Matth. (9.) Et Jésus voyant leurs pensées. St. Luc (6.) : Mais il connaissait leurs pensées. St. Marc (2.) Pourquoi pensez-vous ces choses dans votre coeur? Il suit de là que toute pensée et que toute inclination de l'homme même présente , et réellement existante, est

 

(*) Quelques auteurs, entre autres le Père Surin, enseignent que les démons connaissent nos pensées.

 

si profonde, que les démons ni les hommes ne peuvent la pénétrer; mais les pensées et inclinations futures sont encore beaucoup plus impénétrables ; car il est impossible non-seulement aux hommes et aux anges de les pénétrer , mais encore ils ne peuvent comprendre par quel moyen Dieu parvient à les connaître. C'est ce que David semble indiquer lorsqu'il dit ( Ps. 38. 5.) : Vous pénétrez tout ce qui est en moi d'une manière admirable, et votre science est si élevée que je ne pourrai jamais la concevoir. Il parle de la connaissance des pensées futures , car il avait déjà dit : Vous avez découvert de loin mes pensées , vous les avez vues avant que je les eusse formées; vous avez remarqué le sentier par lequel je marche , avant que j'y fusse entré, et toute la suite de ma vie vous a été connue avant que j'eusse commencé à vivre. C'est donc de cette connaissance des pensées et des voies qu'il dit : Vous pénétrez tout ce qui est en moi d'une manière admirable, et votre science est si admirable, que je ne pourrai jamais la concevoir. On dira peut-être que Dieu voit ces pensées futures dans son éternité, qui lui rend toutes choses présentes, ou dans la prédétermination de sa volonté; mais s'il en était' ainsi , cette science ne serait pas admirable ; car nous-mêmes , nous pouvons facilement savoir ce que nous ferons, ou ce qui nous est présent. Mais l'Écriture dit que Dieu scrute les reins et les crieurs , et qu'il y voit ce que l'homme désire ou pense, et ce qu'il désirera ou pensera dans la suite. Or voilà ce qu'on peut appeler vraiment admirable ; comment Dieu, en scrutant les reins et les crieurs, peut-il y voir ce qui n'y est pas encore, et dont l'existence future dépend du libre arbitre? De même donc qu'il appartient à la hauteur de la puissance de Dieu de tirer les êtres du néant, et d'appeler ce qui n'existe pas comme ce qui existe ; de même aussi il appartient à la profondeur de sa sagesse, en scrutant les reins et les crieurs , de voir ce qui n'y est point , comme si déjà cela existait, devant nécessairement exister un jour.

5° Mais parce que mon but n'est pas de soulever des questions , mais d'exciter l'âme et de l'élever à Dieu , élevez-vous , û mon âme , au-dessus de vous-même, suivant le conseil de Jérémie (Thren. 3.) ; contemplez ce profond abîme de la sagesse de Dieu, -qui scrute l'intérieur des crieurs , et y voit bien des choses que le coeur n'y voit point lui-même. Que vous fûtes heureux , ô Pierre , lorsque vous dîtes au Seigneur : Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renoncerai point (Matth. 36.) ! Ce n'était pas par duplicité, mais bien sincèrement que vous parliez ainsi : vous n'aperceviez pas dans votre coeur cette fragilité qu'y découvrait votre Seigneur , quand il vous dit qu'avant que le coq eût chanté deux fois , vous le renieriez trois fois. Ce médecin, infiniment habile, voyait dans votre coeur une infirmité que vous n'y aperceviez point. Ce fut la prédiction du médecin, et non la jactance du malade qui se vérifia. Mais rendez grâces au médecin, qui, non content de prévoir et de prédire la maladie future de votre âme, vous inspira la pénitence comme un puissant remède , et vous guérit si promptement. O bon , ô pieux médecin, infiniment sage, infiniment puissant, purifiez toutes mes secrètes souillures : Ab occultis meis manda me (Ps. 18.). Combien en est-il que je ne déplore point, que je n'arrose point de mes larmes , parce que je ne les connais pas ! Que votre grâce vienne a mon secours; c'est vous qui scrutez les reins et les coeurs. Vous qui connaissez les plaies de mon âme et les mauvais désirs qu'elle ignore , daignez me les faire connaître ; et, jetant sur moi un regard favorable, excitez en moi une fontaine de larmes , afin que je les lave pendant qu'il en est temps , et que je les efface par le secours de votre grâce. Ainsi soit-il.

 

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TREIZIÈME DEGRÉ. Considération de la sagesse pratique de Dieu.

 

Déjà nous avons parlé de la sagesse théorique de Dieu; maintenant nous allons considérer cette même sagesse dans sa pratique ou dans ses effets. Sous ce rapport, voyons quelle est sa largeur , sa longueur , sa hauteur et sa profondeur. Sa largeur nous est manifestée par la création , sa longueur par la conservation des êtres , sa hauteur par l'oeuvre de la rédemption , et sa profondeur par sa providence et la prédestination.

En commençant par la création, nous voyons que Dieu a tout fait avec sagesse , comme a dit le Prophète (Ps.  103.) , et que cette sagesse éclate dans toutes ses oeuvres (Eccli. 1.). C'est pourquoi , de même que nous connaissons la puissance de l'ouvrier, en ce qu'il a tiré toutes les créatures du néant; de même aussi nous admirons sa sagesse dans l'art admirable que nous remarquons en la composition de chacune d'elles: en effet, c'est avec nombre , poids et mesure, comme dit le Sage ( 1.) , qu'il a disposé toutes les choses , et chacune d'elles en particulier. C'est là l'assaisonnement que Dieu a employé dans la confection des êtres , afin qu'il nous fit connaître combien sa sagesse est savoureuse, aimable et agréable. Toutes les créatures ont donc un certain poids, un certain nombre et une certaine mesure, soit pour les distinguer de Dieu qui est sans mesure , étant immense; sans nombre , étant essentiellement un et simple quant a son essence sans poids , parce que sa valeur et son prix surpassent toute valeur et tout prix ; soit pour leur donner la bonté et la beauté , selon l'expression de Moïse (Genes. 3.) : Dieu vit toutes les choses qu'il avait faites , et elles étaient très-bonnes. Chaque chose a donc la mesure qui lui est propre pour obtenir la fin pour laquelle elle a été créée , et on ne peut rien ajouter à cette mesure , ni rien ôter, sans rendre cette chose difforme, ou inutile, ou moins bonne; car tout ce que Dieu a fait est bon, et il a fait chaque chose en son temps... ; et nous ne pouvons ni rien ajouter, ni rien ôter à tout ce que Dieu a fait, afin qu'on le craigne ( Eccles. 3. 11 et 14.). Il a donc donné au ciel une mesure plus ample, puisqu'il doit contenir toutes les choses inférieures ; moins d'étendue à l'air, mais plus qu'a la terre et à l'eau qui ne forment qu'un seul globe , et sont entièrement environnées de l'air. 11 a donné à l'éléphant un corps monstrueux, parce qu'il est destiné a porter de grands fardeaux , et même des tours remplies d'hommes. Le corps du cheval est plus petit , parce qu'il n'est destiné qu'a porter un seul cavalier ; aux oiseaux qui doivent suspendre leurs nids aux sommets des branches, il a donné un corps plus petit encore ; et très-petit aux abeilles et aux fourmis , destinées a loger dans leurs alvéoles ou dans les trous de la terre. Nous pouvons en dire autant du nombre. Dieu n'a créé qu'un soleil , parce qu'il suffit pour éclairer la terre et nous donner le jour; qu'une lune , parce qu'elle suffit pour diminuer les ténèbres de la nuit; mais il a voulu faire plusieurs étoiles , afin qu'en l'absence du soleil et de la lune, et dans le temps des éclipses , elles tempérassent l'épaisseur des ténèbres. Ce n'est pas seulement aux choses en général que Dieu a assigné un nombre, mais encore à chacune en particulier, au point qu'on ne peut rien y ajouter ni diminuer : ainsi il a donné a l'homme deux yeux, deux oreilles , deux mains , deux pieds , et seulement un nez, une bouche , une poitrine , une tête; et l'homme ainsi constitué a paru très-beau et très-bien proportionné. Renversez cet ordre ; supposez l'homme n'ayant qu'un oeil et deux nez , une oreille et deux bouches , une main et un pied, deux poitrines et deux têtes je vous le demande, pourrait-on voir rien de plus difforme et de plus inutile ? Enfin Dieu a donné à chaque chose le poids , c'est-à-dire la valeur qui lui convient; car, sous le nom de poids ou de prix, nous entendons les qualités qui rendent les choses bonnes et précieuses. En effet , trois choses constituent la perfection des créatures : le nombre de leurs parties, nécessaire pour qu'aucune d'elles ne manque ; la proportion des parties; et enfin les qualités intérieures et extérieures, comme la beauté de la couleur dans la superficie extérieure du corps, et les qualités intérieures , utiles ou nécessaires pour les différentes fonctions. Mais ce qui est extrêmement admirable , ce sont les propriétés surprenantes que Dieu a mises dans les plus petits corps, comme s'il avait voulu nous faire admirer sa puissance dans les ,grandes choses, et sa sagesse dans les petites. Qui peut comprendre la propriété extraordinaire d'un grain de moutarde ? C'est la plus petite de toutes les graines; à peine peut-on la voir, et cependant elle renferme un germe si considérable, qu'ayant cru, les oiseaux du ciel peuvent se reposer sur ses branches, (Matth. 13.). Ce n'est pas seulement la moutarde qui a cette propriété, elle est commune a toutes les semences qui renferment les racines , le tronc, les branches , les feuilles, les fleurs et les fruits des plus grands arbres. Si l'expérience ne nous en avait convaincus, il serait certainement impossible de se persuader que d'une seule graine il peut en sortir une si grande diversité de choses. Comment concevoir encore dans la fourmi, le moucheron , la puce, et dans d'autres insectes, des pieds si agiles, une tête, un coeur, des sens internes et externes; et, quoique d'une manière imparfaite, une sorte de prudence et de jugement ? Enfin , qui pourra expliquer , dans ces insectes et dans d'autres de même genre , cette force de térébrer (perforer avec une tarière) et de perforer la chair vive, au point de se rendre incommodes non-seulement à l'homme, mais encore terribles au lion et à l'éléphant ? Concluons que le Seigneur est grand, et que sa sagesse est très-étendue, aussi bien dans les petites choses que dans les grandes. Galien, ce prince de la médecine , quoique païen , admirait l'oeuvre de Dieu dans la contexture de la main, et, dans sa surprise, il donnait des louanges au Créateur. Que ne devez-vous pas faire, ô chrétien, vous qui connaissez par la foi que Dieu, avec une sagesse admirable, a créé, non-seulement les hommes et les animaux , mais encore le ciel, les étoiles, les anges et nos âmes qui sont immortelles !

2° La longueur de la sagesse pratique de Dieu se montre dans la conservation des êtres, comme nous avons admiré sa largeur dans leur création. Dieu montre donc une sagesse grande et admirable dans la conservation et la durée des êtres, et surtout des substances corruptibles.

Et d'abord on ne peut se défendre d'une certaine stupeur et d'un saisissement d'admiration et d'étonnement, en pensant à l'action de Dieu dans la nutrition des herbes , des plantes, des animaux , et du corps de l'homme même , pour leur conserver l'existence : car c'est avec la circuler cet aliment de la racine au tronc , et du tronc jusqu'aux branches et aux feuilles, peur en faire sortir le fruit d'une manière aussi inconnue qu'admirable. C'est encore avec cette même sagesse et la plus grande facilité que, des herbes et des fruits , ou de la chair des animaux, il en nourrit quelques autres, et l'homme lui-même ; et fait entrer et pénétrer les aliments dans toutes les parties du corps, soit internes , soit externes. Dieu se conduit comme fait un médecin habile et très-humain, qui , par la bonne préparation des remèdes, sait les rendre faciles et agréables aux malades. Point de doute, en effet, que les aliments ne soient un remède dont nous ne pouvons nous abstenir longtemps sans exposer notre vie. Mais,cet aimable et sage médecin, notre Dieu , a d'abord donné une saveur aux aliments, afin que nous trouvassions un plaisir à les prendre ; ensuite il les a infiniment variés pour nous faire éviter le dégoût; enfin par les différentes altérations que ces aliments éprouvent dans la bouche et l'estomac, dans le foie, dans le coeur, il les change en un suc si délié et si subtil, qu'il passe sans effort dans toutes les veines artères et capillaires ; pénètre dans tous les pores du corps, dans toutes les parties de la chair, des os, des nerfs, sans due nous nous en apercevions, et durant notre sommeil. Les philosophes admirent en ceci l'adresse et l'art de la nature , mais quelle adressé peut-on rencontrer dans les choses inanimées, privées de raison et de sentiment? Ce n'est donc pas l'adresse de la nature, mais la sagesse du Créateur qu'il faut admirer. Écoutez ce que dit la Sagesse divine dans l'Évangile Considérez les lis des champs, comme ils croissent; ils ne travaillent point, ils ne lent point; et c'est Dieu qui les revêt ainsi (Matth. 6.). Ce n'est donc pas l'industrie de la nature, mais test Dieu qui fait ainsi croître les lis , et qui les revêt de tant d'éclat. Nous pouvons, avec l'Apôtre, en dire autant de l'accroissement et de la nourriture des êtres vivants : Ce n'est pas celui qui plante qui est quelque chose, ni celui gui arrose; mais c'est Dieu qui donne l'accroissement (I. Cor. 3.). Et si la sagesse divine entretient et nourrit d'une manière si admirable, si dans cette vie mortelle elle conserve les plantes et les animaux, comprenez, s'il est possible, ci mon âme, comment, durant l'éternité, Dieu conservera les anges et les hommes. Ici-bas nous usons d'aliments terrestres , mais préparés par la divine sagesse ; dans le ciel , c'est cette divine sagesse elle-même qui sera éternellement la nourriture et le breuvage des bienheureux. Que vous seriez heureuse, ô mon âme, si vous pouviez bien comprendre ce que veut dire l'Apôtre quand il nous enseigne (I. Cor. 15.) que Dieu sera tout à tous : Erit Deus omnia in omnibus! Dieu, dis-je, qui est souverainement et infiniment bon, sera à tous les saints la nourriture , le vêtement, et la vie, et tout. Si vous le compreniez, vous dédaigneriez toutes les choses présentes , pour ne savourer et ne rechercher que les biens du ciel (Col. 3.).

Mais continuons. C'est une espèce de miracle, que, dans la conservation et la propagation de la vie des êtres mortels, Dieu ait donné aux choses les plus faibles un mouvement continuel, et qui se prolonge sans procurer de fatigue. L'homme a travaillé beaucoup pour inventer une horloge dont les rouages, par la force des poids, indiquassent les heures sans interruption; le mouvement perpétuel , qui est un rêve de l'imagination. Qu'elle est donc grande la sagesse de Dieu qui fait vivre les plantes et les animaux, sans interruption durant tant d'années , par la vertu de la nutrition ; qui entretient le mouvement continuel des poumons et des artères pendant soixante-dix ans et plus d'années! Car il est nécessaire que la force nutritive opère, et que les poumons et les artères soient en mouvement depuis le commencement de la vie jusqu'à la fin; ainsi, dans ceux qui vivent quatre-vingts ou quatre-vingt-dix ans,il faut ce mouvement continuel. dont nous parlons; et avant le déluge, lorsque les hommes parvenaient à neuf cents ans, il fallait que les poumons et les artères, si fragiles et si faibles, durassent neuf cents ans sans jamais cesser de se mouvoir. Il faut assurément être privé de sentiment,et manquer absolument de sagesse, pour ne pas admirer ces merveilles, pour ne pas y reconnaître et adorer la sagesse de Dieu.

Remarquons, en troisième lieu, que, quoique la sagesse divine pût, sans le travail de l'homme et des animaux , sans le ministère du soleil et des autres causes secondes, produire et conserver les arbres et les plantes, en sorte que tous les êtres vivants eussent leur nourriture prête , il a voulu cependant employer les causes secondes, le travail et l'industrie de l'homme et des animaux, pour empêcher qu'ils ne croupissent dans l’inertie , et afin que tous les êtres fissent usage de leurs facultés. Il a voulu aussi qu'il y eût parmi les hommes des riches et des pauvres, pour que tous eussent occasion de pratiquer la vertu , et les unir par les liens de la charité. Car de cette inégalité de fortune il résulte que les riches exercent la libéralité et la miséricorde, et les pauvres l'humilité et la patience : le riche a besoin du pauvre pour cultiver ses héritages , paître ses troupeaux , et exercer les différents métiers nécessaires à la société; le pauvre, de son côté, a besoin que le riche lui donne du travail , lui fournisse l'argent et les instruments nécessaires pour se procurer la nourriture, les vêtements et les autres choses indispensables. Le pauvre n'a pas de motifs pour se plaindre de la sagesse divine; car Dieu, qui connaît tout et qui nous aime tous, a donné à chacun de nous ce qu'il a prévu être le plus propre à nous faire obtenir la vie éternelle. C'est ainsi qu'un médecin prescrit la diète h un malade, ou qu'il ordonne de lui ouvrir la veine, tandis qu'il ordonne a un autre un vin généreux, des mets succulents , et des exercices récréatifs. Il est constant que plusieurs obtiendront le ciel par leur pauvreté , qui auraient péri éternellement s'ils eussent été riches ; et quoique les riches puissent aussi se sauver s'ils s'adonnent aux bonnes oeuvres , et s'ils donnent facilement ce que le commun maître leur a accordé pour communiquer aux pauvres; et non pour thésauriser , cependant on ne peut nier que la pauvreté ne soit une voie plus sûre , plus directe et plus abrégée pour arriver au ciel. Jésus-Christ nous l'enseigne : Je vous le, dis en vérité, le riche entrera difficilement dans le royaume des cieux.. Pauvres, vous êtes bienheureux, parce chie le royaume des cieux est ci vous.... Malheur à vous, licites, qui avez votre consolation (Matth. 19. ). L'Apôtre nous dit encore que ceux qui veulent devenir riches,tombent dans la tentation et dans les piéges du diable, et en divers désirs inutiles et pernicieux , qui précipitent les hommes dans l'abîme de la perdition et de la damnation ( I. Tim. 6. 9. ). Notre Seigneur et son apôtre ont confirmé cette doctrine par leurs exemples ; Jésus-Christ dit , parlant de lui-même : Les renards ont leurs tanières et les oiseaux leurs nids; niais le Fils de l'homme n'a pas oie reposer sa tête. L'Apôtre, parlant au nom de tous ses coopérateurs et en son nom, dit :  Jusqu'à cette heure nous endurons la faim et la soif, la nudité et les mauvais traitements, nous n'avons point de demeure stable (I. Cor. 6.11.). Et nous ne pouvons clouter que celui qui est la sagesse de Dieu, que les enfants et les disciples. de cette sagesse, n'aient choisi la voie la plus directe et la plus sûre pour arriver à la vie éternelle. Mais parce que le nombre des insensés est infini (Eccles. 1.), il y en a peu qui choisissent volontiers cette voie , tandis qu'un très-grand nombre s'en écartent de toute son affection et de toutes ses forces.

Enfin , la longueur de la sagesse de Dieu se fait remarquer en ce que , parce qu'elle est éternelle , elle a donné à toutes les créatures un grand désir de leur conservation , et de prolonger leur espèce le plus longtemps possible. Voyez , dans le péril , l'homme mettre tout en mouvement, et n'épargner ni ses richesses, ni sa peine, pour sauver sa vie. Voyez tous les animaux combattre au-dessus de leurs forces contre de plus forts qu'eux , pour se défendre. Voyez la lampe allumée , lorsqu'elle est près de s'éteindre , se raviver jusqu'à deux ou trois fois, et luttant de toutes ses forces contre son extinction. Voyez ces gouttes d'eau suspendues à un corps quelconque, se former en globe, et se soutenir si longtemps qu'elles peuvent pour éviter leur chute et leur dissolution. Voyez les corps pesants monter contre leur nature , et les corps légers descendre pour empêcher le vide qui , en les séparant, leur empêcherait de se conserver. Mais ce qui est plus admirable, c'est cette affection forte et incroyable, que Dieu, pour la propagation des espèces, a donnée aux pères pour leurs petits. Ne voyons-nous pas la poule négliger le soin de sa vie pour ses poussins, et , quoique faible et épuisée , combattre vigoureusement contre le milan, le renard ou les chiens? Chacun sait les douleurs et les fatigues que supportent volontairement les femmes pour mettre au monde et élever leurs enfants. La raison de cette affection est dans le conseil de la sagesse divine, qui a imprimé dans tous les animaux, même dans les bêtes brutes et les bêtes féroces , cet amour pour leurs petits , afin d'entretenir cette propagation des espèces , qui est une figure de l'éternité ; car y ayant un grand nombre d'animaux que les hommes cherchent fi détruire, soit pour leur propre utilité , comme les lièvres , les sangliers les cerfs , les étourneaux , les cailles , les perdrix, et en général tous les poissons ; soit pour empêcher leurs effets nuisibles , comme les loups , les renards , les serpents , et un grand nombre d'autres , déjà plusieurs de ces espèces d'animaux seraient détruites, si Dieu n'avait pourvu à leur conservation et à leur propagation par cette affection particulière. Mais si tous les êtres vivants ont naturellement tant d'amour pour cette vie courte et pleine de misères, combien devons-nous en avoir pour une vie éternellement heureuse! O aveuglement et folie des hommes ! Tous les êtres combattent au-dessus de leurs forces pour défendre une vie passagère, et qui n'est qu'une ombre de l'éternité; et l'homme doué de raison ne daigne pas, je ne dis point combattre au-delà de ses forces, mais faire le moindre effort pour acquérir en bonheur éternel. Tous les êtres, qui  des par un instinct naturel , abhorrent la mort et cherchent à éviter tous les maux; et l'homme, cet être intelligent, instruit par la foi, n'est pas saisi d'horreur, et ne cherche pas à éviter la mort éternelle; du moins il n'emploie pas, pour s'en garantir , autant de moyens comme pour éviter les maux temporels. Il est donc vrai que le nombre des insensés est infini. La suprême vérité ne s'est donc pas trompée, lorsqu'elle a dit : O combien est étroite et resserrée la porte qui conduit à la vie, et combien peu s'efforcent d'y entrer (Matth. 7.) !

3° Nous allons parler maintenant de la hauteur pratique de la sagesse de Dieu , qu'on remarque dans l'oeuvre de la rédemption. Je ne pouvais me rassasier, disait St. Augustin, du doux plaisir que je trouvais d considérer la hauteur de votre conseil sur le salut du genre humain (Lib. 9. Confes. c. 6.). Ce fut vraiment un conseil fort élevé que celui de réparer, par l'ignominie de la croix , tous les dommages que l'astuce du démon avait causés en faisant pécher le premier homme, et réparer l'oeuvre dégradée , de telle manière qu'elle fut plus belle qu'elle n'était avant qu'elle eût besoin de restauration. Le péché du premier homme a produit quatre maux: l'injure faite à Dieu par l'orgueil et la désobéissance d'Adam ; le châtiment du premier homme et de tout te genre humain , c'est-à-dire , la privation de la grâce de Dieu et de la béatitude céleste ; la tristesse des anges , causée par l'injure faite à Dieu et par les misères qui allaient fondre sur les hommes ; la joie du démon et de tous les esprits infernaux qui se réjouissaient d'avoir vaincu l'homme et de l'avoir terrassé. La sagesse de Dieu a pris sur elle tous ces maux, et les a changés en de plus grands biens par le mystère de la crois ; en sorte que ce n'est pas sans raison que l'Église chante ces paroles : O heureuse faute qui nous a mérité un tel et un si grand rédempteur! Si un ouvrier habile se chargeait d'arranger un habit neuf et précieux, qu'on aurait par accident déchiré et gâté , au point de le rendre , au moyen de certains ornements , beaucoup plus élégant et plus précieux, on pourrait dire avec raison qu'un pareil accident qui a donné occasion a tant de beauté , est un accident heureux. Le premier homme s'étant donc enorgueilli , trompé par la ruse et l’envie du démon , voulut se rendre semblable à Dieu, et par sa désobéissance transgressa le précepte du Seigneur; c'est ainsi qu'il déroba en quelque manière l'honneur qui appartient à Dieu ; mais le second Adam , Jésus-Christ, qui est la sagesse de Dieu, s'humilia lui-même, se rendant obéissant jusqu'à la mort (Phil,p. 2. ), et restitua à Dieu un honneur beaucoup plus grand que celui qu'Adam, par son orgueil et sa désobéissance , lui avait ravi. Car Adam n'étant qu'un pur homme, en obéissant à Dieu, il aurait fait une chose facile ; eût-il été en effet bien pénible aux premiers hommes de s'abstenir d'un seul arbre défendu , tandis qu'ils en avaient une abondance d'autres, tous excellents ? C'est pourquoi leur péché, il est vrai, fut très-grand, et d'autant plus grand que le précepte était plus facile, puisqu'il ne leur coûtait aucune peine ; mais quant à Jésus-Christ, il était Dieu et homme , et il s'est humilié pour obéir à Dieu son Père dans la chose la plus grande et la plus pénible, qui est la mort de la croix, pleine de douleur et d'ignominie. Si nous considérons ensuite l'éminence de la personne , et la profondeur de l'humilité et de l'obéissance , nous ne pourrons imaginer rien de plus grand, de plus méritoire , rien de plus honorable à Dieu que cette humble obéissance de Jésus-Christ; aussi dit-il dans l'Evangile, s'adressant à son Père : Je vous ai glorifié sur la terre Ego te clarificavi super terram ( Joan. 17. ). Car Jésus-Christ a véritablement glorifié d'une gloire ineffable Dieu son Père, devant les anges et en présence des âmes de tous les saints prophètes et autres qui connurent ces merveilles. Et si devant l'humilité de la crèche les anges chantèrent à sa naissance : Gloire à Dieu aux cieux les plus élevés : Gloria in altissimis Deo ( Luc 2.), Ils chantèrent ces paroles avec beaucoup plus de jubilation devant l'humilité de lu croix. Si l'homme n'eût point péché , il aurait obtenu tout au plus d'être égalé aux anges ; mais à présent, par la rédemption que Jésus-Christ a opérée ,' le genre humain a obtenu qu'un homme , élevé au-dessus des anges , soit assis à la droite de Dieu , et soit le chef et le Seigneur des anges et des hommes. Car l'apôtre saint Pierre dit de Jésus-Christ, qu'il est monté au ciel et est assis à la droite de Dieu , les Anges , les Dominations et les Puissances lui étant assujetties (1. Petr. 3. 22. ) ; et son coadjuteur St. Paul, écrivant aux Philippiens, leur dit qu'à cause de ses abaissements volontaires , Dieu a élevé son Fils par-dessus toutes choses, et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom , afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers (2.). C'est ainsi que le Fils a glorifié son Père par l'humilité de sa passion d'une manière ineffable , et le Père a glorifié son Fils d'une manière qui ne l'est pas moins , en l'élevant à sa droite; et cette gloire a tellement rejailli sur tout le genre humain, que  c'est la plus monstrueuse de toutes les ingratitudes de ne pas reconnaître ce bienfait immense, et de ne pas en rendre gloire à Dieu. Disons plus! c'est non-seulement Jésus-Christ Dieu et homme , mais encore sa Mère qui a été élevée au-dessus de tous les chœurs des anges, quoiqu'il n'y eût en elle que la simple humanité. C'est pourquoi , après un tel accroissement de gloire, qu'ils n'eussent jamais obtenu, si Adam n'avait point péché , les hommes peuvent s'écrier : O heureuse faute, qui nous a mérité un tel et un si grand rédempteur ! Or, de même que les saints anges -furent contristés par la chute du premier homme qui plongeait dans tant de misères leur frère puîné, de même ils ont éprouvé la plus grande joie par la rédemption abondante de Jésus-Christ.          Car s'il y. a de la joie dans le ciel parmi les anges pour un pécheur qui fait pénitence (Luc. 15. ), combien plus grande dut être la joie des anges , lorsqu'ils virent due Jésus-Christ fait homme avait satisfait pleinement à la justice divine pour le genre humain, et que, par la clé de sa croix, il avait ouvert aux fidèles le royaume des cieux! II ne faut pas s'imaginer que les saints anges aient vu avec peine que Dieu ait élevé son Fils fait homme et la Ste. Vierge au-dessus d'eux; l'envie est bannie de celte société d'esprits célestes, et ils sont remplis d'une vraie et ardente charité ; or la charité n'est pas envieuse, elle ne s'enorgueillit point , elle ne s'attriste point des avantages d'autrui; mais elle se félicite et se réjouit du bien des autres, comme de ses propres biens. C'est pourquoi l'Eglise chante ces paroles

Marie a été élevée dans le ciel, les anges s'en réjouissent : Assumpta est maria in caelum, gaudent angeli. Ils se réjouissent de voir cette Vierge, Mère de Dieu, au-dessus des choeurs des anges dans le royaume céleste. Ils comprennent, en effet, que c'est une justice que lui a rendue celui qui ne fait rien qu'avec sagesse et justice ; ils sont si inséparablement finis à la volonté de Dieu, que ce qui lui plait leur plait , et ne saurait leur déplaire en aucune manière.

Quant au démon qui s'était réjoui un moment de sa victoire, en terrassant le premier homme , il éprouva de la victoire de l'Homme-Dieu , une tristesse beaucoup plus grande que n'avait été sa joie ; car par le triomphe de Jésus-Christ, il est arrivé que, non-seulement les hommes tels qu'Adam , mais encore les enfants et les femmes triomphent du démoli et tuf insultent à leur gré. Que le démon exit été vaincu, dans le paradis terrestre , par Adam n'était dominé ni par l'ignorance ni par l'infirmité ; par Adam revêtu de la justice originelle , à la raison duquel la parte inférieure était tellement soumise , qu'elle ne pouvait. se révolter, sans qu'auparavant l'âme ne se fût révoltée contre Dieu,il n'y eût eu en cela rien de bien humiliant pour cet esprit d'orgueil; mais qu'il soit aujourd'hui vaincu par l'homme mortel, étranger, sujet à l'ignorance et à la concupiscence, c'est le plus grand de tous les déshonneurs. Et cependant il est vaincu par la grâce de Jésus-Christ; et il est tellement vaincu, que plusieurs érigent des trophées de chasteté, de patience , d'humilité, de charité, malgré tous les traits enflammés de tentations et de persécutions que le démon ne cesse de leur lancer. C'est en cela surtout qu'il faut admirer la hauteur de la sagesse de Dieu; car Dieu voyant que le mépris des choses temporelles , des voluptés charnelles, des richesses et de la gloire mondaine , et autres choses semblables , qui sont autant de piéges du démon ( I. Tim. 6. ), qui entraînent ceux gui s'en rendent esclaves dans la mort et la perdition, était nécessaire pour fortifier l'homme contre les tentations; pour les rendre amères aux hommes, et leur rendre douce, au contraire, la vertu de chasteté, de pauvreté , d'humilité, de patience, de mépris du monde, il descendit du ciel , et ayant pris la forme d'esclave, il appliqua à l'homme malade, un remède qui, de lui-même, serait très-amer et rebutant, mais que par son exemple il a su rendre si doux et si.suave, que déjà plusieurs préfèrent le jeûne à la sensualité, la pauvreté aux richesses, la virginité au mariage, le martyre aux délices, aimant mieux obéir que commander, être méprisés qu'être honorés, être soumis que de présider, être humiliés que d'être élevés en gloire. En effet, peut-on, sans être encouragé et excité à suivre ses exemples, voir un Dieu sous la forme humaine, plein de sagesse et de grâce, qui ne peut se tromper ni tromper les autres, vivant pauvre, humble, patient, continent, et, ce qui est plus admirable, attaché à une croix pour racheter le genre humain, répandant volontairement son sang précieux, et mourant par un ardent amour pour nous ?

Telle fut l'invention de cette haute et admirable sagesse de Dieu dont parle Isaïe, lorsqu'il dit (12. 4.) : Publiez parmi les peuples les inventions de sa sagesse. Cependant aujourd'hui même, cette haute sagesse de Dieu parait une folie, comme le dit l'Apôtre ( I. Cor. 1.) , non-seulement aux sages de ce monde, mais encore aux charnels, à l'homme animal, qui croit en Jésus-Christ, mais qui refuse de suivre ses traces; de tels hommes, l'Apôtre les appelle les ennemis de la croix de Jésus-Christ (Phil. 3. ). Pour vous, ô mon âme, empressez-vous de sucer le miel de la pierre, et d'exprimer l'huile du rocher le plus dur, c'est-à-dire, la sagesse de la folie , la sagesse de Dieu de la folie de la croix. Considérez attentivement et soigneusement quel est celui qui est attaché à la croix, et pourquoi il y est attaché ; et ayant reconnu que c'est celui qui est assis au-dessus des Chérubins, et ce qui est bien plus encore, qui est placé à la droite de la majesté, au plus haut des cieux (Ps. 98. Hébr. 1.) , vous comprendrez facilement qu'il n'y est pas attaché pour ses crimes, ni à cause de son impuissance à se défendre, mais volontairement et par un ardent désir de satisfaire à la justice divine pour les péchés de tout le monde , pour l'honneur et la gloire de Dieu le Père, pour le salut de tous les élus, et, comme dit l'Apôtre : Pour faire paraître son église. devant lui pleine de gloire, n'ayant ni tache, gai ride (Ephes.5. 7.), et enfin pour votre amour, parcequ'i1 vous a aimée et s'est livré lui-même à Dieu comme une hostie et une oblation en odeur de suavité (Ibid. 1.). Ensuite ayant découvert cette vérité importante , élevez-vous amoureusement vers un tel bienfaiteur, et,é son exemple, commencez d'être saintement altérée de la gloire de Dieu, du salut de toutes les nations , mais surtout de la beauté et (le la gloire de son Église, ainsi que de votre salut éternel ; commencez à désirer d'avoir une véritable haine pour l'iniquité , une grande pureté de coeur, une justice parfaite, afin que plus tard vous désiriez de partager la croix de votre divin maître, de vous réjouir dans les tribulations et les angoisses , pour devenir enfin participante de la résurrection des justes pour la gloire, et d'éviter celle des impies pour l'enfer.

4° Il nous reste à examiner la profondeur de la sagesse pratique de Dieu qui consiste dans sa providence, sa prédestination et ses jugements. Car il est écrit (Ps. 35.) : Vos jugements sont un abîme profond ; Judicia tua abyssus mulla. Que la providence de Dieu soit admirable , on le voit en ce que Dieu gouverne immédiatement toutes les créatures, et les conduit à leur fin. Il a également soin de tous [de tout, selon l'interpr. de Bell.] (Sap. 6. 8.) , c'est-à-dire que Dieu, sans exception, prend soin de toutes choses, en telle sorte que le moindre passereau ne tombe point sur la terre sans sa providence , comme dit le Sauveur ( Matth., 10. Luc. 12.). Qui pourrait nombrer toutes les choses créées , pourrait avoir quelque idée de la grandeur de la sagesse divine qui régit et dirige chacune de ces choses. Le souverain pontife peut ré ir seul l'univers chrétien , par une providence générale, mais il ne le pourrait par une sollicitude particulière , qui s'étendit à chaque chrétien ; et c'est pour y pourvoir qu'il appelle plusieurs évêques a partager sa sollicitude. Un seul roi peut gouverner plusieurs provinces par une administration générale , mais il ne saurait gouverner en particulier chaque citoyen; et il faut pour ce dessein plusieurs préfets ou autres administrateurs. Mais Dieu gouverne aussi facilement chaque créature, comme s'il les gouvernait toutes ensemble, et il les gouverne toutes ensemble comme une seule. Il ne tombe aucun passereau sur la terre sans l'ordre de votre Père; pour vous qui êtes ses enfants,les cheveux mêmes de votre tête sont tous comptés (Matth.10.29.), et pas un seul ne périra , parce que sa providence veille sans cesse sur nous. Les petits du corbeau, abandonnés de leur mère , sont sous la protection de Dieu (Ps. 146.}. Avec quelle sécurité: devez-vous donc, cî mon âme, vous reposer dans le sein d'un tel père, même au milieu des ténèbres, au milieu des lions et des dragons, au milieu des innombrables légions d'esprits. Seulement, attachez-vous à lui par un amour sincère , par une crainte sainte, par une ferme foi qui ne sait ce que c'est de douter. Ce ne sont pas seulement des êtres en particulier et actuellement existants que Dieu prend soin , mais sa sagesse atteint et pénètre tout , depuis une extrémité du monde jusqu'à l'autre, avec une force infinie, et elle dispose tout avec une égale douceur (Sap. 8. 1.). C'est pourquoi Dieu est appelé le roi des siècles (I. Tim. 1.) , parce qu'il a lui-même, de toute éternité, établi l'ordre des siècles, la succession des royaumes, les vicissitudes et les variétés dû temps et des saisons; rien de nouveau ni de prévu ne peut arriver sans que Dieu le sache : Les pensées des hommes sont timides , et nos prévoyances sont incertaines et trompeuses (Sap. 9. 14.), comme dit le Sage, parce que nous n'avons que de fausses conjectures sur l'avenir; mais Dieu le connaît aussi bien que le présent et le passé, et avant la création du monde, il avait en lui-même, disposé toutes les successions des êtres , et l'ordre qui devait régner entre eux. C'est pourquoi notre sainte mère l'Église chante publiquement, et sans crainte de se tromper, due la providence divine n'est jamais trompée dans ses dispositions ; cependant les raisons de la divine providence étant très-cachées , et ses jugements un abîme sans fond (Ps. 35. ), il arrive que quelques-uns, à la vue de plusieurs maux qui arrivent par la malice des hommes, et dont la plupart restent impunis , s'égarent au point de s'imaginer due Dieu ne se mêle pas des choses humaines ou du moins que tous les maux arrivent parla volonté de Dieu. L'une et l'autre de ces opinions sont impies, mais surtout la dernière, comme l'observe saint Augustin (Lib. 1. de ord. c. 1. ). Ce sont ceux qui ne considèrent la providence de Dieu que d'un côté, qui tombent dans cette erreur; et tandis qu'ils devraient attendre la fin de chaque chose,  qui sera connue de tous au dernier jugement, ils aiment mieux juger témérairement avant le temps, et se précipiter ainsi dans les plus graves erreurs. C'est pour prévenir ce malheur, que l'Apôtre nous dit : Ne jugez point cavant le temps, mais suspendez votre jugement jusqu'à ce que le Seigneur vienne , qui exposera ci la lumière ce qui est caché dans les ténèbres les plus épaisses des consciences, et qui produira au grand jour , les plus secrètes pensées (les ccgurs (I. Corinth. 4. 5.). St. Augustin explique ce passage par une similitude remarquable. Si quelqu'un ; dit-il , ne voyait qu'une seule pièce de celles qui composent une marqueterie, il pourrait blâmer l'ouvrier , comme manquant d'ordre et de composition , parce qu'il ne verrait qu'une partie et non l'ensemble de l'ouvrage ; mais s'il examinait toutes les parties et leur connexion, il ne pourrait s'empêcher de louer l'ouvrage de l'ouvrier. C'est ainsi que plusieurs voient les impies prospérer, et les justes affligés et opprimés , et ils ne savent pas ce due Dieu réserve dans la suite à l'iniquité des uns et à la patience des autres. Cette ignorance excite leurs blasphèmes, et leur fait dire comme aux amis de Job : Dieu se promène dans le plus haut des cieux, et ne se mêle point de nos affaires (Job, 22.); ou comme ceux dont parle Malachie : Quiconque fait le mal, passe pour bon aux yeux de Dieu, c'est avec de tels hommes qu'il se plaît ( Malachie, 2.). St. Augustin cite encore en plusieurs endroits une autre similitude tirée des vers : Si quelqu'un, dit-il, ayant commencé à entendre réciter un vers héroïque, dit, dès le commencement ou vers le milieu, que ce vers ne vaut rien , on l'accusera justement de folie ; qu'il attende que toutes les syllabes soient passées et prononcées avant de critiquer. C'est ainsi qu'on peut regarder comme entièrement insensés ceux qui osent blâmer la Providence, avant d'avoir connu tous ses desseins. Si vous êtes sage, ô mon âme , efforcez-vous donc , autant que vous pourrez; d'empêcher le mal. ; Dieu ie veut ainsi; mais de savoir pourquoi il permet le mal, laissez-le à son jugement; ce qui peut être caché, ne peut être injuste (*).

5° Quoique nous voyions que la providence de Dieu, dans le gouvernement des choses humaines, soit pour nous un abîme sans fond, cependant la prédestination et la réprobation éternelle sont encore plus impénétrables. Car quoique nous ne puissions pas donner des raisons particulières de la conduite que Dieu tient à l'égard des impies qu'il comble quelquefois de biens temporels , laissant leurs crimes impunis dans cette vie, tandis qu'il permet que plusieurs

 

(*) Quod occultum esse potest, injustum esse non potest. Le sens de ces paroles est douteux.

 

justes soient plongés dans la misère, vexés injustement, maltraités et même mis à mort; cependant nous pouvons assigner des raisons générales. Car Dieu comble quelquefois de biens les impies, pour récompenser quelques-unes de leurs oeuvres moralement bonnes , ne pouvant leur accorder la vie éternelle; ou pour les inviter, par ces bienfaits temporels, a se convertir, et les amener a l'espérance et au désir des biens éternels. Il ne punit pas leurs péchés en cette vie, parce qu'il les punira assez dans l'autre ; il laisse au contraire quelquefois les justes dans, la misère, l’ignominie, les persécutions générales, soit pour les purifier de leurs péchés véniels   dés cette vie, soit pour couronner, avec plus d'éclat et de splendeur, leur patience, leur humilité ,  et leurs autres bonnes oeuvres; mais qui pourra comprendre pourquoi Dieu ,avant qu'ils eussent rien fait de mal ni de bien , a choisi Jacob et rejeté Esaü? C'est ce qu'admire l'Apôtre dans son Épître aux Romains (9.).Ils étaient jumeaux, appartenaient au même père et a la même mère, et cependant Dieu en a aimé un en le prédestinant, et haï l'autre en le réprouvant. Et qu'on ne dise pas que Dieu a prévu les bonnes oeuvres de l'un, et les mauvaises actions de l'autre : l'Apôtre prévient cette réponse en disant que cela fut fait afin que le décret de Dieu sur ces deux enfants demeurât ferme, selon son élection éternelle (Ibid.) ; et il rappelle les paroles de Dieu à Moise : Je ferai miséricorde à qui il me plaira de faire miséricorde, et j'aurai pitié de qui il me plaira d'avoir pitié ( Hebr. 9. 15. ). Comment ne pas être étonné de la chute du traître Judas, après avoir longtemps persévéré dans la pratique des bonnes oeuvres ; et du salut du bon larron, admis dans le ciel immédiatement après sa conversion, quoiqu'il eût passé toute sa vie dans le mal ? Vous répondrez que Judas avait trahi Jésus-Christ, et que le larron avait confessé sa divinité; c'est vrai : mais Jésus-Christ n'aurait-il pas pu jeter un regard sur Judas , comme sur Pierre, et lui donner cette grâce efficace à laquelle le coeur le plus dur ne saurait résister ? Jésus-Christ n'aurait-il pas pu inspirer aux deux voleurs les sentiments de foi et de pénitence, comme il les inspira a l'un d'eux; ou les laisser tous deux finir leur vie dans le péché , comme il en laissa un? Et qui pourra expliquer pourquoi Dieu en retiré quelques-uns de ce monde, pour empêcher la malice du siècle de les corrompre (Sap. 4.), comme le Sage le dit d'Énoch, et en laisse plusieurs autres, qui, de bons qu'ils étaient, deviennent méchants, et meurent dans l'impénitence? Mais que dirons-nous de ces régions entières, qui ont été appelées les unes plus tôt , les autres plus tard à la foi indispensable      au salut? car celui qui ne croit point est déjà jugé (Joan. 3.). Ce passage devrait faire réfléchir tant de nouveaux théologiens qui veulent sauver presque tout le monde par des distinctions inconnues de nos pères. Et au contraire, l'Apôtre enseigne (Rom. 10.), que tous ceux qui invoqueront le nom du Seigneur seront sauvés. Mais comment l'invoqueront-ils,' s'ils ne croient pas en lui; et comment croiront-ils en lui, s'ils n'en ont point entendu parler; et comment. en entendront-ils parler , si personne ne leur prêche ; et comment les prédicateurs leur prêcheront-ils, s'ils ne sont envoyés?

Ce sont là des secrets très-élevés et très-profonds, que le Père céleste a renfermés dans l'abîme de sa sagesse , que l'Apôtre n'ouvre point, mais qu'il admire , lorsqu'il dit (Rom. 11. 33.). O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables! Car qui a connu les desseins de Dieu , ou qui est dans le secret de ses conseils pour y découvrir les taisons de sa conduite sur les hommes' Tout ce qu'il nous est permis de savoir , c'est qu'en Dieu il n'y a nulle iniquité ; et qu'au dernier jour il n'y aura personne qui ne puisse dire en toute vérité : Vous êtes juste, Seigneur, et votre jugement est équitable ( Ps. 118.). De plus, cette impossibilité de connaître les desseins de Dieu nous est utile , afin que le méchant ne désespère pas de son salut et que le juste ne présume pas de la certitude du sien; et encore afin que les bons ne croient jamais à l'impossibilité de la conversion des méchants , qu'ils prient pour eux, et qu'ils s'intéressent à leur salut ; et que d'un autre côté personne ne s'enorgueillisse , quelque bon et saint qu'il puisse être , puisque personne ne sait ce qui doit arriver demain , et que nous devons tous opérer notre salut avec crainte et tremblement ( Phil. 2. ). Pour vous , ô mon âme , après avoir considéré toutes ces vérités, efforcez-vous de plus en plus, selon l'avis de saint Pierre (11. Petr. 1. 10.), d'affermir votre vocation et votre élection par les bonnes oeuvres et si vous désirez savoir quelles sont les bonnes oeuvres qui affermissent la vocation et l'élection, écoutez ce que recommande saint Jean (1. Joan. 3. v. 18.):  Mes petits enfants,vous dit-il, n'aimons pas de parole et de langue, mais par oeuvre et en vérité ; car c'est là la charité avec laquelle personne ne périra et sans laquelle personne ne sera sauvé. Or, la charité se montre par les oeuvres, lorsque,sans espérance de rétribution temporelle et sans affection déréglée pour la créature , mais par un sincère et pur amour de Dieu et du prochain, nous donnons l'aumône aux pauvres , ou nous pardonnons les injures. Et parce qu'il ne suint pas de bien commencer, mais qu'il faut persévérer  jusqu'à la fin pour être sauvé (Matth.10.), saint Pierre nous dit : Efforcez-vous; ce qui veut dire : Travaillez avec anxiété , avec sollicitude et diligence à l'affaire de votre salut éternel. Et vraiment s'il existe quelque forte probabilité de l'élection divine, elle est sans doute pour l'homme qui, ayant plus de sollicitude pour son salut que pour aucune autre chose, ne cesse de demander à Dieu le don de la vraie pénitence, de la vraie humilité, de la parfaite charité, et de la persévérance finale; et qui,non content de demander à Dieu ces grâces précieuses, fait tous ses efforts , selon le conseil de Jésus-Christ, pour chercher et pour trouver le royaume de Dieu et de sa justice.

 

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QUATORZIÈME DEGRÉ. Considération de la miséricorde de Dieu.

 

L'ESPRIT SAINT dans l'Écriture fait de la miséricorde divine l'éloge le plus admirable, au point qu'il l'élève au-dessus de toutes les oeuvres de Dieu. Car le prophète David ne balance pas à dire que le Seigneur est bon envers tous , et que ses divines miséricordes s'étendent sur toutes ses oeuvres (Ps. 144. 9.). Nous reconnaîtrons facilement la grandeur de cet attribut divin , si nous en considérons un peu attentivement la largeur , la longueur, la hauteur et la profondeur. La largeur de la miséricorde divine consiste en ce que Dieu , et Dieu seul, peut guérir toutes les misères, et qu'il. en guérit en effet plusieurs par amour pour ses créatures , et non pour aucune utilité personnelle. Les créatures peuvent, il est vrai, soulager quelques besoins ; apaiser la faim par l'usage du pain ; la soif , par l'emploi des boissons; couvrir la nudité avec des habits; acquérir la science pour dissiper l'ignorance, et ainsi du reste;mais il n'est peint de créature qui puisse faire cesser toutes les misères. Bien plus,il y a des misères d'autant plus graves qu'elle sont plus cachées, plus intérieures,et auxquelles Dieu seul peut apporter remède. Telles sont les embûches des démons , qui sont très-nombreux , très-rusés , très-puissants , et pardessus tout très-méchamment acharnés contre nous. Tels sont encore les égarements et l'aveuglement de l'âme et ceux d'une conscience erronée que nous ne reconnaissons pas en nous, croyant souvent que notre intérieur va bien, tandis que nous sommes sérieusement en péril. Qui peut nous délivrer de pareilles misères , si ce n'est le médecin tout-puissant? et parce que c'est souvent à notre insu que le Dieu de miséricorde nous délivre de semblables misères, on peut dire avec raison, comme l'enseigne St. Luc (6.) que tous les hommes sont ingrats et méchants : car à peine connaissons-nous la moindre partie des bienfaits de Dieu , et pour ceux que nous reconnaissons, à peine en rendons-nous des actions de grâces avec cette dévotion et cette humilité qu'il conviendrait d'avoir. Ensuite les créatures non-seulement n'ôtent pas toutes les misères, mais en ôtent fort peu ; et ne les ôtent pas à tous, mais seulement à quelques-uns. Dieu seul peut les ôter toutes, et les ôter à tous ; et quoiqu'il ne les ôte pas toutes à tous , il n'est cependant personne qui n'ait eu part à quelqu'une de ses miséricordes : aussi le Prophète assure ( Ps. 32. ) que la terre est remplie des miséricordes du Seigneur. Et l'Église dit dans une oraison: Dieu dont le propre est d'avoir compassion : Deus cui proprium est misereri. Parce que c'est a celui qui n'est sujet à aucune misère d'ôter les misères d'autrui , il appartient d'ôter toutes les misères des choses créées à celui. là seul qui est exempt de toute misère ; mais y a-t-il un autre que Dieu qui en soit exempt ? lui qui est tout pur, souverainement bon, et dont la béatitude forme l'essence ? O mon âme, si vous pouviez comprendre quelle est la vie de votre Seigneur et de votre Père, de cette vie au-dessus de toutes les misères, pure et pleine de félicité , avec quelle ardeur ne désireriez-vous pas de lui être réunie , afin qu'on puisse vous dire aussi : Le mal ne viendra point jusqu'à vous , et les fléaux n'approcheront point de votre tente ( Ps. 9. 10. ) ? Mais, direz-vous, s'il est au pouvoir de Dieu d'empêcher toutes les misères, pourquoi ne les empêche-t-il pas ; étant le Père des miséricordes (II Cor. l .), c'est-à-dire un père très-miséricordieux? D'où vient cette affluence de misères parmi le genre humain , sous le gouvernement du Père des miséricordes et pourquoi dit-on que la terre -Ai pleine de la miséricorde du Seigneur, plutôt que de dire que la terre est remplie de misères? A la vérité , Dieu peut faire disparaître toutes sortes de misères; mais il n'ôte que celles que sa sagesse juge à propos d'ôter. Et la sagesse divine juge qu'il n'est pas avantageux à l’homme de s'en voir entièrement délivré, et que c'est Souvent un effet de sa miséricorde de lui laisser quelque misère, pour donner lieu à une plus grande miséricorde. L'Apôtre pria trois fois le Seigneur de lui ôter l'aiguillon de la chair , et il ne fut pas exaucé, parce que la vertu se perfectionne dans l'infirmité ( I. Cor. 12. ). Dieu laissa à Lazare sa pauvreté et ses plaies , pour user envers lui plus tard d'une plus grande miséricorde,en faisant porter son âme par les anges dans le sein d'Abraham (Luc. 16.). Et comment feraient les riches pour exercer les oeuvres de miséricorde si nécessaires pour leur acquérir des mérites , s'il n'y avait point de pauvres qui souffrissent la faim , la soif , la nudité , les maladies , s'il n'y avait ni étrangers ni prisonniers? Et s'il n'y avait point de tentations ni de combats à soutenir contre les démons, où seraient le triomphe et la couronne des vierges et des confesseurs ? S'il n'existait plus de travaux ni de douleurs , où serait la couronne réservée à la patience ? Sans persécuteurs, où trouveriez-vous la palme du martyre? C'est pourquoi , il est également vrai que dans cette terre d'exil, tout y est rempli de misères, ne fût-ce qu'à cause des péchés qui y règnent ; et tout y est plein aussi de la miséricorde du Seigneur, parce que la conversion des pécheurs et les mérites des saints, et une infinité d'autres biens spirituels et temporels que Dieu nous accorde,sont un écoulement continuel de la grande miséricorde de Dieu notre créateur. Remercions notre bon maître, de ce qu'à l'abondance des tribulations pendant notre pèlerinage se trouve toujours mêlée l'abondance des consolations que nous prodigue sa miséricorde ( II. Cor. 1. ). Écrions-nous avec le Prophète : Seigneur,voire miséricorde est dans le ciel (Ps. 35.), parce que, dans ce bienheureux séjour, la miséricorde y sera pure, et sans mélange d'aucune misère.

2° La longueur de la miséricorde de Dieu consiste clans la longanimité ou la patience que l'Écriture a coutume de joindre à la miséricorde, comme en faisant partie. Car David s'exprime ainsi: Le Seigneur est miséricordieux et plein de tendresse , il est patient et tout rempli de miséricorde ( Ps. 102. 8. ) ; ce qu'il répète dans un autre endroit : Le Seigneur est clément et miséricordieux, il est patient et rempli de miséricorde (Ps. 144. 8. ). La longanimité ou la patience de Dieu notre très- miséricordieux Père, envers le genre humain; est extrêmement admirable; on ne voit rien de pareil ni dans les maîtres envers leurs serviteurs,ni dans les parents envers leurs enfants, quoique les uns et les autres soient des hommes. Et d'abord Dieu est plein de longanimité envers les pécheurs ; il les attend avec une patience incroyable, quelquefois depuis leur enfance jusqu'à la dernière vieillesse, souffrant que sa loi soit violée, que son nom soit blasphémé, et, en attendant, leur faisant du bien en dispensant les pluies du ciel et les saisons favorables pour les fruits de la terre , leur donnant la nourriture avec abondance et remplissant leur coeur de joie (Act.14.16.).Trouverait-on parmi les hommes un maître ou un père assez doux, assez complaisant pour souffrir, sans le chasser de sa maison , que son serviteur ou son fils le méprisât et l'accablât d'injures, persévérant longtemps dans cette méchanceté ? Mais pour la miséricorde de Dieu , elle ne saurait être vaincue par la malice des hommes; il les attend avec patience,ne voulant pas qu'aucun périsse,mais que tous retournent à lui par la pénitence ( II. Petr. 3. 9. ). Et le Sage, parlant de la bonté de Dieu , s'exprime ainsi : Vous avez compassion de tous les hommes, parce, que vous pouvez tout; et vous dissimulez leurs péchés; afin qu'ils fassent pénitence (Sap. 11. 24.). On voit encore une plus grande patience dans la conduite de Dieu envers beaucoup de pécheurs qu'il a retirés, par sa grâce, du lac de misère et du bourbier du crime ; qu'il a fait enfants de lumière d'enfants de ténèbres qu'ils étaient; qu'il a revêtu de l’adoption des enfants de Dieu et de l'espérance du royaume céleste, lorsqu'ils méritaient la mort éternelle , et qui, malgré tant de bienfaits, retombant sans cesse, et revenant plusieurs fois à leurs turpitudes et à leurs ingratitudes, ne sont pas cependant abandonnés par la longanimité de Dieu, mais attendus et invités avec bonté à se convertir de nouveau et à persévérer; s'ils font pénitence de tout leur coeur, ils sont , comme d'autres enfants prodigues, admis par ce très-miséricordieux Père au baiser de paix, et rétablis dans leurs premiers honneurs et leur ancienne dignité (Luc, 15 ). C'est pour nous faire connaître cette longanimité que Jésus-Christ répondit à saint pierre qui lui demandait s'il fallait pardonner jusqu'à sept fois celui de qui on avait reçu quel

271 que affront, qu'il lui répondit,dis je, qu'il fallait lui pardonner non-seulement sept fois, mais soixante-dix fois sept fois : Non dico tibi usque septies; sed usque septuagiès septies (Matth.18.), c'est-à-dire qu'il veut que nous usions envers ceux qui nous ont offensés, comme il en use miséricordieusement lui-même envers ceux qui se repentent. Or,il n'a assigné d'autre terme à la réconciliation que la fin de cette vie : on voit que le pieux auteur pensait autrement que nos rigoristes. Pendant que le pécheur vit, fût-il parvenu au-delà de cent ans en faisant des chutes et des rechutes continuelles, il peut toujours espérer que ce Père plein de 1énigailé- l'admettra toujours à la pénitence,   dés qu'il voudra se repentir. Auprès de ce Père miséricordieux aucune pénitence n'est tardive , pourvu qu'elle soit sérieuse, et qu'elle parte d'un coeur contrit et humilié: Nulla pœnitentia sera ,modo sit seria. Ce n'est pas à dire qu'on doive abuser de la bénignité de Dieu, et différer de jour en jour sa conversion; puisque personne ne sait ni l'heure ni le jour de sa mort et de sa comparution au tribunal du Juge suprême; c'est, au contraire, cette grande et incroyable bonté de Dieu qui devrait tenter et engager les pécheurs à se convertir : car si le Seigneur montre tant de bonté envers des pécheurs qui retombent si souvent, quelle sera la douceur de ce tendre père envers ceux qui, après avoir goûté sa grâce, ne peuvent plus se résoudre à la perdre et à se séparer de leur Dieu , malgré toutes les tentations que leur suscite le monde et l'enfer ; mais il est aussi une autre longanimité de Dieu, qui est des plus admirables et des plus aimables, c'est celle qui l'engage à supporter les offenses des justes. Car Dieu, par son infinie bonté, d'ennemis que nous étions, nous a rendus ses amis; il a changé notre condition d'esclaves en celle d'enfants ; et nous a fait héritiers de son royaume , tandis qu'auparavant nous ne méritions que la mort éternelle ; et cependant notre ingratitude est si grande, que tous les jours nous lui rendons le mal pour le bien. Car si l'apôtre saint Jacques ( 3. 2. ) dit que nous faisons tous beaucoup de fautes : In  multis enim offendimus omnes, que devons-nous dire de nous-mêmes, dont la perfection est si éloignée de celle de l'Apôtre? Nous entretenons-nous avec Dieu dans la prière , voilà qu'emportés à d'autres objets par notre imagination, nous tournons en quelque sorte le dos à Dieu. Où est sur la terre un maître qui voulût souffrir un serviteur qui le mépriserait au point de ne pas l'écouter lorsqu'il lui adresse la parole, pour se tourner vers un autre serviteur et s'entretenir avec lui ? Que dirai-je des oeuvres inutiles ? des excès dans le boire et le manger , dans le sommeil et le jeu ? de la négligence dans les offices divins? de l'omission de la correction fraternelle? et d'un nombre infini d'autres offenses dont nous nous rendons fréquemment coupables ? Et cependant notre Dieu rempli de douceur et de bonté , répandant ses miséricordes envers tous ceux qui l'invoquent (Ps. 85.),souffre cette grossièreté, cette incivilité, si je puis m'exprimer ainsi, et ces inepties de ses enfants , ce que certainement les hommes ne souffriraient pas de leurs semblables. St Augustin en fait la remarque dans son traité sur le psaume 85 , où il déplore la faiblesse de l'homme pour éviter ces évagations de l'esprit dans l'oraison, et où il exalte la mansuétude de Dieu qui supporte tant d'injures de la part de ses serviteurs. Car il connaît le limon dont nous sommes pétris , et nous traite comme une mère traite son petit enfant qu'elle échauffe et nourrit, quoique cet enfant la batte quelquefois. Mais quoique Dieu souffre nos offenses si multipliées sans nous priver de son amitié , ni pour cela du droit à son héritage; cependant ces offenses ne resteront pas sans punition à son jugement, où il faudra rendre raison d'une parole oiseuse, à moins que nous ne les ayons effacées par nos larmes, par la prière ou par quelque autre sorte de satisfaction. Mais de peur que vous ne regardiez, ô mon âme, ces offenses comme légères, et que , vous abusant , vous les négligiez, écoutez ce que saint Bonaventure écrit de St. François qui était surnaturellement éclairé (In ejus vita, cap. x.): Il croyait, dit-il, faire un grand péché,lorsque dans l'oraison il se voyait assailli intérieurement d'idées fantastiques; et s'il lui arrivait d'en avoir , il ne manquait point d'aller se confesser pour les expier. Ce soin lui était devenu si habituel, qu'il souffrait rarement ces mouches. Pendant un carême , il s'était occupé à faire un petit vase, pour ne pas rester la moindre partie de temps sans occupation; s'étant rappelé de ce vase pendant qu'il récitait Tierce, et ayant éprouvé une légère distraction dans un mouvement de ferveur, il mit ce vase au feu en disant : Je sacrifie à mon Dieu ce qui m'a empêché de lui offrir mon sacrifice. Il faut donc conclure qu'une divination de l'esprit pendant l'oraison n'est pas une faute si légère, comme on le pense communément; mais c'est une grande miséricorde et une grande longanimité de Dieu notre père qu'il ne s'en irrite pas davantage , ou qu'il ne nous en punisse pas sur-le-champ.

3° Parlons maintenant de la hauteur de la miséricorde de Dieu: elle se tire de la cause qui porte Dieu à la compassion;elle est très-élevée et exaltée au-dessus de tous les cieux,selon le Prophète:Seigneur, dit-il, votre miséricorde est da ns les cieux; la miséricorde (de Dieu) s'élèvera comme un édifice éternel dans les cieux (PS.33. Ps. 88.3) Car il y a des hommes qui ont pitié d'autres hommes , parce qu'ils ont besoin de leur travail , et c'est ici le dernier degré de la miséricorde,qui ne va pas au-delà de l'utilité personnelle; c'est ainsi qu'on a compassion d'un cheval , d'un chien ou d'un autre animal de service. D'autres ont des sentiments de compassion à raison de la consanguinité ou de l'amitié; ce sont des enfants, des frères, des voisins ou des amis, qui excitent les sentiments,et ce degré est un peu plus élevé, on y voit un commencement de vertu. Enfin il en est qui ont compassion des autres, parce que ce sont leurs semblables, comme eux créés de Dieu et formés du même limon: ainsi ils n'examinent pas s'ils sont: amis ou ennemis, s'ils sont bons ou mauvais, parons ou étrangers ; mais ils ont compassion de tous ceux qui ont été créés à l'image de Dieu; et c'est là le plus haut degré où puissent atteindre les mortels. Quant à Dieu,il a compassion, il est vrai,de tout, parce que tous les êtres sont ses créatures , et spécialement des hommes, parce qu'ils sont créés à son image, plus spécialement encore des justes , parce qu'ils sont ses enfants, les héritiers de son royaume , et les cohéritiers de son Fils unique. Mais si vous examinez pourquoi Dieu a créé le monde , pourquoi il a fait l'homme à son image , pourquoi il a justifié les impies et les a adoptés pour ses enfants et établis les héritiers de son royaume , vous ne découvrirez autre chose que sa volonté. Et pourquoi l'a-t-il voulu ? parce qu'il est bon , car sa bonté se répand et se communique volontiers. C'est donc dans le ciel que s'élève sa miséricorde, et de cette demeure élevée qui est le coeur du Père éternel, elle est descendue sur la terre et l'a remplie de ses bienfaits. Misericordia Domini plena est terra. Ainsi Dieu trouve en lui la source de sa miséricorde envers nous,et il a trouvé en nous la source des châtiments que méritent nos prévarications. Élevez donc vos yeux ô mon âme, vers cette source élevée de la miséricorde; contemplez cette souveraine pureté qui agit sans aucun intérêt personnel , et lorsque vous entendrez le premier maître vous exhorter et vous dire : Soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux (Luc. 6.) , faites vos efforts pour avoir compassion non-seulement de ceux qui tiennent le même rang que vous, mais encore avec ce désintéressement dont votre Père céleste a compassion de vous. Si vous pardonnez à un médisant, à un calomniateur, pardonnez sincèrement, et oubliez entièrement l'offense : car notre Père oublie nos péchés,comme nous l'a assuré le Prophète Ézéchiel (18.); et afin que nos iniquités ne nous nuisent plus, il les éloigne de nous autant que l'Orient est éloigné de l'Occident. Si vous faites l'aumône à un pauvre , pensez que vous recevez plus que vous ne donnez;puisque celui qui a pitié du pauvre, prête à usure au Seigneur (Prov 9.) ; et par conséquent donnez avec humilité et révérence, non comme si vous donniez au pauvre , mais comme si vous offriez un petit présent au prince. Si vous souffrez quelques incommodités pour soulager l'indigence de votre prochain, pensez combien vous êtes loin de votre Seigneur , qui, pour vous être utile, a donné son sang et sa vie ; c'est ainsi que , sans espérance d'urne récompense temporelle , sans aucun motif de vaine gloire , et par pur amour de Dieu et du prochain, vous voua perfectionnerez dans l'exercice de la miséricorde.

4° Il nous reste à considérer la profondeur de la miséricorde de Dieu :  de même que la hauteur de cette miséricorde reluit principalement dans sa cause , de même aussi sa profondeur se découvre dans ses effets. Celui qui n'a la miséricorde que sur les lèvres , n'a qu'une miséricorde superficielle ; elle est plus profonde dans celui qui aux paroles de consolation joint ses bienfaits pour soulager les malheureux. Mais elle est très-profonde dans celui qui aide les malheureux non-seulement par ses paroles et par ses aumônes , mais encore par sa patience , ses travaux et ses douleurs. Mais notre Dieu,dont les miséricordes sont sans nombre , a eu compassion de nous en toute manière. D'abord il nous a adressé des lettres de consolation qui sont les divines Écritures : Nous avons pour nous consoler , disent les Machabées , les livres saints qui sont entre nos mains (Mach. 12.). Dieu ne se contente pas de nous parler par ses Écritures ; il nous parle encore et nous promet sa protection parle ministère des prédicateurs , qui remplissent les fonctions d'ambassadeurs de Jésus-Christ dans notre pèlerinage, et aussi par les inspirations intérieures (II. Cor. 5.). J'écouterai avec attention , dit le Prophète,ce que le Seigneur mon Dieu nie dira au-dedans moi; parce qu'il m'annoncera intérieurement la paix qu'il a préparée pour sort peuple par les saints qui vivent dans 1'innocence, et pour ceux qui l’ayant perdue par leurs péchés , se convertissent in rentrant au. fond de leur coeur pour en réformer les désirs déréglés (Ps.84.). Qui pourrait nombrer encore les bienfaits de la miséricorde de Dieu envers nos innombrables misères spirituelles et temporelles ? Partout il nous environne de sa miséricorde et de ses grâces (Ps. 102. 4.). En troisième lieu,par le mystère de l'incarnation la miséricorde de Dieu s'est abaissée aux travaux et aux douleurs ; à la faim, à la soif, à l'ignominie, aux opprobres , aux meurtrissures, aux plaies, à la croix et à la mort, pour nous délivrer du péché et de la mort éternelle que méritait le péché. Est-il un abîme plus profond, où ait pu descendre la miséricorde de Dieu ? Oui, car il ne l'a pas fait par devoir, mais par grâce; il s'est offert, parce qu'il l'a voulu (Is. 33.). En effet qui a pu forcer. le Fils de Dieu,égal à son Père (Phil. 2.), à s'anéantir lui-même en prenant la forme et la nature du serviteur, qui a pu l'engager à se faire pauvre pour nous , afin de nous enrichir par sa pauvreté? de s'humilier jusqu'à la mort et à la mort de la croix , pour nous donner la vie et nous relever de notre chute ? Il n'y a que l'amour qui l'ait forcé , il n'y a que la miséricorde qui l'ait dirigé. Mais il y a encore quelque chose de plus profond. Car dans l'oeuvre de notre salut , il a daigné nous rendre participants de sa gloire et de son honneur ; cette expression de l'ange :Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre : Gloria in altissimis Deo , et in terra pax (Luc. 2.) paraissait assez juste. donneur à Dieu, utile aux hommes ; mais la miséricorde de Dieu a voulu que toute l'utilité fût pour nous , et pour la gloire , qu'une partie fût pour lui et l'autre partie fût pour nous. Car il a voulu nous conférer la grâce , au moyen de laquelle nous coopérerions à notre salut, et mériterions véritablement la vie éternelle , que Jésus-Christ nous a méritée le premier:non que le mérite de Jésus-Christ fût insuffisant, mais pour nous communiquer l'honneur et la gloire de notre propre salut. De la vient qu'il est dit dans l'Évangile : Rendez la récompense ; et que l'Apôtre se glorifie en disant : Il ine reste la couronne de justice qui m'est réservée (Matth. 20. et II Tim. 4. 8.). Enfin la miséricorde de Dieu est très-profonde envers les hommes, et surtout envers ceux qui ont de la piété et qui le craignent; parce qu'elle surpasse la plus grande affection que nous puissions remarquer sur la terre , dans les pères et les mères. Écoutons Isaïe : Voici ce que dit le Seigneur: Une mère peut-elle oublier son enfant , et n'avoir point de compassion du fils qu'elle a porté danses entrailles? Mais quand même elle l'oublierait, pour moi, je ne vous oublierai jamais (Isaïe 49. 15. ). Écoutons le Prophète-Roi : Comme un père aune compassion pleine de tendresse pour ses enfants , aussi le Seigneur est touché de compassion pour ceux qui le craignent (Ps. 101. 13.).Mais de peur que vous ne disiez qu'on trouve des parents , dont l'amour pour leurs enfants se change quelquefois en haine, David ajoute encore ce trait de la miséricorde de Dieu envers ses enfants : La miséricorde du Seigneur est de toute éternité, et elle demeurera éternellement sur ceux qui le craignent ( Ps. 102.16.) L'Apôtre nous rassure encore sur cette durée de la miséricorde de Dieu, en l'appelant Père de miséricorde et Dieu de toute consolation (II. Cor. l.). C'est pourquoi Dieu est non-seulement le Père de ceux qui le craignent; mais de plus il est un Père trés-miséricordieux et très-disposé à vous consoler;car il ôte à ses enfants les affections, et les tribulations qu'il juge expédient de leur ôter , et en celait se montre un Père plein de miséricorde; et lorsqu'il juge avantageux à ses enfants de les laisser dans l'affliction et les tribulations, par les consolations ineffables qu'il leur prodigue dans cet état il se montre le Dieu de toute consolation. Car l'Apôtre l'appelle le Dieu de toute consolation pour deux raisons principales : d'abord parce que Dieu sait consoler ses serviteurs dans toute espèce de tribulations , ce que le monde ne saurait faire , à cause que souvent il en ignore la cause. Les amis de Job n'étaient des consolateurs importuns , comme il les appelle (Job 16.), que parce qu'ils ne connaissaient point la cause de ses maux, et appliquaient le remède là où il ne convenait point; ou parce que la tribulation est quelquefois si grande,qu'aucune consolation humaine ne peut l'égaler. Mais Dieu , médecin très-sage et très-puissant , peut guérir toute sorte de maux ; c'est pourquoi l'Apôtre dit qu'il nous console dans toutes nos tribulations. Ensuite il est appelé le Dieu de toute consolation , parce qu'il sait consoler si pleinement et si abondamment, qu'on aime mieux les tribulations avec les consolations que d'être privé des unes et des autres.    C'est ce qui arriva au jeune Théodore, confesseur de la foi sous Julien l'apostat. Il fut, pendant dix heures entières, torturé avec tant de cruauté par des bourreaux qui se remplaçaient, que de mémoire d'homme on n'avait rien vu de semblable ; et malgré ces tourments , plein de joie , il chanta durant tout ce temps les psaumes de David ; il ne s'attrista et ne commença à pleurer , que lorsqu'on cessa de le tourmenter, regrettant cette extrême consolation que lui procurait la présence de son bon ange, pendant le supplice. Ne nous étonnons plus, si 1'Apôtre dit qu'il est. rempli de consolation, qu'il est comblé de joie parmi toutes ses souffrances (II Cor.7.4.), et s'il dit au commencement de son Épître : Dieu nous console dans tous nos maux, afin que nous puissions aussi consoler les autres dans, tous leurs maux (II Cor. 1. 4.).Que pensez-vous, ô mon âme , de cette vaste, continuelle, pure et immense miséricorde du Seigneur , qui, sans aucun besoin de nous , a, par son adroite charité, une aussi grande sollicitude de nous,que si tout son bonheur en dépendait? Quelles actions de grâces lui rendrez-vous ? Que pourrez-vous jamais faire pour n'être pas ingrate envers une si grande miséricorde ? Au moins tâchez de lui plaire autant que vous pourrez , tâchez de faire tout ce qui lui plaît davantage. Et parce qu'il est écrit: Soyez miséricordieux, comme votre Père céleste...., ayez compassion de votre âme , en faisant la volonté de Dieu : Miserere animae tuae placens Deo (Eccli. 30.) Commencez d'abord à rechercher les misères de votre âme;pour celles de votre corps, elles sont connues, et il n'est pas nécessaire d'avertir l'homme d'avoir compassion de son corps : car il suffit d'avoir passé un seul jour sans boire ni manger, ou une seule nuit sans dormir, ou d'avoir reçu quelque blessure, pour que l'homme se plaigne , rugisse en quelque sorte, et emploie tous tes moyens pour se procurer du secours. Pour l'âme , elle est privée de sa nourriture des. semaines entières , elle languit couverte de blessures , et même elle est dans un état de mort , sans qu'on en prenne soin , sans qu'on en ait compassion. Visitez donc très-souvent votre intérieur ; examinez chacune de vos facultés pour voir si elles s'avancent dans la connaissance et l'amour du vrai bien , ou peut-être si elles ne sont pas plongées dans l'ignorance , et ne croupissent pas dans les passions ; voyez si l'intelligence n'est pas aveuglée par sa propre malice , et la volonté corrompue par l'envie ou l'orgueil. Si vous découvrez quelque chose de semblable , criez vers le Seigneur et dites-lui : Ayez pitié de moi, parce que je suis infirme. Cherchez les médecins spirituels, et employez les remèdes convenables. Ayez ensuite compassion de l'âme des autres; dont il périt un nombre infini,et pour lesquelles cependant Jésus-Christ est mort. O si vous connaissiez la vraie paix des âmes, qui est le sang précieux du Fils de Dieu; et en même temps le carnage affreux qu'en font les loups infernaux, et ces lions rugissants qu'on appelle démons , vous en auriez la compassion la plus étendue, et vous travailleriez à les délivrer par les prières que vous adresseriez à Dieu,et par tous les autres moyens qui seraient en votre pouvoir ! Enfin soyez sensible encore aux nécessités corporelles de votre prochain ; non pas seulement eu paroles et de la langue , mais en oeuvres et eu vérité, vous rappelant les paroles de Jésus-Christ Bienheureux ceux qui sont miséricordieux ; parce qu'ils obtiendront miséricorde (Matth.5.).

 

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QUINZIÈME DEGRÉ. Considération de la grandeur de la justice de Dieu, par la comparaison de la grandeur corporelle.

 

La justice de Dieu , dans le langage de l'Écriture, se prend en quatre différents sens ; elle signifie d'abord cette justice universelle qui comprend toutes les vertus , c'est la même chose que la sainteté ou la probité. Ainsi le Prophète dit que le Seigneur est juste dans toutes ses voies et qu'il est saint dans toutes ses œuvres (Ps. 144.).En second lieu, la justice se prend pour la vérité ou pour la fidélité : Ut justificeris in sermonibus tuis (Ps. 50.). Troisièmement, pour la justice distributive des récompenses : c'est dans ce sens que l'Apôtre dit :  Il m'est réservé la couronne de justice que le Seigneur, comme un juste juge, me rendra en ce jour où il viendra juger le monde. Enfin, elle se prend pour la justice vindicative, comme on le voit dans le psaume 10. 7. : Le Seigneur fera pleuvoir des piéges sur les pécheurs ; le feu et le soufre , et le vent impétueux des tempêtes sont le calice qui leur sera donné pour leur partage , carte Seigneur est juste, et il aime la justice. Nous reconnaîtrons donc, autant qu'il est en nous,la grandeur de la justice de Dieu, si nous considérons la largeur de sa justice universelle y la longueur de cette même justice , c'est-à-dire de la vérité et de la fidélité de Dieu; sa hauteur, c'est-à-dire les récompenses que Dieu distribue dans le ciel ; et enfin sa profondeur , dans les supplices éternels qu'il décerne aux impies dans l'enfer. Mais pour commencer par la largeur de cette justice , il faut remarquer que, parmi les hommes, nous donnons le nom de justice universelle à cette disposition constante de conformer toutes ses actions aux lois; prise dans ce sens,la justice embrasse toutes les vertus théologales et morales. Mais parmi les vertus il en est une qui renferme toutes les autres, qui commande les actes de toutes les vertus , et les dirige vers leur fin dernière ; c'est la charité. Cette vertu , quoique particulière et l'une des vertus théologales , peut seulement prendre le titre de justice universelle; car c'est elle qui dispose l'homme à bien remplir tous ses devoirs envers Dieu et le prochain, et, par ce moyen, à accomplir toute la loi. Ainsi l'Apôtre dit que la charité n'opère point le mal... que celui qui aime accomplit la loi ... que la plénitude de la loi consiste dans la charité (Rom.13.). Et saint Augustin enseigne que là, où la charité commence , là aussi commence la justice ; si la charité fait des progrès , la justice en fait; si la charité est grande , la justice le sera; si la charité est parfaite , la justice aussi sera parfaite Caritas inchoata, inchoata justitia est; caritas provecta , provecta justitia est; caritas magna, magna justitia est; caritas perfecta, perfecta justitia est ( De nat.et grat. c. 70.). Or en Dieu sont toutes les vertus , sans mélange d'aucune imperfection , et au lieu de celles qui présupposent quelque imperfection , il y a quelque chose de meilleur et de plus parfait ; et par là il ne lui manque aucun degré de bonté ; bien plus, la bonté et la sainteté sont si grandes en lui , que l'on peut dire en toute vérité que lui seul mérite. d'être appelé bols et saint. Il n'y a donc pas en Dieu cette vertu théologale qu'on appelle la foi, parce que la foi a pour objet des choses qu'on ne voit pas (Hebr. 11.), mais Dieu voit tout. Il n'y a pas non plus d'espérance en Dieu, parce que cette vertu a pour objet l'attente des biens futurs; mais Dieu n'attend rien , il possède tout de toute éternité ; il n'y a pas en Dieu de repentir du péché , parce qu'il ne peut s'en rendre coupable ; il n'y a pas d'humilité , parce que le propre de l'humilité est de retenir l'homme,et de l'empêcher de s'élever au-dessus de lui-même et de le faire rester à sa place. Mais Dieu étant le Très-Haut, n'a rien au-dessus de lui, où il puisse s'élever. Mais il y a en Dieu la reine des vertus, une charité des plus étendues, infinie, immense; car il s'aime d'un amour infini , parce que seul il connaît le bien infini , qui est son essence ; il aime aussi toutes ses créatures : Diligis omnia quae sunt, et nihil odisti eorum qua, fecisti. (Sap. 11.). Car , par sa sagesse, Dieu sait séparer le bien du mal, c'est-à-dire distinguer le défaut de la nature , même. dans les démons et les hommes les plus pervers. Il aime la nature qu'ira faite, et hait le défaut qu'il n'a point fait, Enfin il y a tellement une vraie charité en Dieu, qu'il a voulu être appelé la charité; Deus caritas est (I. Joan. 4.). Quant à notre charité, elle est très-peu de chose , comparée à la charité de Dieu; car il y a un grand nombre de choses que nous n'aimons pas,faute de les connaître ; beaucoup d'autres nous sont connues, pans que nous les aimions,parce que nous ne savons que difficilement distinguer ce qu'il y a de bon ou de. mauvais en elles. Il est encore beaucoup de choses bonnes que nous n'aimons pas bien (et par là nous manquons à la vraie charité) , parce que nous sommes méchants, et nous nous livrons plus aisément à la cupidité qu'à la charité. En effet, nous aimons Dieu imparfaitement , non-seulement en ce que nous ne l'aimons pas autant que sa bonté le mérite , car en cela les anges mêmes ne peuvent parvenir à ce degré de charité ; mais encore parce que nous l'aimons moins que nous ne le devons, et moins encore que nous ne le pourrions, si nous étions plus vigilants,et si nous donnions plus de soin à l'oraison et à la méditation. En Dieu, cette reine des vertus est accompagnée d'une magnificence singulière , d'une libéralité sans borne , d'une bénignité et d'une douceur incroyables, d'une patience et d'une longanimité inouïes, d'une piété et d'une suavité plus que paternelles , d'une vérité et d'une fidélité à toute épreuve , d'une miséricorde qui remplit le ciel et la terre , d'une justice droite et inflexible, et enfin d'une sainteté très-pure et très-éclatante , en présence de laquelle les astres mêmes ne sont pas purs , et les séraphins saisis d'étonnement s'écrient : Saint, saint, saint est le Seigneur , le Dieu des armées (Isaïe 6.). O mon âme,si vous considériez ceci attentivement, avec quelle crainte et quel tremblement assisteriez-vous devant Dieu pendant la prière et l'oraison ! Et surtout lorsque vous montez à l'autel , avec quelle révérence et quelle humilité, offririez-vous au Père éternel , en présence des anges , son Fils unique pour le salut des vivants et des morts ?

2° Mais continuons. Nous voyons éclater la longueur de la justice de Dieu , dans sa vérité et sa fidélité. Dieu est fidèle dans toutes ses paroles, dit le Prophète (144.) , c'est-à-dire, que les promesses du Seigneur,manifestées plusieurs siècles auparavant par la bouche des prophètes , ne seront jamais et n'ont jamais été vaines : elles sont plus stables et plus fermes que le ciel et la terre : Facilius est caelum et terram praeterire , quam de lege unum apicem cadere (Luc. 16. 17.). Par le mot de loi le Seigneur a entendu non-seulement la vérité des préceptes , mais encore celle de toutes les promesses. En effet,à l'égard de ses préceptes , on il faut les accomplir , ou s'attendre à être puni ; et quant sua promesses , leur stabilité est éternelle : Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point, dit Jésus-Christ (Matth. 35.). La parole de notre Seigneur demeure éternellement, dit Isaïe (40.). David nous assure que tous les commandements sont fidèles et confirmés dans tous les siècles (Ps. 110.). L'Apôtre enseigne que Dieu est véritable , tandis que tout homme est menteur (Rom. 3.); qu'il est impossible que Dieu mente : Impossibile est mentiri Deum. (Hebr.6.), parce qu'il ne peut se tromper, étant la sagesse même ; ni tromper les autres , étant la bonté par essence; ni manquer à ses promesses, étant le Tout-Puissant. Quant aux hommes, quoique sages, quoique bons, quoique puissants, ils peuvent être trompés et tromper à leur tour , parce qu'ils ne connaissent pas tout, qu'ils ne peuvent pas accomplir tout ce qu'ils veulent, et que, changeant de disposition quelquefois, et de bons qu'ils étaient , lorsqu'ils faisaient leurs promesses, devenant mauvais parla suite, ils ne veulent plus tenir ce qu'ils avaient promis. C'est pourquoi si vous m'en croyez , ô mon âme , ne vous confiez qu'en Dieu, n'adhérez qu'à lui , et ne déchargez qu'en lui toutes vos sollicitudes. Soyez plein de sollicitude pour le Seigneur votre Dieu ( Mich. 6.), et il sera plein de sollicitude pour vous ; prenez toutes vos précautions pour ne pas blesser sa justice, et sa miséricorde vous protégera toujours, et vous n'aurez plus rien à craindre des hommes , ni des démons.

C'est dans al rétribution des récompenses célestes que Dieu lui-même , comme juge suprême et très juste, prépare à ceux qui ont vécu pieusement, que l'on remarque la hauteur de sa justice. Nous comprendrons d'abord quelle est la grandeur immense de cette justice, si nous comparons le souverain juge avec les juges de la terre;ensuite,si nous opposons récompense à récompense , c'est-à-dire les récompenses que Dieu donne, avec celles que donnent les hommes. Les juges de la terre , princes ou supérieurs , qui ont des sujets ou des serviteurs , ne leur donnent pas toujours, pour de bonnes raisons , la juste récompense qui leur est due quelquefois ils ne le peuvent pas, n'ayant pas assez de richesses pour récompenser le mérite de tous ; d'autres fois ils ne connaissent point tous les mérites de leurs sujets , ou du moins la juste récompense qui serait due à leur mérite, parce que cela dépend du plus ou moins de sincérité ou de dévouement. Il arrive encore que la méchanceté, l'avarice ou d'autres affections déréglées les empêchent de donner à leurs sujets une récompense proportionnée au travail. Enfin la mort ne permet pas quelquefois de remplir cette justice, parce qu'elle prévient celui qui doit la récompenser, ou celui qui doit être récompensé. Mais Dieu rend à chaque juste , pour toutes ses bonnes oeuvres, non-seulement une juste récompense , mais encore une récompense au-dessus de ses mérites. Quel mérite en effet plus bas et plus obscur que de donner un verre d'eau froide à celui qui a soif (Matth. 10.) ? et cependant Dieu promet de récompenser cette action. Quant à la rétribution au-dessus du mérite, St. Luc nous en assure : On répandra dans votre sein , dit-il , une mesure bonne, comblée , pressée et surabondante (Luc. 6.). Il n'est pas à craindre que Dieu manque de ressource pour donner aux justes leur récompense, car il est le maître de tous , et il peut, d'une seule parole, multiplier et augmenter les biens à l'infini ; il ne faut pas craindre non plus qu'il se trompe dans le nombre des personnes à récompenser , ni dans les proportions de leurs mérites , car il est très-sage, tout est présent à ses regards, il scrute les reins et les coeurs de ceux qui le servent, pour connaître le dessein , l'intention , la ferveur et la diligence avec laquelle ils s'acquittent de leurs devoirs. Encore moins peut-on soupçonner en Dieu la mauvaise volonté de frauder ses serviteurs et ses petits enfants de la juste récompense qui leur est due , parce qu'il est fidèle dans toutes ses paroles. Enfin il n'est pas à craindre qu'il meure,puisque de sa nature il est immortel , et qu'il donne la vie à tous les êtres. Nous pouvons donc être assurés que rien n'empêche Dieu de nous donner la récompense promise. Soyons donc assurés que Dieu, comme un juste juge , donnera à tous ceux qui l'auront servi, la récompense que méritent leurs œuvres d'où il résulte qu'en fait de travail et de récompense, on peut traiter avec Dieu en toute sûreté; et qu'au contraire il est dangereux et imprudent de placer sa confiance dans les hommes, et d'attendre d'eux une récompense proportionnée au service qu'on leur rend. Comparons les récompenses aux récompenses ; les récompenses de Dieu avec les récompenses des hommes ; les récompenses célestes avec les récompenses terrestres. Que peuvent donner, je vous le demande, les hommes à ceux qui travaillent tout le jour pour eux , qui leur sacrifient le repos de la nuit ou qui exposent leur vie dans les combats ? O aveuglement humain ! que peuvent-ils leur donner, si ce ne sont des choses de peu de valeur, viles et abjectes, qui ne doivent durer qu'un peu de temps? Dieu, au contraire, donne des récompenses grandes, sublimes, éternelles;et cependant on recherche les récompenses du monde, et on méprise celles de Dieu. St. Jean Chrysostome compare les palais , les villes et les royaumes d'ici-bas , qui font l'objet de notre admiration, à ces ouvrages de boue que les petits enfants construisent avec de la craie : ces maisonnettes coûtent beaucoup de peine à ces enfants , mais les: personnes raisonnables s'en moquent; et il arrive souvent que le père ou le maître d'école, voyant que les enfants abandonnent l'étude pour s'occuper de ces bagatelles , détruisent en un moment , d'un coup de pied , ce qui avait été élevé avec tant de peine. De même ces grands palais , ces tours , ces forteresses , ces villes , ces royaumes terrestres , ne sont que des châteaux  de boue, si on les compare aux biens éternels et célestes; les saints anges; du haut du ciel , se moquent souvent de ceux qui les construisent, et le Père céleste les détruit sans efforts , pour nous faire comprendre combien il y a de vanité dans tous ces ouvrages sortis de la main des hommes. Quoique peu de personnes soient aujourd'hui capables de le comprendre., cependant tous le comprendront , mais quelques-uns inutilement , au jour du jugement dernier. St. Hilaire , dans son commentaire sur St. Matthieu , nous prévient que ce jour du jugement fera connaître la nullité et la vanité de toutes ces choses. Mais expliquons plus en particulier quelles sont les récompenses célestes , auxquelles plusieurs osent préférer les chétives bagatelles de ce inonde. D'abord il y aura dans le royaume céleste plusieurs biens, on plutôt tous les biens qu'on peut désirer; car tous les habitants de ce royaume fortuné seront heureux. Or

le bonheur ou la béatitude est l'assemblage parfait de tous les biens: Est autem béatitudo cumulus omnium bonorum aggregatione perfectus. C'est pour cette raison qu'on y possédera tous les biens de l’âme , la sagesse et les vertus ; les biens du corps , la beauté, la santé, la force; les biens extérieurs , les richesses , les délices, la  gloire. Ensuite tous les biens seront grands , parfaits , éminens. En effet, Dieu qui a manifesté sa puissance dans la création,en tirant le monde du néant ; sa sagesse, dans l’administration et la providence envers ce même monde; sa charité et sa bonté,dans la rédemption du genre humain , par le mystère de l'incarnation et de la passion de son Fils , démontrera alors la magnificence de sa gloire , et la munificence de sa libéralité dans la distribution des récompenses , des palmes et des couronnes a ceux qui auront triomphé du démon. La sagesse des bienheureux ne consistera pas seulement à voir Dieu dans ses créatures , mais dans une vision claire de l'essence divine,de la cause première de tout ce qui existe , de la première et souveraine vérité ; et par cette vision infiniment éclatante, les  âmes des saints brilleront d'une lumière si splendide,que l'apôtre St. Jean va jusqu'à dire que nous serons semblables à Dieu , parce que nous le verrons tel qu'il est : Similes ei erimus , quoniam videbintus eum sicuti est (1. Joan.3.). De cette grande sagesse procède la charité , reine des vertus ; elle est si ardente , qu'adhérant sans cesse au souverain bien , elle ne veut ni ne peut s'en séparer. Ainsi l'âme tout entière, et toutes ses puissances,persévèreront dans cet heureux état où Dieu les a placées. Le corps sera aussi resplendissant que le soleil , comme l'enseigne Jésus-Christ dans St. Matthieu (13.). Tunc justi fulgebunt sicut sol in regno patris eorum. Et voilà pour sa beauté ; sa santé consistera dans l'immortalité , sa force dans son impassibilité : enfin ce corps qui maintenant est un corps animal , sera alors spirituel ,      c'est-à-dire qu'il obéira au moindre signe de l'âme ;           en sorte qu'il surpassera l'agilité des vents, et qu'il pénètres les corps par sa subtilité. Ses richesses consisteront à n'avoir jamais de besoins et à posséder tout en Dieu et avec Dieu : Super omnia bona sua constituet eos (Matth. 24.).Que dirai-je des plaisirs du ciel ? Il est écrit que les élus seront enivrés de l'abondance qui est dans la maison de Dieu , et qu'il les fera boire dans le torrent de ses délices, où ils seront pleinement rassasiés (Ps. 35. 9.).Qui pourrait imaginer le plaisir qu'il y aura à jouir du souverain bien ? à voir la beauté par essence ? à goûter la suavité dans sa source ? à entrer dans la joie    du Seigneur, c'est-à-dire à devenir participants des délices qui font le bonheur de Dieu ? Il n'y a pas d'éloquence ici-bas qui puisse décrire l'honneur et la gloire des saints ; car tous les saints seront loués de Dieu et couronnés comme vainqueurs , en face de l'univers , en face des anges et des hommes , et, ce qui est encore bien plus honorable , ils seront placés sur le trône même de Jésus-Christ , comme participants de sort royaume. Qui vicerit , dabo ei sedere mecum in throno meo , sicut et ego vici , et sedi cum patre meo in throno ejus (Apoc. 3.). C'est cette sublimité d'honneur qu'admirait le Prophète , lorsqu'il disait : Mais je vois, mon Dieu, que vous avez honoré d'une manière toute particulière vos amis ; leur empire s'est affermi extraordinairement (Ps. 138. 16.). 3, cette multiplicité,à cette excellence de biens, si nous ajoutons, comme un ineffable assaisonnement , l'éternité, qui pourra comprendre la grandeur de cette suprême félicité? Et cependant,ce que nous ne pouvons comprendre , nous aurons le bonheur de le posséder , si , vivant dans la piété , la justice et la sainteté , nous parvenons un jour à la bienheureuse patrie , car il est vrai que ces biens que nous pouvons acquérir ici-bas, avec. la grâce de Jésus-Christ, par des travaux de: peu de durée , dureront éternellement. Que dites-vous ô mon âme, voudrez-vous encore vous amuser à des jeux d'enfants, à construire des édifices de boue,et vous priver de la possession d'un royaume éternel? Voudrez-vous, j'ai horreur de le penser, voudrez-vous vous vautrer dans des. voluptés qui sont communes avec celles des animaux , tandis que vous êtes destiné, à partager les joies ineffables des anges ? Ah! Seigneur , que votre miséricorde préserve votre serviteur d'un tel désordre ; transpercez plutôt , ô mon Dieu , mes chairs par votre crainte ( Ps. 118. 120.), et que l'obéissance à votre sainte loi me paraisse toujours plus douce que le miel; afin que, crucifiant ma chair avec ses vices et ses concupiscences, j'ose aspirer aux délices spirituelles et éternelles de votre paradis. Donnez , Seigneur , à votre serviteur , la force de suivre les vestiges de Jésus-Christ votre Fils,qui , plein de douceur et d'humilité , quand on l'a chargé d'injures, n'a point répondu par des injures ; quand on, l'a maltraité, n'a point fait de menaces (1. Petr. 2. 23.) Faites-moi la grâce de vivre avec sobriété, avec justice et avec piété dans ce monde,afin que je puisse avec une certaine confiance être toujours dans l'attente de la béatitude que nous espérons tous,et de l'avènement glorieux du grand Dieu et de notre Sauveur Jésus-Christ ( Tit. 2. 13.).

4° Considérons maintenant la justice qu'exerce Dieu dans le plus profond des abîmes contre les pécheurs impénitents. Écoutons d'abord l'Apôtre qui nous dit qu'il est horrible de tomber entre les mains du Dieu vivant (Hebr. 10.). Car , selon l'ordre que nous avons suivi dans la récompense des justes, le souverain juge notera tous les péchés, même les plus légers , comme serait une parole oiseuse : Omne verbum otiorum, quod locuti fuerint homines, reddent rationem de eo in die judicii (Matth. 2.) : Les hommes, il est vrai , laissent plusieurs péchés impunis , ou parce qu'ils ne peuvent atteindre les coupables qui quelquefois même leur résistent , ou parce qu'ils ne connaissent point ces fautes , ou parce qu'ils manquent de preuves , ou parce qu'ils ne veulent pas les punir , ou parce qu'ils sont corrompus par les présents , ou enchaînés par la faveur , ou dépravés par la malice. Mais Dieu est tout-puissant, et personne ne peut lui résister. Il est présent partout, il n'y a pas moyen de se cacher de lui : Quo ibo à spiritu tuo , et quo à facie tua fugiam ? Si ascendero in coelum tu illic es, si descendero in infernum , ades (Ps. 135.). Il est très-sage , il connaît tout , même ce qui est renfermé et caché dans le plus intime de notre coeur ; il n'a pas besoin de témoins pour prouver le crime , puisque la conscience de l'homme lui vaut mieux que mille témoins. Enfin ni les présents ni la laveur ne sauraient corrompre la justice d'un Dieu qui n'a aucun besoin de nos biens. Supposons donc, comme bien démontré, qu'aucun péché,ni grand , ni petit, ni énorme , ni léger, ne saura échapper à la justice vengeresse de Dieu, s'il n'a été auparavant purifié par la pénitence. En effet, autant la miséricorde est maintenant abondante pour pardonner, autant après cette vie la justice sera sévère et rigoureuse pour punir ; c'est en parlant du temps de la vie présente qu'Isaïe a dit : Je vous ai exaucé au temps favorable ; je vous ai assisté au jour du salut ( Is. 49. 8.). Et l'Apôtre, expliquant ces paroles aux Corinthiens (II. Cor. 6. 2.), leur dit : Voici maintenant le temps favorable ; voici maintenant le jour du salut. Mais s'agit-il du siècle futur après cette vie , il faut voir comment s'exprime Sophonie (1. 15.) : Ce sera , dit-il , un jour de colère, un jour de tristesse et de serrement de coeur; un jour d'affliction et de misère; un jour de ténèbres et d'obscurité; un jour de nuages et de tempêtes; un jour où ceux qui habitent les ville fortes et les hautes tours trembleront au son et au retentissement de la trompette, qui sonnera la charge contre eux. Car non-seulement tous les péchés seront punis , mais ils le seront par d'horribles supplices , qui seront si grands qu'ils surpasseront tout ce que les hommes pourraient maintenant imaginer. Car de même que l'oeil n'a jamais vu, ni l'oreille rien entendu, ni le cœur de l'homme compris ce que Dieu prépare à ceux qui l'aiment; de même aussi l’oeil n'a jamais vu, l'oreille n'a jamais entendu, ni le cœur de l'homme compris les tourments que Dieu réserve à ceux qui le haïssent. Les misères des pécheurs seront en effet très-nombreuses , très-grandes , pures , c'est-à-dire sans mélange d'aucune consolation , et , ce qui est infiniment effroyable , c'est qu'elles seront éternelles. Je dis d'abord qu'elles seront très-nombreuses : car chaque puissance de l'âme et chaque sens du corps aura son propre bourreau. Méditez les paroles qui composent la sentence du souverain juge: Retirez-vous de moi,maudits, et allez au feu éternel (Matth. 25. 41.).Retirez-vous, leur dit-il, c'est-à-dire, éloignez-vous de la compagnie des bienheureux , pour être privés éternellement de la vision de Dieu, qui est la plus grande , l'essentielle béatitude , et la fin dernière pour laquelle vous avez été créés. Maudits , c'est-à-dire n'attendez plus désormais aucune espèce de bénédiction ; car vous serez privés de toute influence de la grâce, de toute espérance de salut. La pluie de la sagesse ne tombera plus sur vous, non plus que la rosée des bonnes inspirations , aucun rayon de la lumière céleste ne vous éclairera plus; la grâce de la pénitence , ni la fleur de la charité, ni les fruits des bonnes oeuvres ne pourront plus germer dans votre cœur ; dès aujourd'hui et éternellement, vous ne serez plus visités de ce soleil levant qui est venu du haut du ciel pour nous visiter sur la terre : Non visitabit vos ex hoc usque in aeternum Oriens ex alto. Vous ne serez pas seulement privés des biens spirituels, mais encore des biens corporels ; non-seulement des biens éternels, mais encore des biens temporels ; pour vous, plus de richesses, plus de plaisirs , plus de consolations, mais vous serez semblables au figuier que j'ai maudit , et dont les racines se desséchèrent aussitôt. Allez au feu, c'est-à-dire dans une fournaise de feu ardent et inextinguible, qui ne brûlera pas les membres l'un après l'autre, mais tous à la fois, en leur faisant sentir les douleurs les plus vives.Au feu éternel , c'est-à-dire dans un feu qui n'a pas besoin d'être alimenté par le bois pour brûler sans cesse , mais qui sera entretenu par le souffle du Tout-Puissant; afin qu'un tourment éternel punisse les crimes qui ne doivent plus être effacés. Qui de vous , s'écrie le Prophète Isaïe (33. 14.), qui de vous pourra demeurer dans ce feu dévorant que vos crimes ont mérité ? Qui d'entre vous pourra subsister dans les flammes éternelles qui vous sont préparées ? C'est comme s'il disait : Personne ne pourra supporter patiemment ces souffrances; mais tous seront forcés , malgré eux , dans l'indignation , dans l'impatience et le désespoir, d'endurer ces horribles tourments, et il ajoute que le ver qui les ronge ne mourra point, et que le feu qui les brûle ne s'éteindra jamais : paroles que le Seigneur répète plusieurs fois dans St. Marc (9.). Car aux autres tourments des damnés viendra se joindre le ver de la conscience et du souvenir de ce temps où, s'ils l'avaient voulu , ils auraient pu facilement éviter ces supplices, et mériter des joies éternelles; niais afin qu'on n'aille pas s'imaginer que les damnés puissent trouver quelque soulagement en passant d'un lieu à un autre, selon leur volonté, écoutons ce que dit le Seigneur dans S. Matthieu (22.13.),en parlant de ceux qui n'avaient pas la robe nuptiale : Liez-lui les mains et les pieds, et jetez-le dans les ténèbres extérieures; c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents. C'est pourquoi ces malheureux,ayant les pieds et les mains liés par des chaînes éternelles , resteront dans le même lieu, privés de la lumière du soleil et des autres astres , brûlés par les ardeurs du feu, pleurant et gémissant, grinçant des dents dans des accès de rage et de désespoir. Non-seulement les réprouvés souffriront dans ce lieu plein d'horreur des douleurs insupportables, mais ils éprouveront encore, à leur grande confusion, une misère extrême, le déshonneur et l'ignominie;en effet, dans un instant ils perdront leurs palais,leurs champs, leurs vignes, leurs troupeaux, leurs habits, leur or , leur argent, leurs pierres précieuses,et ils se verront réduits à une telle indigence, qu'ils désireront, comme le riche voluptueux, une goutte d'eau froide,et cette goutte leur sera refusée. Or ces hommes superbes et pleins d'orgueil, qui ne peuvent supporter ici-bas aucune injure, qui aiment par-dessus tout les dignités , verront leurs crimes manifestés à la face de tout le genre humain et de tous les anges : là , au milieu de l'appareil le plus imposant qui fut jamais , seront étalés leurs crimes les plus secrets , ceux qui étaient restés cachés dans le fond de leur coeur , tout ce qu'ils auront fait de plus honteux , les trahisons, les brigandages , les incestes, les sacrilèges : car, selon l'enseignement de l'Apôtre (I. Cor. 4.5.), lorsque le Seigneur viendra pour juger l'univers , il exposera à la lumière ce qui est caché dans les ténèbres les plus épaisses de la conscience, et il produira au grand jour les plus secrètes pensées des coeurs ; et alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui est due , ainsi que le blâme que méritent l'impiété et l'iniquité. Or, cette confusion , cet opprobre des méchants dans ce grand jour sera tel que S. Basile ne craint pas de dire (Expli. Ps. 33.) que ce sera le plus grand de tous les supplices , surtout pour les hypocrites , les orgueilleux , pour tous les amateurs de la vaine gloire, qui se sont fait ici-bas

un Dieu ou plutôt une idole de ces vains honneurs de la terre. Encore si la perte des biens célestes et terrestres , si les douleurs insupportables , si cette ignominie et cet opprobre devaient cesser un jour , ou du moins s'il y avait quelques moments de consolation et de relâche , comme nous voyons qu'il y en a dans les peines de cette vie,ou pourrait dire en quelque sorte que ces maux seraient supportables. Mais puisqu'il est certain et hors de doute que le malheur des damnés durera éternellement sans mélange d'aucun bien , comme le bonheur des élus sans mélange d'aucun mal, il faudrait être aveugle et insensé pour ne pas travailler de toutes ses forces au milieu des tribulations et des périls , de l'infamie et de la mort, qui ne sont, selon l'Apôtre (I. Cor. 4.). que des maux légers et d'un moment,afin de parvenir au royaume du ciel et à la céleste béatitude.

5° Si quelqu'un a de la peine à se persuader comment Dieu, qui est si clément, a établi des tourments si atroces et si longs pour des péchés qui se commettent eu un instant, et dont la gravité ne paraît pas bien énorme, qu'il écoute St. Augustin (de Civitate Dei) : Quiconque , dit-il, regarde celle condamnation comme injuste ou trop grande, ne. sait pas assez mesurer combien fut grande l'iniquité du pécheur là où il était si aisé de ne pas pécher..... Qui pourra expliquer d'une manière convenable le grand mal qu'il y a de ne pas obéir dans une chose facile, ù une autorité si éminente et qui commande sous vies peines si graves.? Ici St. Augustin parle du péché du premier homme , mais on en peut dire autant de tous les péchés : car si, au lieu d'une fausse balance, nous en employons une juste, nous verrons que tout péché, mortel renferme une triple malice ; car il est horrible que la créature refuse d'obéir à son Créateur, dont la dignité est infiniment au-dessus de la bassesse; puisque la créature est naturellement, dépendante et le créateur naturellement le maître ; puisque la créature est redevable au Créateur de tout ce qu'elle est , de tout ce qu'elle possède , tandis que le Créateur ne lui doit rien. Ensuite la créature devrait obéir , quand même les ordres du Créateur seraient difficiles ; mais ils ne le sont pas : Mandata ejus gravia non sunt  (Joan. 5.). Et le Sauveur ajoute que son joug est doux et son fardeau léger (Matth.. 11.). Combien donc est grande et inexplicable la faute d'un ver de terre, qui dans une chose si facile refuse d'obéir à son Créateur ! Ajoutons encore que si Dieu n'avait pas menacé les pécheurs du supplice de la mort éternelle , l'homme aurait peut-être pu trouver une excuse dans son péché; mais ayant été si souvent et si clairement menacé par les prophètes et les apôtres de ce supplice éternel , qui pourrait excuser l'opiniâtreté du pécheur? Enfin, si le crime des damnés n'était pas éternel , nous pourrions être étonnés que la peine le fut ; mais puisque l'obstination des damnés sera éternelle , faut-il être surpris que leur supplice le soit ? Or cette volonté obstinée dans le mal,que les damnés partageront avec les démons ; cette volonté perverse et opposée à Dieu qui est le souverain bien, toujours inflexible, toujours permanent,fait que les saints ont plus d'horreur du péché mortel que des peines de l'enfer. Ecoutez ce qu'un auteur dit de St. Anselme clans le second livre de sa vie ( Evinerus Anglus ) : Je le dis en conscience et je ne mens point, nous avons souvent entendu Anselme nous assurer que si d'un côté il considérait l'horreur du péché et de l'autre la douteur corporelle de l'enfer, et qu'il dût être nécessairement plongé dans l'un ou dans l’autre, il se déterminerait pour l'enfer plutôt que pour le péché ; il disait encore souvent qu'il aimerait mieux être précipité dans l'enfer sans souillures et tout innocent, que d'être admis dans le ciel avec la tache du péché. Si ce saint a pensé et a parlé ainsi, parce que, éclairé d'en haut, il connaissait que la gravité du crime l’emportait sur le supplice de l'enfer , combien plus Dieu qui connaît intérieurement la malice , la laideur, la perversité du péché, jugera équitablement que la peine qu'il mérite doit être éternelle! Ne vous y trompez donc pas, ô mon âme, ne vous laissez pas séduire , ne ressemblez pas à ceux qui confessent Dieu de bouche et le nient par leurs actions : Confitentur se nosse Deum , factis autem negant (Tit. 1.) Car plusieurs ont habituellement la foi , mais elle n'agit point ; elle est comme un épée renfermée dans le fourreau. En effet, si leur foi était active , si en croyant ils pensaient sérieusement que Dieu est juste et fidèle , et qu'il a réellement préparé aux impies des peines extrêmes , éternelles, sans aucune consolation , ils ne pourraient pas faire ce qu'ils font, ils n'avaleraient pas l'iniquité comme l'eau (Job. 15.) ; c'est-à-dire qu'ils ne pècheraient pas et ne commettraient pas les plus grands crimes avec cette facilité,cette sécurité , ce consentement qui ferait croire que ce ne sont plus des châtiments, mais des récompenses qui leur sont promises. Pour vous , dis-je, croyez fermement, et en croyant pensez que dans cette vie Dieu est un Père plein de miséricorde, disposé à pardonner a tous ceux qui se repentent sérieusement;mais que ce même Dieu sera, au sortir de cette vie, un Dieu de vengeance,qui appliquera aux pécheurs les supplices qu'il a préparés à leur impénitence , après les avoir fait prévenir par les prophètes et par les apôtres, et leur avoir laissé l'un et l'autre Testament pour perpétuer le souvenir de ses promesses et de ses menaces. Ainsi d'un côté,la crainte de ces peines insupportables, et de l'autre l'espoir des plus magnifiques récompenses , vous servant comme deux ailes pour vous élever , vous feront passer avec sécurité à travers les périls de cette vie , et vous conduiront au repos éternel. Ainsi-soit-il. Amen.

 

 

FIN.

 

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Numérisé par : Abbaye Saint Benoît de Port-Valais CH-1897 Le Bouveret