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AVERTISSEMENT SUR LA LETTRE SUIVANTE FORMANT LE SECOND OPUSCULE DE SAINT BERNARD.

LETTRE XLII DE SAINT BERNARD OU TRAITE A HENRI, ARCHEVEQUE DE SENS SUR LES MOEURS ET LES DEVOIRS DES ÉVÊQUES

CHAPITRE I. Difficultés de l’épiscopat et par suite nécessité pour un évêque d'avoir de bons conseillers.

CHAPITRE II. Ce qui rend les dignité ecclésiastiques honorables, ce n'est pas la pompe extérieure, mais l'éclat des bonnes mœurs et des vertus.

CHAPITRE III. Il n'est pas d'ornements plus précieux pour un évêque, il n'en est pas non plus de plus dignes de lui que la chasteté, la charité et l'humilité.

CHAPITRE IV. Nécessité pour un évêque de conserver une foi pure et une charité sincère.

CHAPITRE V. L'humilité est nécessaire à tout le monde, mais elle l'est surtout aux prélats.

CHAPITRE VI. C'est dans notre conscience que nous devons placer notre gloire et notre honneur; encore ne devons nous le faire qu'en tremblant, car l'œil de Dieu voit à découvert nos pensées et les secrets de notre cœur.

CHAPITRE VII. Saint Bernard blâme énergiquement l'ambition des ecclésiastiques, la promotion des trop jeunes clercs et la pluralité des bénéfices.

CHAPITRE VIII. Saint Bernard recommande l'humilité et la modestie aux évêques.

CHAPITRE IX. Condamnation de certains abbés qui affectaient de se soustraire à l'autorité des ordinaires.

NOTES POUR LE SECOND TRAITÉ DE SAINT BERNARD SUR LES MOEURS ET LES DEVOIRS DES ÉVÊQUES.

CHAPITRE II, n. 4.

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AVERTISSEMENT SUR LA LETTRE SUIVANTE FORMANT LE SECOND OPUSCULE DE SAINT BERNARD.

1. Après les cinq livres de la Considération, adressés au souverain Pontife, nous avons placé le Traité des mœurs et des devoirs des évêques, qui n'est autre que la première des cinq lettres de saint Bernard HENRI, archevêque de Sens, et la quarante-deuxième de toutes ses lettres. Henri, surnommé APER d'après le chronographe Hugues d'Auxerre, et GILBERT d'après quelques autres, était chanoine quand il fut élu pour succéder à Daimbert, en 9121, sur le siège de Sens. Il commença par mener dans sa nouvelle dignité une conduite un peu trop relâchée, mais il fut ramené à une pratique plus consciencieuse de ses devoirs par Geoffroy évêque de Chartres, et par Burchard évêque de Meaux, aux efforts desquels saint Bernard unit les siens. On voit par la lettre neuvième de notre Saint, au pape Honorius, que l'archevêque Henri l'eut pour défenseur contre les attaques de Louis VII.

II. Ces persécutions, qui s'attaquèrent non-seulement à Henri, mais encore à Etienne, évêque de Paris, leur furent attirées par leur retraite de la cour et leur résolution de mener désormais une vie meilleure. Nous lisons, en effet, dans la lettre quarante-neuvième « que ceux que le roi comblait de distinctions, dont il estimait la fidélité et qu'il honorait même de son amitié lorsqu'ils étaient dans le monde, sont précisément ceux qu'il persécute à présent comme ses ennemis personnels, parce qu'ils soutiennent la dignité de leur sacerdoce et l'honneur de leur ministère. Voilà d'où viennent les accusations et les injures atroces dont on a tâché de flétrir l'innocence de l'évêque de Paris... Il en est de même aujourd'hui de l'évêque de Sens. Le roi s'efforce d'ébranler sa fermeté et de lasser sa constance, etc. »

III. Henri ne régla pourtant pas si bien sa conduite qu'il n'encourût les censures ecclésiastiques pour avoir maltraité un archidiacre de son Eglise, « qu'il osa déposer sans l'avoir convaincu ni même cité en jugement, » comme saint Bernard lui-même le lui reproche dans sa cent quatre-vingt-et-unième lettre. Il fut suspens de ses fonctions, d'après le témoignage de Hugues d'Auxerre le chronographe, à l'année 1136, et d'après les Actes des évêques d'Auxerre chapitre XV, où on lit que l'évêque Hugues, n'ayant pu être sacré à Sens, parce que Henri, archevêque de cette ville, son métropolitain, était suspens, le fut à Ferrières, des mains de Geoffroy, évêque de Chartres, à la fête de saint Vincent. » 11 est très vraisemblable qu'il avait encouru cette suspense par l'injuste déposition de son archidiacre; en ayant été relevé, il tint à Sens, en 1140, un concile où les erreurs de Pierre Abélard furent condamnées. Les Pères de ce concile écrivirent en commun au pape Innocent une lettre qui est la cent quatre-vingt-onzième de celles de saint Bernard, dans laquelle ils s'expriment ainsi: « Les nombreuses affaires auxquelles vous devez prêter l'oreille nous forcent à vous exposer, en peu de mots, une affaire très-longue par elle-même, dont l'archevêque de Sens vous a déjà pleinement entretenu par lettre.» Or cette lettre n'est probablement autre que la cent quatre-vingt-dixième de saint Bernard, que nous comptons maintenant au nombre des traités. Henri mourut le 10 juin 1144 et fût remplacé sur le siège de Sens par Hugues, dont nous avons parlé plus haut.

IV. Au reste, il n'est pas possible de douter que cette lettre n'ait été écrite peu de temps après la conversion de Henri; car saint Bernard s'exprime ainsi au commencement du n. 2: « Il vient de s'élever de vos parages un vent un peu plus favorable qui commence à souffler de nos côtés. Je reçois, en effet, sur votre compte des nouvelles beaucoup plus agréables que celles auxquelles j'étais habitué, et je les tiens non pas d'une rumeur incertaine, mais de la bouche même du véridique et respectable évêque de Meaux. » Plus loin, saint Bernard nous fait savoir que ce changement est dû aux bons conseils de Geoffroy, évêque de Chartres. On ne peut pas placer cette conversion à une autre époque que sous le pontificat d'Honorius II, avant l'année 1130, comme on est en droit de le conclure de la lettre de saint Bernard à ce pape, pour lui recommander l'archevêque Henri, et de la cause des persécutions dont ce dernier fut l'objet, laquelle n'est autre que sa retraite de la cour de Louis VII et sa résolution de changer de vie, comme nous l'avons déjà dit.

V. D'où nous concluons que cette lettre fut écrite en 1126. A cette époque, l'évêque de Meaux, qui annonça à saint Bernard « de meilleures nouvelles que celles auxquelles il était habitué, » était Burchard, et non pas, comme on l'a cru à tort jusqu'à présent, Manassès, qui ne succéda à Burchard qu'en 1133, ainsi qu'on le voit dans une charte authentique de Choisy, signée de sa main, en faveur du monastère de Saint-Martin-des-Champs, où on lit. « Fait l'an 1135 de Notre-Seigneur, indiction XIII, la sixième année du pontificat de notre saint Père le pape Innocent, et de notre épiscopat la seconde. On a encore une autre charte de lui donnée à Mauregard « l'an 1140 de Notre-Seigneur, la septième année, dit-il, de notre épiscopat. » Cette date se trouve d'ailleurs en parfait accord avec ce que dit Orderic, livre VII, page 627, où il rapporte qu'Etienne, évêque de Paris, et Burchard, évêque de Meaux, engagèrent les religieux de Rebais à céder les reliques de saint Evroult aux religieux du monastère de ce nom. Déjà saint Bernard leur avait écrit à ce sujet. Orderie place ce fait en 1130, d'où il suit qu'à cette époque l'évêque de Meaux était Burchard et non point Manassès. Il y a donc lieu à corriger les dates données par Duchesne dans ses notes à Abélard, dans lesquelles il prétend que Manassès commença en 1125 à occuper le siège de Meaux; d'autant plus que nous avons vu que la charte de Choisy, citée plus haut et qui date de 1135, ne fait remonter son épiscopat qu'à deux ans avant cette date. On peut juger de la gravité des mœurs de Burchard et de la sagesse de ses conseils, à ce fait que saint Bernard félicite Henri dans cette lettre de l'avoir eu pour conseiller avec Geoffroy, évêque de Chartres. La lettre quarante-deuxième de notre Saint, que nous donnons ici parmi les traités, est divisée en sept chapitres dans un manuscrit du Vatican portant le n. 663. Mais il nous a paru préférable de suivre la division de Horstius.

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LETTRE XLII DE SAINT BERNARD OU TRAITE A HENRI, ARCHEVEQUE DE SENS SUR LES MOEURS ET LES DEVOIRS DES ÉVÊQUES

Au vénérable Seigneur Henri, archevêque de Sens, le frère Bernard, salut et tout ce que peut la prière d'un pécheur.

Votre Grandeur daigne me témoigner le désir d'avoir un écrit de ma main : l'honneur qu'elle me fait m'impose un lourd fardeau, et pourtant je m'estime heureux de cette distinction de votre part. Mais si je suis flatté d'une demande aussi bienveillante, d'un autre côté je me sens effrayé de la pensée d'avoir à y répondre. Qui suis-je, en effet, pour me permettre d'écrire pour un évêque, et en même temps qui suis-je encore pour oser ne pas lui obéir? Le même motif me pousse à céder et à ne pas céder à sa demande: écrire à une Grandeur telle que la vôtre est une entreprise qui dépasse mes forces; mais, d'un autre côté, lui désobéir est contraire à mon devoir. Je ne vois donc que danger de toutes parts, mais il me semble qu'il y en aurait un surtout à ne pas faire ce que vous me demandez. Dans cette alternative choisissant le parti qui s'offre à moi avec le moins d'inconvénients, je me décide à faire ce que vous exigez de moi. J'y suis d'ailleurs porté par la bienveillance et la bonté dont vous daignez m'honorer; ma présomption trouvera sou excuse dans l'autorité de celui qui m'a signifié sa volonté.

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CHAPITRE I. Difficultés de l’épiscopat et par suite nécessité pour un évêque d'avoir de bons conseillers.

1. Depuis que vous avez reçu de Dieu les clefs du ciel, et que, à l'exemple de la femme forte (Prov. XXXI, 19), vous avez commencé à mettre la main à des affaires fortes et difficiles, je n'ai pu me défendre d'un sentiment de peine et de compassion toutes les fois qu'il m'est arrivé d'apprendre, ou que vous manquiez à votre devoir, ou qu'on vous faisait de la peine. Je me rappelais alors ces paroles du Psalmiste: « Ceux qui s'embarquent et vont sur des navires travailler au milieu sur la mer...., tantôt sont portés jusqu'aux nues et tantôt précipités au fond des abîmes. Au milieu de ces périls, ils sèchent de frayeur, ils sont agités et troublés comme des hommes plongés dans le vin, la tête leur tourne et leur sagesse les abandonne (Psalm. CVI, 23, 26 et 27) ; » et alors, au lieu de juger comme le font ordinairement les hommes, je me sentais porté à une sorte de compassion en me livrant aux réflexions suivantes : Si la vie de tout homme sur la terre n'est qu'une véritable tentation, de quels périls n'est pas semée celle d'un évêque qui se trouve en butte à toutes les tentations de ses ouailles? Si, au fond d'une caverne, où je suis caché comme l'est, sous le boisseau, une lampe qui fume plus qu'elle n'éclaire, je ne puis échapper tout à fait au souffle des vents, et me vois agité en tous sens par la tempête comme un faible roseau battu par la tourmente, que sera-ce de celui qui est placé comme un flambeau au faîte de la montagne? Je n'ai que moi à sauver, et il suffit de moi pour être à moi-même un sujet de scandale, d'ennui, de fatigue et de danger, à ce point que je suis fréquemment obligé de m'élever avec indignation contre les appétits d'une bouche intempérante et les écarts scandaleux de mes regards. A quelles épreuves, à quels tourments doit donc se trouver exposé celui qui n'est jamais exempt ni de luttes au dehors, ni de craintes au dedans, pour les autres, quand il le serait pour lui-même?

2. Mais il vient de s'élever de vos parages un vent un peu plus favorable qui commence à souffler de nos côtés. Je reçois en effet sur votre compte des nouvelles beaucoup plus agréables que celles auxquelles j'étais habitué, et je ne les tiens pas d'une rumeur incertaine, mais de la bouche même du véridique et vénérable évêque de Meaux (a). Car, comme je lui demandais des nouvelles de votre état, il me répondit d'un air riant et comme un homme sûr de ce qu'il disait : Je crois qu'il est décidé à suivre désormais les conseils de l'évêque de Chartres. Je fus d'autant plus heureux de cette réponse, que je ne doute pas que les conseils de l'évêque de Chartres ne soient excellents. Il ne pouvait me donner un meilleur gage des bonnes dispositions de votre cœur, ni me faire concevoir de plus justes espérances de vos futurs progrès dans les voies du Seigneur. Il n'est personne à mes yeux à qui vous puissiez vous confier, vous et vos intérêts, avec une plus entière sécurité qu'à ces la deux prélats; avec de pareils conseils, vous êtes bien sûr de conserver la votre conscience et votre réputation intactes. C'est ainsi qu'il convient à un prêtre de Dieu, à l'évêque d'une aussi grande cité, de prendre

a C'était certainement Burchard et non pas Manassès, comme nous l'avons :dit plus haut dans l'agis au lecteur, n. 5.

ses conseillers ailleurs que parmi les jeunes gens ou les gens du monde. Nous devons aimer tout le monde, nos ennemis mêmes, mais nous ne devons prendre conseil que des hommes qui se font remarquer par leur prudence et par leur bienveillance (b). Voilà pourquoi le divin Maître repoussait également le conseil imprudent de son disciple et le conseil malveillant de ses frères quand il disait à l'un: « Vous n'entendez rien aux choses de Dieu (Marc., VIII, 33); » et à l'autre: « Allez, vous autres, à cette fête, pour moi je n'irai point (Joan., XXIV, 45) ; » voulant ne se laisser guider ni par l'imprudence de l'un ni par la malveillance des autres. Enfin, après avoir cherché à qui il pourrait se confier et à qui il pourrait sans crainte remettre la dispensation de ses mystères, il s'écrie d'un ton de surprise, comme quelqu'un qui a bien de la peine à trouver ce qu'il désire : « Quel est à votre avis le serviteur fidèle et prudent que son maître a établi sur ses domestiques, pour leur distribuer au temps voulu la nourriture dont ils ont besoin (Matth., XXIV, 45)? » Aussi, avant de confier à Pierre le soin de ses brebis, il voulut d'abord s'assurer de son attachement et lui demanda par trois fois s'il l'aimait; il éprouva aussi sa prudence alors que tout le monde ne voyant en lui qu'un prophète, il le vit discerner prudemment la vérité et l'entendit confesser qu'il était plutôt le Dieu même des prophètes, quand il lui dit « Vous êtes le Christ fils de Dieu (Matth., XVI, 16). » Que notre malheureuse nature est imparfaite! c'est à peine si parmi les hommes on peut en rencontrer un seul qui réunisse ces deux qualités; si vous trouvez dans l'un d'eux la prudence, difficilement y trouverez-vous en même temps la bienveillance désirable; et si vous rencontrez quelque part la bienveillance que vous cherchez, elle ne sera que rarement unie à la prudence. Quant à ceux qui ne possèdent ni l'une ni l'autre qualité, le nombre en est infini.

3. La prudence vous a donc bien inspiré quand elle vous a suggéré la pensée que vous ne pouviez sans conseil vous acquitter dignement des fonctions du prêtre, du ministère de l'évêque et de la charge de pasteur. Aussi la sagesse, cette mère des conseils salutaires, dit-elle en parlant d'elle-même : « Moi qui suis la sagesse, j'habite dans le conseil (Prov., VIII, 12). » Mais dans quel conseil? Est-ce indifféremment dans toutes sortes de conseils? « Dans ceux, dit-elle, que les pensées judicieuses inspirent (ibid). » C'est peu encore, mais elle nous apprend en ces termes, par la bouche de Salomon, à nous tenir à l'écart des conseils d'où la bienveillance est absente : « Conférez de vos affaires avec votre ami, et ne vous ouvrez point à un étranger (Prov., XXV, 9 ). » C'est

b Quelques éditions, même celles de 1494, font suivre ces mots, « leur bienveillance, » de cette réflexion qui a passé de la marge clans le texte : « Car sans prudence et sans bienveillance il n'y a pas de conseils parfaits. » Cette phrase ne se lit point dans les meilleurs manuscrits, tels que ceux de la Colbertine, portant les numéros 1038 et 4110.

elle encore qui, après nous avoir recommandé de ne rien faire sans conseil, considérant combien rares sont les hommes de bon conseil, nous dit si bien par la bouche d'un autre Sage : « Ayez beaucoup d'amis mais n'en ayez qu'un entre mille pour conseil (Eccli., VI, 6), un, dit-elle, entre mille. » C'est ce qui me fait dire que Dieu s'est montré d'une grande bonté pour vous, puisque tandis que les hommes de bon conseil sont si rares parmi nous, il vous en donne non pas un seulement, mais deux, d'une capacité reconnue, pleins de zèle et de prudence; il a fait plus encore ; car pour vous rendre le recours à leurs lumières plus facile, il vous les a fait trouver dans votre province et les a mis sous votre juridiction, afin que vous ayez le droit de réclamer leurs conseils. Si vous les prenez pour règle de votre conduite, on ne vous verra point précipité dans vos jugements, violent dans le châtiment des coupables, mou dans la correction, trop sévère quand il faudra faire grâce, ou pusillanime là oit il y aura lieu de patienter et d'attendre. Vous ne serez avec de tels conseils, ni somptueux dans votre table, ni fastueux dans votre mise, ni trop prompt à promettre, ni trop lent à dégager votre parole, ni enfin prodigue dans vos bienfaits. Avec le conseil de pareils hommes, vous éloignerez constamment de vous un mal bien ancien si on compte ses années, mais toujours nouveau pour la cupidité, je veux parler de la simonie et de l'avarice sa mère, l'avarice qui est une véritable idolâtrie. Enfin, pour tout dire en un mot, assisté d'un tel conseil, vous rendrez comme l'Apôtre votre ministère honorable en tous points (Rom., XI, 12), votre ministère, dis-je et non point votre domination : j'ajoute que c'est lui que vous rendrez honorable, et non vous, car quiconque recherche ses propres intérêts ne cherche qu'à s'honorer soi-même et non son ministère.

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CHAPITRE II. Ce qui rend les dignité ecclésiastiques honorables, ce n'est pas la pompe extérieure, mais l'éclat des bonnes mœurs et des vertus.

4. Ce n'est pas par le luxe des vêtements, le faste des équipages, la somptuosité des palais, mais par l'éclat des bonnes mœurs, par votre zèle pour les choses saintes et par vos bonnes œuvres que vous rendrez votre ministère honorable. Que de prélats suivent une voie différente, que de prêtres on voit d'une recherche extrême dans leurs habits et d'une indifférence complète, ou peu s'en faut, pour la vertu ! Si je leur rappelle cette parole de l'Apôtre : « Ne portez point d'habits précieux (I Tim., II, 9). » Je crains qu'ils ne s'irritent et ne se blessent de se voir appliquer une défense qu'ils savent avoir été faite dans le principe pour le sexe faible et pour un ordre moins relevé que le leur, comme si les médecins ne se servaient pas, pour faire une amputation aux rois, du même fer que pour amputer les membres d'un homme du peuple, ou comme si c'était manquer de respect à la tête que de couper les cheveux qu'elle porte avec une paire de ciseaux dont on s'est servi pour se couper les ongles. Mais après tout s'ils ne veulent point être confondus avec de faibles femmes, non par moi, mais par l'Apôtre, qu'ils cessent donc de commettre la même faute qu'elles et de se parer de broderies et de fourrures plutôt que de bonnes œuvres. Qu'ils ne recouvrent plus d'hermines rouges ou de gueules (a), comme on dit vulgairement, des mains qui ont reçu l'onction sainte et qui célèbrent les redoutables mystères; qu'ils cessent d'en parer leur poitrine, qui réclame d'eux une perle plus brillante que ces fourrures, la sagesse; qu'ils n'en chargent plus leur cou qui ne devrait porter que le joug plus honorable et plus doux du Seigneur. Certes, on ne peut reconnaître dans ces ornements les stigmates de Jésus-Christ, qu'ils devraient à l'exemple des martyrs porter empreints sur leur corps; ce ne sont que des parures telles que les femmes les aiment et les recherchent, parce qu'elles n'ont d'autres pensées que les pensées du monde et d'autre désir que le désir de plaire davantage aux hommes.

5. Mais, prêtre du Très-Haut, à qui voulez-vous plaire? est-ce au monde, est-ce à Dieu? Si c'est au monde, pourquoi vous êtes-vous fait prêtre ? Et si c'est à Dieu, pourquoi voulez-vous demeurer homme du monde tout en étant prêtre? Si vous voulez plaire au monde, je vous demande pourquoi vous avez reçu le sacerdoce ; vous savez bien qu'on ne peut servir deux maîtres à la fois, et que « celui qui veut être ami de ce monde, se déclare par là même ennemi de Dieu (Jac., IV, 4.). » Le Prophète n'a-t-il pas dit: « Le Seigneur a brisé les os de ceux (lui s'étudient à plaire aux hommes; ils se sont vus couverts de confusion quand Dieu les a méprisés (Psalm. LII, 6) ?» Et l'Apôtre ne dit-il pas: « Si j'étais au gré des hommes, je ne serais pas le serviteur de Jésus-Christ (Gal., I, 10)?» Ainsi en voulant plaire aux hommes, vous ne sauriez plaire à Dieu; mais si vous ne lui plaisez point, comment vous le rendrez-vous propice? Pourquoi donc, vous redirai-je, pourquoi vous êtes-vous fait prêtre? Que si au contraire c'est à Dieu et non pas au monde que vous voulez plaire, pourquoi en ce cas voulez-vous être homme du inonde en même temps que prêtre? Car enfin si vous êtes

a C'étaient des peaux teintes en rouge, d'où est venue cette expression du blason, de outille pour indiquer la couleur rouge. La plupart de ces parures venaient d'Arménie, c'étaient des peaux d'une sorte de rat du Pont. Dans une homélie attribuée à saint Bernard, il est dit : « A Pâques, il se mettait des fourrures d'Arménie autour du cou et se couvrait les mains de peaux de gueules rouges. Dans la Chronique de Saxe, on parle à l'année 1030 du clergé de Hildesheim qui a ne portait point de vêtements délicats et ne connaissait pas l'usage des gueules que le clergé affectionne tant à présent.

prêtre, vous êtes pasteur, et le peuple est votre troupeau ; or ne doit-il y avoir aucune différence entre les brebis et le berger qui les mène ? Si, comme moi qui ne suis qu'une brebis, celui qui me fait paître marche les yeux et le corps inclinés vers la terre, tout occupé à rassasier son ventre pendant que son âme est à jeun, qu'est-ce qui le distingue de moi? Malheur au troupeau si le loup vient à fondre sur lui, car il ne se trouvera personne pour l'apercevoir avant qu'il arrive, pour marcher à sa rencontre et lui disputer sa proie. Convient-il que le pasteur soit comme son troupeau uniquement occupé à assouvir les appétits des sens, esclave de basses pensées, avide des biens de la terre, au lieu de marcher le front haut et levé comme il appartient à l'homme de regarder le ciel, de rechercher et de goûter les choses d'en haut, non point celles d'ici-bas ?

6. Au reste, ce pasteur s'indigne contre moi si j'ose seulement faire , un signe de tête et m'ordonne de me taire, attendu que je ne suis qu'un moine et qu'il ne m'est pas permis d'ouvrir la bouche sur le compte d'un évêque. Que ne me défend-il aussi d'ouvrir les yeux ? de la sorte je ne verrais pas ce qu'il ne veut pas m'entendre blâmer. Quelle présomption, en effet, n'est-ce pas à moi, pauvre brebis, à la vue de louves cruelles, de parler de la vanité et de la curiosité qui fondent sur mon pasteur, de frémir de crainte et de bêler dans l'espérance que peut-être en m'entendant quelqu'un viendra se jeter au-devant de ces méchantes bêtes, et l'arracher lui-même à la mort! Mais que feront-ils de moi qui ne suis qu'une faible brebis, ces animaux féroces s'ils osent se jeter avec une telle force sur le berger lui-même? Eh quoi! s'il me défend de crier pour lui, ne me permettra-t-il pas au moins de crier pour moi? Mais si je gardais le silence pour ne pas paraître élever la voix contre le ciel lui-même, est-ce que ce cri: « N'usez pas de vêtements précieux (I Tim., II, 9), n en retentira moins dans l'Eglise? Si ces paroles s'adressent aux femmes, c'est afin qu'un évêque rougisse de se trouver dans le même cas qu'un sexe faible et fragile. Croirait-on par hasard ne plus avoir de reproches à craindre, parce que seul je cesserais de murmurer ? Si je garde le silence, en sera-t-il de même de la conscience de chacun? Mais que diraient-ils si quelqu'un plus osé que moi venait leur exposer, non plus comme moi, les paroles de l'Apôtre, de l'Evangile, d'un prophète ou tout autre texte sacré, mais tout simplement cette sentence d'un païen: « Dites-moi, Pontifes, que signifie cet or, — je ne dis pas sur la personne d'un saint, — mais sur le mors d'un cheval (Pers., sat. I)? » Je le trouverais beaucoup mieux placé sur la personne d'un saint que sur le frein d'une bête. Mais enfin quand même je ne soufflerais pas mot et que les courtisans garderaient le silence, le dénuement des pauvres crierait encore assez haut. La rumeur publique peut bien dormir, mais la faim ne saurait se taire : l'une se tait et sommeille, parce que, après tout, le monde ne peut haïr les siens. Commenta en effet, blâmerait-il le péché, lui qui trouve même à louer le pécheur dans les désirs passionnés de son cœur et qui préconise l'injustice?

7. Mais ceux-là crient qui sont nus, ceux-là crient qui meurent de faim et ils vous demandent avec le poète: A quoi bon, prélats, cet or qui brille sur le mors de vos chevaux? écarte-t-il de nous le froid et la faim? quand le froid nous glace, quand la faim nous tourmente, que nous font à nous ces habits de rechange suspendus dans vos garde-robes ou pliés dans vos armoires? C'est notre bien que vous prodiguez; toutes ces vaines dépenses sont pour nous autant de cruelles soustractions dont nous avons à souffrir; ne sommes-nous pas comme vous créés à l'image de Dieu et rachetés du sang de Jésus-Christ? ne sommes-nous donc pas vos frères? Quel n'est donc pas votre crime de prendre sur la part de vos frères pour le plaisir de vos yeux, et de leur faire payer de la vie toutes vos superfluités? C'est à nos besoins que vous retranchez tout ce que vous accordez à la vanité: deux maux découlent en même temps de votre cupidité, vous vous perdez par votre vanité, en même temps que vous nous faites mourir de faim par vos rapines. Pendant que vos chevaux sont chargés de pierres précieuses, vous ne vous inquiétez pas si nous allons les pieds nus; tandis que vous prodiguez à vos mules pierreries, chaînettes, grelots, harnais chargés de clous d'or (a), et mille autres ornements pareils aux brillantes couleurs et de matières précieuses, c'est à grand'peine si, par pitié, vous donnez à vos frères de quoi couvrir à moitié leur nudité. Le pire en tout cela, c'est que vous ne vous êtes procuré ces biens ni par le commerce, ni par le travail de vos mains, et que vous ne les possédez même pas à titre d'héritage, à moins peut-être due vous ne vous soyez dit au fond du cœur : « Que son sanctuaire soit notre héritage (Psalm. LXXXII, 13) ! » Voilà ce que disent les pauvres, mais sans doute uniquement devant Dieu, qui entend le langage des cœurs; car ils n'oseraient vous le dire en face, parce qu'ils sont contraints d'implorer tous les jours votre assistance pour les nécessités de la vie. Mais un jour viendra où ils s'élèveront avec force contre ceux qui les tiennent maintenant dans ces douloureuses angoisses, ils auront alors pour défenseur celui qui est le père des orphelins et le protecteur de la veuve, et il vous dira: « Tout ce que vous n'avez pas voulu faire pour le moindre de mes serviteurs, c'est à moi-même que vous avez refusé de le faire (Matth., XXV, 40). »

a Ces harnais chargés de clous d'or se composaient de lanières chargéees en effet de clous d'or, mêlés d'étoffes de pourpre et d'autres couleurs.

CHAPITRE II, n. 4.

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CHAPITRE III. Il n'est pas d'ornements plus précieux pour un évêque, il n'en est pas non plus de plus dignes de lui que la chasteté, la charité et l'humilité.

8. Pour vous, mon très-révérend Père, gardez-vous de penser que vous puissiez rendre votre ministère honorable par de semblables moyens; il faudrait, pour le croire, ne voir que la superficie et ne point pénétrer au fond des choses, Car ce qu'on aperçoit quand on ne s'en tient point aux apparences, ce n'est point quelque chose qui brille de couleurs empruntées, mais pourtant ce sont des choses qui sont bien dignes de fixer nos regards; elles ne sont point arrangées pour flatter le goût, et pourtant elles sont délicieuses; bien qu'elles ne soient point placées en haut, elles n'en sont pas moins élevées. En effet, la chasteté, la charité et l'humilité peuvent bien être dépourvues d'éclat, mais elles ne le sont pas de toute beauté. Elles en ont même une peu commune, puisqu'elle peut charmer les regards de Dieu.

Qu'y a-t-il de plus beau que la chasteté qui fait un être pur d'un être conçu dans la corruption, un serviteur de Dieu de celui qui était son ennemi, un ange même d'un homme, avec une différence sans doute de bonheur dans l'un et de vertu dans l'autre; car si la chasteté de l'ange est plus heureuse que celle de l'homme, celle de l'homme suppose plus de vertu que la chasteté de l'ange. Il n'y a que la chasteté qui, dans l’étroit espace et les courts moments où s'écoule notre vie mortelle, réalise une image de la glorieuse immortalité ; car il n'y a qu'elle qui, au milieu des mariages, nous fait ressembler à ceux qui habitent la région bienheureuse où l'on ne tonnait ni mari ni femme, et donne à la terre comme un avant-goût de la vie des cieux; mais en attendant que nous vivions de cette vie, la chasteté, suivant le conseil de l'Apôtre, conserve dans la sainteté le vase fragile que nous portons et qui est souvent en danger de se briser (I Thess., IV, 4). Semblable à un baume délicieux qui rend les corps incorruptibles, elle couvre et enveloppe nos membres et nos sens, les empêche de s'amollir au souffle de l'oisiveté, de se corrompre à l'ardeur des mauvais désirs et de tomber en pourriture au contact des voluptés charnelles, comme nous voyons que cela est arrivé à plusieurs « qui ont pourri, ainsi que de vils animaux, sur leur fumier (Joel., I, 17). » Je puis donc dire avec raison que la chasteté est le plus bel ornement du sacerdoce, puisqu'elle rend le prêtre agréable en même temps à Dieu et aux hommes, perpétue sa mémoire non pas par une postérité charnelle, mais par la bonne odeur de ses vertus, et l'égale dès maintenant aux bienheureux, quoiqu'il habite encore une région bien différente de la leur.

9. Mais de quelque éclat que brille la chasteté, elle n'a pourtant ni valeur ni mérite sans la charité. Il ne faut pas s'en étonner: quel bien peut-il y avoir sans la charité? La foi ? Mais non, quand bien même elle transporterait les montagnes. La science? Non encore, lors même qu'elle parlerait la langue des anges. Le martyre ? Non, dit encore saint Paul «.Quand j'abandonnerais mon corps aux flammes (I Corinth., XIII, 3). » Il n'est œuvre si méritoire qui sans elle soit accueillie de Dieu, ni si petite qui, avec elle, soit repoussée de lui. La chasteté sans la charité, c'est une lampe sans huile; ôtez la charité, la chasteté n'a plus de charmes. Mais au contraire « qu'elle est belle, dit le Sage, la chasteté unie à la charité (Sap., IV, 1) ! » A cette charité, dis-je, dont parle l'Apôtre, « qui naît d'un cœur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère (I Tim., I, 5). »

10. Or la pureté du cœur consiste en deux points, à rechercher la gloire de Dieu et l'utilité du prochain, en sorte qu'un évêque ne doit se proposer dans tout ce qu'il dit et dans tout ce qu'il lait que la gloire de Dieu, le salut du prochain, ou l'un et l'autre à la fois, et jamais son intérêt propre. C'est ainsi qu'il pourra remplir les devoirs d'un pontife et justifier l’étymologie de ce mot en devenant une espèce de pont de communication entre Dieu et les hommes: d'un côté; il aboutit à Dieu par le généreux abandon avec lequel il cherche la gloire de Dieu et non la sienne ; de l'autre, il touche au prochain par le pieux dévouement qui lui fait préférer leur avantage au sien. En bon médiateur, il porte à Dieu les vœux et les prières du peuple, et rapporte au peuple les grâces de Dieu et ses bénédictions ; il intercède auprès de Dieu pour les pécheurs qui l'offensent, et il punit sur les coupables l'injure qu'ils font à Dieu; il reproche à ceux qui l'oublient l'excès de sa miséricorde, rappelle aux cœurs endurcis la rigueur de sa justice et apaise le courroux de Dieu en faveur des uns et des autres, en lui rappelant tantôt la fragilité de l'homme et tantôt l’excès de son amour pour lui. Enfin, soit qu'il se montre un peu sévère dans l'intérêt de Dieu, ou un peu indulgent à notre égard, il n'a toujours d'autre désir que de servir Dieu et de nous être utile le plus qu'il peut, ne recherchant jamais en tout cas ce qui peut être avantageux pour lui, mais ce qui l'est pour des autres.

11. Le fidèle pontife est celui qui regarde de l'œil de la colombe tous les biens qui passent par ses mains, tant les bienfaits de Dieu qu'il doit pie répandre sur les hommes, que les vœux des hommes qu'il doit répandre aux pieds de Dieu, et n'en retient jamais rien pour lui-même. Il ne recherche que le salut du peuple sans se mettre en peine de ses dons, et ne songe point à s'attribuer la gloire qui n'est due qu'à Dieu. Ce n'est pas lui qui enfouit dans les plis d'un mouchoir le talent qu'il a reçu, il le met entre les mains des banquiers et il en reçoit l'intérêt, non pour lui, mais pour son maître. Il n'a point de terrier , comme les renards, de nid comme les oiseaux, de bourses comme Judas, ni de place dans les hôtelleries non plus que n'en eut Marie; il ressemble en un mot à celui qui n'avait point où reposer sa tête; pareil pour le moment à un vase de rebut, il rien deviendra pas moins un jour, nul n'en saurait douter, un vase d'honneur et non point un vase d'ignominie. Enfin il sait perdre son âme en cette vie, mais pour la retrouver dans l'autre qui dure éternellement. Or nul ne saurait se flatter d'avoir atteint à ce degré de pureté, s'il n'a pas renoncé aux vanités du monde; car on ne peut rechercher avec une complète pureté d'intention les intérêts de Dieu et du prochain, si on ne méprise les siens propres. Il n'y a que celui qui peut dire avec Notre-Seigneur : « Si je cherche ma propre gloire, ma gloire n'est que néant (Joan., VIII, 54);» ou avec l'Apôtre : « Pour moi Jésus-Christ est la vie, et la mort est un gain (Philipp., I, 21) ; » ou bien avec le Prophète : « Je me suis oublié moi-même comme un homme déjà mort dans le cœur (Psalm. XXX,13), » c'est-à-dire dans sa propre volonté, qui puisse se glorifier de posséder la vraie pureté du cœur. Il y a un oubli salutaire, c'est celui qui fait que nous ne songeons plus à nous-mêmes pour ne penser qu'au prochain, et c'est être bien mort dans le fond du cœur, que de ne plus vivre pour soi, mais uniquement pour celui qui est mort lui-même pour nous. Ainsi est mort celui qui peut dire: «Dès à présent ce n'est plus moi qui vis (Gal., II, 20); » mais s'il est mort à lui-même il ne l'est pas à Jésus-Christ, car il ajoute : « Mais Jésus-Christ vit en moi. » C'est l'amour qui produit cette mort dans nos cœurs, l'amour dont parle l'épouse des Cantiques quand elle dit : « J'ai été blessée par la charité (Cant., IV, 9). » La charité en effet est forte comme la mort (Cant., VIII, 6), » mais ce qu'elle tue en nous, c'est la mort et non la vie. De là cette menace si fière: « 0 mort, je serai ta mort (Ose., XIII, l4). » Elle éteint le péché qui avait chassé la vie de notre âme et elle rend celle-ci à l'innocence.

12. Mais si l'amour l'emporte sur la mort au point de la tuer elle-même lorsqu'ils entrent en lutte, pourquoi est-il dit seulement qu'il « est fort comme la mort, » et non pas plutôt : Il est plus fort qu'elle? Ne serait-ce point, par hasard, parce que l'amour est lui-même une mort véritable et qu'il ne saurait par conséquent être plus fort que soi? Heureuse mort que l'amour, puisque ce n'est point à la vie, mais à la mort qu'elle met fin ! Oui, heureuse mort! Elle n'a rien d'effrayant; car tout en nous ôtant la vie, elle est loin de la détruire; d'ailleurs, elle ne nous l'ôte que pour un temps, afin de nous la rendre un jour pour en étendre la durée au delà des limites du temps. En un mot, « vous êtes morts, dit l'Apôtre, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ ; mais quand Jésus-Christ, qui est votre vie, apparaîtra, alors vous apparaîtrez aussi avec lui dans la gloire (Coloss., III, 3). » Volontiers donc je la perdrai pour un temps afin de la retrouver pour l'éternité. Mais j'en ai dit assez sur ces paroles de l'Apôtre: « La charité qui provient d'un cœur pur (I Tim., I, 5). » On ne peut nier d'ailleurs que pour porter si loin l'oubli de soi-même, il faut que le cœur soit rassuré par le témoignage de sa conscience et qu'il ne puisse se répandre en bonnes œuvres au dehors avec une entière sécurité qu'après avoir pourvu à sa sûreté, « car que servirait à l'homme de gagner un monde entier, s'il venait à perdre son âme (Matth., XVI, 26) ? »

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CHAPITRE IV. Nécessité pour un évêque de conserver une foi pure et une charité sincère.

13. Mais l'ordre demande que l'homme sache premièrement s'aimer lui-même, puisque cet amour est la règle et la mesure de celui qu'il doit au prochain. Or deux choses contribuent à faire une bonne conscience ; premièrement se repentir du mal, et en second lieu s'en abstenir ; ou, pour me servir des paroles mêmes de saint Grégoire, pleurer ses fautes et ne plus rien faire qui mérite d'être pleuré (S. Greg., hom., XXXIV, in Evang. post. med.). L'un ne saurait suffire sans l'autre. Si le premier suffisait sans le second, c'est en vain que David nous dirait « Evitez le mal (Psalm. XXXI, 1); » qu'Isaïe s'écrierait: «Cessez de vous livrer au mal (Isa., I,17); » et que Dieu même eût dit à Caïn : « Tu as péché, ne recommence plus (Gen., VI, 7, juxta LXX). » D'un autre côté, si le second suffisait sans le premier pour rendre bonne la conscience après le péché, on ne voit pas pourquoi le Psalmiste aurait dit; « Heureux ceux dont les iniquités sont effacées et les péchés couverts par le pardon (Psalm. XXXI, 1)! » ou bien encore: « Voyez mon humilité et ma pénitence et oubliez toutes mes iniquités (Psalm., XXIV, 18); » et ce serait en vain que le Seigneur nous attrait appris à dire dans la prière : Pardonnez-nous nos,offenses, comme nous les pardonnons nous-mêmes à ceux qui nous ont offensés (Luc., XI, 4). » Quand on a conscience de posséder ces deux points, on peut se renoncer soi-même et pour ainsi dire se perdre pour gagner d'autres âmes à Dieu. Le cœur peut alors se faire faible avec les faibles, se consumer avec les victimes du scandale, et même se faire Juif avec les Juifs s'il le faut; il n'y a rien à craindre quand on a une pareille conscience; on petit même, à l'exemple de Jérémie et d'Ezéchiel, aller partager les fers des transgresseurs de la loi au fond de l'Egypte ou de la Chaldée. Bien plus, fallût-il, avec Job, devenir le frère des dragons et. le compagnon des autruches ( Job., XXX, 29), ou même, ce qui est bien plus grave encore, se voir avec Moïse effacé du livre de vie (Exod., XXXII, 32) et, avec saint Paul, encourir l'anathème de Jésus-Christ (Rom., IX, 3), celui qui a pour lui le témoignage d'une bonne conscience ne s'en alarmera point. Bien plus, il descendrait, s'il le fallait, jusque dans l'enfer et marcherait sans crainte au milieu des flammes, en répétant avec l'accent d'une conscience satisfaite: « Quand je me trouverais au milieu des ombres de la mort, je n'appréhenderais aucun mal, ô mon Dieu, parce que vous êtes avec moi (Psalm. XXII, 4). » Comparons, si vous voulez, les trésors des rois, l'éclat de leurs couronnes avec cette ferme assurance, est-ce que toute leur félicité ne vous semblera pas une véritable misère en comparaison d'un bien aussi précieux? Or cette sécurité parfaite, c'est la charité « qui vient d'un cœur pur et d'une bonne conscience (I Tim., I, 5) » qui la donne.

14. Il me reste à parler « de la foi non feinte (I Tim., I, 5); » mais, comme il me revient en pensée qu'il est parlé ailleurs « de la foi qui, sans les œuvres, est morte, (Jacob., II, 26), je me trouve conduit à diviser la foi en trois espèces; la foi morte, la foi feinte et la foi éprouvée. Pour la foi morte, l'Apôtre la définit une foi qui va sans les œuvres, c'est-à-dire celle qui n'opère point par la charité, qui est comme l'âme de la foi, qui lui donne la vie et la porte aux bonnes œuvres. Quant à la foi feinte, c'est celle que la charité a d'abord animée et commencé à porter aux bonnes œuvres, mais qui, faute de persévérance, s'est éteinte et est morte presque en naissant. Je ne serais même pas fort loin de dire qu'on l'a appelée ficta, feinte, dans le même sens qu'on nomme fictilia les vases, du potier, pour indiquer non pas qu'ils ne servent à rien tant qu'ils subsistent, mais que, vu leur fragilité, ils ne sauraient durer longtemps. C'est, je crois, de cette foi feinte qu'il est parlé dans l'Evangile, quand il est dit . « Ils ne croient que pour un temps et se retirent dès que l'heure de la tentation est venue (Luc., VIII, 13). » Et ici je m'adresse à ceux qui prétendent qu'une fois qu'on a la charité on ne peut plus la perdre. La Vérité même a dit « qu'il y en a qui. n'ont pas de racine, parce qu'ils ne croient que pour un temps; et qu'au moment de la tentation ils se retirent. » D'où se retirent-ils et où vont-ils en se retirant? De la foi sans doute à l'incrédulité. Je leur demande encore s'ils pouvaient oui ou non opérer leur salut avec cette foi-là. S'ils me répondent qu'ils ne le pouvaient pas, je ne vois point où est l'injure pour le Sauveur, et le sujet de joie pour le tentateur, quand ils se retiraient d'un état où il n'y a pas de salut à espérer pour eux. Car le divin Sauveur ne désire que le salut des âmes et le démon ne souhaite que de l'empêcher. S'ils me disent au contraire qu'ils le pouvaient, comment admettre ou qu'ils n'ont point la charité tant qu'ils ont cette aorte de foi, puisque sans la charité il n'y a point de salut possible, ou qu'ils retiennent la charité même après avoir perdu la foi, quand il est certain que la charité ne peut subsister sans la foi. Il y a donc des âmes qui perdent la foi, la Vérité même nous l'affirme, et qui perdent en même temps le salut, puisque le Sauveur leur en fait un reproche; d'où je conclus qu'ils perdent en même temps la charité, sans laquelle on ne peut être sauvé. « Et ceux-là, dit le Sauveur, n'ont point de racines; » il ne dit pas qu'ils ne sont pas dans le bien, il les accuse seulement de ne s'y être pas enracinés.

15. Enfin, il poursuit en disant : « Parce qu'ils ne croient que pour un temps ( Matth., X, 22). » C'est un bien que de croire, mais il faudrait qu'il fût durable, car ce n'est pas à celui qui a commencé, mais à celui qui aura persévéré jusqu'à la fin que le salut est assuré. Or ils ne persévèrent point, puisqu'au moment de la tentation, ils se retirent. C'eût été pour eux un bonheur que la mort les frappât avant que la malice eût perverti leurs cœurs. Mais malheur aux âmes qui seront grosses ou nourrices pendant ces mauvais jours; les fruits qu'elles portent sont si tendres encore, qu'ils seront facilement privés d'un souffle de vie qui commence à peine. Telles sont les âmes qui n'ont encore qu'une charité naissante et faible, leur foi, vivante sans doute, mais feinte encore, ne peut manquer de défaillir au moment de la tentation. Il est écrit en effet: « La fournaise éprouve les vases du potier et la tentation, le juste (Eccl., XXVIII, 6), » c'est-à-dire celui qui vit de la foi (Rom., I.18), car le juste est celui qui vit de la foi (Habac., II, 4), mais d'une foi vivante elle-même, et non pas d'une foi morte qui ne saurait donner la vie, telle qu'est la foi des démons qu'on ne soumet point à l'épreuve, parce que, dépourvue de charité, elle est nécessairement morte. Ils croient, il est vrai, et tremblent de frayeur; mais la crainte n'a rien de commun avec la charité; voilà pourquoi ils ne sont ni éprouvés comme les hommes, ni soumis aux mêmes tribulations, ils n'ont qu'une foi morte que Dieu réprouve, mais qu'il n'éprouve plus; il réserve l'épreuve de la tentation à la foi du juste, parce qu'elle est vive et vivifiante. Mais tous les justes ne persévèrent point jusqu'à la fin, quelques-uns ne croient que pour un temps et faiblissent au moment de la tentation. C'est la tribulation qui montre ce qu'est la foi de chacun: vient-elle à défaillir, ce qui arrive quand on ne persévère point dans la charité, il est évident que ce n'était qu'une foi feinte; si au contraire elle persévère, c'est une foi éprouvée et parfaite.

16. De tout ce qui précède il résulte assez clairement, je pense, que tous ceux qui ont la charité n'ont pas pour cela la persévérance dans la charité, autrement ce serait en vain que le Seigneur aurait dit à ses disciples : «Persévérez dans mon amour (Joann., XV, 19); » car, s'ils ne l'aimaient pas encore, il ne leur aurait pas dit : «Persévérez, mais soyez dans mon amour; » et s'ils l'aiment déjà, il était superflu de leur recommander de persévérer dans cet amour, puisque, d'après ces docteurs, la persévérance leur était assurée. Que le bon et fidèle serviteur ait donc soin de conserver par une foi sincère la charité qui naît d'un cœur pur et d'une bonne conscience, de préférer de beaucoup la vie de l'âme à celle du corps, et de moins redouter la mort de la chair que celle de la foi.

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CHAPITRE V. L'humilité est nécessaire à tout le monde, mais elle l'est surtout aux prélats.

17. Des trois vertus- dont j'ai parlé plus haut, il ne me reste plus à parler, si je ne me trompe, que de l'humilité : elle est tellement nécessaire aux deux premières, que sans elle celles-ci ne semblent même pas pouvoir subsister : c'est en effet l'humilité qui nous obtient de Dieu la charité et la chasteté, car il donne sa grâce aux humbles (Jacob., IV, 6); c'est donc par l'humilité que nous recevons les autres vertes; c'est par elle aussi que nous les conservons, puisque le Saint-Esprit ne se repose que dans l'homme humble et paisible (Isa., LXVI, 2); enfin c'est elle qui les perfectionne, selon cette parole: La vertu se consomme dans la faiblesse, c'est-à-dire dans l'humilité (II Corinth., XII, 9). L'humilité triomphe de l'orgueil qui est l'ennemi de tous les dons de Dieu, le principe de tout péché, et repousse loin d'elle et des autres vertus son insolente tyrannie; car, tandis que tout ce qu'il y a de bien en nous contribue ordinairement au triomphe de l'orgueil et ajoute à ses forces, seule entre toutes, l'humilité est comme la forteresse et le boulevard qui met les autres vertus à couvert des attaques de l'orgueil, et reçoit les premiers coups de sa présomption. Aussi est-elle la seule de toutes les vertus dont la Vierge pleine de grâce se glorifie: à peine a-t-elle entendu ces paroles de l'ange : « Je vous salue, pleine de grâces (Luc., I, 48), » que n'envisageant dans cette plénitude de grâces que l'humilité, elle ne parle que de cette vertu dans l’expression de sa reconnaissance. « Le Seigneur, dit-elle, a jeté les yeux sur l'humilité de sa servante (ibid.). »

18. Que dirai-je de plus? La source et l'auteur de toutes les vertus, Jésus-Christ même en qui tous les trésors de la sagesse et de la science f sont renfermés, en qui réside corporellement toute la plénitude de. la Divinité, ne fait-il pas aussi de l'humilité comme le résumé de toute sa doctrine et de toutes ses vertus? « Apprenez de moi » dit-il en effet, non pas que je suis sobre, chaste, prudent, et le reste, mais « que je suis doux et humble de cœur (Matth., XI, 29). » Apprenez de moi, dit-il: ce n'est pas à l'école des patriarches ni aux livres des prophètes que je vous renvoie, mais c'est moi-même que je vous propose pour exemple, et que je vous donne pour modèle d'humilité. L'ange et la femme m'ont envié ce qui fait ma grandeur dans le sein de mon Père, l'un était jaloux de ma puissance, et l'autre le fut de ma science; pour vous, ambitionnez quelque chose de bien meilleur encore, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur.

19 Je crois à propos de nous livrer à quelques recherches sur l'orgueil, afin que du contraste de ce vice il rejaillisse un plus vif éclat sur la vertu qui lui est opposée. L'orgueil est l'estime de notre propre excellence; il en est de deux sortes : l'orgueil d'aveuglement et l'orgueil de vanité, qu'on pourrait encore désigner par les mots de suffisance et de gloriole. Le premier est un travers de l'esprit, et l'autre un vice de la volonté; le premier fausse le regard de la raison et le second déprave les actes de la volonté, comme nous pourrons nous en convaincre en définissant l'un et l'autre. L'orgueil d'aveuglement, autrement dit suffisance, est un vice qui consiste à nous attribuer certaines qualités que nous n'avons pas, ou à croire que nous ne les devons qu'à nous, ce qui fait que nous nous glorifions en nous plutôt qu'en Dieu. L'orgueil de vanité ou gloriole est un vice qui fait que nous prenons plaisir à nous entendre louer plutôt que Dieu, aussi bien pour le bien qui se trouve en nous que pour celui qui n'y est pas. Cela posé, voyons ce qu'il y a dans ces sentiments de contraire à l'humilité. L'humilité est le mépris de notre propre excellence. Or le mépris est juste le contraire de l'estime, j'en distingue aussi deux sortes que j'oppose aux deux sortes d'orgueil; ainsi à l'orgueil d'aveuglement j'oppose l'humble sentiment de soi-même, et à l'orgueil de vanité le déplaisir de voir que d'autres nous estiment plus qu'il ne faut. Quiconque fait peu de cas de soi ne peut tomber sur son propre compte dans un de ces deux faux jugements, ou de se croire plus grand qu'il n'est en effet, ou de s'attribuer le mérite d'être ce qu'il est effectivement; il souffre patiemment de n'avoir pas ce qui lui manque, et s'il se glorifie du bien qu'il est sûr de posséder, ce n'est pas en lui-même, mais uniquement en Dieu.

20. Pour se prémunir contre le défaut si commun de concevoir de soi une opinion trop favorable, l'homme véritablement humble se fait une habitude de méditer sans cesse ces paroles: « N'ayez pas de grands sentiments de vous-mêmes, mais complaisez-vous dans l'humilité (Rom., XII, 16); » et celles-ci encore: « Je n'ai point aimé l'éclat, ni affecté des airs de grandeur; loin de m'élever, je me suis constamment abaissé (Psalm. CXXX, 2 et 3); » et enfin ces autres de l'Apôtre : « Quiconque s'estime quelque chose quand il n'est rien s'induit lui-même en erreur (Gal., VI, 3). » Veut-il ne point céder à la pensée de s'attribuer le bien qu'il a, il se demande avec l'Apôtre: « Qu'as-tu donc que tu n'aies reçu? et si tu l'as reçu, pourquoi t'en glorifier comme si tu ne le tenais que de toi (I Corinth., IV, 7) ? » D'un autre côté, celui qui s'est habitué à n'éprouver que du mépris pour les louanges des hommes vient-il à s'apercevoir qu'on loue en lui ce qui ne s'y trouve point, loin de se complaire dans ces éloges, il se rappelle aussitôt ces paroles : « Ceux qui exaltent m votre bonheur vous induisent en erreur (Isai., IX, 16) ; » et ces autres du Psalmiste: «Les enfants des hommes ne sont que vanité, leurs balances sont fausses, et sont d'accord dans leur vanité pour se tromper les uns les autres (Psalm. LXI, 10). » En conséquence, il ne songe qu'à imiter l'Apôtre qui parlait de lui-même en ces termes: « Je m'arrête, de peur que quelqu'un ne m'estime plus que ce qu'il voit en moi ou au delà de ce qu'il m'entend dire de moi (II Corinth., XII, 10). » Mais s'il sent qu'on le loue de quelque chose qu'il croit posséder peut-être en effet, il ne s'en couvre pas moins du bouclier de la vérité, pour repousser, autant qu'il' est en lui, les traits de la flatterie, et, reportant toute gloire à Dieu, il s'écrie: « Ce que je suis, je ne le suis que par la grâce de Dieu (I Corinth., XV, 10); » puis de crainte qu'on ne le soupçonne de vouloir se l'approprier, il dit avec le Psalmiste: « Ce n'est pas à moi, Seigneur, non, ce n'est pas à moi, mais à votre nom seul que je vous prie d'en rapporter la gloire (Psalm. CXIII, 9). » S'il agissait autrement, il appréhenderait d'entendre le Seigneur lui-même lui crier: « Tu as reçu ta récompense (Matth., VI, 5); » ou bien encore: « O hommes, vous êtes avides de la gloire que vous vous prodiguez les uns aux autres, et vous n'estimez pas celle qui ne vient que de Dieu (Joan., V, 44). » Aussi, selon le conseil de l'Apôtre, il examine attentivement les couvres, afin de trouver ainsi sa gloire en lui et non pas dans les autres (Gal., I, VI, 4). Gardien fidèle de son cœur, l'homme vraiment humble sait ménager avec soin l'huile de sa gloire, de peur qu'à l'arrivée de l'Epoux la lampe de sa conscience ne s'éteigne faute d'aliment. J'ai dit qu'il ne veut pas la trouver dans les autres, parce qu'il ne croirait pas prudent à lui de confier sa gloire à la direction des hommes dont la bouche est une sorte de coffre sans clef et sans serrure, ouvert à quiconque veut y dérober quelque chose; non-seulement il n'est pas sûr, mais même il est tout à fait insensé d’y déposer son trésor, puisqu'on est bien certain de ne plus l'y retrouver quand on voudra le reprendre. Dès que vous confiez votre gloire à mes lèvres, elle n'est plus en votre pouvoir, mais au mien, puisque je suis le maître de parler bien ou mal de vous.

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CHAPITRE VI. C'est dans notre conscience que nous devons placer notre gloire et notre honneur; encore ne devons nous le faire qu'en tremblant, car l'œil de Dieu voit à découvert nos pensées et les secrets de notre cœur.

21. La conscience est au contraire un coffre bien fermé et d'une solidité à toute épreuve, et qui a la vertu de conserver les secrets qu'on lui confie en garde : elle échappe aux embûches et défie toute violence elle n'est accessible ni à la main ni à l'œil de l'homme, elle ne l'est qu'à l'esprit, qui scrute même les secrets de Dieu. Quoique je lui confie, je suis sûr de ne le point perdre, elle me le conservera toute ma vie et me le rendra à ma mort. En quelque lieu que j'aille, elle m'accompagne et porte avec elle le dépôt dont je lui ai confié la garde. Vivant, elle est à mes côtés; mort, elle me suit, et partout je trouve en elle un motif de gloire ou de confusion inévitables selon le dépôt que je lui ai confié. Heureux ceux qui peuvent dire : « Notre gloire à nous, c'est le témoignage de notre conscience (I Corinth. I, 2). » Or il n'y a que l'homme véritablement humble qui puisse s'exprimer ainsi, celui qui, comme dit le Proverbe, se défie de l'œil des campagnes et de l'oreille des forêts, car il n'y a d'hommes vraiment heureux que celui qui ne vit que dans la crainte (Prov., XXVIII, 14). Un pareil langage ne saurait certainement convenir à l'homme arrogant et présomptueux; qui va se vantant impudemment partout comme s'il se trouvait au milieu d'un champ, et court tout d'un trait à la gloire; il trouve même à se glorifier du mal qu'il a fait et tire vanité des actions les plus honteuses. Il croit que personne ne le voit, parce qu'il a beaucoup plus d'imitateurs que de censeurs de sa conduite : c'est un aveugle qui se trouve à la tête d'aveugles comme lui. Mais ce champ où il court a des yeux ouverts sur lui; on n'en peut douter, ce sont les yeux des saints anges que ne peut manquer de blesser la vue de ses désordres. L'hypocrite non plus ne saurait dire . « Ma gloire à moi, c'est le témoignage de ma conscience; » car il a beau déguiser sa voix, son visage, son port et sa démarche pour en imposer à l'opinion publique, il ne peut ni tromper ni éluder le jugement de Celui qui scrute les reins et les cœurs, car on ne se joue point de Dieu.

22. Il doit donc craindre aussi l'oreille des forêts, car c'est en vain qu'il retiendra sa langue et ses mains; il y a une oreille qui entend le langage muet et silencieux de son cœur au sein même des bois les plus impénétrables dont s'entoure sa duplicité, dans les ronces dont s'enveloppent ses ruses; pour cette oreille, sa pensée même parle à haute voix. Le cœur humain est mauvais et impénétrable, nul ne sait ce qu'il cache, excepté l'esprit même de l'homme, encore ne le sait-il pas bien. En effet, l'Apôtre, après avoir dit: « Je me mets peu en peine du jugement que des hommes portent de moi et de l'opinion du monde,» ajoute: « Je ne me juge même pas moi-même (I Corinth. IV, 3).» Pourquoi cela ? » Parce que, continue-t-il, je ne saurais porter même sur moi un jugement certain. » Il est vrai que ma conscience ne me reproche rien, mais je ne suis point justifié pour cela (loco. cit.); car je ne puis m'en rapporter entièrement à moi, puisque ma conscience elle-même ne me voit pas tout entier. Or un juge qui n'a pas tout entendu ne peut pas prononcer sur le tout. « Celui donc qui me juge, c'est le Seigneur lui-même (ibidem), le Seigneur, dis-je, à qui rien n'échappe, et aux arrêts duquel ne peut non plus se soustraire ce que n'a pas même aperçu notre propre conscience. Dieu entend jusqu'aux pensées de notre cœur, que nous n'entendons pas nous-mêmes. L'oreille du Prophète, malgré son éloignement, était là pour entendre Giézi qui demandait de l'argent en secret; et moi je ne craindrai pas l'oreille de celui qui est présent partout, quelque mesure que je prenne pour lui cacher le mal que je médite en secret contre mon semblable, ou les désirs honteux que je conçois en moi-même? Quelle crainte ou plutôt quel respect ne doit point nous inspirer cette oreille qui entend le repos et perçoit le silence ! Enfin , n'est-ce pas Dieu lui-même qui nous dit : « Eloignez de mes yeux la perversité de vos pensées (Isa., I, 16)? » Or, que veut-il dire par ces mots : « Eloignez de mes yeux? » N'est-ce point assez d'entendre, Dieu voit-il aussi nos plus secrètes pensées? Quels yeux que des yeux qui voient les pensées mêmes ! Et pourtant elles' n'ont point de couleur pour être vues, de même qu'elles n'ont pas de son pour être entendues; et elles ne sont ordinairement perçues que par ceux qui les conçoivent, et ne sauraient être ni entendues par quiconque les écoute, ni vues de celui qui les regarde. Nous n'en saurions donc douter, le Seigneur connaît toute la vanité de nos pensées, comment l'ignorerait-il quand il les entend et les voit? Il n'est pas de sens qui inspirent plus de confiance que ces deux-là : la vue et l'ouïe, et nous regardons comme su de science certaine tout ce que nous avons vu et entendu. Voilà pourquoi le Seigneur n'avait pas besoin que personne lui dit ce qu'étaient les hommes, il savait pertinemment lui-même ce qui se passait dans leur âme. » Pourquoi, disait-il, formez-vous de mauvaises pensées dans vos cœurs (Matth., IX, 5) ? » Il répondait non aux discours, mais aux pensées; il entendait sans qu'on parlât, et il voyait sans que rien parût.

23. Je tremble de toute mon âme, ô mon Seigneur Jésus, quand de mes faibles regards je considère Votre Majesté, alors surtout que je me rappelle combien j'ai eu autrefois le malheur de l'outrager. Mais, hélas! à présent même que des yeux de Votre Majesté je cours me jeter aux pieds de votre miséricorde, je n'en tremble guère moins: j'ai peur qu'après avoir été rebelle à Votre Majesté, je ne sois maintenant trouvé ingrat envers votre bonté. Que me sert-il, en effet, de contenir mes mains si mon cœur ne se contient point? Qu'importe que ma bouche se taise si mon cœur parle, si tous les mouvements déréglés de mon âme sont autant d'outrages que je vous fais, autant d'actes de colère qui blessent la douceur, de haine qui offensent la charité, de sensualité qui anéantissent la tempérance, de désordres qui détruisent la chasteté, et mille autres semblables qui bouillonnent dans le réduit impur de mon cœur, s'en échappent sans cesse et jaillissent à votre face dont ils troublent l'éclatante sérénité ? Qu'ai-je gagné si je n'ai réprimé que mes sens et réformé que mes couvres? Ah ! si vous tenez compte, Seigneur, de toutes ces iniquités qu'avec un extérieur réglé je ne cesse de ts commettre au fond de mon âme, qui est-ce qui pourra soutenir vos regards? Mais peut-être souffré-je ces choses plutôt que je ne les fais; peut-être ces mouvements sont-ils en moi sans être de moi, parce que je n'y consens pas. Il est certain que s'ils ne règnent point sur moi, que je les éprouve ou non, je n'en serai pas moins innocent aux yeux de Dieu comme aux miens, des attaques de ma propre perversité; et quand je dis de ma propre perversité, je n'entends pas dire qu'elle est mienne, mais qu'elle est en moi. J'habite un corps de mort, une chair de péché, il me suffit pour le moment que le péché ne règne point dans ce corps destiné à finir. Ni mon corps, ni le péché qui y habite ne peuvent me rendre coupable, tant que je ne me complais point dans le mal et que je ne fais pas servir mes membres à l'iniquité. Voilà pourquoi, ô Dieu de miséricorde, tout saint vous prie, pendant qu'il en est temps encore, de l'en délivrer (Psalm. XXXI, 6); il vous supplie parce qu'il sent la présence du mal, mais il n'en est pas moins saint tant qu'il n'y consent pas; il vous implore à cause du danger, mais il est saint parce qu'il a la vertu de résister. On ne peut dire le contraire, il est vraiment saint et vraiment heureux, parce qu'il aime intérieurement la loi de Dieu, et que dans l'impossibilité d'être délivré d'un mal inséparable de son corps et dont il ne sera affranchi que le jour où il le sera de sa chair, il se console en disant : « Ce n'est pas moi qui le commets ce mal, c'est le péché qui habite en moi (Rom., VII, 17). »

24. Mais qui est-ce qui connaît tous ses péchés? Quand je pourrais dire avec saint Paul, et certes il s'en faut que je le puisse, « ma conscience ne me reproche rien (I Corinth., IV, 4), » je ne saurais pour cela me vanter d'être justifié; » ce n'est pas en effet celui qui se rend témoignage à lui-même qui est vraiment estimable, mais c'est celui à qui Dieu même rend témoignage (II Corinth., X, 18). » S'il n'y a que les hommes qui me déclarent juste, c'est bien peu de chose pour moi, car ils ne voient que le dehors, Dieu seul lit au fond du cœur (I Reg., XVI, 7). Voilà pourquoi Jérémie n'était guère touché de l'opinion de ses compatriotes, qui n'était pour lui que le fruit du jugement des hommes, et disait avec confiance à Dieu : « Vous savez, Seigneur, que je n'ai point désiré d'être jugé par l'homme (Jerem., XVII, 16). » Quand même mon propre jugement me serait favorable, « je ne veux pas me juger moi-même (I Corinth., IV, 3), » attendu que je ne me connais pas assez pour me juger. Il n'y a de bon juge des vivants et des morts que celui qui, ayant créé le cœur de chaque homme en particulier, en connaît parfaitement toutes les couvres. Il n'y a qu'en lui que je vois un juge, parce qu'il n'y a que lui qui puisse me justifier. Le Père lui a donné le pouvoir de juger, parce qu'il est le Fils de l'homme (Joan., V, 27). » Je ne veux pas, moi qui ne suis qu'un simple serviteur, revendiquer pour moi ou prendre sur moi un pouvoir qui n'appartient qu'au Fils, ni me mettre du nombre de ceux dont il se plaint en ces termes : «Ils m'ont ravi le pouvoir de juger; » le Père lui-même ne juge personne, il a donné à son Fils toute puissance de. juger (Joan., V, 22), et je prétendrais m'arroger un droit que s'est interdit le Père! Que je le veuille ou non, il me faudra comparaître devant ce juge et lui rendre compte de tout ce que j'ai fait dans cette vie, à lui à qui pas un mot, pas une pensée n'échappe. Devant un si juste appréciateur du bien, un témoin si intime des secrets de notre âme, qui est-ce qui osera se flatter d'avoir le cœur pur? L'humilité seule trouvera grâce à ses yeux, parce qu'elle est ennemie de la vaine gloire, étrangère à la présomption et exempte de jalousie; Dieu, en effet, résiste aux superbes, mais il accorde sa grâce aux humbles (Jac., IV, 6). Au lien de contester coutre son juge et de faire valoir son propre mérite, la véritable humilité ne sait que s'écrier « Seigneur, n'entrez pas en jugement avec moi (Psalm. CXLII, 2). » Loin de faire appel à la justice du juge, elle implore sa miséricorde, bien convaincue qu'il lui sera plus facile d'obtenir grâce que de se justifier. Elle sait bien d'ailleurs que Dieu n'est que bonté et qu'il n'a point d'éloignement pour la bassesse de notre nature. Non, cette Majesté souveraine ne saurait mépriser dans l'homme un cœur contrit et humilié, puisqu'elle n'a pas trouvé indigne d'elle d'emprunter à l'homme un corps si bien fait pour l'humilier. Il y a même, pour Dieu, dans l'humilité, je ne sais quel attrait qui la lui fait aimer et rechercher; ce furent en effet ses dehors qu'il revêtit pour se manifester aux hommes; il affecta même de prendre une substance, une forme, un extérieur qui ne respirassent que l'humilité, afin de nous faire connaître l'excellence de cette vertu par l'honneur singulier qu'il lui fit dans sa personne.

CHAPITRE VII. Saint Bernard blâme énergiquement l'ambition des ecclésiastiques, la promotion des trop jeunes clercs et la pluralité des bénéfices.

25. Cette vertu vous est d'autant plus nécessaire à vous surtout, mon très-cher père, que vous avez plus de sujets de vous enorgueillir. Votre naissance, votre âge, votre savoir, votre siège, et principalement votre titre de primat (a) : que des motifs d'orgueil, que de sujets de vanité pour

a Les métropolitains de Sens font remonter leur titre de primat au pape Jean VIII, qui donna à l'archevêque Ansegise le titre de légat du Saint-Siège en France et en Allemagne. On a sur ce sujet un livre singulier écrit par un chanoine de Sens, nommé Jean-Baptiste Driot. On peut consulter aussi sur ce point la lettre du roi Louis VI au pape Calixte II, elle se trouve à la page 147, du tome III du Spicilége.

un homme! Il est vrai qu'on pourrait trouver là autant de raisons de s'humilier. Quand on ne voit que les honneurs, ces titres sont pleins d'attrait; mais quand on ne voit que le poids des honneurs, on se sent plus d'appréhension que d'envie de les obtenir. Tout le monde, il est vrai, ne comprend pas cela; on ne verrait certainement pas un si grand t nombre d'hommes courir après les honneurs avec tant de confiance et d'ardeur s'ils les considéraient comme de véritables fardeaux; au lieu de les briguer au prix de fatigues et de dangers sans nombre, ils craindraient plutôt de s'en voir accablés. Mais aujourd'hui qu'on n'envisage que l'éclat des dignités et non la peine qui y est attachée, on rougit de n'être que simple clerc dans l'Eglise de Dieu, et on se croit indigne de considération, déshonoré même, si on ne se trouve élevé à quelque poste éminent, quel qu'il soit. Ne voit-on pas de véritables enfants, à peine échappés du collège, des jeunes gens imberbes élevés aux dignités ecclésiastiques (a) et passer du régime de la férule au gouvernement même des prêtres? Bien plus heureux d'ailleurs de n'avoir plus à craindre le martinet que de se voir placés aux premiers rangs, ils se félicitent beaucoup moins de commander aux autres que de n'être plus désormais obligés d'obéir. Mais ce n'est là que le commencement. Avec le temps ils conçoivent le désir de s'élever davantage, et, à l'école de deux maîtres excellents, l'ambition et l'avarice, ils ne tardent pas à savoir envahir (b) les autels et vider la bourse de leurs inférieurs. Mais après tout, quelque adresse et quelque prudence que déploie un homme pour acquérir des revenus, quelque vigilance qu'il ait pour se les conserver, quel que soit son zèle à s'assurer la bienveillance des princes et des rois, je n'en dis pas moins: « Malheur au peuple dont la roi n'est qu'un enfant et dont les princes sont en festin dès que le jour commence (Eccle., X, 16). »

26. Toutefois je ne dis pas qu'il est un âge trop jeune ou trop avancé s pour la grâce de Dieu; on voit au contraire bien des jeunes gens surpasser les vieillards en intelligence, faire oublier leur jeunesse par leur conduite, devancer le nombre des années par celui de leurs mérites, et suppléer à l'âge par la vertu. Digues jeunes gens qui veulent être jeunes pour le mal comme ils le sont par le nombre des années,

a On peut lire à l'occasion de ce passage la lettre deux cent soixante et onzième que notre Saint écrivit au comte de Champagne Thibaut, pour le détourner avec autant de force dans les raisons que d'amitié dans la manière de les présenter, de pousser son fils encore en bas-âge aux dignités de l'Église.

b On écrivait autrefois le mot vindicare, envahir, par un e, vendicare, ce qui a été cause que plusieurs copistes ont écrit vendicare, vendre. Mais notre leçon nous parait préférable et plus en rapport avec le contexte où il est parlé de l'ambition; ce n'est que dans le second membre de phrase qui il est parlé de l'avarice a qui les pousse à vider la bourse de leurs inférieurs.

pour le mal, dis-je, mais non pour la sagesse, et dont personne, comme le veut l'Apôtre, ne pourrait mépriser la jeunesse (I Tim., IV, 12)! Ces jeunes gens portés à la vertu valent mieux que des hommes qui ont vieilli dans le mal. Un homme encore enfant quand il compte cent ans d'existence est digne de toute sorte de mépris; mais il est au contraire une vieillesse digne de tous nos respects quoiqu'elle ne compte pas un grand nombre d'années et ne remonte pas fort haut. Ce Samuel qui dès que Dieu parlait prêtait une oreille attentive et s'écriait « Parlez, Seigneur, votre serviteur écoute (1 Reg., III, 9), » comme s'il eût dit: « Je suis près et dès à présent disposé à exécuter vos ordres (Jerem., I, 6), » était un enfant vertueux. C'en était un aussi que ce Jérémie qui, sanctifié dés le sein de sa mère, allégua en vain son jeune âge pour excuse et n'en fut pas moins établi sur les nations et les empires. C'en était un encore que ce Daniel qui fut rempli de l'esprit de Dieu pour confondre un jugement inique, et sauver le sang innocent. Enfin « la sagesse tient lieu de cheveux blancs et une vie sans tache a tout le mérite de la vieillesse (Sap., IV, 8). » Mais après tout s'il se trouve quelque jeune homme ainsi vieux de vertus promu aux honneurs ecclésiastiques, c'est un prodige de la grâce qui doit frapper d'étonnement ceux qui n'ont pas le même mérite, mais qui ne saurait servir de prétexte à leur ambition.

27. Du reste, dans le clergé on voit indistinctement des hommes de tout rang et de tout âge, des ignorants aussi bien que des savants, briguer les emplois ecclésiastiques comme s'il suffisait d'arriver aux charges pour vivre déchargé de toute obligation a. Cela n'a rien qui surprenne de la part de ceux qui n'ont point encore passé par là; car, comme ils voient que ceux qui ont enfin obtenu ce fardeau tant désiré, loin d'en gémir comme d'un poids qui les accable, n'aspirent qu'à voir augmenter leur charge, ils ne craignent point les dangers que la rapidité de leurs désirs les empêche de remarquer, et ils soupirent plus , ardemment après les avantages dont la vue enflamme leur envie. O ambition sans mesure! ô insatiable avarice! quand ils sont arrivés aux premières dignités de l'Eglise, et qu'ils les ont obtenues par leur mérite, leur richesse ou même à la faveur de la chair et du sang qui n'auront jamais de part dans le royaume de Dieu, leur cœur n'en est pas plus satisfait mais constamment tourmenté par un double désir; non-seulement il veut multiplier ses bénéfices, mais il les veut plus importants. Par , exemple, est-on doyen, prévôt ou archidiacre, occupe-t-on quelque autre dignité de cette nature, peu content de ne posséder qu'un titre dans une seule église, on se démène pour en avoir plusieurs, le plus possible,

a …De toute obligation, curas, d'où vient le mot cure employé pour désigner la charge des prêtres qu'on appelle curés.

soit dans la même église, soit dans des églises différentes ; mais après cela on les résilie toutes volontiers si on peut réussir à se faire nommer évêque. Là du moins bornera-t-on ses derniers désirs? A peine évêque, on aspire à devenir archevêque; ensuite, rêvant encore je ne sais quoi de plus élevé, on entreprend de pénibles voyages pour se faire créer de chères relations en cour de Rome et s'y ménager d'utiles amitiés. Si on agissait ainsi par zèle pour le salut des âmes, on mériterait peut-être quelque éloge à cause du bien spirituel qu'on recherche, mais on n'en serait pas moins digne de blâme pour une telle présomption.

28. Il y en a qui, ne pouvant réussir par ces moyens, tournent me leur ambition d'un autre côté, en quoi ils ne font pas moins paraître leur désir de dominer. Ainsi, on en voit qui, se trouvant placés à la tête de villes très-populeuses et de diocèses qui embrassent des provinces, presque des royaumes entiers, si je puis ainsi parler, invoquent dans l'occasion je ne sais quels vieux privilèges, pour soumettre encore les villes voisines à leur juridiction, et pour réunir, sous un seul évêque, des pays que deux évêques auraient de la peine à gouverner (a). Que penser, je vous le demande, d'une présomption si détestable, d'un tel besoin de domination, d'un désir si effréné d'exercer le pouvoir suprême? Lorsqu'on vous traînait pour la première fois vers la chaire épiscopale, vous pleuriez, vous fuyiez, vous vous plaigniez qu'on vous faisait violence; vous disiez que ce poste était trop au-dessus de vos forces, que vous étiez bien loin de le mériter, que vous n'étiez pas fait pour un si saint ministère et que vous n'étiez pas capable de suffire à tant de soins. D'où vient donc maintenant que, sans crainte ni scrupule, vous aspirez de vous-même à des postes plus élevés, et que, non content de ce que vous possédez, vous avez l'audace de vous jeter sur le lot des autres ? Pourquoi agissez-vous ainsi? Est-ce dans le dessein de sauver plus de monde'? Mais il est injuste de porter la faux dans la moisson d'autrui. Est-ce pour servir les intérêts de votre Eglise ? Mais l'Époux de toutes les Eglises n'aime pas que l'une s'accroisse aux dépens des autres. Ambition cruelle, incroyable même, si on n'en voyait la preuve de ses propres yeux! C'est à peine si elle recule devant l'accomplissement littéral de ces paroles du Prophète: « Ils sont allés jusqu'à ouvrir le sein des fécondes épouses de Galaad pour augmenter ainsi leur héritage (Amos., I, 13). »

29. Que devient cette terrible menace : « Malheur vous qui joignez une maison à une maison et le champ à un autre champ (Isa., V, 8) ? » Ce redoutable « malheur! » ne regarde-t-il donc que, ceux qui ne cèdent

a Peut-être est-ce une allusion à la conduite de l'évêque de Noyon qui, avant réuni depuis quelque temps l'évêché de Tournay au sien, ne se décida qu'avec bien de la peine à laisser cet évêché à Anselme, ancien abbé de Saint-Vincent de Laon, qu'Eugène avait nommé, à la prière de saint Bernard. Voir encore le livre III de la Considération, n. 14 et 16,

qu'à une mesquine ambition et non point à ceux qui unissent les villes aux villes et les provinces aux provinces? Qui sait ? peut-être en viendront-ils à répondre qu'ils imitent en cela Notre-Seigneur Jésus-Christ, et que, comme lui, ils réunissent aussi deux peuples en un, et rassemblent de divers pâturages plusieurs troupeaux en un seul, pour qu'ils n'aient plus qu'un seul pasteur et qu'une seule bergerie. Voilà le but de tous ces pèlerinages qu'ils entreprennent si volontiers aux tombeaux des Apôtres où ils espèrent trouver, chose plus déplorable encore, des hommes disposés à favoriser leurs coupables projets. Non pas qu'on se mette beaucoup en peine à Rome de la manière dont se terminent toutes ces intrigues, mais parce qu'on y fait grand cas des présents et qu'on y est avide de profits. Je parle sans détour de ce qu'on fait sans mystère; ce n'est pas une infamie que je dévoile en en parlant, mais c'est une honte que je voue à la confusion. Ah! plût au ciel que tout cela se passât en secret et dans l'ombre! Plût à Dieu que j'eusse été le seul à entendre et à voir ce que je dis! qu'on ne voulût même pas en croire à mes paroles! Je voudrais que ces modernes Noés m'eussent du moins laissé de. quoi couvrir leur nudité! Mais ces scandales sont aujourd'hui la fable titi monde entier, à quoi servirait-il donc que seul je gardasse le silence? Ma tête sera meurtrie de coups, le sang en jaillira à gros bouillons et je croirai devoir cacher mes blessures? Mais tout ce dont je voudrais la couvrir sera bientôt ensanglanté, et j'aurai de plus la confusion d'avoir voulu dérober à la vue un mal impossible à cacher.

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CHAPITRE VIII. Saint Bernard recommande l'humilité et la modestie aux évêques.

30. C'est une bonne chose que l'humilité, dès maintenant elle met notre cœur à l'abri de toutes ces inquiétudes qui le rongent, et rassure notre âme contre les peines qui la menacent dans l'avenir. Qu'elle vous préserve, mon révérend père, de ces mortelles convoitises; prêtez plutôt l'oreille aux accents du Prophète qui vous en détourne et vous dit: « Gardez-vous d'imiter les méchants et de porter envie à ceux qui commettent l'iniquité (Psalm. XXXVI, 1). » Il vaut bien mieux prendre pour modèle l'Apôtre qui, au lieu de s'exalter outre mesure, et de chercher à s'étendre au delà de ses limites, ne voulait pas, comme il le dit lui-même, se comparer à ceux qui font leur propre éloge, se contentait de se comparer à lui-même, et ne voulait se mesurer qu'à la règle et la mesure qu'il avait reçue de Dieu. En lui entendant dire

« Ne vous faites pas de tort les uns aux autres (I Corinth., VII, 5), » vous saurez vous contenter de ce que vous avez. C'est encore de sa bouche que vous recueillerez cette salutaire leçon d'humilité qu'il donnait à un archevêque: « Ne vous laissez point aller à des pensées de grandeur, mais tenez-vous dans des sentiments de crainte (Rom., XI, 20). » Il est difficile, il est rare même d'être dans les honneurs et de ne se point laisser aller à des pensées de grandeur; mais moins c'est commun, plus c'est glorieux. Si vous craignez dans une première élévation, vous redouterez plutôt que vous n'ambitionnerez de vous élever encore. Pie vous croyez donc pas heureux parce que vous vous trouvez placé à la tête d'un troupeau, mais regardez-vous comme étant bien à plaindre si vous ne lui faites pas du bien.

31. Mais si vous voulez être digne d'exercer l'autorité, il faut que vous obéissiez vous-même à ceux qui sont placés au-dessus de vous, car celui qui ne sait point obéir n'est pas digne de commander. Ecoutez le conseil du Sage : « Plus vous êtes élevé, plus vous devez vous humilier en toutes choses (Eccli., III, 20) ; » puis le précepte de la Sagesse même vous disant: «Que celui qui est le plus grand parmi vous se fasse comme le plus petit (Luc, IX, 48). » Or. s'il est bon à l'homme de se soumettre même à ses inférieurs, comment pourrait-il lui être permis de secouer le joug de ses supérieurs ? Donnez plutôt à vos subordonnés l'exemple de la soumission qu'ils vous doivent, et, pour parler de manière à ce que vous me compreniez bien, « rendez à chacun l'honneur auquel il a droit (Rom., XIII, 7); que tout homme, dit l'Apôtre, soit soumis aux puissances placées au-dessus de lui (Rom., XIII, 1). » Tout homme, dit-il, donc ce précepte s'adresse également à vous. En effet, qui vous excepte de la règle générale? celui qui tenterait de le faire n'aurait certainement d'autre but que de vous tromper. Ne prêtez donc point l'oreille à ceux qui, tout chrétiens qu'ils sont, se croiraient déslionorés s'ils suivaient les exemples et pratiquaient les leçons de Jésus-Christ; défiez-vous de ceux qui ont coutume de vous cure : « Maintenez l'honneur de votre siège; il eût été convenable que l'Eglise confiée à vos soins se fût agrandie dans vos mains, qu'elle conserve donc au moins l'éclat qu'elle avait quand vous l'avez reçue. Avez-vous moins de pouvoir que votre prédécesseur? Si vous ne l'augmentez pas, du moins ne souffrez pas qu'elle soit amoindrie. » Tel est le langage qu'ils tiennent. Mais Jésus-Christ s'exprimait et agissait bien différemment: « Rendez, disait-il, à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est à Dieu ( Marc., XII, 17). » Or ce qu'il ordonnait en ces termes, il se hâtait de l'accomplir, et le créateur de César s'empressait de payer à César le tribut qui lui était dû, voulant par là vous donner l'exemple, afin que vous fissiez comme lui. Comment eût-il refusé aux prêtres de Dieu le respect qui leur est dû quand il se montre si soumis aux puissances de la terre? Et vous qui rendez assidûment vos devoirs au successeur de César, c'est-à-dire, au roi, à la cour, dans son conseil, dans les négociations et même à l'armée, croirez-vous indigne de vous, de rendre au vicaire de Jésus-Christ, quel qu'il soit, les hommages que, de tout temps, les Églises ont décidé de lui décerner? «Mais, dit l'Apôtre, les puissances qui existent ont été établies de Dieu (Rom., XIII, 2). » Je laisse donc à ceux qui vous détournent de remplir ce devoir comme si c'était une honte de s'en acquitter, le soin de décider quel crime c'est de manquer à l'ordre que Dieu même a établi. Quelle honte, je vous le demande, peut-il y avoir pour un serviteur, de se régler sur la conduite de son maître ou pour un disciple de ressembler à celui qui l'instruit! Ils pensent vous faire beaucoup d'honneur en vous élevant au-dessus de Jésus-Christ, quand il vous crie lui-même : « Le serviteur n'est pas au-dessus de celui qu'il sert, ni l'apôtre au-dessus de celui qui l'a envoyé (Joan., XIII, 16). » Ce qu'un tel maître et un tel Seigneur n'a pas jugé indigne de lui, un bon serviteur, un disciple fervent dédaignera-t-il de le faire?

32. Que l'heureux centurion, dont la foi n'avait pas sa pareille en Israël, s'exprimait donc d'une manière admirable quand il disait: « Et moi aussi je suis un homme soumis à d'autres, en même temps que j'ai des soldats placés sous mes ordres (Luc., VII, 8) ! » Bien loin de se prévaloir de son autorité, il n'en parle qu'en rappelant d'abord que d'autres ont autorité sur lui; car avant de dire: « J'ai des soldats placés sous mes ordres, » il commence par faire remarquer « qu'il est lui-même un homme soumis à d'autres, » et même par rappeler qu'il est un homme, avant de dire qu'il est investi d'un certain pouvoir. Il s reconnaît donc qu'il est homme, tout païen qu'il était, pour montrer en l'c sa personne l'accomplissement de cette parole depuis longtemps prononcée par David: « Que les gentils sachent bien qu'ils sont hommes (Psalm. IX, 21). » Il dit donc: «Et moi aussi je suis un homme soumis à d'autres. » A présent, quoi qu’il ajoute, il ne saurait être suspect d'ostentation, il a fait prendre les devants à l'humilité pour prévenir les dangers de l'orgueil, et après avoir si clairement arboré l'étendard de cette vertu, il n'a plus à craindre que l'orgueil ose se montrer. Maintenant qu'il a reconnu son infériorité et proclamé sa dépendance, il peut sans crainte faire savoir qu'il a des soldats sous lui. Pour n'avoir point rougi de sa sujétion, il a acquis le droit d'être honoré à cause de son autorité; n'ayant pas regardé comme une honte d'être soumis à d'autres, il mérite que d'autres lui soient soumis. Chez lui la bouche

a Saint Bernard est un des premiers écrivains ecclésiastiques qui ait donné ce titre au souverain Pontife qu'il désigne également par ce nom dans sa lettre deux cent cinquante et unième, n. 1. Voir les notes de la fin du volume, à la lettre cent quatre-vingt-treizième. Il est vrai que plus loin, n. 35, notre Saint donne le titre de vicaire de Jésus-Christ à l'évêque, comme on l'appelait depuis longtemps, mais il l'applique dans un sens tout particulier au Pape, dans le livre II de la Considération, n. 16, et dans le livre IV, n. 23.

parlait de l'abondance du cœur, et ce qui paraissait au dehors de sage et de réglé dans ses paroles, était une expression des sentiments de son âme. Il commence par honorer ceux qui sont au-dessus de lui, pour être à son tour honoré de ses subordonnés, sachant qu'il recevait de ses supérieurs mêmes le pouvoir qu'il a sur ses inférieurs, et que pour savoir commander, il faut d'abord apprendre à obéir. Peut-être n'ignorait-il pas que Dieu a tout soumis à l'empire de l'homme tant que l'homme se soumit à Dieu, et que ce n'est qu'après sa révolte que tout fut aussi révolté contre lui, et que cet être qu'il avait fait le maître de toutes les créatures sorties de ses mains tant qu'il demeura dans des sentiments d'humilité, devint, en punition de son orgueil, semblable aux animaux privés de raison. Peut-être savait-il encore que, aussi longtemps que l'esprit de l'homme fut soumis à son auteur, il assujettit la chair à son empire, et que, devenu rebelle, il la trouva rebelle aussi, et qu'après avoir violé la foi d'en haut il ne tarda point à s'apercevoir qu'une loi différente résistait dans ses membres à celle de l'esprit, et le tenait lui-même captif sous la loi du péché.

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CHAPITRE IX. Condamnation de certains abbés qui affectaient de se soustraire à l'autorité des ordinaires.

33. Je m'étonne de voir certains abbés de notre ordre violer avec un entêtement insupportable cette règle de l'humilité, et, par un orgueil excessif sous l'humble habit et la tonsure des religieux, cacher un cœur si orgueilleux qu'ils dédaignent d'obéir à leurs propres évêques quand ils exigent eux-mêmes de leurs inférieurs une soumission absolue aux moindres de leurs ordres. Ils ruinent les maisons religieuses pour les émanciper a et pour acheter le droit de ne pas obéir. Ce n'est pas ainsi qu'en usait le Christ, qui préféra sacrifier sa vie plutôt que l'obéissance. Ceux-ci au contraire, pour se soustraire à l'obligation d'obéir, sacrifient presque leur vie et celle de leurs religieux. D'où vous vient, ô moines, une pareille présomption? Pour être les supérieurs de vos religieux, en êtes-vous moins des religieux vous-mêmes? Vous êtes religieux par état et vous n'êtes abbés que parce qu'il en faut, et pour que la nécessité d'avoir des abbés ne préjudicie pas à la profession religieuse, que le titre d'abbé s'ajoute à la qualité de moine et qu'elle n'en

a Ailleurs saint Bernard fait une exception en faveur des monastères qui sont exempts de la juridiction épiscopable, en vertu de la volonté de leurs fondateurs. « Mais, continue-t-il, il y a une grande différence entre ce qui vient de la piété et ce que poursuit une ambition qui lie veut pas souffrir de contradicteurs. » Voir le livre III de la Considération, n. 18.

prenne pas la place. Autrement comment s'accomplirait cette parole « Les hommes vous ont-ils placé à leur tète, soyez avec eux comme l'un d'entre eux (Eccli., XXXII, 1) ? » Or comment sera-t-il comme l'un des siens, s'il est rempli d'orgueil quand eux le sont d'humilité, s'il est rebelle quand ils sont soumis, et turbulent quand ils sont pacifiques? m Pour que je visse l'un d'eux en vous, il faudrait que vous fussiez aussi prêt à obéir que vous l'êtes à réclamer d'eux l'obéissance, que vous vous soumissiez aussi volontiers à vos supérieurs que vous dictez facilement des ordres à vos inférieurs. Mais si vous réclamez l'obéissance sans jamais vouloir obéir vous-même, vous faites bien voir que vous n'êtes pas comme l'un d'eux, puisque vous ne voulez point être un de ceux qui obéissent, Mais tandis que par votre orgueil vous vous séparez de leur troupe, je vois fort bien quels rangs vous allez grossir, et soit que vous ayez l'impudence de vous en mettre fort peu en peine, ou l'imprudence de n'y pas même songer du tout, sachez que pour moi vous êtes du nombre de ceux dont il est dit : « Ils composent des fardeaux pesants, impossibles à porter, et ils en chargent les épaules de leurs frères; mais pour eux ils ne veulent même pas y toucher du bout des doigts (Matth., XXIII, 4). » Après cela, que préférez-vous, ou d'être de ces abbés délicats que la Vérité reprend et condamne, ou de ces religieux obéissants qu'elle appelle ses amis quand elle dit: «Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande (Joan., XV, 14) ? » Vous voyez ce que c'est que de commander aux autres des choses que vous ne faites point vous-même, ou de ne pas pratiquer ce que vous enseignez.

34. D'ailleurs, sans parler de la règle de saint Benoit (Reg. S. Bened., cap. XX), qui vous recommande de vous abstenir dans votre conduite de tout ce que vous défendez de faire à vos disciples, sans parler non plus de la définition qu'elle donne du troisième degré de l'humilité (Ibid., cap. 7), qu'elle fait consister dans une entière obéissance au supérieur pour l'amour de . Dieu, rappelez-vous ce que vous lisez dans la règle même de la Vérité, qui vous dit que «celui qui enfreindra un seul des moindres commandements et qui apprendra ainsi à ses frères à prévariquer comme lui, sera le dernier dans le royaume de Dieu (Matth., V, 19). » Vous donc qui prêchez l'obéissance aux autres et ne voulez point obéir vous-même, vous voilà convaincu d'enseigner et d'enfreindre en même temps non pas le moindre mais le plus grand commandement de Jésus-Christ, et pour l'avoir enseigné et violé en même temps, vous serez regardé comme le dernier dans le royaume de Dieu. Si vous croyez amoindrir votre prélature en la soumettant aux chefs du sacerdoce, pourquoi voulez-vous de plus être encore le dernier dans le royaume de Dieu? Si vous avez tant d'orgueil, ressentez donc plus de confusion d'être appelé le dernier que d'être simplement l'inférieur d'un autre, car il est évident qu'il est moins humiliant d'être moindre qu'un autre que d'être le dernier de tous, et, après tout, il est bien plus honorable de n'avoir que les évêques au-dessus de soi que d'y avoir tout le monde.

33. Mais, dira-t-on, ce n'est pas pour moi que je le fais, je ne cherche qu'à assurer la liberté de mon monastère. O liberté plus esclave, si j'ose le dire, que l'esclavage même! puissé-je me priver sans peine d'une pareille liberté avec laquelle je tombe sous la pire des servitudes, sous celle de l'orgueil. Je crains bien plus la dent du loup que la houlette du pasteur; car je suis intimement convaincu que tout moine et même tout abbé que je sois, je n'aurai pas plutôt secoué le joug de l'autorité de mon évêque, que je serai asservi à la tyrannie du démon. En effet, cette bête féroce, qui tourne autour de nous, cherchant qui dérober, ne voit pas plutôt un de nous s'éloigner des pasteurs qui le gardent, qu'il se jette sur cette brebis présomptueuse. N'a-t-il pas raison d'ailleurs de réclamer aussitôt cet orgueilleux pour son sujet, lui qui se vante à bon droit de régner sur tous les enfants de l'orgueil ? Hélas!. qui me donnera cent pasteurs pour me garder? Plus est grand le nombre de je ceux qui veillent sur moi, plus je vais paître en sûreté. Etrange folie ! Je ne fais aucune difficulté de me charger de la garde d'une foule de religieux et je ne puis supporter la pensée qu'un seul homme veille sur moi! Et pourtant ceux que je gouverne me donnent de l'inquiétude, car je devrai rendre compte pour chacun d'eux, tandis que « ceux qui sont chargés de me conduire veillent assidûment, parce qu'ils devront répondre de moi un jour (Hebr., XIII, 17). » Les premiers sont pour moi une charge plus encore qu'un honneur, les seconds sont une protection bien plutôt qu'une charge. J'ai lu quelque part « qu'un jugement sévère est réservé à ceux qui sont préposés à la conduite des autres, tandis que pour les petits, il leur sera fait miséricorde (Sap., VI, 6). » Qu'y a-t-il donc pour vous, ô moines; de lourd et de pénible dans l'autorité du prêtre? Avez-vous peur qu'il se montre violent? Mais si vous souffrez jamais pour la justice, estimez-vous heureux. Vous répugne-t-il de vous soumettre à des séculiers? Mais où trouver plus homme du siècle que Pilate, devant lequel le Seigneur comparut pour être jugé? « Vous n'auriez aucun pouvoir sur moi, lui dit Jésus, s'il ne vous avait été donné d'en haut (Joan., XIX, 11), » proclamant ainsi dès lors par ses paroles et son exemple la vérité qu'il chargea plus tard ses apôtres de répandre dans l'Eglise en ces termes : « Il n'y a point de pouvoir qui ne vienne de Dieu (Rom., XIX, 1), et celui qui résiste au pouvoir se révolte contre l'ordre établi de Dieu même (ibid., 2). »

36. Allez donc maintenant, osez résister au vicaire de Jésus-Christ, quand Jésus-Christ n'a pas lui-même résisté à son propre ennemi; ou bien dites, si vous l'osez, que Dieu ne reconnaît point l'autorité d'un homme qui est son pontife quand il déclare que le pouvoir qu'un simple gouverneur romain a sur lui il l'a reçu du ciel. Mais quelques-uns de ces abbés font bien voir quelles pensées les animent, quand ils n'épargnent ni peines ni dépenses pour obtenir du Saint-Siège des privilèges dont ils s'autorisent ensuite pour se revêtir des insignes de l'épiscopat (a), et porter, comme les évêques, la mitre, l'anneau et les sandales. Certainement, si on considère l'éclat de ces ornements, il n'est rien de plus incompatible avec l'état religieux ; et si on le regarde comme des symboles, il est clair qu'ils ne peuvent convenir qu'aux évêques. Evidemment ces abbés voudraient être ce qu'ils affectent de paraître, et on ne saurait s'étonner après cela qu'ils ne pussent souffrir comme supérieurs ceux à qui ils se comparent déjà dans leurs désirs; s'il y avait au monde une autorité qui pût leur permettre de prendre le titre d'évêques, quelles sommes ne donneraient-ils pas pour acheter le droit de le porter! A quoi pensez-vous donc, ô moines? Et vous ne tremblez pas, vous ne rougissez pas ? Mais quel religieux cligne de et, nom vous a jamais prêché de telles maximes ou laissé de pareils exemples? Votre législateur distingue dans l'humilité douze degrés dont il vous donne la définition (Reg. Rened., cap. 7) Dans lequel, dites-moi, est-il dit et marqué qu'un moine peut aimer le faste et rechercher toutes ces dignités ?

37. Le travail, la retraite, la pauvreté volontaire, tels sont les vrais ornements d'un religieux, voilà ce qui honore la vie monastique. Mais vos yeux ne se portent que sur tout ce qui est grand et fastueux, vos pieds foulent sans cesse toutes les places publiques, on n'entend que vous dans toutes les assemblées, et vos mains ne sont occupées qu'à recueillir le patrimoine des autres. Malgré cela, si, non contents de vous être soustraits à la juridiction des évêques, vous prétendez aller de pair avec les successeurs des Apôtres, avoir comme eux un trône à l'église, et vous revêtir avec pompe de toutes les marques de leur dignité, pourquoi ne conférez-vous pas comme eux les ordres sacrés (b) et ne bénissez-vous pas aussi les peuples ? Que n'aurais-je pas encore à dire contre tant d'impudence et de présomption? Mais, en pensant que je m'adresse à un archevêque dont le temps est réclamé par tant d'autres affaires,

a Ils finirent en effet par bénir les peuples et par conférer d'abord les ordres mineurs puis le sous-diaconat lui-même, comme nous voyons que le firent les cinq premiers abbés de l'ordre de Cîteaux.

b C'est vers le Xe siècle, selon notre Paul Lange dans sa Chronique, à l'année 1390, que s'introduisit parmi les abbés l'usage qu'il réprouve de porter les insignes épiscopaux. Le pape Lucius III força, en vertu de la sainte obéissance, l'abbé de la Chaise-Dieu, nommé Lautelme à les porter. Le pape Léon IX accorda au prêtre célébrant, au diacre et au sous-diacre de l'église de Besançon le droit de porter à certaines fêtes, la mitre, l'anneau et les sandales, comme on le voit dons les pièces justificatives de l'histoire de Tonnerre, page 358 et 362.

je crains de le fatiguer par une trop longue lettre ; et d'ailleurs il s'agit d'abus si manifestes, que la multitude même des censures qu'ils ont provoquées semble avoir endurci dans ce mal ceux à qui ils s'adressent. Si le peu que j'ai dit dépasse encore les bornes de la brièveté requise pour un opuscule, ne l'imputez qu'à vous, Monseigneur, qui m'avez contraint de trahir mon inexpérience dans cet écrit, où je n'ai su me renfermer dans les limites voulues parles lois de l'usage.

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NOTES POUR LE SECOND TRAITÉ DE SAINT BERNARD SUR LES MOEURS ET LES DEVOIRS DES ÉVÊQUES.

CHAPITRE II, n. 4.

250. Ce n'est pas par le luxe des vêtements, le faste des équipages, la somptuosité des palais...... que vous rendez votre ministère honorable. Le IV concile de Carthage auquel saint Augustin assista, s'exprime en ces termes: « L'évêque n'aura que des meubles d'une grande, simplicité, sa table et sa manière de vivre seront celles des pauvres, il ne cherchera à rehausser l'éclat de sa dignité que par sa foi et par la sainteté de sa vie. L'évêque d'Hippone cite lui-même ces paroles et les appuie de tout le poids de son autorité, engageant les évêques à tellement régler leurs mœurs, qu'ils deviennent pour tous les fidèles, des modèles de frugalité, de modestie, de continence et de sainte humilité. Après avoir rapporté les propres paroles du concile de Carthage, ce saint docteur continue en disant qu'il voudrait que les prêtres dans toutes les autres habitudes de la vie et dans leur intérieur s'abstinssent de. tout ce qui peut sembler étranger à leur état, et ne sent pas la simplicité, le zèle des choses de Dieu, et le mépris des vanités (Sess. XXV, cap. I, de Reform.). »

Il y a bien des gens qui croient à tort qu'il est convenable, nécessaire même aux prélats de s'entourer d'éclat, de faste et de magnificence pour rehausser l'honneur de leur dignité; il n'est pas d'opinion plus opposée tant aux saints canons et aux décrets des conciles, qu'à la doctrine unanime des Pères de l'Église, aux exemples des plus saints prélats et aux lumières même de la raison, comme il nous serait facile de le démontrer, si tel était le but que nous nous proposions dans cette note; et comme nous ne manquerons pas de le faire avec toute l'étendue désirable quand nous publierons, sur la discipline ecclésiastique, un ouvrage qui aura pour titre Le zèle de la maison de Dieu. Mais en attendant, on peut lire sur ce sujet Barthélemy des martyrs, archevêque de Prague, de l'ordre des Dominicains, livre dernier de l'Aiguillon des Pasteurs, seconde partie, chapitre VI, qu'il a fait suivre d'un très-savant traité des Novas des prélats , du père Louis, de Grenade, célèbre prédicateur, du même ordre, où la même pensée se trouve développée avec autant de savoir que d'élégance; puis Antoine Molina dans son Instruction aux prêtres, traité II, chapitre XIII, ce livre devrait se trouver dans les mains de tous les, ecclésiastiques; Lindeau, évêque de Ruremonde, Traité pour les ecclésiastiques,. sur l'impénitence, livre II, page 115; Henri Gnick; également évêque de Ruremonde, lettre deuxième, Au clergé de ce diocèse; Gerson, chancelier de Paris, tome II, traité de la Tempérance des prélats, page 543 et suivantes, et tome I, page 202, des Signes de la ruine de l'Église. On peut ajouter à ces auteurs Bellarmin, des Devoirs des princes chrétiens, livre I, chapitre V; Platus, des Cardinaux, chapitre XVI; Rodriguez, seconde partie des exercices, traité III, chapitre XXIX, où il enseigne, en s'appuyant sur le témoignage de saint François Xavier, comment on acquiert et on conserve l'autorité, et pourquoi elle est si avilie de nos jours dans les mains des prélats.

251. Tous ces auteurs enseignent d'une voix unanime et montrent, par des raisons sans réplique et des exemples très-graves, qu'on ne s'acquiert le respect et la vénération des peuples que par de vraies et solides vertus, non pas par un éclat extérieur; un tel appui bien que beaucoup s'en contentent est bien ruineux, il finit par être nuisible à l'autorité et par engendrer le mépris. Il est facile de prouver par l'exemple de saints Prélats qu'il en est habituellement ainsi. En effet, pour n'en citer que quelques uns entre mille, quelle ne fut point l'ascendant des Bazile, des Martin, des Augustin et des Chrysostome? Or vit-on jamais moins de faste et d'éclat? Comment donc l'ont-ils obtenu? Il est certain que s'ils avaient voulu se L'assurer par les moyens dont ou fait tant usa;e de nos jours, il y a bien longtemps que leur mémoire aurait péri sur la terre et que leurs noms, aujourd'hui en honneur dans l'Église entière et bénis dans tous les siècles, seraient tombés dans le plus profond oubli; mais au lieu de rendre leur ministère honorable pendant les jours de leur vie mortelle par l'or, l'argent et les vêtements précieux, ils l'ont honoré par le mépris de toutes ces choses, par la pratique assidue des devoirs et des obligations de leur état, et par un grand amour de l'humilité, de la modestie, de la charité et dès autres vertus. Mais tout cela se trouve traité avec autant d'élégance que de talent dans les ouvrages que nous avons indiqués plus haut, auxquels nous empruntons volontiers quelques lignes sur le sujet qui nous occupe, afin que la vérité appuyée sur tant d'auteurs ait plus de poids et blesse moins ceux qu'elle concerne.

252. Mais comme la différence des temps est apportée en excuse par tous ceux qui sont tombés dans la négligence et l'oubli des obligations d'un état trop élevé pour eux, et que, dans la pensée qu'ils ne sauraient par la vertu seule, rendre leur ministère honorable et influent, ils ont recours pour y réussir à ces indignes et faibles moyens, en répétant partout cet adage, autres temps, autres mœurs; nous feus citerons l'exemple d'un saint prélat de notre siècle, dont l'autorité et la considération furent d'autant plus grandes que sa vie était plus modeste, sa frugalité plus remarquable et son mépris du faste plus complet. Voici comment Jérôme Platus en parle dans s'on traité des Devoirs des cardinaux, chapitre XVI : « Le moyen le plus sûr et le meilleur pour acquérir de l'influence parmi les hommes, c'est la vertu, l'intégrité, la gravité; la religion et la piété, quand elles sont assez grandes et ont assez d'éclat pour attirer les regards.» Après avoir prouvé ce qu'il avance, l'exemple de Nicolas évêque de Myre, il ajoute : « Mais qu'est-il besoin d'invoquer le passé ? Le cardinal Borromée n’est-il pas là: pour empêcher qu'on ne s'en prenne aux exigences des temps ? Qui ne connaît en effet son mépris pour les meubles de prix, les tentures, les tapis et toutes les choses de cette nature. Quand à ses vêtements, ceux de dessus étaient tels qu'un cardinal doit les avoir; mais pour ceux de dessous, ils étaient de drap commun et de toile; les tentures de sa chambre à coucher étaient d'étoffes grisâtres, grossières et communes, il ne les renouvela point pendant quatorze ans entiers; il en fut ainsi de beaucoup d'autres choses dont il continua de se servir pendant toute sa vie; il est superflu de les citer en détail, ce sont des faits trop récents et trop bien connus pour cela. Or que perdit-il de sa grandeur à vivre comme il le fit? il la rendit plus éclatante encore, car il est facile à une foule de gens de se donner des choses de prix, il suffit pour cela d'avoir non de la vertu mais de l'argent, ce qui peut parfaitement arriver et même arrive souvent à des hommes sans beaucoup d'esprit; mais le dédaigner, voilà qui est le fait d'un homme sage et ce qui donne de la gloire et de la considération. » Tel est le langage de Platus. Charles, de la basilique de Saint-Pierre, évêque de Novare, l'éloquent Historien de la Vie de saint Charles Borromée, s’exprime à peu près de même, livre VII, chapitre VI. « Il s'est trouvé des gens, dit-il, qui ont trouvé à reprendre dans Charles Borromée, la simplicité de son cortège et son goût pour tout ce qui sentait l'humilité; et qui se plaignaient de ce qu'il amoindrissait en quelque sorte la haute dignité dont il était revêtu. On s'en plaignit même au pape Pie V; ce saint pontife ne trouva rien à blâmer dans les raisons par lesquelles Charles Borromée justifia sa manière de vivre, car il disait que les ministres de Dieu, ne doivent pas demander l'estime et la considération aux ornements humains mais aux vertus de leur état. L'événement l'a bien montré, toute son histoire est une preuve que la simplicité de mœurs et l'humilité unies à la gravité et à la sainteté, procurent auprès des grands et des petits beaucoup plus d'honneur et de considération que ne le feraient toute la pompe et tout le faste possibles. »

253. Qu'ils ne recouvrent plus d'hermines rouges oit de gueules, etc. On peut donner deux raisons de ce mot. Premièrement on peut dire avec une certaine apparence de justesse qu'il vient du grec gouna vêtement de peaux, après le changement de la lettre, n en l. Ainsi Guibert écrivant à l'évêque Lulle lui dit : « J'ai envoyé à votre fraternité une gonne (gunam) de peaux de loutres. » Ce changement de n en l n'est pas nouveau : ainsi nous voyons dans varron vallus pour vannus et dans Pline, evallere pour evannere, livre XVIII, chapitre x, ainsi que Dausque en fait la remarque dans son Orthographe. En second lieu, plusieurs auteurs pensent qu'on s'est servi chez nous du mot' gueule pour désigner des peaux teintes en rouge, par une sorte de métaphore qui a passé dans l'art du blason, tirée de ce que les peaux ou les gueules des bêtes étaient tachées de sang après qu'elles s'étaient déchirées à belles dents pendant les combats de bêtes qu'on donnait dans l'amphithéâtre. Les peaux dont parle ici notre Saint, étaient de rats du Pont ou d'autres espèces d'animaux à fourrure, qui prenaient le nom de gueules à cause de la teinte rouge qu'on leur donnait. Quant à l'usage qu'on en faisait on peut s'en rendre compte par ce passage d'une parabole que nous trouvons faussement attribuée à saint Bernard dans plusieurs éditions de ses couvres bien que le style et la pensée ne permettent point de l'en croire l'auteur. « Un tel époux dit l'auteur de cette parabole, vient-il les mains vides à son épouse? Non certes, il lui apporte des présents qu'il s'empresse de lui offrir. Comme on est en hiver il lui donne avant tout des habits comme en réclame la saison, une pelisse de peaux d'agneaux et une cappe. Ces deux vêtements viennent également d'un agneau, mais avec cette différence que la cappe on se la procure sans faire souffrir l'agneau, car elle n'est faite que de laine, tandis que l'autre, la pelisse, pellicea, est la peau même de l'agneau, et on ne peut l'avoir qu'en causant une grande douleur à la bête. Or l'Époux c'est l'agneau... il a fait une cappe de sa laine à son épouse quand il lui a enseigné l'humilité par ses paroles. Mais la pelisse , il l'a lui a donnée au prix de ses veilles, de ses jeûnes, de toutes les autres mortifications de sa chair et enfin de sa passion et de sa mort sur la croix quand il enseigne la mortification à son épouse par son propre exemple. La pelisse qui se fait de peaux d'animaux morts rappelle la mortification. Voilà les vêtements d'hiver. Mais à Pâque il donne à son épouse une pelisse d'hermine autour du cou, et sur les mains, des peaux de gueules rouges. La pelisse de l'épouse est donc d'hermine lui est blanche et qui convient à la joie spirituelle que donne l'espérance de la résurrection, elle couvre le cou et la poitrine mais sur les mains ce sont des fourrures de gueules rouges, parce que la passion du Christ, qu'elle a constamment à la bouche, qu'elle sent au fond de son cœur, elle l'atteste par ses œuvres. Le Christ donne aussi à son épouse à Pâques, des chaussures en cuir de Cordoue, etc. voir les Déclamations n. 10, et la lettre deuxième, n. 11. »

On peut se convaincre que, du temps de saint Bernard, l'usage des fourrures était très répandue non-seulement parmi les clercs et les religieux, mais même chez les laïcs et parmi les femmes, par ce que dit Duchesne dans ses notes aux rouvres de Pierre le Vénérable, lettre vingt-huitième, livre I.

Benoît XII semble faire allusion aux gueules dans la bulle ad decorem, quand il dit: « Nous défendons auxdits chanoines de porter désormais des fourrures faites de la peau du ventre de divers animaux entremêlée avec celle du dos ; qu'ils se servent des mêmes fourrures que tout le monde, simples, blanches, noires ou grises, etc. »

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