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MÉDITATIONS TRES-PIEUSES. SUR LA CONNAISSANCE DE LA CONDITION HUMAINE.

CHAPITRE I. De la dignité de l’homme.

CHAPITRE II. De la misère de l'homme, de l'horreur de la mort, et de la sévérité du jugement dernier.

CHAPITRE III. De la dignité de l’âme et de la vileté du corps.

CHAPITRE IV. De la récompense de la Patrie céleste.

CHAPITRE V. De l'examen quotidien de soi-même.

CHAPITRE VI. De l'attention qu'il faut avoir au temps de la prière.

CHAPITRE VII. De la garde du cœur, et du zèle pour la prière.

CHAPITRE VIII. Qu'il faut détester la négligence ou l’incurie qui se glissent dans la prière.

CHAPITRE IX. De l’inconstance du cœur humain.

CHAPITRE X. Du peu de résignation à la correction et de l'accusation de ses défauts et de ses vices.

CHAPITRE XI. De la conscience qui nous suit sans cesse pour nous faire sentir les remords.

CHAPITRE XII. De trois ennemis de l'homme, de la chair, du monde et du démon.

CHAPITRE XIII. De l'attaque de ces trois ennemis.

CHAPITRE XIV. Du désir de la patrie céleste et du souverain bonheur que l'on y goûte.

CHAPITRE XV. Des propriétés et des affections du vieil homme : de sa mortification et de son changement par Jésus-Christ.

MÉDITATIONS TRES-PIEUSES. SUR LA CONNAISSANCE DE LA CONDITION HUMAINE.

« Dans presque tous les manuscrits, ces méditations sont attribuées à saint Bernard et portent souvent le titre . « de l'homme intérieur. » On les trouve néanmoins chez Hugues de saint Victor, sous la désignation de « Livre quatrième de l'âme » : bien qu'elles ne paraissent pas être de lui. Dans la copie de Dun, elles portent cette épigraphe : Traité utile composé des paroles du B. Bernard, Abbé de Clairvaux et d'autres Pères, sur l'homme intérieur, comment il trouve Dieu. Parfois on y rencontre des sentences de saint Ambroise, de saint Augustin et de Boéce, de Sénèque même; sentences souvent louées comme étant de saint Bernard, dans le Bernardin, ou très vieux livre des fleurs cueillies dans les écrits de ce docteur, dans le livre V. aux chapitres X. XI. XIH, XVII. XLIV. XLVIII. bien que dans ces mêmes méditations, on cite quelques petits passages des œuvres de ce saint docteur qui sont vulgairement connues. Elles ne sont point indignes de lui, néanmoins, elles ne nous semblent pas tombées de sa plume, soit à cause de la différence du style, soit à cause des vers qui s'y trouvent cités, chose que saint Bernard ne faisait pas : ne parlons pas de cette confession des péchés, qui se trouve à partir du chapitre IX, bien différente de celle qui est dans les œuvres de saint Bernard, au traité des degrés de l'humilité, chapitre XVIII. »

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CHAPITRE I. De la dignité de l’homme.

1. Beaucoup de personnes ont de grandes connaissances et s'ignorent elles-mêmes. Elles considèrent les autres et s'abandonnent elles-mêmes. Elles cherchent Dieu par ces objets extérieurs, et quittent leur intérieur, au centre duquel le Seigneur se trouve. C'est pourquoi, de l'intérieur je reviendrai à l'extérieur, et des choses inférieures, je m'élèverai aux supérieures : afin de pouvoir connaître soit d'où je viens, soit où je vais; qui je suis, ou d'où je tire mon origine, afin, en me connaissant ainsi, de pouvoir parvenir à la connaissance de Dieu. Car plus je fais de progrès dans ma propre connaissance, plus j'avance dans la connaissance de cet être souverain. Selon l'homme intérieur, je trouve en mon âme trois choses par lesquelles j'honore Dieu, je le vois et je le désire. Ces trois choses sont, la mémoire, l'intelligence, la volonté ou l'amour. Par la mémoire, je me souviens; par l'intelligence, je vois; par la volonté, je saisis. En me souvenant du Seigneur, je le trouve dans ma mémoire, et par elle, en lui et de lui, je goûte ses jouissances selon qu'il daigne lui-même me l'accorder. Par l'intelligence, je considère ce qu'est Dieu en lui-même; ce qu'il est dans les anges, dans les saints, dans les écritures, dans les hommes. En lui même, il est incompréhensible , parce qu'il est le principe et la fin, principe sans principe, fin sans terme. Par moi, je comprends combien Dieu est incompréhensible, puisque je ne puis me comprendre, moi qui suis son ouvrage. Il est désirable, dans les anges, parce que ces esprits célestes souhaitent porter les yeux sur lui; il est source de joie dans les saints, parce qu'ils se réjouissent en lui et trouvent en lui leur bonheur ; il est admirable dans les créatures, parce qu'il crée avec puissance, gouverne avec sagesse et admirable avec bonté, tout ce qui existe ; il est aimable dans les hommes, parce qu'il est leur Dieu et qu'ils forment son peuple. Il habite en eux comme dans son temple, et ils forment sort temple : il ne dédaigne aucun d'eux considéré, soit individuellement, soit uni à tous les autres; car l'ensemble lui est aussi agréable. Quiconque se souvient de lui, le comprend, l’aime, et se trouve avec lui.

2. Nous devons l'aimer, parce que le premier, il nous a chéris et nous a créés à son image et ressemblance, distinction qu'il n'a voulu accorder à nulle autre créature. Nous avons été faits à l'image de Dieu, c'est-à-dire, selon l'intelligence et la connaissance du Fils, par lequel nous comprenons et connaissons le Père et avons accès auprès de lui (Jean. IV, 23 et Gen. I, 27). Il y a, entre: nous et le Fils de Dieu, une parenté telle, qu'il est l’image de Dieu et que nous avons été formés à sa ressemblance : cette similitude elle-même, atteste cette parenté, puisque nous avons été formés non-seulement à son image, mais encore à sa ressemblance. Il faut donc, que ce qui a été fait à l'image convienne avec cette image, et ne porte point en vain ce nota d'image. Reproduisons donc en nous cette similitude par le désir de la paix, par la vue de la vérité et par l'amour de la charité. Recevons le Seigneur dans la mémoire, portons-le dans notre conscience et vénérons en tous lieux sa présence. Car notre esprit est son image en tout, parce qu'il est capable de le connaître et peut-être participant de lui. Il n'est point son image parce qu'il se nomme de soi-même, se comprend et s'aime; mais parce qu'il peut se souvenir, comprendre et aimer celui par qui il existe; et quand il le fait, il devient sage. Rien en effet, n'est aussi semblable à cette sagesse souveraine que l'âme raisonnable qui par la mémoire, l'intelligence et la volonté, se fixe en cette Trinité. Or, elle ne peut s'y fixer qu'en s'en souvenant, qu'en la comprenant et qu'en l'aimant. Qu'elle se souvienne donc de Dieu, à l'image de qui elle a été faite, qu'elle le comprenne, qu'elle le chérisse, qu'elle l'honore, cet être en la société de qui, elle peut toujours être heureuse. Ame bienheureuse, en qui Dieu trouve le repos, et sous la tente de qui elle se repose. Heureuse est-elle de pouvoir dire : et celui qui m'a créée s'est reposé sous ma tente (Eccli. XXIV, 12). Car, il ne pourra pas lui refuser le repos du ciel.

3. Pourquoi nous abandonnons-nous donc, pourquoi cherchons-nous dans les objets extérieurs, le Seigneur qui est en nous, si nous voulons être avec lui ? Il est réellement avec nous et en nous; mais par la foi encore, jusqu'à ce que nous méritions de le voir en face. Nous savons, dit l'Apôtre, que le Christ habite par la foi dans nos cœurs (Eph. III, 17). Parce que le Christ est en la foi, la foi dans l'esprit, l'esprit dans le cœur, le cœur dans la poitrine. Par la foi j'honore donc le Créateur, j'adore le Rédempteur, j'attends le Sauveur. Je crois lé voir en toutes les créatures, l'avoir en moi et, ce qui est encore plus agréable et plus heureux que tout cela, le connaître en lui-même. Car connaître le Père et le Fils avec le Saint-Esprit, c'est la vie éternelle, la béatitude parfaite, la suprême jouissance. L'œil n'a pas vu, l'oreille n'a pas entendu, le cœur de l'homme n'a point goûté quelle clarté, quelle suavité et quel bonheur nous attendent en cette vision par laquelle nous verrons Dieu face à face, ce grand Dieu, qui est la lumière de ceux qui sont éclairés, le repos de ceux qui sont fatigués, la patrie de ceux qui reviennent, la vie de ceux qui existent et la couronne de ceux qui triomphent. De la sorte, je trouve en mon âme une certaine image de cette Trinité souveraine ; à cette Trinité suprême, je dois rapporter tout ce qui fait ma vie, pour l'honorer, la contempler et l'aimer; pour me souvenir d'elle, trouver en elle mes délices, pour la saisir et la voir. L'âme est l'image de Dieu, on y trouve ces trois choses : la mémoire, l'intelligence et la volonté. A la mémoire, nous rapportons tout ce que nous savons, bien que nous n'en tirions pas l'exercice de notre pensée. A l'intelligence, nous rapportons toute vérité que nous découvrons par nos réflexions et que nous confions aussi à la mémoire : à la volonté, tout ce que n us désirons de bon et de vrai, après l'avoir compris et connu. Par la mémoire, nous sommes semblables au Père, par l'intelligence, au Fils, par la volonté, au Saint-Esprit. Rien en nous, n'est aussi semblable au Saint-Esprit que la volonté, ou l'amour ou l'affection, qui est une volonté plus excellente. Car la dilection, est un don de Dieu, au point qu'il n'est point de présent de Dieu qui soit meilleur. Car cette dilection est de Dieu, elle est Dieu, on l'appelle proprement le Saint-Esprit, c'est par elle que la charité de Dieu est répandue dans nos cœurs et que toute la Trinité habite en nous. (Rom. V, 5).

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CHAPITRE II. De la misère de l'homme, de l'horreur de la mort, et de la sévérité du jugement dernier.

4. Selon l'homme extérieur, je descends de ces parents, qui m'ont rendu pécheur, condamné avant que je fusse né. Pécheurs, ils ont engendré dans leur péché un pécheur et l'ont nourri du péché. Malheureux, ils ont enfanté un malheureux, à la lumière misérable de ce jour. Je n'ai rien d'eux, si ce n'est la misère et le péché et le corps corruptible que je porte. Et je me hâte, à chaque instant, de les rejoindre, eux, qui sont sortis de la terre par la mort du corps. Quand je regarde leurs tombeaux, je n'y trouve que cendres et vers, qu'horreur et pourriture. Ce que je suis, ils l'ont été et je serai ce qu'ils sont. Que suis-je ? Un homme sorti d'un élément liquide. Au moment de la conception, j'ai été formé de la semence humaine, ensuite cette écume coagulée , en se développant un peu est devenue chair, pleurant et gémissant j'ai été livré à l'exil de ce monde , et voici que déjà je meurs plein d'iniquité et d'abomination. Bientôt je serai mené en présence du juge sévère, pour rendre raison de mes œuvres. Malheur à moi, quand viendra ce jour du jugement, quand seront ouverts ces livres d'où seront tirés tous mes actes et toutes mes pensées, pour être récitées devant le Seigneur. Alors, la tête baissée à cause de la confusion de ma conscience coupable, je serai tremblant et agité devant le Seigneur, me rappelant les iniquités que j'aurai commises. Et lorsqu'on dira de moi : voici l'homme et ses couvres; je ramènerai devant mes yeux toutes mes fautes. Car la puissance divine fera que, pour chacun, les couvres bonnes et mauvaises se représenteront à sa mémoire et seront vues en un clin-d'œil avec une promptitude merveilleuse : afin que la science que l'on acquerra ainsi, accuse ou excuse la conscience, et qu'ainsi à la fois, chacun en particulier et tous ensemble, soient également jugés.

« Chacun jugera ses actions, et le regard

de tous plongera au fond du cœur de tous. »

Ce que nous avons à présent honte d'avouer, sera révélé alors à tout le monde, et ce que nous dissimulons ici-bas, la flamme vengeresse le brûlera tout, en ce lieu.

« Ce feu terrible, sans que rien retienne

ses ardeurs, promènera partout ses ravages. »

Plus longtemps Dieu nous attend afin que nous nous corrigions, plus sévèrement il nous jugera, si nous négligeons de le faire.

5. Pourquoi donc, désirons-nous si ardemment cette vie qui ne s'augmente que pour multiplier le nombre de nos péchés ? Les fautes y croissent en nombre avec les journées. Car, à chaque jour où les maux augmentent, les biens sont retranchés : l’homme est constamment agité par la prospérité et par l'adversité, et il ignore le moment de la mort. Comme dans le firmament, une étoile brillante file avec rapidité et s'éteint subitement, et comme une étincelle de feu, est de suite réduite en cendres et cesse de jeter un éclat,

« Ainsi on voit brusquement finir la vie

présente, tandis que l'homme reste avec joie et grana plaisir en ce monde, pensant qu'il vivra longtemps, et disposant de cette longue durée de jours, pour faire beaucoup de choses. »

Il est soudain enlevé par la mort, et à l'improviste l'âme est arrachée au corps. Cette séparation se fait avec grande crainte et avec grandes douleurs. Car les anges viennent la prendre pour la conduire devant le tribunal du juge redoutable : et alors, cette âme infortunée se rappelant les œuvres mauvaises et les coupables qu'elle a commises la nuit et le jour, tremble, cherche à les éviter, demande un délai accordez-moi ne fut-ce qu'une heure. Alors, prenant toutes la parole à la fois, ces œuvres lui diront : tu nous as faites, nous sommes tes actes. Nous ne te quittons pas, mais toujours nous resterons avec toi, avec toi nous irons au jugement. Les vices eux aussi, 1accuserout d'une grande quantité de scélératesses, et trouveront contre elle plusieurs fausses accusations, quoique les griefs réels et fondés, fussent suffisants pour la faire condamner. Des démons l'épouvanteront par leur aspect terrible et affreux, ils la poursuivront avec une fureur extrême et la saisiront, voulant avec autant de cruauté que d'effroyable rage, retenir et l'avoir, si personne ne la vient arracher. Cette âme malheureuse, trouvant alors fermés les yeux, la bouche et les autres sens du corps, par lesquels elle avait coutume de sortir et de trouver les délectations au-dehors, revient en elle-même ; et se trouvant seule et nue, agitée d'une frayeur extrême, saisie de désespoir, elle défaillera en elle-même et tombera au-dessous de soi, et parce qu'elle avait abandonné l'amour de Dieu, pour l'amour du monde et la volupté de la chair, à l'heure d'une nécessité si pressante, Dieu l'abandonnera, et elle sera livrée aux démons, pour être tourmentée dans l'enfer.

6. Ainsi, l'âme du pécheur au jour qu'il ignore, à l'heure qu'il ne sait pas, est enlevée par la mort, séparée du corps, et se met en route pleine de misères, tremblante et souffrante; et n'ayant aucune excuse pour justifier ses fautes, elle est anéantie et redoute de comparaître devant le Seigneur. Elle est saisie d'une horreur extraordinaire, elle est agitée par le mouvement de ses pensées nombreuses, lorsque la dissolution de la chair commençant à se faire sentir, tout lui manquant à la fois, elle se considère et considère le terme vers lequel elle s'achemine et, peu après, rencontre l'état fige qui ne pourra jamais être modifié. Elle examiné avec quelle sévérité arrive le juge éternel, et qu'elles excuses elle peut alléguer à une autorité si rigide. Car si elle a évité toutes les œuvres qu'elle a pu comprendre; néanmoins sur le point de comparaître devant ce juge redoutable, elle craint surtout qu'elle ne comprend pas en elle-même. La frayeur s'accroît, lorsqu'elle pense, qu'elle n'a pu suivre sans faute, le chemin de la vie, présente, et même ce qu'il y a de louable dans sa conduite, n'est pas sans quelque tache, si on l'examine, en écartant la miséricorde; qui, en effet, pourrait considérer combien de mal nous faisons dans les moments de notre passage sur la terre, combien de bonnes actions nous négligeons. Car de même faire que le mal. est un péché, ainsi, c'est une faute de ne pas faire le bien. Nous subissons une grande perte, lorsque nous n'opérons pas le bien, lorsque nous ne le pensons pas, laissant notre cœur errer sur les choses vaines et inutiles. Il est bien difficile de retenir le cœur, et de l'éloigner des pensées illicites. Il est aussi difficile de vaquer, sans commettre de fautes, aux occupations terrestres. C'est pourquoi, nul ne peut se juger et se comprendre parfaitement lui-même; mais enlacé dans un grand nombre de pensées, l'homme se demeure inconnu à lui-même en quelque manière, de sorte qu'il ne sait pas entièrement ce qui se passe en son intérieur et qu'il ignore tout-à-fait ce qu'il porte en lui. Aussi la fin approchant, une crainte plus subtile l'effraie; car bien qu'il se souvienne de n'avoir pas omis ce qu'il a su, il redoute néanmoins ce qu'il ne sait pas.

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CHAPITRE III. De la dignité de l’âme et de la vileté du corps.

7. O âme, anoblie par l'image de Dieu, décorée de la ressemblance que tu as avec le Seigneur, épousée par la foi, enrichie de l'esprit; rachetée par le sang, mise au rang des anges, capable de béatitude héritière de la bonté, munie de la raison, qu'as-tu de commun à cette chair qui te fait souffrir ? A cause du corps, les péchés d'autrui te sont imputés, et tes justices sont regardées comme des linges souillés, et toi-même tu es comme réduite au néant, et réputée comme rien. Cette chair, avec qui tu as une société si intime, n'est pas autre chose que de l'écume devenue chair, revêtue d'une fragile beauté; mais un temps viendra, qu'elle sera un cadavre misérable et pourri, et la nourriture des vers. Car, quelque soin que l'on prenne d'elle, elle est toujours chair. Si vous examinez avec attention ce qui sort par la bouche, ce qui s'échappe des narines, et des autres issues du corps, jamais vous n'avez vu un fumier plus vil. Si vous voulez énumérer toutes ses misères, et voir combien elle est chargée de péchés, enveloppée de vices, démangée par les concupiscences, dominée par les passions, souillée par les illusions, toujours portée vers le mal, et vers tout vice, vous la trouverez remplie de confusion et d'ignominie. A cause de la chair, l'homme est devenu semblable à la vanité; c'est d'elle qu'il a tiré le vice de la concupiscence qui le courbe et le tient captif, qui lui fait aimer la vanité et opérer l'iniquité.

8. Examine, ô homme, ce que tu as été avant ta naissance, ce que tu es depuis ta naissance jusqu'à ta mort, et ce que tu seras après cette vie. Assurément, un temps fut où tu n'existais pas : ensuite tu as été formé d’une matière vile, enveloppé dans un linge très-vulgaire, nourri dans le sein maternel, du sang maternel, et ta tunique fat une seconde peau.

« Ainsi habillé, ainsi orné, tu es venu vers nous; Tu ne penses point combien vile est

ton origine.

La beauté, la faveur du peuple, la ferveur de la jeunesse, et les richesses,

T'ont empêché de connaître ce qu'est l'homme. »

L'homme n'est autre chose qu'une humeur fétide, un sac d'ordure, la pâture des vers.

« Après l'homme, le ver, après le ver la puanteur et l'horreur.

Ainsi l'homme devient ce qui n'est pas homme. »

Pourquoi donc s'enorgueillir , ô homme, en voyant que tu as été une vile semence, et du sang caillé dans le sein de ta mère? Exposé ensuite aux misères de cette vie, et au péché, tu seras ensuite dans le tombeau, ver et la pâture des vers. Pourquoi être orgueilleux, poussière et cendre ? Ta conception est une faute, ta naissance une misère, ta vie une peine, ta mort une angoisse.

« De quoi l'homme s'eriorgueillit-il ? Sa conception est une faute, sa naissance une peine, sa vie est un labeur, sa mort, une nécessité. »

Pourquoi ornes-tu et enrichis-tu ta chair que, dans peu de temps, les vers dévoreront dans le sépulcre ; pourquoi ne revêts-tu point de bonnes œuvres ton âme qui sera présentée dans le ciel, au Seigneur et à ses anges. Pourquoi la priser si peu et lui préférer le corps? Que la maîtresse soit servante et que la servante domine, c'est un grand abus. Tout le monde visible ne peut entrer en comparaison d'une seule âme. Car Dieu n'a pas voulu donner pour le monde sa vie, cette vie qu'il a donnée pour l'âme humaine. La valeur de l'âme est bien au-dessus de celle de l'univers, puisqu'elle n'a pu être rachetée que par le sang du Christ. Quel échange feras-tu pour ton âme, toi qui la donnes pour rien? N'est-il pas vrai que le Fils de Dieu, étant dans le sein de son Père, descendit pour elle du séjour royal, afin de la délivrer de la puissance des démons ? La voyant enchaînée dans les liens du péché, et sur le point

d'être livrée aux esprits infernaux pour être condamnée à une mort éternelle, il pleura sur elle, elle qui ne savait pas se pleurer : non-seulement il pleura, mais il se laissa tuer, afin de la racheter par le prix de son sang précieux.

« Regarde mortel, voilà la victime qu on immole pour toi. »

9. Reconnais, ô homme, combien noble est ton âme et combien graves ont été ses blessures, puisque, pour les guérir, il a fallu que Notre-Seigneur Jésus-Christ fût blessé. Si elles n'étaient pas allées jusqu'à donner la mort et la mort éternelle, jamais le Fils de Dieu ne serait mort pour leur porter remède. Ne méprise donc pas les souffrances de ton âme, quand tu vois la compassion qu'une si haute majesté éprouve à son sujet. Le Seigneur a pleuré pour toi : lave, toi aussi, chaque nuit dans ta couche la componction de ton cœur, et en ne cessant jamais de verser des larmes. Il a versé son sang en affligeant son corps tous les jours, répands, toi aussi, le tien, et si tu ne peux le donner d'un coup pour Jésus-Christ, verse-le par un martyre, plus doux mais plus long. Ne considère pas ce que la chair désire, mais ce que l'esprit demande. Tu seras glorieux quand il sera revenu à son Dieu ; si pourtant il n'entraîne avec lui aucun péché, et s'il a effacé toute souillure. Que si tu me dis: Cette parole est dure : je ne puis mépriser le monde et haïr ma chair; dis-moi où sont présentement les amateurs du monde, qui naguère étaient avec nous ? Il n'est rien resté d'eux, que des cendres et des vers. Considère attentivement ce qu'ils sont ou ce qu'ils ont été. Ils furent hommes comme toi, ils mangèrent, ils burent, ils rirent, et coulèrent leurs jours dans la joie, et en un instant ils descendirent dans les enfers, où leur chair est livrée aux vers. Là, leur âme est dévorée par les flammes, jusqu'à ce que, rapprochés par une union malheureuse, ils soient enveloppés dans le même incendie après avoir été complices du même crime. Une même peine unit ce que le même amour a lié dans le même péché. De quoi leur ont servi la vaine gloire, la joie courte, la puissance du monde, la volupté de la chair, les richesses trompeuses, les domestiques nombreux et la concupiscence mauvaise? Où sont leurs ris, où leurs jeux, où leur orgueil, où leur arrogance ? D'une si grande joie, quelle grande tristesse? Après une si petite volupté, quelle pesante misère ? De ces transports, ils sont tombés dans une infortune immense , dans une grande ruine et dans des tourments excessifs.

10. Ce qui leur est arrivé peut te survenir, parce que tu es homme : homme de terre, limon de limon. Tu es sorti de la terre, tu vis de la terre et tu retourneras dans le sein de la terre, quand arrivera le dernier jour qui fondra si promptement, et peut-être aujourd'hui sur toi. Il est certain que tu mourras : ce qui est incertain c’est le temps, c’est le mode, c’est le lieu de ta mort. Puisque le trépas t'attend partout, toi aussi, si tu es sage, tu l'attendras en tous lieux. Si tu suis la chair, tu seras puni dans la chair : si tu cherches les délices dans la chair, tu seras tourmenté dans le corps. Si tu recherches les habits précieux, pour ornement, on étendra la vermine sous toi et les vers seront tout ton vêtement. La justice de Dieu ne peut, en effet, juger autrement que selon nos œuvres. Celui qui aime plus le monde que le Seigneur, le siècle que le cloître, la voracité que l'abstinence, la luxure que la chasteté, suit le diable et ira avec lui aux supplices éternels. Quelle tristesse alors, quel deuil, quel chagrin , lorsque les impies, séparés de la société des saints et éloignés de la vision de Dieu, seront livrés à l'empire des démons, et iront avec eux au feu quine s'éteindra jamais; et en ces tortures, ils resteront à jamais plongés dans le deuil et les gémissements. Exilés loin de la bienheureuse patrie du Paradis, ils seront tourmentés dans une prison qui ne s'ouvrira jamais, jamais

ne verront la lumière, ils n'obtiendront jamais de rafraîchissements, mais seront affligés dans l'enfer durant des milliers de milliers d'années : à aucun moment ils n’en seront délivrés là, le bourreau n'est jamais fatigué, et la victime ne meurt jamais là, le feu brûle de manière à conserver toujours; les tourments se font toujours sentir en se renouvelant sans relâche. Selon le genre de ses péchés, chacun souffre la peine de l'enfer, et ceux qui ont commis des fautes pareilles souffrent des tourments semblables. On n'y entendra que pleurs et gémissements, que plaintes et hurlements, que regrets et grincements de dents; on n'y verra que des vers, et les visages effroyables des bourreaux, et l'aspect épouvantable des démons.

« Les vers cruels rongeront le fond du cœur.»

« De là, la douleur, la crainte, le gémissement, la stupeur et l'horrible terreur. »

Les malheureux réprouvés brûleront dans ce feu inextinguible, à jamais et au delà. Dans la chair, ils seront tourmentés par le feu, et le ver de la conscience les rongera dans l'âme. Ce sera la douleur intolérable, la cruauté effroyable, la puanteur insupportable, la mort du corps et de l'âme sans espoir de pardon et de miséricorde. Les damnés mourront cependant de manière à toujours vivre, et ils vivront de manière à toujours mourir. De sorte que l'âme du pécheur, ou bien est tourmentée dans l'enfer pour ses péchés, ou bien placée dans le Paradis en récompense de ses mérites. Maintenant choisissons l'un de ces deux partis : ou d'être toujours malheureux avec les impies, ou toujours heureux avec les saints. Le bien et le mal, la vie et la mort sont placés devant nous; nous pouvons tendre la main vers ce que nous voudrons. Si les supplices ne vous effraient point, qu'au moins les récompenses vous invitent.

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CHAPITRE IV. De la récompense de la Patrie céleste.

11. Cette récompense est de voir Dieu, de vivre avec Dieu, d'être avec Dieu, d'être en Dieu, qui sera tout en tous : de posséder Dieu qui est, le souverain bien. Et là où est le souverain bien, là est la souveraine félicité, l'agrément suprême, la vraie liberté, la charité parfaite, l'éternelle sécurité ; là est la vraie joie, la science complète, toute la beauté et toute la béatitude.

« Là est la paix, la piété, la bonté, la lumière, la vertu, le bien, les joies, l'allégresse, la douceur, la vie perpétuelle, la gloire, la louange, le repos, l'amour et, la douce concorde.

Ainsi sera heureux avec le Seigneur, l'homme en qui le péché n'aura pas été trouvé. Il verra Dieu à volonté, il le possédera et en jouira selon tous ses désirs. Il trouvera sa vigueur en son éternité, il brillera dans sa clarté, il se délectera dans sa bonté. Comme il aura l'éternité pour demeure, de même la facilité de connaître lui sera inébranlablement acquise avec le bonheur du repos. Il sera le citoyen de cette cité, dont les anges sont les habitants, dont Dieu le Père est le temple, le Fils la splendeur, et le Saint-Esprit la charité. O cité céleste ! demeure tranquille, patrie riche et vaste, renfermant tout ce qui délecte, peuple sans aigreur, habitants fortunés, hommes qui n'éprouvez aucune sorte de besoin. «Que de choses glorieuses ont été dites de vous ! Vous êtes comme l'habitation de tous ceux qui se réjouissent (Psal. LXXXVI, 3 et 7). » Tous tressaillent dans la joie et l'allégresse; tous se délectent de Dieu, ce grand Dieu dont le visage est beau, l'aspect magnifique et la parole remplie de douceur. Il est agréable de le contempler, ravissant de le posséder, délicieux de le goûter. Il plaît par ses propres charmes, et suffit par lui-même, pour récompenser selon tout mérite ; hors de lui, il n'y a rien à chercher parce que, en son sein, se trouve tout ce qu'on peut désirer. Toujours on se plait à le regarder, toujours à le posséder, toujours à trouver ses délices en lui et à jouir de lui. En lui l'intelligence est éclairée et l'affection purifiée pour connaître et chérir la vérité. Et c'est là tout le bien des hommes, connaître et aimer le créateur qui leur a donné l'existence.

12. Quelle folie nous pousse donc à soupirer après l'absinthe des vices, à suivre ce monde qui court au naufrage, à subir le malheur de cette vie mourante , à supporter le joug d'une tyrannie cruelle ; et nous empêche de prendre plutôt notre essor vers le bonheur des saints, vers la société des anges, vers les pompes de la joie d'en haut, vers les délices de la vie contemplative , afin de pouvoir entrer dans la puissance du Seigneur, et contempler les surabondantes richesses de sa bonté ? Là, nous nous reposerons et nous verrons combien doux est le Seigneur, combien grande est l'étendue de sa sainteté. Nous contemplerons l'éclat de la gloire, la splendeur des saints et l'honneur de la puissance royale. Nous connaîtrons le pouvoir du Père, la sagesse du Fils, et la très-bénigne clémence du Saint-Esprit; et ainsi nous connaîtrons la Trinité souveraine. Maintenant, nous voyons les corps par le corps, et par l'esprit, les images des corps; mais alors, d'un pur regard, nous saisirons la Trinité elle-même. O vision bienheureuse ! Voir Dieu en lui-même, le voir en nous et nous en lui avec une agréable félicité et un agrément heureux! Tout ce que nous désirerons, nous l'aurons, ne souhaitant rien au delà: et tout ce que nous verrons, nous l'aimerons, heureux de cet amour : heureux de sa douceur et de la suavité que produira la contemplation. Le résumé de cette contemplation, le comble de cette félicité sera de saisir la Divinité dans son être pur et d'y voir l'incompréhensible Trinité. Les trésors de la Divinité seront ouverts : Dieu sera vu, Dieu sera aimé ; et cette vision, avec le charme qui en est la suite, remplissant et rassasiant tout le cœur de l'homme, mettra le comble à cette béatitude. Tous les élus n'auront qu'un langage, ils éprouveront une réjouissance qui ne se lassera jamais, une même échelon, un amour éternel. La vérité se montrera, la charité arrivera à son plus haut point, le rassasiement de l'âme et du corps sera parfait. L'humanité glorifiée brillera comme le soleil : l'union entre l'âme et la chair sera parfaitement heureuse et tranquille : anges et hommes, goûteront la même joie, parleront la même langue et prendront part au même banquet. L'amour ne languira pas, et la dilection ne s'affaiblira jamais. Tous les biens étant présents à la fois, il n'y aura nulle peine causée par quelque délai, parce que la présence béatifique de la Majesté divine sera tout pour tous, et tous possèderont, en commun, la toute puissance, la sagesse, la paix, la justice et l'intelligence. En cette paix ne se trouvera pas la diversité des langues; une concorde pacifique réunira et mœurs et sentiments. En ce torrent de voluptés, la satiété satisfaite ne désirera rien plus, tant sera grande la félicité. Car là se trouvera le comble du bonheur, la gloire suréminente et une joie débordante.

13. Mais qui est propre à jouir de ces biens? Assurément le vrai pénitent, celui qui obéit comme il faut, le compagnon aimable et le serviteur fidèle. Le véritable pénitent est toujours dans le travail et la douleur: il souffre de ses fautes passées, il travaille pour les éviter' à l'avenir. Car la pénitence sincère consiste à ressentir constamment de la douleur pour ses péchés. Il plaint ce qu'il a fait, de sorte qu'il ne le fait plus : car la pénitence est vaine, lorsque un nouveau péché vient la souiller. Tout homme obéissant comme il faut, donne son vouloir et son non vouloir, de sorte qu'il est en état de dire : « Mon cœur est prêt, ô Dieu, mon cœur est prêt (Ps. CVII, 1). » il est prêt à faire tout ce que vous commanderez, prêt à obéir promptement à un signe, prêt à s'occuper de vous, à servir le prochain, à me garder moi-même et à me faire reposer dans la contemplation des choses célestes. Le compagnon aimable est officieux envers tout le monde, il n'est à charge à personne. Il est officieux envers tous, car il est dévoué au Seigneur, bon pour le prochain, sobre à l'égard du monde, serviteur de Dieu, ami du prochain, maître de l'univers. Les biens qui sont au-dessus de lui, il les a pour se réjouir, ceux qui sont à côté, pour les partager avec ses égaux, ceux qui sont au-dessus, pour s'en servir. Il n'est à charge à personne; les biens inférieurs, il les réduit à servir à l'utilité de ceux qui sont au milieu et à l'honneur de ceux qui sont au-dessus : possédé par ceux-ci, possédant les autres. Le serviteur est fidèle à contempler Dieu et à veiller sur lui-même. Appliquez tout votre soin à vous garder vous-même. Et, comprenant ensuite que par vos propres efforts vous ne pouvez suffire à cette tâche, implorez la clémence divine. Pareillement, pour contempler en vous la volonté bonne, bien plaisante et parfaite de votre créateur, invoquez le secours des anges et la protection de tous les bienheureux qui règnent avec le Christ. Suivez-les les uns après les autres, invoquez-les chacun en particulier, et criez à tous : « Ayez pitié de moi, ayez pitié de moi, au moins vous, mes amis (Job. XIX, 21). Recevez ce fugitif, mais qui est votre frère par la vertu du sang du Rédempteur. Voici un pauvre à la porte, il frappe et il crie. Ouvrez-lui et conduisez-le jusqu'au Roi : afin que, prosterné devant lui, je lui indique toutes les misères et tous les besoins que j'éprouve. Enfin, remettez votre cœur en toute confiance à votre supérieur, qu'il n'y reste aucun péché que ne détruise une sincère confession. Mettez-y aussi Notre-Seigneur Jésus-Christ comme un cachet. Car, lorsque le Seigneur veille à la porte de votre cœur et en est comme le portier, de sorte que par lui entrent et sortent tous les sentiments qui y sont nés, avec lui, veillent conséquemment mille milliers d'anges faisant la garde aux portes des sens extérieurs : et l'ennemi n'ose pas attaquer ces phalanges terribles, respectant et redoutant celui qui est à l'entrée du cœur et les anges qui le gardent.

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CHAPITRE V. De l'examen quotidien de soi-même.

14. Gardien vigilant de votre intégrité, examinez votre conduite dans une revue que vous ferez chaque jour. Considérez attentivement combien vous avancez ou combien vous reculez : quelles sont vos mœurs, quelles sont vos affections : voyez si vous ressemblez à Dieu, ou si vous ne lui êtes point semblable: combien vous vous trouvez près, ou combien loin de lui, non par la distance des lieux, mais par les sentiments de l'âme. Tâchez de vous connaître : vous êtes bien meilleur et bien plus digne de louange, si vous vous connaissez vous-même, que si, vous négligeant vous-même, vous connaissiez le cours des astres, la nature des animaux, la propriété des plantes, les tempéraments des hommes, et que si vous possédiez la science de toutes les choses célestes et terrestres. Rendez-vous donc à vous-même par une sorte de restitution, sinon, toujours ou souvent, du moins de temps à autre. Réglez vos affections, dirigez vos actes, corrigez vos démarches. Qu'en vous il ne reste rien d'indiscipliné. Placez vos prévarications sous vos yeux. Comparaissez devant vous comme devant un étranger, et ainsi versez des larmes sur vous. Pleurez vos iniquités et vos péchés qui ont offensé Dieu ; indiquez-lui vos misères, découvrez-lui la malice de vos adversaires. Et lorsque vous vous serez puni en répandant vos pleurs devant lui, je vous prie de vous souvenir de moi.

15. Car pour moi, depuis que je vous ai connu, je vous aime dans le Christ et je porte votre souvenir au lieu où la pensée coupable trouve son châtiment; et la pensée honnête sa récompense. Quand pêcheur, mais prêtre, je monte à l'autel du Seigneur, votre souvenir m'y accompagne. Si vous m'aimez,vous me rendrez la pareille et me donnerez part à vos prières. Je désire être présent avec vous, par le souvenir, au lieu où, pour vous et vos familiers, vous répandez devant le souverain Maître vos supplications ferventes. Ne vous étonnez pas, si j'ai dit présent, parce que si vous m’aimez, vous me chérissez, comme étant l'image de Dieu et aussi, je vous suis présent comme vous l'êtes à vous-même. Tout ce que vous êtes substantiellement, je le suis. Car toute âme raisonnable est le portrait de Dieu. Partant , celui qui cherche l'image de Dieu en soi, cherche son prochain aussi bien qu'il se cherche lui-même : et celui qui, dans sa recherche, la trouve en lui, la connaît en tout homme. Car la vue de l'âme, c'est l'intelligence. Si donc vous vous voyez, vous me voyez, car je ne suis que ce que vous êtes, Et si vous aimez Dieu, vous m’aimez, moi, qui suis l’image de Dieu : et moi, en aimant Dieu, je vous chéris. Et de la sorte, en cherchant une seule chose et en tendant à un seul point, nous sommes toujours présents l'un à l'autre, mais en Dieu en qui nous nous aimons.

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CHAPITRE VI. De l'attention qu'il faut avoir au temps de la prière.

16. Quand vous entrez dans l'église pour y prier ou chanter, laissez à l'entrée le tumulte des pensées agitées, oubliez entièrement le soin des choses extérieures, afin de pouvoir vous occuper de Dieu seul. Car il ne peut se faire qu'il s'entretienne avec Dieu, celui qui, même en gardant le silence, cause avec tout le monde, Appliquez-vous donc à celui qui s'applique à vous : écoutez celui qui vous parle, afin qu'il vous exauce lorsque vous lui pariez. Il en sera ainsi, si vous assistez avec le respect et l'attention voulus, au chant des louanges divines, si vous considérez avec application chacune des paroles de la divine Ecriture. Je dis ceci, non que je le pratique, mais parce que je voudrais le faire, et je me repens de ne l'avoir point fait et je regrette de ne pas le faire. Pour vous, à qui une grâce plus grande a été accordée, par vos désirs et vos ferventes prières, faites incliner vers vous les oreilles miséricordieuses du Seigneur, par vos larmes et par vos soupirs, suppliez-le tendrement, de pardonner vos excès, et, dans ses œuvres glorifiez-le et louez-le en vos cantiques spirituels. Les habitants de la patrie céleste n'ont pas de spectacle plus agréable; il n'est rien de plus doux pour le souverain Roi, ainsi qu'il le déclare lui-même : « Le sacrifice de louange m'honorera (Psal. XLIX, 23). « O que vous seriez heureux, si, avec les yeux de l'esprit, vous pouviez apercevoir une fois, comment les princes marchent en avant, joints à ceux qui chantent les psaumes, au milieu des jeunes filles qui jouent des instruments de musique ! (Psal. LXVII, 26). Vous verriez sans nul doute, avec quel soin, avec quel enthousiasme, ils se trouvent au milieu de ceux qui chantent, assistent ceux qui prient, sont présents à ceux qui méditent, veillent a côté de ceux qui reposent, et dirigent ceux qui procurent et pourvoient. Car les puissances célestes chérissent leurs concitoyens et à l'endroit de ceux qui parviennent à l'héritage du salut, elles se réjouissent avec zèle, elles confortent les âmes, elles les instruisent, elles les protègent et pourvoient à tout en leur faveur. Tous les saints aussi, en effet, désirent notre arrivée dans la céleste patrie, parce qu'ils espèrent que par nous seront réparées les ruines de leur cité sainte. Ils cherchent avec soin et entendent volontiers les bonnes choses qui nous regardent : empressés, ils vont sans cesse de nous à Dieu et de Dieu à nous, rapportant au Seigneur très-fidèlement nos gémissements, et nous en apportant avec beaucoup de dévouement, la grâce et le secours. Ils ne dédaigneront pas d'être nos compagnons, eux qui ont été déjà nos serviteurs. Nous les faisons tressaillir, quand nous nous convertissons et faisons pénitence. Hâtons-nous de remplir, de notre côté, leur allégresse. Malheur à vous, qui que vous soyez, qui désirez revenir à votre vomissement, retourner vous vautrer dans la boue. Pensez-vous trouver favorables au jugement, ceux que vous voulez priver de la grande joie qu'ils attendent et désirent ? Quand nous sommes entrés en religion, ils ont tressailli, comme au sujet de condamnés qu'ils ont vu rappeler des portes de l'enfer. Mais quel sentiment éprouveront-ils, s'ils voient revenir de la porte du Paradis et retourner en arrière ceux qui avaient déjà un pied dans le ciel? Car, bien que les corps soient en bas, les cœurs sont en haut.

17. Courons donc, non par les pieds du corps, mais par les sentiments de l'âme, par les désirs, et les soupirs, parce que ce ne sont pas seulement les anges, mais le créateur des anges qui nous tendent les bras. Dieu le Père nous attend, comme ses enfants et ses héritiers, pour nous établir sur tous ses biens. Le Fils nous attend comme ses frères et ses cohéritiers, afin d'offrir à son Père, le fruit de sa nativité et le prix de son sang. Le Saint-Esprit nous attend aussi. Il est la charité et la bonté en laquelle nous avons été prédestinés de toute éternité : et il n'y a pas de doute qu'il ne veuille réaliser ce qu'il a prévu ainsi. Puis donc que toute la cour céleste nous espère et nous désire, souhaitons, nous aussi, du plus vif de nos vœux, d'y arriver un jour. Il y arrivera avec confusion et honte celui qui ne soupire pas ardemment après le bonheur d'y entrer; mais quiconque, par une prière continuelle et une méditation assidue, y fait déjà son séjour, sortira de ce monde avec grande sécurité, et sera reçu dans l'autre, avec grande joie. Donc, où que vous soyez, priez au fond de vous-même. Si vous vous trouvez loin d'un oratoire, ne cherchez pas de lieu, vous êtes vous-même votre Eglise. Si vous êtes au lit, n'importe où, priez, là est un temple. Il faut prier souvent; le corps s'inclinant, l'âme doit s'élever vers Dieu. Car, de même qu'il n'est aucun moment où l'homme n'use ou ne jouisse de la bonté et de la miséricorde de Dieu, de même il ne doit s'en trouver aucun, où il ne l'ait présent dans sa mémoire.

18. Mais vous dites : je prie tous les jours, et je ne vois aucun résultat de ma prière, je m'en retire comme j'y vais. Personne ne me répond, personne ne me parle, personne ne me donne rien, il me semble que j'ai travaillé en vain. Ainsi s'exprime la folie humaine, ne faisant pas attention à ce que la Vérité promet à ce sujet, par ces paroles : « Je vous le dis, en vérité, tout ce que vous demanderez dans vos prières, croyez que vous le recevrez et l’obtiendrez (Matth. XXI, 22) Ne mésestimez donc pas votre prière, parce que Celui à qui vous l'adressez ne l'a point en dédain ; mais avant qu'elle sorte de votre bouche, il ordonne lui-même qu'on l'inscrive dans son livre. Et nous devons inébranlablement espérer de ces deux choses l'une : ou bien qu'il nous accordera ce que nous demandons, ou bien ce qu'il connaîtra nous être plus utile. Pensez donc de Dieu, tout ce que vous pouvez de, meilleur, et de vous, tout ce que vous pouvez de pire. De cet être souverain, il faut croire beaucoup plus que vous ne pouvez penser. Regardez comme perdu, le temps qui n'est pas employé à penser à lui. Tout le reste n'est pas à nous, il n'y a que le temps qui soit nôtre. Soyez donc libre, et, où que, vous vous trouviez, soyez vôtre. Ne vous donnez pas, mais prêtez-vous aux affaires. En quelque endroit que vous soyez, jetez en Dieu toutes vos pensées et roulez en votre esprit quelque pensée salutaire. Car toute place est convenable pour méditer.

19. Recueillant donc votre âme de toutes vos forces, habitez volontiers avec vous, et, marchant dans l'étendue de votre cœur, offrez-y au Christ une salle grande et bien préparée. L'esprit du sage est toujours avec Dieu. Nous devons toujours avoir devant les yeux Celui pax qui nous sommes, nous vivons et avons la sagesse. C'est lui qui est l'auteur de notre être, c'est lui qui est le docteur qui nous rend sages, et qui nous donne la douceur intérieure pour nous rendre heureux. Et c'est de la sorte, que vous connaissez en vous son image, c'est-à-dire l'image de la Trinité souveraine. Car de même qu'il est, qu'il est sage et qu'il est bon, de même, selon notre mesure, nous sommes, et nous savons que nous sommes, et nous aimons à être et à connaître que nous sommes. Servez-vous de vous connu e du temple de Dieu, à cause de ce qui, en vous, est semblable à Dieu. Le grand honneur qu'on lui rend, c'est de le vénérer, c'est de l'imiter. Vous l'imitez, si vous êtes pieux. Le temple sacré du Seigneur, c'est une âme dévouée; son meilleur autel c'est le cœur. Vous le vénérez, si vous êtes miséricordieux, comme il est lui-même miséricordieux envers tous. Un sacrifice agréable au Seigneur, c'est de faire du bien à tous pour son amour. Faites toutes choses comme Fils de Dieu, afin de vous rendre digne de celui qui a daigné vous appeler son enfant. En tout ce que vous faites pensez que Dieu est présent. Prenez donc garde que votre regard ou votre pensée ne s'arrête sur ce qui cause des délectations mauvaises : ne dites rien, ne faites rien de ce qui n'est pas permis, même quand vous y trouveriez du charme : n'offensez ni par acte, ni par signe, Dieu qui, présent partout, voit tout ce qui se passe. Une grande circonspection vous est nécessaire, parce que vous vivez sous les yeux d'un juge qui saisit tout. Avec lui cependant vous êtes toujours en sûreté, si vous vous préparez de telle sorte qu’il daigne être avec vous. S’il n’est pas avec vous par la grâce, il y est par la colère. Mais malheur à vous s'il en est ainsi. Bien plus malheur s'il n'est pas même en vous de cette manière. Car, il est irrité contre celui qu'il ne punit pas après son péché, parce qu'il damne dans le siècle à venir le pécheur qu'il ne corrige pas en le châtiant en celui-ci.

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CHAPITRE VII. De la garde du cœur, et du zèle pour la prière.

20. Il est certain qu'en tous lieux, la mort vous menace. Le diable vous tend des embùches pour enlever votre âme quand elle sortira de votre corps : mais ne craignez point, parce que Dieu, qui habite en vous (si pourtant il en est ainsi), vous arrachera à la mort et au démon. Il est compagnon fidèle, il n'abandonne jamais ceux qui espèrent en lui, s'ils ne l'abandonnent eux-mêmes. Or, on se sépare de lui lorsque le cœur s'éloigne, et erre à travers les pensées mauvaises et inutiles. C'est pourquoi, vous devez le retenir et veiller sur lui, en toute attention et toute sollicitude, afin que Dieu puisse prendre en lui son repos. Car, de toutes les créatures qui, sous le soleil, sont occupées par les vanités du monde, aucune n'est plus élevée, aucune n'est plus noble ou plus semblable à Dieu, que le cœur de l'homme. C-est pourquoi le Seigneur ne vous demande que votre cœur. Purifiez-le donc par une confession sincère et par une prière continuelle, afin qu'au moyen de ce cœur sans tache, vous puissiez jouir de la présence perpétuelle de ce divin maître. En tous lieux, soyez-lui soumis, appliquez-vous à penser à lui, et réglez vos mœurs, dans la vue de lui être agréable. Chérissez tous les hommes, montrez-vous affable envers tous, afin d'être pacifique et enfant de Dieu. De la sorte, vous serez bon moine, saint, humble et droit : et quand vous vous trouverez en cet heureux état, souvenez-vous de moi.

21. Malheur à moi qui indique ces règles, et ne les pratique pas que si, par moments, je les accomplis, cela dure peu. Je les ai gravées dans ma mémoire et je ne les observe pas dans ma conduite; je les tiens en paroles, mais non en actes. Tout le long du jour, je repasse la loi dans mon cœur et dans ma bouche, et je fais ce qu'elle défend. Je lis ce qui regarde la religion et j’aime plus lecture que la méditation. Cependant l'Ecriture ne m'apprend qu'à aimer la religion, qu'à garder l'unité, et qu'à avoir la charité. Pour moi, je suis misérable et malheureux; je me rends plus vite à la lecture qu'à l'oraison, je me plais davantage à lire, qu'à entendre les messes. Une personne m’attend qui voudrait m'entretenir des nécessités de son âme, et moi je prends en main quelque livre que celui-ci ou celui-là voudrait avoir. Je le lis, et, en le lisant, je perds les fruits de la charité, les sentiments de la piété, les pleurs de la componction , l'utilité que j'avais retirée des messes, la contemplation des choses célestes. Rien pourtant de plus doux en cette vie, on ne prend rien avec plus d'avidité, rien ne sépare ainsi l'esprit de l'amour du monde, rien ne fortifie l'âme contre les tentations, rien n'excite davantage l'homme et l'aide mieux pour toute bonne œuvre et pour tout travaux, que la grâce de la contemplation.

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CHAPITRE VIII. Qu'il faut détester la négligence ou l’incurie qui se glissent dans la prière.

22. Ayez pitié de moi, ô mon Dieu, parce que je pèche davantage, là où je dois corriger mes fautes. En priant, je suis souvent dans le monastère, je ne fais point attention aux paroles que je prononce. Je prie de bouche, mais mon esprit divague ailleurs, et ainsi, je suis privé du fruit de la prière. Mon corps est au-dedans, mon âme, au-dehors: aussi je perds ce qu’expriment mes lèvres. Il sert de peu, en effet, de chanter de la voix seulement, sans l'intention du cœur. Aussi, c'est une grande perversité, disons mieux, c'est une grande folie, quand nous osons nous entretenir dans l'oraison avec le Dieu de majesté, insensés que nous sommes de nous détourner et de diriger notre cœur vers je ne sais quelles bagatelles. C'est aussi un grand désordre digne d'un grand châtiment qu'une vile poussière dédaigne d'écouter le Seigneur qui lui parle. Ineffable complaisance de la bonté divine ! Elle nous voit tous les jours détourner nos oreilles, fermer nos cœurs, et néanmoins elle nous crie :« Rentrez, prévaricateurs, dans votre cœur (Is. XLVI, 8). Reposez-vous et voyez que je suis votre Dieu (Psal. XLV, 11). » Dieu me parle dans le psaume et je lui réponds : cependant, en récitant le psaume, je ne remarque pas de qui il est. Aussi, je lui fais une grande injure, en le conjurant d'exaucer une prière que je n'entends pas moi-même quand je la prononce. Je le supplie de m'entendre, et je ne m'écoute pas, et je ne l'écoute point : mais, ce qui est pire encore, en roulant dans mon cœur des pensées immondes et inutiles, je présente à ses regards sacrés un spectacle horrible.

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CHAPITRE IX. De l’inconstance du cœur humain.

23. Il n'est rien en moi de plus inconstant que le cœur : chaque fois qu'il m'abandonne et s'échappe, par les mauvaises pensées, il offense Dieu. Vain, vagabond et instable, ce cœur, quand il suit ses inspirations, et n'est pas dirigé par l'influence divine, ne peut rester en lui-même mais, plus mobile que toute mobilité, il est distrait en mille pensées diverses et il court sans relâche de l'une à l’autre. Et, cherchant le repos en cette variété, il ne le trouve pas seulement il reste malheureux dans sa fatigante recherche, et ne goûte aucun calme : il en s'accorde pas avec lui-même, il est divisé d'avec lui; il s'abandonne soi-même, il change de volonté, il varie ses résolutions, il édifie de nouveaux plans, il en forme de différents, il refait ceux qu'il a renversés, et ne cesse de les agencer tantôt d'une façon, tantôt d'une autre, parce qu'il veut et ne veut pas, et ne persévère jamais dans le même état. Comme un moulin, dans son mouvement rapide, ne refuse rien et broie tout ce qu'on lui présente, et, s'il n'a rien à écraser, se consume lui-même : ainsi, mon cœur est toujours en mouvement, il ne s'arrête jamais ; mais que je dorme ou que je veille, il songe et réfléchit à tout ce qui se rencontre. Et de même que le sable rouge la meule, que la poix la souille et la paille l'occupe : de même une pensée amère trouble mon cœur, une pensée immonde le salit et une pensée vaine le fatigue et l'inquiète. Ainsi mon cœur, lorsqu'il ne prend nul souci de la joie à venir et ne recherche pas le secours du ciel, s'éloigne de l'amour des choses célestes, et se laisse enchaîner par l'attachement aux biens terrestres. Et quand il s'échappe des premiers pour tomber dans ceux-ci, la vanité l'accueille, la curiosité le conduit, la cupidité l'allèche, la volupté le séduit, la luxure le souille, l'envie le tourmente, la colère l'agite, la tristesse le fait souffrir, et ainsi dans ses infortunes, il est plongé dans tous les vices, parce en a abandonné le Dieu qui pouvait seul lui suffire.

24. Il se répand sur beaucoup d'objets, et il cherche de droite et de gauche, un lieu où il puisse se reposer, et ne trouve rien qui le contente, jusqu'à ce qu'il rentre en lui-même. Il est mené de pensée en pensée, et il varie selon les attaches et les occupations diverses qui l'attirent : il se trouve rassasié au moins de la variété des choses dont la qualité intrinsèque ne le peut satisfaire. Ainsi tombé le cœur malheureux, quand la grâce divine lui est retirée. Et quand il retourne en lui-même, et qu'il examine ce qu'il a pensé, il ne rencontre rien : parce que ce n'était pas en action, mais une pensée importune, qui de rien composait plusieurs choses. Et ainsi trompe l'imagination formée par l'illusion des démons. Dieu me commande de lui offrir mon cœur : et parce que je n'obéis pas à l'ordre du Seigneur, je me deviens contraire à moi-même, et suis en rébellion contre moi. De sorte que je ne pourrais m'être soumis que lorsque je lui rendrai obéissance : et je m'obéirai, ne le voulant pas, parce que je ne veux point lui obéir de gré. Aussi mon cœur, en un moment, roule plus de pensées que tous les hommes ensemble n'en pourraient réaliser en une année. Quand je ne suis pas avec Dieu, par là même je suis divisé d'avec moi-même. Et je ne puis lui être uni que par la charité, soumis que par l'humilité, ni me trouver vraiment humble que par la vérité.

25. Il importe donc que je m'examine dans la vérité et que je connaisse combien je suis vil, combien fragile, combien porté au mal. Ensuite, lorsque j'aurai vu toutes mes misères, il est nécessaire que je m'attache à Celui par qui j'existe, sans qui je ne suis rien et ne puis rien faire. Et comme, par le péché je me suis éloigné de Dieu, je ne puis revenir à lui que par une confession sincère. Il faut donc avouer ce qui est à avouer; car, jamais je n'ai confessé mes fautes par rapport à la manière ou à l'intention dont je les ai commises : je ne me suis pas souvenu de toutes, ou à cause de la distance des temps, ou à cause de leur nombre. Si je les ai avouées, je ne les ai pas déclarées entièrement, à cause de leur caractère honteux. J'en ai aussi partagé l'accusation, pour découvrir les unes à certain s prêtres, les autres à certains autres . et aussi, je n'ai pas obtenu le pardon que je croyais recevoir par ces aveux partagés. C'est une tromperie exécrable que de partager l'aveu du péché, que de le raser superficiellement sans l'arracher au-dedans. La confession ne m'est utile que si je la fais dans la sincérité de la bouche et du cœur. Et de même qu'il en est trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, donnons à notre cœur et à notre bouche les prêtres pour témoins, afin que toute certitude se rencontre dans l’affirmation de deux on trois témoins.

26. Mais vous dites : il me suffit de me confesser à Dieu seul, parce que, sans lui, nul prêtre ne peut m'absoudre de mes péchés. A quoi le Bienheureux Jacques (et non pas moi), répond ces paroles : « Avouez vos fautes les uns aux autres (Jac. V, 19). » Il est tout-à-fait convenable que nous étant, Par nos péchés, révoltés contre le Seigneur, par la pénitence, nous devenions les suppliants de ses prêtres et de ses ministres : il est dans l'ordre, que l'homme qui n'a pas eu besoin de médiateur pour conserver le grâce, ne puisse plus la recouvrer que par l'intermédiaire d'un homme. Qu'il gémisse donc et qu’il soupire, et que, troublé à cause de son péché, il craigne et soit dans les transes : qu'il cherche dans son inquiétude, qu'il courre après les intercesseurs et les soutiens, qu'il se prosterne humblement devant l'homme, lui qui n'a pas voulu s'incliner devant le créateur. Car, c'est chose très-salutaire que l'homme se repente du fond du cœur et que de bouche il reconnaisse ses manquements, pour que Dieu, qui lui est présent dans sa bonté par la grâce, touche son cœur, l'amène à la pénitence, et l'assiste ensuite, après son aveu, et lui accorde la rémission de toutes ses fautes. Que si le pécheur est vraiment repentant, mais ne peut, dans une grande nécessité, recourir à la confession : nous devons croire avec confiance, que le souverain prêtre achève en lui ce que le ministre mortel n'a pu y faire. Et déjà Dieu tient pour fait ce que l'homme a voulu accomplir sans y réussir, parce que la nécessité l'a empêché de recourir à la confession qu'il n'a point rejetée par mépris.

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CHAPITRE X. Du peu de résignation à la correction et de l'accusation de ses défauts et de ses vices.

27. Au chapitre de la coulpe où j'ai dû expier mes péchés, j'ai commis fautes sur fautes. Quand j'ai été accusé, ou bien je me suis excusé en quelque manière, ou bien j'ai entièrement nié; ou bien, ce qui est pire, je me suis défendu et j'ai répondu avec impatience : lorsqu'il n'est aucun péché dont je ne sois souillé ou dont je ne puisse être souillé. Il est donc juste qu'écartant toute excuse, je promette de me corriger, de quelque part, ou par n'importe qui je sois accusé, afin qu’ainsi je puisse être délivré du mal commis ou à commettre. Redoutant le grand nombre de mes iniquités, j'ai craint d'attaquer les transgressions des autres, et aussi j'ai été l'auteur de leur mort, parce que je n’ai pas chassé le virus que je pouvais écarter en criant. Je me suis indigné contre les personnes qui me réprimandaient de mes vices, et j'ai pris en haine ceux que je devais aimer. Tout ce qui m'était nuisible, tout ce qui nie déplaisait, j«ai désiré le voir anéanti. Je savais pourtant qu’au fond, tout cela était chose bonne et émanant du créateur . mais j'y trouvais un côté nuisible, parce que j'étais méchant et j'en faisais un mauvais usage. Rien ne m'est contraire, en effet, que moi-même, Avec moi, est tout ce qui peut me nuire, c'est moi qui suis mon propre fardeau.

28. J'ai désiré aussi, que Dieu ne connût pas mes péchés, ou bien qu'il ne voulût ou ne pût les punir, et de la sorte, j'ai désiré que Dieu ne fût pas sage, qu'il fût injuste et impuissant : si cela était, Dieu n'existerait pas. Il n'est pas d'orgueil au-dessus du mien. Le cri de mes injustices éloigne de moi le salut. L'orgueil est suspect et odieux au Seigneur, et il ne peut jamais arriver qu'il fasse la paix avec lui. Ils habitent tous dans des lieux divers, ils ne peuvent se trouver réunis eux qui ne peuvent rester ensemble dans le ciel. L'orgueil est né dans le ciel, mais comme s'il avait perdu la mémoire du chemin par où il en est tombé, il ne lui a plus été possible d'y rentrer. Quand l'atmosphère a été troublée par la pluie, par un froid excessif ou par la chaleur, j'ai murmuré injustement contre Dieu. Tout ce que nous avons reçu pour l'usage de notre vie, nous le faisons servir au péché. C'est pourquoi il est juste que péchant en tout en tout nous soyons unis Souvent durant les saints mystères, j'ai brisé ma voix pour chanter avec plus de douceur : Je me complaisais davantage dans le son du gosier que dans la componction du cœur Mais. Dieu, à qui rien n'échappe de ce que l'on fait à tort, ne cherche pas l'agrément de la voix, il veut la pureté du cœur. Carle chantre, tandis qu'il charme le peuple par l'harmonie de ses notes, offense Dieu par le dérèglement de ses mœurs. J'ai arraché souvent à mes supérieurs, par mes instances importunes ou par ruses, la permission de parler ou de faire autre chose : ne remarquant pas, malheureux, qu'il se trompe celui qui, ouvertement ou en secret, s'efforce d'obtenir que le Père spirituel lui accorde ce qu’il désire.

29. J'ai désiré trop vivement une aiguille, ou un couteau, ou quelque objet utile, sans m'en confesser, parce que je ne le regardais pas comme un pêche, a cause du peu de prix de la chose. Cependant, il n’y a pas grande différence à chercher quelque chose de vil ou de précieux, quand le sentiment est également corrompu. Avoir un couteau ce n'est pas un crime, le mal est dans l'attache au couteau : le péché n'est point dans l'or, mais dans la cupidité que l'on éprouve pour l'or. En travaillant, je ne me suis pas appliqué autant que je l'ai dû ou autant que je l'ai pu. Même dans le silence, j'ai été oisif, ce qui est un très-grand dérèglement. Car, dans le silence, personne ne doit être tellement oisif, que même en ce temps-là, il ne s'occupe de servir en quelque chose son prochain : ni tellement adonné à l'action, qu'il n'en vaque à la contemplation de Dieu. Il progresse bien peu, celui qui ne se rend pas utile aux autres lorsqu'il le peut. Je me suis vanté plusieurs fois de mes vices : trouvant quelque acte éclatant de vertu, là où était le mal d'un péché. J'ai fait des vices, des vertus elles mêmes. Car la justice, en dépassant ses bornes, engendre le vice de la crédulité : et une piété excessive produit la dissolution de la discipline. Aussi, je tiens souvent pour vice ce que l'on répute vertu. Une lâcheté extrême est appelée douceur, et la paresse imite le repos. J'ai feint d'ètre ce que je n'étais pas : j'ai dit que je voulais ce que je ne voulais pas, ou que je ne voulais point ce que je désirais. De bouche, je disais une chose, et j'en avais une autre dans le cœur : et,de la sorte, sous la peau de la brebis, je conservais une conscience de renard. La conscience de renard, c'est, en effet, la conduite tiède, la pensée animale, la confession simulée, la componction rare et courte, l'obéissance sans dévotion, l'oraison sans intention, la lecture sans édification, le discours sans circonspection.

30. Oh! que me sont dures les choses que je dis là ! Comme je me frappe moi-même en parlant! Cependant, parce que je ne nie pas que je suis pécheur, puisque j'avoue ma faute, peut-être auprès du Dieu de clémence, l'aveu que j'en fais, m'en obtiendra le pardon. Je lui découvrirai donc, je lui découvrirai ma misère, et sa bonté attendrira peut-être son cœur. je confesserai mon pêche, parce que la connaissance que l'on en a est le commencement du salut. Je porte une grande tonsure et un habit rond; j'observe la règle des jeûnes, je chante l'office aux heures voulues; mais mon cœur est loin de mon Dieu. Examinant l'extérieur, je trouve que tout va bien pour moi, et je ne vois pas ce ver intérieur qui ronge l'intime de mon être. D'où vient qu'Osée a dit : « Les étrangers ont mangé ma force et je ne m'en suis pas aperçu (Osee. VII, 9). » Aussi, me produisant tout entier vers les objets extérieurs, et ignorant ce qui se trouvait au-dedans de moi, je me suis répandu comme l'eau,, et j'ai été réduit à rien, oubliant le passé, négligeant le présent et ne prévoyant pas l'avenir. Je suis ingrat aux bienfaits, porté au mal et lent pour le bien.

31. Si je ne m'examine pas, je ne me connais point : si je me considère je ne puis me souffrir . tant je vois en moi de choses dignes de réprimandes et de confusions : et plus je m'étudie fréquemment et soigneusement, plus d'abominations je découvre dans les replis de mon cœur. Car depuis que j'ai commencé de pécher, je n'ai pu passer un jour sans tomber . et encore je ne cesse Pas, mais de jour en jour j'ajoute faute sur faute, et ce que j'ai sous les yeux, je le vois, je n'en gémis pas : je vois qu'il faudrait en rougir et je n'en rougis pas. Je vois qu'il faudrait en souffrir et je n'en souffre pas ce qui est une marque de mort et un indice de damnation. Le membre qui n'éprouve pas la douleur est mort; et la maladie que l'on ne sent pas ne peut être guérie. Je suis léger et dissolu, je ne me corrige pas, mais je retombe tous les jours dans les péchés que j'ai confessés; je ne prends pas garde à la fosse où j'ai eu le malheur de tomber, où j'ai fait ou vu tomber les autres. Et quand je devrais pleurer et prier pour le mal que j'ai commis, pour le bien que j'ai négligé, ô douleur! c'est le contraire qui m'arrive. Je sais devenu tiède, j'ai perdu la ferveur de l'oraison, et je suis demeuré froid et sans sentiment, parce que la grâce des larmes s'est retirée de moi.

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CHAPITRE XI. De la conscience qui nous suit sans cesse pour nous faire sentir les remords.

32. Je ne puis cacher mes péchés, parce que partout où je vais, ma conscience est avec moi, portant tout ce que j'ai mis en elle, soit le bien, soit le mal. Vivant, elle me garde; mort, elle me rendra le dépôt que je lui ai con fié. Si j'agis mal, elle est témoin; si je fais bien et que j'en tire vanité, elle est également présente. Elle ne cesse de me suivre durant ma vie; à ma mort, elle m'accompagnera. Partout ma gloire et ma confusion en sont inséparables, selon la qualité du dépôt que je lui ai remis. Et ainsi, dans ma propre maison et dans ma propre famille j'ai des accusateurs, des témoins, des juges et des bourreaux. C'est la conscience qui m'accuse, la mémoire est le témoin, la raison est le juge, la volupté la prison, la crainte le bourreau, le charme le tourment. Autant j'eus de jouissances mauvaises, autant j'éprouverai de supplices cruels dans le châtiment qui me sera infligé. C'est que nous sommes punis de ce qui nous délecte.

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CHAPITRE XII. De trois ennemis de l'homme, de la chair, du monde et du démon.

33. Venez à mon aide, ô Seigneur mon Dieu, parce que mes ennemis ont entouré mon âme : la chair, le monde et le démon. Je ne puis fuir le corps ni le chasser loin de moi. Il faut que je le porte partout, puisqu'il est attaché à moi : il ne m'est pas permis de le tuer, je suis dans l'obligation de le soutenir, et quand je le nourris, c'est un ennemi que j'engraisse contre moi. Si je mange suffisamment, et s'il se fortifie, sa santé et ses forces se tournent contre moi. Le monde m'entoure et m'assiège de toutes parts et par les cinq ouvertures du corps, c'est-à-dire par la vue, par l’ouïe, par le goût, par l'odorat et par le toucher, il me blesse de ses flèches, et la mort entre dans mon âme par les fenêtres. L'œil regarde et il détourne le sentiment de l'âme. L’oreille écoute et elle fait fléchir l'intention du cœur. L'odorat empêche la pensée. La bouche parle et trompe. Par le tact, l’ardeur de la passion est excitée par une petite occasion, et si cette occasion, n'est pas de suite rejetée, soudain tout le corps est embrasé et enflammé. D'abord il agace un peu la chair par une pensée ; ensuite, il souille l'esprit par une délectation honteuse, et enfin par le consentement au mal, il subjugue l'âme. Or, le diable, que je ne puis voir et qui est partant à l'abri des coups duquel je puis moins me placer, tend son arc et dispose ses flèches pour me blesser soudain. (Psal. VII, 14) Il a dit qu'il fallait cacher ces embûches et il s'est écrié : qui le verra? (Psal. LXIII, 6) Il a posé un piège dans l'or et l'argent et dans tous les objets dont nous abusons, lorsque nous y trouvons des délectations coupables et en sommes saisis. Non-seulement il y a tendu un piège, mais il y a attaché de la glu. Cette glu c'est l'amour des biens, c'est l'attache de la parenté, la cupidité de l'honneur et la volupté de la chair : toutes choses qui frottent l'âme de leur graisse de glu et la retiennent, pour qu'elle ne puisse s'envoler sur les ailes de la contemplation, vers les places de la céleste Sion. Les flèches du démon sont la colère, l'envie, la luxure et les autres maux qui blessent les âmes. Et qui est-ce qui a le pouvoir d'éteindre ces traits de feu! « Hélas! le fidèle lui-même est souvent blessé de ces armes. » « Malheur à moi! que de piéges me sont tendus! »

34. De toutes parts, les flèches volent, partout des tentations, périls à droite et à gauche; où que je me tourne, pas de sécurité. Et ce qui adoucit, et ce qui attriste, et ce qui blesse, je crains tout : la faim et la nourriture, le sommeil et les veilles, le travail et le repos, combattent contre moi. Le jeu ne m'est pas moins suspect que la colère. Car dans mes divertissements, j'ai scandalisé bien des personnes. Je ne redoute pas moins la prospérité que l'adversité. Par sa douceur, la suavité me rend inattentif, et elle me trompe. L'adversité ou bien tout ce qui a quelque amertume comme des potions désagréables, me rend timide et craintif. Je crains plus le mal que je fais en secret, que celui que je commets en publie. Le mal que personne ne voit, nul ne le blâme, et où on ne craint pas la réprimande, la tentation s'approche en sûreté, et l'iniquité se commet avec plus de facilité. Partout la sagesse, partout le péril, partout la crainte, et comme si on vivait en pays ennemis, il faut regarder de côté et d'autre, et à tout bruit, détourner la tète et promener ses regards. La chair me suggère des choses molles et douces, le monde m'en inspire de vaines et le diable d’amères.

Chaque foi qu'une pensée grossière fatigue mon esprit au sujet du boire ou du manger, du sommeil et d'autres besoins du corps, c'est la chair qui tue parle. Que si mon cœur roule en son cœur nue pensée vaine d'ambition séculière, de jactance et d'arrogance, c'est le monde qui m'influence. Quand je suis excité à la colère, à l'impatience et à l'amertume, cette suggestion vient du démon : il y faut résister comme à l'esprit infernal lui-même et l'éviter absolument comme la damnation nième. L'office du diable est de suggérer les mauvaises pensées et notre devoir est de ne pas y consentir. Toutes les fois que nous y résistons, nous triomphons du démon, nous réjouissons les Anges, et nous glorifions Dieu. Le Seigneur nous exhorte à combattre, il nous aide à vaincre il regarde ceux qui luttent dans la guerre, il soulage ceux qui défaillent, et il couronne ceux qui sont vainqueurs.

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CHAPITRE XIII. De l'attaque de ces trois ennemis.

35. Ma chair sort de la boue, et aussi elle me donne des pensées de volupté et de terre; le monde m'en inspire de vaines et de curieuses: et le démon de mauvaises et de malicieuses. Ces trois ennemis m'attaquent à nie poursuivent, tantôt ouvertement, tantôt sourdement, toujours avec rage. Le démon met son principal espoir dans le secours que lui prête la chair, parce qu'un ennemi qui est au-dedans est toujours plus nuisible. Et la chair a fait un pacte avec les mauvais esprits, afin de me renverser : car elle est née du péché, et nourrie dans le péché, corrompue qu'elle est dès son origine par les vues et encore plus par les habitudes mauvaises qu'elle a contractées. De là vient qu'elle lutte avec tant de force contre l'esprit : qu'elle murmure constamment et qu'elle ne supporte point la discipline, qu'elle suggère des pensées blâmables, qu'elle n'obéit pas à la raison et qu'aucune crainte ne la retient. A elle se joint, pour lui prêter secours et pour s'en servir comme d'un instrument, le serpent tortueux, l'ennemi du genre humain ; adversaire, qui n'a qu'un désir, qu'une affaire, qu'une volonté, celle de perdre nos âmes. C'est lui qui sans cesse prépare le mal, qui parle avec subtilité, qui suggère avec habileté et trompe avec adresse. Il excite des mouvements déréglés; il enflamme les pensées empoisonnées : il provoque la guerre, nourrit les haines, augmente la gourmandise , attise la passion , accroît les désirs de la chair, prépare les occasions de pécher, et par mille moyens nuisibles, ne cesse de remuer les cœurs des hommes. De là vient qu'il nous frappe de noire bâton et qu'il lie nos mains avec notre propre cordon, en sorte que la chair qui nous a été donnée pour nous secourir devient notre ruine et notre scandale. C'est une lutte bien fatigante, c'est un bien grand danger que d'avoir à lutter contre un ennemi domestique, surtout, lorsque nous sommes étrangers, et que lui est citoyen. Il habite son propre pays, et c'est nous qui sommes les exilés et les étrangers. C'est, aussi un combat fatigant, de soutenir, contre les ruses et les fraudes du diable, des attaques si fréquentes, ou pour mieux dire, continuelles : esprit rendu astucieux non-seulement par sa nature subtile, mais encore par la longue habitude de nuire.

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CHAPITRE XIV. Du désir de la patrie céleste et du souverain bonheur que l'on y goûte.

36. Arrachez-moi à mes ennemis, ô mon Dieu, et à ceux qui m'ont haï, parce qu'ils ont prévalu contre moi. (Psal. XVII, 18.) Qu'après avoir vécu jusqu'à ce jour contre moi, je commence à vivre désormais pour moi par votre grâce. Car c'est ainsi que nous devons mener notre existence en ce monde, en sorte que lorsque le corps commencera à être rongé des vers dans le sépulcre, l'âme se réjouisse avec les Saints dans le ciel. Il faut diriger l'esprit, là où il doit aller : nous devons nous hâter vers l’heureuse demeure où nous resterons toujours, et où nous ne craindrons plus de mourir. Que si nous aimons cette vie caduque et passagère, où nous travaillons tant, où en mangeant, en buvant et en dormant, nous parvenons à peine à satisfaire les nécessités de la chair; combien plus devons-nous affectionner davantage la vie éternelle où nous n'éprouverons aucune fatigue : où règnera toujours la souveraine joie, le bonheur suprême, l'heureuse liberté et la pure fidélité : où les hommes seront semblables aux Anges de Dieu et où les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père? (Matth. XIII, 43.) Nulle tristesse ne s'y fera sentir, nulle angoisse, nulle douleur, nulle crainte, nulle fatigue, nulle mort, mais toujours une santé inaltérable.

37. La malice ne s'y élève pas, la misère de la chair ne s'y fait point sentir. On n'y trouve nulle maladie, nulle nécessité . il n'y a ni faim, ni. soif, ni froid, ni chaud, ni langueur causée parle jeûne, ni tentation de l’ennemi, ni volonté de pécher, ni faculté de le faire, mais la joie, mais l'allégresse règnent complètement. Car, associés aux anges, les hommes seront éternellement sans aucune infirmité de la chair. Là se fera sentir la délectation infinie, la béatitude perpétuelle, quiconque y entre, y est toujours retenu. Là est le repos des fatigues, la paix contre les ennemis, le charme de la nouveauté, l'assurance de l'éternité, la suavité et la douceur de la vision de Dieu. Et qui ne désirerait avec -ardeur d'habiter ce séjour à cause de cette tranquillité, de cette suavité, de cette éternité et de cette vision de Dieu? Là nul n'est étranger, mais tous ceux qui mériteront d'y parvenir, seront en repos dans leur propre patrie : toujours joyeux et toujours satisfaits de la vue du Seigneur. Et plus ici-bas on sera obéissant à la volonté de Dieu, plus là-haut, on sera récompensé : plus on aimera Dieu, plus on verra de près celui qu'on désire voir.

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CHAPITRE XV. Des propriétés et des affections du vieil homme : de sa mortification et de son changement par Jésus-Christ.

38. Les jours de l'homme sur la terre sont semblables à l'ombre, ils ne connaissent point de repos : et il n'est vraiment rien, lorsqu'il paraît se tenir debout. Pourquoi donc amasse-t-il des trésors sur la terre, puisque passent sans s'arrêter et ce qui est amassé et celui qui amasse ? Et vous, nomme, quel profit attendez-vous en ce monde, qui produit des ruines et aboutit à la mort? Plût au ciel que vous fussiez sage, et que vous comprissiez et que vous vissiez d'avance les fins dernières? Je sais quelqu'un qui pendant plusieurs années a vécu familièrement avec vous, s'est assis à votre table, a reçu sa nourriture de votre main, a dormi sur votre sein, s'est entretenu avec vous lorsqu'il l'a voulu : cet homme est votre serviteur par droit héréditaire. Mais parce que dès l'enfance vous l'avez nourri délicatement, et lui avez épargné la verge , il s'est révolté : il a levé son talon sur votre tête et vous a réduit en servitude, et il exerce actuellement sur vous une tyrannie cruelle.

39. Mais peut-être direz-vous : quel est ce personnage? C'est votre vieil homme qui foule aux pieds votre âme, qui possède pour rien une terre fort enviable, et qui ne cherche rien autre chose que ce qui plait à la chair. Cet homme est aveugle dès sa naissance, il est sourd et muet, invétéré dans ses jours mauvais, rebelle à la vérité, ennemi de la croix de Jésus-Christ. Il tourne en dérision l'innocent et celui qui va avec simplicité : il marche dans les grandes pensées et dans les idées merveilleuses qui l'élèvent au-dessus de lui. Son arrogance est plus grande que sa puissance. Il ne respecte rien. Dans sa force, il dit : il n'y a pas de Dieu. Il est hostile au bien, il se repaît du mal d'autrui. Il se nourrit de pensées immondes : il ne se fatigue pas de s'y complaire jusqu'à la fin. Il dissipe ce qui lui appartient comme le prodigue : il désire et ravit ce qui est aux autres, comme l'avare : il ramasse la honte et l'ignominie, il est habile et dissimulé, il provoque la colère de Dieu. Cet homme est né tout entier dans le péché, et il y est nourri pareillement, ami de l'iniquité, fils de la mort, vase de colère pour la honte, apte à être frappé de mort. Etant en cet état, il raconte les justices de Dieu, et il ose prendre son testament et ses témoignages, dans sa bouche coupable. Il déteste la discipline, et rejette son Seigneur derrière son dos. Lorsqu'il voit un voleur, il court avec lui et place son sort avec les adultères. (Psal. XLIX, 18.) Il pose la pierre de scandale devant les pieds des enfants de sa mère. Môme sur la terre, il thésaurise la haine pour le jour du courroux. Il veut vous arracher votre héritage et l'enlever de dessus la terre. Et vous ne tirez pas vengeance d'une si grande injure ! Mais vous dissimulez, vous ne lui adressez pas de paroles dures, vous ne lui montrez pas de visage courroucé, vous lui souriez lorsqu'il vous caresse? Vous jouez avec celui qui vous trompe : ne savez-vous pas que c'est Ismaël qui folâtre avec vous? Ce n'est pas là un jeu d'enfance, de simplicité on d'innocence, c'est l'illusion de l'âme, c'est la persécution, c'est la mort. Déjà il vous a précipité dans la fosse qu'il a creusée : déjà vous êtes affaibli, déjà accablé sous le joug de la servitude la plus malheureuse, vous êtes tristement et ignominieusement foulé à ses pieds.

40. O homme misérable et malheureux, qui vous délivrera du joug de cet opprobre? Que Dieu se lève, et que ce fort armé soit renversé : que l'homme ennemi tombe, qu'il soit foulé aux pieds, cet ami de soi, cet ami du monde, ce serviteur dia démon. Que vous en semble? Si vous pensez bien, vous direz avec moi : il est digne de mort, qu'il soit crucifié. Ne dissimulez donc pas, ne différez pas, ne l'épargnez pas: mais avec empressement, avec courage et énergie crucifiez cet homme, mais .crucifiez-le à la croix de Jésus-Christ où est le salut et la vie : si vous lui criez du fond du cœur, votre crucifié vous entendra et vous répondra avec bonté : «Aujourd'hui tu seras avec moi en Paradis. » O piété du Christ, ô salut inespéré du malheureux! L'amour de Dieu est si gratuit et si éprouvé, sa mansuétude si invincible, qu'il exauce celui qui crie vers lui parce qu'il est miséricordieux! O qu'elle est grande cette miséricorde, combien ineffable ce changement opéré par la droite du Très-Haut! Hier, vous étiez dans les ténèbres, aujourd'hui vous êtes dans les splendeurs de la lumière : hier, dans la gueule du lion, aujourd’hui, dans la main du médiateur; hier, aux portes de l'enfer, aujourd'hui, dans les délices du Paradis. Mais de quoi servent ces lettres d'avertissement, si vous ne détruisez pas dans votre conscience, les lettres de mort? De quoi sert de lire et de comprendre cet écrit, si vous ne vous lisez pas et ne vous comprenez pas vous-même? Appliquez-vous donc à cette lecture intérieure, lisez , regardez et connaissez-vous vous-même : lisez pour aimer Dieu, pour combattre et pour vaincre le monde avec tout ennemi : afin que le travail se change en repos, le deuil en joie, afin qu'après les ténèbres de cette vie, vous voyez le lever de l'aurore naissante, vous contempliez aussi le soleil de justice à son midi, lieu sacré, où vous apercevrez l'époux avec l'épouse, un seul et même Seigneur de gloire, qui vit et règne dans les siècles des siècles sans fin. Amen.

« Dans le manuscrit de Cîteaux et dans quelques autres, le même texte renferme quelques chapitres ajoutés, le premier est intitulé : « De l'âme et de sa piété, etc., » commence par ces mots : « L'âme est une substance douée de raison. » Mais ils ne font pas suite avec ceux qui précèdent bien plus, dans les œuvres d'Hugues de Saint-Victor, ils forment « le second livre de l'âme; » au tome VI de saint Augustin, ils composent « le livre de l'Esprit et de l'Ame. » A ces chapitres, dans la copie de Claude Joli, chanoine et chantre de Paris, en est ajouté un autre, débutant par ces termes : « La justice pleine et parfaite, c'est d'aimer Dieu de tout son cœur, etc. » ces paroles sont tirées du début du traité de Paul d'Aquilée « Des documents salutaires, » dans le nouvel appendice au tome VI, des œuvres de saint Augustin. C'est pour cette raison que nous terminons en cet endroit les méditations que nous venons de donner.

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