Tout quitté
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SERMON. (a) Sur ces paroles de l'Évangile : Voici que nous avons tout quitté.

1. « Voici que nous avons tout quitté pour vous suivre (Matth. XLX, 27). » En ces paroles est proposé, à notre admiration et à notre imitation, un exemple de conversion véritable. Il faut, en effet, que celui qui pratique la vraie religion abandonne toutes choses et suive Jésus-Christ. Et bienheureux l'homme qui se sépare de tous les biens, de telle sorte qu'il marche sur les traces de celui en qui se trouvent tous les biens. Ceux qui veulent suivre Jésus-Christ d'un esprit dégagé, ont trois empêchements à laisser derrière eux, l'avarice, l'orgueil et la luxure l'avarice du monde, l'orgueil du cœur, la luxure de la chair. Saint Pierre nous apprend par son exemple que ce sont là les trois choses qu'il faut surtout abandonner, il quitta, en effet, ses filets, sa barque et son épouse. Le filet qui rassemble et enferme les poissons, désigne la cupidité, qui, enflant l'homme d'une manière déréglée, le porte à joindre une maison à une maison et un champ à un champ. La barque qui vogue au dessus des eaux, dénote l'orgueil qui élève l'homme au dessus des autres. L'épouse exprime la volupté charnelle. Attachées à l'homme, ces trois choses l'emportent et l'entraînent : l'avarice le fait se répandre hors de lui, l'orgueil l’élève au dessus de lui, la luxure le souille au dedans de lui. La préoccupation le fait errer au dehors, sa propre estime l'élève, la délectation immonde le souille. A l'extérieur il craint, en haut il est enflé, au dedans il est infecté. Il craint la diminution de la fortune qu'il a acquise, il craint de ne pouvoir obtenir ce qu'il désire ; il s'enfle en méprisant ses inférieurs, en se préférant à ses égaux et en s'égalant à ses supérieurs. Il répand une mauvaise odeur par les pensées, les actions et les habitudes. L'avarice éloigne l'homme du prochain, l'orgueil l'éloigne de Dieu, et la luxure l'éloigne de lui-même.

2. Adonnés à ces trois vices et retenus par eux, les trois malheureux personnages dont parle l'Évangéliste (Luc. XIV, 16), refusèrent de se rendre au souper du père de famille. Le premier pour aller éprouver des boeufs ; le second, pour visiter une campagne qu'il avait achetée; le troisième, afin de se marier. [.'épreuve des boeufs, c'est le soin des choses terrestres; on achète une campagne lorsqu'on vent dominer sur les autres; celui qui satisfait les désirs de la chair, prend une épouse.

a Ce discours est attribué à saint Bernard à la fin d'un certain manuscrit imprimé à Cologne, en 1575. Dans ce manuscrit se trouvent les quatre règles de vie religieuse les plus reçues dans l'Eglise, avec les commentaires de Turrécrémata et de Smaragde, sur la règle de saint Benoit.

De tels hommes, s'ils ne se convertissent, ne peuvent ni venir au repas du père de famille, ni suivre Jésus-Christ. En effet, le premier d'entr'eux demeure en-deçà du Jourdain ; le second passe vers l'Aquilon; le troisième nage dans le fleuve de Babylone. Tandis que les autres tribus entrent dans ia terre promise, Ruben, Gad et la demi-tribu de Manassé, qui avaient des troupeaux considérables, demeurèrent au-delà du Jourdain, c'est la figure de ceux qui, semblables à des animaux, s'appliquent aux choses de la terre, et méprisent celles du ciel (Jos. XXII, 7). Jourdain veut dire descente. Il y a une descente bonne, il y en a une mauvaise. La mauvaise est celle dont Isaïe a dit : « Mon peuple est descendu en Égypte » (Isa. LII, 4). Et dans l'Évangile, on lit: « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho (Luc. X, 30).» La bonne descente est celle qui se fait quelquefois par l'humilité, quelquefois par la compassion. Par l'humilité, comme cela arriva à Rébecca qui, en apercevant Isaac, descendit de son chameau, elle montrait ouvertement par là la soumission et l'humilité que l'épouse doit à l'époux, l'Église à Jésus-Christ, l'âme à Dieu. La descente s'opère aussi par la compassion, comme nous le trouvons dans le symbole, où il est dit que Jésus-Christ est « descendu des cieux à cause de notre salut. » Selon le sens moral, par le Jourdain, nous pouvons entendre la descente faite en vertu de la miséricorde, sous l'influence de laquelle l'homme a compassion de son prochain.

3. Mais, il faut savoir que l'on est en deçà du Jourdain, dans le Jourdain, ou au dessus du Jourdain. L'homme qui n'a de compassion pour personne et pour qui personne n'en ressent, est en-deçà du Jourdain celui qui en a pour les autres et pour qui les autres en ressentent, se trouve dans le Jourdain ; celui qui en ressent pour les autres et n'a point besoin que les autres en éprouvent pour lui, est au dessus du Jourdain. En deçà est le diable ; au dedans, l'homme; au dessus, Dieu. C'est pourquoi l'avare, qui ne sait pas avoir pitié et ne peut, lui-même, obtenir miséricorde, est en deçà :car « un jugement sans miséricorde sera fait de celui qui n'a pas fait miséricorde (Jac. II, 13). »

4. Ensuite, on voit que l'orgueilleux passe vers l'Aquilon. Or, d'après les saints docteurs, l'Aquilon signifie l'enflure de l'orgueil. De même, en effet, que « de l'Aquilon vient fondre tout mal (Jerem. I, 14), » de même, l'orgueil « est le commencement de tout péché (Eccle. X, 5). » De même aussi, toute perdition en tire sa source. De là vient que l'ange apostat dit, en son cœur : « J'irai m'asseoir sur le mont du Testament, aux côtés de l'Aquilon (Isa. XIV, 13). » Le superbe passe donc vers l'Aquilon, parce que, en se livrant à l'orgueil, il se retire de Dieu qui résiste aux superbes, et suit le démon, qui est roi sur tous les enfants de l'orgueil.

5. Vient après cela le voluptueux qui nage dans les fleuves de Babylone. Ce fleuve, ce sont les flots des passions charnelles. C'est dans ce fleuve que nage celui qui, entraîné par la délectation de la volupté, s'y roule par ses mauvaises habitudes. Voilà trois vices que le démon inspire aux hommes. Le démon s'empare de l'homme par l'avarice, attendu « que ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et dans les pièges du démon (I Tim. VI, 9). » Aussi, lisons-nous que, après s'être enivré du venin de l'avarice, Judas était sur le point de livrer Jésus-Christ aux Juifs, et que, ayant reçu leur argent, Satan entra dans son âme. L'avarice exclut la largesse, elle ne connaît pas la piété, elle déteste la miséricorde. L'orgueil est le trône de l'iniquité, le vice de l'homme, la cause de la perdition du démon. Dieu le déteste, les anges l'ont en horreur, les hommes ne le peuvent supporter. Cette passion est la source du péché, la mère de la discorde et la marâtre de la concorde: elle est le soutien des vices, et la ruine des vertus. Ainsi, par l'orgueil, le démon règne dans l'homme ; par la luxure, il s'établit en lui : parce que, comme nous le lisons, il dort dans les lieux humides (Job. XL, 16), c'est-à-dire dans les cœurs soumis à ce péché. La luxure affaiblit la chair, attaque l'esprit, et plonge l'homme dans le deuil. Elle est un fumier d'impuretés, la bave des vices et la sentine des voluptés.

6. Si vous le voulez, considérons avec plus d'attention combien les trois vices dont nous venons de parler avilissent l'homme. L'avarice l'aveugle, l'orgueil le pend, la luxure le fait pourrir. [l est aveuglé par l'avarice, comme nous le lisons. En effet, lorsque Judas, poussé par cette passion, sort de l'assemblée des disciples, l'Évangéliste, voulant peindre son aveuglement intérieur, nous dit : « Il faisait nuit (Joann. XIII, 30). » Aveuglé par l'avarice, l'homme est suspendu par l'orgueil car en se croyant plus riche que les autres, il ne fait point attention à l'égalité de sa condition, il ne regarde que sa gloire, à cause de la grandeur de ses richesses, il s'élève an dessus de tout dans le fond de sa pensée. A raison de cela, nous lisons que deux femmes, appelées par le bienheureux pape Grégoire, l'orgueil et la vaine gloire, élevèrent entre le ciel et la terre, une amphore qui désigne l'avarice (Zach. V, 6). Si cela n'avait pas lieu, l'Apôtre n'aurait pas dit: «Ordonne aux riches de ce monde de n'avoir point de sentiments superbes et de ne point mettre leur espoir dans les richesses incertaines (I Tim. VI, 17). » Elevé par l'orgueil, l'homme tombe en dissolution par l'effet de la luxure. En effet, en se voyant plus riche que les autres, et monté sur l'escabeau de l'orgueil il ne craint plus Dieu et ne respecte plus les hommes : comme le cheval et le mulet, qui sont dépourvus d'intelligence, il entre dans l'étable de la volupté et il pourrit sur le fumier de la condition où il est réduit. De là vient qu'il est dit: « Les animaux se sont corrompus dans le fumier (Joel. I, 17). » Les deux femmes portaient l'amphore élevée entre le ciel et la terre, afin de lui bâtir la maison de Sennaar, c'est-à-dire de la puanteur.

7. En faisant ces remarques, mes très-chers frères, rendons grâces à notre Créateur, parle secours et la grâce de qui nous semblons avoir quitté ces vices s'il faut en croire la voie de pauvreté où nous marchons, l'habit d'humilité que nous avons reçu, l'observance de la pureté dont nous avons fait vœu. En entrant dans la route de la pauvreté, nous avons éloigné de nous l'avarice : en prenant l'habit de l'humilité, nous avons déposé l'orgueil et parle vœu de la chasteté, nous avons abandonné la luxure. Sachons donc, que si dans les vices que nous avons quittés, se trouve la ruine de toute honnêteté, de même dans les vertus, vers lesquelles nous avons porté nos pas, consiste le comble de l'honnêteté. La religion, en effet, est fondée sur l'humilité, la pauvreté la conserve et la pureté l'embellit. Toute affection vile se rencontre dans l'amour de l'argent. Une âme avide d'argent ne craint pas de périr, même pour une faible somme : et il ne subsiste aucun vestige de vertu dans le cœur de celui en qui l'avarice a fixé son séjour.

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