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VIE DE SAINT BERNARD ABBÉ DE CLAIRVAUX. LIVRE IV. PAR GEOFFROY RELIGIEUX DE CLAIRVAUX

CHAPITRE Ier. Saint Bernard revient de Rome, d'où il rapporte quelques reliques de saints. Diverses grâces arrivées à plusieurs personnes par un effet de ses propres mérites, mais à son insu.

CHAPITRE II. Bernard se fait remarquer par le don de prophétie, et par la révélation des choses futures.

CHAPITRE III. Divers événements à venir prédits par Bernard, en vertu du don de prophétie.

CHAPITRE IV. Grâces admirables et nombreuses procurées par le saint, surtout en France.

CHAPITRE V. Divers miracles opérés par saint Bernard, en Allemagne, à Constance; à Bâle, à Francfort, à Trèves et en d'autres lieux encore:

CHAPITRE VI. Divers miracles éclatants opérés par saint Bernard à Cologne, à Aix-la-Chapelle, à Liège, à Cambrai, ainsi qu'en Espagne.

CHAPITRE VII. Miracles opérés par saint Bernard dans sa patrie et dans le voisinage de Clairvaux.

CHAPITRE VIII. Différents prodiges et miracles opérés en divers lieux par Bernard, et dont il avait auparavant connu l'événement par des visions.

CHAPITRE Ier. Saint Bernard revient de Rome, d'où il rapporte quelques reliques de saints. Diverses grâces arrivées à plusieurs personnes par un effet de ses propres mérites, mais à son insu.

1. Ainsi que Bernard, le serviteur de Dieu, s'en félicite dans son vingt-uatrième sermon sur le Cantique des cantiques, et en rend grâces à Dieu, le Seigneur daigna jeter du haut du ciel un regard de bonté sur son troisième retour de la ville de Rome, et sourire, d'un visage serein, à l'apaisement de la rage du lion, à la fin de la malice des schismatiques et au rétablissement de la paix dans l'Église. L'Église des Gaules le reçut avec de tels transports de joie, qu'on put croire qu'elle ne ressentait pas une moins grande allégresse de son retour que de la paix rendue à la chrétienté. Pour lui, il s'en étonnait et se plaignait même souvent qu'au moment même où, après tant de tourments et de laborieuses conférences avec les hommes, il espérait pouvoir dire adieu au monde, et revenir comme de nouveau à la pratique des devoirs de la sainte vie qu'il avait embrassée, il se voyait l'objet de félicitations plus nombreuses que jamais et comblé de plus de marques de déférence. En revenant donc de Rome, le saint abbé rapporta comme de précieux présents des reliques des corps des saints apôtres et des saints martyrs, qu'il estimait comme une ample récompense de ses travaux. Parmi ces reliques se trouvait une dent du bienheureux Césaire ; il est bon de raconter comment il l'obtint. On lui présentait la tête entière de ce martyr pour qu'il en prit ce qu'il voudrait, il demanda qu'on voulut bien lui en accorder une seule dent. En vain les religieux qui étaient avec lui se donnèrent-ils toutes les peines du monde pour prendre le trésor qui leur était accordé, ils ne purent y réussir. Ils cassèrent, dans leurs efforts, deux ou trois canifs sans parvenir à ébranler la dent le moins du monde. Alors Bernard leur dit : « Il nous faut recourir à la prière, car nous ne. saurions avoir cette dent si le martyr lui-même ne nous la donne. » La prière finie, il s'approche avec respect et enlève avec ses doigts, avec une incroyable facilité, ce que des instruments de fer n'avaient pas même réussi à ébranler auparavant.

2. C'est vers cette époque que les chevaliers du temple, vrais soldats de la foi, commencèrent à avoir une maison de leur ordre à Home. Au départ de notre abbé, qu'ils regardaient comme leur protecteur tout particulier, ils gardèrent sa tunique, persuadés que d'immenses bénédictions y étaient attachées. La même année, un de leurs prêtres, atteint d'une fièvre très-grave, tomba dans un état désespéré; bientôt les forces l'abandonnèrent complètement et il semblait réduit à la dernière extrémité; il se fit alors porter dans la chapelle et recouvrir de la susdite tunique, et, dans cet état, il semblait ne plus attendre que sa dernière heure. Tout à coup il tombe en extase, et, comme si son âme était déjà délivrée des liens de la chair, il lui semble voir son corps, à la place même où il était étendu, déjà entouré d'une troupe de prêtres, qui tenaient des livres ouverts entre leurs mains et qui célébraient ses funérailles avec les solennités d'usage. Au même moment, il vit descendre de l'autel un homme vénérable, qui avait le visage et l’habit du saint et qui fit signe de la main aux assistants de se taire et leur défendit, de la voix, de regarder comme mort un homme à qui Dieu avait laissé la vie à la prière de l'abbé de Clairvaux. Revenant alors à lui ce prêtre se sentit guéri, et fit part à ses frères de la vision qu'il avait eue. Cet homme, selon ce que nous en ont appris des personnes dignes de foi, vit encore aujourd'hui; il demeure vit Aquitaine, et confesse hautement, à la louange ils celui dont les mérites lui ont obtenu la vie, le bienfait qu'il a reçu du ciel. Si on se sentait peu porté à admirer ce fait, il faudrait se rappeler que, parmi les nombreux prodiges qui ont rendu le nom de saint Nicolas illustre, on rapporte le jour de sa fête, comme une chose bien remarquable, que, bien qu'il se trouvât fort loin de la présence de. Constantin, il lui apparut néanmoins et le détourna de la pensée de faire périr certains individus qu'il voulait mettre à mort.

3. Ce fait ne diffère pas beaucoup de celui-ci. Gérard, abbé de Mores, abbaye voisine de Clairvaux, nous a assuré qu'il avait vu un jour Bernard passer dans les rangs de ses religieux pendant qu'ils chantaient au chœur, et, selon sa coutume, exciter ceux qu'il voyait s'assoupir, à chanter avec plus d'onction et de force ce qui restait encore de l'office de la nuit. Le lendemain, comme on lui reprochait familièrement d'avoir fait plus tard que de coutume, la nuit précédente, sa visite habituelle au choeur, il répondit : « Cette nuit, pendant les nocturnes, j'étais en proie à des souffrances physiques, mais mon esprit est allé là en mon corps ne pouvait se rendre. » Gérard fut vivement surpris en lui entendant dire qu'il ne s'était. pas trouvé présent de corps à l'église, où il l'avait vu de ses propres yeux pendant si longtemps passer dans les rangs des deux chœurs de religieux, et réveiller, suivant sa coutume, tous ceux qu'il trouvait endormis, en les touchant de la main.

4. A l'époque oit notre saint abbé était retenti à Rome, il arriva qu'un religieux, nominé Robert, tomba dangereusement malade à Clairvaux. Il eut une vision, dans laquelle il aperçut un jeune homme qui avait les traits du frère infirmier, et qui lui ordonna de le suivre. Il lui sembla qu'il le suivit en effet, et qu'il arriva sur ses pas au pied d'une haute montagne, où il vit le Seigneur Jésus assis avec les anges, et l'entendit dire à son guide : « Gardez-moi cet homme, » en même temps qu'en s'adressant à lui-même, pauvre malade, il déposait dans son cœur des paroles qu'il lui ordonnait d'aller répéter à son cher Clairvaux. Le matin venu, on vit, au grand étonnement de tout le monde, ce religieux qu'on avait cru sur le point de mourir, se mettre sur son séant et appeler dom Geoffroy, alors prieur de l'abbaye, et depuis évêque de Langres. Lorsqu'il fut arrivé, le malade lui dit entre autres choses: « Le Seigneur vous ordonne de construire de vastes bâtiments propres à contenir tout un peuple d'habitants qu'il va bientôt vous envoyer. Il veut aussi que vous prescriviez aux frères qui travaillent dans les granges, de se conduire honnêtement et de ne donner que de bons exemples aux gens du monde, car malheur à celui par qui un seul se perdra. » Vingt jours environ plus tard, ce même religieux, toujours malade, étant tombé dans un état désespéré, vit notre admirable père Bernard, bien qu'il fût absent de corps, il était présent d'esprit, venir à Clairvaux le visiter sur son lit de douleur, chanter près de lui, en compagnie d'une multitude de frères, les hymnes des matines, et passer la nuit entière auprès de lui. Le matin venu, ce religieux se trouva parfaitement guéri, et raconta à ses frères de quelle manière il avait été sauvé.

5. Il est bien peu de personnes, croyons-nous, qui n'aient entendu parler du vénérable Guillaume, autrefois seigneur de Montpellier, et qui maintenant vit en vrai pauvre de Jésus-Christ et en humble moine dans le monastère de Grand-Selve. Nous tenons de lui ce que nous allons rapporter, comme il le tenait lui-même de la bouche de celui à qui la chose est arrivée. Dans la ville d'Auch, capitale de la Gascogne, se trouvait un soldat malade. Un mal cruel avait établi son siège dans les parties inférieures du corps à partir des reins jusqu'au bas. Il y avait déjà bien longtemps qu'il était étendu en cet état sur son lit, à moitié mort pour cette portion considérable de son corps. Touché enfin de componction et plein de confiance en la miséricorde de Dieu, il se fit porter avec toutes les peines du monde auprès du serviteur de Dieu, dont on se redisait partout les miracles. Déjà il y avait plusieurs jours qu'il était en route, et il n'avançait pas moins dans son voyage que dans la foi et la piété, quand Dieu eut pitié de lui et daigna le secourir miraculeusement dans ses infirmités et lui épargner les fatigues d'un plus long voyage. Un homme, en effet, se présente à sa rencontre sur le chemin, et lui demande qui il était et où il allait. Sur la réponse du malade, qui lui fait connaître le motif de son voyage, il lui dit : « Je vous enjoins de la part du saint même, auprès de qui vous vous rendiez de retourner sur vos pas, avec l'assurance que vous ne serez pas plutôt rentré chez vous que vous vous trouverez guéri. » Dieu, par la volonté de qui toutes ces choses se passaient ainsi, inspira au soldat la pensée de croire à ce qu'on lui annonçait; il rebroussa donc chemin, et, en revenant, il sentit peu à peu l'effet de la grâce qui lui avait été promise, en sorte qu'il était à peine de retour chez lui, qu'il avait déjà reçu le don d'une complète guérison.

6. Mathilde, reine d'Angleterre, témoigna aussi un jour de tels sentiments de respect pour le serviteur de Dieu, que, lorsqu'il vint à Boulogne, elle sortit de la ville et alla au devant de lui avec tout le peuple et à pied, bien qu'elle fût alors même dans un état de grossesse fort avancé. Peu de jours après, le moment de ses couches étant arrivé, elle fut si malade qu'elle-même et toute sa maison avec elle désespérèrent entièrement de sa vie. Déjà même elle avait disposé de tout ce qui lui restait de mobilier en faveur des pauvres et des églises, et on préparait le manteau royal dans lequel on devait l'ensevelir, tant sa mort paraissait imminente. Tout à coup le souvenir de l'homme de Dieu lui revient à l'esprit, elle invoque son nom avec une foi sincère, et, avant même qu'elle eût terminé cette invocation, son accouchement, qui semblait laisser si peu d'espoir, se termina sans accident. Mathilde envoya sur-le-champ un messager fidèle à Bernard, pour le remercier de l'avoir secourue d'une manière si éclatante, et dit avec raison que le fils qui lui est ainsi donné est le fils même de Bernard. Quant à lui, toutes les fois qu'on lui rapportait quelque chose de pareil, il repoussait les témoignages de reconnaissance dont il était l'objet avec autant d'esprit que d'humilité, et disait : « Voilà encore un miracle que j'ai fait sans le savoir. »

7. A Beauveau, monastère voisin de Besançon, se trouvait un homme tourmenté du démon, et qui, à l'instigation de Satan, disait et faisait des choses étonnantes. Comme, malgré les prières multipliées des frères, l'esprit de malice tenait bon encore, le vénérable abbé de ce couvent, nommé Ponce (il est encore de ce monde), se souvint qu'il avait une étole dont notre bienheureux père s'était servi pendant quelque temps pour offrir à Dieu la victime du salut. Sans perdre un instant il revêt cette armure dont la puissance vient de Dieu, et marche droit à l'ennemi avec confiance. A peine a-t-il mis le pied sur le seuil de la porte de la cellule où gisait le malheureux possédé, que, sur-le-champ, l'ennemi malin s'avoue vaincu et s'écrie d'une voix horrible. « Oui, je sors, demeurer ici plus longtemps est pour moi chose impossible. » Mais l'abbé lui ayant dit : « Au nom du Seigneur et parles mérites du bienheureux à qui cette étole a appartenu, je t'ordonne de sortir d'ici sans retard, » le démon s'enfuit à l'instant et le malheureux possédé se trouva délivré de sa présence. Quel autre que Bernard n'eût peut-être triomphé alors, mais avec quelque danger pour son âme, en voyant que les esprits lui étaient soumis au point de lui céder même en son absence? Mais lui, quand l'abbé lui apprit ces faits, au lieu d'en être ébranlé, il se mit au contraire à rire de ceux qu'il voyait remplis d'admiration à ce sujet, en disant : « Pourquoi donc n'aurions-nous point prévalu étant deux contre un? Certainement le Seigneur a bien pu chasser le démon, surtout après qu'on m'a donné à lui, ainsi que vous le dites, comme compagnon et comme auxiliaire. » C'était, en effet, ainsi qu'il répondait ordinairement dans ces sortes de choses. Ce saint homme, qui ne faisait pas une vaine montre d'humilité, mais qui en faisait une profession aussi vraie que franche, savait fort bien qu'on dissuade plus efficacement les hommes de leur admiration pour des choses qui les étonnent, par une observation ingénieuse et détournée, que par une dénégation ouverte, qui, par cela même qu'elle manifeste une modestie plus louable, augmente l'estime que les hommes ont conçue de nous, bien loin de la diminuer. Aussi, en parlant sur ce, sujet d'après sa propre expérience, dit. il quelque part : « Ce que, l'homme vraiment humble désire par-dessus toutes choses, c'est d'être compté pour rien, non pas d'être préconisé comme humble mais d'être réputé tel en effet. »

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CHAPITRE II. Bernard se fait remarquer par le don de prophétie, et par la révélation des choses futures.

8. C'est un fait également bien connu que Bernard, quoique vivant, encore dans sa chair, apparat en esprit à un religieux et lui annonça le jour do sa mort. C'était tua jeune novice, d'une vie exemplaire et d'un excellent naturel, qui se trouvait alors malade à Clairvaux. Il n'avait plus longtemps à attendre pour avoir terminé sort année d'épreuve et pour se revêtir de l'homme nouveau, si auparavant il n'avait pas laissé là sa dépouille humaine ; car, bien qu'il eût peu vécu encore, il avait rempli la course d'une longue vie (Sap. IV, 13), et son âme était agréable à Dieu. Cinq jours donc avant celui qui devait être pour lui le dernier, il reçut la visite d'un frère, — c'était Gérard, aujourd’hui abbé de Longpont, — et, dans un transport de joie, il lui dit, entre autres choses inspirées de la grâce d'en haut: « Dans cinq jours je mourrai, car aujourd'hui même notre père et seigneur abbé m'est apparu avec une foule de moines et, me ranimant par de douces paroles, m'a dit que je mourrais dans cinq jours. » Ce discours se répandit parmi les religieux et cette prophétie fut connue avant qu'elle s'accomplit. Tout le monde attendait donc le jour indiqué, mais le bienheureux novice l'attendait avec plus d'impatience encore. Déjà ce cinquième jour penchait vers sa fin, mais son âme s'élevait de plus en plus vers Dieu. Enfin, sur les onze heures, il entre en agonie, ses yeux se voilent comme c'est l'ordinaire, et, ne reconnaissant plus personne, il s'avançait rapidement vers sa fin. Sur ces entrefaites, notre saint abbé vient le voir et le tirant comme du sommeil éternel, le retient pour ainsi dire au moment où il s'en allait de ce monde et rie lui permet point de partir sans lui avoir dit adieu. A sa voix donc il ouvre les yeux, sa figure se rassereine d'une manière étonnante et il fixe pendant quelque temps ses regards sur le saint abbé. Nous voyons tons avec étonnement ce mortel, ou plutôt ce mourant, triompher de la mort au point de tressaillir encore de joie à son dernier moment, et nous représenter admirablement bien ce que le poète a peint dans ce vers :

Enfant commence de rire et reconnais ta mère. (Virg. Egl. IV.)

Alors notre saint père abbé le consola, lui dit de ne rien craindre, de se rendre tout droit auprès du Seigneur Jésus-Christ,, et de lui présenter les humbles salutations de sa pauvre famille. Le moribond répondit à ces mots autant qu'il le put par un signe de tête et par un mouvement des lèvres, puis referma les yeux, et à l'heure même entra dans son repos éternel.

9. Il y eut beaucoup de choses que l'Esprit-Saint révéla à ce serviteur de Dieu, il y en eut beaucoup aussi qu'il prédit d'une manière étonnante, sans que Dieu les lui eût d'abord révélées. Nous allons en citer quelques-unes en preuve de ce que nous disons là. Un jour que notre saint Père se trouvait à Noyon, chez l'évêque de cette ville, nommé Simon, on lui présenta Hervée de Beaugency, jeune enfant on ne peut plus gracieux, qui avait du sang royal dans les veines et qui était neveu de l'évêque Simon. La nuit suivante, le Christ fit voir à son serviteur ce qui devait arriver longtemps après à cet enfant. Il lui sembla, en effet, qu'il donnait pendant la messe le baiser de paix à un ange, pour le porter ensuite à cet enfant. N'élevant aucun doute sur le sens de cette révélation, il annonça que ce même Hervée, renoncerait an monde et serait un jour un dévot serviteur du christ. Cette prophétie fut biciatût si connue et si répandue, que Hervée lui-même nous a dit dans la suite, que toutes les fois que, pendant sa jeunesse, il se sentait piqué de l'aiguillon de sa conscience qui lui faisait quelque reproche, il. lui était toujours venu à l'esprit, que, après la promesse si formelle du saint, il était impossible qu'il mourût dans l'habit séculier. Au surplus, il tic. fat point déçu dans son espérance : car le vénérable Valeran, premier abbé d'Ourscamp, lui donna l'habit de moine, et, s'acquittant des fonctions de l'ange qu'avait vit Bernard, lui transmit le baiser de paix qu'il avait reçu lui même de la bouche de notre saint abbé. Depuis lors la vie d'Hervée fait telle qu'il se montra digne de l'oracle que Bernard avait prononcé à son sujet. Il succéda à l'abbé Valeran dont nous venons ale parler, dans l'administration du couvent d'Ourscamp, et, tout dernièrement, bien qu'il fût en parfaite santé et fort bien portant, il eut connaissance de l'époque de sa mort, que Viderait lui révéla dans une vision, et il l'annonça lui-même d'avance.

10. Ce que nous allons rapporter est tout à fait semblable. Un jour noire saint abbé passait par le territoire de Paris; l'évêque de cette ville, Étienne, et beaucoup d'autres le conjurèrent instamment de s'arrêter dans cette cité, mais ne purent l'obtenir. Il évitait, en effet, avec le plus grand soin, toutes les réunions publiques, à moins qu'il n’eut un motif grave de s'y trouver. Le soir donc, il avait fixé son itinéraire pour aller d'un autre côté; cependant, dès que le jour parût, sa première parole à ses frères fut pour leur dire: «Allez informer l'évêque que nous irons à Paris comme il nous l'a demandé. » Un nombreux clergé se réunit donc, car les clercs avaient l'habitude de le prier de leur faire entendre la parole de Dieu. Tout à coup trois d'entre eux touchés de componction, abandonnent les vaines études qui les charmaient, pour se livrer au culte de la sagesse, renoncent au siècle et s'attachent au serviteur de Dieu. Regardant fixement le premier des trois au moment où celui-ci, au milieu de l'entretien, lui demandait la permission de le suivre, Bernard se pencha un peu et dit à l'oreille d'un religieux assis près de lui. « C'est le même clerc que cette nuit même j'ai vu dans une vision venir à moi aussi distinctement que je le vois maintenant et c'est pour lui que le Seigneur m'a conduit ici. » Ce clerc, en effet, ayant fait son noviciat,vécut ensuite avec une pureté et une dévotion qui le firent chérir de Dieu et des hommes et fit quelques années plus tard à Clairvaux une très-heureuse fin. Un jour que l'homme de Dieu se trouvait à Trèves, ses vénérables fils Gaudri et Gérard, qui étaient alors délivrés des liens de la chair, lui apparurent. Ils avaient été selon la chair, l'un son frère et l'autre son oncle. Comme ils passaient rapidement devant ses yeux, de la même manière que s'ils avaient été pressés de s'éloigner, il les rappela à lui et voulut les retenir, mais ils lui répondirent qu'ils avaient hâte de se rendre auprès de leur frère, le moine Geoffroy, leur compagnon dès les premiers temps de leur conversion à la vie monastique, et qui avait servi Dieu avec bien du courage en construisant un grand nombre de monastères. Aussitôt le saint abbé réveille ses frères, fait presser le départ. Il arrive le même jour au monastère et trouve ainsi qu'il le leur avait prédit ce même Geoffroy touchant à ses derniers moments.

11. Le roi de France, Louis le Vieux, irrité un jour contre certains évêques de son royaume, les avait privés de leur siège et chassés de leur ville épiscopale. Aussi notre vénérable homme de Dieu lui écrivit-il, pour faire rendre la paix à ces prélats, plusieurs lettres, dont on conserve encore des copies. Or, il arriva que, en présence de notre saint abbé, plusieurs évêques, pour fléchir le courroux du roi, se prosternèrent avec une entière humilité jusqu'à terre, lui baisèrent les pieds, sans pouvoir toutefois obtenir de lui une parole de grâce. L'homme de Dieu, transporté, à cette vue, d'une religieuse indignation, fit le lendemain de sévères reproches au roi pour avoir ainsi méprisé les prêtres du Seigneur, et lui fit connaître avec une entière liberté ce qui lui avait été révélé la nuit précédente. «Cette obstination sera punie par la mort de votre fils aîné Philippe. Car je vous ai vu en songe, vous et Louis, votre fils cadet, prosternés aux pieds des évêques que vous avez hier traités avec mépris, et sur-le-champ j'ai compris que Philippe vous sera bientôt ravi par la mort et que vous viendrez demander à l'Église, que vous opprimez aujourd'hui, de vous donner votre fils Louis pour successeur sur le trône.» L'événement ne tarda pas, en effet, à confirmer cette malheureuse prédiction. Philippe mourut et son père ne négligea rien pour faire sacrer Louis le Jeune, qui règne heureusement aujourd'hui.

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CHAPITRE III. Divers événements à venir prédits par Bernard, en vertu du don de prophétie.

12. Le comte Thibaut, un prince plein de foi, fut éprouvé par de cruelles tribulations. Le Seigneur le délivra d'une manière aussi miraculeuse que miséricordieuse. Ce seigneur, le plus puissant du royaume et le second après le roi, était cependant très-adonné aux aumônes, plein de zèle et de piété, et particulièrement dévoué à tous les serviteurs de Dieu en général et à Bernard de Clairvaux en particulier. Dieu permit qu'il fût soumis à de telles afflictions et attaqué par tant d'ennemis, car le roi et presque tous les princes voisins étaient ligués contre lui, qu'il désespérait même de pouvoir échapper à leurs coups, si bien que publiquement on insultait à ses sentiments de religion, on méprisait sa piété et on dépréciait ses aumônes. Des moines et des gens qui s'étaient convertis, voilà ce qu'on appelait ses inutiles archers et soldats. Ce n'était pas seulement parmi les étrangers, mais dans les propres villes et dans les châteaux même de Thibaut, qu'on faisait entendre ces blasphèmes. Enfin, plusieurs évêques et quelques autres personnes, parmi lesquelles se trouvaient l'homme de Dieu, se réunirent, et, pendant qu'on s'entretenait et qu'on délibérait sur ce qu'il y avait à faire, un évêque célèbre alors par son autorité et sa réputation de prudence dit: « Le comte Thibaut est dans les mains du roi, et il n'est personne qui puisse l'en tirer.» Un autre prélat répondit: «Il y a quelqu'un qui le peut. » Le premier, étonné de ce langage, cherchait quel était celui qui pouvait le faire. A la fin, en entendant qu'il s'agissait de Dieu, qui pouvait certainement tirer le comte du danger, puisqu'il peut tout, il s'emporta vivement et s'écria. «Sans doute il le peut, s'il se montre à découvert, s'il prend sa massue et frappe d'ici et de là; mais jusqu'à présent il ne l'a point fait. » Dans une telle extrémité comme le prince était vivement pressé de tous côtés, non-seulement par les étrangers, mais encore et surtout par les grands de son pays qui l'avaient presque tous abandonné, et qu'il n'était pas moins inquiet au sujet de la fidélité du petit nombre de ceux qui lui étaient demeurés attachés, mais que la défection des autres lui rendait suspects, l'évêque de Langres, Geoffroy, consultait souvent et intimement l'homme de Dieu, pour savoir de lui ce que le Seigneur lui révélait sur ce qui se passait. Déjà Bernard lui avait répondu que Dieu ne lui montrait rien à cet égard, que tribulation sur tribulation; à la fin pourtant, un jour que ce prélat le questionnait encore, il lui répondit: « Dans cinq mois d'ici la paix sera faite. » Et, en effet, le dernier jour du cinquième mois, la paix fut conclue à sa prière et sur. son intervention. En sorte qu'il n'est pas possible de douter que c'est surtout aux efforts et. aux mérites du saint abbé, que ce pieux seigneur dût sa délivrance de si cruels périls qui le menaçaient.

13. — Quelques années après il s'éleva encore de graves inimitiés entre ce même roi de France et Geoffroy, comte d'Anjou. Le motif était que, malgré la défense du roi, le comte avait assiégé un noble, Gérard de Montreuil, dans son château fort, avait fait prisonniers lui, sa femme, ses enfants et ses proches, et détruit les fortifications de son château. Beaucoup de grands et d'évêques s'étaient réunis pour traiter de la paix, et notre saint fut chargé d'aviser aux moyens de la rétablir. Tout à coup le comte en proie à un fiel amer, les quitte tous sans saluer personne, monte à cheval et se retire. Tout le monde reste confondu, et déjà désespérant de la. paix on allait se séparer; Gérard s'approchant de l'homme de Dieu pour prendre congé de lui se préparait à retourner en prison comma s'il marchait à une mort certaine, car il n'était venu à la conférence qu'en donnant des otages. Pendant que l'homme de Dieu lui faisait entendre des paroles de consolation, il fondait en larmes et sanglotait amèrement en disant : « Ce n'est pas de mon sort que je me plains, mais je pleure, sur tous les miens que je vois destinés à la mort. » Le saint, touché de compassion, lui repartit. « Ne craignez rien et soyez sûr que Dieu vous secourra vous et les vôtres, beaucoup plutôt même que vous ne sauriez l'espérer. » Il venait, en effet, de se rappeler une vision qu'il avait eue en venant à cette conférence. Il lui avait semblé qu'il allait lire l'Évangile et qu'il demandait la bénédiction ordinaire au saint évêque Malachie qui lui faisait penser, sans le moindre doute, que la paix ne pouvait manquer de se faire. En effet, Gérard en quittant le saint n'avait pas encore franchi le seuil de la maison, que, tout à coup, quelqu'un se présente en courant et annonce que le comte revient sur ses pas. Tout le monde fut saisi d'étonnement en voyant l'effet suivre de si près la promesse. Le comte arrive à l'instant même et la paix tant désirée se conclut sur le champ. Quant an comte, il se trouvait pour la même affaire frappé d'anathème par ordre exprès du souverain Pontife, et pour être absous il devait s'humilier et confesser sa faute, ce qu'il refusa péremptoirement de faire; bien plus, comme il était d'un caractère emporté et qu'il se croyait innocent et injustement chargé des liens de l'excommunication, il alla jusqu'à prier Dieu de ne jamais lui pardonner cette faute. Aussi notre saint abbé se sépara-t-il de lui le cœur navré de tristesse et en lui disant, car c'était un homme qui possédait à fond les saintes Écritures : « On se servira envers vous de la même mesure dont vous vous serez servi envers les autres (Matth. VII, 2.» Le même jour, comme plusieurs personnes s'entretenaient entre elles de la conduite coupable du comte, et disaient qu il avait gravement péché, le serviteur de Dieu, enflammé d'un saint zèle, s'écria : « Sa témérité sera bien cruellement punie; il est impossible que cette année s'écoule sans qu'il meure ont reçoive quelque autre preuve évidente de la colère de Dieu. » Beaucoup de ceux qui étaient là et d'autres encore entendirent ces paroles; l'effet s'en fit si peut attendre, que quinze jours après le comte mourait.

14. Un jour, le serviteur de Dieu s'était rendu clans l'empire de Germanie, il faisait route en toute hâte vers Mayence pour rétablir la paix entre le roi Lothaire et les neveux de l'empereur Henri, son prédécesseur, Conrad, qui dans la suite succéda à Lothaire, et Frédéric, père du Frédéric qui succéda à Conrad et qui occupe encore maintenant le trône impérial. L'évêque métropolitain de Mayence, le vénérable Albert envoya au devant de l'homme de Dieu lui clerc nommé Mascelin; comme ce clerc se disait envoyé par son Seigneur pour se mettre à sa disposition, l'homme de Dieu fixa un instant les regards sur lui, et lui dit: « C'est lut autre Seigneur qui vous a envoyé et c'est pour le servir. » L'Allemand surpris, se demande ce qu'il voulait dire par là et proteste de toutes ses forces que c'est bien son Seigneur l'évêque de Mayence qui l'a envoyé vers lui. « Vous vous trompez, repartit encore l'homme de Dieu, c'est un Seigneur plus grand que celui-là, c'est Jésus-Christ même qui vous envoie... Cet homme, comprenant alors où tendait ce discours répond : «Peut-être pensez-vous que j'ai l'intention de me faire moine ? Il s'en faut bien que j'y aie jamais songé et qu'une pareille velléité me soit venue à l'esprit. » Il eut beau protester, le serviteur de Dieu n'en continua pas moins à affirmer que, de toute manière, il en serait non pas selon que lui, Mascelin, avait pensé, mais selon ce que Dieu avait décidé. En effet, pendant le voyage même, ce clerc se convertit au Seigneur, renonça au monde et, avec plusieurs autres personnes lettrées et distinguées que l'homme de Dieu avait enrôlées, il suivit le saint comme celui-ci le lui avait prédit.

15. Dieu changea de même le cœur de Henri, frère du roi de France, qui fait aujourd'hui la gloire du siège de Beauvais. Il arriva, en effet, que ce prince étant venu trouver l'Homme de Dieu pour l'entretenir d'une certaine affaire du siècle, et ayant visité les religieux assemblés, se recommanda à leurs prières. Le saint abbé plaça ces paroles entre autres dans les saintes exhortations qu'il lui adressa; j'espère fermement de la bonté du Tout-Puissant, que vous ne mourrez point dans l'état où vous vous trouvez aujourd'hui et que vous apprendrez promptement par votre propre expérience combien vous seront utiles les prières que vous venez de demander à ces bons frères. » En effet, le jour même, au grand étonnement de tout le monde, ces paroles s'accomplirent, et tout ce monastère fut transporté de joie à la conversion de ce jeune homme. Cependant ses compagnons et les gens de sa suite le pleuraient comme s'il fût déjà mort, l'un d'eux même, un parisien, nommé André, allant plus loin opte tous les antres, criait que Henri était soûl ou fou et ne lui épargnait ni les sarcasmes ni les mots piquants. De son côté Henri suppliait instamment le serviteur de Dieu de travailler à la conversion de ce malheureux. A cela l'homme de Dieu répondit en présence de beaucoup de monde qui l'écoutait: « Laissez aller cet homme ; pour le moment soit âme est en proie à un amer chagrin, mais ne vous tourmentez pas trop pour lui, car il est à vous. » Mais Henri, plein d'espérance à ces mots, ;ayant insisté davantage encore pour que le saint parlât à André, Bernard, le regardant d'un air où il y avait de la sévérité, lui répliqua : « Qu'est-ce donc? ne vous ai-je pas dit que cet homme est à vous? » Quant à André qui était là, en entendant le saint parler ainsi, il se disait tout bas en lui-même, car il était extrêmement mal disposé et bien éloigné de se convertir au bien: « Pour le coup, voilà qui me prouve que tu n'es qu'un faux prophète, car s'il y a quelque chose de certain pour moi, c'est que ce que tu viens de dire ne sera jamais, et je ne manquerai point de te le reprocher un jour, dans quelque assemblée solennelle, en présence du roi et des grands de sa cour, afin de faire connaître ta fausseté à font le monde. » C'est de lui que nous tenons ce détail. — Mais que Dieu est admirable dans ses desseins sur les enfants des hommes, comme il se rit de leurs vains efforts et comme il sait arriver à ses fins, le jour et de la manière qui lui plait! En effet, le lendemain André s'en allait en maudissant de toute son âme le monastère où il avait laissé son maître, et en souhaitant que la vallée où il s'élève fût à cent pieds sous terre avec tous ses habitants. Tous ceux qui avaient entendu la prédiction du saint à son sujet n'étaient pas peu surpris et même ébranlés devoir cet homme s'en aller dans ces dispositions. Mais Dieu ne souffrit pas que leur pusillanimité et leur peu de foi fussent mis à une plus longue épreuve. Après avoir continué sa route et sa lutte en quelque sorte contre la grâce de Dieu, encore toute cette journée, la nuit suivante, vaincu et comme enchaîné par l'esprit de Dieu qui l'entraînait à soi et lui faisait violence, il ne put attendre que le jour fût levé, mais, se levant avant l'aube, il revient en toute hâte au monastère, et nous montre en sa personne un second Saul, ou plutôt un autre Saut changé en un second Paul.

16. Dans le nombre de ceux que le Christ arracha aux vanités du monde par le ministère de son serviteur, il s'est trouvé une foule de nobles flamands, hommes savants et lettrés, qui embrassèrent, sous la conduite de Bernard, le saint esclavage de la croix. Au premier rang se place Geoffroi, de Péronne, qui devint plus tard prieur de Clairvaux, et mourut' dans cette charge. On peut bien dire que c'est en eut surtout que s'est accomplie d'une manière évidente cette parole de l'Évangile : «Il y en a beaucoup qui vous diront, le Christ est ici, le Christ est là (Matt. XXIV, 8 et 23.) » En effet, on essaya de tous les moyens pour leur persuader de choisir un autre ordre, d'autres couvents pour y faire profession; déjà même ils étaient sur le point de se disperser, quand le serviteur de Dieu se présenta à eux. Aux paroles de la grâce qui tombent de ses lèvres, toute hésitation cesse, et tous se rendent à ses avis, avec une volonté ferme, inébranlable, ce qui n'arriva point assurément sans qu'il se fît, dans l'esprit de plusieurs d'entre eux, un changement subit et tout à fait inattendu. Bref, le susdit Geoffroy suivait déjà l'homme de Dieu au monastère, quand il se sentit agité par une violente tentation. Un des frères l'ayant regardé alors, lui dit : « Qu'est-ce donc, pourquoi cette figure toute bouleversée, et ce nuage de tristesse qui la couvre d'une ombre si épaisse? » « Hélas! répond Geoffroi, je vois bien qu'il n'y a plus un seul moment de joie pour moi désormais. » Le frère, vivement affecté de ce langage, en fit part au serviteur de Dieu, qui, apercevant le long de la route un pieux sanctuaire, y entra et se mit en prière. Les autres se tinrent à la porte en attendant; quant à Geoffroy, accablé de tristesse et d'ennui, il s'assit sur une pierre et s'endormit. Quand tous deux sortirent, l'un de son sommeil et l'autre de son oraison, Geoffroy parut à ses compagnons aussi gai et content, qu'il leur avait semblé triste auparavant. Le frère dont nous avons parlé plus haut étant venu alors lui rappeler, en forme de reproche amical, les paroles de tristesse qui lui étaient échappées, Geoffroy lui dit: « Tout à l'heure, il est vrai, je disais que je n'aurais plus un moment de joie, mais à présent je puis affirmer que je n'en connaîtrai plus un seul de tristesse. »

17. Pendant son noviciat, ce même Geoffroy, tourmenté dans sa piété filiale pour le salut de son père, homme noble et puissant qu'il avait laissé dans le monde, supplia, du ton le plus affectueux, le saint abbé, de demander sa conversion à Dieu. L'homme de Dieu lui répondit: « Ne craignez pas, il viendra dans cette maison de Clairvaux faire ses preuves en qualité de moine, et c'est moi-même qui l'ensevelirai de mes mains. » Ces deux prédictions se vérifièrent; il devint un moine exemplaire, et il fut enseveli à Clairvaux, des mains mêmes du saint, comme ce dernier l'avait annoncé. En effet, comme s'il n'eût pas pu mourir pendant l'absence de Bernard, cet homme demeura malade quinze mois entiers, et, quoiqu'il entendît en lui-même une fréquente et même une continuelle menace de mort, il se soutint pourtant jusqu'à ce que le saint abbé fût de retour, pour l'ensevelir, comme il l'avait lui-même annoncé longtemps d'avance.

18. — La reine de France, femme du roi louis le Jeune, dont il a été parlé plus haut, avait vécu plusieurs années avec ce prime sans lui donner d'enfants. Notre saint se trouvant auprès du roi pour négocier une certaine paix, se voyait contrecarré dans cette affaire par la reine. Il l'engagea à renoncer à ses desseins, et à donner au roi de plus sages conseils. Dans la conversation, elle se plaignit de sa stérilité et pria humblement Bernard de lui obtenir de Dieu d'être mère. « Si vous faites ce que je vous conseille, lui dit le saint, de mon côté je prierai le Seigneur de faire ce que vous sollicitez. » La princesse le promit et la paix ne tarda point à se conclure. Mais, une fois terminée, le roi à qui la reine avait fait part de la promesse du saint, pressa humblement ce dernier de la tenir. Elle s'accomplit si bien que, l'année suivante à peu près à la même époque, la reine accoucha.

19. Dont Rainard, abbé de Cîteaux, qui sortait de Clairvaux, et que ce saint abbé chérissait comme un fils et révérait comme un père, se rendit en Provence, pour mettre l'ordre dans certains monastères de cette contrée. L'homme de Dieu se trouvait alors à Clairvaux et s'entretenait avec un religieux. Tout à coup, par une inspiration soudaine, il s'écrie : « Le Seigneur de Cîteaux est mort ou sur le point de mourir. » Le religieux qui l'entendait ne fut pas peu surpris, mais son étonnement devint bien autrement grand lorsque, quelques jours après, on vint annoncer sa mort.

20. — L'année même où notre saint abbé devait quitter cette vie, trois jeunes gens d'une ville voisine, appelée Bar-sur-Aube, touchés de la grâce de Dieu, se convertirent et entrèrent à Clairvaux, mais le troisième d'entre eux, poussé par le démon, retourna à son vomissement, ce qui inspira, aux religieux, pour le salut des autres, de vives inquiétudes qu'ils témoignèrent en leur présence à l'homme de Dieu. Celui-ci leur répondit en désignant ces jeunes gens: « En voilà un (lui ne saura jamais ce que c'est que la tentation; quant à cet autre, il en sera bien éprouvé, mais il en triomphera. » Or, nous avons vu pour l'un et pour l'autre les clin arriver comme il l'avait annoncé. Aussi représentions-nous souvent à celui que la tentation éprouvait, toutes les fois que nous le voyions fortement ébranlé et sur le point de nous quitter, qu'il était impossible que le démon triomphât de lui, puisque le saint avait prédit qu'il triompherait lui-même de toutes ces tentations. — Une fois que le serviteur de Dieu, alors à Clairvaux, passait la nuit en oraison, et priait Dieu avec son recueillement habituel, il arriva qu'un pauvre, vraiment pauvre d'esprit, mourut dans une cellule destinée aux étrangers et que le saint abbé entendit le chant des anges qui accompagnaient son âme vers Dieu. Le lendemain matin il interrogea les frères qui avaient assisté aux derniers moments de cet homme, et sut d'eux que l'heure de sa mort était précisément celle ou il avait entendu ces chants s'élever vers le ciel.

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CHAPITRE IV. Grâces admirables et nombreuses procurées par le saint, surtout en France.

21. Quand le bienheureux évêque Malachie, dont notre saint a écrit avec soin la vie pleine de vertus, vint à rendre son âme à Dieu, à Clairvaux, selon le désir de son cœur, notre abbé offrit, pour son passage d'une vie à l'autre, l'hostie du salut, mais il connut, par une révélation de Dieu, que ce saint prélat était dans la gloire, et, cédant à l'inspiration que le ciel lui envoyait, à la fin du Sacrifice, il change la forme de l'oraison et récite la collecte des saints pontifes, au lieu de celle qui se dit à la messe des morts, et s'exprime ainsi : « Seigneur, qui avez daigné égaler le bienheureux pontife Malachie à ceux qui ont obtenu par leurs mérites d'être sanctifiés, accordez-nous, nous vous en conjurons, à nous qui célébrons aujourd'hui la fête de sa précieuse mort, d'imiter les exemples de sa vie. » Après cela, il s'approche respectueusement des précieux restes de cet évêque et les baise avec la plus vive dévotion. Il ne voulut cependant ni parler à qui que ce soit, ni même rapporter, dans la vie du prélat, le fait et les détails de cette vision, et, quand on le pressait vivement de les faire connaître, il se contentait de répondre due cette vision touchait de trop prés à sa propre personne. — Il n'est certainement pas douteux qu'il a caché plusieurs miracles semblables, due le Seigneur a permis qui restassent cachés. Ainsi, à Verdun, ville de Lorraine, pendant qu'il offrait le sacrifice de louange sur le tombeau du très-révérend Albert, évêque d'Ostie, récemment décédé, et priait pour le repos de son âme, il et rangea de même la collecte. On ne lui demanda pas quelle vision il avait erre et jamais non plus il ne s'expliqua sur ce sujet. Toutefois personne ne pense qu'il ait agi ainsi sans quelque révélation.

22. Pour ce qui est dit don de guérir les maladies, Jésus-Christ a opéré tant de merveilles insignes en ce genre, par les mains de son serviteur, qu'il semble qu'on pourrait lui appliquer ce que l'évangéliste saint Jean a dit de Jésus-Christ même: « Jésus-Christ fit beaucoup d'autres choses encore, et si on les rapportait en détail, je ne crois pas que le monde entier pût contenir les livres qu'on en écrirait (Joan. XXI, 25). » Au reste, nous allons en citer quelques-uns, pris comme exemples entre tous les autres. Dans un endroit que les habitants du pays appellent Châteauvillain, distant de Clairvaux de six milles environ, se trouvait une femme grosse, dont le terme était passé depuis bien longtemps ; déjà même plusieurs mois s'étaient écoulés, et comme elle n'accouchait pas, on s'en étonnait de plus en plus. Enfin, sa délivrance tardait tellement à arriver, que sa grossesse parut plutôt une maladie qu'une grossesse, et qu'on finit par croire non pas qu'elle était enceinte, mais qu'elle était enflée. En effet, qui pourrait croire qu'un enfant pût demeurer un m'entier dans le sein de sa mère? Cette femme, au désespoir, se fait conduire en cet état au monastère de l'homme de Dieu; elle s'arrête à la porte et raconte au frère portier la triste cause de sa venue. A la prière de cette malheureuse femme, il se laisse toucher par le récit d'une affliction aussi inouïe, va trouver le saint abbé en suppliant, lui expose la position fâcheuse où se trouve cette femme, et remplit exactement la mission dont il était chargé. O admirable opération de la vertu divine, qui se hâte d'autant plus de terminer cet accouchement, qu'il avait été plus miraculeusement retardé. Comme si cet enfant n'avait si longtemps tardé à naître, que pour venir au monde par ce moyen même, cette femme accouche au moment même, et le soulagement devançant les pas de celui qui l'apportait, le frère, en revenant à la porte, ne trouve plus trace du mal qu'il était allé annoncer à son abbé.

23. Une autre fois, c'était dans l'Auxerrois, à Cosne, une femme se trouvait en danger depuis plusieurs jours; elle était en travail d'enfant, mais les forces lui manquaient pour accoucher. Le serviteur de Dieu était alors dans la ville, elle lui fait demander sa bénédiction et il lui envoie de l'eau bénite. Cette femme en but et à l'instant elle accoucha d'un fils, que le vénérable évêque de Chartres, Geoffroy, baptisa et à qui il donna le nom de Bernard. Pendant ce même voyage et dans le même pays, comme une multitude de fiévreux venaient, selon qu'on avait la coutume de le faire partout, lui demander du pain bénit, un clerc nommé Girard, d'un château-fort, nommé Clamercy, un petit savant de mauvais aloi, se mit à rire de la foi du peuple et à la tourner en dérision. Mais, au milieu même de ses discours moqueurs, il se trouva pris d'usa accès de fièvre des plus violents et contraint d'aller rejoindre à Auxerre l’homme de Dieu qui s'en était retourné. Après avoir témoigné de son repentir au saint lui-même, il finit à force d'instances par obtenir la même bénédiction, qui rendit la santé à tant de monde qu'on ne pouvait y voir que l'effet de l’intervention de Dieu, dont la vertu seule opérait ces miracles.

24. Nous avons vu dans le pays de Meaux un chevalier qui rendait de très-vives actions de grâces à l'hornme de Dieu, pour avoir obtenu, rien qu'en goûtant du pain bénit par lui, la guérison d'une fièvre quarte dont il souffrait tellement depuis près de dix-huit mois, que, lorsque l'accès le prenait, il tombait dans une sorte de frénésie, et ne reconnaissait plus même sa mère. Nous avons aussi entendu le vénérable évêque de Limoges raconter qu'un jeune homme de sa maison, blessé mortellement à la tête, était étendu écumant et sans connaissance; on lui introduisit dans la bouche un petit morceau de pain bénit par l'homme de Dieu, dont il ressentit si promptement la vertu qu'à l'instant même il se leva complètement guéri. Il ne faut pas non plus passer cette particularité sous silence, c'est que la bénédiction du saint préservait si bien le pain lui-même de toute atteinte de la corruption, que nous avons vu bien des gens qui avaient gardé de ce pain sept ans et plus, sans qu'il perdît rien de son goût et de sa couleur. Il y a peu de jours encore, les vénérables abbés Girard et Henri, qui arrivaient des pays scandinaves, nous attestèrent, lorsque nous nous entretenions avec eux de ces miracles, qu'ils avaient encore chez eux du pain bénit onze ans auparavant par le saint et qui -s'était parfaitement conservé. Nous savons que plusieurs de nous en ont conservé jusqu'à présent de pareil, et nous sommes fondés à croire qu'il s'en trouve de semblable chez beaucoup d'autres personnes. Au surplus, je vais rapporter une preuve assez évidente et assez concluante de ce prodige.

25. Un grand, un Danois digne de la plus grande vénération, l'archevêque Eskile, ressentait une affection toute particulière pour notre saint abbé. Il avait construit un nouveau monastère et avait obtenu de Bernard un essaim de sa sainte famille pour l'y placer; mais, peu content de ne le voir que dans ses enfants, il conçut un si violent désir de le voir en personne, qu'un homme d'une telle considération, qui était investi dans ces îles d'une immense autorité tant civile qu'ecclésiastique, abandonna tous ses biens, et s'exposa lui-même à toutes sortes de périls et de dangers pour venir le voir. Quant aux dépenses qu'il fit pour ce voyage, c'est un détail de peu d'importance, quoique nous lui ayons entendu dire qu'il ne lui en coûta pas moins de six cents marcs d'argent. Cet homme tout à la fois si grand et si humble, que le zèle de la foi et une grande dévotion, non point la curiosité et le désir d'entendre des leçons de sagesse, avaient attiré du bout du monde, arriva donc à Clairvaux, où on ne saurait dire les larmes qu'il versa et ce qu'il fut, non pas seulement pour celui qu'il aimait par-dessus tout, mais pour le dernier des frères. Enfin, quand il fut sur le point de retourner en son pays, comme il voulait emporter et conserver le plus longtemps possible du pain bénit par le serviteur de Dieu, il eut la précaution toute humaine de faire remettre ce pain au four, comme on fait pour le biscuit destiné à passer les mers. Le saint l'ayant appris, ne put souffrir qu'un homme aussi pieux tombât dans une pareille erreur; il le reprit amicalement de son peu de foi en cela, et lui dit: « Est-ce que la bénédiction de Dieu ne peut pas conserver ce pain beaucoup mieux que ne le ferait une seconde cuisson? » Refusant ensuite de bénir le pain que l'archevêque avait fait préparer, il se fit apporter du pain ordinaire, le bénit et dit au prélat : « Emportez ce pain avec vous et n'ayez pas peur qu'il se corrompe. » Eskile le prit, s'en retourna et se- félicite encore aujourd'hui de voir son manque de foi confondu par un fait aussi évident; car, comme il n'a pu se résoudre à ne pas visiter le tombeau (a)

a Eskile finit par se faire, en 1178, religieux à Clairvaux, où il mourut en 1182, selon la chronique de Clairvaux.

du saint abbé, qu'il n'aime pas moins aujourd'hui qu'il ne l'aimait de son vivant, attendu que pour lui on ne saurait douter qu'il vive maintenant d'une vie plus véritable qu'autrefois, il nous a dit que le pain qu'il avait emporté trois ans auparavant avec la bénédiction du saint s'était jusqu'alors parfaitement conservé.

26. Des religieux qui étaient venus avec ce même archevêque nous ont aussi raconté un miracle digne de mémoire, opéré dans un monastère que ce prélat, comme nous l'avons dit plus haut, a établi dans son pays (a). « Il y avait, nous dit l'un d'eux, dans la contrée, un jeune homme de bonne famille, proche parent de notre archevêque selon la chair, peu goûté de lui à cause de ses nombreux désordres. Atteint d'une maladie très-grave, il finit, mais à grand peine, par obtenir une visite du prélat, par qui il se fit porter au monastère qu'il avait bâti. Là, pénétré des sentiments de la plus grande componction, il renonça au monde et persévéra, pendant quelques jours, dans une humble et fidèle pénitence, mais n'en continua pas moins d'être de plus en plus tourmenté par sa maladie. Comme elle ne faisait que s'aggraver, ce jeune homme comprit qu'une fin prochaine le menaçait; il témoigne alors, avec une admirable effusion de cœur, le désir de voir auprès de lui l'abbé et tous les religieux, et les prie avec une touchante piété de prendre leurs armes spirituelles, pour protéger le départ de l'âme qui leur a été confiée, et pour lui faire la conduite au milieu des traits cruels dont ses ennemis le menaçaient. Après leur avoir fait cette prière, et avoir reçu les divins sacrements, il expira plein d'une pieuse confiance dans l'appui des serviteurs de Dieu et dans les miséricordes du Seigneur, et laissa tous les assistants dans la plus complète sécurité pour son salut. Les religieux se mirent donc à offrir, avec toute la dévotion possible, pour le repos de son âme l'hostie salutaire du corps de Notre-Seigneur.

27. Tout à coup, l'ennemi du salut des hommes concevant, comme cela paraît indubitable, une violente colère de la délivrance d'une âme dont il se croyait depuis longtemps maître, donna avec la permission de Dieu un libre cours à sa rage, en remplissant d'une fureur subite un des religieux de la maison. Ce malheureux homme poussait des vociférations horribles, et c'est à peine si les efforts ramis de plusieurs personnes pouvaient le contenir. Enfin on vient à bout avec de grandes peines de l'emporter et de l'attacher sur son lit; mais là il cherche à déchirer avec ses dents les membres des assistants et ses liens même et se trouve. en proie aux plus cruelles souffrances. On l'entend aussi s'exprimer, non pas dans sa langue maternelle, mais dans une langue étrangère tout à fait inconnue des personnes présentes. Sans rien comprendre à ce qu'il disait, on remarquait cependant qu'il prononçait, si nettement et avec si peu de difficulté, des mots qui ne manquaient même pas d'une certaine grâce, qu'on ne pouvait croire que c'était dans une langue connue qu'il s'exprimait.

a Eskile fonda deux monastères en Danemark, l'un appelé Granade, dans le diocèse de Lindeu, et l'autre, l'abbaye d'Hesson dans le diocèse de Rosckild. C'est de ce dernier monastère qu'il est question ici.

Cela durait depuis plusieurs heures, et les frères confondus se demandaient avec anxiété ce qu'ils pouvaient faire et se creusaient la tête à le chercher, quand le Seigneur inspira à l'un d'eux une pensée salutaire. L'archevêque avait rapporté cette apnée-là, comme de précieuses reliques, une mèche de cheveux et quelques poils de la barbe avec une dent de notre saint abbé; le religieux émet l'avis qu'on les apporte et qu'on les place sur la poitrine du malade. A peine l'eût-on fait, que l'esprit malin se mit à s'écrier en langue allemande avec dés vociférations horribles: « Ôtez, ôtez-moi cela, débarrassez-moi de Bernard. Ah! ajoutait-il, que tu es donc devenu lourd, ô Bernard, que je te trouve pesant, comme tu m'es insupportable ! » Après avoir parlé ou plutôt vociféré ainsi, il se fit un moment de silence, et à l'instant ce religieux, délivré par la miséricorde de Dieu, ouvrit les yeux, et comme s'il sortait d'un profond sommeil il se mit à regarder les religieux qui l'entouraient, bien étonné de se voir garrotté comme il l'était, et demanda avec une sorte de honte ce que signifiaient tout ce qu'il voyait et ce qui était arrivé. Dès ce moment il recouvra sa première santé de corps et d'esprit par les mérites de pâtre saint et bienheureux père, et ne se ressouvint jamais de ce qu'il avait dit ou fait dans l'état grave où il était tombé. Tous ces détails que nous avons rapportés ici en anticipant un peu sur l'ordre des temps, nous ont été donnés par un témoin digne du plus grand respect, par Eskile, archevêque des Danois, à l'occasion du pain que l'homme de bien avait bénit. Maintenant nous allons reprendre où nous en étions, ce qui nous reste à dire.

28. Ce n'était pas seulement aux hommes, mais aussi aux troupeaux et aux bestiaux que profitait souvent la bénédiction du saint; aussi reprit-il sévèrement un jour le célérier du monastère, de ce qu'il avait laissé périr, sans lui en parler, des animaux qui auraient pu servir à secourir les pauvres. A partir de ce moment, il prit l'habitude de bénir du sel et de le faire donner aux bestiaux; dès lors l'épizootie cessa complètement. Nous avons su et appris nous-mêmes, qu'en apprenant que dans d'autres monastères les bestiaux mouraient aussi, il employa le même remède, souvent sans attendre qu'on l'en priât, et donna le premier l'idée d'y recourir. Une fois, le saint homme allait passer la nuit dans un domaine qui appartenait aux moines de Chézy, et qu'on appelle Gaude; on lui présenta un jeune homme qui était boiteux, il pria pour lui, le bénit et le guérit si bien que, peu de jours après, en repassant par le même endroit, il le vit se présenter à lui sain et sauf et plein de reconnaissance. Dans la même contrée, au village d'Augour, où lui amena comme il passait une femme atteinte de frénésie; il lui imposa les mains, pria pour elle et la renvoya guérie, puis il continua sa route. Nous l'avons vue plus tard, dans ce même village, accourir au-devant de l'homme de Dieu, en lui rendant des actions de grâces.

29. Le don des miracles le suivit dans les contrées les plus éloignées, partout où l'attiraient les besoins de l'Église. A Vertfeuil, château-fort du Toulousain (nous avons vu plus haut que notre saint abbé parcourut un jour cette contrée et s'y rendit célèbre par une foule de miracles), un enfant perclus des bras et des jambes dès le sein de sa mère avait recouvré, auprès du tombeau d'un martyr, l'usage des jambes et d'un bras; il semblait, que l'autre bras était resté perclus par une permission de Dieu, pour qu'il devînt manifeste pour tous que notre saint abbé, qui le guérit en le bénissant, participait au pouvoir des saints. A la même époque, l'homme de Dieu passa par une ville d'Aquitaine appelée Cahors; là, entre autres bienfaits qu'il répandit sur une foule de malades, il rendit la vie, en le touchant de la main, à un des serviteurs de l'évêque de cette ville, qu'une blessure grave avait rendu borgne. A Angoulême; à l'endroit appelé Châtelar, après l'oblation de l'hostie du salut, on amena au serviteur de Dieu, en présence des vénérables Lambert, évêque d'Angoulême, et Gérard, évêque de Limoges, un enfant perclus des quatre membres dès le sein de sa mère; il avait les coudes arrondis en forme de boules qui venaient avec les genoux se rejoindre sur le nombril, et ses pieds étaient collés à son derrière. Notre saint commençant par faire un signe de croix sur chaque membre, les tire ensuite, les replace avec une étonnante facilité dans leur état naturel, et les guérit; puis, prenant l'enfant par la main, il le fait lever sur ses pieds et le renvoie; il marchait sans aucune difficulté. A la vue de ces éclatants miracles, le peuple célébrait à haute voix la gloire du Seigneur. Le lendemain, se trouvant sur le territoire de Limoges, dans un bourg nommé Saint-Germain-Laval, il opéra encore de nombreux et éclatants miracles. On lui apportait de tous les côtés des personnes atteintes de maladies et, par la vertu qu'il tenait de Dieu, il les guérissait toutes. Dans le nombre se trouvait tin enfant de dix ans environ, aveugle de naissance; on l'amena en présence de tout le peuple à l'homme de Dieu, qui, crachant sur ses doigts, lui frotta les yeux avec sa salive, fit une courte prière, et, au nom de Jésus-Christ, lui ouvrit les yeux qu'il avait fermés dès le sein de sa mère.

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CHAPITRE V. Divers miracles opérés par saint Bernard, en Allemagne, à Constance; à Bâle, à Francfort, à Trèves et en d'autres lieux encore:

30. Le saint pénétra un jour dans le royaume d’Allemagne, il y brilla d'un tel éclat par le don de guérisons miraculeuses qu’on ne saurait l’exprimer par des paroles, ni le rendre croyable en le dépeignant. Ainsi, nous savons de personnes qui se trouvaient dans le pays de Constance, près du bourg de Doningen, qui ont vu de leurs yeux, et examiné les faits avec la plus grande attention, qu'en un seul jour il rendit la vue à douze aveugles à qui il imposa les mains, guérit dix hommes perclus des bras et redressa dix-huit boiteux. Mais, pour que notre récit ne semble pas trop pauvre dans une telle abondance de faits, nous allons en rapporter quelques uns pris dans ce nombre et deux qui se sont passés dans les endroits les plus connus. L'homme de Dieu étant venu à Constance et le bruit de son pouvoir de faire des miracles s'étant répandu partout, l'abbé d'Auge, monastère antique et célèbre situé dans une île du lac Léman, lui envoya un pauvre aveugle, qu'il soutenait de ses aumônes, et il lui revint aussitôt ayant recouvré la vue. Il y a un lieu nommé Heytereseim, du diocèse de Constance, mais fort éloigné de cette dernière ville ; le Seigneur y fit éclater sa gloire comme en beaucoup d'autres endroits de la province par où il passa, en opérant une multitude de miracles par les mains de son serviteur: là aussi il y eut un aveugle-né, qui recouvra la vue à la seule imposition de ses mains. Il rendit aussi l'ouïe et la parole à un sourd-muet de la même ville. A Bâle, après avoir, selon sa coutume, adressé la parole au peuple, comme si on eût voulu accomplir en lui ce qui est dit des apôtres, qui se répandirent dans le monde en prêchant l'Évangile, Dieu coopérant avec eux et appuyant leurs paroles par les miracles dont elles étaient suivies, on lui présenta une femme muette, et à peine eût-il prié pour elle qu'elle parla. On lui amena aussi un boiteux, qui se mit à marcher droit et un aveugle qui recouvra la vue.

31. A Spire, en présence de Conrad, roi des Romains, qui conduisait lui-même, avec la plus profonde piété, le serviteur de Dieu de l'église à son logement, on présenta au saint abbé un enfant boiteux, en le priant de vouloir bien lui imposer les mains. A peine eût-il fait le signe de la croix sur lui qu'il se leva, se tint sur les pieds et se mit à marcher sans aucune difficulté, aux applaudissements de la foule qui louait Dieu. Dans la chapelle de l'évêque de la même ville, sous les yeux même du roi, Bernard rendit la vue à une femme aveugle, et fit marcher droit un boiteux de naissance. Jésus-Christ fit encore beaucoup d'autres miracles par ses mains ; il suffira d'en rapprocher quelques-uns comme exemple. Le roi vint présenter lui-même avec piété au saint un certain nombre de petits enfants pauvres, et eut le bonheur de les voir tous guéris. Ce n'est pas seulement à Spire, mais aussi à Francfort, dans le diocèse de Mayence, que le serviteur de Dieu donna de nombreuses preuves de son pouvoir miraculeux. En effet, tout ce qu'il y avait de malades dans la contrée lui était amené, et le concours était si considérable, que le roi ne pouvant point un jour écarter la foule qui se pressait autour du saint, déposa son manteau, et prenant Bernard dans ses bras, le fit ainsi sortir de la basilique. Dans le nombre de ceux qui recouvrèrent la santé dans cette ville, il y eut un vieillard paralytique; c'était un homme très connu et fort honorable des environs, ce ne fut qu'à force de prières de la part de ses parents et à grand'peine, qu'on parvint à le faire arriver jusqu'auprès de l'homme de Dieu, celui-ci récita selon sa coutume une toute petite prière pour lui. A l'instant, on vit le vieillard se lever, il était guéri; et, non-seulement il n'avait pas conservé trace de son infirmité, mais encore il semblait si plein de force qu'en le voyant on ne l'aurait jamais pris pour le malade qu'on venait d'avoir sous les yeux, mais pour un autre homme. Déjà même, comme il s'en allait d'un pas vigoureux et qu'on se préparait à enlever le lit sur le quel on l'avait emporté, un des assistants, Hugues, archidiacre de l'église de Toul, se souvenant du paralytique de l'Évangile, le rappela en lui disant: Ce n'est pas comme cela que les choses doivent se passer, vous ne pouvez vous en, retourner les mains vides, emportez votre lit et allez-vous-en; en même temps il lui mit le lit sur les épaules et le renvoya d'un pas dégagé; tout le peuple, à la vue de ce miracle, célébra hautement les louanges du Seigneur. Dans le même lieu, un enfant sourd-muet dès le ventre de sa mère, s'aidant d'une échelle, se présenta par la fenêtre à l'homme de Dieu, qui lui imposa les mains et lui rendit ainsi l'ouïe et la parole. Une femme paralytique du même pays, riche et très-considérée, recouvra aussi la santé qu'elle avait perdue depuis bien longtemps. En la voyant se lever et marcher, tous les assistants furent transportés d'allégresse, mais ceux qui témoignèrent une joie plus grande que les autres, ce furent les hommes d'armes qui l'avaient apportée et présentée au saint. Il semblait à leur pieuse dévotion qu'ils étaient pour quelque chose dans la guérison miraculeuse. A la même époque, le saint passait près d'un village situé sur le bord du Rhin, appelé Bobbare ; comme il guérissait les différents malades de la contrée qu’on lui amenait, on lui présenta un paralytique sur son lit. Cet homme, en apprenant les miracles que Bernard opérait, s'était fait porter dudit village à l'endroit où passait le saint. Ce dernier lui imposa les mains, au milieu d'un grand concours de peuple, le fit lever et le renvoya chez lui parfaitement guéri.

32. La même année, en arrivant à Trèves, le serviteur de Dieu vit, comme cela se faisait partout, le peuple tout entier se précipiter au-devant de lui. On lui présenta deux sœurs qui, depuis quatre ans, avaient l'une et l'autre perdu la vue. Le saint fit le signe de la croix sur chacune d'elles et leur fit voir clair, et, toutes deux, voyant distinctement l'homme de Dieu, le suivirent avec la foule. Dans la principale église de la même ville, notre saint, qui était doué de la grâce apostolique, venait d'offrir l'immortelle Hostie du salut, quand on lui présenta un boiteux qui se mit à marcher droit, un aveugle qui recouvra la vue, une femme muette qui retrouva la parole. Cette femme disait qu'elle avait été avertie en songe d'aller trouver l'homme de Dieu qui la guérirait. A Coblentz, château-fort du diocèse de Trèves, situé au confluent de la Moselle et du Rhin, comme le serviteur de Dieu avait déjà un peu dépassé les murs, on lui présenta un boiteux sur qui il fit le signe de la croix; puis, l'ayant fait ,mettre à terre, il lui ordonna de marcher, mais le boiteux n'obéit point. A l'instant même, le boiteux s'écrie que le nerf de sa cuisse, qui était retiré, vient de se détendre de lui-même, il ne sait comment, et que ses genoux s'écartent l'un de l'autre, ce qu'il n'axait pas pu faire jusqu'alors malgré les plus grands efforts. Tout le monde est dans l'admiration, et on veut s'assurer sur le champ de la vérité de ce qu'il dit; on le met à terre, à l'instant même il marche, et on ne peut douter un moment qu'il ne soit guéri et complètement rétabli.

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CHAPITRE VI. Divers miracles éclatants opérés par saint Bernard à Cologne, à Aix-la-Chapelle, à Liège, à Cambrai, ainsi qu'en Espagne.

33. Nous ne devons point passer Cologne sous silence; c'est une grande ville, la puissance miraculeuse du serviteur de Dieu s'y est montrée grande, et le peuple l'y honora avec une grande piété. On montre encore de nos jours, dans le cloître de Saint-Pierre, selon ce que nous ont rapporté des personnes dignes de foi,un jeune; homme qui a été boiteux jadis et qui, ayant été présenté à l'homme de Dieu, recouvra, à l'imposition de ses mains, la faculté de marcher droit, ce qui le fait appeler généralement le fils de saint Bernard. L'abbé Henri de Suède, dont nous avons parlé plus haut, nous a rapporté dernièrement qu'une dame noble, qui avait été la femme de son frère, étant tombée, par la douleur à la mort de son mari, dans une sorte de frénésie, resta dans le même état pendant bien longtemps; on était oblige de la lier. On la présenta dans cette ville au saint abbé. A peine eut-il fait un petit signe de croix sur elle, au milieu de la foule qui le pressait de tontes parts, qu'elle recouvra la santé et l'esprit, pendant que on l'emmenait, encore chargée de ses liens. Il y avait dans la même ville une fille sourde, que ses parents d'une famille noble de la ville présentèrent au saint abbé. Ils disaient que, dans son enfance, ils l'avaient placée dans une maison religieuse, qu'elle y avait perdu l'ouïe et était depuis plusieurs années affligée de cette infirmité. Le saint lui fit un signe de croix sur les oreilles, et rendit ainsi l'ouïe à la jeune fille, et la jeune fille à ses parents. Sur ces entrefaites, survint une femme de qualité, également habitante de Cologne, qui avait perdu l'usage d'un œil et qui avait, comme elle le disait, depuis cinq ans entiers, dépensé inutilement de grosses sommes d'argent avec les médecins. Il lui rendit à l'instant la vue par un simple signe de croix, mais ce fut gratuitement qu'il exerça un pouvoir qu'il tenait gratuitement du ciel. On cite encore une autre dame qui lui fut présentée dans son lit, dans la basilique de Saint-Pierre ; le serviteur de Dieu la lit lever à l'instant, et, après lui avoir rendu la santé, lui ordonna de s'en retourner à pied. Les nerfs de ses cuisses étaient tellement retirés depuis bien des années, qu'elle ne pouvait plus ni se lever ni se tenir debout sur ses jambes. Les témoins oculaires qui ont observé le fait avec le plus grand soin assurent que, pendant les trois jours que le saint séjourna dans cette ville, par l'effet de ses prières et de l'imposition des mains, il redressa douze boiteux, guérit deux perclus des bras, rendit la vue à cinq aveugles, la parole à trois muets et l'ouïe à dix sourds.

34. A Aix-la-Chapelle, pendant que notre saint célébrait le sacrifice solennel de la finesse dans la chapelle de ce royal séjour, si fameux dans tout l’empire romain, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs guérit par les mains de son serviteur un boiteux qu'il fit marcher droit, quatre aveugles il qui il rendit la vue par l'effet de sa puissance miraculeuse. La même année, dans le pays de Liège, sans parler d'une multitude d'autres miracles que je passe sous silence afin d'abréger, le Seigneur, près d'une ville fortifiée appelée Fontaine, ouvrit, gala prière de Bernard, les yeux à un aveugle-né. Cet homme, non-seulement était aveugle de naissance, mais encore il avait les paupières closes et comme mortes. Le bienheureux les ouvrit de ses doigts sacrés, et, par un effet de la bonté divine, il rendit en même temps les forces à ses paupières, et la clarté du jour à ses pupilles. Aussitôt l'aveugle, admirant là lumière qui lui était demeurée inconnue jusqu'alors, s'écriait dans les plus grands transports de joie : «Je vois le jour, je vois les hommes, je les vois avec leurs chevaux!» Puis, frappant des mains et trépignant de bonheur, il ajoutait : « O mon Dieu, à partir de maintenant je ne heurterai plus mes pieds contre les pierres. » A Cambrai, pendant que le saint célébrait une messe solennelle, on lui présenta un enfant sourd-muet de naissance; et sur le champ il entendit et parla. Ceux qui se trouvaient auprès de lui le firent monter sur un banc de bois, afin que de ce lieu élevé il pût saluer le peuple avec la parole qui venait de lui être rendue. Aussi ne faut-il pas s'étonner si, touchée d'une admirable piété, la foule célébra ce prodige par des cris d'admiration. Demeurons-en à ces quelques merveilles, choisies entre toutes celles que Dieu a daigné opérer dans le royaume de Germanie par les mains de son serviteur.

35. Pour l'Espagne, où il n'alla jamais en personne, elle vit aussi éclater les preuves de sa sainteté. En effet, comme ce fidèle et prudent serviteur rassemblait de toutes parts les précieux fruits de la croix du Seigneur, pour les répandre ensuite par tout le monde, il lui arriva d'envoyer plusieurs de ses enfants en Espagne, où il désirait produire quelque fruit comme parmi les autres nations de la terre. Parmi eux se trouvait un nommé Albert, artisan de son état, dans l'endroit appelé Sobrado; atteint d'une maladie très-grave, il était depuis bien longtemps étendu sans mouvement sur son lit. A la fin, il fit connaître à notre saint son fâcheux état, par son abbé, et le pria d'avoir pitié de lui. Or, le jour même où le bienheureux priait pour lui à Clairvaux, à la demande de son abbé, les paroles miraculeuses de Bernard et la vertu de sa prière volèrent si rapidement, que ce religieux à l’instant même, éprouvant un effet semblable à celui qu’il aurait ressenti si on lui avait versé un seau d’eau sur la tête, recouvra la santé. A son retour, l'abbé ayant trouvé ce moine en parfaite santé, lui demanda en détail la manière dont il s'était trouvé guéri et le moment où cela s'était fait; il vit, à n'en pouvoir douter, que pendant que le serviteur de Dieu priait en France, le malade s'était senti guéri en Espagne.

36. Puisque nous parlons de l'Espagne, disons aussi ce qui est arrivé à un homme de Dieu, le très-révérend Pierre, évêque des Asturies. Ce Pierre, de noble extraction, moine de profession et d'une très-grande piété, se sentit pris de si violents maux de tête, dans un couvent qu'il dirigeait alors, qu'il ne pouvait ni observer les jeûnes de règle, ni rester un seul instant sans un bonnet de fourrure (a). En apprenant les merveilles que la renommée

a Pierre le Venérable parle dans son écrit sur les vêtements des Frères, de calottes d'agneau ou de chevreau, à l'endroit où il prescrit au prieur de donner à chaque religieux a des tuniques appelées vulgairement frocs, des capuchons de peau, des calottes d'agneau ou de chevreau, des étamines, des caleçons, des plumes, c'est-à-dire des couvertures de lit. » On peut voir sur ce sujet nos notes à la première lettre de saint Bernard.

publiait de l'homme de Dieu, il envoie un de ses religieux lui porter sa prière, et lui demander le secours de son intercession. Le saint homme lui envoya le bonnet de laine qu'il portait lui-même, avec l'assurance que, par la vertu d'en haut, ce bonnet serait un remède à ses maux. Pierre reçut la bénédiction qui lui était envoyée, avec la plus grande dévotion et le plus profond respect; car, après avoir confessé du mieux qu'il put tous ses péchés, il se revêtit de ses ornements sacerdotaux, et, en cet état, comme s'il allait toucher à la frange du manteau même de Jésus-Christ, il prit le bonnet du serviteur de Dieu et le plaça sur sa tête. Sa foi ne tarda point à produire son fruit et à recueillir les effets de la bénédiction du saint : la guérison fut si soudaine, qu'il en fut lui-même frappé d'admiration, et depuis lors se trouvant dans un état parfait de guérison et de santé, il publie, à quiconque veut l'entendre, le miracle dont il a eu la grâce d'être l'objet. Devenu évêque dans la suite, il a partagé en deux la relique du saint, en a emporté, avec toute la pompe possible, un morceau dans le trésor de son évêché, et a déposé l'autre , avec piété, dans son monastère, ne voulant priver d'une telle bénédiction, ni le monastère qu'il quittait, ni le siège épiscopal où il était appelé.

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CHAPITRE VII. Miracles opérés par saint Bernard dans sa patrie et dans le voisinage de Clairvaux.

37. Revenons maintenant aux miracles qu'il opéra dans son propre pays, car, à ce point de vue, il semble qu'on peut bien dire de lui qu'il s'est montré plus que prophète, puisque le renom de prophète ne lui a pas manqué même dans son pays. — Un certain Henri, homme considérable et puissant de la maison et de la cour du duc de Bavière, était depuis longtemps atteint d'un mal affreux et digne de pitié, qui ne laissait plus aucun espoir de guérison. Il sentait comme un être vivant qui remuait dans ses entrailles, et il entrait dans de tels accès de frénésie, qu'on ne pouvait ni le calmer, ni le consoler. Il était impossible de pouvoir découvrir quelle était la cause de ses craintes et de ses souffrances, on soupçonnait seulement que c'était l'œuvre du démon. En cet état, il se fit conduire de Bavière à Clairvaux, auprès de l'homme de Dieu, et il eut le bonheur d'obtenir sa guérison. Le saint lui traça ensuite une règle de vie, lui donna des conseils de conduite, et le renvoya chez lui entièrement guéri. Jusqu'à ce jour, nous le tenons de personnes dignes de foi, cet homme observe avec une entière obéissance ce qui lui a été prescrit, et, non-seulement se montre content de ses émoluments, mais s'en sert même pour en faire de bonnes œuvres; aussi son changement de vie ne semble-t-il pas un moindre miracle que sa guérison. — A Mussy-l'Évêque, villa située sur le bord de la Seine, à quelques lieues de Clairvaux, on amena un hydropique à l'homme de Dieu, qui lui imposa les mains, pria pour lui, et lui ceignit le ventre, qu'il avait énormément enflé, de sa propre ceinture, qu'il lui recommanda de lui rapporter dès qu'il serait guéri. La guérison ne se fit pas longtemps attendre et peu à dieu l'enflure disparut. Le vingtième jour il revint mince et bien portant, et rendant à son sauveur sa ceinture et mille actions de grâces. Un jour, comme il sortait du cloître, on lui présenta un vieillard paralytique d'un petit village voisin, appelé Meurville. Il s'arrête un instant, fait un mot de prière, touche l'homme et lui dit de s'en aller; il était guéri. En le voyant partir, tout le peuple, qui s'était précipité au devant de l'homme de Dieu, loua le Seigneur en versant un torrent de larmes. De même, une autre fois, comme il revenait de route, on lui offrit, aux portes même du monastère, un enfant sourd-muet. Il lui toucha la langue avec sa salive, et lui mit les doigts dans les oreilles: à l'instant même, les barrières qui les bouchaient disparurent, et le lien de sa langue se rompit.

38. A trois milles environ de Clairvaux est un endroit appelé Marenville. Un jour que le bienheureux passait par là, il toucha et guérit une jeune fille percluse des bras. Nous avons appris dernièrement qu'elle vit encore et se porte toujours bien. A la même époque, et dans le même pays, à un château appelé Bourlemont, deux chevaliers conféraient ensemble sur le pouvoir miraculeux du père; l'un des deux, plus lent que l'autre à croire, dit : S'il guérit cet enfant je croirai fermement en sa puissance. Il parlait d'un enfant sourd-muet élevé chez eux, et qui n'avait jamais proféré une seule parole, ni entendu un seul mot. Quelques jours après, le saint abbé passant près de là, nos deux chevaliers emmènent l'enfant et le lui présentent. Bernard lui impose les mains, lui fait le signe de la croix sur la bouche et sur les oreilles, et lui adresse quelques mots et le renvoie; il entendait et parlait. A Rissenel, bourg du même pays, on voit encore un jeune homme, appelé Simon, et fort connu, qu'on amena boiteux au serviteur de Dieu, et qui, au seul contact de sa main, recouvra la faculté de marcher droit. A Bar-sur-Aube, petite ville distante de trois lieues de Clairvaux, l'homme de Dieu, à ce qu'on dit; fit aussi bien souvent éclater la puissance miraculeuse qui lui venait du ciel. En effet, sans compter tous les miracles dont nous n'avons pu prendre une connaissance détaillée, parce que le. nombre en est tel qu'il eût accablé notre curiosité, le Christ a fait marcher droit quatre boiteux, à sa prière et par l'imposition des mains du saint,, a rendu la vue à deux aveugles, l'ouïe et la parole à deux sourds-muets. A Bar-sur-Seine; à son simple toucher, un aveugle de naissance marcha droit.

39. Quand notre très-révérend pape Eugène III, qui de moine de Clairvaux et d'abbé de Saint-Anastase de Rome, était monté dans la chaire de saint Pierre, vint en France, notre saint l'accompagna; or, si la dignité apostolique brillait dans l'un, chez l'autre on pouvait remarquer le don des miracles qui avait aussi distingué les apôtres. Il se faisait autour du saint un tel concours de gens atteints de différentes maladies, que, lorsque le souverain pontife venait à entrer dans une église of, il célébrait les saints mystères, il lui arrivait, à la fin de la messe, de se trouver un peu pressé lui-même par la foule de ceux qui désiraient obtenir leur guérison, et ne s'en dégageait qu'avec peine, grâce encore aux efforts de ses gens. Notre abbé fit un grand nombre de miracles pendant qu'il accompagnait ainsi le pape; nous nous contenterons d'en rapporter deux que la grandeur de la joie dont nous avons vu qu'ils furent la cause ne nous permet pas d'oublier. A Charlette, petit bourg situé entre Provins et la Seine, se, trouvait un enfant de dix ans environ, tellement paralysé depuis lui an, qu'il ne pouvait presque plus remuer la tête qu'avec l'assistance d'une autre personne. Sa mère et ses autres parents l'apportèrent sur un matelas, et le présentèrent à l'homme de Dieu qui passait non loin de là en suivant la grande route. Celui-ci, après un signe de croix, fit lever l'enfant, le mit sur ses lieds et lui dit de marcher. A l'instant même, l'enfant se mit à sauter et à marcher en louant Dieu, et suivit le saint qui continuait sa route jusqu'à ce qu'il l'eût contraint, à son grand déplaisir, de retourner à son village, où il fut revu par tout le monde avec une joie et une admiration extraordinaires. Mais celui de tous qui se distingua le plus, fut le jeune frère de cet enfant, qui se précipita dans ses bras comme dans les bras d'un ressuscité. Ce spectacle fit couler les larmes des yeux de beaucoup des assistants. Quatre ans après, dans le même village, la mère de cet enfant le présenta à notre saint, dont elle lui fit baiser les pieds en disant. « C'est lui qui t'a redonné la vie et rendu à ta mère. »

40. La même année, tous les abbés étant réunis à Cîteaux, selon la coutume, le vénérable pape dont il vient d'être parlé assista à leur assemblée, bien moins pour la présider en vertu de son autorité apostolique, que pour se confondre avec eux tout comme l'un des leurs, par l'effet de la charité fraternelle. Là, le serviteur de Dieu étant rentré le soir après la tenue de l'assemblée, dans la cellule où il couchait, on lui présenta un enfant sourd-muet. Cet enfant était du voisinage et, comme nous l'avons su depuis, il s'était trouvé longtemps auparavant frappé de surdité, par une terreur soudaine, pendant qu'il était occupé à la garde des troupeaux et il en était resté sourd. Le saint abbé pria donc, et imposa les mains Ït cet enfant, il lui demanda s'il entendait. Oui, Seigneur, j'entends, s'écrie l'enfant dans un pieux ravissement, et il embrassa Bernard avec tant de force qu'il eut grand peine à se tirer de ses bras. Le bruit de cette guérison se répandit, on présenta l'enfant au souverain pontife et à d'autres personnes : ce miracle fit beaucoup de bruit. Le saint vint un jour au monastère de Charlieu, qui se trouve dans le diocèse de Besançon ; il était accompagné d'un grand nombre d'abbés de son ordre. Là, une dame de la contrée, qui était boiteuse depuis longtemps, se fit amener dans une voiture et présenter à l'homme de Dieu. Après une courte prière, il fit le signe de la croix sur elle au nom du Seigneur, la fit lever sur ses pieds, et la guérit si bien qu'elle put retourner à l'heure même chez elle en parfaite santé. A Morimond, une des premières abbayes de l'ordre de Cîteaux, un moine était étendu sur son lit, atteint d'une paralysie des membres si générale qu'il ne pouvait remuer ni pied ni main. Sur ces entrefaites, survient le bienheureux, qui fait une visite au paralytique et lui impose les mains, à sa prière. A l'instant même le malade se sentit soulagé. Toutefois, pour qu'il appréciât davantage le bienfait du miracle, ce ne fut pour ainsi dire que par degré qu'il recouvra d'abord l'usage de l'une de ses mains, puis de l'autre. Avant de partir, Bernard, à sa demande, le couvrit de son manteau, et à l'instant même la santé du reste du corps lui fut rendue. Au monastère d'Auberive, un moine, jeune encore, avait perdu la voix au point qu'il ne pouvait plus chanter avec ses frères, ni se faire entendre de personne à moins qu'on ne fût très-près de lui. Le saint, visitant ce monastère, bénit du vin et de l'eau et lui en donna à boire; il commença par ressentir un peu de froid, puis tout à coup la sueur se déclara sur sa poitrine avec un sentiment d'incroyable bien-être. Le jour même, débarrassé de son infirmité, il se mit à chanter comme les autres et cette cure dure encore aujourd'hui. Il y en a plusieurs qui ont connu un jeune homme qui, après avoir été enfant de l'église de Lyon, est devenu moine de Cîteaux et suit les exemples que lui a laissés son oncle Hugues, évêque de Grenoble, dont il a mérité de porter le nom. Le saint ayant appris sa conversion, s'en réjouit beaucoup parce qu'il avait été lié ,d'une amitié toute particulière avec son oncle, et lui écrivit une lettre de félicitation. Or il arriva à cette époque que ce jeune homme se vit atteint de la fièvre et devint gravement malade. Il prit donc la lettre de Bernard avec tout le respect qu'elle méritait, et la suspendit à son cou avec un sentiment plein de foi et de dévotion, comme un remède propre à le guérir, et il se félicite encore à présent d'avoir obtenu par ce moyen le retour de sa santé.

41. Un jour que le saint abbé se trouvait au monastère de Trois-Fontaines, on lui présenta un clerc, de ceux qu'on appelle réguliers, déjà fort avancé en âge et aveugle. Il lui imposa les mains, fit une courte prière, selon sa coutume, et, à l'heure même, il le renvoya à son église voyant clair. A Troyes, il se fit beaucoup de miracles éclatants par le moyen du serviteur de Dieu. J'en rapporterai deux qui eurent eut lieu en présence de Geoffroy, évêque de Langres, et de Henri , évêque de Troyes. C’était dans la maison même de l'évêque de cette ville; les parents et les connaissances d'une jeune fille contrefaite, vinrent la présenter au saint, en le pressant de leurs prières. Le concours des spectateurs était si grand, que, lorsque le serviteur de Dieu eut fait le signe de la croix sur elle, Peut redressée et massée de ses mains sacrées, comme une cire molle, et lui eut dit de se tenir droite et de marcher, elle n'avait pas de place pour se mouvoir. On la mit sur une grande table qui se trouvait là, et on la vit se tenir bien droite et marcher. Tout le monde alors fit éclater les louanges de Dieu. Je tiens de personnes qui l'ont connue, que cette femme vit encore maintenant. Dans la même ville, une mère présenta au saint abbé sa fille qui était muette; un accès d'épilepsie lui avait fait perdre la parole. A l'heure même où le serviteur de Dieu lui imposa les mains, le lien qui retenait sa langue captive se rompit, et elle se mit à parler sans aucune difficulté. Dans un endroit du même diocèse, nommé Dormans, le saint venait de célébrer la sainte messe, quand un père lui amena son fils qui était aveugle. Bernard crache sur ses doigts et lui frotte les paupières avec sa salive et rend à l'instant même ce fils à son père; il voyait clair. Non loin de ce bourg, dans un lieu appelé Argilly, après la célébration de la messe, il guérit d'un signe de croix, en sortant de l'église, une femme qui boitait et qui depuis bien longtemps demandait l'aumône, ce qui remplit de joie et d'admiration une foule de gens qui étaient accourus de toutes parts. En quittant l'endroit appelé Rosny, on lui présenta un paralytique, qui était devenu tellement malgré qu'il semblait n'être qu'une image de la pâle mort. Comme l'homme de Dieu passait, on le lui présenta porté sur une charrette. A peine le saint eut-il fait le signe de la croix sur lui, qu'il le fit descendre de voiture et lui dit de marcher; il se mit en effet à suivre sa charrette à pied; il était guéri, au grand étonnement de tous les assistants qui se mirent à faire retentir les airs des louanges de Dieu.

42. Une autre fois, il passait par le château de Brienne, qui n'est pas du tout éloigné de Clairvaux, quand il vit venir à sa rencontre une foule nombreuse, car toujours et partout on venait en foule innombrable se placer sur son passage. Là, en présence de tout le monde, il toucha et redressa sur ses jambes une femme boiteuse de cet endroit. Dans la suite, nous l'avons vue dans ce même lieu se précipiter avec les autres au-devant de lui, et lui rendre plus d'actions de grâces que les autres. Dans le pays de Sens, à Trainel, au milieu même du saint sacrifice de la messe, une femme dont la cécité était connue depuis dix ans en cet endroit, recouvra la vue à l'admiration de tout le monde, au toucher de l'homme de Dieu. A Montereau, au confluent de l'Yonne et de la Seine, en présence du très-pieux comte Thibautet d'un grand nombre de puissants seigneurs, on présenta au saint une femme paralytique, pendant qu'il offrait les saints mystères. A peine eut-il terminé le sacrifice, qu'il la toucha, la fit tenir debout, et, la guérissant à l'heure même, lui ordonna de retourner chez elle, où elle se rendit de son pied; nous avons vu dans l'église; le lit vide sur lequel on l'avait apportée. Comme le serviteur de Dieu passait par un autre château-fort du même diocèse, appelé Joigny, on lui amena sur la voie publique une femme aveugle; il s'arrêta, fit un mot de prière pour elle, et lui imposa les mains. Le Seigneur lui ouvrit les yeux. A peine s'aperçut-on qu'elle voyait, que tout le monde fut dans la plus grande allégresse; on se criait les uns aux autres: «Anne a recouvré la vue, Anne a recouvré la vue;» Anne était son nom, et tous les jours on accourait de tous côtés en plus grand nombre vers le saint.

43. Cependant le saint cherchait, en accélérant sa marche, à échapper à la multitude; déjà même il sortait du château, quand un jeune homme, borgne de naissance, se mit à le suivre et finit par l'atteindre. Bernard le bénit et lui rendit incontinent la vue, ce qui redoubla la joie du peuple qui le suivait. — Un jour que le saint homme s'était rendu à Auxerre, il entra pour faire sa prière dans l'église des religieux, où repose en paix un glorieux confesseur de Jésus-Christ, l'évêque Germain ; comme il en sortait, une femme boiteuse, qui rampait sur les mains et les genoux, le supplia d'avoir pitié d'elle. Bernard fit un signe de croix, la prit par la main et la releva, et, la quittant, il la laissa guérie, en lui disant d'aller au tombeau du saint évêque rendre grâce de sa guérison, ce qu'elle fit en marchant sur ses pieds. Il y a dans le bourg de Chably une basilique insigne de saint Martin, qui s'élève sur un terrain appartenant encore à l'église de Tours, où repose le corps de ce très-glorieux confesseur. Un jour que le saint passait par ce bourg, le peuple lui amena un jeune homme boiteux; à peine le serviteur de Dieu eut-il prié, que, parfaitement droit sur ses jambes, il marcha sans difficulté. On le conduisit à l'église de saint Martin, dont nous venons de parler, en louant Dieu hautement d'avoir suscité l'esprit de son cher Martin dans Bernard.

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CHAPITRE VIII. Différents prodiges et miracles opérés en divers lieux par Bernard, et dont il avait auparavant connu l'événement par des visions.

44. Le fidèle serviteur du Christ connut par des visions un certain nombre de guérisons, que son maître opéra par ses mains; il y en a aussi plusieurs dont il eut conscience dans son âme, au moment où elles avaient lieu; il en est enfin qu'il a accomplies de lui-même et sans en être prié, à la seule suggestion du Saint-Esprit. Pour que notre récit ne s'étende point à l'infini, nous nous contenterons d'en rapporter quelques exemples, en avertissant le lecteur de ne point s'étonner que de si grandes choses soient racontées en si peu de mots; la cause en est que la plupart de ces miracles, nous les avons vus s'accomplir en si peu de temps, que nous n'aurions pas pu les rapporter aussi vite qu'ils se faisaient. Et, bien qu'il soit passé en usage de dire qu'il n'y a rien de plus facile que de prononcer un mot, cependant, pour le serviteur de Dieu, à cause de la vertu qu'il tenait d'en haut, il semble qu'il était plus facile de faire des miracles qu'il ne nous l'est à nous de les raconter. Un jour qu'il sortait du monastère, un homme de la contrée accourt à lui et lui présente son fils à guérir. Bernard ne consentait, en effet , que fort difficilement à imposer les mains aux malades quels qu'ils fussent dans l'intérieur du cloître, dans la crainte que, s'il le faisait, il ne s'y fit un trop grand concours de peuple, et que la paix du cloître ne fût troublée et la discipline ne se relâchât. Or, cet enfant était fou, idiot, boiteux, sourd et muet. A l'instant même, par le seul effet de la prière et de l'imposition des mains, il se trouva tout à coup délivré de toutes ses infirmités à la fois. Il entendait, parlait et marchait, il avait recouvré un esprit sain, et cessa incontinent d'être en proie à la fureur et à l'agitation qui le tourmentaient auparavant. Comme le père de cet enfant, qui était un homme dévot, conduisait son fils rendu à la santé, à une chapelle de la bienheureuse mère de Dieu, pour lui rendre grâce , les religieux s'entretenaient entre eux des nombreuses infirmités dont cet enfant était affligé.

45. Le saint abbé leur dit: « C'était un châtiment de Dieu et une cruelle vexation de l'esprit malin. J'ai vu en effet en songe, la nuit dernière, à cette place même (c'était près de l'Aube où l'enfant avait été guéri), j'ai vu, dis-je, ici même, un jeune garçon tout semblable à celui-ci, qui m'était présenté, recouvrer une santé complète et l'usage de ses membres après que l'esprit malin se fut éloigné de lui.» Le bienheureux, parlant toujours de cette vision, ajouta: « Et, comme je m'avançai un lieu plus loin dans le chemin même où nous cheminons en ce moment, et près de ce bourg que nous apercevons (il parlait de l'endroit appelé Long-Champ), il me sembla qu'on m'amenait une fille boiteuse et que le Seigneur lui rendait la facilité de marcher.» A ce discours, les frères se sentirent frappés d'étonnement, et bien plus préoccupés de la pensée du miracle qui allait encore s'opérer que du souvenir de celui qu'il venaient de voir. En effet, le monde a-t-il jamais rien entendu de pareil? On arriva à l'endroit indiqué et on y trouva la jeune fille boiteuse, qui attendait le passage de l'homme de Dieu, comme elle était elle-même attendue par les frères qui passaient, d'après ce pue Bernard leur avait prédit. Ceux qui l'avaient apportée la présentèrent donc à l'homme de Dieu, qui fit sur elle le signe de la croix, et, par la grâce de Dieu, lui rendit la possibilité de marcher. Elle s'en retourna en rendant grâce à Dieu.

46. L'année suivante, le saint homme se vit obligé d'aller à Langres. pour mettre fin à un grave différend qui s'était élevé entre l'évêque de cette ville et son clergé. Après avoir travaillé le premier jour à les réconcilier sans avancer à rien, le lendemain matin il se préparait à s'en re tourner, et disait-il à ses frères: « Dans une vision que j'ai eue cette nuit, je vis qu'on m'amenait une femme boiteuse au moment oit j'entrais dans l'église et qu'elle fut guérie. » Environ une heure après, le clergé s'étant de nouveau réuni, la paix se fit d'une manière tout à fait inespérée, et, à force de prières, on engagea le saint à entrer dans l'église du martyr saint Mammert, et de dire quelques mots pour exhorter le Renfile à faire l'aumône, attendu que la famine sévissait alors. Et pendant qu'il prêchait, on lui amena, comme il l'avait prédit, une femme boiteuse ; il lui redressa les jambes, un grand étonnement de tout le monde, mais surtout de ceux qui voyaient que la chose se passait exactement comme ils se souvenaient due Bernard le leur avait annoncé.

47. Dans le pays de Trèves, se trouve un monastère antique appelée Hntina. Llti jour que Bernard .y célébrait la messe, et qu'une multitude innombrable y était réunie, Gontran de Sures, petite ville peu éloignée du monastère, fit apporter une femme boiteuse. Depuis longtemps elle se traînait par terre et ne pouvait plus du tout se tenir debout. Elle avait un petit chevalet dans chaque main, et s'était habituée à traîner après elle ses reins à moitié morts. Mais, comme la foule l'empêchait d'arriver jusqu'à l'homme de Dieu, elle se trouva tout à coup guérie au milieu même de l'église. Alors elle se mit à sauter de joie et à marcher, en rendant grâces à Dieu, avec un torrent de larmes. Dans son allégresse, le peuple alla porter sur le champ un de ses petits chevalets à l'autel, pour le vouer au Seigneur et à saint Bernard son serviteur. Ce saint abbé nous dit en parlant de cette cure, qu'elle lui avait été prédite la nuit précédente. « Il lui avait semblé, dit-il, qu'il se trouvait dans cette même église, au milieu de la foule qui l'environnait de tous côtés, et qu'il touchait cette femme en passant, sans qu'on le vit, à l'insu de tout le monde, et qu'il la voyait tout à coup guérie, pendant que de son côté il se félicitait et se réjouissait beaucoup de n'avoir été reconnu de personne. » Le même jour, la lumière du ciel brilla aux yeux de l'homme de Dieu. Dans une bénédiction, il rendit à deux femmes également boiteuses, la faculté de marcher, et celle de voir à deux autres qui étaient aveugles. Au surplus, il lui arrivait bien souvent que, pendant son oraison, ce serviteur de Dieu reconnaissait, à n'en point douter, la présence de la vertu divine en lui, mais il avouait qu'il manquait d'expressions pour rendre la manière dont elle se manifestait à lui.

48. Quelquefois, après avoir fait le signe de la croix sur quelques malades, il passait outre en disant qu'ils étaient guéris; alors, si quelqu'un de ceux qui l'avaient entendu parler ainsi retournait sur ses pas, il trouvait qu'il en était en effet comme il avait dit. Un jour qu'il sortait de Bâle, il fit le signe de la croix sur un sourd-muet et passa outre. Après avoir fait quelques pas, il appela Alexandre de Cologne et lui dit : « Allez voir si cet homme a recouvré l'ouïe. » Il retourne, et il trouve que cet homme entend. Le même jour, le même fait se produisit une seconde fois; en effet, après avoir fait le signe de la croix sur un homme qui était borgne, il avait continué son chemin en disant : « Dieu lui a ouvert l'œil à la lumière. » Alexandre retourna, cette fois-là encore, sur ses pas, pour voir ce qui était arrivé, et il trouva qu'il en était ainsi. Cet Alexandre est le même que celui qui, pour jouir des saintes instructions de l'homme de Dieu et contempler les miracles qu'il opérait, renonça au siècle avec une trentaine de ses compagnons environ, et se mit à sa suite. Bernard, peu de temps après, le fit abbé d'un monastère situé dans le diocèse de Toulouse, appelé Grand-Selve. Dans le diocèse de Constance, près du château de Fribourg, Bernard ayant imposé les mains à un aveugle qui se trouvait sur le chemin, envoya ensuite quelqu'un pour s'assurer qu'il avait recouvré la vue, et il se trouva qu'en effet il voyait. La même chose eut lieu pour deux autres aveugles, clans le pays de Cologne, à un endroit appelé Brumvillers, et, quand on vint lui rapporter qu'ils avaient recouvré la vue, il confessa que lui-même, de son côté, avait senti l'effet de la vertu d'en haut s'opérer.

49. Dans le territoire de Sens, à Saint-Florentin, on amena à l'homme de Dieu une femme atteinte de surdité : il lui imposa les mains et il sentit par un effet du Saint-Esprit que le miracle s'opérait, bien que cette femme, encore toute interdite et troublée, comme il arrive de l'être à ces sortes de gens, et comme elle l'était en effet auparavant, criât à tue tête qu'elle n'entendait pas. Le lendemain matin, comme elle ne reparaissait point et que personne ne donnait de renseignements sur son compte, le saint, qui connaissait qu'elle avait éprouvé les effets de la miséricorde de Dieu, fait appeler cette femme. On trouva qu'elle avait recouvré Fouie, elle revint en glorifiant Dieu, et en rendant grâce à son serviteur. Le saint abbé sortait un jour de Metz, et, selon la coutume, le peuple lui faisait pieusement la conduite, avec l'évêque de la ville, nommé Etienne, son frère Rainaud, comte de Bar, et plusieurs autres membres du clergé et de l'armée. Il prit alors occasion d'un mot de l'évêque et de ce que disaient plusieurs personnes présentes, pour prier Henri de Salm, un homme de haut rang, d'accorder la paix à la ville de Metz et à son peuple qu'il traitait en ennemi cruel. Celui-ci refusa net en protestant qu'il n'en ferait rien, et. se montra inflexible à toute espèce de prières. Sur ces entrefaites, surviennent des gens qui présentent à l'homme de Dieu un sourd, à qui ils le conjurent de vouloir bien faire la grâce d'imposer les mains. Bernard alors, enflammé du zèle de la foi, et prenant, comme cela lui arrivait quelquefois en de grandes circonstances, un visage qui inspirait une sorte de terreur et où régnait un air d'autorité surhumaine, se tourne vers le seigneur dont nous venons de parler en s'écriant : « Ainsi, vous refusez d'entendre celui pour qui ce sourd même va avoir des oreilles! » A ces mots, il impose les mains au sourd et lui met les doigts dans les oreilles. A l'instant même le sourd entendit: Henri, saisi de terreur et tout tremblant, se précipite aux pieds de l'homme de Dieu, lui demande humblement pardon et souscrit avec empressement à ce qui lui était demandé.

50. Un jour que le serviteur du Christ passait par la ville de Brienne, il vit une femme aveugle qui mendiait sur la place publique ; après l'avoir considérée pendant quelques instants, comme elle demandait l'aumône aux passants selon son habitude, Bernard lui dit : « Vous ne demandez que de l'argent et Dieu va vous donner la vue. » Puis, s'approchant d'elle, il la touche et lui ouvre les yeux. En recevant ce bienfait si peu attendu, elle ne se sent pas moins touchée de la grande bonté de Dieu que de la vue du jour auquel elle n'était plus habituée. Parmi les premiers rejetons que produisit la vigne de Clairvaux, un de ceux qui prit le mieux racine, est le monastère d'Igny, dans le diocèse de Reims. Un jour que le saint était allé le visiter, il passa, en revenant, par un bourg situé sur le bord de la Marne, nommé Rivoles ; il était accompagné par un homme considérable, rempli pour sa personne d'un dévouement plein d'affection, c'était Samson, archevêque de Reims, qui le reconduisait avec toutes les marques ordinaires de son respect. Or, il y avait sur le chemin un boiteux qui demandait son pain, un des frères lui fit l'aumône. Le saint abbé, qui venait après lui, avait déjà dépassé cet homme, lorsque, se retournant et le fixant un moment avec attention, il demande aux assistants de quoi souffre ce malheureux et ordonne qu'on le lui amène. Tout le monde pensait qu'il allait lui faire une aumône plus abondante : « Seigneur, lui répond-on, il est estropié et ne peut marcher, nous allons lui porter ce due vous voulez lui donner. » Bernard reprit alors : « Prenez-le dans vos bras et apportez-le moi. » Comme on ne savait ce qu'il allait faire, on se regarde avec étonnement, mais quand on le reconnut on se mit à crier : « C'est l'abbé de Clairvaux, il va certainement le guérir. »

51 . Bernard s'efforçait, en effet, autant qu'il le pouvait, de ne point se faire connaître dans les hameaux oit il passait, et défendait à ceux qui l'accompagnaient de dire qui il était à ceux qu'on rencontrait. Le serviteur de Dieu étant donc reconnu cette fois, on se précipite en foule, on enlève cet homme et on vient le présenter à Bernard, qui lui impose les mains sur la tête, lève les yeux au ciel, fait une courte prière et dit qu'on le mette à terre, et en même temps il lui ordonne de marcher. Ce pauvre homme s'excuse de le faire, en disant: « Je ne le puis pas. — Eh bien, dit le saint, c'est moi qui te l'ordonne au nom du Seigneur et en vertu de sa toute-puissance ; va-t'en et sois guéri à l'instant même. » Bref, à peine est-il mis par terre qu'il se sent guéri, tout stupéfait et tout émerveillé de ce qui vient de lui arriver, il se met à l'instant même à marcher sans aucune difficulté. Ses voisins et ses connaissances louaient Dieu et remerciaient le Seigneur, qui avait fait, pour ce malheureux homme, au-delà de ses mérites et de ses veaux même. Aussi, encore aujourd'hui, les habitants montrent le lieu oit s'est opéré cet éclatant miracle de la puissance de Dieu, et où ce vieillard estropié, dont la moitié inférieure du corps était depuis tant d'années morte, d'avance, car depuis les reins jusqu’au bas il était entièrement privé de l'usage de ses membres, a obtenu sa guérison complète, quand il ne demandait qu'une obole. Ce voyage fut le dernier que notre saint fit dans le Rémois. Ce miracle s'accomplit, en effet, un an avant sa mort. Il nous reste à parler maintenant, dans une dernière partie de notre récit, de cette bienheureuse fin de tous les actes de son heureuse vie. Mais ce serait tomber dans une grande erreur que de croire qu'on peut raconter tous les prodiges et tous les miracles opérés par notre saint; on est contraint d'en passer un grand nombre sous silence, car il serait tout à fait impossible. de les rapporter tous.

FIN DU LIVRE QUATRIÈME.

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