PUBLIÉES PAR DES PRÊTRES DE L'IMMACULÉE-CONCEPTION DE
SAINT-DIZIER
(Haute-Marne).
INTRODUCTION. —
SERMONS POUR L'AVENT. — SERMONS
POUR LE CARÊME.
TOURS,
CATTIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR, RUE DE LA SCELLERIE.
LOUIS GUÉRIN, IMPRIMEUR-EDITEUR A BAR-LE-DUC 1864
OEUVRES
COMPLÈTES DE BOURDALOUE
AVIS
DE L’ÉDITEUR
NOTICE
SUR BOURDALOUE.
LETTRE
DU P. MARTINEAU DE LA COMPAGNIE DE
JÉSUS CONFESSEUR DU
P. BOURDALOUE ET
DU DUC DE
BOURGOGNE (1)
LETTRE
DE M. C.-F. LAMOIGNON PRÉSIDENT A
MORTIER AU PARLEMENT DE PARIS A UNE PERSONNE
DE SES PROCHES (1).
VIE DE
BOURDALOUE (1) PAR Mme LA COMTESSE
DE PRINGY (2).
PREFACE
DU P.
BRETONNEAU.
Dans un précédent prospectus je
disais : « Après Bossuet on publiera : Bourdaloue, Massillon, etc...» Je tiens
parole : je poursuis sans interruption cette belle série d'ouvrages, qui s'adressent
à la fois aux personnes lettrées et religieuses (1). Il serait injurieux pour
le clergé de lui recommander Bourdaloue ; nos prêtres l'ont toujours étudié
comme le modèle le plus accompli de l'éloquence sacrée. Il n'en est peut-être
pas de même des laïques : beaucoup ne lisent pas cet illustre orateur, qui
devraient le lire. Je veux parler de tous les vrais chrétiens qui cherchent à
s'éclairer, à s'édifier : des amis de la saine littérature, des esprits d'élite
qui goûtent, qui savourent avec délices les chefs-d'œuvre du grand siècle : or,
Bourdaloue, dit La Harpe, est aussi une des couronnes de ce siècle : « Un de
ces hommes privilégiés que la nature avait, chacun dans son genre, doué d'un
génie qu'on n'a pas égalé depuis. Son Avent, son Carême , et particulièrement
ses Sermons sur les mystères, sont d'une supériorité de vues dont rien
n'approche..... Nulle part le christianisme n'est plus grand aux yeux de la
raison que dans Bourdaloue.....
Certes, ce n'est pas un mérite vulgaire, qu'un recueil de
sermons que l'on peut appeler un cours complet de religion, tel que bien lu et
bien médité, il peut suffire pour en donner une connaissance parfaite. C'est
donc pour des chrétiens une des meilleures lectures possibles. » ( Extrait du
Cours de littérature , t. XIV, p. 25.) Ce jugement, cette recommandation ont
été renouvelés , de notre temps, par M. Sainte-Beuve (Causeries du Lundi, t. IX,
p. 236.) « Bourdaloue, étudié dans le détail, offrirait le plus bel exemple de
la parole chrétienne, édifiante et convaincante, appliquée à tous les usages,
et distribuée comme le pain de chaque jour. »
Dans cette nouvelle édition,
collationnée sur les plus anciennes, qui sont les meilleures (1707-1735), je
n'ai rien négligé pour unir, comme dans mes autres publications, la perfection
typographique et les soins littéraires au bon marché. Le papier, le format, les
caractères, les améliorations sont les mêmes que dans mon Bossuet.
Le tome Ier contient un
très-authentique portrait de Bourdaloue, gravé par un de nos meilleurs artistes
; une notice nouvelle sur ce grand orateur ; quatre célèbres documents, qui
composent toute sa biographie ; Vie du P. Bourdaloue,
PAR Mme LA COMTESSE DE PRINGY.
II
(Bourdaloue était son directeur ; elle écrit avec force et
distinction : cette biographie parut en 1705, chez Ribou, à Paris : on a tort
de ne pas la joindre à toutes les éditions de Bourdaloue) ; Lettre du P.
Martine au , confesseur de Bourdaloue ; Lettre de M. Ch.-Fr. de Lamoignon ;
Préface du P. Bretonneau; puis les sermons pour I'Avent et le Carême. J'ai
placé avant chaque sermon l'analyse raisonnée qu'en a faite, sous le titre
d'Abrégé, le P. Bretonneau (1).
A la fin du tome IV, on trouvera
: 1 ° Une table alphabétique des matières, qui manque dans beaucoup d'éditions
; et 2° (ce qui ne se voit dans aucune), une table des textes de la sainte Ecriture
cités ou commentés par Bourdaloue.
LOUIS GUÉRIN,
Imprimeur-Editeur à
Bar-le-Duc (Meuse).
Le 1er Janvier 1861.
La vie de Bourdaloue tiendrait en
trois ou quatre pages : car elle est surtout dans ses succès oratoires. Nous
pensons donc qu'une notice sur Bourdaloue doit se composer de jugements et
d'appréciations; comme cela a été fait, et très-bien fait, nous nous
contenterons, tantôt de résumer les jugements portés avant nous, tantôt (tels
seront les trois quarts de cette notice) de laisser parler les meilleurs juges.
Louis Bourdaloue naquit à Bourges
le 28 août 1632;
sa famille, était une des plus considérables de la ville; on y comptait des
avocats, des échevins, des lieutenants au baillage, des conseillers au
présidial. Sa sœur, mariée à un Chamillart, fut tante de M. de Chamillart,
ministre d'Etat. Son père, Etienne Bourdaloue, s'était acquis une grande
considération par sa probité et par « une grâce singulière à parler en public.
» D'après Mme de Pringy, que je viens de citer, le mérite de notre futur
orateur s'annonça de bonne heure; « il était naturel, plein de feu et de bonté;
il suça la vertu avec le lait, et ne sortit de l'enfance que pour entrer dans
les routes laborieuses du christianisme. »
Tout jeune encore, préférant la
voix de Dieu, qui l'appelait vers la vie religieuse, au désir de sa famille,
qui voulait l'engager dans l'état paternel, il se sauva à Paris chez les
jésuites. Son père ne fut pas plus tôt instruit de sa retraite, qu'il accourut
en poste et ramena son fils à Bourges. Mais bientôt vaincu par la constance du
jeune homme, et assuré de la solidité de sa vocation, il le laissa libre
d'entrer dans une société où lui-même avait pensé à s'engager dans sa jeunesse.
Bourdaloue avait seize ans lorsqu'il lui fut permis de prendre cette
résolution. Après avoir achevé ses études, il enseigna successivement la
rhétorique, la philosophie, la théologie, se préparant ainsi, sans le savoir, à
l'exercice de son principal talent, l'éloquence. Comme il savait tout faire, on
ne voyait pas encore à quoi surtout il était destiné, lorsque quelques sermons,
prêches par lui, tandis qu'il professait la théologie morale, révélèrent sa
vocation spéciale et tirent décider qu'il se consacrerait uniquement au ministère
de la chaire. Il avait trente-quatre ans. Après avoir fait comme son apprentissage
dans diverses villes de province, où ses prédications lui acquirent beaucoup de
renommée, il revint à Paris en 1669, et y débuta en orateur consommé dans
l'église de la maison professe des jésuites. Une foule prodigieuse accourut
pour l'entendre. L'année suivante (1670), il fut appelé à prêcher l'Avent en
présence de Louis XIV, puis le Carême en 1672; il fut redemandé pour les Avents
de 1684, 1686, 1689, 1693; et pour les Carêmes de 1674, 1675, 1680 et 1682.
C'était une chose inouïe; rarement le même prédicateur reparaissait souvent à
la cour : Bourdaloue y reparut dix fois avec le même succès. Louis XIV avait
manifesté le désir de l'entendre tous les deux ans, aimant mieux,
disait-il, ses redites que les choses nouvelles d’un autre. Cela prouve
également que Louis XIV aimait la vérité, et que Bourdaloue savait la dire :
cet homme, tout à fait apostolique, ne manqua pas plus au devoir de respecter
son souverain, qu'à celui de l'instruire. Jamais il ne lui échappa une
maladroite personnalité, une irrévérentieuse allusion : jamais il n'oublia que
l'orateur chrétien doit se contenter de frapper à la porte des rois et ne
doit jamais la briser (1) ; jamais il ne mérita la leçon si justement
donnée par Louis XIV à un prédicateur qui l'avait désigné dans son sermon : le
roi lui dit : Je prends volontiers ma part du sermon, mais je n'aime pas
qu'on me la fasse.
Quant à la hardiesse avec
laquelle notre intrépide champion des vérités et des vertus chrétiennes
combattait l'erreur et le vice partout où il les trouvait, écoutez Mme de
Sévigné : Jamais prédicateur n'a prêché si hautement et si généreusement les
vérités chrétiennes... Le P. Bourdaloue frappe toujours comme un sourd, disant
des vérités à bride abattue, parlant à tort et à travers contre l'adultère ;
sauve qui peut : il va toujours son chemin. Louis XIV lui dit un jour : Mon
père, vous devez être content de moi Madame de Montespan est à Clagny. — Oui,
sire, répondit Bourdaloue ; mais Dieu serait plus satisfait si Clagny
était à soixante-douze lieues de Versailles.
Les succès du P. Bourdaloue à
Paris surpassaient encore ses succès de Versailles. Mme de Sévigné ne parle de
ses sermons en général qu'avec enthousiasme : On dit qu'il passe toutes les
merveilles passées; et rendant compte d'un sermon en particulier : Cela
fut porté au point de la plus haute perfection, et certains points furent
poussés comme les auraient poussés l’apôtre saint Paul.
On peut juger, par le trait suivant,
de l'empressement extraordinaire qu'on mettait à l'écouter. Il devait prêcher
une Passion que Mme de Sévigné avait entendue l'année précédente , aux
jésuites, avec Mme de Grignan : Et c'était pour cela, dit-elle, que
j'en avais envie ; mais l'impossibilité m'en ôta le goût, les laquais y étaient
dès le mercredi, et la presse était à mourir; elle dit encore à sa fille,
en un style
IV
trop mondain, pour peindre un talent si grave et une si
religieuse célébrité, mais en un style qui peint la popularité du prédicateur: Je
m'en vais en Bourdaloue, comme elle aurait dit : Je m'en vais en cour.
Voici quelques autres témoignages
du respect que l'orateur inspirait, du prestige qu'il exerçait, et que ses
sermons exercent encore, quoiqu'à un moindre degré, sur les âmes. C'est encore
Mme de Sévigné qui raconte l'anecdote suivante : «Le maréchal de Grammont était
l'autre jour si transporté de la beauté d'un sermon du P. Bourdaloue,
qu'il s'écria tout haut, en un endroit qui le toucha : Morbleu ! il a raison.
Madame éclata de rire et le sermon en fut tellement interrompu, qu'on ne savait
ce qui en arriverait. » Rappelons une autre expression plus militaire encore ,
et qui fait voir combien Bourdaloue était terrible, quels assauts il livrait
aux consciences. Un jour qu'il devait prêcher à Sainl-Sulpice, comme la foule
qui encombrait l'église faisait du bruit, tout d'un coup, Bourdaloue
paraissant, le prince de Condé s'écria: Silence, voici l'ennemi; en
effet le respect saisissant tous les spectateurs , le calme se rétablit
aussitôt. La Bruyère compare Bourdaloue à Cicéron ; le P. Sanlecque
l'appelle le Chrysostome Français : Boileau le proclame dans ses vers le
plus grand orateur; d'après d'Aguesseau, nul ne lui est comparable lorsqu'il
s'agit de parler pour prouver et convaincre. « Qu'était-ce
parmi nous que l'éloquence de la chaire, dit l'abbé d'Olivet, avant que les
Bourdaloue eussent fait préférer atout le reste la raison mise dans tout son
jour? c'était mettre ensemble beaucoup de pensées mal assorties, souvent
frivoles, et les énoncer avec de grands mots. » Toutefois l'abbé d'Olivet se
trompe ainsi que tous ceux qui proclament Bourdaloue le réformateur de la
chaire, le créateur de l'éloquence chrétienne en France : je sais qu'un siècle
auparavant on prêchait encore en latin ; que peu de temps avant lui les sermons
étaient chargés de traits d'histoire souvent apocryphes, de citations de lois,
d'hébreu, de grec, de latin, de passages tirés d'Homère, d'Horace ou d'Ovide ,
et des philosophes païens : que les orateurs entassaient les métaphores,
faisaient un monstrueux mélange;du sacré et du profane, et joignaient aux
vérités évangéliques, les erreurs du temps sur la physique, l'histoire
naturelle et l'astrologie. Saint François de
Sales n'est pas exempt de ces défauts, quoiqu'il ait plus d'onction, plus de
charmes, plus de génie que Bourdaloue ; ni le P. Lejeune, avec ses trésors de
doctrine, de verve, et son style plein de mouvement et d'originalité. Mais
n'oublions pas que Bossuet, quand Bourdaloue parut, avait prêché la plus grande
partie de ses sermons qui n'ont jamais été égalés, et que d'autres orateurs,
Mascaron, Senault, Lingendes, Singlin, Desmares, avaient banni le mauvais goût,
les excès d'érudition et d'imagination, et donné l'idée d'une éloquence saine
et pure. Il est vrai, néanmoins, qu'à l'exception de Bossuet, qui plane bien
au-dessus de Bourdaloue, celui-ci domine ceux que j'ai nommés, et comme il
prêcha trente ans, personne ne contribua autant que lui
« à établir dans le sermon la véritable et juste éloquence,
digne en tout de l'époque de Louis XIV.» Bayle, après avoir lu une de ses
oraisons funèbres, s'écriait : « Que tout cela est beau !... Bourdaloue m'a
charmé (1). » L'auteur du siècle de Louis XIV l'appelle le premier modèle
des bons prédicateurs en Europe. En effet, Burnet, évoque anglican de
Salisbury, confesse que Bourdaloue est aussi le réformateur de l'éloquence en
Angleterre. Voici en quels termes le cardinal Maury apprécie et caractérise
l'éloquence de Bourdaloue dans ses sermons :
« Ce qui me ravit, ce qu'on ne
saurait assez préconiser dans les sermons de l'éloquent Bourdaloue, c'est qu'en
exerçant le ministère apostolique, cet orateur plein de génie se fait presque
toujours oublier lui-même pour ne s'occuper que de l'instruction et des
intérêts de ses auditeurs ; c'est que, dans un genre trop souvent livré à la
déclamation, il ne se permet pas une seule phrase inutile à son sujet,
n'exagère jamais aucun des devoirs du christianisme, ne change point eu préceptes
les simples conseils évangéliques ; et que sa morale, constamment réglée par la
sagesse éclairée de ses principes, peut et doit toujours être réduite en
pratique; c'est la fécondité inépuisable de ses plans qui ne se ressemblent
jamais, et l'heureux talent de disposer ses raisonnements avec cet ordre savant
dont parle Quintilien, lorsqu'il compare l'habileté d'un grand écrivain qui
règle la marche de son discours, à la tactique d'un général qui range une armée
en bataille (2); c'est cette puissance de dialectique, cette marche didactique
et ferme, cette force toujours croissante, cette logique exacte et serrée,
disons-mieux, cette éloquence continue du raisonnement, qui dévoile et combat
les sophismes, les contradictions, les paradoxes, et forme de l'ordonnance de
ses preuves un corps d'instruction, où tout est également plein, lié, soutenu,
assorti, où chaque pensée va au but de l'orateur qui tend toujours, en grand
moraliste, au vrai et au solide, plutôt qu'au brillant et au sublime du sujet;
c'est cette véhémence accablante et néanmoins pleine d'onction, dans la bouche
d'un accusateur qui, en plaidant contre vous au tribunal de votre conscience,
vous force à chaque instant de prononcer en secret le jugement qui vous
condamne ; c'est la perspicacité avec laquelle il fonde tous nos devoirs sur
nos intérêts, et cet art si persuasif, qu'on ne voit guère que dans ses
sermons, de convertir les détails des mœurs en preuves de la vérité qu'il veut
établir ; c'est cette abondance de génie qui ne laisse rien à imaginer au
lecteur par-delà chacun de ses discours, quoiqu'il en ait composé au moins
deux, souvent trois , quelquefois quatre sur la même matière, et qu'on ne sache
souvent, après les avoir lus, auquel de ces sermons il faut donner la
préférence ; c'est cette sûreté et cette opulence de doctrine qui font de
chacune de ses instructions un traité savant et oratoire de la matière dont
elles sont l'objet ; c'est la simplicité d'un style nerveux et touchant,
V
naturel et noble, lumineux et concis, où rien ne brille que
par l'éclat de la pensée, où règne toujours le goût le plus sévère et le plus
pur, et où l'on n'aperçoit jamais aucune expression ni emphatique ni rampante ;
c'est cette pénétrante sagacité qui creuse, approfondit, féconde, épuise chaque
sujet; c'est cette compréhension vaste et profonde qu'il ne partage qu'avec
saint Augustin et Bossuet, pour saisir dans l'Evangile et y embrasser, d'un
coup d'œil, les lois, l'ensemble, l'esprit et tous les rapports de la morale
chrétienne ; c'est la série de ses tableaux, de ses preuves, de ses mouvements,
la connaissance la plus étendue et la plus exacte de la religion, l'usage
imposant qu'il fait de l'Ecriture, l'à-propos des citations non moins
frappantes que naturelles qu'il emprunte des Pères de l'Eglise, et dont il tire
un parti plus neuf, plus concluant, plus heureux que n'a jamais fait aucun
autre orateur chrétien. Enfin je ne puis lire les ouvrages de ce grand homme
sans me dire à moi-même, en y désirant quelquefois, j'oserai l'avouer avec
respect, plus d'élan à sa sensibilité, plus d'ardeur à son génie, plus de ce
feu sacré qui embrasait l'âme de Bossuet, surtout plus d'éclat et de souplesse
à son imagination : Voilà donc, si l'on y ajoute ce beau idéal, jusqu'où le
génie de la chaire peut s'élever, quand il est fécondé et soutenu par un
travail immense ! Je ne connais rien de plus étonnant et de plus inimitable
dans l'éloquence religieuse, que les premières parties des sermons de
Bourdaloue, sur la Conception, sur la Passion, DEI VIRTUTEM, et
sur la Résurrection, etc. Ses discours sur l'Ambition, sur la Providence,
sur le Jugement téméraire, sur le Pardon des injures, sur la Religion
chrétienne, sont aussi admirables. C'est la borne de l'art, comme c'est la
borne du genre ; et on peut appliquer avec confiance à ces chefs-d'œuvre le
vers si connu de Boileau :
C'est avoir
profité que de savoir s'y plaire. »
En lisant Bourdaloue, aujourd'hui, si l'on est mal disposé à
l'égard du sermon, du catholicisme, de la littérature du XVII° siècle, on n'est
guère capable de le goûter, on ne trouve en lui qu'un froid raisonneur, qui ne
sait qu'argumenter et convaincre. Il n'a plus de charme que poulies esprits
d'élite, les initiés. Mais ceux-ci lui reconnaissent le don d'émouvoir :
c'est ainsi, du reste, que le jugeaient ses contemporains. Mme de Maintenon
écrivait après avoir entendu un sermon de Bourdaloue prêché devant Louis XIV et
sa cour : Il a parlé au roi sur sa santé, sur l'amour de son peuple, sur les
craintes de la cour : il a fait verser bien des larmes, il en a versé lui-même
: c'était son cœur qui parlait à tous les cœurs. M. Sainte-Beuve analyse
finement ce côté du talent de Bourdaloue, et rend bien compte des impressions
diverses qu'il produit comme orateur et comme écrivain, sur les amateurs de la
littérature chrétienne du XVII° siècle, et sur les indifférents de notre
époque.
« Je dirai d'abord l'effet assez
général que cette éloquence produit à la lecture, et par quel effort, par
quelle application du cœur et de l'esprit il est besoin de passer pour revenir
et s'élever à la juste idée qu'il convient d'avoir de sa grandeur, de sa sobre
beauté et de sa moralité profonde. Les gens du métier, les habiles ou les vertueux,
qui l'ont étudiée et pratiquée à fond, ont gardé ou retrouvé, en l'appréciant,
l'admiration qu'elle inspirait autrefois : le commun des lecteurs, je le crois,
a besoin de refaire un peu son éducation à cet égard. Et d'abord, n'oublions
jamais que Bourdaloue était, avant tout, un orateur, non un écrivain. C'était
un orateur, et il en avait tous les dons pour le genre d'enseignement sacré
auquel il s'était voué: il avait l'action, le feu, la rapidité, et, en
déroulant ce fleuve de la parole qui chez lui, à la lecture, nous parait
volontiers égal et surtout puissant par sa vigueur suivie et sa continuité, il
y avait des endroits où il tonnait. On a dit qu'il baissait volontiers les yeux
en parlant, et qu'il s'interdisait cette éloquence du regard que Massillon
s'accordait quelquefois : cela est possible ; mais, dans tous les cas, cette
forme de débit n'était qu'une convenance de plus, une manière de pousser plus
avant, et comme tout droit devant lui, dans sa démonstration inflexible et
sévère. Aujourd'hui, ces heureuses et vives qualités de l'orateur, parmi
lesquelles il faut compter l'une des premières , « une voix pleine, résonnante,
douce et harmonieuse , » ont disparu, et l'écrivain seul nous reste, écrivain
juste, clair, exact, probe comme sa pensée, mais qui n'a rien de surprenant.
D'Aguesseau a très-bien loué en Bourdaloue « la beauté des plans généraux,
l'ordre et la distribution qui régnent dans chaque partie du discours, la
clarté et, si l'on peut parler ainsi, la popularité de l'expression (1),
simple sans bassesse et noble sans affectation. » Cette qualité moyenne de
l'expression, si bien appropriée au genre, est presque aujourd'hui un
inconvénient à la lecture : elle contribue à en amortir l'effet. Je faisais ces
jours-ci une expérience : je lisais, et avec le plus de fruit que je pouvais,
l'admirable sermon de Bourdaloue sur la pensée de la mort; mais je le lisais
haut et devant de jeunes amis. Je ne crois pas qu'il y ait rien de plus parfait
dans le genre pur du Sermon que ce discours qui fut fait pour le mercredi des
Cendres (1672), et qui a pour texte le Mémento : « Souvenez-vous, homme, que
vous êtes poussière, et que vous retournerez en poussière. » Tous les mérites
de Bourdaloue y sont réunis. Il excelle d'ordinaire dans le choix de ses textes
et dans le parti qu'il en tire pour la division morale de son sujet : mais
maintes fois il est subtil ou il semble l'être dans l'interprétation qu'il
donne, dans l'antithèse qu'il fait des divers mots de ce texte; on dirait qu'il
les oppose à plaisir et qu'il en joue (comme saint Augustin), et ce n'est qu'au
développement qu'on s'aperçoit de la solidité du sens en même temps que de la
finesse de
VI
l'analyse. Ici l'usage qu'il fait du texte est simple, et
l'avertissement sort de lui-même. S'emparant de cette poussière du jour des
Cendres, il va démontrer que la pensée présente et actuelle de la mort, qu'elle
tend à donner à chacun, est le meilleur remède, l'application la plus efficace
et dans les crises de passion qui nous entraînent, et dans les conseils ou
résolutions qu'on veut prendre, et dans le cours ordinaire des devoirs à
accomplir et des exercices de la vie :
Vos passions vous emportent,
et souvent il vous semble que vous n'êtes pas maître de votre ambition et de
votre cupidité : Mémento; Souvenez-vous, et pensez ce que c'est que
l'ambition et la cupidité d'un bomme qui doit mourir. — Vous délibérez sur une
matière importante, et vous ne savez à quoi vous résoudre; Mémento;
Souvenez-vous, et pensez quelle résolution il convient de prendre à un homme
qui doit mourir. — Les exercices de la religion vous fatiguent et vous lassent,
et vous vous acquittez négligemment de vos devoirs : Mémento :
Souvenez-vous, et pensez comment il importe de les observer à un homme qui doit
mourir. Tel est l'usage que nous devons faire de la pensée de la mort, et c'est
aussi tout le sujet de votre attention...
« Dire le parti que Bourdaloue a
tiré de ces trois points de vue et surtout des deux premiers, c'est ce que
toute analyse est insuffisante à rendre et ce qu'il faut chercher dans le
sermon même. Là comme toujours, il enseigne ouvertement et sans détour : «
Ecoutez-moi, et ne perdez rien d'une instruction si édifiante. » Car le propre
de Bourdaloue (tant il est sûr de sa modestie et tant il s'oublie lui-même) est
de se confondre totalement avec son ministère de prédicateur et d'apôtre ; il
ne laisse rien aux délicatesses du siècle : « Ecoutez-moi. — Suivez-moi. —
Appliquez-vous. — Comprenez ceci. — Ecoutez-en la preuve. —Appliquez-vous
toujours. » Ce sont les formes ordinaires de ce démonstrateur chrétien qui de
ces trois choses proposées à l'orateur ancien, instruire, plaire,
émouvoir, ne songe qu'à la première, méprise la seconde, et est bien sûr
d'arriver à la troisième par la force même do l'enseignement et la nature
pénétrante de la vérité. S'il a, comme on l'a dit, quelque chose de Démosthène,
c'est en cela.
« En lisant ce sermon sur la Pensée
de la mort et à mesure que j'avançais, je sentais s'évanouir ces vagues
idées d'un dieu non chrétien, d'un dieu des bonnes gens, qui se sont
aujourd'hui glissées insensiblement presque dans toutes les âmes. Je sentais
s'évanouir également ces idées naturelles ou plutôt de naturaliste et de
médecin, qui ne s'y sont pas moins glissées; ce qui faisait dire à Pline l'Ancien
que de toutes les morts la mort subite était la plus enviable « et le
comble du bonheur de la vie ; » ce qui a fait dire également à Buffon « que la
plupart des hommes meurent sans le savoir; que la mort n'est pas une chose
aussi terrible que nous nous l'imaginons; que nous la jugeons mal de loin; que
c'est un spectre qui nous épouvante à une certaine distance, et qui disparaît
lorsqu'on vient à en approcher de près... » Je sentais, au contraire,
reparaître présente et vivante cette idée formidable de la mort au sens
chrétien, idée souverainement efficace si on la sait appliquer à toutes les
misères et les vanités, à toutes les incertitudes de la vie : ce fondement
solide et permanent de la morale chrétienne m'apparaissait à nu et se
découvrait dans toute son étendue par l'austère exposition de Bourdaloue, et
j'éprouvais que, dans le tissu serré et la continuité de son développement, il
n'y a pas un instant de pause où l'on puisse respirer, tant un anneau succède à
l'autre et tant ce n'est qu'une seule et même chaîne : « Il m'a souvent ôté la
respiration, disait Mme de Sévigné, par l'extrême attention avec laquelle on
est pendu à la force et à la justesse de ses discours, et je ne respirais que
quand il lui plaisait de finir... » — J'éprouvais encore que, sous la rigueur
du raisonnement chez Bourdaloue, il se sent un feu , une ferveur et une passion
comme chez Rousseau (pardon du choc de ces deux noms), sauf que celui-ci
déclame souvent en raisonnant et qu'avec l'autre on est dans la probité pure.
Je reconnaissais toute la différence qu'il y a entre le développement de
Bourdaloue et celui de Massillon, ce dernier ayant plutôt un développement de
luxe et d'abondance qui baigne et qui repose, et l'autre un développement de
raisonnement et de nécessité qui enchaîne.
« Je suivais donc ce
développement plein, pressant et sans trêve, et qui vous tient en suspens
jusqu'au terme, m'arrêtant à peine à ce qui m'y paraissait plus saillant (le
saillant, proprement dit, y est rare), et ne pouvant cependant méconnaître ce qu'il
y avait par moments d'approprié à cet auditoire de Notre-Dame, à la fois
populaire et majestueux. Car, dans ce rappel maintes fois répété : Memento,
homo..., l'orateur tout à coup se retourne plus particulièrement vers
quelques-uns de ceux qui l'écoutent, l'ambitieux, l'avare et l'homme de
fortune, le grand seigneur, la femme mondaine, et il leur dit, à chacun, après
une description particulière de leur mal et en leur étalant une poussière de
mort, semblable à la leur, à ce qu'elle sera un jour : Venez et voyez! —
« Je n'ai qu'à l'adresser, cet arrêt, à tout ce qu'il y a dans cet auditoire
d'âmes passionnées, pour les obliger à n'avoir plus ces désirs vastes et sans
mesure qui les tourmentent toujours et qu'on ne remplit jamais... » Supposez en
cet auditoire un Louvois, un Colbert, comme ils y étaient sans doute, et
ressentez l'effet.
« Je lisais tout cela à haute voix, et avec ce ressouvenir
des premières années où l'on eut la foi vive et entière, avec ces sentiments
sérieux et rassis que l'âge nous rend ou nous donne, et aussi avec ce goût
d'une littérature apaisée, qui est désormais la mienne en vieillissant, je
trouvais ce discours aussi excellent de forme que de fond, beau et bon de tout
point. Mes jeunes amis, qui m'écoutaient et ne me contredisaient pas,
résistaient cependant; et pourquoi? — Le dirai-je? il n'y avait pas, à leur gré
(et c'est, je le sais, l'opinion du grand nombre), assez de traits chez
Bourdaloue. Dans quatre lignes de saint Bernard ou de Bossuet, il y en a bien
autrement, me disait l'un d'eux, et l'on m'en citait; et ce seul désavantage
VII
amortissait le grand effet moral du saint orateur dans leur
pensée. Ils auraient répété volontiers ce que disait Mme de Montespan : « que
le Père Bourdaloue prêchait assez bien pour la dégoûter de ceux qui prêchaient,
mais non pas assez bien pour remplir l'idée qu'elle avait d'un prédicateur. »
Ce quelque chose qu'ils concevaient au delà les empêchaient de s'abandonner et
de se rendre à l'impression saine et forte de Bourdaloue.
« Je sais tout ce qu'on peut dire
et ce qu'on a dit des Sermons de Bossuet : n'exagérons rien pourtant. Bossuet,
sublime dans l'Oraison funèbre, n'a pas atteint la même excellence dans toutes
les parties du Sermon; il y est inégal, inachevé. Bourdaloue, en ce genre et du
vivant de Bossuet, tout à côté de lui, était réputé le maître. Respectons ces
jugements de contemporains aussi éclairés, et sans doute le jugement de Bossuet
même. Non, cela est trop sensible, Bourdaloue n'a pas comme Bossuet les foudres
à son commandement et la main pleine d'éclairs, pas plus qu'il n'a comme
Massillon l'urne de parfums qui s'épanche. Bourdaloue , c'est l'orateur qu'il
faut être quand on veut prêcher trente-quatre ans de suite et être utile : il
ne s'agit pas de tout dissiper d'abord, de s'illustrer par des exploits,
d'avoir des saillies qui étonnent, qui ravissent et auxquelles on applaudit,
mais de durer, d'édifier avec sûreté, de recommencer sans cesse, d'être avec
son talent comme avec une armée qui n'a pas seulement à gagner une ou deux
batailles, mais à s'établir au cœur du pays ennemi et à y vivre. C'est la
merveille à laquelle a su atteindre celui que ses contemporains appelaient le
grand Bourdaloue, et que nous nous obstinons à ne plus appeler que l'estimable
et judicieux Bourdaloue.
« Nous sommes devenus difficiles
: le style purement judicieux nous rebute et nous ennuie, et Bourdaloue, en
parlant, ne raffinait pas : il a l'expression claire, ferme, puisée dans la
pleine acception de la langue; il ne l'a jamais neuve (une ou deux fois il
demande pardon d'employer les mots outrer, humaniser) - Il y a
des sermons (celui sur la Madeleine) où son expression même ne nous
parait pas toujours suffisamment polie et distinguée. C'est Nicole éloquent,
a-t-on dit. Il s'occupait des choses et non des mots; il n'avait pas la
splendeur naturelle de l’élocution, et il ne la cherchait pas : il s'en tenait
à ce style d'honnête homme qui ne veut que donner à la vérité un corps sans lui
imposer de couronne. Inférieur à Bossuet qui a cet éclat par lui-même et qui le
rencontre dans l'inspiration directe de la pensée, il est supérieur toutefois à
ceux qui le poursuivent et qui l'affectent, qui ne sont contents, en parlant
des choses de Dieu et des vertus du christianisme que lorsqu'ils les ont
figurées en des termes forcés, singuliers, imprévus, que personne n'avait
trouvés jusque-là. Quand on demande à Bourdaloue ces traits, ces lumières du
discours qui lui manquent, et qu'on lui oppose sans cesse Bossuet, je crains
qu'on ne fasse une confusion, et que Bossuet ne soit là que pour cacher
Chateaubriand, et pour signifier, sous un nom magnifique et plus sûr, ce genre
de goût que l'auteur du Génie du Christianisme nous a inculqué, je veux
dire le culte de l'image et de la métaphore. Même lorsqu'on en est sobre pour
soi, on la cherche et on la désire chez les autres. Dans une trame de style
unie et simple, quelque chose désormais nous manque. Au reste, tous les
reproches à cet égard qu'on peut faire à Bourdaloue, ou plutôt les regrets
qu'on peut former à son sujet, se réduisent à ceci : il a été un grand orateur,
et il n'est qu'un bon écrivain. »
Outre son débit, qui était celui
d'un apôtre tout pénétré des vérités qu'il enseignait, Bourdaloue rachetait,
relevait, comme orateur, l'uniformité que nous lui trouvons comme écrivain, par
l'à-propos, l'opportunité. Il faisait des erreurs régnantes et même des
personnes des peintures qui intéressaient beaucoup les contemporains. Il usait
de ce genre si périlleux avec une gravité, une justesse d'application telles
qu'il faisait tressaillir les passions ainsi dépeintes, sans les blesser. Mme
de Sévigné, le jour de Noël 1671, écrivait : « Je m'en vais en Bourdaloue
: on dit qu'il s'est mis à dépeindre les gens, et que l'autre jour il fit trois
points de la retraite de Tréville. » Tréville, un des gentilshommes les
plus instruits et des plus beaux-esprits de ce temps, avait tout à coup quitté
le monde avec grand bruit, pour se jeter dans la dévotion ostensiblement sévère
des jansénistes, dont quelques-uns savaient très-bien concilier avec cette
austérité affectée, un reste de facilité et de relâchement dans la discipline
(un cumul de bénéfices par exemple). Lorsque la retraite de Tréville occupait
le plus le beau monde, Bourdaloue monta en chaire un dimanche de décembre 1671
et se mit à prêcher sur la sévérité évangélique. Il posait en principe
que la sévérité véritablement chrétienne doit consister : 1° dans un plein
désintéressement, un désintéressement même spirituel et pur de toute ambition,
de toute affectation; 2° qu'elle doit consister dans une sincère humilité; et
3° dans une charité patiente et compatissante. Il était facile aux auditeurs de
faire l'application à eux-mêmes et autour d'eux.
« Mais, dit M. Sainte-Beuve, à
qui j'emprunte ces réflexions, c'est au second point que les auditeurs ne
pouvaient s'empêcher de songer plus particulièrement à M. de Tréville. « C'est
dans les plus beaux fruits, dit saint Augustin, que les vers se forment, et
c'est aux plus excellentes vertus que l'orgueil a coutume de s'attacher. » Bourdaloue
partait de là pour montrer que, si la sévérité évangélique est le fruit le plus
exquis et le plus divin que le Christianisme ait produit dans le monde, « c'est
aussi, il le faut confesser, le plus exposé à cette corruption de
l'amour-propre, à cette tentation délicate ç)c la propre estime, qui fait
qu'après s'être préservé de tout le reste, on a tant de peine à se préserver de
soi-même. » A travers cette sévérité apparente et en partie réelle, il
s'attachait à reconnaître ceux qu'il appelait des esprits superbes, ceux
« qui se regardaient et se faisaient un secret plaisir d'être regardés comme
les justes, comme les parfaits, comme les irrépréhensibles ;
VIII
... qui de là prétendaient avoir droit de mépriser tout le
genre humain, ne trouvant que chez eux la sainteté et la perfection, et n'en
pouvant goûter d'autre;... qui, dans cette vue, ne rougissaient point,
non-seulement de l'insolente distinction, mais de l'extravagante singularité
dont ils se flattaient, jusqu'à rendre des actions de grâces à Dieu de ce
qu'ils n'étaient pas comme le reste des hommes : Gratias tibi ago, quia non
sum sicut cœteri hominum. » En un mot, en ne faisant que traduire et
paraphraser à peine les paroles de saint Luc sur les pharisiens, Bourdaloue
esquissait, dix-sept ans avant La Bruyère, un vivant portrait d'Arsène
et de tous ceux, à la moderne, qui lui ressemblent; de ceux qui veulent en tout
la fine fleur, et qui ne quittent celle du monde que pour aller cueillir, par
un surcroît de recherche et un épicuréisme tout spirituel, ce qui se peut
nommer aussi la fine fleur de l'austérité.
« Admirable portrait plus général et plus fécond que celui
du moraliste! Car La Bruyère, en parlant de Tréville d'une manière si serrée et
si incisive, semble avoir quelque chose de particulier à venger sur lui : on
dirait qu'il a appris que ce juge dégoûté des ouvrages de l'esprit a ouvert un
jour une des premières éditions des Caractères et a jeté le livre après
en avoir lu quelques pages, en disant : « N'est-ce que cela? » Il y a, à cet
endroit, je ne sais quoi de l'auteur piqué chez La Bruyère. Bourdaloue, qui
songe sans doute, en décrivant cette forme subtile d'une dévotion orgueilleuse,
à diminuer une des victoires et des conquêtes du parti contraire, se tient
pourtant selon le point de vue convenable dans une peinture plus large, tout à
fait permise et non moins ressemblante. Il fait très-bien remarquer que, par
une triste fatalité, l'orgueil, « cette partie la plus subtile de l'amour de
nous-même si profondément enracinée dans nos âmes, s'insinue non-seulement dans
les choses où nous aurions lieu en quelque manière de nous rechercher, mais
jusque dans la haine de nous-même , jusque dans le renoncement à nous-même ,
jusque dans les saintes rigueurs que Dieu nous inspire d'exercer sur nous-même :
On
veut pratiquer le Christianisme dans sa sévérité, mais on en veut avoir
l'honneur. On se retire du monde, mais on est bien aise que le monde le sache ;
et, s'il ne le devait pas savoir, je doute qu'on eût le courage et la force de
s'en retirer... On ne se soucie plus de sa beauté (ici il s'agit des femmes
pénitentes, dont quelques-unes l'étaient avec éclat et avec bruit), mais on est
entêté de son esprit et de son propre jugement... S'il y a quelque chose de
nouveau, c'est à quoi l'on donne et où l'on trouve sa dévotion... Un laïque
s'érigera en censeur des prêtres, un séculier en réformateur des religieux ,
une femme en directrice,... tout cela parce que, sous couleur de piété, on ne
s'aperçoit pas qu'on veut dominer... Il semble qu'être sévère dans ses maximes
soit un degré pour s'agrandir.
« Toute cette maladie nouvelle et
qui n'est que plus subtile et plus intérieure en ce qu'elle se croit une
guérison, est développée par Bourdaloue dans une description admirable, et il
offre en quelque sorte un miroir dans lequel ceux qu'il
a en vue ne peuvent s'empêcher d'être reconnus et devaient
eux-mêmes se reconnaître. Il rappelle excellemment « à ces sages dévots, à ces
dévots superbes qui se sont évanouis dans leurs pensées, » que la vraie
austérité du Christianisme consiste à être abaissé, à être oublié (Ama
nesciri) :
Car
voilà, s'écrie-t-il, ce qui est insupportable a la nature : On ne pensera
plus à moi, on ne parlera plus de moi ; je n'aurai plus que Dieu pour
témoin de ma conduite , et les hommes ne sauront plus, ni qui je suis, ni ce
que je fais. Et parce que l'humilité même se trouve exposée en certains genres
de vie dont toute la perfection, quoique sainte d'ailleurs, a un air de
distinction et de singularité, la vraie austérité du christianisme , surtout
pour les âmes vaines, est souvent de se tenir dans la voie commune, et d'y
faire, sans être remarqué, tout le bien qu'on ferait dans une autre route avec
plus d'éclat.
« Le troisième point ne
s'appliquait plus que de loin à Tréville : cependant, comme celui-ci était
connu pour avoir l'esprit caustique, ironique et d'un fin railleur, il s'y
trouvait encore des choses que l'auditoire, une fois dans cette direction d'un
portrait commencé, ne pouvait manquer de détourner à son intention; par exemple,
lorsque le prédicateur conseillait à tout converti qui se pique d'une réforme
sévère, d'être patient et charitable, au risque de paraître moins agréable et
moins spirituel dans les entretiens. — On a maintenant le commentaire du
passage de Mme de Sévigné, et l'on voit comment Tréville fut dépeint et prêché
par Bourdaloue en trois points.
« Une autre fois sur le
sujet de la Médisance, c'est à Pascal et aux Provinciales que
Bourdaloue pense évidemment et l'ail penser... il suit donc dans toutes ses
subtilités et ses retours ce vice de médisance qui, « non content de vouloir
plaire et de s'ériger en censeur agréable, veut même passer pour honnête, pour
charitable, pour bien intentionné :
Car
voilà, dit-il, un des abus de notre siècle. On a trouvé le moyen de consacrer
la médisance, de la changer en vertu, et même dans une des plus saintes vertus,
qui est le zèle de la gloire de Dieu... Il faut humilier ces gens-là, dit-on,
et il est du bien de l'Eglise de flétrir leur réputation et de diminuer leur
crédit. Cela s'établit comme un principe : là-dessus, on se fait une
conscience, et il n'y a rien que l'on ne se croie permis par un si beau motif.
On invente, on exagère, on empoisonne les choses, on ne les rapporte qu'à
demi ; on fait valoir ses préjugés comme des vérités incontestables; on
débite cent faussetés, on confond le général avec le particulier ; ce qu'un
a mal dit, on le fait dire à tous, et ce que plusieurs ont bien dit, on ne le
fait dire à personne : et tout cela, encore une fois, pour la gloire de Dieu.
Car cette direction d'intention rectifie tout cela. Elle ne suffirait pas pour
rectifier une équivoque, mais elle est plus que suffisante pour rectifier la
calomnie, quand on est persuadé qu'il y va du service de Dieu.
« En traçant si curieusement ce
qu'il nomme un détail de mœurs, si Bourdaloue n'avait pas en vue Pascal dans
les Provinciales, et s'il ne le traduit pas trait pour trait à sa
manière devant ses auditeurs, dont plusieurs durent être à la fois choqués et
transportés, et ne purent s'empêcher d'admirer tout en protestant, il n'y a pas
un seul portrait chez Saint-Simon ni chez La Bruyère.
IX
« Il serait facile encore de
montrer que nous autres critiques et journalistes (il y en avait déjà), nous
sommes atteints et notés en passant par Bourdaloue; les satiriques de
profession, tous censeurs qui érigent de leur autorité privée « un tribunal où
l'on décide souverainement du mérite des hommes, » sont repris par lui. Boileau
y reçoit sa leçon, sa réprimande très-sensible au passage ; et je serais bien
étonné si ensuite, dans quelque conversation à Bàville et à Auteuil, il n'avait
pas eu une prise avec Bourdaloue sur ce sujet. Mais Bourdaloue et Despréaux
étaient tous deux sincères; pleins de feu, ils pouvaient quelquefois se
contredire, froncer le sourcil et croiser le fer en causant : ils s'estimaient,
ils étaient liés au fond par cet amour du vrai, par cette ardeur de bon
jugement et cette raison passionnée qui vit dans leurs écrits à l'un et à
l'autre. Après la mort du grand orateur, Despréaux, recevant son portrait des
mains de la présidente de Lamoignon, pouvait dire par une association généreuse
:
Enfin,
après Arnauld, ce fut l'illustre en France
Que
j'admirai le plus et qui m'aima le mieux.
« Je pourrais multiplier les
exemples qui démontreraient en détail chez Bourdaloue, je ne dirai pas cette
partie anecdotique (le mot est trop petit), mais bien cette large veine et
cette continuelle opportunité oratoire. Ainsi, dans le sermon sur
l'Hypocrisie, on a le Tartufe de Molière blâmé et dénoncé au point
de vue de la chaire; dans le sermon de l’Impureté, l'un des plus riches
et des plus complets pour la science morale, sermon qui choqua et souleva une
partie de la Cour, je ne répondrais pas qu'à un certain endroit il ne fût
question des Contes de La Fontaine, il y est certainement question des
scandales que produisit l'affaire dite des poisons, où tant de personnes
considérables furent impliquées (1680). Dans le sermon sur la Prière,
c'est le mysticisme de Fénelon qui est signalé avec ses périls, et il ne tient
qu'à nous de reconnaître l'auteur des Maximes des Saints confondu avec
ceux qui, sous prétexte d'être des âmes angéliques et
choisies, s'estiment assez
habiles pour réduire en art et en méthode ces mystères d'oraison, pour en
donner des préceptes, pour en composer des traités, pour en discourir
éternellement avec les âmes.
« Dans le sermon sur la
Sévérité de la Pénitence, prêché le quatrième dimanche de l'Avent en 1070,
Bourdaloue, après avoir montré dans le premier point que la sévérité est
nécessaire, et dans le second qu'elle doit pourtant se tempérer toujours de
consolation et de douceur, n'avait paru d'abord accorder quelque chose aux
docteurs jansénistes que pour le leur retirer ensuite plus expressément. La
princesse de Conti, présente au sermon et ayant cru reconnaître ses amis « dans
ces hommes zélés, mais d'un zèle qui n'est pas selon la science, dans ces
esprits toujours portés aux extrémités, qui, pour ne pas rendre la pénitence
trop facile, la réduisent à l'impossible
et n'en parlent jamais que dans des termes capables d'effrayer, » témoigna par
quelque geste qu'elle était blessée de l'allusion : ce que Bourdaloue ayant
remarqué, il alla après le sermon voir la princesse, qui s'en expliqua avec lui
et qui lui dit très-nettement que la seconde partie l'avait fort scandalisée.
C'étaient toutes ces circonstances bien connues qui, jointes au courant
principal de cette éloquence et à la puissance du fond, excitaient un intérêt,
dont nous n'avons plus l'idée aujourd'hui.
« Tous les sermons de Bourdaloue sur
la Prédestination, sur la Grâce, sur la Fréquente Communion, etc.,
n'étaient pas seulement des enseignements de doctrine, c'étaient des à-propos
frappants et vifs dans la disposition des esprits d'alors. Je n'ai pas à entrer
dans l'exposé du dogme et de la morale de Bourdaloue : qu'il me suffise de dire
que son mérite et sa vertu comme son grand art est de professer un juste milieu
en théologie. Membre d'une Société qu'on accusait d'être accommodante et
relâchée, il s'attache à prendre chez les adversaires ce qu'ils ont de juste,
de moral, de profondément chrétien et de raisonnablement sévère ; il en ôte ce
qu'ils y mettent d'excessif, et il ne leur laisse en propre que cette dureté.
« Parmi les adversaires
qu'il combat, il en est toutefois contre lesquels Bourdaloue a trop
manifestement raison, et d'une manière qui parait encore tout à fait piquante :
ce sont ces jansénistes de mode et de langage, non de conviction, ces
incrédules et libertins du monde (comme il y en avait déjà bon nombre alors)
qui faisaient les rigoristes en parole, prenaient parti en matière de dogme, et
ne plaçaient si haut la perfection du christianisme et la rigidité de la
pénitence que pour mieux s'en passer : « Ou tout ou rien, dit-on ; mais
bien entendu qu'on s'en tiendra toujours au rien, et qu'on n'aura garde de se
charger jamais du tout. » Le travers, l'inconséquence de ces épicuriens
mondains, jansénistes par raffinement et en théorie, a trouvé dans Bourdaloue
un railleur sévère.
« Je dis sévère : car il ne faut
pas croire que Bourdaloue, en exposant à son auditoire ces portraits fidèles y
mêlât de ces nuances, de ces inflexions marquées de débit et d'accent qui en
eussent fait des peintures trop agréables et de trop fines satires : il restait
lui-même, c'est-à-dire grave, uni en parlant, sérieusement digne ; il n'avait
pas de ces tons familiers, insinuants, touchants, que lui demandait Fénelon ;
il maintenait le caractère d'enseignement et de précepte, même dans ses
censures; enfin, il lui suffisait d'être frappant, utile et instructif, il
n'était pas enchanteur.
« Les personnes qui rient de
tout, et auprès desquelles un bon mot a toujours raison, se sont autorisées
quelquefois d'une parole de Mme Cornuel sur Bourdaloue, elle disait : « Le Père
Bourdaloue surfait dans la chaire, mais dans le confessionnal il donne à bon
marché.» Ce n'est là qu'un joli mot de société. Jamais Bourdaloue en chaire n'a
présenté la sévérité sans y adjoindre comme correctif la douceur : « Non, mon
Dieu ! s'écriait-il, tandis que vous me confierez le ministère de votre sainte
parole, je prêcherai ces deux
X
vérités sans les séparer jamais : la première, que vous êtes
un Dieu terrible dans vos jugements, et la seconde, que vous êtes le Père des
miséricordes et le Dieu de toute consolation. » Et il n'y avait pas lieu de le
mettre en contradiction avec lui-même , s'il semblait quelquefois indulgent
pour ses pénitents en leur donnant accès à la communion, lui qui disait en
chaire : « Ouvrez-leur la porte de la salle, ou du moins ne la leur fermez pas.
Ne retranchez pas aux enfants le pain qui les doit sustenter, et sans lequel
ils périront. Ne le mettez pas à un si haut prix qu'ils n'aient pas de quoi
l'acheter. » « Bourdaloue, étudié dans le détail, offrirait le plus bel exemple
de la parole chrétienne édifiante et convaincante, appliquée à tous les usages
el distribuée comme le pain de chaque jour, depuis les sermons prêchés à la
Cour ou sous les voûtes de Notre-Dame jusqu'aux simples exhortations pour les
assemblées de charité. Il se multipliait, et on usait de lui sans relâche. Il
ne portait rien de Fauteur ni de l'écrivain dans aucun de ses emplois : il ne
songe à d'autre effet qu'à celui du bien. Mais il avait une trop haute idée de
la parole chrétienne pour ne pas la préparer toujours à l'avance, sachant
combien les termes en doivent être mesurés : il n'improvisait pas, il aimait
mieux redire ses sermons, en y adaptant des portions nouvelles pour les
circonstances particulières. C'est ce qu'il fit dans plusieurs des sermons
qu'il alla, par ordre du roi, prêcher à Montpellier en 1685-1686, pour y
instruire et édifier les nouveaux convertis. Personne n'était plus propre que
Bourdaloue à rallier ces âmes effrayées, prises par violence, et à leur offrir
un christianisme à la fois sévère et consolant. Le théologien et futur évoque
anglican Burnet, qui était venu en France peu de temps auparavant (1683) et qui
y avait vu les hommes les plus distingués en doctrine et en piété (sans oublier
M. de Tréville qui venait de reparaître dans le monde), n'avait pas manqué de
chercher Bourdaloue : « Je fus mené par un évoque, dit-il, aux jésuites de la
rue Saint-Antoine ; j'y vis le Père Bourdaloue, estimé le plus grand
prédicateur de son temps et l'ornement de son Ordre. C'était un homme d'un
caractère doux et de si peu d'emportement contre les Protestants, qu'il croyait
que les gens de bien parmi eux pouvaient être sauvés ; je n'ai jamais rencontré
ce degré de charité chrétienne chez aucun autre théologien catholique. » Je ne
sais si, au point de vue théologique, le témoignage de Burnet demanderait
quelque explication : il résulte au moins bien certainement de cette impression
morale que lui avait laissée Bourdaloue, que celui-ci avait tout ce qu'il faut
pour concilier. Les Anglais n'ont pas cessé d'estimer Bourdaloue ; dans ce pays
où l'art oratoire est sérieusement étudié et où tout est dirigé dans le sens
pratique, on fait à son genre d'éloquence une place très-haute et on lui
décerne, à lui en particulier, et par rapport à d'autres noms de grands orateurs,
une supériorité dont nos idées françaises seraient elles-mêmes étonnées (1).
« A la fin des Œuvres de
Bourdaloue, on a réuni sous le titre de Pensées quelques-uns des
morceaux de doctrine ou de morale qu'il écrivait à l'avance, selon l'habitude
des orateurs anciens, pour les placer ensuite au besoin dans ses discours. Il y a dans ces pages une sorte d'Essai sur
l'amitié humaine considérée dans les amitiés prétendues solides, et dans
les amitiés sensibles et prétendues innocentes , qui nous présente un
Bourdaloue plus familier et tel qu'il pouvait être dans la direction
particulière des âmes : on trouve dans ce qu'il dit delà dernière espèce
d'amitié entre les personnes du sexe bien de l'observation et même de la
délicatesse ; j'y renvoie ceux de mes lecteurs qu'un Essai de Nicole n'ennuie
pas. Je recommande surtout la belle pensée qui commence par ces mots : « Je
veux un ami véritable et, autant qu'il se peut, un ami sincère, etc. »
Bourdaloue, dans ces endroits , se rapproche de La Bruyère ; il a du tour et
quelque imprévu.
« Bourdaloue n'était nullement
ambitieux, et cette simplicité, cette droiture de conduite qu'il ne séparait, à
aucun moment, de la religion, il la pratiquait pour son compte. Il refusa dans
un temps la direction de la conscience de Mme de Maintenon, direction qui,
certes, n'était point à mépriser, mais qui l'eût enlevé à d'autres devoirs. Il a
parlé quelque part de cette forme et de cette espèce de directeur à la mode et
très-goûté de son temps, « qui semble n'avoir reçu mission de Dieu que pour une
seule âme , à laquelle il donne toute son attention ; qui, plusieurs fois
chaque semaine, passe régulièrement avec elle des heures entières, ou au
tribunal de la pénitence ou hors du tribunal, dans des conversations dont on ne
peut imaginer le sujet, ni concevoir l'utilité; qui expédie toute autre dans
l'espace de quelques moments, et l'a bientôt congédiée, mais ne saurait presque
finir dès qu'il s'agit de celle-ci. » Directeur délicieux et renchéri, exclusif
et mystérieux, dont Fénelon est le type idéal le plus charmant (le Fénelon de
Mme Guyon et avant l'exil de Cambrai). Lui, Bourdaloue, il était le contraire,
et, malgré sa fonction publique et sa surcharge continuelle , il se donnait
tout à tous. Qu'il s'agit du maréchal de Luxembourg mourant qui le réclamât, ou
d'un pauvre homme, il était prêt également. Quelquefois, à Bâville, on
s'apercevait qu'il était sorti du salon et avait quitté la compagnie sans rien
dire : il était allé confesser quelque paysan malade des environs. »
Outre les Sermons de
Bourdaloue, nous avons encore de lui des panégyriques, si bien jugés par le
cardinal Maury.
« Celui de nos prédicateurs qu'on
doit le plus distinguer dans cette carrière, est incontestablement le père Bourdaloue.
S'il faut en croire
XI
cependant sa modestie, cet immortel orateur ne s'est jamais
proposé de prononcer un véritable panégyrique oratoire. La chaire chrétienne
n'est nullement pour lui une simple tribune d'éloquence ; il s'y occupe sans
cesse du grand et unique objet d'instruire, de confondre et de ramener les
pécheurs. Tout autre intérêt disparaît devant son ministère. Il nous en avertit
lui-même, dans le titre remarquable qu'il donne aux seize compositions
consacrées par son talent à la gloire des saints. Aucun de ces ouvrages, qui
forment deux volumes de sa collection, n'est annoncé comme un éloge ; ils sont
tous intitulés : Sermon pour la fête de tel saint ou pour telle
solennité.
« Peu satisfait d'une pareille
précaution pour indiquer le genre mixte d'éloge et de moralité auquel il se
voue, Bourdaloue va nous expliquer plus nettement encore son dessein , en
répétant dans presque tous ses discours qu'il n'a pas l'intention de prêcher
simplement un panégyrique. Il déclare donc qu'il songe beaucoup moins à louer
les saints qu'à leur donner des successeurs, en les présentant du haut de la
chaire à l'admiration et à l'émulation des fidèles. La poétique de ses éloges
n'est, pour ainsi dire, qu'une nouvelle tactique de son ministère pour mieux
atteindre son but, en assurant par cette voie l'instruction et la conversion de
l'assemblée qui l'écoute. La règle la plus sûre, dit-il au commencement
de son éloge de saint Jean l'évangéliste, la règle la plus sure pour louer
les saints est de nous proposer leur sainteté comme le modèle de la nôtre. Ne considérez
pas ce discours, ajoute-t-il dans l'exorde de sa prédication sur la fêle de
saint Paul, comme un simple éloge qui se termine à vous donner une haute
idée de saint Paul. Je vous l'ai dit : c'est un discours de religion, c'est une
règle pour former vos mœurs, c'est un exemple que Dieu nous propose et que nous
devons nous appliquer.
« En effet, Bourdaloue oublie
continuellement dans ses panégyriques, qu'il fait un éloge ; il oublie jusqu'à
son héros, pour se concentrer dans la pensée dominante de son cœur, dont le
principal intérêt est toujours la sanctification de son auditoire. On retrouve
souvent dans ces discours le moine génie , la même puissance de raisonnement, la même profondeur de doctrine , le même bon goût
d'érudition, que font tant admirer ses grands chefs-d'œuvre sur les mystères et
sur la morale de l'Evangile. Ses panégyriques peuvent donc soutenir, sous tous
ces rapports , une comparaison glorieuse avec ses autres sermons. Mais il faut
avouer qu'en y déployant de si rares et si différente mérites, il ne se
renferme cependant pas assez dans ce nouveau genre , pour y conserver cette
belle et constante unité d'un sujet approfondi sous tous ses rapports, mais
restreint à ses limites naturelles, unité à laquelle il est toujours fidèle
dans son Carême et dans son Avent. C'est lui seul qui sacrifie volontairement
ici une partie de ses succès oratoires aux intérêts de son zèle apostolique. Ce
dernier sentiment subjugue toutes les facultés de son âme avec tant d'empire ,
qu'au milieu de ses éloges sacrés, le panégyriste interrompt tout à coup toutes
ces formules de louange qui semblent attiédir et fatiguer son génie ainsi
dépaysé, hors de sa sphère et de son élément, pour se livrer à l'impétuosité et
à la véhémence d'un missionnaire. Je peux en citer un exemple frappant, tiré de
l'éloge de sainte Madeleine; et en lisant cette prosopopée imprévue dans un
panégyrique de Bourdaloue, on croira sans doute entendre le morceau le plus
éloquent d'un sermon sur le délai de la conversion.
« Madeleine, dit-il,
connaissait-elle mieux Jésus-Christ que nous ne le connaissons? La foi du
christianisme nous découvre au contraire des merveilles qui étaient alors
cachées à ses yeux. Pourquoi donc tarder davantage ? Et sans aller plus loin,
pourquoi, avant que de sortir de cette église, avant que de nous éloigner de
cet autel où Jésus-Christ se trouve encore, non plus en qualité de convive,
comme chez le pharisien, mais en qualité d'aliment et de breuvage, en qualité
de victime immolée pour nous, en qualité de sacrificateur et de pasteur,
pourquoi dis-je, ne pas nous donner à lui? Finissons une fois, ce que tant de
fois nous avons proposé de faire ; et disons-lui : Non, Seigneur, non, ce ne
sera ni dans une année, ni dans un mois, mais dès aujourd'hui ; car il n'est
pas juste que je veuille temporiser avec vous. Ce ne sera point quand je me
trouverai dégagé de telle ou telle affaire ; car il est indigne que les
affaires du monde retardent celles de mon Dieu. Ce ne sera point quand je me
verrai sur le retour de l'âge; car tous les âges vous appartiennent, et ce
serait un outrage pour vous bien sensible de ne vouloir vous réserver que les
derniers temps et le rebut de ma vie. Dès maintenant, Seigneur, je suis donc à
vous, et j'y veux être. Recevez la protestation que je fais, et confirmez la
résolution que j'en forme devant vous. »
« Cette logique pressante et ces
mouvements accélérés caractérisent le tact et le talent suprême de Bourdaloue.
Son zèle s'y abandonnait pour le moins avec autant de liberté dans ses
panégyriques que dans ses sermons.
« Indépendamment de ces beaux
mouvements de son zèle apostolique, Bourdaloue suivait aussi fréquemment dans
la composition de ses panégyriques, son attrait pour les développements de la
morale. Il faut donc citer ici un exemple de ces nouvelles digressions si
étrangères au genre des éloges. Vers la fin de son panégyrique de saint Paul,
en louant cet apôtre d'avoir bravé les tribulations, les chaînes et la mort
pour aller remplir son ministère à Jérusalem, quand il déclara qu'il ne
craignait rien de tout ce qui pouvait lui arriver, et qu'il ajouta : Ma vie
ne m'est pas plus précieuse que moi-même, Bourdaloue s'arrête ; et il ne
songe plus au sacrifice et à la gloire de saint Paul, que pour en relever le
contraste avec nos mœurs. « Que répondrez-vous à cet exemple, dit-il, hommes du
siècle, hommes lâches et mondains, qui dans les emplois dont la providence vous
a chargés, et même dans les fonctions qui vous attachent, comme saint Paul, au
service des autels, cherchez vos aises et votre repos ? Venez, venez vous
XII
confronter avec cet apôtre ; et dans l'opposition que vous
allez découvrir entre vous et lui, apprenez ce que vous devez être, et
confondez-vous de ce que vous n'êtes pas. » ( Saint Paul, etc..
«Je respecte et j'admire comme je
le dois ce sentiment et ce langage apostoliques. Je ne saurais donc regretter,
pour la gloire de Bourdaloue, de voir son génie se livrer à ces épanchements de
zèle et à ces développements de morale, qui, en l'éloignant du sujet de son
discours, le rapprochent si utilement de l'objet de son ministère, et lui
ouvrent la conscience de tous ses auditeurs. Un pareil succès devait lui
paraître préférable sans-doute à tous les triomphes oratoires. Mais je
regrette, pour l'intérêt de l'art que ce grand homme a tant honoré, qu'il n'ait
pas voulu borner et consacrer quelquefois en toute rigueur son grand talent au
seul et unique objet des panégyriques, pour nous fournir des modèles parfaits
dans toutes les créations de l'éloquence sacrée ; je regrette qu'il dérobe si
souvent à ma vue le héros de son discours, que tout autre intérêt fait languir;
je regrette qu'il ne laisse rien à commenter et à développer à mes pensées, que
les siennes épuisent et absorbent dans leur diffusion; je regrette qu'il ne se
fie pas assez à son éloquence pour être bien sûr que dans un panégyrique où la
morale doit sortir du fond du récit et du tableau des faits, et où elle est
tout autrement intéressante quand on la voit en action que lorsqu'elle est
réduite à l'aridité des préceptes, on peut supprimer ces développements
superflus qui confondent tous les genres; je regrette qu'il ne prenne pas plus
souvent dans sa diction et dans son coloris un ton plus haut, pour obliger son
talent à des efforts heureux qui doubleraient ses forces, que dans le style des
éloges, où il montre toujours de la propriété, de la correction, de la noblesse,
de la dignité, souvent même du nerf et de la précision, il néglige trop ce
nombre, ce tour, cette grâce de la parole, cette imagination dans l'expression
si éminemment propres aux panégyriques; je regrette que Bourdaloue ne se soit
pas rappelé dans de pareils sujets la sage et lumineuse observation de
Quintilien, quand il dit, avec toute l'autorité du bon goût, que « les pièces
spécialement destinées à plaire au public, quoiqu'elles soient fondées sans
aucun doute sur la vérité, COMME LES PANEGYRIQUES, et tout ce qui appartient au
genre démonstratif, doivent avoir des fleurs et des grâces dont il ne faut pas
orner les plaidoyers, où l'art est plus caché, au lieu qu'ici, non-seulement il
se montre , mais il étale toutes ses beautés pour remplir l'attente de
l'auditeur, qui est venu avec le seul dessein d'entendre un beau discours; » je
regrette enfin qu'en parcourant cette belle carrière où il devait à jamais nous
servir de guide, ce grand homme ait oublié que de fréquentes digressions
morales ne sont pas moins déplacées dans un éloge, que ne le seraient de
continuels épisodes de louanges dans un sermon.
« Ainsi donc, même en retranchant
de ces discours de Bourdaloue les
instructives moralités auxquelles il laisse usurper trop d'espace, ils
ne seraient pas encore d'irréprochables panégyriques, parce que les faits n'y
seraient pas assez dominants, assez animés du génie oratoire , assez suivis,
assez liés, pour atteindre ni l'instruction de l'histoire, ni l'intérêt de
l'éloquence. On y admirerait sans doute un excellent esprit, une vigueur
continue de raison, une marche sage, des raisonnements lumineux , des citations
brillantes de l'Ecriture et des Pères, des connaissances profondes, et même
plusieurs caractères d'un talent mâle et supérieur; mais il y manquerait
encore, pour en faire de vrais chefs-d'œuvre, ces mouvements d'éloquence, cette
poésie d'expression, ce progrès d'intérêt, ce souvenir ou plutôt cette
présence, cette action continuelle du héros toujours en scène sous les yeux de
l'auditoire, cette belle distribution d'une vie entière méditée et coordonnée
par un orateur, enfin cette fleur, que dis-je? ce feu d'imagination et cet
accent d'enthousiasme qu'un éloge solennel attend de l'éloquence, et dont
l'admiration publique veut jouir.
L'attrait de son talent et
surtout la connaissance approfondie de l'économie du christianisme, appelaient
naturellement Bourdaloue, dans le choix de ses éloges , vers les sujets liés au
berceau de la religion. Il a senti et il a montré combien ils étaient féconds
pour l'éloquence. Ce savant orateur se trouvait là sur son terrain, au milieu
du théâtre de ses grandes études ; et son érudition n'aurait jamais pu se
déployer avec le même avantage dans les sujets modernes, que les orateurs aiment
beaucoup mieux traiter, parce qu'ils semblent plus intéressants , parce qu'ils
appartiennent à des époques plus riches en personnages à portraits historiques,
mais surtout parce qu'ils sont incomparablement plus accessibles aux talents
médiocres. Aussi Bourdaloue n'a-t-il négligé aucun de ces premiers héros de
l'Evangile. Son inépuisable fécondité consacra huit éloges à cette seule
période des temps apostoliques, en composant les panégyriques de saint
Jean-Baptiste, de saint Pierre, de saint Paul, de saint Etienne, de saint Jean
l'évangéliste, de saint André, de saint Thomas et de la Madeleine.
« Il n'est aucun de ces discours de Bourdaloue où l'on ne
retrouve son talent, et où il ne fasse admirer des beautés du premier ordre.
Ses plans me semblent des conceptions uniques, dont rien n'approche dans cette
partie de l'éloquence sacrée. C'est dans ses panégyriques, mieux encore que
dans ses sermons, qu'on est frappé, au premier coup d'œil, de la sagacité, de
la justesse et de la profondeur de son esprit, dans son étonnante manière d'envisager
ses sujets et de diriger l'ordonnance de. ses discours. Il n'a point de rival
dans cet art, disons mieux, dans cet empire du génie sur lui-même , qui, en
traçant ainsi sa marche, a la sagesse de se restreindre pour se fortifier et
s'élever plus haut; d'abréger sa route en assignant son but; de se soumettre au
frein qu'il se donne pour régler et augmenter son ardeur ; enfin d'assurer
mieux son triomphe, en s'environnant de bornes qu'il ne se permettra pas de
franchir
XIII
comme un souverain affermit et étend sa puissance en
s'imposant à lui-même des lois.
« Parmi les exemples que je
pourrais citer à l'appui d'un si juste hommage, je me bornerai à retracer ici
le beau dessein de son panégyrique de saint Jean-Baptiste. Ce plan était
contenu dans l'Evangile, à peu près comme une magnifique statue est renfermée
dans le bloc de marbre d'où elle doit sortir; mais l'extraction , c'est-à-dire
la création, n'en est que plus heureuse, parce que le génie seul a su l'y
découvrir, l'en tirer et l'animer de son souffle, en l'offrant ainsi à notre
admiration avec autant d'éclat et de vérité que d'intérêt et de vie.
« Bourdaloue prend pour texte ces
paroles du premier chapitre de l'Evangile de saint Jean : Un homme appelé
Jean fut appelé de Dieu , et il vint pour rendre témoignage à la lumière.
En développant le sens profond de ce passage, il ramène tout son sujet à
l'aperçu lumineux et vaste d'une réciprocité de témoignages entre le Messie et
le précurseur. Il observe que de même que saint Jean-Baptiste a servi de témoin
au Sauveur du monde, le Sauveur du monde a voulu servir aussi de témoin à saint
Jean-Baptiste; et il divise son éloge en ces deux points simples et vrais :
Jean-Baptiste rendant témoignage au Fils de Dieu, et le Fils de Dieu rendant
témoignage à Jean-Baptiste.
« Voici comment il envisage et
sous-divise admirablement sa première partie : « Cinq choses, dit-il, sont
nécessaires à quiconque est choisi pour témoin et doit en faire l'office : la
fidélité et le désintéressement dans le témoignage qu'il porte ; l'exacte
connaissance du sujet dont il porte témoignage ; l'évidence des preuves sur
lesquelles il appuie son témoignage; le zèle pour la vérité en faveur de
laquelle il rend témoignage ; enfin la constance et la fermeté pour soutenir
son témoignage. Or, je trouve que saint Jean-Baptiste a eu dans le degré le
plus éminent toutes ces qualités ; car il a été pour le Sauveur du monde un
témoin fidèle et désintéressé, un témoin instruit et pleinement éclairé, un témoin
sûr et irréprochable , un témoin zélé et ardent, un témoin constant et ferme. »
« Après avoir démontré ces cinq
assertions par les faits déposés dans l'Evangile, dont le récit semblait devoir
épuiser la matière, Bourdaloue ne se montre ni moins original, ni moins riche,
ni moins frappant dans les sous-divisions de la seconde partie; et le sujet
ainsi présenté se prêtera merveilleusement au mouvement progressif que l'art
saura donner à l'éloquence de l'orateur.
« Sans attendre, dit-il, son
dernier avènement où il servira de témoin à tous les justes, le Sauveur du
monde a voulu servir de témoin, dès cette vie, à son précurseur. Il a donc
rendu témoignage à la grandeur de sa personne : il a rendu témoignage à la
dignité de son ministère : il a rendu témoignage à l'excellence de sa
prédication : il a rendu témoignage à l'efficacité de son baptême : enfin il a
rendu témoignage à la sainteté de sa vie et à l'austérité de sa pénitence. »
« Je ne connais ni parmi les
anciens, ni parmi les modernes, aucun plan d'éloge qu'on puisse mettre en parallèle
avec la distribution oratoire de ce discours. La religion seule peut ouvrir de
pareilles routes à l'éloquence. C'était ainsi que Bourdaloue savait creuser et
raisonner les sujets que des méditations profondes mûrissaient et fécondaient
devant son talent. Que l'on compare une pareille combinaison du génie, un
résultat si étonnant de quelques pages de l'Evangile, aux divisions
généralement communes, faibles et uniformes, qu'une facilité paresseuse fournit
à Massillon ; et l'on sera d'autant plus frappé du contraste , qu'il explique
également plusieurs des autres différences qu'on remarque entre ces deux grands
orateurs. C'était ce travail préparatoire qui rendait ensuite les compositions
de Bourdaloue si pleines et si coulantes, qu'on ne trouve dans ses
panégyriques, depuis l'exorde (1) jusqu'à la péroraison, aucune hésitation,
aucun verbiage, aucun embarras, aucune répétition, aucune trace de stérilité,
aucune phrase de remplissage. L'orateur sacré qui, dans la composition des
éloges, saura l'imiter dans l'art d'approfondir ses sujets, l'égaler dans la
conception de ses plans, s'abstenir de ses digressions morales, et exercer plus
heureusement la puissance de l'imagination que l'éloquence doit déployer pour
célébrer la gloire , sera le premier des panégyristes. »
M. Sainte-Beuve raconte comment Bourdaloue
fut amené à prononcer deux Oraisons funèbres :
« Il estimait que la chaire est
peu faite pour ces Eloges profanes; les deux fois qu'il dérogea à ses
habitudes, ce fut par devoir et par nécessité, et toujours en faveur de la
maison de Condé. Un ancien secrétaire des commandements de M. le prince père du
grand Condé, Perrault, président de la Chambre des comptes, voulut en mourant,
par reconnaissance pour son ancien maître, instituer une fondation en son
honneur, et c'est en conséquence de cette fondation que Bourdaloue
XIV
dut prononcer devant le grand Condé l'oraison funèbre de son
père mort depuis longtemps. Il ne considéra son sujet qu'à un point de vue
chrétien, et ne loua dans l'ancien fauteur de tant de troubles civils que le
converti du calvinisme et celui qui avait replacé sa maison et sa race dans le
giron de l'Eglise. Ce fut le 10
décembre 1683, dans la maison professe des jésuites, que Bourdaloue
prononça cette première oraison funèbre : il y parlait de l'hérésie, contre
laquelle on n'avait pas pris encore les dernières mesures violentes, avec
modération et avec une charité réelle :
A
Dieu ne plaise que j'aie la pensée de faire ici aucun reproche à ceux que
l'erreur ni le schisme ne m'empêchent point de regarder comme mes frères, et
pour le salut desquels je voudrais, au sens de saint Paul, être moi-même anathème
! Dieu, témoin de mes intentions, sait combien je suis éloigné de ce qui les
pourrait aigrir; et malheur à moi, si un autre esprit que celui de la douceur
et de la charité pour leurs personnes se mêlât jamais dans ce qui est de mon
ministère!
« Il exhortait chacun à aider le
monarque dans ses dispositions saintes, mais à l'aider surtout et à concourir
pacifiquement avec lui, « ajoutant à son zèle, disait-il, nos bons exemples,
l'édification de nos mœurs, la ferveur de nos prières, les secours mêmes de nos
aumônes, dont l'efficace et la vertu fera sur l'hérésie bien plus d'impression
que nos raisonnements et nos paroles. » En terminant cette oraison funèbre,
genre de discours pour lui tout nouveau, et dans lequel il ne demandait qu'à être
supporté de son auditoire, il faisait une prière directe au ciel pour le
prince de Condé présent :
C'est
pour ce fils et pour ce héros que nous faisons continuellement des vœux; et ces
vœux, ô mon Dieu, sont trop justes, trop saints, trop ardents, pour n'être pas
enfin exaucés de vous ! c'est pour lui que nous vous offrons des sacrifices :
il a rempli la terre de son nom, et nous vous demandons que son nom, si comblé
de gloire sur la terre, soit encore écrit dans le ciel. Vous nous l'accorderez,
Seigneur, et ce ne peut être en vain que vous nous inspirez pour lui tant de
désirs et tant de zèle. Répandez donc sur sa personne la plénitude de vos lumières
et de vos grâces....
« Le vœu de Bourdaloue fut rempli
: peu de temps après ce discours, le prince de Condé se convertit sincèrement,
il s'approcha des autels; cet esprit si brillant, si curieux, si altier, que
les impies s'étaient flattés de posséder, leur échappa et se rangea humblement
à la voie commune. Bourdaloue fut témoin et instrument de ce retour; il assista
et prépara le héros dans les deux ou trois dernières années; il l'entendit, à
l'heure de la mort, proférer ces nobles paroles, répétées par Vauvenargues : «
Oui, nous verrons Dieu comme il est: Sicuti est, facie ad faciem. » Il l'entendit
exprimer cette seule crainte touchante : « Je crains que mon esprit ne
s'affaiblisse, et que parla je ne sois privé de la consolation que j'aurais eue
de mourir occupé de lui et m'unissant à lui. » Et lorsque Condé eut légué son
cœur à la maison
professe de la Société, il dut, par reconnaissance, par
devoir, prononcer une seconde fois une oraison funèbre.
« Cet éloge funèbre du grand
Condé, dont Mme de Sévigné a esquissé une vive analyse dans une lettre à Bussy
et dont elle se disait transportée, est d'un caractère à part et porte
encore l'empreinte morale de la manière de Bourdaloue; il laisse la vie
glorieuse et mondaine du prince, ou plutôt, dans cette vie, il ne s'attache
qu'à son cœur, à ce qui s'y conserve d'intègre, de droit, de fidèle, jusque
dans ses infidélités envers son roi et envers son Dieu; et il va dégageant de
plus en plus cette partie pure, héroïque et chrétienne jusqu'à ce qu'il la
considère en plein dans la maturité finale et un peu tardive de ses dernières
années. Lorsqu'il arrive à l'heure de cette conversion, il a un retour sur
lui-même, comme il s'en permet peu d'ordinaire ; mais ici le mouvement est
indiqué et comme irrésistible :
Le dirai-je, Chrétiens? Dieu
m'avait donné comme un pressentiment de ce miracle, et dans le lieu même où je
vous parle aujourd'hui, dans une cérémonie toute semblable à celle pour
laquelle vous êtes ici assemblés, le prince lui-même m'écoutant, j'en avais non-seulement
formé le vœu, mais comme anticipé l'effet par une prière, qui parut alors tenir
quelque chose de la prédiction. Soit inspiration ou transport de zèle, élevé
au-dessus de moi, je m'étais promis, Seigneur, ou plutôt je m'étais assuré de
vous, que vous ne laisseriez pas ce grand homme, avec un cœur aussi droit que
celui que je lui connaissais, dans la voie de la perdition et de la corruption
du monde. Lui-même, dont la présence m'animait, en fut ému. Et qui sait, ô mon
Dieu, si, vous servant dès lors de mon faible organe, vous ne commençâtes pas
dans ce moment-là à l'éclairer et à le toucher de vos divines lumières? Quoi
qu'il en soit, ni mes vœux, ni mes souhaits n'ont été vains! Il vous a plu,
Seigneur, de les exaucer, et j'ai eu la consolation de voir ma parole
accomplie. Ce prince, qui m'avait écouté, a depuis écouté votre voix secrète,
et, parce qu'il avait un cœur droit, il a suivi l'attrait de votre grâce...
« On voit bien que ceux qui
dénient l'onction à Bourdaloue n'ont pas entendu de sa bouche ces passages, et
ils les ont lus négligemment. »
Pour nous, la vie de Bourdaloue
est presque tout entière dans ses sermons ; nous n'en connaissons que quelques
traits. Nous savons néanmoins que hors de la chaire, et prêchant en quelque
sorte par chacune de ses actions, sa Vie, selon une expression de M. de
Beausset, dans son histoire de Fénelon , était encore plus éloquente que ses
sermons mêmes. Ce fut la plus belle réfutation des Provinciales. La
plus grande partie de son temps était consacrée à visiter les pauvres, à
consoler leur misère, à chasser leurs douleurs; il lui fallut aller quelquefois
dans le monde, ce qui lui permit de le mieux connaître et de le mieux peindre ;
il se lit lui-même mieux connaître par ses hautes vertus et par sa parfaite abnégation.
On avait recours à lui pour les affaires les plus délicates, les plus sacrées.
Lorsque Mme de Maintenon voulut donner à sa maison de Saint-Cyr des règlements
pour affermir ce bel établissement, elle invoqua les lumières de Bourdaloue et
de Fénelon.
XV
On lit dans les Entretiens de Mme de Maintenon, que
le P. Bourdaloue fut quelque temps son confesseur. Elle avait désiré
qu'il ne cessât point de la diriger : « Mais ce saint et savant prédicateur lui
déclara, dit-elle, qu'il ne pourrait la voir que tous les six mois, à cause de
ses sermons. Elle comprit que tout habile , tout vertueux, tout expérimenté,
tout zélé qu'il était, elle ne pourrait pas en tirer le secours presque
continuel dont elle avait besoin. En se privant du P. Bourdaloue , elle redoubla
d'estime pour lui ; car, ajoute-t-elle avec assez de naïveté, la
direction de ma conscience n'était point à dédaigner. » Et il ne l'eût
point dédaignée, s'il avait ambitionné autre chose que le triomphe de
l'Evangile et de la gloire de Dieu.
Mme de Maintenon consulta
toujours Bourdaloue dans les occasions les plus importantes. On sait que,
séduite par la doctrine de Mme Guyon, elle avait attiré cette fameuse mystique
à Saint-Cyr, afin qu'elle y enseignât son système de spiritualité. Bossuet et
les évoques de Chartres et de Châlons-sur-Marne (Paul Godet-des-Marais et
Louis-Antoine de Noailles), ayant exposé devant Mme de Maintenon le danger de
ce système, elle voulut fixer ses incertitudes, et consulta Bourdaloue.» En
lisant la lettre de Bourdaloue à Mme de Maintenon, il n'est personne , dit
l'éloquent historien de Fénelon, qui ne soit frappé de la simplicité, de
l'onction et de la clarté qu'il a su répandre sur la question soumise, à son
examen. Il sépare avec la plus exacte précision le point où doit s'arrêter
l'âme la plus exaltée, lors même qu'elle
tend avec effort à s'élever à la plus haute perfection, de celui où commencent
des illusions dangereuses pour la morale. On voit dans cette lettre combien
l'expérience lui avait donné de lumières pour la direction des âmes, en lui
révélant les dangers dont ce ministère peut n'être pas exempt avec les
intentions même les plus pures. » « Ce qui serait à souhaiter dans le siècle où
nous sommes, écrivait Bourdaloue, ce serait qu'on parlât peu de ces matières, et
que les âmes mêmes qui pourraient être véritablement dans l'oraison de
contemplation, ne s'en expliquassent jamais entre elles, et même rarement avec
leurs pères spirituels (1). »
Pendant les démêlés fameux que
Santeuil eut avec les jésuites, au sujet de son épitaphe du docteur Arnauld,
Bourdaloue lut invité par la Société à se rendre médiateur; et la paix fut
faite par son entremise. Santeuil alla le voir ; il lui écrivit, et
Bourdaloue, dans sa réponse, lui exprima le regret que toutes les hymnes du
Bréviaire romain ne fussent pas l'ouvrage du célèbre poète de la maison de
Saint-Victor (2).
Il fut l'ami fidèle de deux
grands ministres qui, selon le président de Lamoignon, avaient des intérêts
différents, c'est-à-dire qui ne s'aimaient pas; et il conserva toujours
leur estime et leur confiance entière, « sans se mêler d'aucune affaire, sans
même vouloir négocier entre eux une conciliation, parce qu'il ne croyait point
que le temps en fût encore venu. » Il ne se servit point de son crédit pour se
mêler dans les intrigues de la Cour, ou pour élever ses parents, qui, par leur
naissance et par leur mérite, étaient en état de recevoir les grâces qu'il
pouvait faire tomber sur eux. »
En 1693, Anne-Marie d'Orléans,
duchesse de Montpensier, plus connue sous le nom de Mademoiselle, fit
appeler avant de mourir le P. Bourdaloue, pour qu'il l'exhortât dans ses derniers
moments, et qu'il la préparât au terrible passage de l'éternité. C'était auprès
des mourants qu'il exerçait le plus beau, le plus touchant de tous les
ministères. Il était appelé dans les palais des grands et dans la demeure des
pauvres, pour annoncer aux uns et aux autres leur dernière heure. Il leur
parlait en homme apostolique; il soutenait leur courage, leur confiance, et
leur montrait les clartés immortelles derrière les ombres de la mort. Souvent
il eut à rendre ce dernier devoir à des amis qui lui étaient chers depuis
longtemps, et qui réunissaient à un grand nom un grand mérite personnel. Alors
il lui fallait ce courage sublime qui ne peut être inspiré, soutenu que par la
religion.
Son zèle était infatigable et
s'étendait aux plus pénibles fonctions du ministère. On l'appela pour exhorter
à la mort le chevalier de Rohan, qui fut exécuté à la Bastille le 27 novembre 1674, comme
criminel d'état. Il avait voulu livrer Quillebeuf aux Hollandais, et soulever
la Normandie. Bayle rapporte dans ses lettres que Bourdaloue employa cinq à six
jours pour le résoudre à la mort, et que lorsque le chevalier fut près de
monter sur l'échafaud, il était dans le plus mauvais état du monde, et ne
voulait rien moins faire que mourir (1). Mais Bayle a été mal instruit, ou
plutôt il n'a cherché que l'occasion de plaisanter, en opposant à l'éloquence
de Bourdaloue l'exhortation militaire d'un officier aux gardes, qui produisit,
dit-il, plus d'effet que toute la morale du jésuite. Il est certain que
le chevalier de Rohan mourut avec constance et résignation. Il disait à
Bourdaloue : « Mon père, je n'ai pas besoin d'exhortation pour mourir en
honnête homme. Aidez-moi seulement à mourir en chrétien (2). »
Bourdaloue eut beaucoup d'amis,
et sut les conserver. Le président de Lamoignon dit que, pendant
XVI
quarante-cinq années, son cœur et son esprit n'eurent pour
lui rien de secret. Boileau, qui n'aimait pas les jésuites, aima
Bourdaloue et le voyait souvent. Mme de Lamoignon connaissant bien l'amitié qui
unissait ensemble le grand poète et le grand orateur, fit faire, après la mort
de ce dernier, une copie de son portrait, et l'envoya à Despréaux, comme pour
soulager sa douleur. Il répondit que ce présent valait pour lui mille
présents; et dans les vers qu'il fit à cette occasion, il appelle
Bourdaloue
Le plus grand orateur dont la chaire se vante.
Il dit :
........Dès
mes jeunes ans,
Je
fis de ses sermons mes plus chères délices.
Bourdaloue avait beaucoup de prudence et de pénétration dans
les affaires : mais il cherchait à se rendre utile et non à se faire valoir, à
servir et non à dominer. Il était ennemi de tout artifice et de tout
déguisement; c'est ce qui a fait dire encore à Boileau :
Ma franchise surtout gagna sa bienveillance.
Il y avait dans ses manières de
l'aisance, mais de la gravité. Sa conversation était agréable. Vif par
tempérament, doux par l'habitude de ses devoirs, il ne laissait jamais échapper
la moindre impatience, il vivait sans art et sans étude avec des hommes d'un
caractère opposé au sien. Il était modeste, fuyait les éloges, élevait
volontiers le mérite des autres (1), et ne parlait jamais de lui-même. On
l'accueillait partout avec empressement. Il jouissait de la faveur des grands
sans la rechercher ni la fuir.
Sa piété était aussi éminente que
son talent. Il avait commencé à réciter régulièrement l'office longtemps avant
que son admission aux ordres sacrés lui en eût imposé l'obligation. Il
consacrait à la retraite la première semaine de l'année. Il donnait chaque jour
un temps considérable à la prière. Chaque jour il célébrait le saint sacrifice.
C'est une règle qu'il s'était faite, et dont, malgré les devoirs multipliés de
son ministère, il ne s'écarta jamais. Les moindres cérémonies de l'Eglise
n'avaient pour lui rien que de grand. Il prenait un soin
particulier de la décoration des temples du Seigneur; il attachait un vif
intérêt à tout ce qui concernait le culte divin.
On trouvera d'autres
particularités; le détail de ses vertus et de sa sainte mort dans les quatre pièces qui suivent cette notice
; ces documents contemporains auront plus de charmes pour le lecteur, que je
crains d'avoir arrêté trop longtemps.
Bourdaloue mourut le 13 mai 1704, la même année que Bossuet (12 avril), à l'âge
de près de soixante-douze ans; il avait eu le temps de voir les éclatants
débuts de Massillon, et il les avait salués de cette parole du précurseur : Illum
oportet crescere, me autem minui. A lui désormais de grandir et de croître,
à moi de m'effacer et de décliner!
Dans les dernières années de la
vie de Bourdaloue on imprima des fragments de ses sermons. Ce n'étaient que des
reproductions infidèles crayonnées à l'audition. Mais il était difficile de le
suivre, parce que sa parole était rapide. Bourdaloue désavoua cette édition
subreptice. Ce ne fut qu'après sa mort que le P. Bretonneau recueillit, mit en
ordre, et publia successivement tous les discours de ce célèbre prédicateur.
Voici l'ordre dans lequel parut
l'édition originale in-8° donnée par le P. Bretonneau :
1° Les deux Avents et le Carême,
Paris, Rigaud, de l'imprim. royale, 1707, 4 vol. — 2° Les Sermons pour les
mystères, 1709, 2 vol. — 3° Les Sermons pour les fêtes des saints et
pour des vêpres et professions religieuses, 1711, 2 vol. — 4° Les Sermons
pour les dimanches, 1716, 3 vol. — 5° Les Exhortations et les
Instructions chrétiennes, 1721, 2 vol. — 6° La Retraite spirituelle à
l'usage des communautés religieuses , 1721 , 1 vol. — 7° Les Pensées sur
divers sujets de religion et de morale, 1735, 2 vol.
Chaque partie de cette collection
est précédée de savantes préfaces de l'éditeur, et chaque volume est suivi d'un
très-bon abrégé des sermons qu'il contient; on y trouve le plan, la division et
le dessein de chacun de ces discours.
Le P. Bretonneau donna une
seconde édition des Sermons de Bourdaloue, à Paris, chez Rigaud, 1718,
et ann. suiv., en 18 vol. in-12; mais, dans cette édition, ainsi que dans
celles qui furent données par la suite , les analyses des sermons faites par le
P. Bretonneau sont bien moins étendues que dans l'édition originale in-8°.
Et comme il avait déjà fait
imprimer ceux du P. Cheminais et du P. Girousl, en 1093 et en 1704, le P. de La
Rue lui appliquait ce qui a été dit de saint Martin : Trium mortuorum suscitator
magnificus.
A M.***
Mon révérend Père,
Cette lettre apprendra à Votre
Révérence la perle que la maison professe fit hier, à cinq heures du matin,
dans la personne du P. Louis Bourdaloue, qu'une fièvre, accompagnée d'une
violente inflammation de poitrine, nous a enlevé en moins de deux jours; car il
eut encore dimanche dernier, fête de la Pentecôte, le bonheur de dire la messe,
à son ordinaire.
Nous pouvons dire que cette
courte et fâcheuse maladie a été l'effet de son zèle. Il avait, depuis quelque
temps, un assez gros rhume, et cependant il prêcha il n'y a pas plus de dix
jours, et il s'est si peu ménagé dans la suite, qu'il semble même avoir
redoublé son assiduité ah près des malades et au confessionnal. Ainsi il a eu
la consolation de mourir comme il souhaitait, les armes à la main et avant que
les années d'un âge plus avancé le missent hors de combat.
Vous pouvez juger, mon révérend
Père, de la grandeur de notre affliction, par l'avantage que cette maison avait
de posséder un homme en qui se trouvaient, dans un éminent degré, toutes les
qualités qui peuvent rendre utiles à l'Eglise les personnes de sa profession :
un génie facile et élevé, un esprit vif et pénétrant, une exacte connaissance
de tout ce qu'il devait savoir, une droiture de raison qui le faisait toujours
tendre au vrai, une application constante à remplir ses devoirs, une piété qui
n'avait rien que de solide.
Ces qualités avaient paru en lui
dès ses premières années, dans les classes où, selon nos usages, il a été, soit
en qualité d'écolier de théologie, soit en qualité de professeur de grammaire,
de rhétorique, de philosophie et de théologie morale.
Mais le temps marqué par la
Providence pour le mettre sur le chandelier par les deux plus importantes
fonctions du ministère évangélique étant venu, elles parurent avec un éclat que
rien n'a pu effacer, et dont on conservera longtemps le souvenir.
Nul n'ignore jusqu'où il a porté
l'éloquence de la chaire. S'il avait reçu tous les talents propres pour y
réussir, il les a cultivés par un travail si constant, il les a employés avec
un si grand succès,
pendant l'espace de quarante ans, que la France le regarde
comme le premier prédicateur de son siècle. Ce qu'on peut dire de lui, sur ce
point, de plus singulier, c'est que, comme il parlait toujours avec beaucoup de
justesse et de solidité, il savait rendre la religion respectable aux libertins
mêmes, les vérités chrétiennes conservant dans sa bouche toute leur dignité et
toute leur force.
En effet, sans faire son capital
de la politesse, qui ne lui manquait assurément pas, il donnait à ses discours
une beauté majestueuse, une douceur forte et pénétrante, un tour noble et
insinuant, une grandeur naturelle et à la portée de tout le monde. Ainsi,
également goûté des grands et du peuple, des savants et des simples, il se
rendait maître du cœur et de l'esprit de ses auditeurs, pour les soumettre à la
vérité qu'il leur annonçait. Aussi avait-il souvent la consolation de cueillir
lui-même la moisson qu'il avait préparée en jetant le bon grain de la parole de
Dieu dans le champ du père de famille. Car combien a-t-on vu de personnes, du
grand monde même, aveuglées par l'enchantement du siècle, et endurcies par une
longue suite de crimes, venir mettre entre ses mains leurs cœurs ébranlés par
la crainte et brisés par la componction qu'il leur avait inspirée!
Il n'a pas moins réussi dans la
conduite des âmes. Evitant toute affectation et toute singularité, il les
menait, par les routes les plus sûres, à la perfection propre de leur état ;
et, appliqué à connaître la disposition particulière que la grâce produisait en
elles, il savait parfaitement s'en servir pour avancer l'ouvrage de leur
sanctification. La solide piét de tant de personnes, do toutes sortes de
conditions, qui l'ont eu pour directeur, soit dans le siècle, soit dans les
maisons religieuses, en est une preuve bien sensible. Mais ce don si excellent
de conduire les âmes par les voies de la justice éclatait particulièrement
quand il assistait les malades. Rien de plus capable de les instruire et de les
soutenir que ce qu'il leur disait dans ces tristes moments où l'homme, livré à
la douleur et enveloppé des ombres de la mort, ne trouve que de faibles secours
dans sa propre raison. On était si convaincu que le P. Bourdaloue avait grâce
pour cela, que, depuis plusieurs années, il était très-souvent appelé auprès des
mourants :
XVIII
à quoi il répondait, de son côté, avec tous les
empressements de la charité chrétienne, passant quelquefois de la chaire au lit
des malades sans se donner un moment de repos.
De si importantes fonctions,
exercées avec tant de distinction, lui avaient attiré une considération si
universelle, que ce qu'il y a de plus élevé dans le royaume l'honorait de son
estime, et se faisait même honneur, si je l'ose dire, d'avoir quelque liaison
avec lui. A peine a-t-on su sa maladie, que les personnes du premier rang, soit
de. la Cour ou de la ville, ont envoyé, avec des marques d'une inquiétude
véritable, savoir de ses nouvelles; et dès qu'on a été informé de sa mort, tout
le monde a pris part à notre affliction, et s'en est fait comme un devoir de reconnaissance,
pour tout le bien qu'il a plu à Dieu d'opérer par lui, à l'avantage du public,
durant le cours de tant d'années. Pour ceux qui lui avaient donné leur
confiance, je ne sais si rien sera capable de les consoler. Comme ils le
connaissaient encore mieux que les autres, l'entretenant plus souvent, recevant
de lui des conseils très-salutaires, le trouvant toujours prêt à les secourir
dans le besoin, et .ne le quittant jamais sans une nouvelle conviction de son
mérite, ils ont dû aussi ressentir plus vivement la grandeur de cette perte.
Mais ce qui doit, mon révérend
Père, nous rendre plus précieuse la mémoire du P. Bourdaloue, ce sont les
vertus solides qu'il a su joindre, selon l'esprit de nos règles, aux grands
talents dont Dieu l'avait pourvu. Le zèle de la gloire de Dieu était l'âme de
tout ce qu'il faisait dans l'étendue de ses emplois; la sienne ne le touchait
point. Loin de s'applaudir lui-même par une vanité dont il est difficile de se
défendre dans les grands succès, les applaudissements qu'on lui donnait le
faisaient souffrir ; et, toujours renfermé dans la plus exacte modestie sur ce
qui le regardait, il était prodigue de louanges à l'égard de ceux en qui l'on
voyait quelque mérite. Je sais d'une personne pour qui il avait beaucoup de
considération, que, lui ayant un jour demandé s'il n'avait point de
complaisance parmi tant de choses capables d'en inspirer, il lui répondit que
depuis longtemps Dieu lui avait fait la grâce de connaître le néant de tout ce
qui brille le plus aux yeux des hommes, et qu'il lui faisait encore celle de
n'en être point touché. Il dit à un autre qu'il était si parfaitement convaincu
de son incapacité pour tout bien, que, malgré tous ses succès, il avait
beaucoup plus à se défendre du découragement que de la présomption.
Il n'était pas plus sensible à
tous les agréments qu'il pouvait trouver dans le commerce que son ministère
l'obligeait d'avoir avec le monde. Comme il servait le prochain sans intérêt,
c'était aussi sans attachement : en voici une preuve qui ne peut manquer de
vous édifier.
Il y a plusieurs années qu'il
pressa les supérieurs de lui permettre de passer le reste de ses jours à
travailler loin de Paris, dans une de nos maisons de retraite ; et cette
tentative n'ayant pas réussi, il en fit une, il y a trois ans, auprès de
notre très-révérend Père général, pour obtenir la permission
de se retirer au collège de La Flèche, afin de s'occuper uniquement de sa
propre sanctification. Mais Dieu qui voulait se servir de lui pour en
sanctifier bien d'autres, ne permit pas qu'il réussit mieux cette seconde fois
que la première. On peut dire néanmoins que le P. Bourdaloue a eu ce qu'il
souhaitait le plus en cela : car, redoublant son attention sur lui-même, il a
su se procurer, dans l'embarras où il était retenu par !a Providence, les mêmes
accroissements de vertu qu'il se proposait dans le saint repos après lequel il
soupirait.
Au reste, cette attention sur
soi-même l'a accompagné pendant toute sa vie ; et c'est par ce moyen qu'il a
accompli si parfaitement l'avis de l'Apôtre à Tite, son disciple : « Soyez, en
toutes choses, un exemple de bonnes œuvres dans ce qui regarde la doctrine,
l'intégrité, la sagesse. Que ce que vous dites soit saint et irrépréhensible,
afin que quiconque est déclaré contre nous demeure confus, n'ayant rien à nous
reprocher. » Vous le reconnaissez assurément dans ces paroles, mon révérend
Père, pour peu que vous rappeliez dans votre esprit ce que vous avez vu
vous-même si souvent. Je ne parle pas ici de ses discours publics, où, de
l'aveu de tout le monde, il ne lui est rien échappé que la critique la plus
exacte pût justement censurer : je parle de sa conduite ordinaire, que la
médisance s'est vue contrainte de respecter sous un habit qu'elle a coutume
d'épargner si peu.
Au milieu des affaires dont la
dissipation parait le plus inséparable, il ne perdait point la possession de
son âme, selon l'expression de l'Ecriture. Tellement qu'obligé de se
communiquer au dehors, pour répondre à la confiance qu'on avait en lui, il ne
s'éloignait jamais des bienséances de son état, et que, recherché de toutes
sortes de personnes, il traitait avec chacun d'eux d'une manière proportionnée
au rang où la Providence les avait mis. Ainsi, il était respectueux envers les
grands, sans perdre la liberté de son ministère ; et, sans en avilir la
dignité, il était facile et affable aux petits. Le fond de cette prudence
n'était point un raffinement de politique; car il était l'homme du monde le
plus solide et le plus vrai. Il n'y avait rien de frivole en tout ce qu'il
faisait, rien de contraire à son caractère, et nulle considération n'altérait
sa franchise et sa sincérité. C'était la droiture, le bon sens et la foi qui
lui faisaient découvrir dans chaque chose ce que Dieu y a mis pour servir de
règle à notre conduite.
C'est par de semblables principes
que tous lui étaient égaux à l'égard du salut des âmes, les gens de la plus
basse condition trouvant en lui les mêmes secours pour leur sanctification que
les personnes de la première qualité. Il y en a qui, lui ayant marqué que sa
haute réputation les empêchait de s'adresser à lui au tribunal de la pénitence,
ont été convaincus, par ses manières simples et prévenantes, qu'il ne bornait
pas son ministère aux gens distingués par leur naissance et par leurs emplois;
il se comportait de même quand il s'agissait
XIX
de prêcher; car il le faisait aussi volontiers dans les
hôpitaux, dans les prisons, dans les villages, qu'à la cour ou dans les plus
grandes villes du royaume. Le désir de rendre service au prochain lui fit
toujours négliger ces ménagements de vogue et de santé qu'on craint
ordinairement d'user en se prodiguant au public : ce que Dieu a tellement béni,
que, par un rare exemple, on l'a vu prêcher dans un âge avancé, avec la même
vigueur et le même succès que dans ses plus belles années.
Comme c'est la piété envers Dieu
qui donne le prix à toutes les vertus, je dois, après ce que je viens de dire,
vous faire voir jusqu'où elle a été dans le P. Bourdaloue. Il était
très-religieux observateur des saintes pratiques que la règle nous prescrit,
pour entretenir en nous l'esprit d'une véritable dévotion. Les premiers jours
de chaque année, il les consacrait à la retraite; et, afin de conserver la
ferveur qu'il y avait prise, il donnait chaque jour un temps considérable à la
prière. L'office divin avait pour lui un attrait particulier; il avait commencé
à le réciter régulièrement, longtemps avant que d'y être obligé par les ordres
sacrés; et l'obligation qu'il en eut dans la suite ne servait qu'à lui faire
remplir ce devoir avec un sensible redoublement de ferveur. Pour ce qui est du
sacrifice de nos autels, pénétré de la grandeur d'une fonction si sublime , il
s'était fait une règle de le célébrer tous les jours, comme si chacun eût été
le dernier de sa vie. Ainsi, ni l'accoutumance, qui attiédit ordinairement le
cœur, ni la multitude des affaires, qui le dissipent, ne l'empêchaient point de
puiser avec abondance dans cette source de grâces. D'où il arrivait que, plein
des sentiments que produit dans une âme bien disposée la participation des
divins mystères, il parlait, dans l'occasion, des choses de Dieu d'une manière
également vive et touchante. Enfin, tout ce qui concerne le culte divin lui
était précieux ; les moindres cérémonies de l'Eglise n'avaient rien que de
grand pour lui. A l'exemple du Prophète, il aimait la beauté de la maison du
Seigneur; et le zèle qu'il avait pour elle lui faisait prendre un soin
particulier de la décoration des autels. Sur combien d'autres choses la
modestie du P. Bourdaloue a-t-elle jeté un voile qu'il n'est pas possible de
lever! Car, content de plaire aux yeux de Dieu, scrutateur des cœurs, il
cachait à ceux des hommes tout ce que la loi de l'édification ne l'obligeait
pas de faire paraître. Une dévotion d'appareil n'était point de son goût, et
l'on ne pouvait être plus ennemi de l'ostentation.
Je m'aperçois, mon révérend Père,
que cette lettre passe de beaucoup les bornes ordinaires; il faut donc la
finir, pour vous apprendre en peu de mots quelle a été la fin d'une si belle
vie. Le P. Bourdaloue a vu les approches de la mort avec une tranquillité qui
était beaucoup moins l'effet de la force naturelle de son esprit, que de celle
de sa toi et de l'espérance chrétienne qui le soutenait. Il l'a acceptée comme
l'exécution de la sentence portée par la justice divine contre l'homme pécheur,
et il l'a regardée en même temps comme le commencement des miséricordes éternelles sur
lui : sentiments qu'il a exprimés en des termes si
énergiques, que l'impression en demeurera longtemps gravée dans le cœur de ceux
qui les ont entendus. « Je vois bien (ce sont à peu près ses propres paroles),
je vois bien que je ne puis guérir sans miracle : mais qui suis-je pour que
Dieu daigne faire un miracle en ma faveur?.... L'unique chose que je demande,
c'est que sa sainte volonté s'accomplisse aux dépens de ma vie, s'il l'ordonne
ainsi... Qu'il détruise ce corps de péché, j'y consens de grand cœur; qu'il me
sépare de ce monde, où je n'ai été que trop longtemps, et qu'il m'unisse pour
jamais à lui. »
Il demanda, lundi matin, les derniers
sacrements de l'Eglise, beaucoup moins par une nécessité pressante, autant
qu'on en pouvait juger alors, que par le désir de les recevoir avec plus
d'attention et de présence d'esprit. Aussi les reçut-il d'une manière si
édifiante, que tous en furent infiniment touchés.
Tant d'illustres amis, que son
mérite lui avait faits, seront peut-être bien aises de savoir qu'il ne les a
pas oubliés dans ses derniers moments. Il pria de les assurer que si Dieu lui
faisait miséricorde, ainsi qu'il espérait, il se souviendrait d'eux devant lui,
et qu'il regardait leur séparation comme une partie du sacrifice qu'il faisait
de sa vie au souverain domaine de Dieu.
J'ajouterai, mon révérend Père,
qu'après m'avoir entretenu en particulier sur quelques affaires, avec tout le
bon esprit que vous lui avez connu , il me demanda ma bénédiction d'une manière
qui me fit comprendre que le véritable mérite n'est pas incompatible avec la
simplicité qu'inspire l'Evangile, ni avec cette foi qui découvre à l'humble
religieux la personne de Jésus-Christ dans celle du supérieur, quelque
méprisable qu'il puisse être. Au reste, ce n'est pas la première preuve qu'il
m'en adonnée; car je ne dois pas omettre ici que, pendant toute sa vie, il a
aimé la dépendance ; qu'il l'a pratiquée avec exactitude, et qu'il l'a préférée
à des emplois qui devaient l'en tirer, et qu'on l'a pressé plusieurs fois
d'accepter.
Bien des raisons doivent le faire
regretter de la Compagnie; mais la plus touchante de toutes est le tendre et
sincère attachement qu'il avait pour elle. On ne peut dire combien il
l'estimait, et jusqu'à quel point cette estime le rendait sensible à ses
avantages et à ses disgrâces. En vain s'est-il trouvé des gens qui, pour
diminuer l'honneur qu'il lui faisait, ont voulu plus d'une fois persuader le
contraire au monde. C'est dans ces occasions qu'on voyait son zèle pour elle
prendre une nouvelle vivacité; avec quelle force d'expression ne protestait-il
pas alors qu'il lui devait tout, et que l'une des plus grandes grâces que Dieu
lui eût faites étant de l'y avoir appelé, il eût été le plus injuste de tous
les hommes s'il eût eu la moindre indifférence pour elle!
Le P. Bourdaloue était né à
Bourges le 20 d'août de l'année 1632, et l'an 1048 il entra dans la Compagnie,
le 10 de novembre. Ainsi il a vécu soixante-douze ans, dont il a passé
cinquante-six ans dans la Compagnie. Bénissons Dieu de la fidélité qu'il lui
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donnée pour fournir avec tant de distinction une si longue
carrière, et prions-le, en même temps,
de lui avancer la possession du bonheur éternel, s'il n'en jouit pas encore.
J'ai l'honneur d'être, avec
beaucoup de respect, etc.
A Paris, ce 14
mai 1704.
La perte que nous avons faite
d'un ami qui nous aimait, et que nous aimions tendrement, est si grande pour
nous, qu'il n'y a qu'une entière soumission aux ordres de la Providence qui
nous en puisse consoler.
Une longue habitude avait formé
entre nous une parfaite union ; la connaissance et l'usage de son mérite
l'avait augmentée ; l'utilité de ses conseils, sa prudence, l'étendue de ses
lumières, son désintéressement, son attention et sa fidélité pour ses amis,
m'avaient engagé à n'avoir rien de caché pour lui. Il se trouvera peu
d'exemples d'un ami dont on puisse dire ce que je dis de celui-ci. Pendant
quarante-cinq ans que j'ai été en commerce avec lui, mon cœur ni mon esprit
n'ont rien eu pour lui de secret. Il a connu toutes mes faiblesses et mes
vertus ; il n'a rien ignoré des affaires les plus importantes qui sont venues
jusqu'à moi : nous nous sommes souvent délassés de nos travaux par les même s
amusements,'et jamais je ne me suis repenti de la confiance que j'avais en lui.
A peine étais-je en âge de
connaître les hommes, que je connus le P. Bourdaloue. J'y remarquai d'abord un
génie supérieur aux autres : dès qu'il s'appliquait à quelque chose, il
laissait ceux qui avaient le même objet
bien loin derrière lui. L'estime que j'avais conçue pour sa personne augmenta
parle commerce que j'avais avec le monde, parce que je ne trouvais point dans
la plupart de ceux que je fréquentais la même élévation d'esprit, la même égalité de sentiments, la même grandeur d'âme
, soutenue d'un naturel bon, facile, sans art et sans affectation.
Dès qu'il revint à Paris, il eut d'abord toute la réputation
qu'il a eue jusqu'à sa mort. Les applaudissements qu'eurent ses serinons, le
concours infini des auditeurs, l'empressement des grands à partager son amitié,
tout ce qui est capable de gâter et de corrompre le cœur, lit en lui un effet
tout contraire : il connut le monde, et c'est le seul fruit qu'il voulut
retirer du commerce des hommes; il se survit de cette connaissance pour exciter
les hommes à la vertu. Il crut profiter assez de lacon-
sidération qu'on avait pour lui, s'il faisait connaître par
ses discours à ceux qui venaient l'entendre ce que c'était que le monde, et
s'il leur apprenait que ce qu'ils désirent avec plus d'ardeur est peu de chose,
et qu'ils s'écartent presque toujours du véritable bien , pour chercher et pour
suivre ce qui n'est qu'une simple idée, et ce qui n'a qu'une apparence sans
fond.
Sa sublime éloquence venait
surtout de la connaissance parfaite qu'il avait du monde. Il bannit de la
chaire ces pensées frivoles, plus propres pour des discours académiques que
pour instruire les peuples; il en retrancha aussi ces longues dissertations de
théologie, qui ennuient les auditeurs, et qui ne servent qu'à remplir le vide
des sermons; il établit les vérités de la religion solidement ; et jamais
personne n'a su comme lui tirer de ces vérités des conséquences utiles aux
auditeurs, et si naturelles que chacun de ceux qui l'entendaient pouvait
s'appliquer ce qu'il disait.
Quoiqu'il ne recherchât pas
toujours dans ses discours l'exactitude des expressions, il ne lui en échappait
aucune qu'on pût trouver basse, et peu digne du sujet qu'il traitait. S'il
s'engageait dans quelque description, ou qu'il descendit dans quelque détail,
il ne tombait point dans ces sortes de discours qui ne conviennent ni aux
prédicateurs ni aux auditeurs : qualité rare dans ceux qui parlent en public,
et qui vient d'une profonde méditation et d'une juste connaissance des matières
qu'on traite.
Mais pourquoi vous parler de la
grande réputation que le P. Bourdaloue s'est acquise dans la prédication? C'est
un talent que tous ceux qui l'ont le moins connu n'ignorent pas. Parlons plutôt
de ses vertus, que nous nous flattons d'avoir plus senties que ceux qui ne
l'ont pas pratiqué aussi souvent que nous.
Il est plus rare de trouver des
hommes grands dans le commerce intime et particulier, que d'en trouver de
grands lorsqu'ils représentent, ou qu'ils sont, pour ainsi dire, montés sur le
théâtre : car lorsque les hommes sont en quelque fonction publique, tout ce qui
s'offre à leurs yeux les excite, et les instruit de ce qu'ils doivent être.
Mais lorsqu'ils sont rendus à eux-mêmes, lorsque tous
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les objets qui les tenaient attentifs sont écartés, qu'il
est rare de les trouver aussi grands dans le repos qu'il nous ont paru grands
dans l'action ! C'est cependant en cela que consiste la véritable grandeur: car
je n'appelle grand que ce qui se soutient par lui-même, et qui n'a pas besoin
d'ornements empruntés. J'ai bien vu des bommes grands dans l'opinion commune,
mais je n'en ai point connu d'aussi grands dans le particulier que dans le
public; ou plutôt je n'en ai guère connu qui ne perdissent, dans un commerce
long et familier, beaucoup de l'estime qu'on avait pour eux.
Le P. Bourdaloue n'était pas de
ce nombre : jamais personne n'a plus gagné que lui à être vu tel qu'il était.
Ses moindres qualités ont été celles qui l'ont fait honorer et respecter du
public.
Il était naturellement vif et
vrai ; il ne pouvait souffrir le déguisement et l'artifice; il aimait le
commerce de ses amis, mais un commerce aisé, sans élude et sans contrainte :
néanmoins, combien de fois l'avons-nous vu forcer son naturel, et vivre
familièrement avec des gens d'un caractère fort opposé au sien !
Toute sa vivacité ne lui laissait
jamais échapper la moindre impatience, quand il s'agissait d'une affaire
importante; souvent même il perdait un temps aussi cher que le sien pour
remplir des devoirs d'une pure amitié, et d'une reconnaissance fondée
uniquement sur les sentiments d'estime qu'on avait pour lui.
Quoiqu'il ait eu la confiance de
tout ce qu'il y a de plus élevé dans la France, on ne peut pas dire qu'il l'ail
jamais désirée. Il se dévouait de la même manière à tous ceux que la Providence
lui envoyait, sans rechercher les grands et sans mépriser les petits; parlant à
chacun selon son caractère, et ne s'appliquant qu'à perfectionner l'ouvrage
qu'il avait en ses mains.
Il avait eu l'estime d'un grand
ministre dès ses premières années : il l'a conservée tant que ce ministre a
vécu. En a-t-il retiré quelque utilité pour lui? s'est-il servi de son crédit
pour se mêler dans les intrigues de la Cour, ou pour élever ses parents, qui,
par leur naissance et par leur mérite, étaient en état de recevoir les grâces
qu'il pouvait faire tomber sur eux?
Un autre ministre voulut attirer
auprès de lui le P. Bourdaloue : il le connut, il l'aima, il lui confia ses
prospérités et ses chagrins. Ce commerce ne diminua rien de l'estime et de la
confiance du premier. Quoiqu'ils eussent l'un et l'autre des intérêts
différents, tous deux le regardaient également comme un ami fidèle; il
répondait à leur amitié par un sincère attachement, sans se mêler d'aucune
affaire, sans même vouloir négocier entre eux, parce qu'il ne croyait pas que
le temps en fût encore venu. Content de leur dire à chacun ses sentiments sur
ce qu'ils lui proposaient, il faisait des vœux au ciel pour ces deux grands
hommes, dont l'union était si nécessaire à la France.
Il a gardé la même conduite à
l'égard de tous ceux qu'il a fréquentés; et des familles qu'il voyait
ordinairement, et qui quelquefois étaient divisées entre elles, nous n'en avons
connu aucune où, malgré leur division, il n'ait été également honoré et aimé de
ceux qui les composaient.
Ce n'était point par orgueil ni
par gloire qu'il voulait qu'on le désirât, et qu'il n'allait jamais au-devant
des nouvelles habitudes : c'était par la crainte d'entrer dans d'autres
affaires que celles de sa profession. Il donnait ses conseils à ceux qui les
lui demandaient; il n'était pas jaloux qu'on les suivit, excepté sur ce qui
regardait la conscience : c'était uniquement sur ce point qu'il se rendait
inflexible : il fallait lui obéir, ou lu quitter. En toute autre matière, il se
contentait de dire son sentiment, de l'appuyer de raisons solides ; mais il ne
voulait point, par prudence, se charger d'aucune négociation.
Avec quelle sagesse savait-il
distinguer les conseils qui pouvaient regarder la conscience de ceux qui
n'étaient que pour les affaires du monde! L'avez-vous jamais vu, comme d'autres
directeurs, faire de toutes les actions des points de conscience; vouloir
gouverner partout, sous prétexte de conduire les âmes à la perfection; se
rendre nécessaire entre le mari et la femme, entre le père et les enfants,
entre le maître et les domestiques, et s'ériger un tribunal souverain , pour
savoir et pour ordonner jusqu'aux moindres choses qui se font dans une maison ?
Le P. Bourdaloue était aussi
très-éloigné de ceux qui condamnent tout sans rien examiner. Il voulait
réfléchir longtemps avant que de donner ses décisions. Il présumait toujours le
bien, et ne croyait le mal que lorsqu'il en était pleinement convaincu. Il n'effrayait
point les hommes par sa présence ni par ses discours ; il les ramenait, au
contraire, par sa prudence et par une certaine insinuation à laquelle il était
difficile de résister.
Sévère et implacable contre le
péché, il était doux et compatissant pour le pécheur. Loin d'affecter une
austérité rebutante, et dont bien des gens de sa profession se font un mérite,
il prévenait par un air honnête et affable. Austère pour lui-même, exact à
observer ses devoirs, il était indulgent pour les autres, sans rien perdre de
la sévérité évangélique, et sans donner dans aucun relâchement. Ses manières
ont plus attiré d'âmes dans la voie du Seigneur que celles de bien d'autres,
qui s'imaginent que la vraie dévotion consiste autant dans l'extérieur que dans
l'intérieur.
Instruisait-il à contre-temps
ceux qui conversaient avec lui? les reprenait-il à tout propos? en un mot,
était-il prédicateur à toute heure et en tous lieux? Il prenait les temps
propres pour dire à chacun ce qui lui convenait ; il ne laissait jamais
échapper ces moments heureux que lui donnait la Providence; et il avait un
talent admirable pour ne rien souffrir dans une conversation qui fût contre les
bonnes mœurs, sans offenser néanmoins les personnes avec qui il se trouvait. Il
savait se conformer à toutes les compagnies, sans rien perdre de son caractère,
et sans que ce caractère éloignât de lui ceux qui, par leur conduite, y
paraissaient les plus opposés.
XXII
Sa principale application, dans les conseils qu'il donnait,
était à prendre garde si ce qu'il conseillait pour un bien à celui qui le
consultait n'était point nuisible à d'autres ; si, sous ombre de faire une
bonne œuvre, on ne cherchait point à contenter une secrète passion de haine ou
de vengeance. Il considérait comme un très-grand mal tout ce qui troublait le
repos des familles : parce que, outre le mal que fait la première action qui le
trouble, elle est la source d'une infinité de mauvaises actions.
Il voulait que chacun vécût et se
sanctifiât dans sa profession, persuadé que Dieu nous donne des grâces
proportionnées à notre état, et que c'est notre faute si nous n'en faisons pas
un bon usage. Il regardait la charité comme le fondement de la morale
chrétienne : tout ce qui la blessait, ou qui la pouvait altérer le moins du
monde, lui paraissait un crime.
Je ne finirais point si je
voulais vous marquer en détail toutes les actions de ce grand homme : son amour
pour son état, son zèle pour le salut des âmes, tout ce qu'il a fait dans la
seule vue de faire du bien. Il était aussi appliqué auprès d'un homme de la lie
du peuple, qu'auprès des têtes couronnées.
Souvenez-vous combien de fois
nous l'avons vu donner tous ses soins à un domestique, à un homme de la
campagne, et quitter pour cela une bonne et agréable compagnie. Et comment la
quittait-il? était-ce en annonçant ce qu'il allait faire? Lui seul savait le bien
qu'il faisait : jamais personne ne s'est fait moins que lui un mérite de sa
vertu.
N'espérons pas retrouver jamais
tout ce que nous avons perdu dans notre illustre ami. Mais après avoir donné
quelque temps pour pleurer sa perte, disons-nous ce qu'il nous dirait lui-même si nous pouvions l'entendre. Ce n'est point
par des larmes que nous devons honorer sa mémoire: imitons ses vertus, si nous
voulons marquer le respect et la vénération que nous avons pour lui ;
remplissons nos devoirs comme nous lui avons vu remplir les siens; jugeons
favorablement de notre prochain, édifions-le par nos exemples; tenons-nous dans
l'état où Dieu nous a mis ; conservons la paix et l'union entre nos proches,
même entre nos domestiques ; rendons-nous aimables à ceux qui nous approchent;
tâchons à gagner leur confiance par une conduite désintéressée ; ne nous
laissons point entraîner à notre pente naturelle ; réfléchissons beaucoup avant
que d'agir, recherchons avec plus d'empressement ce qui convient aux personnes
avec qui nous avons à vivre, que ce que nous pouvons désirer pour nous;
préférons notre prochain à ce qui peut nous plaire : mais faisons tout cela
sans aucun faste, sans aucun désir de nous singulariser, nous suivrons ainsi
les instructions de notre illustre ami, nous le ferons revivre en nous, et,
profitant des exemples qu'il nous a donnés, nous espérerons le rejoindre un
jour dans le ciel.
Il semble que la grâce et la
nature répandent leurs trésors quand Dieu veut mettre au jour ces lumières de
l'Eglise qui établissent son règne sur la surface de la terre.
Mais c'est un privilège sacré que
le ciel accorde rarement, que celui d'élever des familles par l'illustration de
la sainteté. Les perfections chrétiennes sont des ornements de l'âme dont la
distribution ne se fait que par les mains de la miséricorde, et celui qui les
reçoit n'a rien dont il puisse se glorifier. Aussi l'humilité chrétienne
fait-elle le principal caractère des saints. Rien n'est au-dessus de cette
vertu; c'est celle qui découvrait si parfaitement en Jésus-Christ les grandeurs
de sa divinité, qu'on peut dire qu'elle nous développait ce que son humanité
sainte nous avait caché. C'est un sentiment si équitable et si nécessaire aux
chrétiens, qu'il a toujours été le gouvernail des âmes justes, et le coin
évangélique dont le ciel a marqué les saints.
Celui sur lequel nous espérons de voir ce titre, et duquel
j'écris la vie, était un homme humble, marqué à ce coin d'élection si rare
aujourd'hui. Il se nommait Louis Bourdaloue. Il était né à Bourges, dans la
province du Berri, le vingtième du mois d'août mil six cent trente-deux. Son
père était conseiller au présidial de Bourges; il y est mort doyen du présidial
: c'était un homme très-recommandable par sa probité. Sa mère, femme d'un
esprit distingué, après une vie très-exacte et fort exemplaire, est morte
depuis peu à quatre-vingt-neuf ans. Il n'avait qu'une sœur, qui épousa M. de
Chamillart-Villate, frère cadet de M. de Chamillart, maître des requêtes et
intendant de Basse-Normandie , père de l'illustre ministre qui nous prouve
aujourd'hui que les grands emplois n'affaiblissent point les grands hommes, et
qu'on peut conserver la vertu dans le palais de la félicité, aussi bien que sur
les tribunaux de la justice. Mme de Chamillart-Villate, sœur du P. Bourdaloue,
est tante de M. de Chamillart, ministre d'Etat et mère de M.
de Chamillart-Villate, président à la Chambre des comptes, et de trois autres
fils d'un mérite distingué et très-connu, qui se sont tous trois faits
jésuites.
Les heureuses dispositions du
jeune Bourdaloue avaient lieu de faire espérer à sa famille de grandes choses
de lui. Il était vif, il avait l'esprit élevé et d'une pénétration
merveilleuse; rien n'échappait à sa perception; il ne lui fallait, pour
comprendre une vérité, que le quart du temps qu'il en faut à un autre pour l'exprimer.
Il avait tout ce qui promet un très-grand mérite; il était naturel, plein de
feu et de bonté. Il suça la vertu avec le lait, et ne sortit de l'enfance que
pour entrer dans les routes laborieuses du christianisme. Sa première démarche
dans cette voie qui conduit à Dieu, fut le zèle de sa sainte maison. Il conçut
dans ce moment le dessein d'être à Dieu sans réserve et sans partage; il se
sentit pressé par une salutaire impatience de le chercher dans la retraite; il
en examina toutes les obligations, et les embrassa dans cet âge rebelle à la
raison, avec autant de goût qu'on en a d'ordinaire pour les plaisirs du monde;
il se déroba à sa famille pour se jeter dans la maison de saint Ignace. Il vint
à Paris, sans l'aveu de ses parents. Son père ne fut pas plus tôt instruit de
sa retraite, qu'il vint en poste au noviciat, et ramena son fils à Bourges;
mais il ne l'eut pas trois mois avec lui, que, pénétré de la solidité de sa
vocation , il se reprocha sa vivacité ; et quoiqu'il n'eût que lui de garçon, il
revint à Paris le ramener au noviciat, en protestant qu'il était ravi de le
voir dans un ordre où il aurait voulu être lui-même. Ce consentement paternel
laissa au zèle du jeune Bourdaloue toute l'étendue dont il était capable, et
l'on peut dire qu'il se donna tout entier à sa vocation. Il n'y en eut jamais
une plus sûre, car elle était éclairée; il n'y en eut jamais une plus prompte,
puisque la première démarche de sa raison fut pour la suivre; et jamais
vocation ne fut plus ardente , puisque le feu d'un beau naturel répondait en
lui au feu de la charité. Quel zèle, quelle ferveur, quel désir en choisissant
la vie religieuse pour son état ! Le cours des études, si dangereux pour
d'autres, ne fut qu'un échantillon du cours d'une vie parfaite qu'il a remplie.
Il prit les vertus de l'ordre avec l'habit. Instruit qu'il était de l'esprit du
fondateur, il entra dans toutes les pieuses pratiques de son institut; et comme
ses dispositions et ses inclinations avaient un grand rapport avec celles de ce
saint, on vit revivre en lui le zèle et la vertu du grand Ignace. Dès qu'il se
vit de la société de ces saints et savants religieux, conservateurs de ce grand
XXIV
trésor du salut, qui est la vérité toute pure : animé par
leur exemple, soutenu par leurs conseils, fortifié par leurs prières, il
commença à défricher la vigne du Seigneur et à semer son champ. Il était déjà
rempli des sciences humaines, et monté, par une sublime théologie, à la
connaissance des vérités les plus abstraites : aussi en développait-il toutes les
circonstances avec une netteté et une précision qui surprenaient et qui
charmaient tout ensemble. L'on voyait une âme qui, nouvelle dans l'exercice de
ses fonctions, était déjà parfaite dans la manière de les exercer. Elle avait
un courage mâle qui l'exemptait d'être susceptible de la corruption du monde,
et toutes les choses séduisantes étaient sans attrait pour elle. Dans cette
heureuse situation , ce nouvel apôtre passait sa vie avec joie dans l'exercice
de l'étude et de la pénitence.
De toutes les constitutions, il
n'en est point qui laisse moins de loisir et qui donne plus d'occupations que
la règle de saint Ignace, laquelle ordonne principalement de s'instruire de
toutes les vérités du christianisme, et cela, d'une manière très-parfaite, afin
d'être, plus capable d'en instruire les autres, et de répandre la lumière de
l'Evangile dans toutes les parties du monde.
Le jeune P. Bourdalouc,
très-éclairé et très-convaincu, l'ut employé de bonne heure au ministère de
l'instruction. On l'occupa pendant plusieurs années à répandre ses lumières sur
cette illustre jeunesse qui vient chercher une éducation chrétienne par les
soins de la société. On lui confia l'éducation de feu M. de Louvois; il s'en
acquitta si dignement et si prudemment, qu'il y aurait eu de l'imprudence de
l'en ôter, si le merveilleux de ses talents n'avait obligé de le mettre dans
les premières fonctions de l'apostolat. L'on peut dire qu'il était moins
l'observateur des lois, qu'une loi vivante, dont l'exactitude animait plutôt
que de rebuter. Comme son tempérament plein de feu s'accordait avec l'ardeur et
le zèle dont il était animé pour les pratiques de la religion , il les
accomplissait toujours avec plus de grâce et de perfection que nul autre; et il
sortait de son exemple une si vive expression de l’ordre, que nul relâchement
ne pouvait tenir contre un modèle si accompli et si achevé.
Ses supérieurs, connaissant sa
vertu, crurent avec justice qu'il fallait employer son zèle pour le salut
public. Ils oublièrent l'âge en faveur des grandes qualités que l'on voyait en
lui. Ils l'envoyèrent à la ville d'Eu, où feu Mademoiselle, qui était d'un
esprit si pénétrant et si délicat, connut tout son mérite. Ensuite il alla à
Amiens , à Rennes, à Rouen , et puis revint à Paris pour y commencer la carrière
de l'apostolat. Son coup d'essai fut un chef-d'œuvre : il monta dans la chaire
de la vérité avec toute la force d'un homme consommé; il ne brilla point, comme
un orateur ordinaire, d'un feu éclatant qui éblouit, mais d'un feu consumant
qui éclaire. Il était si persuadé des vérités qu'il annonçait, que sa plus
grande joie était d'en convaincre les autres. Il produisait toujours la vérité
avec des traits si surprenants, qu'après la répétition, elle avait encore toutes les grâces de la
nouveauté. Jamais esprit n'a eu plus de force et plus de justesse. Il avait
tant de fécondité dans ses expressions, qu'il présentait ses idées sous mille
figures différentes; ce qui faisait que l'infirmité humaine était satisfaite.
L'on variait son goût, en fixant son
entendement; aussi à quel point d'élévation, de progrès, d'applaudissements, ne
fut-il point dans le ministère difficile de la prédication? Il eut le suffrage
universel de tous les hommes, et fut le seul homme qui l'obtint; mais comme il
était humble, quand il connut qu'on découvrait ses talents, il se
couvrit lui-même de confusion devant Dieu; et voulant montrer aux hommes que
c'est Dieu seul qui les éclaire par le ministère des prédicateurs, il redoubla
son zèle et se donna tout de nouveau à la prière et à l'étude, dans lesquelles
il acquit encore beaucoup de connaissance en contemplant le trône de Dieu au
pied de la croix. C'est de là que, comme un autre Moïse, consultant Dieu dans
le buisson , il sortait enflammé porter au peuple les oracles divins qu'il avait
puisés dans leur source. Il était infatigable dans ses travaux; la nuit servait
moins à son repos qu'à sa charité; il en passait une partie à perfectionner les
œuvres du jour. Il ne sortait des lieux où sa mission apostolique l'avait
conduit, qu'au bruit des regrets , des gémissements et des acclamations
publiques, qui ne cessaient que pour faire place au silence de l'admiration.
Aussi avait-il des entrailles de compassion qui lui faisaient laisser, comme
l'Apôtre, une partie de son cœur aux chrétiens qu'il avait formés. Il
n'interrompait point les obligations
de son état, quoiqu'il se donnât à l'instruction des
peuples; il était solitaire et public-; sa charité ingénieuse lui faisait
remplir les devoirs de deux états différents; comme religieux, il avait les
vertus d'un solitaire : attentif à l'oraison, fidèle à l'obéissance, soumis aux
choses les plus légères
des constitutions : et comme apôtre de Jésus-Christ, il sortait
de la retraite pour distribuer le pain de la parole de Dieu; pour lors ce
n'était plus le règne du silence, mais celui de la vérité. L'éloquence même
venait, par la bouche de ce saint
religieux, présenter les devoirs sous des expressions qui en adoucissaient les
rigueurs, sans en diminuer l'exactitude, et l'on était persuadé par la vérité
qu'il découvrait, et attiré par l'exemple qu'il donnait.
Jamais homme n'a mieux uni
l'excellence de l'esprit à la bonté du cœur; il était tout ensemble, plein
d'une lumière vive, pénétrante et féconde, et plein d'une onction qui
attendrissait, qui persuadait et qui attirait; il était plein de foi, plein de
charité, et nullement plein de lui-même. C'est ce que nous a si bien exprimé le
vénérable père (1) qui nous a écrit une lettre sur sa mort, il dit, qu'il
avait plus de peine à se défendre du découragement que de la présomption.
Sa manière de penser, sa conduite, ses expressions, tout uniformément
présentait son humilité. Rien d'ampoulé dans son style, tout y était solide et
beau; rien de fastueux
XXV
dans ses mœurs, il y régnait une heureuse simplicité.
Beaucoup même de ses actions les plus cachées, qui ne sont connues que par certaines
personnes à qui il n'a pu les soustraire, tenaient du merveilleux. Les
expressions de ce grand homme, quoique les plus belles, étaient toujours les
moins recherchées : ce qui faisait qu'on ne perdait point de vue l'homme
chrétien dans l'homme éloquent. Sa modestie n'avait pu voiler sa capacité :
l'on avait découvert la grandeur de ses talents dans l'exercice de toutes les
charges de la religion : il était si profond dans la théologie, et cependant si
clair et si évident dans ses discours, qu'il semblait moins un homme qui devait
sa science à son travail, qu'un homme qui la devait uniquement à son propre
génie; la science et la perfection semblaient en lui deux qualités naturelles;
l'on s'étonnait souvent qu'il pût fournir à tous les différents exercices qu'il
remplissait. La prédication ne lui l'ut point un obstacle à la confession ; il
passait de la chaire au tribunal; et, sortant de confondre les pécheurs par la
vérité, il passait à les absoudre par la miséricorde.
Ces deux grandes fondions du
ministère apostolique qu'il exerçait avec dignité, n'empêchaient pas qu'il ne
fit lui-même des retraites tous les ans, qu'il ne dît tous les jours l'office
divin avec recueillement, et qu'il ne célébrât tous les jours le sacrifice de
nos autels. Cette sublime fonction du sacerdoce assujettissant toutes ses
puissances , il ne l'exerçait jamais qu'avec tremblement, et comme si c'eût été
le dernier acte de sa vie. Il était si pénétré de l'amour de Dieu et des
vérités qu'il annonçait, que l'habitude ne lui causait point de tiédeur. La
multitude des affaires du dehors l'occupait sans le dissiper; et ses yeux
étaient si peu attentifs aux objets créés, qu'il ne trouvait de plaisir dans
l'arrangement des choses du monde, que lorsqu'il les examinait dans la
décoration des autels, dont il aimait beaucoup l'ordre et la perfection.
Quoiqu'il fût vif, il était d'un
si doux commerce, et si plein d'agréments, que l'on demeurait toujours avide et
jamais rassasié de son entretien. Comme son ministère l'engageait dans le
commerce des grands, il y employait ses moments en économe du temps que Dieu
lui confiait pour leur sanctification. Il usait et souffrait des commodités de
la vie ; quand sa charité l'obligeait de s'y assujettir, c'était toujours pour
conduire plus aisément les séculiers à la perfection.
Il n'entrait dans le soin qu'il
prenait des âmes nul des défauts de la direction. Il était sans intérêt, sans
ambition, sans curiosité, sans politique, sans égards que ceux d'une charité
noblement exercée. Il n'avait nul ménagement que ceux d'une prudence purement
chrétienne, et cette conduite exacte et pieuse l'a conservé exempt de toutes
les attaques de la médisance; jamais réputation ne fut plus entière que la
sienne. Aussi l'estime que ceux qu'il conduisait avaient pour lui, était moins
par goût que par vénération. On ne le regardait point par les endroits
brillants de son mérite, mais par sa doctrine et par sa vertu : ces deux rares
qualités lui assujettissaient jusqu'aux esprits rebelles à la direction. Il
était le fléau des âmes endurcies; il les confondait par la vérité, d'une
manière à convaincre leur esprit, en sorte que leur cœur était troublé, s'il
n'était pas converti, et c'est une salutaire inquiétude que le remords.
Pour les âmes justes que
Dieu confiait à ses soins, il ne les menait
point par la voie de l'étonnement. Comme il
ne leur faisait voir leur force que dans la toute-puissance de Dieu, et
leur espérance que dans sa miséricorde, il leur inspirait l'humilité et la
confiance. Par cette sainte confiance,
il leur faisait obtenir les grâces nécessaires à leur état. Aussi a-t-on vu,
sous sa conduite, des âmes héroïques voguer avec intrépidité sur cette mer du
monde, et arriver an port avec innocence et fidélité. Dieu accordait cette
récompense au zèle qu'il avait pour le salut des âmes. Il lui donnait
quelquefois la consolation d'admirer sa miséricorde dans des personnes qui,
s'ôtant rassasiées du monde sans en être dégoûtées, semblaient être confondues
avec sa corruption, et ne pouvaient plus s'élever au-dessus d'elles-mêmes;
cependant tout d'un coup elles cherchaient le royaume de Dieu et sa justice, et
elles faisaient au milieu du siècle des œuvres de pénitence qui pouvaient
servir de modèle aux solitaires les plus retirés. Mais aussi quelle application
, quelle affection ce zélé confesseur ne montrait-il pas pour ceux qui se
mettaient sous sa conduite. Il ne ménageait ni ses lumières, ni son temps; il
se donnait très-parfaitement à ceux à qui Dieu avait ôté toutes choses. Il
était si zélé pour les vrais chrétiens, qu'il leur accordait sa protection,
aussi bien que son instruction. La probité, la droiture , la candeur régnaient
parfaitement dans son âme : c'étaient les seuls amis qu'il fallait employer
pour s'attirer son estime ou son suffrage. L'on trouvait aisément, avec ces
rares qualités, un accès dans son esprit et dans son cœur, sans que la fortune
en ouvrit la porte. Il était surtout le consolateur des âmes inquiètes que la
mort vient surprendre. Il avait tant de
foi, qu'il portait l'espérance à ces âmes troublées, quand un mal subit,
qui ne donne le temps qu'à la contrition, et non pas à la pénitence, venait les ébranler. C'était dans
ces occasions qu'on le voyait
redoubler son zèle. Dans les ternies exacts de la plus sévère morale, il
présentait la vérité à un mourant, qui, malgré l'effroi naturel dont il était
saisi à cette vue, trouvait dans l'infinie miséricorde de Dieu , et dans la
charité du Rédempteur, présentée par celle du disciple, un remède à son
désespoir. Jamais homme n'a eu tant de force pour persuader, tant d'onction
pour consoler, tant de feu pour animer. On voyait en lui l'assemblage de toutes
les qualités propres au ministère évangélique. Comme il était pénétré des
vérités éternelles, il en détaillait les circonstances avec tant de facilité,
qu'il semblait plutôt un oracle qu'un moniteur.
Il n'était pas moins admirable
quand il formait une âme pour la retraite , que lorsqu'il la conduisait à la
bienheureuse éternité. Instruit par lui-même
des grâces de la vocation, il
faisait
XXVI
connaître aux jeunes personnes toutes les erreurs
séduisantes qui les retiennent dans le monde, et toutes les vues trompeuses
d'une piété ou intéressée, ou mal entendue, qui les en font quelquefois sortir;
il leur développait avec onction les douceurs de la retraite, et souvent elles
se sentaient attirées à l'état saint d'une perfection achevée, par l'attention
sérieuse qu'il leur faisait avoir à leurs devoirs, et aux obligations de leur
état.
Il est des circonstances dans la
vie de ce grand homme qui, pour n'avoir rien de singulier, n'en sont pas moins
admirables. Celle qui m'a le plus touché dans sa conduite, c'est l'uniformité
de ses œuvres.
Persuadé qu'il était qu'il n'y a
point de petites actions quand on les fait pour Dieu, il n'était pas plus animé
en récitant une oraison publique, entendue par un monde distingué , que dans le
conseil particulier qu'il donnait à des âmes affligées, qui venaient chercher
leur consolation dans ses instructions. Toujours vif, il se donnait tout entier
à chaque occupation différente; et il ne paraissait qu'un zèle ardent, et non
pas un goût empressé dans toutes les fonctions qu'il remplissait. C'est dans ce
zèle uniforme que l'on découvrait le mystère de sa charité. Il choisissait
toujours les vertus les plus parfaites de son état, et dont la pratique allait
à la plus grande gloire de Dieu.
Quoiqu'il eût passé plus de
quarante années dans l'exercice laborieux de la pénitence, et dans les
fonctions apostoliques, son zèle n'était point affaibli. S'il n'avait plus la
même santé, il avait toujours la même ardeur; c'est ce qui le faisait
travailler au-dessus de ses forces. Comme il avait le même talent pour la
chaire, il causait toujours le même désir de l'entendre ; ce qui l'engageait à plusieurs
sermons particuliers, que sa charité lui faisait accorder.
Le dernier trait de son éloquence
dans ce ministère saint, ce fut à la solennité des noces d'une épouse de
Jésus-Christ. Ce fut là qu'il présenta à Dieu cette victime de son amour, et
qu'il devint lui-même la victime du sacrifice. Ce fut par là qu'il acheva le
terme glorieux de sa mission. Ce fut là que son zèle pour le salut d'une âme,
lui faisant oublier le soin de son corps, il s'échauffa; et toute la force de
l'art ne put rien contre la nature affaiblie. Il connut, dès le commencement de
sa maladie, quel en était le danger; il consentit de bon cœur à rompre sa
chaîne : et la mort étant la porte de la gloire des justes , il fut ravi de la
voir ouverte pour lui. Il oublia la terre avant que de l'abandonner. Il fut
sans cesse en commerce avec Jésus-Christ dans les plus grandes inquiétudes de
son mal. Il s'y unit d'une manière si pleine de charité, et si digne
d'admiration, qu'on peut dire que les derniers moments de sa vie ressemblèrent
aux premiers instants de son éternité. C'est ainsi que le P. Bourdaloue finit
sa carrière, et commença sa félicité ; car il est à croire que la miséricorde
qui l'avait comblé des qualités naturelles les plus excellentes, et des vertus
chrétiennes dans le plus éminent degré, l'a fait entrer, après ses travaux,
dans le séjour des récompenses.
Si l'on trouve ma précision trop
grande dans l'histoire que j'ai faite de la vie de ce grand homme, on ne doit
point s'en étonner, elle ressemble à son original. La vie du P. Bourdaloue nous
a paru trop courte; et si la fin de son histoire parait trop tôt, c'est pour
mieux imiter la fin de son sort.
Il est bien juste que notre
Compagnie rende en quelque sorte au P. Bourdaloue ce qu'elle en a reçu, et
qu'après l'honneur qu'il lui a fait, elle s'intéresse à conserver la mémoire
d'un homme qu'elle a regardé comme un de ses premiers ornements, tandis qu'elle
a eu le bonheur de le posséder, et qu'elle pleure encore depuis qu'elle l'a
perdu. Mais ce n'est point tant, après tout, dans cette vue qu'on publie les
ouvrages de ce célèbre prédicateur, que pour le bien des âmes et pour perpétuer
les fruits de son zèle. Il y a lieu de croire que ses sermons,mis sous les
yeux, sans être soutenus ni de l'action,ni delà voix, se soutiendront par
eux-mêmes ; ou plutôt, il y a lieu d'espérer qu'avec les bénédictions que Dieu
y a déjà données et qu'il y donnera, ils auront toujours de quoi opérer les
mêmes effets de grâce, et de quoi inspirer les mêmes sentiments de religion. Ce
ne sera pas seulement pour les prédicateurs un modèle de
l'éloquence chrétienne; toutes les personnes qui cherchent à
s'édifier, et qui aiment à se nourrir de bonnes lectures, trouveront peu de
livres de piété où les grandes vérités du christianisme soient traitées d'une
manière plus propre à convaincre les esprits et à toucher les cœurs.
Le P. Louis Bourdaloue naquit à
Bourges, d'une des familles les plus considérables de la ville, le 20 d'août de
l'année 1632 ; et dès l'âge de quinze ans il entra dans la Compagnie de Jésus.
Il semble que Dieu, en l'appelant à cet état, eut une vue toute particulière
sur lui. Etienne Bourdaloue, son père, homme lui-même très-recommandable,
surtout par son exacte probité, et par une grâce singulière à parler en public,
avait eu dans sa jeunesse la même vocation et ne l'avait pas suivie. Le ciel
voulut que le fils remplaçât le père ; et le père, adorant la conduite de la
Providence, et craignant de s'opposer une seconde fois à ses desseins, se
XXVII
crut obligé, après quelques difficultés, de condescendre aux
instances de son fils, et d'en faire le sacrifice.
Il le fit. Le P. Bourdaloue passa
par tous les exercices de la Compagnie ; et les dix-huit premières années qu'il
y vécut furent employées, soit à ses propres études, soit à enseigner les
lettres humaines, et à professer la philosophie et la théologie. Il se
distingua partout, et donna des preuves de la supériorité et de l'étendue de
son esprit.
Ce n'étaient là néanmoins encore que des dispositions. Comme
il n'avait pas moins d'ouverture pour les sciences que de talent pour la chaire
, il fut d'abord assez incertain du choix qu'il devait faire, et de l'emploi où
le ciel le destinait. Mais divers sermons qu'il prêcha, pendant qu'il
enseignait la théologie morale, furent si bien reçus et tellement applaudis,
que ses supérieurs se déterminèrent à l'appliquer uniquement au ministère de la
prédication.
Il eut l'avantage, en entrant
dans cette carrière qu'il a si heureusement fournie, d'être connu de feue Son
Altesse Royale Mademoiselle. Cette princesse, dont la pénétration et le
discernement, aussi bien que la grandeur d'âme, égalaient la grandeur de la
naissance, l'entendit à la ville d'Eu, le goûta, l'honora non-seulement de sa
bienveillance, mais de sa confiance, et lui en a donné le plus sensible
témoignage, en le faisant appeler pour la soutenir dans les derniers moments de
sa vie, et pour l'aider à mourir chrétiennement.
Le P. Bourdaloue continua quelques
années à prêcher en province : mais on ne tarda pas à l'en retirer, dès qu'on
le crut en état de paraître dans Paris. Il y vint, et ce fut là que la
Providence ouvrit à son zèle le plus vaste et le plus beau champ. Quoique l'on
attendit beaucoup de lui, il est vrai qu'il surpassa encore toutes les
espérances qu'on en avait conçues. Il y a des succès si extraordinaires et des
mérites si universellement reconnus, qu'il est permis à quiconque d'en parler,
sans craindre ni d'aller au delà de l'idée commune, ni de blesser certaines
bienséances. A peine eut-il paru dans l'église de la maison professe des
jésuites, que de tout Paris et de la cour même, une foule prodigieuse
d'auditeurs y accourut. Une réputation si prompte est quelquefois sujette à
dégénérer : celle du P. Bourdaloue crût toujours d'un sermon à l'autre ; et
plus on l'entendit, plus on eut de goût pour l'entendre.
Aussi avait-il dans un éminent
degré tout ce qui peut former un parfait prédicateur. Il reçut de la nature un
fond de raison qui, joint à une imagination vive et pénétrante, lui faisait
trouver d'abord dans chaque chose le solide et le vrai. Celait là proprement
son caractère, et ce fut, avec les lumières de la foi, cette raison droite qui
le dirigea dans tous les sujets de la morale chrétienne, et dans les mystères
de la religion qu'il eut à traiter. C'est aussi ce qui donne à ses sermons une
force toujours égale. Leur beauté ne consiste point précisément en quelques
endroits bien amenés, où l'orateur épuise tout son art et tout son feu, mais
dans un corps de discours où tout se soutient, parce que tout est lié et bien
assorti. Ses divisions justes, ses raisonnements suivis et convaincants, ses
mouvements pathétiques, ses réflexions judicieuses et d'un sens exquis, tout va
à son but; et, malgré l'abondance des choses que lui fournissait une admirable
fécondité, et qu'il savait si bien enfermer dans un même dessein, il ne
s'écarte pas un moment de sa proposition. Qu'une pensée soit commune, il ne la
rejette point, c'est assez qu'elle soit vraie et qu'elle lui serve de preuve.
Il l'approfondit et il la creuse, et par là même la met dans un tel jour, que,
de commune qu'elle était, elle lui devient particulière, de sorte qu'en pensant
ce que les autres ont pensé avant lui, il pense néanmoins tout autrement que
les autres. Qu'il s'oppose une difficulté, il y fait une réponse à laquelle il
n'y a point de réplique ; et quelquefois il tire de l'objection même de quoi la
résoudre, et il convainc l'auditeur par ses propres sentiments. S'il cite l'Ecriture
ou les Pères, il les cite en maître, jusqu'à faire le précis de tout un traité
pour l'appliquer à la vérité qu'il prêche. Du reste , ce ne sont point tant les
paroles des Pères qu'il rapporte, que leur doctrine et leurs raisons. Il les
développe, et surtout il les place si à propos et les fait tellement entrer
dans son sujet, qu'on dirait que les Pères n'ont parlé que pour lui. Des
auteurs sacrés, il eut, à ce qu'il parait, plus assidûment devant les yeux
Isaïe et saint Paul; et des Pères, Tertullien, saint Augustin et saint Jean
Chrysostome, parce qu'il y trouvait plus d'énergie et plus de grandeur.
Son expression répond
parfaitement à ses pensées : elle est noble et naturelle tout ensemble. Il parle
bien, et ne fait point voir qu'il veut bien parler. Quand il s'élève, ce n'est
point avec emphase; c'est, pour user d'un terme consacré par le Saint-Esprit,
avec une certaine magnificence, où, sans qu'il y ait rien d'outré, tout est
majestueux et grand. Et quand il se communique, c'est toujours avec la même dignité;
et, dans les plus petits détails, il n'a rien de petit, ni de rampant. On
trouvera peut-être quelques expressions moins usitées et un peu hardies; mais
l'image qu'elles font à l'esprit les justifie assez; et il faut dire alors que,
si ce n'est pas communément ainsi qu'on s'exprime, c'est ainsi qu'il a dû et
qu'on devrait, ce semble, s'exprimer.
Ce qu'il y eut encore de plus
singulier dans le P. Bourdaloue , c'est la manière dont il traite la morale.
Nul autre prédicateur ne lui avait en cela servi de modèle, et l'on peut dire
qu'il en a servi lui-même à tous ceux qui sont venus après lui. Persuadé que le
prédicateur ne touche qu'autant qu'il intéresse et qu'il applique, et que rien
n'intéresse davantage et n'attire plus l'attention qu'une peinture sensible des
mœurs, où chacun se voit lui-même et se reconnaît, il tournait là tout son
discours. Non qu'il négligeât d'expliquer les plus hauts mystères et les plus
difficiles questions de la foi, il en parlait avec habileté, el même avec
d'autant plus d'autorité, qu'il possédait parfaitement ces sortes de matières,
et qu'il croyait devoir prendre alors
plus d'ascendant sur les
XXVIII
esprits, pour confondre le libertinage et pour faire
respecter la religion; mais après avoir donné aux points les plus obscurs tout
l'éclaircissement nécessaire, il passait à ce qu'ils ont d'instructif et de
moral; et c'est laque lui servait infiniment la connaissance qu'il avait du
monde et du cœur de l'homme , car il ne disait rien qu'il ne connût, ni qui
portât à faux. C'est de là même que ses expositions sont si vraies et ses
portraits si ressemblants. Pour peu qu'on ait d'usage du monde, et qu'on sache
comment vivent les hommes, on les y voit peints sous les traits les plus
marqués. Aussi avec quelle attention se faisait-il écouler, et combien de fois
s'est-on écrié dans l'auditoire qu'il avait raison , et que c'était là eu effet
l'homme et le monde? Certains sentiments, certains tours élevés, touchants et
nouveaux, le feu dont il animait son action, sa rapidité en prononçant, sa voix
pleine , résonnante , douce et harmonieuse , tout était orateur en lui, et tout
servait à son talent.
Voilà par où cet excellent
prédicateur s'acquit une si haute réputation. Il l'a conservée jusqu'à sa mort
: et comme il n'y en eut peut-être jamais de plus juste ni de plus universelle,
il n'y en a point eu de plus constante. Il a prêché durant trente-quatre ans,
soit à la Cour ou dans Paris ; et pendant ces trente-quatre années, il a eu
l'avantage assez peu commun d'être toujours également goûté des grands, des
savants et du peuple. On n'en doit point être surpris, dès qu'on fait réflexion
au caractère de son éloquence. Ce qui est naturel et fondé sur la raison plaît
partout, et est de tous les goûts et de tous les temps.
Quoique le P. Bourdaloue eût
abondamment de quoi s'occuper, et de quoi glorifier Dieu dans le saint
ministère qu'il exerçait, il n'y renferma pas tout son zèle. Tant de personnes
touchées de ses prédications s'adressèrent à lui, et lui confièrent leur âme,
qu'il ne crut pas pouvoir leur refuser son secours : et même il comprit que
rien ne convenait mieux à un prédicateur que de cultiver, selon le langage de
l'Ecriture, ce qu'il avait planté, et de perfectionner dans le tribunal de la
pénitence ce qu'il n'avait proprement encore qu'ébauché dans la chaire. C'est
pour cela que le P. Bourdaloue se chargea d'une fonction aussi importante et
aussi pénible que la direction des consciences. Plein de l'Evangile, et jugeant
de tout par les grands principes de la foi, solide dans ses conseils, juste
dans ses décisions, droit et désintéressé dans ses vues, il n'était ni
rigoureux à l'excès, ni trop indulgent; mais il était sage, et d'une sagesse
chrétienne. C'est-à-dire qu'il savait distinguer les conditions et prescrire à
chaque condition ses devoirs; qu'il était ferme, sans égard ni à la qualité, ni
au rang, quand il fallait l'être; mais qu'il l'était aussi comme il fallait
l'être , et toujours selon les règles de la discrétion; qu'ennemi des
singularités, il voulait qu'on allât à Dieu avec simplicité et de bonne foi,
par les voies communes et sans affectation ; mais, du reste , avec une
régularité exemplaire, et une fidélité parfaite à remplir toutes ses
obligations.
Son zèle ne fut pas moins ardent
ni moins agissant que sage. On sait quelle était son assiduité à entendre les
confessions. Il y passait des cinq et des six heures de suite : et quiconque
l'a connu jugera aisément que la vue seule de Dieu et du salut des âmes pouvait
accorder une telle patience avec sa vivacité naturelle. Soit qu'on l'appelât
dans les maisons religieuses, soit qu'on vint le consulter et prendre ses avis,
soit qu'il y eût des malades à visiter, il ne s'épargnait en rien, également
prêt pour qui que ce fût, et se faisant tout à tous. Dans ce grand nombre de
personnes de la première distinction dont il avait la conduite, bien loin de
négliger les pauvres et les petits, il les recevait avec bonté; il descendait
avec eux, dans le compte qu'ils lui rendaient de leur vie , jusques aux
moindres particularités; il entrait dans leurs besoins, et plus sa réputation
et son nom leur inspirait de timidité en l'approchant, plus il s'étudiait à
gagner leur confiance et à leur faciliter l'accès auprès de lui. Il ne se
contentait pas de ce bon accueil. Il les allait trouver, s'ils étaient hors
d'état de venir eux-mêmes; il adoucissait leurs maux par sa présence, et les
laissait remplis de consolation, et charmés tout ensemble de son humilité et de
sa charité.
Mais où il redoublait sa
vigilance et ses soins, c'était auprès des mourants. On avait souvent recours à
lui pour leur annoncer leur dernière heure, et pour les y disposer; et se
croyant alors responsable de leur salut, il leur parlait en homme vraiment
apostolique. Ce n'était pas sans réflexion et sans étude. Il savait trop de
quelle conséquence il est de ménager des moments si précieux, et de ne les pas
perdre en des discours vagues et peu utiles. Outre le long usage qui l'avait
formé à ce saint exercice, outre In méthode particulière qu'il s'en était
lui-même tracée, il prévoyait ce qu'il avait à dire ; et s'abandonnant ensuite
à l'esprit de Dieu , il disait tout ce qui peut porter une âme à la pénitence
et à la confiance. C'est ainsi qu'il s'est acquitté des derniers devoirs d'une
amitié solide et chrétienne envers tant d'amis que leur naissance, leur nom,
leur mérite personnel et une liaison de plusieurs années lui rendaient
également respectables et chers, et à qui il a été fidèle jusqu'à la mort.
Cependant le P. Bourdaloue, en
pensant aux autres, ne s'oubliait pas lui-même : au contraire, ce fut par de
fréquents retours sur lui-même qu'il se mit en état de servir si utilement les
autres. Cette attention lui était nécessaire parmi de continuelles occupations
au dehors et de grands succès. Ses succès ne l'éblouirent point, et ses
occupations ne l'empêchèrent point de veiller rigoureusement sur sa conduite.
D'autant plus en garde qu'il était plus connu et dans une plus haute
considération, il ne compta jamais sur le crédit où il était pour agir avec
moins de réserve. Etroitement resserré dans les bornes de sa profession, il
joignait aux talents de la prédication et de la direction des âmes le véritable
esprit d'un religieux et les vertus que demandait de lui sa Compagnie ; surtout
un parlait mépris du monde et de ses grandeurs, sans manquer à rien néanmoins
de ce
XXIX
qu'il devait aux grands ; un dévouement inviolable au
service de l'Eglise, et une soumission entière aux puissances ecclésiastiques;
une estime de sa vocation dont il se déclarait partout, et un attachement à son
état capable de l'affermir contre les Offres les plus avantageuses ; un zèle
sincère et vif pour le bon ordre, el un soin exact de s'y conformer lui-même et
de le suivre.
Entre ses devoirs, il s'en fit un
particulier de la prière. C'est en présence des autels qu'il rappelait ces
grandes idées de religion dont il était rempli; et, pénétré de la majesté de
Dieu et de la sainteté de son culte , il ne se permettait pas la moindre
négligence en célébrant les sacrés mystères, ou en récitant l'office divin.
Avec cette piété qui fait l'homme
chrétien et l'homme religieux, que lui manquait-il d'ailleurs de ce qui l'ait,
même selon le monde, l'honnête homme? Il en avait toutes les qualités ; la
probité, la droiture, la franchise , la bonne foi : ne disant jamais les choses
autrement qu'il les pensait, ou, si par sagesse il ne les pouvait dire telles
qu'il les pensait, ne disant rien. Beaucoup de prudence et de pénétration dans
les affaires : mais au même temps
beaucoup de retenue, pour ne s'y point ingérer de son mouvement propre; n'y
entrant qu'autant qu'on l'y faisait entrer; proposant ses vues comme un ami,
sans entreprendre de décider en maître; cherchant à se rendre utile et à
servir, et non à se faire valoir et à dominer. Bien de l'agrément dans la
conversation, un air engageant, des manières aisées, quoique respectueuses et
graves; une douceur qui lui devait couler, du tempérament dont il était; mais,
par-dessus tout, une modestie qui lui attirait d'autant plus d'éloges qu'il
avait plus de peine à les entendre; les fuyant, bien loin de les rechercher,
élevant volontiers les autres, et ne parlant jamais de lui-même.
Ce caractère, dans un homme aussi
distingué que le P. Bourdaloue, ne le faisait pas moins honorer et respecter
que tous ses talents. Après l'avoir admiré dans la chaire, on l'admirait dans
l'usage de la vie. Où n'était-il pas reçu avec plaisir? et depuis les premiers
rangs jusqu'aux conditions les plus communes, qui ne se faisait pas,
non-seulement un plaisir de le recevoir, mais comme un mérite de le connaître
et d'être en commerce avec lui?
Il fallait un cœur aussi détaché
que le sien pour former, au milieu des applaudissements du monde, le dessein
qu'il prit dans les dernières années de sa vie. Touché d'un saint désir de la
retraite , et voulant se préparer à la mort, il résolut de quitter Paris, et de
finir ses jours en quelque maison de la province, où il put se recueillir
davantage et vaquer uniquement à sa perfection. Il jugea bien qu'il aurait sur
cela des obstacles à surmonter de la part de ses supérieurs en France; et, pour
lever toutes les difficultés, il s'adressa au général de la Compagnie. Mais
cette première tentative ne réussit pas. On le remit à une autre année , et on
le pria de faire encore de nouvelles réflexions sur le parti qu'il voulait
prendre. Il y pensa; et sans se rebuter, dès l'année suivante il redoubla ses
instances auprès du Père général. La lettre qu'il lui écrivit est si
remplie de l'Esprit de Dieu, que le public sera bien aise d'en voir un extrait.
Le voici, traduit du latin :
« Mon très-révérend Père, Dieu
m'inspire et me presse même d'avoir recours à Votre Paternité pour la supplier
très-humblement, mais très-instamment, de m'accorder ce que je n'ai pu, malgré
tous mes efforts, obtenir du révérend Père provincial. Il y a cinquante-deux
ans que je vis dans la Compagnie, non pour moi, mais pour les autres; du moins
plus pour les autres que pour moi. Mille affaires me détournent et m'empêchent
ce travailler, autant que je le voudrais, à ma perfection, qui néanmoins est la
seule chose nécessaire. Je souhaite de me retirer et de mener désormais une vie
plus tranquille : je dis plus tranquille, afin qu'elle soit plus régulière et
plus sainte. Je sens que mon corps S'affaiblit et tend vers sa fin. J'ai achevé
ma course; et plut à Dieu que je pusse ajouter : J'ai été fidèle 1 Je suis dans
un âge où je ne me trouve plus guère en état de prêcher. Qu'il me soit permis,
je vous en conjure, d'employer uniquement pour Dieu et pour moi-même ce qui me
reste de vie, et de me disposer par là à mourir en religieux. La Flèche, ou
quelque autre maison qu'il plaira aux supérieurs (car je n'en demande aucune en
particulier, pourvu que je sois éloigné de Paris), sera le lieu de mon repos.
Là, oubliant les choses du monde, je repasserai devant Dieu toutes les années
de ma vie dans l'amertume de mon âme. Voilà le sujet de tous mes vœux, etc. »
Cette lettre eut tout l'effet que
désirait le P. Bourdaloue. Il lui fut libre de faire ce qu'il jugerait à
propos; et dès qu'il eut reçu la réponse de Rome, il prit jour pour partir.
Mais les mêmes supérieurs qui l'avaient arrêté la première l'ois se crurent
encore en droit de retarder sou départ de quelques semaines, et de suspendre la
permission jusqu'à ce qu'ils eussent pu faire à Rome de nouvelles remontrances.
Elles touchèrent le Père général; et la dernière conclusion fut que le P.
Bourdaloue demeurerait à Paris, et continuerait à s'occuper de ses fonctions
ordinaires. Dieu voulut ainsi qu'il eût tout le mérite d'un sacrifice si
religieux sans en venir à l'exécution, et qu'il achevât de se sanctifier
lui-même en travaillant à la sanctification du prochain. Voilà ce que le public
n'a su qu'après sa mort. Comme ses vues avaient été droites, et qu'en prenant
une telle résolution il n'avait cherché que Dieu, il ne chercha point dans la
suite à s'en faire honneur. Il a toujours tenu la chose secrète, et il n'en a
fait la confidence qu'à quelques-uns de ses amis les plus intimes.
Le P. Bourdaloue n'insista pas. Il crut obéir à l'ordre du
ciel en se soumettant à la volonté de ses supérieurs. Il n'en eut même encore
dans son travail que plus d'activité et plus d'ardeur; mais il approchait de
son terme, et son travail désormais ne fut pas long : Dieu le retira au moment
qu'on s'y attendait le moins.
Il tomba malade le 11 de mai; et
dès le premier jour de sa maladie, il se sentit frappé à mort. Il ne
XXX
perdit rien , dans un péril aussi pressant, de la présence
de son esprit, et il est difficile de marquer plus de fermeté et de constance
qu'il en fit paraître. Son mal fut une fièvre interne et très-maligne, précédée
d'un gros rhume qui le tenait depuis plusieurs semaines, et où son zèle
l'empêcha de se ménager autant qu'il eût été nécessaire. Car, tout incommodé
qu'il était, il ne laissa pas de prêcher, et d'entendre, selon sa coutume, les
confessions. Mais il fallut enfin se rendre. Le dimanche, fêle de la Pentecôte,
après avoir dit la messe avec beaucoup de peine, il fut obligé de se mettre au lit.
Quoiqu'il connût assez son état, il voulut néanmoins encore s'en faire instruire
, et il pria qu'on ne lui déguisât rien. On lui parla comme il le souhaitait ;
et sans attendre que la personne qui lui portait la parole eût achevé : C'est
assez, répondit-il, je vous entends: il faut maintenant que je fasse ce
que j'ai tant de fois prêché et conseillé aux autres.
Dès le lendemain malin, il se
prépara, par une confession de toute sa vie, à recevoir les derniers
sacrements. Ce fut après cette confession qu'il épancha son cœur, et qu'il
s'expliqua dans les termes les plus chrétiens et les plus humbles. Il entra
lui-même dans tous les sentiments qu'il avait inspirés à tant de moribonds. Il
se regarda comme un criminel condamné à la mort par l'arrêt du ciel. Dans cet
état, il se présenta à la justice divine. Il accepta l'arrêt qu'elle avait
prononcé contre lui, et qu'elle allait exécuter. J'ai abusé de la vie,
dit-il en s'adressant à Dieu, je mérite que vous me l’ôtiez, et c'est de
tout mon cœur que je me soumets à un si juste châtiment. Il unit sa mort à
celle de Jésus-Christ; et prenant les mêmes intentions que ce Sauveur mourant
sur la croix, il s'offrit comme une victime, pour honorer par la destruction de
son corps la suprême majesté de Dieu, et pour apaiser sa colère. Non content de
ce sacrifice, il consentit à souffrir toutes les peines du purgatoire : Car
il est bien raisonnable, reprit-il, que Dieu soit pleinement satisfait ;
et du moins dans le purgatoire je souffrirai avec patience et avec amour.
En de si saintes dispositions, il
reçut les sacrements; et s'étant tout de nouveau entretenu quelque temps avec
Dieu, il mit ordre à divers papiers dont il était dépositaire. Il le fit avec
un sens aussi rassis que s'il eût été dans une parfaite santé. Il se sentit
même un peu soulagé tout le reste de la journée, et il donna quelque espérance
de guérison. Mais ce ne fut qu'une lueur; et sans se flatter de cette
espérance, il s'occupa toujours de la mort, voyant bien, disait-il, qu'il ne
pouvait guérir sans un miracle, et se croyant très-indigne que Dieu fit un
miracle pour lui.
En effet, sur le soir, il lui
prit un redoublement auquel il n'eut pas la force de résister. L'accès fut si
violent, qu'il lui causa un délire dont il ne revint point; et le mardi 13 de
mai de l'année 1704, il expira vers cinq heures du matin. Ainsi mourut, dans la
soixante-douzième année de son âge, un des plus grands hommes qu'ait eus notre
Compagnie, et, si j'ose le dire, qu'ait eus la France. Il avait reçu du ciel
beaucoup de talents : il ne les a point assurément enfouis, mais il les a
constamment employés pour la gloire de Dieu et pour l'utilité du prochain. Il
eut l'avantage de mourir presque dans l'exercice actuel de son ministère, et
sans autre intervalle que celui de deux jours de maladie. Tout le public
ressentit cette perte; le regret fut universel; et ce regret est encore aussi
vif que jamais dans le cœur de bien des personnes qui trouvaient en lui ce
qu'on ne trouve pas aisément ailleurs. Il ne les oublia point en mourant; et
l'on peut pareillement compter que la mémoire du P. Bourdaloue leur sera
toujours précieuse. Ses ouvrages suppléeront au défaut de sa personne. On l'y
retrouvera lui-même ; du moins on y trouvera tous ses sentiments et tout son
esprit.
Car ce sont ici ses vrais
sermons, et non point des copies imparfaites, telles qu'il en parut il y a
plusieurs années. Il les désavoua hautement et avec raison. Il y est si
défiguré qu'il ne devait plus s'y reconnaître.
Les deux Avents et le Carême
qu'on donne dans cette première édition seront suivis des sermons sur les
Mystères, sur les Saints, sur la Vocation religieuse, et sur divers sujets de
morale. Quoique dans plusieurs sermons du Carême il n'adresse pas la parole au
roi, il les a néanmoins presque tous prêches à la Cour, mais à d'autres jours
et sous d'autres évangiles.
On trouvera ici deux lettres qui
parurent après sa mort, l'une manuscrite et l'autre imprimée. La première est
d'un illustre magistrat, dont le P. Bourdaloue honorait infiniment la maison et
singulièrement la personne. On voit dans cette lettre des traits de maître, et
l'esprit n'y a pas moins de part que le cœur. La seconde est une de ces lettres
circulaires qu'on envoie dans les maisons de la Compagnie, pour donner avis de
la mort de chaque jésuite. Le P. Martineau, confesseur de monseigneur le duc de
Bourgogne, et supérieur de la maison professe lorsque le P. Bourdaloue y
mourut, écrivit celle-ci, qu'on ne put refuser au public, et qu'on réimprima
plusieurs fois, tant elle fut goûtée et recherchée.