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SERMON SUR LA NATIVITÉ DE JÉSUS-CHRIST.

ANALYSE.

 

SUJET. Au  même instant  que l’ange annonça  aux pasteurs la naissance de Jésus-Christ,   une troupe de la milice céleste se joignit à lui,  et se mit à louer Dieu, en disant : Gloire à Dieu au plus  haut  des deux, et paix aux hommes sur la terre !

 

En deux paroles, voilà les deux traits de la naissance du Sauveur, la gloire à Dieu et la paix aux hommes. Mais le mondain superbe et ambitieux, dit saint Bernard, n'est pas content de ce partage. Outre la paix, il voudrait encore la gloire. Ayons en horreur ce sentiment ; et laissant à Dieu la gloire, contentons-nous de considérer ce mystère, par rapport à nous, comme un mystère de paix.

Division. Jésus-Christ dans sa naissance est appelé par Isaïe le prince de la paix; et l'Apôtre nous apprend que la paix a été le bienheureux terme de sa mission. Voilà pourquoi ce divin Enfant voulut naître sous le règne d'Auguste, qui  fut,  de tous les règnes, le plus tranquille. Mais cette paix extérieure et temporelle, dont le monde jouissait alors, n'était encore que pour nous disposer à une autre paix plus avantageuse et plus sainte que le Fils unique de Dieu nous apportait du ciel. La paix avec Dieu,  1ère partie; la paix avec nous-mêmes, 2e partie; la paix avec le prochain, 3e  partie.

PREMIÈRE PARTIE. La paix avec Dieu. Comme pécheurs, nous étions ennemis de Dieu, et incapables par nous-mêmes de nous réconcilier avec Dieu. Il nous fallait donc un médiateur qui put tout à la fois satisfaire à la justice de Dieu, et nous attirer la miséricorde de Dieu. Or c'est ce que fait Jésus-Christ, en réunissant dans sa personne Dieu et l'homme.

1° Nous voyons d'abord dans cet enfant la miséricorde de Dieu incarnée et humanisée. La grâce de Dieu, dit saint Paul, a paru dans ce mystère, et s'est rendue sensible. Jusque là Dieu n'avait encore eu que des pensées de paix, comme parle le Prophète ; mais aujourd'hui il en vient à l'effet, et il les exécute en nous donnant un rédempteur.

2° Cependant Dieu n'oublie point ses intérêts; car si nous voyons, dans le rédempteur qu'il nous donne, la miséricorde de Dieu incarnée et humanisée, nous y voyons au même temps la justice de Dieu satisfaite et pleinement vengée, par la pénitence que ce Sauveur commence à faire pour nous. Tellement que la parole de David se vérifie dans l'étable, savoir : que la justice et la miséricorde se sont rencontrées, et qu'elles ont fait ensemble une alliance étroite.

Voici donc l'idée naturelle que nous devons avoir de ce mystère, exprimée dans ces belles paroles de l'Apôtre : Dieu était dans Jésus-Christ, réconciliant le monde avec soi, c'est-à-dire Jésus-Christ était dans la crèche, et il y était humilié, pauvre, souffrant ; et Dieu était dans Jésus-Christ, acceptant ses humiliations, sa pauvreté, ses souffrances, comme des satisfactions de tout ce que l'orgueil, la cupidité, l'amour du plaisir et de nous-mêmes nous ont fait commettre de crimes. Car, demande saint Bernard, comment Dieu n'aurait-il pas été fléchi par la pénitence de ce Fils bien-aimé, et Dieu comme lui? Et comment, satisfait par la pénitence d'un Dieu, pourrait-il rejeter la nôtre?

Je dis la nôtre, car avec la pénitence de Jésus-Christ notre Sauveur, il faut encore la nôtre pour consommer l'affaire de notre salut. Il faut de notre part une pénitence semblable à celle de Jésus-Christ, qui puisse être unie à celle de Jésus-Christ, et par conséquent une pénitence solide, efficace, sévère, comme celle de Jésus-Christ.

Si telle est votre pénitence, consolez-vous; vous êtes en paix avec Dieu : ou si ç'a été jusqu'à présent une pénitence défectueuse, corrigez-en les abus, et convertissez-vous de bonne foi.

Deuxième partie. La paix avec nous-mêmes. Jésus-Christ, dans le mystère de sa naissance, nous apprend le secret d'entretenir cette paix avec nous-mêmes. Nous l'ignorions, ce secret, et nous cherchions la paix où elle n'était pas, savoir : dans la grandeur et dans l'opulence; mais Jésus-Christ, qui est le chemin, la vérité et la vie, nous découvre en ce saint jour les deux sources de la vraie paix, je veux dire : 1° l'humilité de cœur ; 2° la pauvreté de cœur.

1° C'est dans ce mystère qu'un Dieu-Homme nous prêche hautement l'humilité; et c'est de l'humilité que dépend non-seulement notre sainteté, mais notre félicité dans la vie. Car ce qui fait perdre si souvent la paix à noire cœur, n'est-ce pas notre orgueil et noire ambition? de là les inquiétudes, les tristesses, les mélancolies, les chagrins, les désespoirs. Reconnaissons-le de bonne foi : voila, hommes du siècle, ce qui vous trouble.

Quand vous aurez renoncé à cette passion, dès là vous aurez la paix; parce que, dès là, soumis à Dieu, vous serez contents de votre fortune, et vous ne formerez plus tant d'intrigues qui vous agitent, et qui ne vous laissent pas un jour tranquille.

Apprenez donc de moi, vous dit Jésus-Christ, que je suis humble de cœur, et apprenez à l'être comme moi : alors vous trouverez le repos de vos âmes. Et ne pensez pas que cette humilité de cœur soit une faiblesse : ç'a été la vertu des forts, la vertu des sages, la vertu d'un Dieu, qui s'est revêtu de notre chair pour nous en donner un modèle sensible.

2° Une autre source de nos combats intérieurs, c'est l’attachement aux biens de la terre. Quels soins pour les acquérir! quelles peines pour les conserver! quelles frayeurs au moindre danger de les perdre! quels regrets après les avoir perdus! Le remède, c'est le détachement évangélique. Un chrétien pauvre de cœur jouit toujours d'un repos inaltérable, soit qu'il soit dans l'indigence ou dans l'abondance, parce qu'il n'a point mis son appui dans les richesses périssables, et qu'il se conforme en tout à la volonté de Dieu.

Or c'est ce que votre Sauveur vient encore vous enseigner; c'est ce que vous prêchent l'étable, la crèche, les langes de cet Enfant-Dieu. Il ne commence pas seulement à l'enseigner, mais à le persuader au monde. De pauvres pasteurs se retirent d'auprès de lui, comblés de joie : des riches (ce sont les mages), viennent à ses pieds déposer leurs trésors, et se faire un mérite et un plaisir d'y renoncer.

Crèche adorable de mon Sauveur, c'est toi qui me fais goûter la pauvreté que j'ai choisie ; et vous, mon Dieu, confondez-moi, si jamais ce sentiment sortait de mon cœur.

Troisième partie. La paix avec le prochain. L'Apôtre, exhortant les Romains à la charité, leur disait : Si cela se peut, et autant qu'il est en vous, conservez la paix avec tous les hommes. Toutes ces paroles sont remarquables. Si cela se peut : l'impossibilité est la seule excuse légitime qui puisse là-dessus devant Dieu nous disculper Autant qu'il est en vous : en sorte que nous puissions nous rendre témoignage qu'il n'a jamais tenu à nous, ni à nos soins. Avec tous les hommes : sans en excepter un seul, pas même ceux qui nous sont les plus opposés, parce que souvent c'est avec les plus difficiles et les plus fâcheux que nous avons à vivre dans une plus étroite société.

Or, quel est le principe de cette paix? une sainte conformité avec Jésus-Christ naissant. 1° C'est un Dieu qui se dépouille pour nous de tous ses intérêts. 2° C'est un Dieu qui nous prévient, selon le langage du Prophète, de toutes les bénédictions de sa douceur. Deux moyens pour entretenir une paix éternelle avec nos frères : désintéressement et douceur.

1° C'est un Dieu qui, par amour pour nous, se dépouille de tous ses intérêts ; qui de maître se fait obéissant ; de grand, petit; de riche, pauvre ; et ce désintéressement est le plus nécessaire et le plus sur moyen pour concilier les cœurs. Moyen nécessaire; car de prétendre vivre en paix avec le prochain, tandis qu'on est dominé par l'intérêt, c'est se flatter d'une espérance chimérique : mais aussi, moyen sûr : ôtez l'intérêt, plus de divisions, de querelles, de procès : la paix règnera partout. S'il en doit coûter pour cela, faisons ce sacrifice à Jésus-Christ,il le mérite bien. Faisons-le à la charité; par là nous achèterons la paix, et la paix que nous aurons avec ce parent, avec ce frère, avec ce voisin, avec ce concurrent, vaudra mieux pour vous que l'intérêt qu'on vous disputait, et à quoi vous renoncerez.

2° Ce n'est pas seulement l'intérêt qui trouble la paix entre vous et le prochain : ce sont encore vos aigreurs, vos emportements, vos fiertés. Mais un second moyen pour la maintenir, cette paix si désirable, c'est la douceur. Or, rentrez dans l'étable de Bethléem, vous y verrez un Dieu qui vous prévient, un Dieu qui vous recherche, un Dieu qui s'attendrit sur vous, et qui veut ainsi se faire aimer de vous. Après cela, faites-vous un point d'honneur de n'aller jamais au-devant de votre frère ; prenez à son égard des airs dédaigneux, et traitez-le avec dureté : c'est renverser le plus solide fondement de la paix.

Quel est notre aveuglement ! Dans ce temps, où Dieu nous affligé par le fléau de la guerre, nous lui demandons une paix qui ne dépend pas de nous ; et dans le cours de la vie, nous ne travaillons à rien moins qu'à nous procurer la véritable paix qui est entre nos mains. Les puissances de la terre sont souvent plus tôt d'accord que nous ne le sommes les uns avec les autres. Donnez-nous, Seigneur, cette paix après laquelle les peuples soupirent, et qui doit pacifier le monde chrétien ; mais préférablement à cette paix, toute nécessaire qu'elle est, donnez-nous celle qui doit nous réconcilier avec vous, nous réconcilier avec nous-mêmes, nous réconcilier avec nos frères.

Compliment au roi.

 

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Et subito facta est cum angelo multitudo militiœ cœlestis laudantium Deum, et dicentium : Gloria in altissimis Deo, et in terra pax hominibus.

Au même instant que l'ange annonça aux pasteurs la naissance de Jésus-Christ, une troupe de la milice céleste se joignit à lui, et se mit à louer Dieu, en disant : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix aux hommes sur la terre ! (Saint Luc, chap. II, 13.)

 

Sire,

 

En deux paroles, voilà les deux fruits de la naissance du Sauveur : la gloire à Dieu , et la paix aux hommes. La gloire à Dieu , à qui elle est due par justice, et la paix aux hommes , à qui Dieu la donne par grâce. La gloire à Dieu, qui la possède comme un bien propre, et la paix aux hommes, qui la désirent comme le plus digne objet de leurs vœux. La gloire à Dieu , qui seul la mérite, parce qu'il est seul grand par lui-même ; et la paix aux hommes , qui doivent se mettre en état de l'obtenir, jusqu'à sacrifier tout pour l'avoir. C'est, dit saint Bernard , le partage le plus raisonnable, et même pour les hommes le plus favorable qui fut jamais.

Cependant, ajoute ce Père , on voit dans le monde des hommes qui ont peine à le goûter : et tel est l'ambitieux et le superbe. En effet, parce qu'il est superbe et ambitieux, ce partage fait par les anges, quoique favorable pour lui, ne le contente pas : Non placet ei angelica distributio, dans gloriam Deo, et pacem hominibus (1). C'est-à-dire qu'aveuglé d'un injuste désir de s'élever au-dessus des autres, il ne se contente pas d'avoir la paix, mais qu'il veut encore avoir la gloire. Et quoique Dieu dans

 

1 Bernard.

 

l'Ecriture se soit si hautement déclaré qu'il ne donnera sa gloire à personne : Gloriam meam alteri non dabo (1), il est assez téméraire pour répondre à Dieu dans son cœur : Et moi, sans attendre que vous me la donniez, je me l'attribuerai, et je l'usurperai : Et ego, inquit superbus, mihi illam, licet non dederis, usurpabo (2).

Ayons, mes chers auditeurs, ce sentiment en horreur. Mieux instruits de nos véritables intérêts , tenons-nous-en au partage qui nous est offert dans l'Evangile : il nous est trop avantageux pour en souhaiter un autre. Disons à Dieu, comme David : Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam (3) : ne nous donnez pas la gloire, Seigneur ; la gloire ne nous appartient pas. Réservez-la pour vous tout entière , parce qu'elle est tout entière pour vous et pour votre saint nom. Mais donnez-nous cette paix salutaire que vos anges nous font espérer, et que Jésus-Christ votre Fils vient lui-même nous apporter. Parlant de la sorte, nous parlerons en chrétiens. Ainsi, l'auguste mystère que nous célébrons étant pour nous, dans le dessein de Dieu, le mystère de la paix, considérons-le uniquement sous cette idée. Rapportons là toutes nos vues, et attachons-nous aux divines instructions que nous fournit sur ce point important la naissance d'un Dieu fait homme. Mais d'abord rendons nos devoirs à la plus pure des vierges , à cette vierge incomparable , qui, par un prodige inouï, toujours vierge, est devenue la mère de son Dieu, et félicitons-la avec l'Eglise de cette glorieuse

 

1 Isai., XLII, 8. — 2 Bernard. — 3 Psalm., CXIII, 1.

 

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maternité, qui a été le principe de notre salut. Ave, Maria.

Un enfant nous est né, disait Isaïe, parlant en prophète et annonçant par avance ce qui devait arriver dans la plénitude des temps : Parvulus natus est nobis (1). Et cet enfant, ajoutait le prophète, sera appelé l'admirable, le Dieu fort, le père du siècle futur, mais surtout le prince de la paix : Et vocabitur admirabilis, Deus fortis, pater futuri saeculi, princeps pacis (2). C'est aujourd'hui, Chrétiens, que nous voyons a la lettre l'oracle accompli. C'est aujourd'hui que l'enfant Jésus a vérifié dans sa personne cette prédiction, qui ne pouvait convenir qu'à lui. et que, dès son berceau, il a fait voir qu'il était souverainement et par excellence le prince de la paix : Princeps pacis : comment cela? parce que dans le mystère de ce jour il a commencé à faire l'office de médiateur et d'arbitre de la paix; qu'il a paru dans le monde pour y établir les vrais principes de la paix; qu'il s'est servi du ministère des esprits célestes pour annoncer à ses élus l'Evangile de la paix : car, selon la parole de l'Apôtre, la paix a été le bienheureux terme et la fin principale de sa mission : Veniens evangelizavit pacem (3).

Comme il naissait pour faire régner la paix (appliquez-vous à cette pensée ; elle est de saint Chrysostome, et elle va éclaircir ma proposition), comme il naissait pour faire régner la paix, tout devait concourir à son dessein ; et en effet, par une singulière providence, tout y concourut. Et voilà pourquoi ce divin Enfant voulut naître sous le règne d'Auguste, qui fut île tous les règnes le plus tranquille ; tout l'univers, c'est-à-dire tout l'empire romain, se trouvant, par une espèce de miracle, dans une paix profonde, pour confirmer par cette circonstance ce qui était écrit du Messie, que l'abondance de la paix naîtrait avec lui : Orietur in diebus ejus justitia et abundantia pacis (4).

Mais, après tout, Chrétiens, cette paix extérieure et temporelle dont le monde jouissait alors n'était encore que pour servir de disposition à une autre paix bien plus avantageuse et bien plus sainte, que le Fils unique de Dieu nous apportait du ciel; et c'est ici que j'entre dans le fond de notre mystère, et que je vous prie d'y entrer avec moi. Je m'explique. Maintenir la paix des nations, éteindre le feu des guerres et des dissensions qui les consument, pacifier les royaumes et les états, c'était, il est vrai, l'ouvrage de cette Providence générale qui préside

 

1 Isai., IX, 6.— 2 Ibid.— 3 Ephes., II, 17.— 4 Psalm., LXXI, 7.

 

au gouvernement du monde : mais rétablir la paix entre l'homme et Dieu, mais enseigner à l'homme le secret de conserver la paix avec soi-même, mais donner à l'homme des moyens sûrs et infaillibles pour entretenir une paix éternelle avec le prochain, c'était et ce devait être l'effet particulier, l'effet miraculeux de la sagesse de Dieu incarné, je veux dire de la naissance de Jésus-Christ et de sa venue au monde.

C'est donc lui, mes chers auditeurs, qui, par sa sainte nativité, et par toutes les circonstances qui l'accompagnent, nous procure aujourd'hui la paix avec Dieu, la paix avec nous-mêmes, et la paix avec nos frères : la paix avec Dieu, par la pénitence qu'il fait déjà pour nous dans ï'étable de Bethléem : c'est la première partie ; la paix avec nous-mêmes, par l'humilité et par le détachement des biens de la terre, qu'il nous prêche déjà si hautement, en choisissant une crèche pour son berceau : c'est la seconde partie; la paix avec nos frères par la douceur, ou, pour mieux dire, par la tendre charité dont il est lui-même en naissant une leçon si vivante et si touchante, et dont il nous donne le plus parfait modèle : ce sera la conclusion : Veniens evangelizavit pacem : venant au monde, il nous a annoncé la paix : mais avec qui ? je le répète, avec Dieu, en se faisant notre victime par la réparation entière du péché; avec nous-mêmes, en détruisant les deux principes de tous nos troubles intérieurs, l'orgueil et la cupidité; avec nos frères, en amollissant la dureté qui nous est si naturelle, ou du moins si ordinaire à leur égard, et en nous inspirant à son exemple la bénignité : Evangelizavit pacem. Oui, il a été, dès son entrée au monde, l'évangéliste et le prédicateur de cette triple paix, si désirable et si nécessaire pour nous ; de la paix avec Dieu, en nous apprenant à apaiser Dieu ; de la paix avec nous-mêmes, en nous apprenant à être humides et pauvres de cœur ; de la paix avec le prochain, en nous apprenant à être doux et humains : c'est tout le sujet et le partage de ce discours. Je vous demande une favorable attention.

 

PREMIÈRE  PARTIE.

 

C'est un principe de religion qui ne peut être contesté , et dont tout le monde convient : comme pécheurs, nous étions enfants de colère, et, en cette qualité, non-seulement ennemis de Dieu, mais incapables par nous-mêmes de nous réconcilier avec Dieu. Il nous fallait donc un médiateur qui, venant au monde avec un pouvoir

 

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légitime, négociât et conclût entre Dieu et nous cette importante réconciliation; c'est-à-dire qu'il nous fallait un médiateur qui, tout ensemble zélé pour nos intérêts et chargé des intérêts de Dieu, accordât l'homme et Dieu dans sa personne; un médiateur en qui Dieu trouvât la plénitude de la satisfaction qui lui était due, et en qui l'homme trouvât la plénitude de la rémission et de la miséricorde dont nous avions besoin; un médiateur qui, réunissant ces deux choses, pacifiât, comme dit saint Paul, le ciel et la terre, et qui, aux dépens de lui-même, sans aucun préjudice des droits de Dieu, nous remît en grâce avec Dieu. Or voilà, Chrétiens, ce que la foi nous découvre, et ce qui s'est heureusement accompli dans le mystère de ce jour ; car que voyons-nous dans l'étable de Bethléem? comprenez bien cette vérité, sur quoi roule toute notre religion. Nous y voyons, dans la personne d'un Enfant-Dieu, la miséricorde de Dieu incarnée et humanisée, et au même temps, par le plus surprenant de tous les miracles, la justice de Dieu satisfaite dans la rigueur et authentiquement vengée. Miséricorde de Dieu, justice de Dieu : deux attributs dont la parfaite alliance devait produire la paix entre Dieu et l'homme, mais qui ne pouvaient être unis de la manière intime dont ils l'ont été, que dans le Verbe fait chair. Ecoutez-moi, et vous en allez être convaincus.

Nous voyons, dis-je, dans cet enfant, la miséricorde de Dieu incarnée et humanisée. C'est ce qui nous paraît d'abord dans son adorable naissance, dont saint Paul comprend en un mot tout le mystère, quand il dit que ce fut alors que se fit la première apparition du Dieu Sauveur, et que la grâce du Dieu Sauveur, qui auparavant était quelque chose d'impénétrable et d'incompréhensible, se rendit palpable et sensible : Apparuit gratia Dei Salvatoris nostri (1). Prenez garde, mes Frères, dit saint Chrysostome expliquant ce passage de l'Apôtre : il y avait des siècles entiers que Dieu, quoique offensé, las d'être en guerre avec les hommes, méditait de faire avec eux un traité de paix pour lequel il avait réservé tous les trésors de sa miséricorde et de sa grâce. Il y avait des siècles entiers que ce Dieu de gloire disait aux hommes, par un de ses prophètes : Ego cogito super vos cogitationes pacis, et non afflictionis (2) : j'ai sur vous des pensées de paix, et non de colère et de vengeance. Mais ces pensées de paix, ajoute saint Chrysostome, étaient alors toutes renfermées dans le cœur

 

1 Tit., II, 11. — 2 Jerem., XXIX, 11.

 

de Dieu. Ce n'étaient que des pensées, des vues, des projets, qui, ne sortant point hors de Dieu, demeuraient sans exécution. Dieu était plein de ces pensées, mais le temps n'était pas encore venu où il avait résolu de les manifester et de les produire. Comme Dieu de miséricorde, il avait des pensées de paix, et cependant on ne voyait partout que des effets de sa justice, et d'une justice rigoureuse. Aujourd'hui ces pensées de paix, suspendues depuis tant de siècles, et cachées dans le sein de Dieu, commencent à éclater aux yeux des hommes : pourquoi? parce que Jésus-Christ, Dieu et homme, c'est-à-dire la grâce même et la miséricorde même, se fait voir à eux : Apparuit gratia Dei. Ce ne sont plus des pensées de paix, mais des chefs-d'œuvre consommés, mais des miracles, mais des prodiges de paix ; et Dieu ne dit plus simplement : Je conçois, je médite : Ego cogito; mais : J'accomplis, j'exécute ce que j'avais promis aux pécheurs. Ainsi nous l'a-t-il fait entendre quand il a fait paraître, dans le mystère que célèbre aujourd'hui l'Eglise, son Verbe revêtu de notre chair, et quand il a donné au monde un rédempteur.

Mais en le donnant au monde, ce rédempteur, Dieu n'a-t-il point oublié ses propres intérêts? en choisissant un moyen si extraordinaire et si étonnant pour mettre au jour ces pensées de paix qu'il avait éternellement conçues, n'a-t-il point fait avec nous une paix désavantageuse et peu honorable pour lui? Ah! Chrétiens, voilà ce que nous ne pouvons assez admirer; et c'est ici qu'il est juste qu'éclairés, comme nous le sommes, des lumières de la foi, nous rendions hommage à la sagesse de notre Dieu. Non, poursuit saint Chrysostome, Dieu, en choisissant ce moyen, n'a point oublié ce qu'il se devait à lui-même, et la preuve en est évidente. Car, tandis que je vois, dans le divin enfant qui vient de naître, la miséricorde de Dieu incarnée et humanisée, je vois dans la même personne de cet enfant la justice de Dieu pleinement vengée. Tandis que j'y vois la grâce et la rémission du péché offerte à l'homme, j'y vois une victime de propitiation offerte à Dieu pour l'expiation du péché. Comme le péché est la seule cause de la guerre qui met entre Dieu et nous une si fatale division, je vois dans la crèche un Sauveur déjà sacrifié comme une hostie vivante pour abolir le péché qui nous a séparés de Dieu. Comme la pénitence est le capital et le plus essentiel article de notre paix avec Dieu, j'y vois un Homme-Dieu commençant déjà à faire pénitence pour nous, et nous

 

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apprenant à la faire nous-mêmes pour nous-mêmes.

Mystère adorable de paix que David, par un esprit de prophétie, avait prétendu nous marquer quand il avait dit : Misericordia et veritas obviaverunt sibi (1) : la miséricorde et la vérité, c'est-à-dire, dans le sens littéral du psaume, la miséricorde et la justice, se sont rencontrées; et où  demandait saint Bernard, se sont-elles rencontrées? Dans l'étable où est né Jésus-Christ; disons plutôt, dans Jésus-Christ. Jusque là elles avaient tenu dis roules toutes différentes et tout opposées, et rien n'était plus éloigné de la miséricorde que la justice. Aujourd'hui elles se rapprochent, et l'une vient heureusement à la rencontre de l'autre : Obviaverunt sibi. Jusque là,   l'une  avait  paru absolument contraire à l'autre, car le propre de la justice était de punir, et le propre de la miséricorde de pardonner. Ici le pardon et la punition se joignent ensemble : la punition qui tombe sur l'innocent, les souffrances de Jésus-Christ dans la crèche méritant le pardon aux hommes coupables, et le pardon qu'obtiennent les hommes coupables n'étant fondé, conformément aux décrets éternels de Dieu, que sur les souffrances de Jésus-Christ et sur la punition que subit l'innocent, et à laquelle il veut bien se soumettre. D'où  il s'ensuit, ce qu'ajoute le texte sacré dans une autre expression encore plus forte, que la justice et la paix se sont mutuellement baisées comme deux sœurs : Justitia et pax osculatœ sunt (2). Paroles que le même saint Bernard appliquait, et avec raison, à la naissance du Fils de Dieu, puisqu'il est certain que le fondement de notre paix avec Dieu a été cette justice vindicative que Dieu, usant de tousses droits, a exercée contre le péché, en livrant son Fils pour nous. Or n'est-ce pas dès ce jour qu'il a commencé à le livrer, et pouvait-il le livrer d'une manière plus sensible qu'en le faisant naître dans l'état où la crèche nous le représente?

Quelle est donc l'idée naturelle que nous devons avoir de ce mystère? la voici, mes chers auditeurs, telle que l'a eue le grand Apôtre, et dans les mêmes termes qu'il l'exprimait : Deus erat in Christo, mundum reconcilians sibi (3) : Jésus-Christ était dans la crèche, et Dieu était dans Jésus-Christ réconciliant le monde avec soi. Pensée sublime, digne de saint Paul, et qui, pour être bien développée, demanderait un discours entier. Dieu était dans Jésus-Christ, réconciliant le monde avec soi et se réconciliant

 

1. Psalm., LXXXIV, 11. — 2 Ibid.— 3 2 Cor., V, 9.

 

lui-même avec le monde : c'est-à-dire, Dieu était dans Jésus-Christ, recevant les satisfactions que Jésus-Christ lui faisait de tous les crimes du monde, et, en vue de ces satisfactions qu'il recevait de Jésus-Christ, oubliant, pardonnant, effaçant,  abolissant tous les crimes du monde. Méditons ces paroles : Deus erat in Christo,   mundum reconcilians sibi;   Jésus-Christ était dans la crèche, offrant à Dieu, comme souverain prêtre de la loi de grâce, le sacrifice de son humanité sainte, et Dieu était dans Jésus-Christ, acceptant ce sacrifice  pour réparation de toutes les impiétés, de tous les blasphèmes, de tous les sacrilèges, de tous les scandales, de toutes les profanations qui devaient se commettre dans le monde, à la honte du nom chrétien : Deus erat in Christo ; Jésus-Christ était dans la crèche, humilié et anéanti, et Dieu était dans Jésus-Christ, se dédommageant par là de tous les attentats que l'orgueil des hommes avait formés ou devait former contre sa gloire, de tout ce que leur ambition démesurée, de tout ce que leur extravagante vanité, de tout ce que leur maligne jalousie devait produire dans le monde d'injustice et de désordres : Deus erat in Christo; Jésus-Christ était dans la crèche , rendant à son Père les premiers hommages de cette obéissance sans bornes qui devait bientôt s'étendre jusques à la mort, et jusques à la mort de la croix ; et Dieu était dans Jésus-Christ, vengé par là, mais hautement, de tous les mépris que les hommes devaient faire de sa loi, de tout ce que l'esprit d'indépendance, de tout ce que l'insolence du libertinage, de tout ce que la présomption du relâchement devait leur inspirer contre ses ordres, et au préjudice de la soumission qui lui est due : Deus erat in Christo; Jésus-Christ était dans la crèche immolant sa chair virginale par les misères d'une extrême pauvreté, et Dieu était dans Jésus-Christ, se faisant justice par là de tout ce que la sensualité et la mollesse, de tout ce que l'excès du luxe, de tout ce que l'amour du plaisir, de tout ce que l'abus des commodités et des délices de la vie devait causer de dérèglement et de corruption dans les mœurs : je veux dire, de toutes les impudicités, de tous ces vices abominables que saint Paul défend de nommer,  de tous ces monstres de péchés qui déshonorent l'homme, et qui le dégradent jusqu'à le mettre au rang des bêtes : Deus erat in Christo ; en un mot, Jésus-Christ était dans la crèche faisant pénitence pour nous, et Dieu était dans Jésus-Christ, agréant cette pénitence, mais en même temps

 

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nous la proposant pour modèle, comme s'il nous eût dit à tous : Voyez, et faites de même : Inspice, et fac secundum exemplar (1)

C'est, dis-je, à cette condition que Dieu était dans Jésus-Christ, nous réconciliant avec soi, et, par un effet réciproque de son amour, se réconciliant avec nous : Deus erat in Christo, mundum reconcilians sibi. Car, tout irrité qu'il était par la grièveté de nos offenses , comment aurait-il pu, reprend saint Bernard , n'être pas fléchi par la pénitence de ce Fils bien-aimé, dont il put bien dire dès lors ce qu'il devait déclarer solennellement dans la suite : Hic est Filius meus dilectus, in quo mihi complacui (2)? de ce Fils qui, quoique naissant avec l'apparence de pécheur, était non-seulement le Saint des Saints, mais la sainteté même? de ce Fils qui, quoiqu'anéanti dans une crèche, était aussi puissant que lui, égal à lui, et, sans usurpation, Dieu comme lui? Comment, encore une fois , aurait-il pu ne l'accepter pas, cette pénitence d'un Dieu? et, satisfait par la pénitence d'un Dieu, comment aurait-il pu rejeter la nôtre?

Tel est donc d'abord, mes chers auditeurs, le fruit précieux de la naissance d'un Dieu sauveur, notre paix avec Dieu par la pénitence. Mais du reste, ne nous y trompons pas, et, pour approfondir par rapport à nous cette même vérité , quand je dis par la pénitence , j'entends par une pénitence sincère, solide, efficace; j'entends par une pénitence fervente, exacte , sévère : car il n'y a que celle-là seule qui soit capable de nous réconcilier avec Dieu et de pacifier nos consciences devant Dieu , parce qu'il n'y a que celle-là seule qui ait de la conformité avec la pénitence de l'Homme-Dieu. Une pénitence imparfaite, tiède, languissante ; une pénitence lâche, où le pécheur s'écoute, se flatte, se ménage ; une pénitence commode , et que l'on veut accorder avec toutes les douceurs de la vie ; une pénitence qui ne crucifie point la chair, qui n'humilie point l'esprit; une pénitence stérile et sans œuvres, c'est une pénitence vaine, et une pénitence vaine, bien loin d'apaiser Dieu , outrage Dieu ; bien loin de calmer nos consciences, les déchire de mille remords ; bien loin d'en faire cesser les inquiétudes, est elle-même le sujet des reproches intérieurs les plus piquants et des plus cruelles alarmes. Il nous faut, dit saint Chrysostome, une pénitence qui puisse être unie à celle de Jésus-Christ, une pénitence qui puisse être le supplément de celle de Jésus-Christ, une pénitence dont le pécheur

 

1 Exod., XXV, 40. — 2 Matth., III, 17.

 

puisse croire et se rendre témoignage qu'elle accomplit, comme parle l'Apôtre, ce qui manque aux souffrances de Jésus-Christ : or, pour cela, il faut qu'elle ait tous les caractères que je viens de marquer, sincérité, solidité , intégrité , sévérité , et qu'ainsi elle participe à toutes les qualités de la pénitence de Jésus-Christ.

Si telle a été la vôtre, et si, dans l'esprit de cette véritable pénitence, vous avez eu le bonheur d'approcher dignement des saints mystères, c'est, mes chers auditeurs, ce qui doit aujourd'hui vous consoler, et de quoi je dois vous féliciter. Vous êtes en paix avec Dieu; vous avez trouvé grâce devant Dieu. Dieu a ratifié dans le ciel la sentence d'absolution que le ministre de son sacrement a prononcée sur la terre en votre faveur. On vous a dit, comme à ce paralytique de l'Evangile : Allez, ne péchez plus : Ecce sanus factus es, jam noli peccare (1) ; mais aussi vivez en repos sur tout le passé; il vous est remis. Heureux état! préférable à toutes les fortunes du monde ! je suis en paix avec Dieu. Dieu était mon ennemi, et j'étais ennemi de Dieu ; mais enfin voilà Dieu réconcilié avec moi, et me voilà réconcilié avec Dieu. Paix de Dieu, que le Saint-Esprit compare à un repas somptueux , à un repas délicieux, tant elle remplit l'âme d'une onction abondante et consolante. Paix de Dieu, souverainement désirable au pécheur, puisque par elle le pécheur rentre auprès de Dieu dans tous les droits de l'innocence et de la justice.

Que si néanmoins, mon cher auditeur, vous êtes assez malheureux pour n'avoir fait qu'une pénitence défectueuse, et pour être encore, malgré votre pénitence, dans le désordre du péché, écoutez ce que je vous annonce; et, tout malheureux que vous êtes, ce que je vous annonce doit vous inspirer une humble et une généreuse confiance: Convertere ad Dominum Deum tuum (2) ; convertissez-vous à votre Dieu. Faites pénitence; et, en la faisant, conformez votre pénitence à la pénitence de l'enfant Jésus; unissez votre pénitence à la pénitence de l'enfant Jésus. Touché de ce que lui ont coûté vos péchés, ressentez-les comme lui ; pleurez-les comme lui ; joignez vos larmes à ses larmes, votre douleur à sa douleur, et je vous réponds de la part de Dieu d'une prompte et d'une parfaite réconciliation. Telle est la grâce qui vous est offerte. Serez-vous assez aveugles, assez insensés, assez réprouvés pour la refuser? Cependant, outre la paix où nous rentrons avec

 

1 Joan., v, 14. — 2 Lament.

 

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Dieu, le mystère de Jésus-Christ naissant nous apprend encore à conserver la paix avec nous-mêmes ; et c'est le sujet de la seconde partie.

DEUXIÈME  PARTIE.

 

L'homme en était réduit à ce déplorable état d'être dans une continuelle guerre avec soi-même, et de ne pouvoir se donner la paix à soi-même : et ce qui semble bien étonnant, dans l'affreux désordre où il était tombé par le péché, il De lui fallait pas moins un médiateur, pour le réconcilier avec lui-même que pour le réconcilier avec Dieu. Or de là je conclus que Jésus-Christ est donc encore, par cette même raison, le prince et le Dieu de la paix : princeps pacis, puisque; dans le mystère de sa naissance, il nous apprend, et par les exemples qu'il nous donne et par les leçons qu'il nous fait, le secret inestimable d'entretenir la paix avec nous-mêmes, secret que nous avons tant d'intérêt à découvrir, et qu'il nous est si important de savoir, mais qu'il n'appartenait qu'à ce Dieu naissant de nous révéler.

En effet, jusque là les hommes l'avaient ignoré cet art tout divin : séduits et aveuglés par le dieu du siècle, ils s'étaient faussement persuadés que le plus sûr moyen de trouver la paix du cœur était de satisfaire ses désirs, de contenter son ambition, de rassasier sa cupidité, et pour cela d'être honoré et distingué dans le monde ; de s'enrichir, et de vivre dans l'abondance ; de se pousser, de s'élever, de s'agrandir. Ainsi l'avaient cru et le croyaient tant de mondains. Or, en raisonnant de la sorte, non-seulement, dit l'Ecriture, ils s'étaient trompés, mais, en se trompant, ils s'étaient rendus malheureux : Contritio et in felicitas in viis eorum (1) : pourquoi ? parce qu'en raisonnant de la sorte, Ils n'avaient pas connu le chemin de la paix: Et  viam pacis non cognoverunt (2). Au lieu du repos intérieur et du calme qu'ils se promettaient dans leur opulence et dans leur élévation, ils ne trouvaient que trouble , que chagrin, qu'affliction d'esprit : Contritio et infelicitas. Tel était le sort des partisans du monde : et plût au ciel, mes chers auditeurs, que ce ne fût pas encore aujourd'hui le vôtre !

Qu'a fait Jésus-Christ? Il est venu nous enseigner le chemin de la paix, que nous cherchions et que nous ne connaissions pas. Lui-même, qui dans l'Evangile s'est appelé le chemin : Ego sum via (3), il est venu nous servir de guide, et nous montrer la route par où nous pouvons immanquablement arriver au terme

 

1 Psalm., XIII, 3. — 2 Ibid. —8 Joan., XIV, 6.

 

de cette bienheureuse paix. Lui-même, qui s'est appelé et qui est en effet la vérité : Ego sum veritas (1), il est venu nous désabuser des erreurs grossières dont nous nous étions laissé prévenir à l'égard de cette paix. Lui-même , qui est la vie : Ego sum vita (2), il est venu nous faire goûter ce qui pouvait seul nous mettre en possession de cette paix. Tout cela comment? en nous découvrant dans le mystère de ce jour les deux sources véritables de la paix avec nous-mêmes, savoir : l'humilité de cœur et la pauvreté de cœur; et en détruisant dans ce même mystère les deux grands obstacles à cette paix tant désirée, et néanmoins si peu commune, qui sont notre orgueil d'une part, et de l'autre notre attachement aux biens de la terre : Veniens evangelizavit pacem. Ne perdez rien d'une instruction si solide et si édifiante. Oui,  c'est dans  ce  mystère qu'un Dieu-Homme, en naissant parmi les hommes, nous prêche hautement, par son exemple, ce qu'il devait dans la suite établir pour fondement de toute sa doctrine : Discite a me, quia mitis sum et humilis corde, et invenietis requiem animabus vestris (3) : Apprenez de moi que je suis humble de cœur, et tenez pour certain  que par là vous trouverez le repos de vos âmes. Oracle,  dit saint  Augustin, d'où devait dépendre, non-seulement notre  sainteté,  mais notre félicité dans la vie. Car il est évident, mes Frères, que ce qui nous empêche tous les jours de trouver ce repos de l'âme si estimable, et sans quoi tous les autres biens de la vie nous deviennent inutiles, c'est l'opposition secrète que nous   avons à  l'humilité chrétienne. Reconnaissons-le avec douleur, et gémissons-en devant Dieu : ce qui fait perdre si souvent la paix à notre cœur, et ce qui nous met dans l'impuissance de la conserver, c'est l'orgueil dont nous sommes remplis, et qui nous enfle; cet orgueil, qui nous fait croire en tant d'occasions qu'on ne nous rend pas ce qui nous est dû, qu'on n'a pas pour nous assez d'égards, qu'on ne nous considère pas autant que nous le méritons. Car de là naissent les mélancolies et les tristesses, de là les désolations et les désespoirs, de là les aigreurs et les emportements : les tristesses, quand nous nous voyons maltraités; les désespoirs, quand nous nous croyons  méprisés;   les  emportements, quand nous nous prétendons insultés et outragés  : Dieu prenant plaisir, dit saint Chrysostome, à punir notre orgueil par notre orgueil même, et se servant de notre amour-

 

1 Ibid. — 2 Ibid. — 3 Matth., XI, 29.

 

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propre pour nous faire souffrir, quand, par un excès de délicatesse et de sensibilité dont notre orgueil est le principe, nous ne voulons rien souffrir. Si nous étions humbles, et humbles de cœur, nous serions à couvert de tous ces chagrins. Au milieu des contradictions et des adversités, l'humilité nous tiendrait dans une situation tranquille. Quelque injustice qu'on pût nous faire et que l'on nous fît, l'humilité nous consolerait, l'humilité nous affermirait, l'humilité calmerait ces orages, réprimerait ces mouvements déréglés qui bouleversent une âme, si je puis ainsi m'exprimer, et qui lui causent de si grandes agitations.

Ah ! Chrétiens, méditons bien ce point important. Examinons bien, et demandons-nous à nous-mêmes pourquoi nous nous troublons si aisément? pourquoi, au moindre soupçon d'un mépris souvent imaginaire, nous nous piquons si vivement? pourquoi, sur un vain rapport d'une parole dite contre nous par imprudence et par légèreté, nous nous affligeons, nous nous alarmons, nous nous irritons? Quare tristis es, anima mea, et quare conturbas me (1) ? C'est la question que se faisait à lui-même le Prophète royal,et que peut se faire à toute heure l'homme superbe avec beaucoup plus de sujet : Pourquoi, mon âme, êtes-vous triste, et d'où vient que vous me troublez? Nous n'en trouvons point d'autre raison que ce fonds d'orgueil avec lequel nous sommes nés, et que nous avons toujours entretenu, bien loin de travailler à le détruire. Voilà, hommes du siècle qui m'écoutez, ce qui vous rend incapables de goûter cette paix qui, de votre aveu néanmoins, est, après votre salut, le souverain bien. Vous la désirez préférablement à tout, puisque vous ne désirez tout le reste que pour y parvenir. Cependant vous n'y parvenez jamais : ne vous en prenez qu'à vous-mêmes, à cette ambition qui vous possède, el à laquelle vous vous êtes comme livrés; à cette ambition qui, malgré tant de biens dont Dieu vous a comblés dans la vie, vous empêche d'être jamais contents de ce que vous êtes, et vous pousse toujours à vouloir être ce que vous n'êtes pas; à cette ambition qui, par la plus monstrueuse ingratitude envers la Providence, vous fait compter pour rien tout ce que vous avez, et toujours aspirer à ce que vous n'avez pas, jusques à vous fatiguer pour cela sans relâche, jusques à vous crucifier vous-mêmes ; à cette ambition, qui fait naître dans voire cœur tant de basses et de honteuses

 

1 Psalm., XLI, 6.

 

jalousies, qui des prospérités d'autrui vous fait de si amers sujets de douleur, qui vous jette en de si violents transports quand on s'oppose à vos desseins, qui vous inspire de si mortelles aversions quand on traverse vos entreprises. Je le répète, et je ne puis trop fortement vous l'imprimer dans l'esprit, c'est là que le mal réside, c'en est là le principe et la racine.

Quand vous aurez une bonne fois renoncé à cette  passion ; quand, par  une modération chrétienne et sage,  vous saurez vous tenir dans le rang où Dieu vous a placés ; quand, par une justice que vous ne vous rendez pas, et qu'il faudrait vous rendre, vous reconnaîtrez que Dieu n'en a que trop fait pour vous; dès là vous posséderez ce trésor de la paix, que vous avez en vain cherché jusqu'à présent, parce que vous ne l'avez pas cherché où il est. C'est-à-dire, dès là vous bénirez Dieu dans votre condition, sans envier celle des autres. Dès là, soumis à Dieu, vous ne penserez plus qu'à vous sanctifier dans votre état, sans courir éternellement après un  fantôme que vous vous figurez comme un  bonheur parfait, mais dont la chimérique espérance ne sert qu'à vous tourmenter. Dès là, contents de votre fortune, vous en jouirez paisiblement et avec actions de grâces; vous ne vous appliquerez qu'à en bien user, et vous ne craindrez rien autre chose que d'en faire un criminel abus. Dès là,   chargés de  l'établissement de vos familles, après avoir fait en chrétiens tout ce qui dépendra de  vous  pour y  pourvoir, vous vous en reposerez sur cette aimable Providence dans le sein de laquelle, comme dit l'Apôtre, nous devons jeter toutes nos inquiétudes, comptant et pouvant compter avec assurance que si nous lui sommes fidèles elle ne nous manquera pas : Omnem sollicitudinem vestram projicientes in eum (1). Dès là, affranchis de la servitude et de l'esclavage du monde, vous attendrez tout de Dieu ; vous ne mettiez votre appui, votre confiance qu'en Dieu; vous entrerez dans la sainte   et heureuse liberté des enfants de Dieu ; tous les nuages se dissiperont, toutes les tempêtes se calmeront; et un moment de cette paix secrète, que votre orgueil a tant de fois troublée, vous dédommagera bien des faux avantages où il visait, et des vaines prétentions qui vous exposaient à de si fâcheux retours et à de si rudes combats. Or, voilà pourquoi Jésus-Christ vous dit

 

1 1 Petr., V,7.

 

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aujourd'hui : Apprenez de moi que je suis humilie de cœur : Discite a me quia mitis sum et humilis corde. Et ne regardons pas cette humilité de cœur comme une faiblesse : ç’a été la vertu d'un Dieu, et c'est la vertu des forts, la vertu des sages, la vertu des âmes sensées, et par-dessus tout la vertu des élus de Dieu. Apprenez-la de moi, (écoutez toujours votre maître), et apprenez-la de moi, puisqu'il n'y a que moi de qui vous puissiez l'apprendre, et que toute la philosophie n'a point été jusque là. Apprenez-la de moi qui ne suis venu que pour vous en Faire des leçons, et qui, pour vous la mieux persuader, me suis humilié et anéanti moi-même C'est-à-dire, apprenez de moi que ce sont deux choses incompatibles que la paix et l'orgueil ; que voire cœur, quoi que vous fassiez el quoi que le monde fasse pour vous, ne sera jamais content, tandis que la vanité, que l'ambition, que l'amour de la gloire y régnera : par conséquent, que pour trouver sur la terre le centre et le point de la félicité humaine, que pour avoir cette paix de l'âme, qui est par excellence le don de Dieu, il faut être humble, cl sincèrement humble, el solidement humble : Discite a me quia mitis sum et humilis corde, et invenietis requiem animabus vestris.

Car c'est là, mes Frères, dit saint Bernard, ce que la sagesse de Dieu incarnée a prétendu nous déclarer dans cet auguste mystère. Parce que nous sommes charnels, et, comme tels, accoutumés à ne rien comprendre que de charnel, le Verbe de Dieu a bien voulu lui-même ; se faire chair pour venir nous apprendre sensiblement, et, selon l'expression de ce Père, charnellement, que l'humilité est la seule voie qui conduit à ce repos du cœur si salutaire, et même absolument si nécessaire pour notre sanctification. Quand ce ne serait donc, conclu saint Bernard, que pour nous-mêmes, rendons-nous aujourd'hui dociles aux enseignements de ce Sauveur, et écoutons-le, ce Verbe divin : au moins dans l'état de sa chair : Quia nihil prœter carnem audire poteras, ecce Verbum caro factum est : audias illud, vel in carne (1). Mais ce n'est pas assez.

Il nous fait encore, Chrétiens, une seconde leçon non moins importante. Car quelle est l'autre source de ces combats intérieurs et de ces guerres intestines qui nous déchirent si cruellement? convenez-en avec moi; c'est la cupidité, l'envie d'avoir, un malheureux et damnable attachement aux biens de la terre. Vous y cherchez les douceurs de la vie, et l'ardeur

 

1 Bern

 

extrême qui vous brûle en fait le tourment de votre vie. En effet, quels soins empressés pour les acquérir! quelles peines pour les conserver ! quelles frayeurs au moindre danger de les perdre ! quels désirs insatiables de les augmenter ! quels chagrins de n'en avoir pas assez pour satisfaire ou à vos prétendus besoins, ou à vos dépenses superflues! quelle douleur, quel accablement, quelle consternation, quand malgré vous ils vous échappent des mains, et qu'une mauvaise affaire, qu'un accident imprévu vous les enlève ! quelle honte de tomber par là non-seulement dans la disette, mais dans l'humiliation ! quel regret du passé ! quelles alarmes sur le présent 1 quelles inquiétudes sur l'avenir, au milieu de tant de risques inévitables dans le commerce du monde, au milieu de tant de révolutions et de revers dont vous êtes témoins, et à quoi tous les jours vous vous trouvez vous-mêmes exposés !

Le remède, c'est le détachement évangélique. Donnez-moi un homme pauvre de cœur, rien ne sera capable de l'altérer ; c'est-à-dire donnez-moi un homme vraiment détaché des biens sensibles, à quelque épreuve qu'il plaise à Dieu de le mettre, dans l'adversité comme dans la prospérité, dans l'indigence comme dans l'abondance, il jouira d'une paix profonde. Usant de ses biens comme n'en usant pas, et, selon la maxime de saint Paul, les possédant comme ne les possédant pas, il sera disposé à tous les événements. Tranquille comme Job, et inébranlable au milieu des calamités du monde, il se soutiendra par la grande pensée dont ce saint homme était pénétré, et qui conservait le calme dans son âme : Si bona suscepimus de manu Domini, mala quare non suscipiamus (1) ? si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, pourquoi, avec la même soumission, n'en recevrions-nous pas les maux? Dans les disgrâces et dans les pertes, préparé comme Job à les supporter, il dira avec lui : Dominus dedit, Dominus abstulit (2) : c'était le Seigneur qui me les avait donnés, ces biens ; c'est lui qui me les a ôtés : il ne m'est rien arrivé que ce qu'il a voulu; que son nom soit à jamais béni : Sit nomen Domini benedictum (3). Heureux état ! solide et ferme soutien ! ressource contre les malheurs de la vie, toujours prèle, et qui ne peut jamais manquer !

Or, c'est ce que votre Sauveur vient aujourd'hui vous apprendre par un exemple bien plus propre encore à vous convaincre et à faire impression sur vos esprits, que celui de Job.

 

1 Job II, 10. — 2 Ibid., I, 21. — 3 Ibid.

 

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C'est ce que vous prêche l’étable, la crèche, les langes de cet Enfant-Dieu : Hoc nobis prœdicat stabulum, hoc clamat prœsepe, hoc panni evangelizant (1), C'est lui qui vous apprend que les pauvres de cœur sont heureux, et qu'il n'y a même dans la vie que les pauvres de cœur qui soient heureux et qui le puissent être : Beati pauperes spiritu (2); qu'une partie donc, mais une partie essentielle de notre béatitude sur la terre, est d'avoir le cœur libre et dégagé de l'attachement aux biens de la fortune. Il ne commence pas seulement à l'enseigner, mais à le persuader au monde. En effet, à peine a-t-il paru dans le monde avec toutes les marques de la pauvreté dont il est revêtu, que je vois des pauvres (ce sont les pasteurs), non-seulement soumis et résignés, mais bénissant, mais glorifiant Dieu dans leur état; des pauvres qui, touchés de ce qu'ils ont vu en Bethléem, s'en retournent, quoique pauvres, comblés de joie; des pauvres contents de leur sort, et ne portant nulle envie aux riches de Jérusalem, parce qu'ils ont connu dans la personne de ce divin Enfant le bonheur et les prérogatives infinies de leur condition : Et reversi sunt pastores glorificantes et laudantes Deum (3). A peine a-t-il paru dans retable, que je vois des riches (ce sont les mages), qui, bien loin de mettre leur cœur dans leurs richesses, viennent mettre leurs richesses à ses pieds; qui se font en sa présence un mérite de les mépriser, d’y renoncer, de s'en dépouiller. Les uns et les autres heureux, parce qu'en se conformant à ce Dieu pauvre, ils ont trouvé le chemin de la paix.

Crèche adorable de mon Sauveur, c'est toi qui me fais aujourd'hui goûter la pauvreté que j'ai choisie, c'est toi qui m'en découvres le trésor, c'est toi qui me la rends précieuse et vénérable, c'est toi qui me la fais préférer à tous les établissements et à toute l'opulence du monde. Confondez-moi, mon Dieu, si jamais ces sentiments, seuls dignes de vous, seuls dignes de ma profession, et si nécessaires enfin pour mon repos, sortaient de mon cœur. Vous les y avez conservés jusqu'à présent, Seigneur, et vous les y conserverez. Cependant, cette paix avec nous-mêmes, tout avantageuse qu'elle est, ne suffit pas encore, si nous n'y joignons la paix avec le prochain : et c'est la troisième instruction que nous devons tirer de la naissance de Jésus-Christ, comme vous l'allez voir dans la dernière partie.

 

1 Bern. — 2 Matth., V, 3. — 3 Luc, II, 20.

 

TROISIÈME   PARTIE.

 

La paix avec le prochain est le fruit de la charité ; et la charité, selon saint Paul, est l'abrégé de la loi chrétienne. Il ne faut donc pas s'étonner si le même apôtre nous a marqué, comme un des caractères les plus essentiels de l'esprit chrétien, le soin de conserver la paix avec tous les hommes, puisqu'il est évident que fous les hommes sont compris sous le nom de prochain. Si fieri potest, quod ex vobis est, cum omnibus hominibus pacem habentes (1) : si cela se peut, disait-il aux Romains en les instruisant et en les formant au christianisme, si cela se peut, et autant qu'il est en vous, vivez en paix avec tout le monde : voilà l'esprit de votre religion, et par où l'on reconnaîtra que vous êtes les disciples de Celui qui, dès son berceau, a été le prince et le Dieu de la paix.

Pesons bien ces paroles, qui sont substantielles : Si fieri potest, si cela se peut : l'impossibilité, dit saint Chrysostome, est la seule excuse légitime qui puisse devant Dieu nous disculper, quand nous ne vivons pas avec nos frères dans une paix et une union parfaite; et, hors l'impuissance absolue, toute autre raison n'est qu'un vain prétexte dont nous nous flattons, mais qui ne servira qu'à nous confondre au jugement de Dieu. Quod ex vobis est, autant qu'il est en vous; en sorte que nous puissions sincèrement protester à Dieu, que nous puissions nous rendre à nous-mêmes témoignage qu'il n'a jamais tenu à nous, jamais dépendu de nous que nous n'eussions avec nos frères cette paix solide fondée sur la charité, l'ayant ardemment désirée, l'ayant de bonne foi recherchée, ayant toujours été préparés et d'esprit et de cœur à ne rien épargner pour y parvenir. Cum omnibus, la paix avec tous, sans en excepter un seul : l'exclusion d'un seul suffit pour nous rendre prévaricateurs, et sujets à toutes les peines dont Dieu menace ceux qui troublent ou qui rompent la paix. Rompre la paix avec un seul, c'est, selon Dieu, quelque chose d'aussi mortel que de violer un seul commandement. La paix avec tous, un seul excepté, nous devient donc inutile pour le salut; et ce seul que nous exceptons doit s'élever pour demander vengeance contre nous au dernier jour. Cum omnibus hominibus, la paix avec tous les hommes, même avec ceux qui y sont plus opposés et qui ne la veulent pas : les forçant par notre conduite à la vouloir, et, à l'exemple de David, gardant un esprit

 

1 Rom., XII, 18.

 

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de paix avec les ennemis de la paix : Cum his qui oderunt pacem, eram pacificus (1).  Car, comme ajoute saint Chrysostome, vivre en paix avec des âmes pacifiques, avec des esprits modérés, avec des humeurs sociables, à peine serait-ce une vertu de philosophe et de païen; beaucoup moins doit-elle passer pour une vertu surnaturelle et chrétienne. Le mérite de la charité, disons mieux, le devoir de la charité, est de conserver la paix avec des hommes difficiles, fâcheux, emportés : pourquoi? parce qu'il peut arriver, et parce qu'en effet il arrive tous les jours que les plus emportés et les plus fâcheux, les plus difficiles et les plus chagrins, sont justement ceux avec qui nous devons vivre dans une plus étroite société, ceux dont il nous est moins possible de nous séparer, ceux à qui, dans l'ordre de Dieu, nous nous trouvons attaches par des liens plus indissolubles. Il faut donc, dit ce saint docteur, que, par rapport même à ces sortes d'esprits, nous ayons un principe de paix sur quoi puisse être solidement établie la tranquillité du commerce que la charité chrétienne doit maintenir entre eux et nous.

Or, quel est-il ce principe? le voici : une sainte conformité avec Jésus-Christ naissant. Entrons dans son cœur, prenons-en les sentiments, tâchons à nous mettre dans les mêmes dispositions que lui, contemplons son étable et approchons de sa crèche. Remplissons-nous des vives lumières qu'il répand dans les âmes, et comprenons bien surtout deux choses : premièrement, c'est un Dieu qui, pour témoigner aux hommes sa charité, commence par se dépouiller pour eux de tous ses intérêts : secondement, c'est un Dieu qui, pour gagner nos cœurs, nous prévient, suivant le langage du Prophète, de toutes les bénédictions de sa douceur, et qui s'attendrit pour nous jusqu'à se revêtir, tout Dieu qu'il est, de notre humanité; disons mieux, et dans un sens plus propre à mon sujet, jusqu'à devenir personnellement pour nous, comme parle l'Apôtre, la bénignité et l'humanité même : Apparuit benignitas et humanitas (2). Deux moyens qu'il nous présente pour entretenir une paix éternelle avec nos frères : désintéressement et douceur. Dépouillons-nous en faveur de nos frères de certains intérêts qui nous dominent ; soyons, à l'égard de nos frères, doux et humains : plus d'inimitiés alors, plus de divisions ; paix inviolable, paix inaltérable. Quel bonheur pour moi et quel avantage pour vous, si je pouvais, en

 

1 Psalm., CXIX, 7. — 2 Tit., III, 4.

 

finissant, vous persuader ces deux devoirs si indispensables dans la religion que nous professons, et si nécessaires dans tous les états de la vie 1 Ceci demande une réflexion toute nouvelle.

C'est, dis-je, un Dieu qui, par amour pour nous, et pour témoigner aux hommes son immense charité, se dépouille de tous ses intérêts ; qui, de maître qu'il était, se fait obéissant; de grand qu'il était se fait petit; de riche qu'il était se fait pauvre : Quoniam propter vos egenus factus est, cum esset dives (1). Et je prétends que ce désintéressement est le plus prompt et le plus infaillible moyen pour.[concilier les cœurs, et pour nous unir tous dans une paix solide et durable.

Car, comme raisonne saint Bernard, prétendre vivre en paix avec nos frères, sans qu'il nous en coûte rien, sans vouloir leur sacrifier rien, sans jamais leur céder en rien, sans nous incommoder pour eux, ni nous relâcher sur rien ; nous flatter d'avoir cette charité chrétienne qui est le lien de la paix, et cependant être toujours aussi entiers dans nos prétentions, aussi jaloux de nos droits, aussi déterminés à n'en rien rabattre, aussi vifs sur le point d'honneur, aussi attachés à nous-mêmes ; abus, mes chers auditeurs : ce n'est pas ainsi que le Dieu de la paix nous l'a enseigné. Il ne fallait point pour cela qu'il vînt au monde, ni qu'il nous servit de modèle : nous n'avions sans lui que trop d'exemples de cette charité intéressée. Il était inutile que ce Dieu fait homme nous apportât un commandement nouveau : de tout temps les hommes s'étaient aimés de la sorte les uns les autres, et cette prétendue charité était aussi ancienne que le monde ; mais aussi le monde, avec cette charité prétendue, n'avait jamais été ni ne pouvait jamais être en paix.

C'est l'intérêt, Chrétiens, qui nous divise. Otez la propre volonté, disait saint Bernard, il n'y aura plus d'enfer ; et moi je dis : Otez l'intérêt propre, ou plutôt la passion de l'intérêt propre, et il n'y aura plus parmi les hommes de dissensions, plus de querelles, plus de procès, plus de discordes dans les familles, plus de troubles dans les communautés, plus de factions dans les états : la paix avec la charité régnera partout. Elle régnera entre vous et ce parent, entre vous et ce frère, cette sœur; entre vous et cet ami, ce voisin, ce concurrent. Dès que vous voudrez pour lui vous déporter de tel ou tel intérêt, qui fait contre vous son chagrin, dès là vous aurez avec lui la paix ; et

 

1  2. Cor., VIII, 9.

 

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souvent même, selon le monde, la paix que vous aurez avec lui vaudra mieux pour vous que l'intérêt qu'on vous disputait et à quoi vous renoncez. Détachés de nos intérêts, nous ne contesterons avec personne, nous ne nous brouillerons avec personne, nous ne romprons avec personne ; et, par une infaillible conséquence nous goûterons les douceurs de la société, nous jouirons des avantages de la pure et sincère charité : semblables aux premiers chrétiens, n'ayant tous qu'un cœur et qu'une âme, nous trouverons dans cette union mutuelle une béatitude anticipée, et comme un avant-goût de l'éternelle félicité.

Or, à la vue de Jésus-Christ, pouvons-nous avoir d'autres sentiments que ceux-là? si nous sommes chrétiens, je dis de vrais chrétiens, nous faut-il un autre juge que ce Dieu-Sauveur, et un autre tribunal que la crèche où il est né, pour vider tous les différends qui naissent entre nous et nos frères? Un chrétien, rempli des idées que lui inspire un mystère si touchant, voudrait-il appeler de ce tribunal, et aurait-il peine à remettre aujourd'hui tousses intérêts entre les mains d'un Dieu qui ne vient au monde que pour y apporter la paix ? Voilà, mon cher auditeur, ce que je vous demande en sou nom. Si votre frère n'a pas mérité ce sacrifice, souvent très-léger, que vous lui ferez de votre intérêt, Jésus-Christ le mérite pour lui. Si votre frère est mal fondé dans ses prétentions, et s'il n'est pas juste que vous lui cédiez, au moins est-il juste que vous cédiez à Jésus-Christ. Ce que vous refusez à l'un, donnez-le à l'autre; ce que vous ne voulez pas accordera votre frère, donnez-le à la charité et à Jésus-Christ : par là vous achèterez la paix, vous l'achèterez à peu de frais, et parla même vous la conserverez.

Mais peut-être s'agit-il de tout autre chose entre vous et le prochain ; peut-être, indépendamment de tout intérêt, ce qui vous divise n'est-ce de votre part qu'une fierté qui l'a choqué, qu'un emportement qui l'a irrité, qu'une parole aigre dont il s'est senti piqué, que des manières dures dont il s'est tenu offensé, qu'un air de hauteur avec lequel vous l'avez traité? Si cela est, il ne dépend, pour le satisfaire, que de vous adoucir à son égard, que de lui donner certaines marques de votre estime, que de lui rendre certains devoirs, que de le prévenir par quelques démarches qui le ramèneront infailliblement et l'attacheront à vous.

Je ne le puis, dites-vous ; j'y sens une opposition invincible, et je n'en viendrai jamais là.

Rentrez, encore une fois, rentrez, mon cher auditeur, dans l’étable de Bethléem : vous y verrez le Dieu de la paix incarné et humanisé, ou plutôt, vous y verrez dans sa personne la bénignité même incarnée, la grandeur même de Dieu humanisée. Je le répète, vous y verrez un Dieu qui, pour vous attirer à lui, n'a point dédaigné de vous rechercher; qui, par une condescendance toute divine de son amour, s'est fait même comme une gloire de vous prévenir. S'il eût attendu que vous, pécheur, vous son ennemi et son ennemi déclaré, vous eussiez fait les premiers pas pour retourner à lui, où en étiez-vous, et quelle ressource vous restait pour le salut? Cependant, malgré l'exemple de votre Dieu, vous vous faites et vous osez vous faire je ne sais quel point d'honneur de n'aller jamais au-devant de votre frère pour le rapprocher de vous et pour l'engager lui-même à revenir. Malgré la loi de la charité, et d'ailleurs même après avoir été l'agresseur, vous conservez contre lui de scandaleux et d'éternels ressentiments : n'est-ce pas renverser tous les principes du christianisme, et vous exposer à de terribles malédictions du ciel ?

Vous y verrez un Dieu qui, pour vous gagner, vous comble des bénédictions de sa douceur ; un Dieu qui, pour se rendre plus aimable, quitte tout l'appareil de la majesté, et qui s'humanise, non-seulement jusqu'à paraître, mais jusqu'à devenir en effet homme comme vous; un Dieu qui, sous la forme d'un enfant, vient s'attendrir sur vous de compassion, et pleurer, non pas ses misères, mais les vôtres. Car c'est ainsi, dit saint Pierre Chrysologue, qu'il a voulu naître, parce qu'il a voulu être aimé : Sic nasci voluit, qui voluit amari (1). Parole touchante et digue de toutes nos réflexions! c'est ainsi qu'il a voulu naître, parce qu'il a voulu être aimé. Il aurait pu naître, et il ne tenait qu'à lui de naître dans la pompe et dans l'éclat de la magnificence royale; mais, en naissant de la sorte, il n'aurait été que respecté, que révéré, que redouté, et il voulait être aimé. Or, pour être aimé, il devait s'abaisser jusqu'à nous ; pour être aime, il devait être semblable à nous; pour être aimé, il devait souffrir comme nous. Et c'est pourquoi il a voulu naître dans l'état de faiblesse et d'abaissement où ce mystère nous le représente : Sic nasci voluit, qui voluit amari. Après cela, Chrétiens, affectez des airs dédaigneux et hautains envers les autres, traitez-les en esclaves, avec empire, avec dureté, et non pas en frères,

 

1 Petr. Chrysol.

 

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avec patience, avec bonté; rendez-vous inflexibles à leurs prières et insensibles à leurs besoins. N'est-ce pas démentir voire religion? N'est-ce pas même violer les droits de  l'humanité? Je serais infini, si j'entreprenais de développer ce point de morale dans toute son étendue.

Quoi qu'il en soit,mes chers auditeurs, voilà la sainte et divine paix que nous devons capitalement désirer, et qui ne nous coûtera jamais trop, a quelque prix qu'elle vous puisse être vendue. La paix avec nos frères, et, sans exception, la paix avec tous les hommes : cum omnibus hominibus pacem habentes. Mais quel est notre aveuglement et le sujet de notre confusion? le voici : dans les temps où Dieu nous afflige par le fléau de la guerre, nous lui demandons la paix; et, dans le cours de la vie, nous or travaillons a rien moins qu'à nous procurer la véritable paix. C'est-à-dire, nous demandons à Dieu une paix qui ne dépend pas de nous, une paix qui n'est pas de notre ressort, une paix pour la conclusion de laquelle nous ne pouvons rien; et nous ne pensons pas à nous procurer celle qui est entre nos mains, celle dont nous sommes nous-mêmes les arbitres, celle dont Dieu nous a chargés, et dont il veut que nous lui soyons responsables. Nous faisons des vœux afin que les puissances de la terre s'accordent entre elles, pour donner au monde une paix que mille difficultés presque insurmontables semblent quelquefois rendre comme impossible; et nous ne voulons pas finir de pitoyables différends dont nous sommes les maîtres, qu'il nous serait aisé de terminer, que notre seule obstination fomente; et ces puissances de la terre si difficiles à réunir, sont souvent plutôt d'accord que nous ne le sommes les uns avec les autres. Cette paix entre les couronnes, malgré tous les obstacles qui s'y opposent, est plutôt conclue qu'un procès qui fait la ruine et la désolation de toute une famille n'est accommodé. Ah! Seigneur, je ne serais pas un fidèle ministre de votre parole, si dans un jour aussi solennel que celui-ci, où les anges, vos ambassadeurs, nous ont annoncé et promis la paix, je ne vous demandais, au nom de tous mes auditeurs, cette paix si désirée, qui doit pacifier tout le monde chrétien; cette paix dont dépend le bonheur de tant de nations; cette paix pour laquelle votre Eglise s'intéresse tant et avec tant de raison; cette paix que vous seul pouvez donner, et qui désormais ne peut être que l'ouvrage de votre providence miraculeuse et de votre absolue puissance. Je n'aurais pas, comme ministre de votre parole, le zèle que je dois avoir, si, à l'exemple de vos prophètes, je ne vous disais aujourd'hui : Da pacem. Domine, sustinentibus te, ut prophetœ tui fideles inveniantur : Donnez la paix, Seigneur, à votre peuple, afin que ce ne soit pas en vain que nous l'ayons engage à apaiser votre colère pour l'obtenir. Donnez-lui la paix, puisqu'entre les prospérités, quoique humaines et temporelles, qu'il lui est permis d'espérer, la paix est celle qui vient plus immédiatement de vous et qui peut le plus contribuer à votre globe. Mais je serais, ô mon Dieu, encore plus prévaricateur de mon ministère, si préférablement à celle paix, toute nécessaire et toute importante qu'elle est, je ne vous demandais, pour moi et pour ceux qui m'écoutent, celle qui doit nous réconcilier avec vous, celle qui doit nous réconcilier avec nous-mêmes, celle qui doit nous réconcilier avec nos frères; celle qui doit nous réconcilier avec vous, par une généreuse et sainte pénitence; celle qui doit nous réconcilier avec nous-mêmes, par un vrai détachement et une sincère humilité; celle qui doit nous réconcilier avec nos frères, par une tendre et cordiale charité.

Ramassons en deux mots tout ce mystère, et finissons. Le Seigneur est le Dieu des armées , qui vient au monde pour y faire régner la paix, et qui veut être aujourd'hui glorifié par toute la terre en qualité de roi pacifique : Magnificatus est Rex pacificus super faciem universœ terrœ (1). Voilà, Sire, ce que chante l'Eglise dans cette auguste solennité ; voilà ce que nous célébrons : modèle admirable pour Votre Majesté, et que je lui propose ici avec d'autant plus d'assurance, que je sais que c'est le modèle qu'elle se propose elle-même, et sur lequel elle se forme. Car, sans oublier la sainteté de mon ministère, et sans craindre que l'on m'accuse de donner à Votre Majesté une fausse louange, je dois, comme prédicateur de l'Evangile, bénir le ciel, quand je vois, Sire, dans votre personne, un roi conquérant, et le plus conquérant des rois, qui met néanmoins toute sa gloire à être aujourd'hui reconnu le roi pacifique, et distingué comme tel entre tous les rois du monde. Je dois, en présence de cet auditoire chrétien , rendre à Dieu de solennelles actions de grâces, quand je vois dans Votre Majesté un monarque victorieux et invincible, dont tout le zèle est de pacifier l'Europe, dont toute l'application est d'y travailler et d'y contribuer par ses soins,

 

1 Eccles. Offic.

 

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dont toute l'ambition est d'y réussir, et qui par là est sur la terre l'image visible de celui dont le caractère est d'être tout ensemble, selon l'Ecriture, le Dieu des armées et le Dieu de la paix.

Cette paix est l'ouvrage de Dieu, et nous reconnaissons plus que jamais que le monde ne la peut donner : mais notre confiance, Sire, est que, malgré le monde même, Dieu se servira de Votre Majesté, de sa sagesse, de ses lumières, de la droiture de son cœur, de la grandeur de son âme, de son désintéressement pour donner cette paix au monde. Ce qui nous console, c'est que Votre Majesté, suivant les règles de sa religion, ne fait la guerre aux ennemis de son Etat que pour procurer plus utilement et plus avantageusement cette paix à ses sujets. Ce qui nous rassure, c'est que, dans les vues qui la font agir,toutes ses conquêtes aboutissent là , et qu'elle ne gagne des batailles, qu'elle ne force des villes, qu'elle ne triomphe partout, que pour parvenir plus sûrement et plus promptement à cette paix. Ce qui soutient nos espérances, et au même temps ce qui augmente notre vénération et notre zèle pour Votre Majesté, c'est que son amour pour son peuple l'emportera toujours en ceci par-dessus ses intérêts propres, et que , touchée de ce motif, il n'y aura rien qu'elle ne sacrifie au bien de cette paix : qu'ainsi, en véritable imitateur du Dieu des armées et du Dieu de la paix, vous aurez, Sire, l'avantage, après avoir été le héros du monde chrétien, d'en être encore le pacificateur. Car voilà ce qui mettra le comble à vos travaux héroïques, voilà ce qui couronnera votre règne, voilà ce qui achèvera votre glorieuse destinée.

Accomplissez mes vœux, Seigneur, ou plutôt bénissez les intentions de ce roi pacifique et conquérant, qui sait si bien se conformer aux vôtres! Donnez-nous par lui cette paix que vous nous promettez aujourd'hui par le ministère de vos anges : et s'il était vrai que vous fussiez encore irrité contre les hommes, si les péchés des hommes méritaient encore les fléaux de votre justice, permettez-moi, Seigneur, de vous faire ici la prière que vous fit autrefois David , et de vous dire comme lui dans le même esprit : Dissipa gentes quœ bella volunt (1) : dissipez ces nations opiniâtres qui veulent la guerre; renversez leurs desseins, rompez leurs alliances, rendez vaines leurs entreprises , troublez leurs conseils. Souffrez que j'ajoute avec le même prophète : Effunde iram tuam in gentes quœ te non noverunt, et in regna quœ nomen tuum non invocaverunt (2) : s'il faut, ô mon Dieu, que votre colère éclate, répandez-la sur ces nations qui ne vous connaissent point, et sur ces royaumes qui n'invoquent point votre nom, c'est-à-dire sur ces nations où la vérité de votre religion n'est pas connue, et sur ces royaumes où l'hérésie a aboli la pureté de votre culte. Mais, par un effet tout contraire, répandez votre miséricorde sur ce royaume chrétien , où vous êtes invoqué, servi, adoré en esprit et en vérité; répandez-la sur ce monarque qui m'écoute, et qui, plus zélé pour votre gloire que pour la sienne, met aujourd'hui à vos pieds, non-seulement son sceptre et sa couronne, mais toute la gloire de ses conquêtes , pour vous en faire un hommage comme au Dieu de la paix ; qui, pour le bien de votre Eglise, préfère cette paix à l'accroissement de son empire, et qui, au milieu de ses prospérités et du succès de ses armes, ne refuse pas pour elle de se relâcha de ses droits. Dans des dispositions si saintes, que ne doit-il pas attendre de vous? et quels effets, ou plutôt quels miracles de protection n'avons-nous pas droit de nous promettre pour lui ? C'est l'homme de votre droite, Seigneur : étendez sur lui votre main ; animez-le de votre esprit, remplissez-le de vos lumières, fortifiez-le de votre grâce. Fiat manus tua super virum dexterœ tuœ (3). Tandis que vous le soutiendrez, toutes les puissances du monde, quoique liguées et conjurées, ne prévaudront pas contre lui ; et, avec voire divin secours, nous ne doutons point, ô mon Dieu ! que nous n'obtenions enfin cette paix salutaire, que nous vous demandons comme un des fruits de la naissance de notre adorable Sauveur , et comme un moyen qui nous aidera à mériter la bienheureuse et l'éternelle paix dont vos élus jouissent dans le ciel. Je vous la souhaite, mes chers auditeurs, au nom, etc.

 

1 Psalm., LXVII,  31.  — 2 Ibid., LXXVIII, 6. — 3 Ibid., LXXIX, 18.

 

 

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