SERMON POUR LE PREMIER JEUDI DE CARÊME.
SUR LA
COMMUNION.
ANALYSE
SUJET. Jésus-Christ, dit au centenier : J’irai moi-même,
et je le guérirai. Mais le centenier lui répondit : Seigneur, je ne suis pas
digne que vous entriez dans ma maison.
Ce
qui se passa entre Jésus-Christ et le centenier, c'est ce qui se renouvelle
encore entre Jésus-Christ et nous toutes les fois que nous approchons de la
sainte table. Jésus-Christ nous dit : J'irai, et je vous guérirai de vos
infirmités spirituelles : Ego veniam, et curabo. Et nous répondons à Jésus-Christ : Seigneur, je
ne suis pas digne : Domine, non sum dignus. Paroles efficaces, qui opèrent dans nous un effet
tout opposé à ce qu'elles signifient, et qui font cesser par notre humilité
même l'indignité que nous nous attribuons; mais qu'arrive-t-il souvent? c'est que nous nous appliquons ces paroles : Domine, non sum dignus, au delà des
intentions de Jésus-Christ; et que, par une humilité mal entendue, nous nous
servons de notre indignité pour nous éloigner trop aisément et trop longtemps
de la communion. Excuse ordinaire qu'il faut examiner dans ce discours.
Division. Sans parler ici des Justes, qui par un vrai
sentiment d'humilité se reconnaissent indignes de recevoir Jésus-Christ, et
sans examiner jusqu'où celte humilité doit être portée, et s'il est raisonnable
qu'elle aille jusqu'à les éloigner de la communion, parlons précisément des
pécheurs qui peuvent dire et qui disent en effet au Sauveur du monde, avec plus
de sujet que saint Pierre : Retirez-vous de moi, parce que je suis un
pécheur. Il y en a de trois sortes : pécheurs sincères, qui agissent de
bonne foi et qui ne sont pas trompés ; pécheurs aveugles, qui ne se connaissent
pas et qui se trompent eux-mêmes ; pécheurs hypocrites et dissimulés, qui
couvrent leur libertinage d'un voile de piété, et qui trompent les autres. Or,
dans les pécheurs sincères, cette excuse : Je ne suis pas digne, est une
raison; mais il faut éclaircir cette raison : première partie. Dans les
pécheurs aveugles , c'est un prétexte, et il est
important de leur ôter ce prétexte : deuxième partie. Dans les pécheurs
hypocrites et dissimulés, c'est un abus et même un scandale, et il est
nécessaire de combattre ce scandale et cet abus.
Première
partie. Dire : Je ne communie pas,
parce que je m'en crois indigne, c'est une raison dans un pécheur sincère, qui
ne laisse pas au milieu de ses désordres de conserver le fond de sa religion,
et qui traite avec Dieu de bonne foi : c'est, dis-je, mu raison, puisqu'on
effet le pécheur, tandis que son péché subsiste, ne peut approcher du sacrement
de Jésus Christ sans se rendre coupable d'un sacrilège. Mais cette raison a
besoin d'être éclaircie, et cet éclaircissement consiste à faire voir que le
pécheur, sais en demeurer là, doit se souvenir d'ailleurs de l'obligation où il
est de sortir au plus tôt de son état pour pouvoir être admis à la table du
Seigneur, en sorte que la communion soit un motif qui le réduise à la nécessité
de se convertir.
En
effet, il ne doit jamais séparer ces deux vérités : l'une, que Jésus-Christ
nous commande de manger sa chair; et l'autre, qu'il nous défend de la manger
indignement. Si le pécheur s'attache à l'une de ces vérités sans y joindre
l'autre, il s'égare et il se perd; mais s'il les embrasse toutes deux, il
commence à entrer dans la voie de Dieu. Car voici comment il raisonne : Je ne
puis communier avec mon péché; Jésus-Christ néanmoins m'ordonne de communier :
il faut donc que je quitte mon péché,
afin de satisfaire tout ensemble et à l'obligation de communier et à l'obligation
de bien communier.
Or,
comme le pécheur doit se parler de la sorte à lui-même, c'est ainsi que doivent
lui parler les ministres de l'Evangile. Si vous ne vous appliquez qu'à lui
remontrer le danger d'une communion indigne, il ne communiera pas. Si vous ne
lui représentez que la nécessité de communier, il communiera indignement. Et
voilà quelle a été la source de tous les maux qu'a produits la diversité des
opinions touchant l'usage de la divine Eucharistie. Les uns n'avaient dans la
bouche que des anathèmes contre les profanateurs de ce sacrement, pour les en
éloigner; et les autres ne pensaient qu'à donner aux peuples une haute idée des
fruits de ce sacrement, pour les y attirer. Mais que fallait-il ? joindre les menaces de ceux-là et les invitations de
ceux-ci.
C’est
le langage qu'ont tenu les Pères, surtout saint Chrysostome et saint Augustin.
Ils inspiraient tout à la fois de la crainte et de la confiance : et ce qu'ils
disaient en généra! est encore plus vrai par rapport à
ce saint temps de la Pâque. Il faut dire à un pécheur : Ne communiez pas dans
votre péché; autrement vous serez un profanateur du corps de Jésus-Christ. Mais
aussi faut-il ajouter : Ne manquez pas à communier; autrement vous serez un
déserteur du sacrement de Jésus-Christ, et vous violerez le précepte de
l'Eglise. Par ce précepte, l'Eglise n'a point prétendu dresser un piège aux
pécheurs, ni les exposer à commettre des sacrilèges; mais elle a voulu les
obliger, au contraire, et les forcer en quelque sorte à se purifier au moins de
temps en temps pur la pénitence. C'est pour cela qu'elle punissait autrefois si
sévèrement ces chrétiens scandaleux, qui laissaient passer la Pique quitter de
leur devoir ; et c'est par là même qu'elle engageait tant de pécheurs à rompre
leurs engagements criminels et réconcilier avec Dieu.
Cependant,
pour avoir séparé deux vérités qu'on ne devrait jamais proposer l'une sans
l'autre, voici toujours les deux écueils de l'esprit du siècle a conduit.
Pourvu qu'on persuade à un pécheur d'approcher des autels, on croit avoir
beaucoup gagné; et d'ailleurs, pourvu qu'on fasse entendre à un pécheur qu'il
n'y a point de communion pour lui tandis qu'il est dans l'habitude de sou
péché, on pense avoir tout fait. De là les uns abusent de la communion, et les
autres l'abandonnent. C'est pour les pécheurs, ô mon Dieu, comme pour les
Justes, que votre sacrement est institué : mais du reste pour quels pécheurs? pour les pécheurs pénitents.
Deuxième
partie. Dire : Je ne communie pas
parce que je m'en crois indigne, c'est un prétexte dans les pécheurs aveugles,
qui se flattant d'avoir de la religion, se trompent eux-mêmes ; et il est
important de leur ôter ce prétexte. Prétexte d'un prétendu respect, à quoi
j'oppose trois réflexions : 1° c'est un vain respect; 2° c'est un faux respect;
3° c'est un respect qui n'a nulle conformité avec celui qu'ont fait paraître
les vrais chrétiens, quand ils se sont séparés du sacrement de Jésus-Christ
selon les règles et l'esprit de l'Eglise.
1°
Vain respect, pourquoi ? parce qu'il n'opère rien. Si
c'était un respect solide et chrétien, on travaillerait donc à se mieux
disposer, et à se rendre moins indigne de Jésus-Christ. Mais on conserve
toujours le même attachement au monde, et sous cette
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apparence de respect, on
couvre un amour du monde dont on ne
veut point se déprendre, et qui fait renoncer an
sacrement.
Du
moins les conviés de l'Evangile qui s'excusèrent, dirent les vraies raisons qui
les arrêtaient ; mais les mondains dont il est ici question affectent de ne se
pas connaître, et se cachent à eux-mêmes la cause de leur désordre. Et ce qui
doit les convaincu que, par rapport à eux, ce respect dont ils se prévalent
n'est qu'un prétexte, c'est que, pour communier rarement, ils n'en communient
pas plus dignement. Or leur ôter ce prétexte, ce n'est pas les porter à la
communion tandis qu'ils mènent une vie imite mondaine, mais c'est les obliger à
parler juste, et à convenir qu'ils s'éloignent de Jésus-Christ, non parce,
qu'ils respectent son sacrement, mais parce qu'ils ne veulent pas s'assujettir
aux saintes lois que la religion leur prescrit pour en approcher.
2°
Faux respect, parce qu'il n'est pas accompagné de deux conditions essentielles
qu'il doit avoir; l'une est la douleur, l'autre le désir. Douleur d'être séparé
du corps de Jésus-Christ : car si j'honore Jésus-Christ autant que je dois
l'honorer, je dois regarder comme mon souverain mal dans cette vie d'en être
séparé, surtout si j'ai encore à me reprocher que c'est moi-même qui m'en
sépare par mon infidélité, et si je comprends tout le malheur d'une si triste
séparation. Mais avec quelle insensibilité les mondains se voient-ils séparés
du Dieu de leur salut ? Désir de recevoir Jésus-Christ; car le respect peut
bien m'engager quelquefois à me retirer de la communion ; mais il ne doit
jamais éteindre en moi, ni même diminuer le désir de la communion. Ainsi le
comprenaient les premiers fidèles. Que fait le mondain ? Confondant avec la
communion le désir de la communion, il renonce également à l'un et à l'autre,
et n'a plus pour le sacrement de Jésus-Christ qu'une indifférence de cœur dont
il devrait être effrayé. Et voilà ce que saint Chrysostome reprochait au peuple
d'Antioche avec tant de force.
3°
Respect qui n'a nulle conformité avec celui des premiers siècles de l'Eglise :
car dans ces siècles florissants du christianisme, tandis qu'un pécheur demeurait
séparé du corps de Jésus-Christ, il était dans les exercices d'une pénitence
laborieuse a laquelle il se condamnait ; mais toute la pénitence d'un mondain
se termine à ne plus communier.
Troisième
partie. Dire : Je ne communie pas,
parce que je m'en crois indigne, c'est dans les pécheurs hypocrites et
dissimulés un abus, et même un scandale. Dans toutes les contestations qui se
sont élevées sur le relâchement ou la sévérité de la discipline, certains
libertins du monde n'ont presque jamais manqué a se déclarer pour le parti
sévère, non pas afin de l'embrasser et de le suivre dans la pratique, mais
communément par un intérêt secret, et pour couvrir leurs desseins. Ainsi, pour
ne parler que de la communion, n'est-il pas étrange que tant de gens engagés
dans les plus honteux désordres aient paru les plus zélés à déclamer contre la
fréquentation du sacrement de nos autels ? Ce zèle peut partir d'un bon
principe dans de vrais fidèles : mais d'où peut-il venir dans des libertins, si
ce n'est de quelque intérêt particulier qu'ils y envisagent ? Que
prétendent-ils donc? Se mettre eu possession d'être libertins et d'abandonner
les sacrements avec impunité, et même en quelque manière avec honneur;
tellement qu'on ne puisse plus les distinguer des chrétiens les plus réguliers
et les plus exacts, puisqu'ils agissent et qu'ils parlent comme eux.
Or,
je prétends que ce langage qu'ils tiennent est un scandale, puisqu'il va a deux
choses également pernicieuses : 1° à décrier indifféremment les bonnes et les
mauvaises communions; 2° à détourner les âmes, non-seulement
de la communion, mais universellement de tout ce qu'il y a de saint dans la
religion.
1°
Je dis à décrier indifféremment les bonnes et les mauvaises communions: car
s'il est toujours dangereux, en blâmant la fausse piété, de décréditer la
vraie, beaucoup plus l'est-il de la part d'un libertin qui se soucie peu de
confondre l'une avec l'antre, et qui n'attaque l'une que parce qu'il est secrètement
ennemi de l'autre. Comme donc les enfants d'Héli éloignaient les hommes du
sacrifice ; comme les pharisiens n'entraient pas dans le royaume de Dieu, et
empêchaient encore les autres d'y entrer, ainsi retire-t-on des autels une
infinité de Justes.
2°
Je dis à détourner les âmes, non-seulement de la
communion, mais de tout ce qu'il y a de saint dans la religion. Car, dit saint
Chrysostome, supposé ce principe d'une humilité mal conçue, il faudra tout
quitter. Vous n'êtes pas digne de communier, dites-vous ; et êtes-vous digne
d'entrer dans le temple de Dieu ? Etes-vous digne de prier et d'invoquer Dieu ?
Etes-vous digne d'entendre la parole de Dieu ?
Appliquons-nous,
ministres de Jésus-Christ, et travaillons de concert à convertir les pécheurs,
et à perfectionner les âmes fidèles, pour préparer au Seigneur un peuple
parfait. L'Eglise ne sera jamais bien sanctifiée que par le bon usage de la
communion.
Ait
illi Jésus : Ego veniam, et
curabo eum. Et respondens centurio, ait :
Domine, non sum dignus ut intres sub tectum
meum.
Jésus-Christ
dit au centenier : J'irai moi-même, et je le guérirai. Mais le centenier lui
répondit : Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison. (Saint
Matthieu, chap. VIII, 7.)
Voilà, Chrétiens, entre
Jésus-Christ et le centenier une espèce de combat ; mais dans ce combat
qu'admirerons-nous davantage, ou la charité d'un Dieu, ou l'humilité d'un
païen? Je puis dire qu'il n'y eut jamais de contestation plus sainte, ni plus
propre tout ensemble, et à nous instruire, et à nous édifier. Le Sauveur du
monde, par un mouvement de sa charité bienfaisante, veut aller en personne dans
la maison du centenier, et le centenier ne croit pas pouvoir accepter cet
honneur. Le Fils unique de Dieu, dont la miséricorde n'a point de bornes, lui
dit qu'il ira, et que par sa présence il guérira son serviteur paralytique : Ego
venium, et curabo eum : mais le centenier, confus d'une si insigne
faveur, proteste hautement qu'il ne la mérite pas, et s'en reconnaît indigne : Domine,
non sum dignus. Prenez
garde, s'il vous plaît. C'est un Gentil à qui Jésus-Christ, en qualité de
Messie, n'a point été encore annoncé ni révélé comme aux Juifs; et cependant,
tout Gentil qu'il est, il se sent déjà prévenu pour ce Messie qui lui parle
d'une idée si haute et d'un respect si profond, qu'il ne peut même consentir à
recevoir sa visite. Humilité, s'écrie saint Augustin, qui procéda d'une foi
vive et ardente, et qui, par un effet sensible de la grâce du Rédempteur, tonna
dès lors dans ce Gentil, non-seulement un véritable
Israélite, mais un parfait chrétien. Humilité que Jésus-Christ agréa, que
Jésus-Christ admira, dont Jésus-Christ fit l'éloge; mais à laquelle il est
pourtant vrai qu'il ne déféra pas,
puisque ce fut au contraire pour cela
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même qu'il persista à vouloir
entrer chez le centenier.
Arrêtons-nous là, mes chers
auditeurs; et pour profiter selon le dessein de Dieu d'un si grand exemple,
appliquons-nous tout le mystère de cet évangile. Car, comme
dit saint Chrysostome, ce qui se
passa entre Jésus-Christ et le centenier, se renouvelle encore aujourd'hui
entre Jésus-Christ et nous. Je m'explique : ce même Sauveur, instituant la
divine Eucharistie, nous a laissé un sacrement par où il prétend se communiquer
à nous, et habiter, tout Dieu qu'il est, corporellement en nous; un sacrement
par où il vient en personne nous visiter, et guérir nos infirmités spirituelles
et nos faiblesses. Quand donc nous nous préparons à le recevoir dans ce mystère
adorable, il nous dit encore, avec autant de vérité qu'il le dit alors : Ego
veniam, et curabo :
J'irai : et en quelque état de langueur que vous soyez, si de bonne foi vous
voulez être guéris, je vous guérirai. Et nous, par un sincère aveu de notre
faiblesse et de notre néant, nous lui répondons comme le centenier : Non,
Seigneur, je ne suis pas digne que vous veniez à moi et dans moi. Car ce sont
les paroles vénérables que l'Eglise nous met dans la bouche, lorsque ce Dieu de
gloire, caché sous les sacrés symboles, est sur le point d'entrer dans nous : Domine,
non sum dignus :
paroles efficaces, qui, selon l'ingénieuse remarque de saint Augustin, ont la
vertu d'opérer dans l'âme chrétienne un miracle tout opposé à ce qu'elles
signifient ; puisqu'en même temps que
nous les proférons, elles font cesser l'indignité que nous nous attribuons, et
nous donnent à l'égard de Jésus-Christ et de son sacrement un fonds de mérite
que sans elles nous n'aurions pas. Paroles qui, par un secret merveilleux de la
grâce, nous conduisent au terme même dont elles semblent nous éloigner;
puisque, dans la doctrine de tous les Pères, la première et l'essentielle
disposition pour approcher dignement du corps de Jésus-Christ, est de nous en
croire et de nous en confesser indignes. Paroles enfin qui marinent au Fils de
Dieu notre humilité, sans mettre un obstacle à sa chanté, et qui, loin de le détourner
de nous, lui servent d'attrait pour venir à nous.
Mais qu'arrive-t-il, Chrétiens? suivez ma pensée. Nous nous
appliquons ces paroles, souvent au-delà des intentions mêmes de Jésus-Christ;
et pour en user trop selon nos vues, nous nous mettons en danger d'aller
directement contre les vues de ce Dieu Sauveur.
Comment cela? le
voici. Jésus-Christ nous recherche dans ce sacrement, et nous nous eu retirons;
il veut par un excès de son amour nous honorer de ses saintes visites, et nous
nous y opposons; il nous demande l'entrée dans notre cœur, et, sous des
prétextes non-seulement spécieux, mais religieux,
nous la lui refusons; car, pour nous disculper de ce refus, nous nous
retranchons sur notre indignité; et nous disons, mais par un esprit peut-être
bien différent que celui du centenier : Seigneur, je ne suis pas digne : Domine,
non sum dignus. Comme
cette excuse est la plus apparente et la plus commune, j'ai cru devoir m'y
attacher, non pas absolument pour la combattre, non pas aussi pour l'autoriser;
mais pour l'examiner dans ce discours, et pour avoir lieu de vous instruire des
plus solides et des plus importantes vérités qui regardent la pratique et
l'usage de la communion. Quel besoin pour cela n'aurai-je pas des lumières du
ciel? Demandons-les par l'intercession de la Mère de Dieu. Ave, Maria.
S'éloigner de la communion dans
la vue de son indignité, c'est une excuse, Chrétiens, qui, selon la qualité et
les dispositions de ceux qui s'en servent, peut avoir des caractères bien
différents ; et mon dessein , dont voici d'abord
l'idée, est de vous représenter aujourd'hui la différence de ces caractères,
pour vous faire juger de la nature de cette excuse, et des bonnes ou des
mauvaises conséquences qu'on en peut tirer. Car il y a dans le christianisme
deux sortes de personnes qui se fondent sur ce principe, et qui peuvent dire
avec le centenier : Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez chez moi :
les justes qui vivent dans la pratique de la loi de Dieu, et les pécheurs qui
sont engagés dans les désordres d'une vie criminelle. Pour les justes, on ne
peut guère douter que ce ne soit un sentiment d'humilité qui les fait parler de
la sorte ; mais de savoir jusqu'à quel point cette humilité doit être portée,
et s'il est raisonnable qu'elle aille jusqu'à les éloigner en effet de
Jésus-Christ et de son sacrement; de savoir si la privation de la divine
Eucharistie peut être censée pour une âme juste un exercice ordinaire de
pénitence, et si cette espèce de pénitence est conforme aux intentions du Fils
de Dieu ; si elle s'accorde avec la fin et l'institution de ce mystère, si elle
répond à l'usage de la primitive Eglise, si elle est reçue ou approuvée pur
l'Eglise des derniers siècles, si les Pères l'autorisent, et si elle peut être
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utile : en un mot, de savoir si Jésus-Christ, en tant qu'il
est contenu dans le sacrement de son corps , se tient honoré que les Justes, au
lieu d'aller à lui, se retirent de lui ; et si c'est lui rendre un vrai
respect, en tant qu'il est le pain de vie, que de se contenter seulement de le
révérer et de l'adorer, sans le manger; ce sont des questions, mes chers
auditeurs, où bien des raisons particulières et générales m'empêchent d'entrer,
et que je vous laisse à examiner vous-mêmes. Outre qu'il serait assez difficile
de vous rien dire de nouveau sur cette matière, peut-être le fruit en serait-il
moindre que je ne le dois prétendre d'un discours uniquement consacré à
l'édification de vos âmes.
Parlons donc précisément des pécheurs
qui, bien plus que saint Pierre , ont droit de dire à
Jésus-Christ : Retirez-vous de moi, parce que je suis un pécheur : Exi a me, quia homo peccator
sum (1). Je les divise comme en trois espèces.
J'appelle les premiers pécheurs sincères; les seconds, pécheurs aveugles; et
les derniers, pécheurs hypocrites et dissimulés : pécheurs sincères, qui
traitent avec Dieu de bonne foi, et qui ne sont pas trompés; pécheurs aveugles,
qui ne se connaissent pas, et qui se trompent eux-mêmes ; enfin, pécheurs hypocrites
et dissimulés , qui couvrent leur libertinage d'un
voile de piété et affectent de tromper les autres. Les premiers ont de la religion , et agissent par esprit de religion. Les seconds,
quoiqu'ils aient de la religion , se flattent et sont
dans l'erreur de croire qu'ils agissent par religion ; et les derniers, quoiqu'ils veuillent paraître agir par
religion, n'ont dans le fond nulle religion. Or ces trois sortes de pécheurs
peuvent tenir le langage de ce centenier de notre évangile : Domine, non sum dignus; et s'excuser de
communier sur ce qu'ils s'en jugent indignes. Mais, quoiqu'ils le disent
également, ils n'en doivent pas être également crus. Car, pour continuer à vous
développer mon dessein, dans les premiers, c'est-à-dire dans les pécheurs sincères,
cette excuse est une raison ; dans les seconds, c'est-à-dire dans les pécheurs
aveugles, cette excuse est un prétexte ; et dans les derniers, c'est-à-dire
dans les pécheurs hypocrites et libertins, cette excuse est un abus et même un
scandale; voilà ce que j'ai à vous montrer. Mais ce n'est pas assez, car à cela
j'ajoute trois choses qui vous feront connaître ces trois caractères de
pécheurs, et qui doivent être pour vous d'une grande instruction. Dire : Je ne
communie pas parce que j'en suis indigne,
c'est une raison dans un pécheur
sincère; mais moi je dis que cette raison a besoin d'être éclaircie. C'est un
prétexte dans un pécheur aveugle qui se flatte ; et il est important de lui
ôter ce prétexte. C'est un abus et un scandale dans un pécheur hypocrite ; et
il est de mon devoir de combattre ce scandale et cet abus : voilà tout le sujet
de votre attention.
PREMIÈRE PARTIE.
Pour bien expliquer ma première
pensée, je parle, Chrétiens, d'un pécheur qui ne laisse pas, au milieu de ses désordres , de conserver le fonds de sa religion ; qui
traite au moins de bonne foi et sincèrement avec Dieu ; qui reconnaît le
malheureux état de sa conscience; qui confesse son péché, qui en gémit et qui
le déplore, mais qui ne se sent pas néanmoins encore parfaitement disposé à le
quitter. S'éloigner alors de la communion, parce que l'on s'en trouve indigne,
j'avoue que c'est une raison, et une raison très-bien
fondée, puisqu'il est évident, et de la foi même, que le pécheur, tandis que
son péché subsiste, ne peut approcher de ce sacrement sans se rendre coupable
d'un sacrilège. Mais je dis, mes chers
auditeurs, que cette raison a besoin d'être éclaircie, et cet éclaircissement
consiste à vous faire voir que le pécheur n'en doit pus demeurer là, c'est-à-dire qu'il ne doit
pas tellement s'éloigner de la communion [tour son indignité, qu'il croie, en
s'abstenant de participer au divin
mystère, avoir satisfait pleinement à son devoir ; mais qu'il doit être persuadé d'un autre
principe non moins essentiel ni moins incontestable, je veux dire de
l'obligation où il est de sortir au plus tôt et incessamment de l'état de son
indignité, pour pouvoir être admis à la table du Seigneur ; en sorte que la
communion même lui soit un motif, mais un motif pressant, qui le réduise à la
nécessité de se convertir; et que, dans la vue de l'adorable sacrement dont son
péché le tient éloigné, il fasse les derniers efforts pour mériter, par une
véritable et prompte pénitence, de s'en approcher. Voilà, s'il connaît bien ses
devoirs, la disposition où il doit être, et sans laquelle je prétends qu'il n'y
a rien de solide dans sa conduite.
Car la grande maxime, Chrétiens,
sur laquelle doit rouler toute la conduite d'un pécheur, en ce qui regarde
l'usage de la communion, est de ne séparer jamais ces deux vérité» qui sont
deux règles inviolables dans le christianisme : l'une, que Jésus-Christ nous commande
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de manger sa chair ; l'autre, qu'il nous défend de la manger
indignement; l'une, que la chair de cet Homme-Dieu
doit être la nourriture de nos âmes : et l'autre, que cette nourriture, quoique
par elle-même salutaire, devient un poison pour quiconque en use dans l'état du
péché : l'une, que comme il est impossible d'entretenir la vie naturelle sans
le secours des aliments, aussi est-il impossible d'entretenir, sans la sainte
Eucharistie, la vie de la grâce ; et l'autre, que comme les aliments dans un
corps malade, bien loin de le fortifier et de le nourrir, l'affaiblissent et se
tournent en corruption, jusqu'à détruire le principe de la vie, ainsi la divine
Eucharistie cause-t-elle lu mort à tout homme qui, sans avoir purifié son cœur,
est assez téméraire pour la recevoir. Si le pécheur, s'attache à l'une de ces
vérités sans y joindre l'autre, il s'égare et il se perd; mais s'il les
embrasse toutes deux, il commence à entrer dans la voie de Dieu. Car écoutez
comment il raisonne. Jésus Christ me défend de manger sa chair, et me sépare de
lui, tandis que le péché règne en moi; il ne faut donc pas que je la mange dans
l'état présent où je suis. Mais il m'avertit d'ailleurs que si je ne la mange
pas, je n'ai pas en moi, ni ne puis avoir cette vie surnaturelle qui fait la
sanctification et le bonheur des Justes; il faut donc, quoi qu'il m'en coûte,
que je sorte de l'état où je suis, pour me rendre capable de la mander. Je ne
puis me dispenser d'obéir à l'un et à l'autre de ces deux commandements : au
premier, pour l'intérêt de Jésus-Christ ; au second, pour mon intérêt propre.
Si je communie indignement, je profane le corps du Seigneur; voilà l'intérêt de
Jésus-Christ, à quoi je dois pourvoir. Si je ne communie pas, je suis homicide
de mon âme, en la privant de ce qui seul peut la nourrir et la faire vivre ;
voilà mon intérêt propre que je dois sauver. Si je mange ce pain des anges, moi
pécheur et demeurant pécheur, je le mange à ma condamnation. Mais d'ailleurs si
je ne le mange pas, il est sûr que je périrai. Il ne me reste donc qu'un parti
à prendre, et qu'il faut que je prenne nécessairement, savoir, de changer de
vie, de renoncer à mon péché, de rentrer en grâce avec Dieu, et de me mettre en
état de manger ce pain vivant, afin qu'il puisse être pour moi un pain
vivifiant; car je satisferai par là à ce
qui regarde l'honneur de Jésus-Christ, et je satisferai par là même à ce qui
regarde mon avantage particulier. Ainsi j'accomplirai tout ce que Dieu exige de
moi, qui est que je mange et que je vive de ce pain en le mangeant utilement.
Voilà, dis-je, comment il raisonnera ; et ce raisonnement, encore une fois,
sera la cause déterminante et infaillible de sa conversion ; au lieu que s'il
s'arrête uniquement à son indignité, il en demeurera toujours au terme d'une
vie criminelle, sans rien résoudre pour son salut, et sans faire aucune
démarche pour retourner promptement à Dieu.
Or, ce principe, Chrétiens, que
le pécheur lui-même doit s'appliquer, est encore celui dont les ministres de
Jésus-Christ doivent se servir en travaillant à son instruction. De ces deux
préceptes que je viens de vous expliquer, ils ne doivent jamais lui représenter
l'un sans le faire au même temps souvenir de l'autre. Pourquoi ? parce que l'un sans l'autre ne lui peut être qu'inutile, ou
même préjudiciable. Car si vous remontrez sans cesse à un pécheur l'affreux
danger d'une communion indigne, sans jamais lui parler de la nécessité
indispensable d'une bonne communion, vous le portez à ne communier jamais,
contre le commandement du Fils de Dieu : Nisi
manducaveritis carnem Filii Hominis, non habebitis vitam in vobis (1).
Au contraire, si vous lui parlez seulement de la nécessité de communier, sans
jamais lui faire craindre le danger d'une communion indigne, vous lui donnez
lieu de faire bien des communions imparfaites et même sacrilèges, contre le
commandement de saint Paul : Probet autem seipsum homo (2). Et
voilà, mes chers auditeurs (permettez-moi de faire ici une réflexion dont je
suis certain que vous conviendrez avec moi), voilà quelle a été la source de
tous les maux qu'a produits la diversité des opinions qu'on a vue de tout temps
dans l'Eglise, et qui si souvent a partagé les esprits touchant l'usage du
sacrement de nos autels. Les uns bornant leur zèle à intimider les pécheurs,
pour les éloigner des saints mystères; et les autres à leur donner de la
confiance pour les en approcher; ceux-ci leur répétant mille fois ces paroles
terribles : Qui manducat indigne, judicium sibi manducat
et bibit (3) ; et ceux-là les invitant toujours
par ces paroles consolantes : Qui manducat hunc panem, vivet
in œternum (4) : les premiers réduisant toute
leur conduite à donner horreur des communions indignes; et les seconds semblant
la rapporter toute à exciter dans les cœurs le désir d'une sainte communion, ni
les uns ni
200
les autres ne s'unissaient
parfaitement pour l'exécution des desseins de Jésus-Christ. S'ils étaient
convenus ensemble, on aurait fait de leurs divers sentiments un tempérament admirable , dont l'Eglise aurait profité, et qui était le
grand moyen de sanctifier les pécheurs. Mais parce qu'ils ne s'entendaient pas,
et que chacun d'eux peut-être abondait en son sens, ni les pécheurs, ni
l'Eglise n'en tiraient l'avantage que Dieu prétendait. Car ceux qui n'avaient
dans la bouche que les anathèmes de la parole de Dieu contre les abus de la
communion , sans jamais rien dire qui pût servir d'attrait à ce sacrement,
allaient peu à peu à en abolir l'usage, et à faire disparaître de la table de
l'époux tous les conviés ; mais ceux aussi qui ne pensaient qu'à donner une
haute idée des fruits de la communion, et qui se proposaient d'attirer à la
table du Sauveur un grand nombre de conviés, se mettaient au hasard, comme les
serviteurs de la parabole, d'y attirer indifféremment les bons et les mauvais.
Ce qu'ils disaient de part et d'autre pouvait être vrai, et cependant ils ne
disaient, ni de part ni d'autre, ce qui devait produire l'entier effet du
sacrement de Jésus-Christ, parce que chacun n'en disait qu'une partie. Que
fallait-il donc? c'est la judicieuse remarque du saint
évêque de Genève : il fallait dire tout et joindre aux menaces de ceux-ci les
invitations de ceux-là; dire aux pécheurs : Craignez d'approcher de cette
sainte table, et craignez de n'en approcher pas. Craignez d'en
approcher, si vous n'avez pas la robe de noces, qui est la grâce ; et
craignez de n'en approcher pas, parce qu'il n'y a que les ennemis de Dieu qui
en soient exclus. La viande qui vous est présentée est mortelle pour vous, si
vous n'en faites pas un juste discernement par l'esprit de la foi ; mais
comprenez aussi que c'est une viande
salutaire, sans laquelle le Fils de Dieu ne demeurera point en vous, ni vous en
lui. Ainsi, tremblez en recevant cette viande ; car trembler respectueusement,
c'est même une des dispositions nécessaires pour la recevoir ; mais tremblez
encore davantage si vous ne la recevez pas, parce que vous ne voulez pas y
apporter la préparation nécessaire. Voilà comment il fallait parler.
Et c'est, Chrétiens, le langage
qu'ont tenu tous les Pères de l'Eglise, quand ils se sont expliqués sur cette
matière. Comme ces grands hommes étaient conduits par l'esprit de Dieu, ils
n'ont eu garde de séparer ces deux choses, qu'ils savaient bien n'avoir jamais
été séparées dans l'intention du Sauveur du monde. Eprouvons-nous, disait saint Chrysostome, et jugeons-nous, de peur
qu'en participant au corps de Jésus-Christ, nous n'attirions sur nos tètes des
charbons de feu, c'est-à-dire l'indignation de Dieu et ses vengeances. Car
ainsi ce Père s'exprimait-il, et ces paroles étaient capables d'inspirer aux
fidèles qui l'écoutaient de la frayeur. Mais au même temps il y ajoutait le
correctif: Or, je ne vous dis point ceci afin que vous n'y participiez pas; à
Dieu ne plaise! mais pour vous engager à y participer
avec les dispositions et selon les règles que la loi de Dieu vous prescrit : Hoc
autem non dico ut non accedatis,
sed ut temere non accedatis. Car de même, poursuivait-il, que d'y
participer indiscrètement, c'est s'exposer à se perdre, aussi n'y point
participer, c'est la ruine et la mort de l'homme chrétien : Nam
sicut temere accedere periculum est, ita omnino non accedere fames est et mors.
J'en vois parmi vous, disait saint Augustin, qui se retirent de la communion,
parce qu'ils se sentent coupables : Adverto nonnullos ex vobis communionem declinare, idque ex conscientia gravium delictorum. Et moi,
reprenait-il (décision importante de ce saint docteur), je leur déclare
que, s'ils s'en tiennent précisément là. ils ne font
qu'augmenter le poids et le nombre de leurs péchés, en commettant encore un
nouveau péché, et se privant du plus nécessaire et du plus souverain remède : Hoc
est enim reatum congregare, et remedium declinare. Je vous conjure donc, mes Frères,
concluait-il, que si quelqu'un de vous se juge indigne de la communion, il
travaille à s'en rendre digne, parce que quiconque n'est pas digne de ce
sacrement, n'est pas digne de Dieu : Quapropter
hortor vos, Fratres, ut si quis ex vobis indignum
se communione ecclesiastica
putat, dignum se faciat. Voilà comment parlaient les Pères. Or, ce
qu'ils disaient généralement et absolument, est encore plus vrai par rapport à ce
saint temps où le précepte de Jésus-Christ, déterminé par celui de l'Eglise,
impose aux fidèles une obligation expresse et particulière de communier. Telle
est la solennité de Pâques, à laquelle nous devons nous préparer chaque jour de
ce carême, et qui ne peut être célébrée dans le christianisme que parla manducation
de l'agneau, qui est Jésus-Christ. Car se contenter alors de menacer un pécheur
de la colère de Dieu, s'il est assez téméraire pour communier dans l'état de
son péché, et no le pas menacer de la colère du même Dieu, s'il ne
201
quitte son péché, et s'il ne
communie pour satisfaire à ce commandement : Nisi manducaveritis, c'est ne l'instruire qu'à demi, et lui
donner lieu de fomenter par là son impénitence. Il faut lui signifier l'ordre
du Maître, j'entends du grand Maître, en lui disant ce que le Sauveur, par deux
de ses disciples, envoya dire à cet homme dont il avait choisi la maison pour y
faire la Pâque : Magister dicit : Apud te facio Pascha (1). C'est chez vous, mon Frère (ainsi
doit-on parler à un pécheur), c'est chez vous, ou plutôt dans vous, que le
mystère de la Pâque doit être accompli, puisque le temps approche où
Jésus-Christ, qui est la véritable Pâque des chrétiens, veut et doit être reçu
de vous dans l'adorable Eucharistie. Vous n'y êtes pas disposé ; mais c'est
pour cela même qu'on vous l'annonce de bonne heure, afin que vous vous y
disposiez, et que vous vous y disposiez sérieusement, promptement,
efficacement. Car il n'y a point ici de milieu pour vous. Demeurant dans votre
péché, et ne vous disposant pas, vous ne pouvez éviter d'être ou un
profanateur, ou un déserteur du sacrement de Jésus-Christ : un profanateur, si
vous mangez cette Pâque sans vous y être préparé par une conversion sincère; un
déserteur, si, faute de préparation et de conversion, vous vous trouvez hors
d'état de la manger. De prétendre qu'on a eu tort de vous réduire à cette
extrémité, c'est vouloir contrôler la conduite, et de l'Eglise qui est votre mère,
et de Jésus-Christ qui est votre Dieu. De dire que cette extrémité peut vous
porter à des abus, c'est vouloir vous Justifier par votre propre désordre, qui
consiste à abuser de tout, même des choses les plus saintes. Quoi qu'il en
soit, voici la peine dont l'Eglise, en vertu du pouvoir qu'elle a de lier et de
délier, est en droit, selon les canons, de punir votre désobéissance : savoir,
de vous retrancher de sa communion, comme un membre scandaleux, quand par
l'endurcissement de votre cœur, ou par un attachement opiniâtre à l'objet de
votre passion, vous venez à vous séparer vous-même de la communion du corps de
Jésus-Christ. Elle n'a point prétendu par là vous dresser un piège, ni vous
exposer au péril d'ajouter péché sur péché; mais comme une mère zélée, elle a
prétendu vous faire un devoir nécessaire, un devoir indispensable de ce qu'il y
a dans le christianisme que vous professez, de plus salutaire pour vous et de
plus sacré. Pour cela il faut rompre vos liens, et sortir des engagements
criminels où vous êtes;
mais c'est justement à quoi tend le
précepte de la communion. Pour cela il faut arracher l'œil qui vous scandalise,
c'est-à-dire renoncer à ce commerce, qui est le scandale de votre vie; mais
c'est en quoi vous devez admirer le précepte de la communion, qui vous force,
pour ainsi dire, à ce qui doit faire, selon Dieu, tout votre bonheur.
Et, en effet, quel a été le
dessein de l'Eglise quand elle a établi ces lois rigoureuses contre les
pécheurs endurcis qui désobéissent à ses ordres, et qui négligent de célébrer
la Pâque? Elle a voulu les obliger, les nécessiter, et, puisque le Saint-Esprit
même s'en explique ainsi, les contraindre en quelque manière à se purifier
parla pénitence, pour mériter d'être admis à la table de Jésus-Christ : Compelle intrare
(1). Voilà l'utile contrainte dont elle usait
autrefois, et la sainte violence qu'elle faisait à ces sortes de pécheurs. Car,
tout pécheurs qu'ils étaient, ne cessant pas d'être chrétiens et ses enfants,
elle se promettait de leur religion et de leur foi qu'ils ne seraient jamais
assez endurcis pour se présenter à cette table sans s'être auparavant bien
éprouvés. Aussi, touchés eux-mêmes, quoique pécheurs, d'un respect religieux et
d'une profonde vénération pour ce sacrement, ils faisaient, dans la vue de le
recevoir, ce que jamais sans cela ils n'auraient fait ; je veux dire qu'on
voyait en eux des changements et des réformes à quoi tout autre motif ne les
aurait jamais engagés. Cette obligation de manger la chair d'un Dieu, et d'ailleurs
cette horreur de la manger indignement, voilà ce qui les convertissait, voilà
ce qui leur faisait prendre toutes les mesures nécessaires pour rentrer en
grâce avec Dieu, voilà ce qui arrachait de leurs cœurs les passions les plus
dominantes. Vous me direz, encore une fois, que de là venaient aussi les
sacrilèges : et moi je réponds qu'il n'y a rien en effet de si sacré que
l'homme ne puisse profaner; mais qu'il est toujours vrai que le danger de cette
profanation n'a point empêché le Sauveur du monde d'obliger tous les fidèles à
manger sa chair, sous peine d'une éternelle mort; et que l'Eglise sou épouse
n'aurait pas agi conformément à ses intentions, si, dans le même temps qu'elle
publie aux fidèles l'anathème de saint Paul contre les communions indignes,
elle ne les réduisait par ses censures à l'heureuse nécessité d'en faire de
saintes et de profitables.
Cependant, pour ne pas joindre
ces deux vérités ,
voici, mes chers auditeurs, les
deux
202
écueils où conduit aujourd'hui
l'esprit du siècle. Pourvu qu'on persuade à un pécheur, et qu'on obtienne de
lui qu'il fasse au dehors son devoir de chrétien, et qu'il s'approche des
autels, on croit avoir beaucoup gagné. Avec cela, et cela seul, on loue sa
religion, on ne doute point de sa conversion, on se promet tout de sa
persévérance : c'est le premier écueil. Mais d'ailleurs aussi, pourvu qu'on
fasse entendre à un pécheur qu'il n'y a point de communion pour lui tandis
qu'il est dans l'habitude de son péché, on croit avoir tout fait; et si ce
pécheur, confessant son indignité, se tient éloigné des autels, on en est
content, comme s'il avait accompli toute la justice : avec cela, qu'il
persévère dans son libertinage, on le tolère, on le souffre. Vous diriez que
l'éloignement de la communion mette tout le reste à couvert, et qu'il lui soit
permis alors de vivre avec impunité, et selon tous les désirs de son cœur. Du
premier de ces deux abus que s'ensuit-il? que parmi ceux qui communient, il y
en a tant de faibles, tant d'assoupis et de languissants, et, pour user du
terme de saint Paul, tant qui dorment du sommeil de la mort : Ideo inter vos multi infirmi
et imbecilles, et dormiunt
multi (1).Et qu'arrive-t-il du second? que parmi
ceux qui ne communient pas, il y en a tant de scandaleux, qui sont aujourd'hui
comme en possession de ne donner plus à l'Eglise nulle marque de christianisme,
puisque la plus essentielle marque qui nous distingue en qualité de chrétiens,
est, selon l'Apôtre, la participation du corps de Jésus-Christ. De là vient que
par un excès de relâchement, et même par une malheureuse prescription, on ne
s'étonne presque plus de voir des mondains et des mondaines qui, de notoriété
publique, semblent depuis plusieurs années s'être eux-mêmes librement et
volontairement excommuniés; et qu'au mépris de la religion, ces canons et ces
lois si saintes, qui punissaient un tel désordre, ne sont ou paraissent n'être
plus de nul usage. Décadence qui plonge dans l'amertume les vrais pasteurs , et qui les jette dans le trouble lorsqu'ils sont
témoins de la perte de tant d'âmes. Et tout cela, je le répète, parce qu'on
n'instruit pas assez les pécheurs de leurs devoirs, parce qu'on ne leur en fait
pas connaître toute l'étendue, parce qu'on leur fait seulement éviter un
scandale par un autre scandale : le scandale de la mauvaise communion par le
scandale de l'impénitence et de l'irréligion , ou le
scandale de l'irréligion et de l'impénitence par le scandale
de la mauvaise communion : au lieu
de leur faire bien entendre qu'il ne suffit pas de retrancher l'un ou l'autre
scandale, mais qu'il faut tout à la fois se préserver de l'un et de l'autre!
Car c'est pour les pécheurs, ô
mon Dieu,! comme pour les
justes que votre sacrement est institué : je ne dis pas pour les pécheurs
impénitents, mais pour les pécheurs
convertis pour les pécheurs changés et sanctifiés. Tandis que vous étiez sur la
terre, adorable Sauveur, vous n'avez pas dédaigné de manger à la table des
pécheurs; maintenant, par une conduite bien différente , mais toujours par le
même esprit, vous admettez les pécheurs pénitents à votre table : et comme
autrefois vous mangiez à la table de ces pécheurs que votre grâce
convertissait, bien plus volontiers qu'à la table des pharisiens orgueilleux et
superbes; aussi puis-je dire pour la consolation de mes auditeurs et pour la
mienne, qu'il n'y a point de chrétiens plus favorablement reçus de vous que les
pécheurs qui se convertissent, et qui renoncent à leur péché pour se rapprocher
de vous. Mais cela, comme j'ai dit, suppose que ce sont des pécheurs sincères,
et qui agissent de bonne foi; car si ce sont des mondains qui s'aveuglent et
qui se flattent, le respect prétendu qu'ils allèguent pour s'éloigner du
sacrement de Jésus-Christ n'est plus une raison à éclaircir, mais un prétexte
que je dois lever dans la seconde
partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Il n'est rien de plus subtil que
l'esprit du monde pour nous conduire à ses fins, ni rien de plus artificieux
pour donner aux choses la couleur et la forme qu'il lui plaît, quand il s'agit de
nous éblouir et de nous tromper dans le discernement que nous avons à faire des
voies de Dieu. Car il n'y a point alors de motifs spécieux qu'il ne nous
propose; et souvent nous nous y laissons surprendre, jusques à nous persuader
et à croire qu'en nous éloignant même de Dieu, nous honorons Dieu. Or, voilà le
caractère de ces autres pécheurs dont j'ai présentement à vous parler; je veux
dire, de ces mondains qui, se flattant d'avoir de la religion, et d'agir par
esprit de religion , se trompent eux-mêmes; et qui,
s'écartant du chemin droit et simple de la vérité, se font une erreur grossière
de leur prétendue humilité. Je m'explique. Ils disent, et même ils le pensent,
que c'est par respect qu'ils se retirent de la communion ,
parce qu'ils conviennent devant Dieu qu'ils en sont indignes. Et moi je
soutiens que
203
ce respect dans eux est un vain
respect. Je prétends, et je vais leur démontrer, que ce respect dans l'usage
qu'ils en font, et à l'examiner dans ses circonstances ,
est un faux respect. Enfin, j'ajoute que c'est un respect qui n'a nulle
conformité avec celui qu'ont fait paraître dans tous les temps les vrais
chrétiens, quand ils se sont séparés du sacrement de Jésus-Christ selon les
règles et l'esprit de l'Eglise. Trois importantes réflexions par où
j'entreprends, non pas de les confondre, mais de confondre dans leurs personnes
l'esprit du monde qui les aveugle, et qui pour les attirer dans le précipice et
pour les perdre, fait luire à leurs yeux un faux jour de dévotion jusque dans
leur indévotion même.
Je dis que c'est un vain respect;
en voici la preuve. Car qu'est-ce que j'appelle vain respect? celui qui n'opère rien, qui n'est suivi de rien, qui
n'aboutit à rien, qui n'engage à rien, qui ne sait rien faire pour se rendre
moins indigne de Jésus-Christ et. de son sacrement; celui qui laisse toujours
le pécheur dans ses mêmes imperfections; qui ne le rend ni plus fervent, ni
plus régulier, ni plus saint; en un mot, celui dont l'unique marque est de ne
point communier. N'est-ce pas là évidemment un respect inutile et sans fruit?
Or, tel est le respect de ces pécheurs à qui j'adresse cette seconde
instruction; et s'ils savent se faire justice, ils seront les premiers à le
reconnaître. Et en effet, si le respect qu'ils ont, ou qu'ils croient avoir pour
Jésus-Christ, était le vrai motif qui les éloignât de la communion, ce motif, à
force d'agir et de faire impression sur eux, les engagerait à quelque chose de
plus; et pour peu qu'il eût d'efficace, au moins paraîtrait-il dans leur
conduite qu'ils en sont touchés. Or, c'est ce qui ne paraît en aucune sorte.
Car à quoi ce motif, s'ils en étaient réellement touchés, à quoi dans la
pratique ce sentiment de respect les porterait-il? à
se détacher du monde, puisque c'est, de leur propre aveu, l'amour du monde qui
les rend indignes de la table du Fils de Dieu. Pénétrés qu'ils seraient île
leur indignité, et reconnaissant que leur indignité vient de la
passion malheureuse qu'ils ont
pour le monde, pour les fausses joies du monde, pour les divertissements peu
chrétiens ut dangereux du monde, pour les intrigues du monde, pour la vanité et
le luxe du monde, que feraient-ils? Ils se priveraient de cet
divertissements, ils s'interdiraient ces plaisirs, ils retrancheraient
ce luxe, ils renonceraient à cette vanité, ils quitteraient ces intrigues ; et
par ce sacrifice parfait qu'ils en feraient à Jésus-Christ, d'indignes qu'ils
sont de manger sa chair, ils commenceraient à s'en rendre dignes. Ce sont là
les solides témoignages qu'ils lui donneraient et qu'ils devraient lui donner
de leur respect. Ils ne font rien de tout cela ; et à juger d'eux par leurs
œuvres, on ne peut pas croire qu'ils y aient encore la moindre disposition.
Eux-mêmes, si j'en attestais leurs consciences, ils avoueraient qu'ils en sont très-éloignés. Il n'est donc pas vrai que ce respect les
touche autant qu'ils le prétendent : ce n'est donc pas ce respect qui les
empêche d'approcher des divins mystères; mais quoi? je
l'ai dit, et je le redis : un attachement opiniâtre au monde, et à tout ce qui s'appelle
monde. Ils sont du monde; et ce monde, que Dieu réprouve, ne goûte point
Jésus-Christ. Ils aiment le monde plus que Jésus-Christ, et voilà pourquoi ils
quittent Jésus-Christ pour le monde. Cette apparence de respect n'est qu'un
voile dont ils se couvrent, et dont leur amour-propre se fait honneur. Mais au fond , c'est le monde qui les possède, et qui leur inspire
pour la communion cette froideur, cette indifférence, disons mieux, ce dégoût.
Et c'est ce que le Sauveur
lui-même a voulu nous faire comprendre dans la parabole des conviés qui
négligèrent de venir au festin, parce que d'autres soins leur occupaient
l'esprit et le cœur. Avec cette différence bien remarquable, reprend saint
Augustin, qu'au moins les conviés de la parabole confessèrent de bonne foi les
vraies raisons qui les arrêtèrent; au lieu que ces mondains, dont il est ici
question, affectent de ne pas connaître et se cachent à eux-mêmes la cause de
leur désordre ; se prévalant toujours de ce vain prétexte, qu'indignes qu'ils
sont de communier, le meilleur pour eux est de s'en abstenir ; se consolant
intérieurement, comme s'ils honoraient par là Jésus-Christ, et que Jésus-Christ
dût un jour les récompenser de ce qu'ils abandonnent ses autels, pour jouir
plus en repos et avec plus de liberté des plaisirs du siècle. Car voilà, mes
chers auditeurs, jusqu'où va leur aveuglement. Et pour les convaincre, ajoutait
saint Chrysostome (ceci paraît sans réplique), pour les convaincre que, par
rapport à eux, ce prétendu respect n'est qu'un prétexte, et non pas une raison,
c'est que pour communier plus rarement, ils n'en communient pas plus dignement
; c'est-à-dire que, lorsqu'ils communient, ils ne s'y disposent pas mieux,
qu'ils ne s'éprouvent pas avec plus de soin, qu'ils ne s'en séparent pas plus du
monde ;
204
et, si j'ose ainsi m'exprimer, que pour recevoir chez eux
Jésus-Christ, ils ne s'en mettent pas plus en frais; se persuadant, par la plus
fausse de toutes les maximes, que communier peu, sans y rien ajouter de plus,
doit leur tenir lieu de mérite et de tout mérite ; et par une visible erreur,
dont ils ne s'aperçoivent pas, mesurant tout le respect qu'ils rendent au divin
mystère, non par plus d'attention sur eux-mêmes, non par plus de fidélité à
leurs devoirs, non par plus d'exactitude ni plus de régularité, mais par
l'intervalle et l'espace de temps qu'ils mettent entre une communion et l'autre
: Non munditiam animi, sed intervalla temporis longioris meritum putantes. Marque
infaillible, dit ce Père, que ce n'est ni humilité, ni respect, mais une
illusion toute pure de l'esprit du monde qui les séduit.
Or je dis, Chrétiens, qu'il est
d'une importance extrême de leur ôter ce prétexte. Et comment? Prenez garde,
s'il vous plaît : non pas en leur facilitant la communion, ni en les y portant,
tandis qu'ils sont encore dans les engagements d'une vie mondaine : je sais
trop ce que la dignité de ce sacrement exige d'une came fidèle; et malheur à
moi si, dans la plus grande action du christianisme, et dans les dispositions
qu'il faut y apporter, je venais jamais à ouvrir la porte aux moindres
relâchements! Mais j'appelle ôter à une âme mondaine ce prétexte, l'obliger à
parler juste, et âne plus dire : Je m'éloigne du corps de Jésus-Christ, parce
que je le respecte ; mais : Je m'en éloigne, parce que je suis une âme
libertine qui ne veux pas m'assujettit aux saintes lois que ma religion me
prescrit pour en approcher. Je m'en éloigne, parce que je suis une âme
dissipée, qui n'ai en tête que le monde et que mon plaisir. Je m'en éloigne,
parce que je suis une âme lâche qui n'ai pas le
courage de rien faire, ni de rien entreprendre pour mon salut. Je m'en éloigne,
parce que j'ai un empressement pour les affaires temporelles, qui me dessèche
le cœur, et qui m'endurcit à l'égard de Dieu. Je m'en éloigne, parce que je ne
puis me résoudre à me mortifier, ni à me faire la moindre violence. Je m'en
éloigne, parce que je veux vivre sans règle, et selon le caprice de mon humeur.
Obliger, dis-je, les mondains à convenir de tout cela, et leur remontrer
ensuite le désordre de leur conduite, et l'injure qu'ils font à Jésus-Christ de
négliger ainsi son adorable sacrement; leur bien faire entendre que non-seulement il ne s'en tient pas honoré, mais que c'est
l'outrager, que c'est l'irriter, que c'est s'attirer de sa part cette terrible
malédiction, par où il conclut la parabole de l'Evangile : Dico autem vobis, quod nemo virorum illorum
qui vocati sunt, gustabit cœnam meam (1) : Ma table était prête et dressée pour eux, et
ils ont cherché des prétextes pour s'en éloigner; mais je saurai bien les en
punir : car je vous déclare que pas un d'eux ne sera reçu au sacré banquet que
je leur avais préparé : voilà de quoi les détromper de la dangereuse illusion
qui les aveugle. Combien de fois, mes chers auditeurs, cette prédiction du Sauveur
du monde, quoiqu'elle ne soit, si vous voulez, que comminatoire, s'est-elle
accomplie à la lettre? et combien de chrétiens, pour
avoir abandonné pendant la vie l'usage de la communion, par un secret jugement
de Dieu, en ont-ils été privés à la mort? Mais allons plus avant.
Non-seulement
vain respect, mais faux respect. Pourquoi? parce qu'il
n'est pas accompagné des deux conditions essentielles qu'il doit avoir. L'une
est la douleur, et une douleur vive, d'être séparé du corps de Jésus-Christ ;
l'autre est le désir, et un désir sincère d'en approcher : deux conditions
inséparables du vrai respect; mais que le mondain, s'il veut bien rentrer en
lui-même, ne trouvera pas dans son cœur. Douleur vive d'être séparé du corps de
Jésus-Christ : car si j'honore Jésus-Christ autant que je dois l'honorer, si
j'ai pour Jésus-Christ ce respectueux attachement dont je me flatte, je dois
regarder comme mon souverain bien dans cette vie de lui être uni; je dis uni
surtout par le sacrement qu'il a lui-même institué pour entretenir entre lui et
moi une sainte et ineffable union : d'où il s'ensuit que je dois, par la même
règle, regarder comme mon souverain mal d'être séparé de ce sacrement, dont la
participation est le gage de ma béatitude, ou plutôt est ma béatitude anticipée.
Et c'est ce que saint Chrysostome comprenait si bien, quand il disait, en
parlant de la communion : Unus sit vobis dolor
hac esca privari : que votre grande douleur, mes Frères, ou pour
mieux dire, que votre unique douleur soit d'être privés de celte viande
céleste, qui est la chair de Jésus-Christ! Votre unique douleur, unus dolor; car quels sont,
en comparaison de celui-ci, tous les autres sujets qui vous affligent? S'il est
donc vrai que je respecte le sacrement de Jésus-Christ autant qu'il est respectable,
et autant que je veux paraître le respecter; rien ne doit être plus douloureux
205
et plus affligeant pour moi, que de
me voir privé de cette divine nourriture; et j'y dois être plus sensible qu'à
toutes les pertes du monde, qu'à toutes les afflictions du monde. Cette pensée
: «Je suis séparé de mon Dieu, » si j'ai de la foi, doit me désoler, doit me
consterner, doit me jeter dans un abattement pareil à celui d'Esaü, quand il se
vit exclu de la bénédiction de sou père ; et par là j'entre comme chrétien dans
le sentiment de saint Chrysostome : Unus sit vobis dolor
hac esca privari.
Douleur encore plus vive, si j'ai
à me reprocha que c'est moi-même qui m'en sépare : moi-même qui m'en sépare par
mon infidélité; moi-même qui m'en sépare par mon attachement opiniâtre à
l'objet d'une honteuse passion dont je me suis rendu esclave ; moi-même qui
m'en sépare pour ne vouloir pas dire à Jésus-Christ le sacrifice qu'il attend
de moi. Mais quel surcroît de peine, si je comprends tout le malheur d'une si
triste séparation! Quand l'Eglise, exerçant sur les premiers (lui tiens la
sévérité de sa discipline, les retranchait pour un temps de la communion, que
faisaient-ils, et quels étaient leurs sentiments? Les Pères nous apprennent
qu'ils en tombaient dans la plus profonde tristesse, qu'ils gémissaient, qu'ils
soupiraient, qu'ils versaient des torrents de larmes, qu'ils regardaient cet
état comme une réprobation passagère. Ainsi, quoique séparés de Jésus-Christ,
marquaient-ils néanmoins leur respect, et un respect solide, à Jésus-Christ.
Mais ces mondains dont je parle ont-ils jamais senti
les impressions de cette douleur chrétienne et religieuse? J'en appelle au
témoignage de leur cœur, et je les en atteste eux-mêmes. Eloignés de la
communion, avec quelle tranquillité ne soutiennent-ils pas cet éloignement? avec quelle indolence De se voient-ils pas séparés du Dieu
de leur saint? avec quelle insensibilité ne s'y
accoutument-ils pas, non-seulement jusqu'à n'en être
plus affligés, mais jusqu'à s'en trouver soulagés ? La communion, dans le cours
de leur vie mondaine, est un fardeau pesant, et ils s'en déchargent : la
communion trouble ou interrompt leurs vains plaisirs ; pour les goûter sans
interruption et sans trouble, ils l'abandonnent : il faudrait, pour communier,
garder des mesures et se contraindre; il leur est plus commode de s'en
abstenir, et de ne communier plus. Avec de telles dispositions, me persuaderont-ils
qu'ils ont pour Jésus-Christ et son sacrement un vrai respect ; et s'ils le prétendaient
encore, n'ai-je pas droit de ne les en pas croire ?
Faux respect, parce qu'il n'est
accompagné d'aucun désir de la communion. Autre preuve contre eux. Car observez
bien, Chrétiens, ce que j'ajoute : Le respect que je dois avoir pour
Jésus-Christ peut bien m'engager quelquefois à me retirer pour un temps de la
communion ; mais il ne doit jamais, s'il est véritable ,
éteindre en moi, ni même diminuer le désir de la communion. Au contraire, plus
je me trouve indigne de communier, plus je dois, dans un sens, désirer avec
ardeur de communier : pourquoi ? parce qu'il est
évident que ce désir est au moins une ressource contre mon indignité. Et, en
effet, c'est par ce désir que je reviens à Jésus-Christ, et en vertu de ce
désir que je tâche à me rapprocher de lui. C'est par ce désir que j'en cherche
tous les moyens, que j'en surmonte tous les obstacles, que je suis fidèle à en
exécuter toutes les résolutions. Tandis que ce désir est en moi, le principe de
la vie y est encore, et il n'y a rien dont je ne sois capable; au lieu que ce
désir cessant, je suis comme mort, n'ayant plus aucun sentiment qui me ramène à
Jésus-Christ, ni qui me presse de retourner à lui : d'où il s'ensuit que non-seulement toute mon indignité subsiste, mais que
l'extinction de ce désir est comme la consommation de mon indignité. Indignité
consommée, dont saint Ambroise ne craignait point d'exagérer les suites
affreuses, quand il soutenait que la perte de ce désir n'était pas moins qu'un
présage de la réprobation future. Ah ! Seigneur, disait-il, c'est de ce pain
adorable de l'Eucharistie qu'il est écrit que tous ceux qui s'éloignent de vous
périront ; c'est-à-dire que tous ceux qui perdent le désir de s'unir à vous ,
seront rejetés de vous : Domine, de hoc pane scriptum
est : Omnes qui elongant se
a te peribunt.
Ainsi le comprenaient
parfaitement les premiers fidèles. J'en reviens à leur exemple, et je ne puis
trop vous le proposer. Car c'est pour cela que, privés de l'usage des saints
mystères et de la communion, ils témoignaient un empressement si vif et si
ardent d'y être rétablis. C'est pour cela qu'ils le demandaient avec tant
d'instance, et que, prosternés aux pieds des prêtres, ils les conjuraient, par
les entrailles de la miséricorde de Jésus-Christ, de leur abréger ces jours
malheureux où ils vivaient séparés de leur Sauveur. C'est pour cela qu'ils
employaient même l'intercession des martyrs ; et en cela, dit saint Cyprien , paraissait leur respect
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et leur vrai respect. Que fait le
mondain ? Content de leur ressembler dans cette triste séparation, il est peu
en peine de les imiter sur le reste ; et confondant avec la communion le désir
de la communion , il renonce également à l'un et à
l'autre, et n'a plus pour le sacrement de Jésus-Christ qu'une indifférence de
cœur dont il devrait être effrayé. Car voilà, mes chers auditeurs, ce que les
Pères de l'Eglise déploraient si amèrement; voilà ce qu'ils regardaient comme
une des plaies et comme un des plus grands malheurs de leur siècle ; voilà ce
que saint Chrysostome reprochait au peuple d'Antioche avec tant de force.
Quelle honte, leur disait-il, mes Frères , de voir
votre froideur quand on vous parle de recevoir le Saint des Saints? S'agit-il
d'un spectacle dans votre ville, vous y courez en foule ; et rien ne peut vous
attirer quand il est question de venir prendre part au sacrifice de nos autels
! Toutes vos places publiques, tous vos amphithéâtres sont remplis
, et la table de Jésus-Christ est vide. En vain y sommes-nous assidus,
pour vous distribuer les dons célestes; aucun de vous ne s'y présente.
Jésus-Christ en personne vous y attend, et il y est délaissé. Tantôt ce Père
leur représentait avec quel zèle ils s'assemblaient pour écouter ses
prédications, tandis qu'ils en marquaient si peu pour recevoir de ses mains le
gage précieux de leur salut. Tantôt il se plaignait de leur dureté à l'égard de
ce sacrement d'amour. Tantôt il leur remettait devant les yeux les funestes
conséquences de ce respect mal entendu dont ils voulaient se prévaloir, et de
l'abus qu'ils en faisaient. Imaginez-vous, mes chers auditeurs, que c'est
encore ici saint Chrysostome qui vous parle, puisqu'en effet c'est lui-même ;
ou bénissez le ciel de ce que Dieu dès lors inspirait à ce grand homme ce qui
doit aujourd'hui confondre vos pitoyables, mais pernicieuses erreurs.
Enfin, j'ai dit, et je viens déjà
de vous le faire voir en partie, que le respect dont s'autorisent les mondains
pour s'éloigner de la communion , n'a nulle conformité
avec celui des premiers siècles de l'Eglise : la preuve en est sensible. Car dans
ces siècles florissants du christianisme, tandis qu'un pécheur demeurait séparé
du corps de Jésus-Christ, il était dans les exercices d'une pénitence laborieuse , à laquelle il se condamnait, et dont il
subissait avec courage toutes les rigueurs; et cette pénitence, selon les lois
de l'Eglise, n'était point une simple cérémonie, puisqu'elle consistait en de très-pénibles austérités. L'abstinence et le jeûne, le sac
et la cendre, le cilice cl les macérations du corps en étaient, comme nous
savons, les accompagnements inséparables; et cela pour montrer combien le
pécheur honorait Jésus-Christ, puisqu'il voulait bien se soumettre à de si
rigoureuses pratiques, et qu'aux dépens de lui-même, il voulait bien faire à
Jésus-Christ une telle réparation. Or, avouons-le à notre honte, de pareilles
épreuves ne sont ni du goût, ni de la dévotion des mondains. De quelque respect
qu'ils se piquent pour Jésus-Christ , ils ne veulent
pas qu'il leur en coûte tant. Aveuglés par l'esprit du monde, et par cet esprit
de mollesse, ils prétendent en être quittes à meilleur compte. Toute leur
pénitence se termine à ne communier plus, et ce genre de pénitence ne les
incommode point. Rien loin de les incommoder, il flatte leurs inclinations, et
il leur donne lieu de vivre dans une plus grande liberté, disons mieux, dans un
plus grand libertinage. Car voilà où le prétexte de ce faux respect porte les
choses; et plût au ciel que ce que je combats ici fût une chimère, et non une
vérité ! J'achève, et il me reste à vous montrer que ce prétendu respect est un
scandale dans le pécheur hypocrite. C'est la troisième partie.
TROISIÈME PARTIE.
C'est une maxime communément
reçue, que ce qui est bon en soi ne l'est pas toujours par rapport au principe
d'où il part; et une des règles de la prudence humaine est de tenir les choses
même les plus salutaires pour suspectes, quand nous découvrons qu'elles
viennent d'une source infectée et empoisonnée. Or, nous pouvons et nous devons
même appliquer cette règle à ce qui concerne la religion et les pratiques de
piété. Je ne sais, Chrétiens, si vous avez jamais fait une réflexion qui m'a
paru bien solide, et dont je suis sûr que vous comprendrez encore mieux que moi
la vérité, savoir, que lorsqu'il s'est élevé dans le christianisme des
contestations sur le relâchement ou la sévérité de la discipline, certains
libertins du monde n'ont presque jamais manqué à se déclarer pour le parti
sévère ; non pas afin de l'embrasser dans la pratique et de le suivre,
disposition dont ils étaient bien éloignés, mais, ou par une conduite bizarre,
pour avoir le plaisir d'en parler, ou par un intérêt secret, pour s'en servir
comme d'un voile propre à couvrir d'autres desseins. Ainsi tant de fois a-t-on
vu des hommes engagés d'ailleurs dans
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des désordres honteux, des hommes
également corrompus et dans l'esprit et dans le cœur, vains, sensuels, amateurs
d'eux-mêmes, être in premiers et les plus zélés en apparence à s'expliquer en
faveur de la réforme, et à la maintenir. Ainsi a-t-on vu des femmes trop
connues pour ce qu'elles avaient été, et peut-être pour ce qu'elles étaient
encore; des femmes ;i qui le passé devait au moins
fermer la bouche, devenir les plus éloquentes sur la dépravation des mœurs, ne
trouver rien d'assez exact ni d'assez rigide dans la police de l'Eglise, et en
appeler sans cesse aux anciens canons, tels qu'ils s'observaient dans leur
première institution. .Mais ce zèle de la pureté des mœurs et de la perfection
du christianisme n'est-il pas louable dans un chrétien? Oui, répond saint
Bernard : mais autant qu'il est louable dans un chrétien, autant pour ne rien
dire de plus, est-il équivoque et douteux dans un libertin ; et je dois, selon
le précepte de Jésus-Christ, m'en délier comme de la plus dangereuse
hypocrisie.
Or, ce que remarquait en général
saint Bernard louchant la pureté et la régularité des mœurs, c'est encore plus
particulièrement et plus sensiblement ce qui s'est vérifié, et ce qui se
vérifie tous les jours à l'égard de la communion. Car qu'est-il arrivé? vous le savez : on a parlé, et avec raison, des abus qui se
commettaient ou qui pouvaient se commettre dans la fréquentation du sacrement
de nos autels, de l'extrême facilité avec laquelle il était à craindre qu'on
n'y admît les pécheurs, de la nécessité d'en séparer pour un temps certaines
âmes imparfaites qui n'en profitaient pas, de la discrétion et de la prudence
que les pasteurs y devaient apporter. Tout cela était bon, saint, édifiant; et
je ne doute point (appliquez-vous, s'il vous plaît, à ce que je dis), je ne
doute point que les vrais fidèles, touchés de l'intérêt de Dieu et de celui de
son Eglise, n'aient eu des intentions très-pures, en
témoignant là-dessus leur zèle : mais ce qui m'étonne, c'est que des gens d'un
caractère tout opposé, j'entends les libertins du siècle, aient prétendu être
de la partie ; et que, s'ingérant dans une cause où ils n'avaient rien de
commun, ils se soient quelquefois montrés les plus vifs et les plus ardents à faire
valoir le respect dû au sacrement de Jésus-Christ et à son corps adorable Ce
qui m'étonne, c'est que des hommes qui, parmi les intelligents, passaient pour
avoir peu de religion, des hommes engagés dans les derniers dérèglements, aient
affecté de parler avec plus de chaleur contre les communions fréquentes, se
soient plus hautement scandalisés sur ce point des moindres relâchements, ou
réels ou imaginaires, et soient entrés dans cette question comme dans leur
affaire propre. Voilà ce qui m'a toujours surpris.
Car enfin d'où leur peut venir ce
zèle? Impies comme je les suppose, ils n'ont pour tous les autres devoirs du
christianisme qu'un secret mépris, et ils tiennent sur celui-ci le langage des
parfaits et des spirituels. Il faut donc qu'ils y envisagent quelque intérêt ;
et vous êtes trop éclairés pour ne pas comprendre d'abord en quoi cet intérêt
consiste, puisqu'il est facile à connaître, et qu'au moins il est certain qu'en
parlant de la sorte, ils se mettent en possession d'être libertins, non-seulement avec sûreté, mais, si j'ose le dire, avec
honneur ; car, encore une fois, ce sont de ces hommes que saint Paul dépeignait
à Timothée, des hommes corrompus dans le principe, et dont la foi est comme
éteinte ; des hommes à qui tout exercice de religion est onéreux, et qui
veulent s'en décharger. Cependant, parce qu'ils n'ignorent pas que la communion
a toujours été regardée comme une marque spéciale du christianisme, et que d'y
renoncer ouvertement, ce serait une espèce d'apostasie qu'ils auraient peine à
soutenir; pour ne pas se commettre jusque-là, et néanmoins pour secouer le joug
qui les incommode, ils se font un voile de religion de leur propre irréligion
(je ne sais si je m'explique bien), et ils se portent pour approbateurs de
cette maxime, qui va à nous éloigner de Jésus-Christ par un sentiment de
crainte et de respect, afin qu'on ne puisse plus les distinguer d'avec les
chrétiens même les plus exacts, puisqu'ils parlent comme eux, et qu'ils
paraissent aussi zélés qu'eux.
Or, je prétends que ce langage
dans la bouche du libertin est un scandale pour les faibles. Pourquoi? Encore
un moment d'attention : parce qu'il aboutit à deux choses également
pernicieuses, savoir, à décrier indifféremment les bonnes et les mauvaises
communions : c'est la première ; et à détourner les âmes, non-seulement
de la communion, mais universellement de tout ce qu'il y a de saint dans la
religion : c'est la seconde. Je dis à décrier indifféremment les bonnes et les
mauvaises communions : car, comme raisonnait fort bien saint Jean Chrysostome,
s'il est toujours dangereux, en blâmant la fausse piété, de décréditer la vraie,
beaucoup plus l'est-il, quand celui qui
se mêle d'en juger est un
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esprit profane qui se soucie peu de
confondre l'une avec l'autre, ou plutôt qui n'attaque l'une que parce qu'il est
secrètement ennemi de l'autre, et qui, bien loin d'user de la précaution
nécessaire pour séparer le vrai d'avec le faux, semble n'avoir point d'autre
but que de détruire le vrai par le faux. Or, ce que disait ce Père de la
dévotion, j'ai droit de le dire, et la même expérience le confirme touchant la
communion. S'il faut toujours craindre, en condamnant les mauvaises communions,
de condamner les bonnes, beaucoup plus quand celui qui s'en fait le censeur est
un esprit perverti, qui n'a ni pour les bonnes ni pour les mauvaises nul égard
véritable, et qui ne compte pour rien de préjudicier à celles-ci en déclamant
contre celles-là.
Et en effet, à quoi se termine le
zèle malin que je combats, que je combats, dis-je, dans les impies du siècle
qui s'en prévalent, et qui par là troublent les âmes justes et innocentes? à quoi se réduit-il? à faire dans l'Eglise de Dieu ce que
faisaient dans le temple de Jérusalem les enfants du grand-prêtre
Héli, qui détournaient les hommes du sacrifice; crime que détestait le
Seigneur, et pour lequel il les réprouva : Peccatum
grande nimis, quia retrahebant
homines a sacrificio Domini (1); ou bien, si vous voulez, à renouveler ce
que firent dans la suite les pharisiens, à qui pour cela le Sauveur du monde
disait avec indignation : Malheur à vous qui fermez aux autres le royaume de
Dieu ; car vous n'y entrez pas vous-mêmes, et vous arrêtez encore ceux qui
voudraient y entrer ! Vos enim non intratis, nec introeuntes sinitis intrare (2). Figure
sensible de ce qui s'accomplit tous les jours dans la personne de ces mondains,
qui par un endurcissement de cœur s'étant eux-mêmes séparés du divin mystère,
où, selon la pensée de saint Cyrille, le royaume de Dieu nous est ouvert,
voudraient, s'il leur était possible, en exclure tous les autres. Voilà à quoi
ils travaillent, et même à quoi ils parviennent, en contrôlant les gens de bien
sur leurs communions , en censurant leur vie, en
critiquant leur conduite, en relevant leurs moindres défauts, en ne leur
pardonnant rien, et en leur faisant un crime de tout. Saint Augustin, avec
toutes ses lumières, n'osait pas désapprouver l'usage de communier tous les
jours; un mondain téméraire et aveugle dans les choses de Dieu le condamne
hardiment et sans hésiter. Le dernier concile souhaitait de voir la fréquente
communion
rétablie dans l'Eglise ; et le
mondain voudrait au contraire l'exterminer et l'anéantir. Ne pensez pas, mes
chers auditeurs, que par là je prétende justifier toutes les communions
fréquentes; il y en a de fréquentes que je déplore, mais dont je laisse à Dieu
le jugement : c'est-à-dire, il y en a de fréquentes, mais inutiles; de fréquentes , mais lâches ; de fréquentes, mais très-peu édifiantes, mais qui pourraient même plutôt
scandaliser qu'édifier. Peut-être en parlerai-je dans un antre discours, et
vous verrez bien que mon intention ne fut jamais de les autoriser. Du reste,
j'ai dit que j'en laissais à Dieu le jugement, parce qu'autant que je
craindrais de rien avancer qui favorisât de telles communions, autant me
croirais-je prévaricateur, de donner la moindre atteinte aux communions
fréquentes, mais ferventes. Les autres déshonorent Jésus-Christ, mais celles-ci
le glorifient; et comme je dirais anathème à quiconque approuverait les
communions vaines et imparfaites, aussi le dirai-je toujours au libertinage,
quand il s'élèvera contre celles qui sanctifient les âmes, et dont le Fils de
Dieu tire sa gloire. Qui pourrait dire combien le démon, par ce seul artifice,
a retiré de justes des autels? combien d'épouses de
Jésus-Christ il a troublées dans leurs saintes communications avec l'Epoux
céleste ? combien de communions, dont les anges se
seraient réjouis dans le ciel, il a comme interdites sur la terre?
Je dis plus : de l'éloignement de
la communion le scandale passe, si l'on n'a soin de s'en préserver, jusqu'à
l'abandon et au retranchement de tout ce qui se pratique de plus saint dans le
christianisme; et c'est la seconde remarque de saint Chrysostome. Car supposé
ce principe d'une humilité feinte et mal conçue, quelle conséquence n'en
peut-on pas tirer, el à quel exercice de la religion une âme fidèle n'est-elle
pas tentée de renoncer? Vous n'êtes pas digne de vous présenter à la table de
Jésus-Christ (ce sont les paroles de saint Chrysostome) ; et êtes-vous digne
d'entrer dans le temple de Dieu ? et êtes-vous digne
de prier et d'invoquer Dieu? et êtes-vous digne
d'entendre la parole de Dieu? et êtes-vous digne
d'être admis à la pénitence , et au tribunal de la miséricorde de Dieu ? et êtes-vous digne de chanter avec l'Eglise les louanges de
Dieu? et êtes-vous digne d'assister au sacrifice qui
est offert à Dieu ? Il faudra donc par la même raison abandonner tout cela, et
que la vue de votre indignité, si j'ose m'exprimer de la sorte, vous tienne
dans une espèce d'excommunication, où
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vous n'ayez plus de part à tout ce
qui s'appelle Culte et devoir chrétien : Sum, inquis, indignus communione altaris ; ergo et illa quoque communione
quœ in precibus est ; ergo
et illa quœ inverbo Dei est. Ainsi concluait ce saint docteur; et
sans parler des bonnes âmes, dont la simplicité peut être séduite par cette
illusion, voila l'avantage que les libertins en voudraient remporter. Ils se
feraient un plaisir d'étendre à toutes les obligations chrétiennes ces paroles
du centenier, expliquées et corrompues selon leur sens: Domine, non sum dignus. Et comme ils s'en
servent pour paraître, tout libertins qu'ils sont, humbles et religieux, en ne
communiant pas; aussi, passant plus loin, se sauraient-ils bon gré d'avoir
trouvé moyen de ne paraître jamais dans nos temples par respect, de ne plus
prier par respect, de s'affranchir par respect de tous leurs devoirs. Or, c'est
là, mes chers auditeurs, le scandale qu'il fallait combattre. Pardonnez-moi, si
j'en parle avec quelque véhémence : c'est pour l'intérêt de Jésus-Christ et de
sa religion. Que les prélats de l'Eglise fassent des lois et des ordonnances
pour corriger les abus de la communion, c'est ce qui les regarde, et ce que je
respecterai toujours. Que les prêtres et les pasteurs des âmes travaillent à y
apporter remède, c'est leur ministère, et c'est pour cela que Dieu les a
établis. Que les particuliers mêmes y contribuent selon la mesure de la grâce
que Dieu leur a donnée, en commençant par eux-mêmes, avant que d'étendre leur
zèle sur les autres, c'est ce qui m'édifiera. Mais que des mondains, que des
profanes, aveugles dans les choses de Dieu, que des hommes peut-être sans foi,
entreprennent de décider ce qu'il y a de plus important dans la religion, de le
régler, d'y mêler leurs erreurs, leur intérêt, leur impiété, c'est ce que je
condamnerai toujours, et sur quoi je m'élèverai hautement contre eux.
Appliquons-nous, mes Frères ; c'est à vous à qui je parle, prêtres du Dieu
vivant et ministres de ses autels, séculiers ou réguliers : appliquons-nous à
préparer au Seigneur un peuple parfait. Unis par le lien de la charité,
travaillons à convertir les pécheurs, à perfectionner les justes, à purifier
les âmes fidèles, pour les rendre dignes du sacrement de Jésus-Christ. Voilà à
quoi nous devons nous employer ; voilà le but que nous devons nous proposer.
Car je vous le dis, mes Frères, jamais l'Eglise de Dieu ne sera sanctifiée, ni
jamais le christianisme ne sera bien réformé, que par le bon usage de la
communion. Raisonnons tant qu'il nous plaira ; il en faudra toujours revenir à
ces adorables paroles du Sauveur : Si vous ne mangez la chair du Fils de
l'Homme, vous n'aurez point la vie en vous : Nisi
manducaveritis carnem Filii Hominis, non habebitis vitam in vobis. Au
contraire, si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement : Qui manducat hunc panem,
vivet in œternum ; il
vivra en ce monde par la grâce, et dans l'autre par la gloire, où nous
conduise, etc.