LUNDI CAREME III

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SERMON POUR LE LUNDI DE LA TROISIÈME SEMAINE.
SUR LE  ZÈLE.

ANALYSE.

 

Sujet. Jésus-Christ dit aux pharisiens : Sans doute que vous m'appliquerez ce proverbe : Médecin, guérissez-vous vous-même.

Autant que ce reproche était faible contre Jésus-Christ, autant aurait-il de force contre nous, si nous voulions nous l'appliquer. Car ne puis-je pas bien vous dire dans le même sens : Chrétiens, n'ayez point tant de zèle pour les autres, que vous n'en ayez encore plus pour vous-mêmes ; ou plutôt mesurez le zèle que vous avez pour les autres, sur le zèle que vous devez avoir pour vous-mêmes? Telle est la solide leçon que je viens vous faire dans ce discours.

Division. C'est le zèle que nous aurons pour nous-mêmes et pour notre propre perfection, qui doit autoriser notre zèle pour le prochain : première partie. Rectifier notre zèle pour le prochain : deuxième partie. Adoucir notre zèle pour le prochain : troisième partie.

Première partie. C'est le zèle que nous aurons pour nous-mêmes et pour notre propre perfection, qui doit autoriser notre zèle pour le prochain. Ce zèle et ce soin de nous réformer nous-mêmes est le premier de nos devoirs : si donc nous tournons uniquement notre zèle vers le prochain, c'est un zèle chimérique et faux. 1° Zèle alors sans autorité de la part de celui qui l'exerce ; 2° zèle sans effet de la part de ceux envers qui on l'exerce.

1° Zèle sans autorité de la part de celui qui l'exerce : pourquoi? c'est qu'il n'y a que le bon exemple que l'on donne, elle témoignage qu'on se rend d'avoir commencé par soi-même, qui puisse autoriser une entreprise aussi délicate que celle de réformer les autres. Vous vous inquiétez de mille choses que vous prétendez être des abus et des injustices : mais on vous répond que vous avez mauvaise grâce de parier si haut contre des désordres étrangers, et de ne pas corriger certains désordres qu'on remarque dans votre conduite, et que vous y pourriez remarquer. Pourquoi voyez-vous une paille dans l'œil de votre frère, disait le Fils de Dieu, tandis que vous n'apercevez pas une poutre dans le vôtre ? Aussi trouva-t-il mauvais que les pharisiens osassent accuser devant lui celte femme surprise en adultère. Et pour les confondre, il se contenta de leur dire : Que celui de vous qui est sans péché jette la première pierre contre elle. Argument plausible et convaincant dont ils se sentirent si vivement pressés, qu'ils se retirèrent sans rien répliquer.

Mais qu'y a-t-il néanmoins de plus commun dans le monde que ce zèle pharisaïque, qui consiste à être régulier pour les autres, et sans régularité pour soi-même ? On peut bien appliquer à ces censeurs si zélés ce que Jésus-Christ dit à ces femmes de Jérusalem : Ne pleurez point sur moi, mais sur vous-mêmes. Saint Paul avait peine à comprendre comment celui qui n'a pas soin de sa maison pouvait prendre soin de l'Eglise de Dieu : mais jamais l'Eglise n'eut tant de sortes de réformateurs. Je sais quel était le zèle des Saints ; je sais combien David et après lui saint Bernard étaient touchés des désordres qu'ils voyaient, et en quels termes ils s'en expliquaient. Mais faisons ce qu'ils ont fait, et nous aurons droit de dire ce qu'ils ont dit.

2° Zèle sans effet de la part de celui envers qui on l'exerce. Car comme nous n'aimons pas à être corrigés, nous nous attachons

 

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à examiner ceux qui voudraient sous une apparence de zèle prendre l'ascendant sur nous ; et le moindre faible que nous y découvrons nous sert de prétexte pour éluder leurs remontrances. De là vient que ceux qui par office sont chargés de répondre des autres et de les conduire, ont une obligation spéciale de travailler d'abord à se réformer eux-mêmes. De là vient que l'Apôtre, parlant des pasteurs des âmes, veut qu'ils soient irrépréhensibles. Non pas qu'on ne dût toujours leur obéir, quand même ils seraient moins réglés, puisque leur caractère est indépendant du mérite de leur vie : mais le commun des hommes n'est ni assez spirituel, ni assez équitable pour faire cette précision. Que ne peut point, pour la gloire de Dieu et pour le bien du prochain, un homme exemplaire et sans reproche ? Mais qu'un père violent fasse à son fils des leçons de modération, qu'une mère évaporée et mondaine prêche à sa fille la retraite, quel succès en peut-on attendre ?

Deuxième partie. C'est le zèle que nous aurons pour nous-mêmes et pour notre perfection, qui doit rectifier notre zèle pour le prochain : 1° par rapport à notre raison, parce qu'Use peut faire que ce ne soit pas un zèle selon la science; 2° par rapport à notre cœur, car il arrive souvent que ce n'est pas un zèle selon la charité.

1° Par rapport à notre raison. Souvent notre zèle n'est qu'un zèle erroné, un zèle bizarre, un zèle borné. Zèle erroné : tel a été celui tic tant d'hérétiques, qui ont voulu réformer l'Eglise. S'ils avaient eu au même temps un autre zèle, je veux dire le zèle de leur propre sanctification, et s'ils s'étaient d'abord appliqués à réformer leur orgueil et leur opiniâtreté, la passion ne les eût pas fait tomber en de si funestes égarements. Zèle bizarre, qui veut régler tout le monde par ses idées particulières et quelquefois extravagantes, et qui par là même renverse tout. Le remède serait de se précautionner d'abord contre soi-même, et contre cet esprit de singularité qu'on suit en aveugle, et dont on se fait même un prétendu mérite. De là, zèle borné et limité : ce qu'on a jugé bon et saint, on veut qu'il soit bon et saint pour toutes sortes de personnes ; et hors du plan de réforme qu'on a conçu, tout parait désordre et relâchement. Mais Dieu n'a-t-il point d'autres idées du bien que celles que vous proposez ? Il aurait fallu de bonne heure vous élever l'esprit, et vous faire une plus grande âme, une âme capable d'estimer le bien partout où il est, et de quelque part qu'il vienne.

2° Par rapport à notre cœur. Souvent nous prenons pour zèle ce qui est chagrin, inquiétude, intrigue, envie, ambition, intérêt. Mais qu'un homme se soit avant toutes choses étudié lui-même pour connaître les plus secrets mouvements de son cœur, et qu'il se soit fait de saintes violences pour les régler, alors il sera en état de distinguer quel esprit l'anime dans son zèle, et de le réduire aux termes de la raison et de l'équité.

Troisième partie. C'est le zèle que nous aurons pour nous-mêmes et pour notre propre perfection, qui doit adoucir notre zèle pour le prochain. Le zèle, s'il n'est tempéré, nous porte à une sévérité outrée ; sévérité que le Sauveur du monde condamna dans ces deux disciples qui lui demandèrent qu'il fit descendre le feu du ciel sur les Samaritains. L'Apôtre et tous les hommes apostoliques ont donc cru devoir humaniser leur zèle, et lui donner un certain attrait d'où dépend son efficace et sa force. Or, je l'ai dit, le correctif infaillible et sûr d'un zèle trop impétueux et trop vif pour les autres, est le zèle qu'on doit avoir pour soi-même.

Car un homme zélé pour soi-même, quelque bien qu'il envisage hors de soi, a toujours en vue de ne perdre jamais la charité. Or la charité a toutes les qualités qui peuvent modérer et adoucir notre zèle à l'égard du prochain. Le zèle pour le prochain est naturellement impatient : on en voudrait voir d'abord le succès ; mais la charité est patiente, surtout quand on considère avec quelle patience le Dieu de la charité en use lui-même à notre égard.

Comme notre zèle est impatient, il devient dur, fâcheux, mortifiant, plein d'amertume. De vous dire que le zèle du Sauveur du momie n'a point été de cette nature, et que c'est par un zèle tout différent qu'il a gagné les cœurs, ce serait une espèce de démonstration dont il n'y a personne qui ne dût être touché. Mais laissant toute autre preuve, je m'en tiens au même principe : car la charité est douce, surtout quand on pense avec quelle douceur nous voulons qu'on nous traite nous-mêmes, quelle est la faiblesse des malades dont nous entreprenons la guérison, et qu'un zèle enfin sans condescendance et sans ménagement ne sert qu'à leur donner horreur du remède, et qu'à les rebuter.

Cette charité demande bien des réflexions, et un grand empire sur soi-même; j'en conviens : mais souvenez-vous qu'il s'agit du salut de votre frère. Allumez, Seigneur, dans nos cœurs ce feu divin, ce saint zèle dont brûlait votre Prophète, et dont vous avez brûlé vous-même sur la terre.

 

Dixit Jésus pharisœis : Utique dicetis mihi hanc similitudinem : Medico, cura teipsum.

Jésus-Christ dit aux pharisiens : Sans doute que vous m'appliquerez ce proverbe : Médecin, guérissez-vous vous-même. (Saint Luc, chap, IV, 23.)

 

Ce ne fut point par une simple conjecture de la disposition des pharisiens et de la malignité de leurs cœurs à son égard, que le Fils de Dieu leur parla de la sorte ; ce fut, dit saint Chrysostome, par un esprit de prophétie, et par une vue anticipée de ce qui lui devait arriver dans sa passion, puisqu'en effet les pharisiens le voyant sur la croix, lui reprochèrent qu'il avait sauvé les autres, et qu'il rie pouvait se sauver lui-même. Reproche que ce divin Sauveur avait bien prévu qu'on lui ferait un jour, mais à quoi, par avance, répondaient bien les miracles qu'il opérait dans la Judée el dans la Galilée ; reproche qui ne lui pouvait être fait que par un esprit d'infidélité ; et reproche enfin qui se détruisait de lui-même, puisqu'il n'avait point d'autre fondement que l'envie et l'opiniâtreté des pharisiens. Mais ne pouvons-nous pas dire qu'autant que ce reproche était faible contre Jésus-Christ, autant aurait-il de force contre nous si nous voulions aujourd'hui nous l'appliquer , ou s'il fallait nous en défendre? C'est ce qui m'engage, mes chers auditeurs, à prendre pour sujet de ce discours ce qui contient en effet tout le mystère de notre évangile, savoir, cette parabole autrefois en usage parmi les Juifs : Medice, cura teipsum; Médecin, guérissez-vous vous-même. C'est ce qui me donne lieu de vous dire dans les mêmes termes, du moins dans le même sens : Chrétiens, pensez à vous-mêmes, corrigez-vous vous-mêmes, n'ayez point tant de zèle pour les autres, que vous n'en ayez

 

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encore plus pour vous-mêmes ; ou plutôt mesurez le zèle que vous avez pour les autres sur le zèle que vous devez avoir pour vous-mêmes, et de celui-ci tirez des conséquences pour celui-là. Telle est la solide leçon que je viens vous faire, après que nous aurons demandé le secours du ciel par l'intercession de Marie : Ave, Maria.

 

Il n'est rien de plus sublime, ni même de plus héroïque, dans l'ordre des vertus chrétiennes, que le zèle du salut et de la perfection du prochain. Car ce zèle, dans la pensée du docteur angélique saint Thomas, est une expression de l'amour divin ; c'est ce que la charité a de plus pur et de plus exquis ; c'est ce qui a fait le caractère des hommes apostoliques ; c'est le don qu'ont eu les prophètes, et l'esprit qui anime les prédicateurs de l'Evangile ; enfin, c'est dans cette vie le couronnement et la consommation de la sainteté. Aussi, quand l'Ecriture parle des apôtres, elle nous les représente comme de brillantes étoiles dans le firmament de l'Eglise, c'est-à-dire comme des lumières en qui Dieu se plaît à faire éclater toutes les richesses de sa grâce. Cependant, Chrétiens, quelque excellence et quelque prérogative que je découvre dans ce zèle de la perfection des autres, il m'est évident, et voici tout mon dessein, qu'il doit être soutenu et autorisé, qu'il doit être épuré et réglé, qu'il doit être adouci et modéré, par le zèle de notre perfection propre. Soutenu et autorisé, parce que sans cela il est vain et sans effet; épuré et réglé, parce que sans cela il est défectueux et faux ; adouci et modéré, parce que sans cela il est odieux et rebutant.

Tâchez, s'il vous plaît, Chrétiens, à bien entrer dans ces trois pensées. Rien de plus grand que le zèle du salut et de la perfection du prochain ; mais ce zèle, tout grand qu'il est, en le regardant du côté de Dieu qui l'inspire, peut être, à le prendre du côté de l'homme qui le pratique, faible dans son sujet, vicieux dans sa substance, extrême dans son action. Il peut être faible dans son sujet, parce qu'on ne pense pas avant toutes choses à l'appuyer sur un solide fondement. Il peut être vicieux dans sa substance, parce qu'on n'a pas soin d'en faire un juste discernement. Il peut être extrême dans son action, parce qu'on n'y mêle pas ce qui en doit faire le sage adoucissement. Or, d'où dépend ce fondement solide qui doit soutenir notre zèle, ce juste discernement qui doit régler notre zèle, ce sage adoucissement qui doit modérer notre zèle? du soin que nous apporterons à nous corriger d'abord nous-mêmes, et à nous perfectionner. Car c'est ce zèle de nous-mêmes et pour nous-mêmes qui autorisera notre zèle pour le prochain, qui rectifiera notre zèle pour le prochain, enfin qui adoucira notre zèle pour le prochain. Voilà en trois mots les trois parties de ce discours.

 

PREMIÈRE   PARTIE.

 

C'est par nous-mêmes, Chrétiens, que doit commencer ce zèle de correction et de réforme, que la vue des intérêts de Dieu a coutume de nous inspirer; et cette maxime est fondée sur Tordre essentiel de la charité, qui veut qu'en matière de salut, et de tout ce qui se rapporte au salut, nous nous aimions, sans exception, nous-même, préférablement à tout autre. Car l'amour-propre, dit saint Ambroise, qui est condamné comme vicieux et comme injuste dans tout le reste, devient, en ce seul point, non-seulement honnête et raisonnable, mais d'une obligation et d'un devoir indispensable. En effet, je dois aimer le salut de mon prochain plus que mes biens, plus que ma santé, plus que mon honneur, plus que ma vie; mais il ne m'est pas même permis de l'aimer autant que mon salut propre, et que ma perfection selon Dieu; et s'il était en mon pouvoir de convertir tout le monde en me pervertissant, ou de le réformer en me déréglant, je devrais abandonner la conversion et la réformation de tout le monde, persuadé que Dieu ne voudrait pas alors que le monde fût converti ni réformé par moi, puisqu'il ne le pourrait être qu'au préjudice de cette charité personnelle que je me dois à moi-même, et en vertu de laquelle Dieu veut que je m'applique premièrement à moi-même, et que je lui réponde de moi-même.

C'est ainsi que raisonne saint Augustin, et après lui le docteur angélique saint Thomas. Or, que s'ensuit-il de là? ce que j'ai dit d'abord, Chrétiens : savoir, que tout zèle de la perfection des autres, qui ne suppose pas un zèle sincère de se perfectionner soi-même, quelque droite intention d'ailleurs qui le fasse agir, est un zèle peu sensé, un zèle mal ordonné, un zèle même chimérique et faux, et par conséquent un zèle sans autorité du côté de celui qui l'exerce, et sans effet de la part de ceux envers qui on l'exerce. Pourquoi un zèle sans autorité du côté de celui qui l'exerce? Saint Grégoire, pape, en apporte la raison : parce qu'il n'y a que le bon exemple que l'on donne,

 

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et le témoignage qu'on se rend d'avoir commencé par soi-même,  qui puisse  autoriser une entreprise aussi délicate que celle de réformer les autres; et que, du moment que le zèle n'est pas  soutenu d'une régularité au moins égale à celle qu'il exige du prochain, et dont il veut faire une loi au prochain, il n'a plus même cette bienséance qui lui serait nécessaire pour se déclarer et pour agir. Je m'explique. Vous vous inquiétez de mille choses que vous prétendez être autant d'abus, et à quoi l'on convient avec vous qu'il serait bon d'apporter remède; mais on vous dit, au même temps, que cette inquiétude vous sied mal, tandis que tout ce qu'il y a dans vous-même de blâmable  et  souvent d'insupportable ne trouble en rien votre tranquillité. Vous êtes touché des injustices et des désordres qui règnent dans notre siècle, et l'on ne peut pas désavouer qu'il n'y en ait de très-grands et en très-grand nombre;  mais d'ailleurs on vous répond que vous avez mauvaise grâce de parler si haut, et de déclamer avec tant de chaleur contre des désordres étrangers, tandis que vous prenez si peu garde à certains désordres visibles qu'on remarque dans votre personne, et que vous y pourriez remarquer. Vous donnez des avis salutaires , et peut-être, eu égard aux sujets et aux circonstances, ces avis sont-ils bien fondés ; mais, quelque bien fondés qu'ils puissent être, on ne comprend pas avec quelle assurance vous osez les donner à celui-ci ou à celle-là, et les donner si exactement, et les donner si rigoureusement, en ne vous les donnant jamais à vous-même. Car on a toujours droit de s'étonner que des défauts dont Dieu ne vous a point fait responsable, et qu'il ne tient pas à vous de corriger, excitent tant vos murmures et vos plaintes, lorsque les vôtres, dont vous devriez être encore plus en peine, et dont Dieu vous demandera compte , ne font sur vous nulle  impression.   Ordonnez dans vous la charité, selon le précepte et l'expression du Saint-Esprit;  c'est-à-dire avertissez-vous vous-même, reprenez-vous vous-même, scandalisez-vous de vous-même, et puis vous serez reçu à reprendre et à censurer les autres. Sans cela, non-seulement votre zèle n'a rien que de faible, mais il devient même en quelque sorte méprisable, puisqu'il porte avec soi sa réfutation, et qu'il n'y a qu'à l'opposer à lui-même pour le faire taire et pour le confondre.

C'est l'excellente leçon que voulait nous faire le Fils de Dieu dans l'Evangile, par cette espèce de parabole dont il se servait : Quid autem vides festucam in oculo fratris tui ; et trabem quœ in oculo tuo est, non consideras (1) ? Pourquoi voyez-vous une paille dans l'œil de votre frère, vous qui, dans le vôtre , n'apercevez pas une poutre? et comment pouvez-vous dire à votre frère : Mon frère, souffrez que je vous ôte cette paille qui vous incommode, lorsque vous avez vous-même une poutre qui vous aveugle? Comme si le Sauveur du monde eût dit à ce prétendu zélé (c'est la réflexion de saint Chrysostome qui revient à ma pensée), comme s'il lui eût dit qu'un tel zèle ne lui convenait pas, et que ce langage de charité, qui, dans tout autre, aurait été louable, ne pouvait être qu'un reproche contre lui. Comme s'il lui eût dit que, quelque sensibles que fussent les imperfections de son frère, ce n'était point à lui à les remarquer et à les voir : Quid autem vides ? que s'il avait des lumières, il devait les ménager pour lui-même, et établir pour principe que, jusqu'à ce qu'il fût parvenu à la connaissance de lui-même, c'était une présomption de vouloir connaître les autres et les juger.

Morale que ce divin Maître enseignait encore bien mieux dans la pratique, lorsqu'il trouvait mauvais, par exemple, que les pharisiens entreprissent d'accuser devant lui cette femme surprise en adultère, et qu'ils s'ingérassent à en poursuivre la punition. Pourquoi cela? demande saint Jérôme; le crime de cette femme n'était-il pas constant et avéré? la loi de Moïse n'ordonnait-elle pas expressément qu'elle fût lapidée? Il est vrai; mais il paraissait indigne à Jésus-Christ que des hommes aussi criminels que les pharisiens, et qui, remplis d'une fausse idée de leur sainteté, ne pensaient à rien moins qu'à punir dans eux-mêmes ce qu'ils condamnaient avec tant de sévérité dans le prochain, s'érigeassent en censeurs publics, témoignassent tant d'ardeur pour l'observation de la loi, se fissent parties contre les pécheurs : voilà ce que le Sauveur du monde ne pouvait supporter; et c'est pourquoi il leur répondit, que celui d'entre eux qui se trouvait sans péché jetât donc la première pierre; leur marquant ainsi qu'il n'y avait que celui-là seul à qui il pût être permis de le faire, et que les autres avaient assez, dans leurs propres scandales, de quoi s'occuper, pour ne pas tourner toutes leurs pensées et tout leur zèle contre les scandales d'autrui. Argument plausible et convaincant, dont ces sages du judaïsme se sentirent

 

1 Luc, VI, 41.

 

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si vivement pressés, que, selon le rapport de l'Evangéliste, ils se retirèrent sans rien dire : Et audientes unus post unum exibant, incipientes a senioribus (1).

Mais avouons-le, mes chers auditeurs, et déplorons ici la misère humaine. Examinons bien tous les traits de ce tableau, et nous reconnaîtrons que c'est le nôtre. Car qu'y a-t-il de plus commun dans le christianisme que l'illusion de ce zèle pharisaïque, qui consiste à être éclairé pour les autres, régulier pour les autres, fervent pour les autres, et pour soi-même sans exactitude, sans attention, sans réflexion ? Que voit-on maintenant dans le monde? vous le savez : des gens qui voudraient rétablir Tordre partout ailleurs que dans leurs personnes et dans leur conduite; des laïcs corrompus et peut-être impies, qui prêchent sans cesse le devoir aux ecclésiastiques , des séculiers mondains et voluptueux, qui ne parlent que de réforme pour les religieux ; des hommes dérobe pleins d'injustices, qui invectivent contre le libertinage de la cour; des courtisans libertins, qui déclament contre les injustices des hommes de robe : des particuliers d'une conduite déréglée, qui cherchent des moyens pour remettre ou pour maintenir la règle dans l'état, mais à qui l'on pourrait bien dire ce que Jésus-Christ disait à ces femmes de Jérusalem : Nolite flere super me, sed super vos ipsas flete (2); Ne pleurez point sur moi, mais sur vous-mêmes.

En effet, on s'afflige et on gémit, on se plaint que le monde se pervertit tous les jours, qu'il n'y a plus de religion, que les intérêts de Dieu sont abandonnés; et Ton ne gémit pas sur les relâchements où l'on tombe et où Ton s'entretient, sur la mauvaise éducation qu'on donne à ses enfants, sur les débauches qu'on tolère dans ses domestiques. Saint Paul avait peine à comprendre comment celui qui n'a pas soin de sa maison pouvait avoir le zèle de l'Eglise de Dieu : Quomodo Ecclesiœ Dei diligentiam habebit (3)? Mais ce que saint Paul ne comprenait pas, on le comprend bien aujourd'hui, puisqu'on a trouvé le secret d'allier ces deux choses, et que malgré la corruption des familles chrétiennes, causée par la négligence de ceux qui les gouvernent, il est pourtant vrai que jamais l'Eglise n'eut tant de réformateurs sans mission, sans titre, sans caractère, qui se croient néanmoins suscités et autorisés de Dieu.

Je sais, mes chers auditeurs, que les Saints ont eu ce sentiment de zèle ; mais plût au ciel

 

1 Joan., VIII,9. — 2 Luc, XXIII, 28.— 3 1 Tim., III, 5.

 

qu'on voulût s'en tenir aux exemples des Saints! il n'en faudrait pas davantage pour nous porter à un prompt amendement, et pour nous établir dans une solide humilité. Je sais que David disait à Dieu : Tabescere me fecit zelus meus, quia obliti sunt verba tua inimici mei (1) ; Ah! Seigneur, mon zèle m'a desséché, quand j'ai vu jusqu'à quel point vos ennemis vous oubliaient : mais je sais aussi qu'il ne parlait de la sorte qu'après s'être reproché mille fois de l'avoir oublié lui-même, qu'après en avoir tait une rigoureuse pénitence, qu'après avoir hautement et pleinement réparé un oubli si criminel. Faisons ce qu'il a fait, et nous aurons droit de dire ce qu'il a dit. Je sais quels vœux et quels souhaits formait saint Bernard, quand il désirait avec tant de passion de revoir l'Eglise dans son ancien lustre et dans sa première pureté : Quis mihi det, ut videam Ecclesiam Dei sicut in diebus antiquis? mais autant que je suis édifié du souhait de saint Bernard, autant suis-je surpris et confus de voir souvent tenir ce langage à un mondain connu pour avoir peu de religion, ou à une mondaine remplie d'orgueil et idolâtre d'elle-même ; et j'en reviens pour l'un et pour l'autre à la maxime de l'Evangile : Cura teipsum; C'est bien à vous qu'il appartient de parler en ces termes ! allez, guérissez vos plaies qui sont visibles et mortelles, et ne vous ingérez point à vouloir guérir celles que la malignité d'un esprit chagrin vous fait peut-être apercevoir là où il n'y en a point. Demeurez dans vous-même, vous y trouverez plus que suffisamment à quoi employer, et même à quoi épuiser ce fonds de zèle qui vous rend si vif et si ardent. Que l'Eglise soit réformée, j'y consens; mais elle ne le doit point être par vous, tandis que vous serez ce que vous êtes ; vous aurez beau porter des lois, dès que ces lois viendront de vous qui n'en gardez aucune, elles ne serviront qu'à votre confusion, puisque rien ne paraît plus digne de mépris qu'un zèle actif et empressé dans un homme dont les actions démentent les paroles.

De là, zèle sans effet de la part de ceux envers qui on l'exerce, et voici pourquoi : car, comme nous n'aimons pas à être corrigés, et que naturellement toute réforme qui nous vient d'ailleurs que de nous-mêmes, par la seule raison qu'elle vient d'ailleurs, nous blesse et nous révolte, nous nous attachons volontiers à examiner quiconque, sous une apparence de zèle et de charité, veut prendre

 

1 Psalm., CXVIII, 139.

 

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l'ascendant sur nous ; et nous  croyons bien nous en défendre,  quand nous remarquons dans lui certains faibles qu'il ne remarque pas lui-même, et sur quoi il ne se fait pas justice. Par là nous éludons toutes ses remontrances; par là nous savons lui fermer la bouche ; par là, bien loin de l'écouter, nous devenons fiers et indociles; par là nous pensons avoir droit de lui répondre  ce que  répondit Jéthro à Moïse : Stulto labore consumeris (1) ; Vous travaillez en vain, et vous prenez une peine bien inutile. La plus grossière des erreurs est de penser que l'on vous croira, lorsqu'il paraît par votre conduite que vous ne vous croyez pas vous-même ; que Ton suivra vos conseils, quand vous êtes le premier dans la pratique à les abandonner. C'est bâtir d'une main, tandis que l'on détruit de l'autre : ce que l'Ecriture traite de folie. De là vient que ceux qui, dans le monde et par office, sont chargés de répondre des autres et de les corriger, ont une double obligation; mais une obligation, dit saint Augustin,   aussi   terrible  devant  Dieu qu'elle est indispensable, de s'appliquer avant toutes choses à leur perfection propre, pour se rendre capables de remplir les devoirs que la Providence leur a imposés. De là vient que le grand Apôtre, parlant des prêtres et des ministres de l'Eglise, veut, pour première qualité, que ce soient des hommes irrépréhensibles : Oportet irreprehensibiles esse (2) ; pourquoi? afin que les peuples, pour se parer de leur censure ne puissent pas leur dire : Medice, cura teipsum ; Vous êtes médecin des âmes, mais soyez d'abord médecin de la vôtre. Reproche qui leur ôte toute liberté de parler, et toute autorité dans l'exercice de leur ministère. Reproche, si je puis user de cette figure d'Isaïe, qui les tient comme des chiens muets dans la maison de Dieu. Reproche qui les met dans la nécessité de souffrir le vice et de craindre les vicieux; de tolérer celui-ci, et de ne pas repousser celui-là. Reproche, enfin, qui, de tout temps, a énervé et qui énerve encore plus que jamais la discipline et le bon ordre, dont ils devraient être le soutien, mais dont il faudrait pour cela qu'ils fussent les modèles.

Non pas, après tout, Chrétiens, qu'on ne dût même leur obéir et profiter de leurs leçons, quand il paraîtrait encore dans eux plus de faiblesse, et qu'ils seraient moins réglés, puisque leur caractère est indépendant du mérite de leur vie, et que, selon Jésus-Christ, du moment qu'ils sont assis dans la chaire de Moïse,

 

1 Exod., XVIII, 18. — 2 1 Tim., III, 2.

 

il faut recevoir avec respect ce qu'ils enseignent, sans prendre garde à ce qu'ils font. Mais parce que le commun des hommes n'est ni assez spirituel, ni assez équitable pour faire cette précision, on juge communément de l'un par l'autre ; et, en méprisant ce qu'ils font, on s'accoutume à mépriser ce qu'ils enseignent. Or, si le plus saint ministère n'est pas là-dessus à l'épreuve de la malignité du monde, que sera-ce de toutes les autres conditions? Ah! Chrétiens, que ne peut point un homme tel que le concevait saint Paul, un homme irrépréhensible ? il n'y a point de mal qu'il ne puisse arrêter, point de bien qu'il ne soit en état de procurer. S'il est dans une charge, avec quelle force ne parlera-t-il pas quand il faudra s'opposer à des scandales ? s'il est à la tête d'une famille, quel empire n'y prendra-t-il pas pour y faire fleurir la piété ? s'il a des enfants à élever, de quel poids ne seront pas auprès d'eux ses avertissements et ses conseils, et avec quelle docilité ne les recevront-ils pas? Mais qu'un père débauché ou violent fasse à son fils des leçons de modération et de régularité, quel fruit peut-il en espérer? Qu'une mère évaporée et mondaine prêche à sa fille la modestie et la fuite du monde, quel succès en peut-elle attendre ? Donnez , Seigneur, donnez à votre Eglise des ministres pour la gouverner, et à votre peuple des guides  pour le conduire ; mais des ministres qui sachent se gouverner eux-mêmes, mais des guides qui apprennent à se conduire eux-mêmes ; car c'est ainsi que le soin de notre propre perfection doit autoriser notre zèle, et qu'il le doit encore régler, comme nous Talions voir dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

Il y a, dit saint Jérôme, des vertus d'une nature si équivoque et si douteuse, que la première règle pour les pratiquer sûrement est de s'en défier. Tel est le zèle de la perfection du prochain. Dieu nous en fait une vertu, et une vertu nécessaire en mille rencontres ; mais parce que ce zèle est sujet à dégénérer et à se corrompre, Dieu veut qu'en le pratiquant nous l'examinions, et que notre soin principal soit de le rectifier : de le rectifier, dis-je, et par rapport à notre raison, et par rapport à notre cœur ; par rapport à notre raison, parce qu'il se peut faire que ce ne soit pas un zèle selon la science, ainsi que nous l'apprend saint Paul : Aemulationem Dei habent, sed non secundum scientiam (1) ; par rapport à notre cœur, parce

 

1 Rom., X, 2.

 

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qu'il arrive souvent que ce n'est pas un zèle selon la charité. Or, par où le rectifierons-nous en l'une et en l'autre manière ? Je dis que ce sera par le zèle de notre perfection propre ; et voilà, Chrétiens, la seconde leçon que je tire de cette parole de notre évangile : Cura teipsum. Tâchons à en bien pénétrer le sens.

Nous avons du zèle pour les autres ; et souvent il se trouve que ce zèle, bien loin d'être un zèle selon la science, par une malheureuse contagion que lui communiquent les qualités de notre esprit, est un zèle erroné, un zèle bizarre, un zèle borné et limité ; autant de caractères qui le falsifient, et qui nous obligent par conséquent à en faire un sérieux examen, pour le bien connaître et pour ne nous y pas laisser surprendre. Permettez-moi d'en venir à un détail qui développera toute ma pensée. Combien d'hérétiques, dans la suite des siècles, ont entrepris de réformer l'Eglise, et d'en retrancher, soit pour le dogme, soit pour la discipline , des erreurs et des abus imaginaires ? Peut-être quelques-uns agissaient-ils avec une espèce de bonne foi, peut-être se flattaient-ils d'avoir reçu grâce pour cela, et peut-être en effet y étaient-ils poussés par un certain mouvement de zèle ; mais zèle erroné, qui, procédant de l'esprit de schisme, ne pouvait être que pour la destruction, et nullement pour l'édification. Si ceux que ce zèle animait avaient eu au même temps un autre zèle, je veux dire celui de leur propre sanctification ; si d'abord ils eussent fait un retour sur eux pour réformer leur orgueil, pour réformer leur présomption, pour réformer leur singularité, pour réformer leur entêtement et leur opiniâtreté , sources funestes et ordinaires des hérésies, la raison leur eût dit, ou ils se seraient dit à eux-mêmes : Il n'est pas juste que mon sentiment particulier soit la décision et la règle des choses; mais il est juste, au contraire, que je le soumette à l'autorité de celle qui a Jésus-Christ pour chef, et le Saint-Esprit pour maître. En matière de religion, le parti de l'obéissance et de l'unité est le seul parti qu'il y ait à prendre; et quand hors de là je ferais des miracles, non-seulement ces miracles me devraient être suspects, mais je les devrais regarder comme des illusions. Ils auraient pensé, ils auraient parlé de la sorte, et le zèle de leur réformation personnelle eut servi de correctif au prétendu zèle d'une réformation générale, qui les trompait. Mais parce que cette attention sur eux-mêmes leur manquait, qu'arrivait-il, Chrétiens? ce que vous savez : en voulant retrancher des abus, ils remplissaient le monde d'erreurs ; en ne s'appliquant jamais à guérir ces maladies internes qui corrompaient peu à peu le fond de leur religion, ils se pervertissaient, ils se précipitaient en aveugles dans l'abîme de perdition, et ils y entraînaient les autres avec eux. Voilà ce que j'appelle un zèle erroné.

Zèle bizarre : suivez-moi toujours, et reconnaissez aujourd'hui les égarements de l'homme dans la recherche même du bien. Zèle bizarre, qui, sans avoir appris à se gouverner par le bon sens, voudrait néanmoins être reçu à gouverner souverainement le monde; et qui, plein de ses idées vaines et quelquefois extravagantes, au lieu de travailler à les redresser, prétend à son gré, et selon l'extravagance de ses idées, donner la loi partout, et réformer tout. Or, combien d'exemples dans le siècle où nous vivons, n'en avons-nous pas ? Laissez agir des gens poussés et conduits par cet esprit, et vous verrez quels beaux effets aura leur zèle. Il n'y aura point d'états qu'ils ne renversent, point de devoirs qu'ils ne confondent, point de sociétés qu'ils ne divisent, point de maisons qu'ils ne troublent. Au lieu de proportionner leur zèle aux conditions des hommes, ils mesureront les conditions des hommes par leur zèle. Au lieu de s'accommoder aux génies et aux talents, ils voudront accommoder tous les talents et tous les génies à leurs humeurs et à leurs vues. Ils seront sévères où il faudrait être doux, et lâches où il faudrait être sévères. Ils conseilleront plus qu'on ne peut, et ue demanderont pas ce que l'on doit ; ils porteront à des excès de perfection incompatibles avec les points d'obligation. L'un engagera à des retraites imprudentes et hors de saison, l'autre à des éclats insoutenables et même scandaleux : celui-ci, d'un homme du monde bien intentionné fera un visionnaire ; celui-là, d'une, femme vertueuse, une dévote entêtée : pourquoi ? parce que tout cela n'a pour principe qu'un zèle mal entendu, et que le premier agent qui donne aux autres l'impression ne s'est pas étudié d'abord à se régler soi-même. Le remède serait donc de se précautionner contre soi-même : Cura teipsum; et de faire les réflexions suivantes : Je passe pour singulier, et je le suis en effet; j'ai toujours des sentiments écartés, et opposés aux sentiments communs. Or, dans la conduite du prochain, dois-je tant déférera mes lumières ; et la prudence ne veut-elle pas que je m'attache à ce qui est généralement approuvé, et que je me départe de ce que je vois contredit par une certaine raison universelle?

 

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C'est ainsi que le zèle pourrait devenir discret et sage; mais, bien loin de se faire une si utile leçon, on se fait de ses bizarreries une espèce de mérite ; et parce qu'on a l'esprit tourné autrement que le reste des hommes, on se croit au-dessus de tous les autres hommes, sans considérer qu'il est bien plus probable qu'on est d'autant plus au-dessous, qu'on pense moins y être.

De là, zèle borné et limité : ce que l'on a jugé bon et saint, on veut qu'il soit bon et saint pour tout le monde ; et si tout le monde n'en passe par là, on est déterminé à condamner tout le monde, et à croire tout le monde perdu. Hors du plan de réforme qu'on a conçu, tout paraît égarement, tout paraît désordre et relâchement. Mais Dieu, le souverain maître, a-t-il donc traité avec vous pour ne distribuer ses dons et ses grâces que selon vos projets ? n'a-t-il point, dans les trésors de sa sagesse, d'autres idées du bien que celles que vous proposez? nous appelle-t-il tous au même genre de perfection ? nous conduit-il tous par le  même chemin ? est-ce à vous  seul  qu'il  a révélé ses voies ?  est-ce de vous seul qu'il veut se servir pour l'accomplissement de ses desseins? et qui êtes-vous, enfin, pour entreprendre, si je puis ainsi parler,  de raccourcir sa providence, et pour vouloir lui prescrire des bornes ? Il aurait fallu de bonne heure vous élever l'esprit : Cura teipsum; il aurait fallu vous faire une plus grande âme, une âme capable de tout bien, capable au moins d'estimer le bien partout où il est, et de quelque part qu'il vienne. Il aurait fallu vous appliquer ces paroles de l'Apôtre aux Corinthiens : Eamdem autem habentes remunerationem... dilatamini et vos (1) ; Ayez, mes Frères, les uns pour les autres un zèle moins étroit et moins resserré. Alors on ne vous verrait plus tant fatiguer le monde de vos avis; on ne vous entendrait plus tant déclamer  contre   ceux  qui prennent  d'autres routes que les vôtres, et vous ne feriez plus tant d'efforts pour les amener, ou de gré ou de force, à votre point.

Cependant, après avoir rectifié le zèle par rapport à l'esprit, il reste à le régler et à l'épurer par rapport au cœur ; et c'est ici que notre amour-propre triomphe, et qu'il met en œuvre tous ses artifices et toutes ses ruses. Car de croire que tout zèle pour la perfection du prochain soit un zèle inspiré de Dieu, abus, Chrétiens. Si cela était, il ne serait ni si prompt, ni si naturel; il ne serait pas si aisé de l'avoir,

 

1 2 Cor., VI, 13.

 

il en coûterait davantage pour le soutenir, et l'on ne verrait pas les plus imparfaits et souvent même les plus libertins s'en faire honneur. Mais l'illusion est de confondre les choses, et de prendre pour vrai zèle ce qui est passion, et pure passion; je veux dire de prendre pour zèle ce qui est chagrin, de prendre pour zèle ce qui est inquiétude, de prendre pour zèle ce qui est intrigue, de prendre pour zèle ce qui est envie, de prendre pour zèle ce qui est ambition et intérêt ; car tout cela, quoique infiniment éloigné d'un zèle chrétien, ne laisse pas de l'imiter et d'en avoir toutes les apparences. Ainsi l'envie semble-t-elle déplorer dans le prochain des défauts qu'elle se plaît à y remarquer. Ainsi l'ambition, sous prétexte de rétablir ou de maintenir l'ordre, cherche-t-elle à dominer. Ainsi l'esprit d'intrigue trouve-t-il par là mille occasions de se produire et de s'ingérer. Ainsi la vivacité d'une âme naturellement inquiète la porte-t-elle à sortir hors d'elle-même, pour s'attacher aux imperfections du prochain, et pour y trouver des sujets sur quoi s'exercer. Ainsi la mélancolie prend-elle le nom de zèle, pour avoir droit de contester et de condamner. Mais tout cela, ajoute saint Grégoire, pape, n'est point ce zèle de Dieu qu'avait saint Paul, quand il disait aux Corinthiens : Aemulor enim vos Dei œmulatione (1). C'est le zèle de l'homme, et de l'homme passionné, de l'homme aveugle et corrompu. Or, sans le zèle de Dieu, celui de l'homme n'est qu'un fantôme, et, pour parler avec l'Ecriture, une idole de zèle: Idolum zeli (2) ; c'est l'expression du prophète Ezéchiel; et vous savez ce que dit l'apôtre saint Jacques, que la passion de l'homme, c'est-à-dire le zèle de l'homme, n'accomplit jamais la justice de Dieu.

Mais qu'un homme, de bonne heure, se soit étudié lui-même pour connaître les plus secrets mouvements de son cœur ; que, par de saintes violences, il se soit rendu maître de ses inclinations et de ses antipathies, de ses désirs et de ses aversions ; qu'il ait appris à réprimer sa cupidité, à borner son ambition, à étouffer ses ressentiments, à modérer ses colères, à calmer ses inquiétudes : alors il sera en état de distinguer quel esprit l'anime dans son zèle, et de le réduire aux termes de la raison et de l'équité. Sans autre pierre de touche que ses propres réflexions, il démêlera, au travers des plus belles couleurs dont se pare le faux zèle, la malignité de l'envie, l'aigreur de l'animosité et de la haine, les emportements de la

 

1 2 Cor., XI, 2. — 2 Ezech., VIII, 5.

 

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vengeance, les artifices de l'intrigue, les prétentions de l'intérêt, les saillies et les impétuosités du naturel. Il saura quand il faudra parler, et quand il faudra se taire. Il ne cherchera point à guérir un mal, peut-être assez léger, par un autre mal beaucoup plus grand ; à corriger un désordre, peut-être assez peu sensible, par un autre désordre beaucoup plus criminel, je veux dire par une médisance atroce, ou par un éclat scandaleux. Il ne s'attachera point opiniâtrement, sous une apparence de zèle, à butter certaines personnes qui ne lui plaisent pas , à les décrier et à les détruire , plutôt que d'autres qu'il aime et à qui il passe tout. Dès qu'il aura quelque sujet de craindre que ses vues ne soient pas assez épurées et qu'il n'y entre de la passion, il prendra le parti de l'humilité et du silence, persuadé qu'il vaut mieux, après tout, risquer la perfection de son frère , que la sienne propre. Ah! mon Dieu, qu'est-ce que l'homme , et combien est-il sujet à s'égarer, lors même qu'il semble tenir les voies les plus droites et pratiquer les plus belles vertus? Quoi qu'il en soit, Chrétiens, il ne suffit pas d'autoriser notre zèle pour la perfection du prochain et de le régler, il faut encore l'adoucir; et c'est à quoi nous servira le zèle de notre perfection particulière, comme je vais l'expliquer dans la troisième partie.

 

TROISIÈME PARTIE.

 

Si dans la conduite de la vie nous étions toujours aussi disposés, ou à faire grâce aux autres . qu'à nous la faire à nous-mêmes, ou à nous faire justice à nous-mêmes qu'à la faire aux autres, il serait inutile, dit saint Chrysostome, de chercher dans la morale chrétienne de quoi tempérer la ferveur de notre zèle à l'égard du prochain, puisqu'il est constant qu'elle n'excéderait jamais les termes d'une juste modération. Mais parce que l'iniquité de l'homme lui donne un penchant tout contraire, et que son naturel le porte, quand il le laisse agir, à n'être indulgent que pour soi, et à réserver pour les autres toute sa sévérité, le zèle le plus sincère et le plus pur a besoin d'un tempérament qui, sans affaiblir sa vertu, rende son action plus supportable, et qui en corrige les excès sans en altérer le principe. Ainsi le Sauveur du monde réprima-t-il le zèle de deux disciples qui s'intéressèrent pour son honneur, et qui, indignés de l'outrage qu'il avait reçu, lui demandaient qu'il fît descendre le feu du ciel sur les Samaritains. Zèle apostolique, reprend saint Ambroise, mais dont la rigueur devait être adoucie par l'onction de cette admirable parole : Nescitis cujus spiritus estis (1) ; Vous ne savez pas sous quelle loi vous vivez, et quel en est l'esprit. Ainsi, dans la doctrine de saint Paul, le zèle même de la conversion des pécheurs, qui devrait être, ce semble, le plus ardent et le plus libre, veut-il néanmoins des ménagements sages, et si nécessaires, que sans cela, tout divin qu'il est, il deviendrait non-seulement inefficace, mais intolérable et odieux. Ainsi de tout temps les hommes apostoliques, dans la poursuite des plus saintes entreprises, ont-ils cru, si j'ose parler ainsi, devoir humaniser leur zèle, pour lui donner cet attrait et cette grâce dont ils étaient persuadés que dépendait sa force. Il est donc question de trouver le correctif, mais le correctif infaillible et sûr, de tous les mouvements trop vifs et trop impétueux du zèle, quoique véritable, dont on se sent animé pour les autres; et je dis encore que c'est le zèle qu'on doit avoir pour soi-même : en voici la raison, qui comprend dans un seul point les plus excellentes instructions.

C'est que tout homme zélé pour soi-même, quelque bien qu'il se propose et qu'il envisage hors de soi, a toujours en vue cette grande maxime, de ne risquer jamais la charité, et d'abandonner plutôt tout le reste que d'exposer cette vertu, qu'il regarde comme le fondement et la base de tout ce qu'il prétend édifier. Il dit surtout et partout, avec l'Apôtre : Quand je parlerais le langage des anges, quand je ferais des miracles dans le monde, si je n'ai la charité, je ne suis rien. Or, la charité a toutes les qualités qui doivent faire dans une âme cet admirable tempérament que nous cherchons; et il est impossible que le zèle dégénère dans aucune des extrémités à quoi il est sujet, tandis que la charité le dirige. Car prenez garde, Chrétiens : le zèle dont on se sent ému à l'égard du prochain , quand il abonde, est naturellement impatient, précipité, aigre, impérieux, défiant, incrédule, facile à s'offenser et à se piquer : voilà ses défauts, ou , pour mieux dire, ses excès. Mais, par des caractères bien opposés et bien remarquables, la charité, selon saint Paul, est patiente, humble, simple, sans fard, sans aigreur, ne s'emportant jamais, ne s'élevant jamais, se réjouissant du bien , croyant peu le mal ; en sorte que nous y trouvons tous les adoucissements qui doivent perfectionner notre zèle. Etudions tous ces traits, mes chers auditeurs, et ne négligeons pas des règles aussi

 

1 Luc, IX, 55.

 

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essentielles et aussi importantes que celles-là.

Le zèle, je dis le zèle de la perfection d'autrui, est naturellement impatient, car on en voudrait voir d'abord le succès ; on voudrait qu'au moment qu'on a parlé, la face du monde changeât, qu'il n'y eût plus d'abus, plus de désordres dès qu'on les a condamnés ; et parce qu'on n'y voit pas les choses sitôt disposées, non-seulement on se rebute, mais on en conçoit de la peine contre les personnes , mais on en témoigne du dépit, mais on éclate et on s'emporte : pourquoi ? parce qu'on ne sait pas conserver la charité, cette charité patiente, et qu'on ne l'appelle pas à son conseil. Or, voulez-vous, mon Frère, disait saint Augustin, être plus modéré et plus patient dans votre zèle ? considérez l'éternité de Dieu : Vis esse longanimis ? Vide œternitatem Dei. Car, à le bien prendre, votre zèle n'est inquiet et empressé que parce que votre vie est courte; et cette impatience que vous faites paraître quand on ne se corrige pas aussi promptement que vous le voulez, est même une marque du sentiment que vous avez de la brièveté de vos jours. Mais Dieu, dont la durée est éternelle, a un zèle paisible et tranquille : comme tous les temps sont à lui, ce qu'il ne fait pas dans un temps, il le fait dans l'autre ; ce qu'il n'obtient pas aujourd'hui, il se réserve à l'obtenir demain; et sa patience à supporter le mal, bien loin d'être un faible qui l'humilie, est un attribut dont il se fait honneur. Entrez donc dans la pensée de cette sainte éternité , si vous voulez que votre zèle ait le calme de cette divine tranquillité : Vis esse longanimis ? Vide œternitatem Dei. C'était le raisonnement de ce saint docteur; mais, sans remonter jusqu'à l'éternité de Dieu, j'ai bien plus tôt fait de me rabattre sur moi-même , et de me dire : A quoi bon ces inquiétudes et ces empressements ? est-ce ainsi qu'agit la charité, ou est-ce ainsi que le Dieu de charité en use à mon égard ? Si son zèle pour moi s'était lassé en tant de rencontres et sur tant de sujets , où en serais-je? pourquoi mon zèle pour les autres aurait-il moins de constance ? Dieu m'a attendu des années entières, et le moindre retardement me pousse à bout. J'ai résisté au zèle de Dieu, et je ne puis souffrir qu'on résiste au mien : est-il rien de plus injuste? Et voilà, Chrétiens, sur quoi saint Paul fondait ce point de morale si paradoxe dans la spéculation et si vrai dans la pratique, quand il disait qu'encore que le zèle soit prompt dardent, la charité est patiente ; et que c'est à la patience de la charité d'arrêter la promptitude et l'ardeur du zèle : Charitas patiens est (1).

Comme notre zèle est impatient, par une suite nécessaire il devient chagrin, fâcheux, mortifiant, plein d'amertume, toujours sur le ton de l'invective et du reproche ; en sorte qu'il semble qu'on se fasse un plaisir d'attrister le prochain en le réformant, au lieu de le consoler en lui inspirant de la confiance et en l'encourageant. Car vous savez combien ce caractère de zèle est ordinaire, et quelle peine les âmes souvent les mieux intentionnées et les plus droites ont à s'en défendre. De dire, Chrétiens, que le zèle du Sauveur des hommes n'a point été de cette nature ; qu'au contraire, c'est par un zèle de douceur qu'il a fait profession de les gagner, et qu'il les a en effet gagnés ; que quelque ardeur qu'eût cet Homme-Dieu pour les intérêts de son Père, quelque horreur qu'il eût des scandales qui se commettaient dans le monde, quelque austérité de mœurs et de vie qu'il prétendît établir (trois choses infiniment capables d'exciter le feu divin qui le brûlait, et de l'enflammer), rien néanmoins de tout cela n'a aigri son zèle ; mais que de là même il a tiré des raisons pour l'adoucir, sachant fort bien qu'une loi aussi sévère que son Evangile ne réformerait jamais le monde, qu'autant que la douceur de sa conduite la rendrait aimable ; que l'horreur qu'il avait des scandales , séparée de cette douceur, irait à exterminer les scandaleux, et non pas les scandales mêmes ; et que l'ardeur dont il était animé pour les intérêts de son Père céleste serait un feu dévorant qui consumerait et qui ne purifierait pas. De dire encore que c'est par cette douceur que son zèle a été tout-puissant, qu'il a fléchi les cœurs de bronze , qu'il a attiré les publicains, qu'il a sanctifié les pécheresses , qu'il a opéré les plus grands miracles de conversion; qu'au reste il n'est pas croyable que notre zèle doive réussir par d'autres voies que le sien, ni que notre sévérité soit plus efficace ou plus heureuse ; de parler, dis-je, de la sorte et de vous proposer ce modèle, ce serait une espèce de démonstration dont il n'y a personne qui ne dût être touché. Mais laissant toute autre preuve, j'aime mieux en revenir toujours au même principe, qui, dans sa simplicité, a quelque chose et de plus sensible et de plus pénétrant. Car enfin , mon Frère, puis-je dire à tout homme zélé pour les autres jusqu'à l'excès , consultez-vous vous-même, et soyez vous-même votre juge? Dans

 

1 1 Cor., XIII, 4.

 

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quelque disposition que vous soyez à profiter du zèle des autres pour votre avancement et pour votre perfection, vous voulez qu'on vous ménage, vous prétendez qu'on ait pour vous des condescendances et des égards ; vous ne vous accommodez pas de cette exactitude rigoureuse et pharisaïque qui ne garde aucune mesure; vous ne pouvez supporter que l'on vous traite avec hauteur : s'il s'agit de vous faire une remontrance et de vous donner un avis , vous croyez avoir droit d'exiger qu'on prenne votre temps, qu'on entre dans votre esprit, qu'on étudie votre humeur; si l'on en use d'une autre manière, bien loin de vous ramener à l'ordre, on vous révolte. N'est-il donc pas juste que vous vous imposiez la même loi ? vous demandez que l'on compatisse à vos faiblesses : pouvez-vous donc vous dispenser de compatir aux faiblesses de votre prochain ? Nonne ergo oportuit et te misereri conservi tui (1), concluait notre divin Maître, après nous avoir proposé la parabole de ce débiteur qui ne voulut pas remettre une dette qu'on lui avait remise? Est-il raisonnable que, pour guérir les plaies de vos frères, vous n'employiez que le vin, tout pur et tout aigre qu'il peut être, et que votre délicatesse aille au même temps à vouloir pour votre guérison qu'on ne verse que l'huile sur vos blessures? Ne faut-il pas que votre douceur, selon la belle règle du grand évêque de Genève, soit le premier appareil des plaies dont vous entreprenez la cure? Or, si cette règle convient partout, et à l'égard de toutes sortes de sujets, beaucoup plus, dit saint Grégoire, pape, convient-elle à l'égard de ceux qui, dominés par de longues habitudes, et après avoir vécu dans de grands désordres, forment enfin la généreuse résolution de quitter leurs premiers engagements et de retourner à Dieu. Comme ils sont plus faibles, ils ont plus besoin d'être aidés, d'être soutenus, d'être encouragés. Non pas qu'il faille manquer de fermeté ; mais il y a une fermeté sage, une fermeté qui sait s'insinuer, qui sait se faire aimer,

 

1 Matth., XXVIII, 33.

 

et faire aimer à ceux mêmes que l'on corrige, la salutaire correction qu'ils reçoivent. Si vous les rebutez par un zèle dur et impitoyable, vous leur donnerez horreur du remède, vous les éloignerez du sacrement ; ils se replongeront dans le même abîme , dans les mêmes désordres; ils abandon lieront tout. Ah! combien de pécheurs touchés de Dieu auraient consommé l'ouvrage de leur conversion, s'ils étaient tombés entre les mains d'un ministre plus patient et plus compatissant? mais parce que celui qu'ils ont rencontré les a contristés, les a chagrinés, les a désespérés, plus de pénitence pour eux pendant la vie, et peut-être plus de pénitence même à la mort.

Je sais que cette charité qu'inspire le vrai zèle, et qui lui est si propre, demande bien des ménagements et bien des réflexions. Je sais que, pour ne se pas échapper quelquefois, il faut bien s'étudier soi-même , et être bien maître de soi-même. Mais, mon cher auditeur, de quoi s'agit-il ? il s'agit de gagner votre frère à Dieu : Lucratus eris fratrem tuum (1). Il s'agit de le retirer de la voie de perdition, et de le ramener dans les voies de Dieu. Le laisserez-vous périr pour ne vouloir pas vous faire à vous-même quelque violence, après qu'il en a coûté à Jésus-Christ tout son sang pour le sauver? Allumez, Seigneur, allumez dans nos cœurs ce feu divin, ce saint zèle dont brûlait votre Prophète ; que dis-je ? dont vous avez brûlé vous-même sur la terre. Rendez-nous sensibles aux intérêts de votre gloire, sensibles aux intérêts du prochain, sensibles à nos propres intérêts ; et nous n'épargnerons rien pour des âmes qui vous doivent éternellement glorifier, pour des âmes avec qui nous devons être éternellement unis dans le ciel, pour des âmes dont la sanctification et le salut, après avoir été le sujet de nos soins, deviendra le gage de notre félicité éternelle, où nous conduise, etc.

 

1 Matth., XVIII, 15.

 

 

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