LUNDI CAREME IV

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SERMON POUR LE LUNDI DE LA QUATRIÈME SEMAINE. SUR LE SACRIFICE DE LA MESSE.

 

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ANALYSE.

 

Sujet. Or, les disciples se souvinrent de ce qui est écrit : Le zèle de votre maison me dévore.

Puisqu'il s'agissait de la maison de Dieu, il ne faut pas s'étonner que le Sauveur du monde marquât tant de zèle contre les profanateurs du temple de Jérusalem. C'est à ce premier temple que nos églises ont succédé ; et ce qui les distingue particulièrement, c'est l'adorable sacrifice que nous y offrons. Sacrifice de la messe, dont je veux, autant qu'il est possible, vous faire connaîtra dans ce discours l'excellence et le prix, afin de vous apprendre par là même avec quel esprit vous y devez assister.

Division. Sacrifice delà messe, sacrifice souverainement respectable : pourquoi? parce que c'est à Dieu qu'il est offert : première partie ; parce que c'est un Dieu qui y est offert : deuxième partie.

Première partie. Sacrifice de la messe, sacrifice souverainement respectable, parce que c'est à Dieu qu'il est offert. Y assister, c'est assister, 1° à la plus grande action du christianisme ; 2° à une action dont la fin immédiate est d'honorer Dieu; 3° à une action qui, prise dans son fond, consiste surtout à humilier la créature devant Dieu; 4° à une action qui, désormais, est l'unique par où ce culte d'adoration, je dis d'une adoration suprême, puisse être extérieurement et authentiquement rendu à Dieu; 3° c'est y assister en toutes les manières qui peuvent nous inspirer lu respect et la révérence due à Dieu.

1° C'est assister à la plus grande action du christianisme. D'où vient que dans les anciennes liturgies le sacrifice est appelé action par excellence; et c'est ainsi que nous l'appelons encore aujourd'hui. Toutefois, nous nous y présentons comme si c'était l'action la moins sérieuse, et qui put être plus impunément négligée.

2° C'est assister à une action dont la fin immédiate est d'honorer Dieu. Chaque action de piété a sa fin particulière, et la fin particulière du sacrifice est l'honneur de Dieu. Dans tous les autres devoirs on peut presque dire que l'homme agit plutôt pour lui-même et pour son intérêt, que pour l'intérêt de Dieu : car si je prie, par exemple, c'est pour m'attirer les grâces de Dieu. Mais quand je vais au sacrifice, qu'est-ce que j'envisage ? d'honorer Dieu. Que serait-ce donc de faire servir à le déshonorer ce qui doit spécialement servir à le glorifier ?

3° C'est assister à une action qui, prise dans son fond, consiste surtout à humilier la créature devant Dieu. Car qu'est-ce que le sacrifice? une protestation que nous faisons à Dieu de notre dépendance et de notre néant. L'oraison, en élevant nos esprits à Dieu, nous élève au-dessus de nous-mêmes; mais le sacrifice nous rabaisse au-dessous de nous-mêmes, en nous anéantissant devant Dieu. Comme donc je ne puis mieux m'humilier devant Dieu qu'en lui offrant le sacrifice, aussi ne puis-je autrement avoir part au sacrifice qu'en m'humiliant devant Dieu. De là, quel désordre lorsque des chrétiens viennent au sacrifice du vrai Dieu, non-seulement sans cette humilité religieuse, mais avec tout l'orgueil du libertinage et tout le faste du monde ?

4° C'est assister à une action qui, désormais, est l'unique par où ce culte d'adoration, je dis d'une adoration suprême, puisse être extérieurement et authentiquement rendu à Dieu. Dans toutes les autres actions, je ne fais point celte protestation publique et solennelle de ma dépendance et de mon néant. Le seul sacrifice est l'aveu juridique de ce que je suis, et de ce que je dois à Dieu. Mais par un renversement bien déplorable, quel sujet ne donnons-nous pas aux païens et aux infidèles de nous faire la même demande que les ennemis du Seigneur faisaient à David : Ubi est Deus tuus ? Où est votre Dieu ?

5° C'est y assister en toutes les manières qui peuvent nous inspirer le respect et la révérence due à Dieu, 1° comme témoins; honneur que l'Eglise ne fait qu'aux fidèles : mais au lieu de nous occuper de Dieu, qui nous est présent et à qui nous sommes présents, nous ne nous occupons que de vains objets, ou qui repaissent notre curiosité, ou qui servent d'amusement à notre oisiveté. 2° Comme ministres ; car nous offrons tous le sacrifice avec le prêtre, sans être néanmoins revêtus du même caractère que le prêtre : fonction si sainte, que quelques-uns même ont conclu de là qu'un pécheur ne pouvait assister au sacrifice de la messe dans l'état de son péché. Conséquence erronée que je rejette : mais, m'en tenant au principe sur quoi elle est établie, ne dois-je pas conclure que, puisque nous assistons au sacrifice en qualité de ministres, tant de crimes que l'on y commet sont autant de profanations ? Qui le croirait, qu'un chrétien choisi de Dieu pour lui offrir un sacrifice tout divin voulût faire du temple même un lieu de plaisir, et du plus infâme plaisir ? Désordre que Tertullien, et après lui saint Jérôme et saint Chrysostome, reprochaient à leurs siècles, mais qui maintenant est plus commun qu'il ne l'a jamais été. 3° Comme victimes : et en effet, puisque nous ne faisons avec Jésus-Christ qu'un même corps, il s'ensuit, dit saint Thomas, que nous sommes immolés avec lui. Par conséquent, nous devons nous mettre dans l'état de ces anciennes victimes qu'on sacrifiait au Seigneur. Elles étaient liées, elles étaient privées de l'usage des sens, elles étaient brûlées par le feu. Ainsi, il faut que la religion nous lie, et nous tienne respectueusement appliqués au sacrifice. Il faut qu'elle nous couvre les yeux, et qu'elle les ferme à tous les objets de la terre. Il faut qu'elle nous consume par le feu de la charité.

Mais n'est-il pas surprenant, comme l'a remarqué Pic de la Mirande, que de tant de religions qui se sont répandues dans le monde, il n'y ait eu que la religion du vrai Dieu dont les temples et les sacrifices aient été profanés par ses propres sujets? La raison de cette différence est que l'ennemi de notre salut ne va point tenter les païens, ni les troubler dans leurs sacrifices, parce que ce sont de faux sacrifices : au lieu qu'il emploie toutes ses forces à nous détourner du sacrifice de nos autels, parce que c'est un sacrifice également glorieux à Dieu et salutaire pour nous.

Deuxième partie. Sacrifice de la messe, sacrifice souverainement respectable, parce que c'est un Dieu qui y est offert. Quand nous aurions vécu sous l'ancienne loi, et que nous n'aurions point eu d'autres sacrifices que ces sacrifices imparfaits dont Dieu avait établi l'usage par le ministère de Moïse, il faudrait toujours y assister avec crainte et avec tremblement. Aussi avec quelle révérence Dieu voulait-il que les Juifs entrassent dans le sanctuaire pour lui offrir leurs sacrifices et le sang des animaux; et avec quel zèle et quelle fidélité ce peuple, d'ailleurs si indocile, s'acquittait-il de ce devoir? Qu'eussent-ils donc pensé, et qu'eussent-

 

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ils fait, s'ils eussent eu comme nous à offrir le sacrifice d'un Dieu; et que  devons-nous penser, que devons-nous faire nous-mêmes ? Sur cela, je me contente de trois considérations.

Première considération. Quand je vais au sacrifice que célèbre l'Eglise, je vais au sacrifice de la mort d'un Dieu ; à un sacrifice dont réellement et sans figure la victime est le Dieu même que j'adore. Si donc par de sensibles outrages j'ose encore lui insulter comme les Juifs qui le crucifièrent, ne suis-je pas digne de ses plus rigoureuses vengeances?

Seconde considération. Pourquoi ce Dieu de miséricorde s'immole-t-il dans le sacrifice de nos autels? pour nous apprendre et pour nous aider à faire ce que nous ne pouvons faire sans lui et que par lui, je veux dire à honorer Dieu autant que Dieu le mérite et qu'il le demande. Car pour cela, dit saint Thomas, il a fallu un sujet d'un prix infini, et offert d'une manière infinie. Mais tandis que Jésus-Christ, dans cet état de victime, honore son Père : Ego honorifico Patrem, il semble que nous prenions à tâche de détruire par nos scandales tout l'honneur qu'il lui rend par ses anéantissements. Faisons par proportion ce qu'il fait, si nous voulons par proportion glorifier Dieu comme il le glorifie.

Troisième considération. Que fait encore Jésus-Christ dans ce sacrifice? non-seulement il apprend aux hommes à honorer Dieu, mais il y traite de leur réconciliation avec Dieu. Comme médiateur, il plaide leur cause, et il offre le prix de la rédemption : Ego pro eis sanctifico meipsum. Or, reprend saint Bernard, si je voyais le fils unique d'un prince de la terre mourir pour moi, m'arrêterais-je, tandis qu'il meurt, à de vains amusements? Et lorsque le Fils unique de Dieu se sacrifie pour mes intérêts, serais-je assez insensé pour faire un jeu du sacrifice même de mon Sauveur? Pensée touchante que saint Jean de Jérusalem exprimait eu des termes moins figurés, mais non moins énergiques ni moins pressants. De là, jugeons quels sentiments nous doivent occuper dans ce sacrifice d'expiation. Ne sont-ce pas ceux d'un pécheur contrit et d'un pécheur reconnaissant?

Je n'ai, en finissant ce discours, qu'un seul raisonnement à vous opposer. Ou vous croyez ce que la foi nous enseigne du sacrifice de notre religion, ou vous ne le croyez pas. Si vous le croyez, comment osez-vous profaner cet adorable sacrifice; et en cela même n'êtes-vous pas plus criminels que les Juifs et que les hérétiques ? Si vous ne le croyez pas, pourquoi y assistez-vous? Que dis-je? et veux-je vous en éloigner? non, Chrétiens : allons-y, mais pour y honorer Dieu, pour y édifier l'Eglise, et pour nous y sanctifier nous-mêmes.

 

Recordati sunt vero discipuli ejus, quia scriptum est  :  Zelus domus tuae comedit me.

 

Or, les disciples se souvinrent de ce qui est écrit : Le zèle de votre maison me dévore. (Saint Jean, chap.II, 17.)

 

Puisqu'il s'agissait de la maison de Dieu, il ne faut pas s'étonner, Chrétiens, que le Sauveur du monde, envoyé pour soutenir les intérêts et pour venger l'honneur de son Père, marquât tant de zèle contre ces profanateurs qu'il chassa du temple de Jérusalem, le fouet à la main, et dont il renversa les tables et les marchandises. C'est à ce premier temple que nos églises ont succédé ; mais avec d'autant plus d'avantage , que nous y offrons un sacrifice beaucoup plus précieux et plus auguste. Car, ce qui distingue particulièrement les temples, selon la remarque de saint Augustin, ce pi les consacre, et ce qui leur donne un caractère propre de sainteté, c'est le sacrifice. Ils sont saints par la majesté divine qui les remplit; ils sont suints par les exercices de religion qu'on y pratique; ils sont saints par les prières des fidèles qui s'y assemblent; ils sont saints par les louanges de Dieu qu'on y chante, et par les grâces qu'il y répand. Mais du reste, reprend saint Augustin, Dieu se trouve partout, Dieu fait des grâces partout, Dieu peut être prié, béni, servi, adoré partout. Il n'y a que le sacrifice, j'entends le sacrifice de la loi de grâce, qu'il ne soit pas permis de lui offrir partout, et qu'on ne puisse lui présenter que sur ses autels. Quoi qu'il en soit, Chrétiens, c'est de ce sacrifice que je prétends aujourd'hui vous entretenir; c'est, dis-je, de l'adorable sacrifice de la messe. Je veux vous  apprendre dans quel esprit et avec quels sentiments vous y devez assister; je veux, autant qu'il m'est possible, corriger tant d'irrévérences et tant d'abus qui s'y commettent. Ce sujet est particulier; mais il y a de quoi allumer tout le zèle des ministres de Jésus-Christ ; car il n'est pas seulement ici question de la maison de Dieu, mais de ce qu'il y a dans la maison de Dieu de plus vénérable et de plus grand : et en vous réformant sur ce seul point, je retrancherai presque tous les scandales que nous voyons dans nos temples, puisqu'il est vrai que le sacrifice en est l'occasion la plus ordinaire. Vous en êtes témoin, Seigneur; nous en sommes témoins nous-mêmes; et pour peu que nous soyons sensibles à votre gloire, que devons-nous attaquer avec plus de force, et combattre avec plus d'ardeur? J'ai besoin pour cela de votre grâce, et je la demande par l'intercession de Marie : Ave, Maria.

 

Ne perdons point de temps, Chrétiens, et pour en venir d'abord au point, que je traite, je dis que rien n'est plus digne de notre attention et de nos respects, que l'excellent et le très-saint sacrifice de la messe. Deux raisons vont vous en convaincre, et feront en deux mots le partage de ce discours. Car je considère cet adorable sacrifice en deux manières et sous deux rapports, savoir, par rapport à son objet, et par rapport à son sujet. Or, quel en est l'objet? Dieu même. Et quel en est au même temps le sujet ? un Dieu. Je m'explique, et ceci va vous faire entendre toute ma pensée. En effet, mes chers auditeurs, que nous proposons-nous dans le sacrifice de nos autels ? d'honorer Dieu, et voilà comment Dieu même en est l'objet. Mais, pour mieux honorer Dieu dans ce sacrifice,

 

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que lui présentons-nous? l'Homme-Dieu, et c'est ainsi qu'un Dieu en est le sujet. Delà je forme deux propositions, que je vous prie de bien méditer, et qui doivent vous saisir d'une sainte frayeur toutes les fois que vous assistez aux divins mystères. Sacrifice de la messe, sacrifice souverainement respectable; pourquoi? parce que c'est à Dieu même qu'il est offert : ce sera la première partie. Sacrifice de la messe, sacrifice souverainement respectable; pourquoi? parce que c'est un Dieu qui y est offert : ce sera la seconde. L'une et l'autre vous instruira d'une des plus importantes matières, qui est le sacrifice et en vous inspirant de liantes idées de la grandeur de Dieu, réveillera dans vos cœurs tous les sentiments de la religion.

 

PREMIÈRE  PARTIE.

 

Que faisons-nous, Chrétiens, quand nous assistons aux divins mystères, et au sacrifice de notre religion? Ne le considérons point encore selon le rapport particulier qu'il a avec la personne du Sauveur du monde : arrêtons-nous à cette qualité générale de sacrifice. Qu'est-ce que sacrifice, et qu'entendons-nous par ces paroles, assister au sacrifice du Dieu vivant? Ali ! Chrétiens, vous ne l'avez peut-être jamais compris, et c'est néanmoins ce que vous ne pouvez trop bien comprendre, puisque c'est un de vos devoirs les plus essentiels. Assister au sacrifice, c'est être présent à l'action la plus auguste et la plus sainte de la religion que nous professons ; à une action dont la fin prochaine et immédiate est d'honorer la majesté de Dieu ; à une action qui, prise dans son fond et dans sa substance, consiste particulièrement à humilier la créature devant Dieu; à une action qui désormais est l'unique par où ce culte d'adoration je dis d'une adoration suprême, puisse être extérieurement et authentiquement rendu à Dieu. C'est, dis-je, y assister en toutes les manières qui peuvent nous inspirer le respect et la révérence due à Dieu ; y assister comme témoins, y assister comme ministres, y assister comme victimes; comme témoins, pour autoriser le sacrifice par notre présence ; comme ministres, pour le présenter avec le prêtre; comme victimes, disent les Pères, pour y être immolés nous-mêmes spirituellement avec la première victime, qui est Jésus-Christ. Si donc nous n'accomplissons pas ce devoir avec toute la retenue et toute la piété qu'il demande, ne faut-il pas conclure que le principe de la foi est ou altéré ou corrompu dans nos cœurs? Reprenons chacun de ces articles, et ne perdez pas de si solides instructions.

Oui, Chrétiens , assister au sacrifice du vrai Dieu, c'est assister à l'action la plus sainte et la plus auguste de la religion. De là vient que, dans les anciennes liturgies , le sacrifice était appelé action par excellence ; et c'est ainsi que nous l'appelons encore aujourd'hui, puisque, suivant l'observation d'un savant cardinal de notre siècle, ces mots du sacré canon, infra actionem, ne signifient rien autre chose que infra sacrificium ; comme si l'Eglise avait voulu nous avertir qu'en effet la grande action de notre vie est le sacrifice. Et voilà ce qui de tout temps , a donné aux peuples de si hautes idées du sacrifice et de tout ce qui le regarde; voilà ce qui leur a rendu si vénérable la majesté des temples, la sainteté des autels, la dignité des prêtres, sentiment si universel, qu'on peut le mettre au rang de ceux où, selon la pensée de Tertullien, il semble que notre âme soit naturellement chrétienne. Mais de ce principe quelle conséquence ne puis-je pas tirer d'abord contre vous? et comment arrive-t-il que dans une action où il paraît que la nature nous ait déjà faits à demi chrétiens, la corruption du libertinage nous fasse tous les jours devenir païens, et moins que raisonnables? Car enfin, mon cher auditeur, vous êtes obligé de reconnaître que ce qu'il y a pour vous de plus divin , et par conséquent de plus respectable, c'est le sacrifice du Dieu que vous servez; et toutefois vous ne craignez pas de vous y présenter comme si c'était l'action la moins sérieuse, et qui pût être plus impunément négligée : vous y venez avec une imagination distraite, avec des pensées toutes profanes, avec des yeux égarés; et vous y demeurez avec froideur,avec dégoût, et dans des postures pleines d'indécence. Qu'un homme traitât une affaire temporelle avec aussi peu de réflexion, on le mépriserait. Ici c'est l'affaire capitale, ou, comme parle saint Ambroise, c'est l'affaire d'état qui se traite entre Dieu et l'Eglise ; et vous n'y donnez nulle attention ; vous n'y avez ni modestie, ni recueillement; vous y assistez par coutume, par cérémonie ; vous n'y appliquez ni votre esprit, ni votre cœur : n'est-ce pas outrager Dieu,, et l'outrager dans l'action même, et dans le temps où vous devez spécialement l'honorer?

Je dis dans l'action même où vous devez spécialement l'honorer ; ceci est remarquable, Car, qu'est-ce que le sacrifice, en le regarda par rapport à Dieu, et quelle en est la fin? Le sacrifice, disent les théologiens, est un acte de

 

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religion dont le caractère propre est d'honorer l'être de Dieu. Mais quoi ! toutes nos actions saintes et vertueuses ne se rapportent-t-elles pas à celte fin? Il est vrai, chrétiens : mais ce rapport n'est pas le même que dans le sacrifice. Voici ma pensée. Dieu est la fin générale et dernière de toutes nos actions, c'est ce qu'elles ont de commun : mais chaque action de piété a de plus une fin prochaine et particulière qui la distingue des autres, et d'où sa perfection dépend. Or, je dis que la fin particulière et immédiate qui distingue le sacrifice est d'honorer Dieu. Prenez garde: dans tous les autres devoirs, on peut presque dire que l'homme agit plutôt pour lui-même et pour son intérêt, que pour l'intérêt de Dieu. Car si je prie, c'est pour m'attirer les grâces de Dieu; si je fais pénitence, c'est pour m'acquitter auprès de la justice de Dieu ; si je pratique de bonnes œuvres, c'est pour m'enrichir de mérites devant Dieu; si je participe au divin sacrement, c'est pour me sanctifier en m'unissant à Dieu. Mais quand je vais au sacrifice, qu'est-ce que j'envisage ? d'honorer Dieu : voilà le seul objet que je me propose, et qui doit être le terme de mon intention, si mon intention est conforme à la nature de mon action. Or jugez de là ce qu'il faut penser d'un chrétien qui fait servir à déshonorer Dieu ce qui doit uniquement servir à le glorifier ? Qu'a fuit Dieu en instituant le sacrifice? Il a dit à l'homme : Voilà l'hommage que je demande et que j'attends de toi. Tu ne savais pas encore bien reconnaître la souveraineté de mon domaine, et ! je veux moi-même te l'enseigner. C'est par le  devoir que je te prescris, et à quoi tu satisferas en assistant au sacrifice de mes autels.   Cela supposé, reprend saint Jérôme,  profaner ce sacrifice par des immodesties et par des scandales ; y venir comme l'on va à un passe-temps, à un spectacle, à une assemblée mondaine; en sortir sans y avoir eu nul sentiment, nul souvenir de Dieu : Ah! mes Frères, c'est cette espèce d'abomination que le prophète Daniel avait prévue avec horreur, et qui devait paraître dans le lieu saint.

Elle va plus loin, et comprenons-en toute dignité. En effet, si la fin particulière du sacrifice est d'honorer Dieu, en quoi consiste cet honneur que nous rendons ou que nous  devons rendre à Dieu? Ce culte, répond saint Thomas, consiste dans une protestation actuelle que je fais à Dieu de ma dépendance, dans un aveu respectueux de ma misère et de ma bassesse, dans un exercice, pour ainsi dire, d'anéantissement, et, si je suis pécheur, dans une confession humble et sincère de mon péché; car tout cela doit entrer dans le sacrifice, considéré de la part de l'homme ; et voilà pourquoi l'hostie est détruite et consommée, pour marquer que l'homme n'est qu'un néant, et dans l'ordre de la nature et dans celui de la grâce. En quoi, dit saint Augustin, paraît l'admirable opposition qui se rencontre entre l'oraison et le sacrifice : car l'oraison, en élevant nos esprits à Dieu, nous élève au-dessus de nous-mêmes, au lieu que le sacrifice nous rabaisse au-dessous de nous-mêmes, en nous anéantissant devant Dieu. Par le sacrifice j'honore Dieu, si je puis parler de la sorte, aux dépens de ce que je suis; et dans l'oraison, Dieu, par le commerce qu'il veut bien avoir avec moi, m'honore en quelque manière aux dépens de ce qu'il est. Quoi qu'il en soit, mon sacrifice est inséparable de mon humilité ; et comme je ne puis mieux m'humilier devant Dieu qu'en lui offrant le sacrifice, aussi ne puis-je autrement avoir part au sacrifice, qu'en m'humiliant devant Dieu. Il n'en est pas de même des anges, ajoute saint Chrysostome; les anges peuvent être présents au sacrifice, et s'y humilier : mais l'humilité des anges, quelque profonde qu'elle puisse être, n'est point essentielle au sacrifice, comme celle des hommes. Pourquoi? parce que le sacrifice qu'offre l'Eglise étant le sacrifice des hommes et non des anges, il ne dépend point, pour être complet, de l'humilité des anges, mais de l'humilité des hommes. De là, Chrétiens, quel désordre, lorsque des hommes, portant sur le front le caractère de la foi, viennent au sacrifice du vrai Dieu, non-seulement sans cette humilité religieuse, mais avec tout l'orgueil du libertinage et de l'impiété; lorsqu'à peine ils y fléchissent le genou, qu'ils y parlent, qu'ils y agissent comme il leur plaît et sans égard, et que, sur cela même, ils rejettent avec mépris les sages remontrances et la correction charitable des ministres du Seigneur! Mépris qui ne doit point, mes Frères, ralentir l'ardeur de notre zèle, ni nous fermer la bouche par un silence timide et lâche, quand le devoir de notre ministère nous oblige à nous expliquer. Car où en serait notre religion, si de tels abus y devaient être tolérés? Ah! Chrétiens, assister au sacrifice, c'est venir protester à Dieu que nous dépendons de lui, que nous attendons tout de lui, que nous n'adorons que lui, que nous sommes disposés à nous anéantir pour lui. Mais, mon cher auditeur, pensez-vous lui dire tout cela, en vous

 

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comportant comme vous faites; en insultant, si je l'ose dire, à l'autel et aux sacrés mystères qu'on y célèbre ; en y prenant des libertés que je ne crains pas, puisqu'il s'agit de l'honneur de mon Dieu, de traiter d'insolences; en les soutenant jusque dans le sanctuaire, avec une audace et une fierté qui ne rougit de rien ? Et vous, femmes chrétiennes, est-ce là ce que vous venez lui témoigner, en vous faisant une si fausse gloire de paraître dans nos temples avec toutes les marques de votre vanité? Je n'entreprends point de contrôler partout ailleurs vos modes et vos costumes ; mais ici je ne puis dissimuler ce qui blesse la majesté divine et le respect qui lui est dû. Faut-il donc, quand vous entrez dans la maison de Dieu, que tout le faste du monde vous y accompagne? Faut-il que l'on vous y distingue par votre luxe et par vos délicatesses ; que vous y affectiez des rangs que l'esprit ambitieux du siècle y a érigés en de prétendus droits, et que vous vous y fassiez rendre des services dont vous sauriez bien vous passer dans le palais d'un prince de la terre? Es-ce là cette humilité si essentielle au sacrifice ? Et si la piété vous y attirait, une piété solide, ne diriez-vous pas à Dieu : Ah ! Seigneur, je ne suis que trop vaine au milieu du monde, mais du moins serai-je humble et modeste devant vous; et, puisque le sacrifice est le tribut d'humilité que je vous dois, je n'irai point m'y présenter avec ce luxe que vous réprouvez. Le monde en use autrement ; mais le monde ne sera pas ma règle : on censurera ma conduite ; mais il me suffira que vous l'approuviez. Aussi, disait Tertullien parlant à des femmes chrétiennes comme vous, et même plus chrétiennes que vous, pourquoi ces ajustements dont vous êtes si curieuses? Vous avez renoncé aux pompes du siècle, vous n'êtes plus des fêtes des païens : pourquoi donc vous parer de ces restes du monde, et les porter au sacrifice de votre Dieu ? 0 profanation ! s'écriait-il, et puis-je bien m'écrier après lui : des femmes cherchent à se montrer avec des habits magnifiques et brillants, dans un sacrifice dont l'essence et la fin principale est l'humiliation de la créature en présence de son Créateur. Elles s'y font voir, selon l'expression du Prophète royal, aussi ornées et plus ornées que les autels : Circumornatœ ut similitudo templi. Elles y emploient tout le temps, à quoi? à s'étudier, à se contempler, à s'admirer, à recevoir un vain encens et à s'attirer de sacrilèges adorations, comme si elles voulaient s'élever au-dessus de Dieu même.

Donnons jour encore à cette pensée : je ne dis pas seulement que le sacrifice est une protestation que l'homme fait à Dieu de la dépendance de son être; mais j'aj ou le que c'est une protestation publique, une protestation solennelle, où l'homme appelle toutes les créatures en témoignage de sa soumission et de sa religion, comme s'il disait : Cieux et terre, anges et hommes, vous m'en serez garants et me voici devant vous pour m'en déclarer. Il y a un Dieu que j'adore, un Dieu souverain auteur, et à qui seul toute la gloire appartient. C'est dans ce sacrifice, et par ce sacrifice, que je viens hautement reconnaître son absolue domination, et m'y soumettre. Il n'y a proprement, Chrétiens, que le sacrifice où l'homme puisse parler de la sorte. Quelque autre exercice de religion que je pratique, ce n'est point là ce qu'il signifie, ou du moins ce n'est point là ce qu'il signifie authentiquement; le seul sacrifice est l'aveu juridique de ce que je suis et de ce que je dois à Dieu. Mais, mes Frères, par un renversement bien déplorable, quel sujet ne donnons-nous pas aux païens et aux infidèles de nous faire, jusques au milieu du plus saint mystère, la même demande ou plutôt le même reproche que David craignait tant d'entendre de la bouche des ennemis du Seigneur : Ne forte dicant in gentibus : Ubi est Deus eorum (1) ? Car où est votre Dieu? peuvent nous dire ces idolâtres. Vous voulez, par cette cérémonie extérieure, nous faire juger du culte intérieur que vous lui rendez; et c'est delà même que nous tirons la plus sensible preuve de votre irréligion. Entrez dans nos temples, et, sans entreprendre de nous instruire, instruisez-vous vous-mêmes par nous. Votre Dieu, dites-vous, est le vrai Dieu; mais au moins n'en êtes-vous que de faux adorateurs. Au contraire, vous prétendez que nous n'adorons que de fausses divinités; mais au moins devez-vous avouer que nous les adorons sincèrement et en esprit. Or, supposant même vos principes et les dogmes de votre foi, lequel des deux croyez-vous le plus criminel, ou d'être religieux comme nous le sommes, en suivant l'erreur, ou d'être des profanateurs comme vous l'êtes, en professant la vérité? C'est de saint Augustin même que j'ai emprunté celle figure, et c'est là-dessus qu'il déployait avec tant d'énergie toute la force de son éloquence et de son zèle.

N'en demeurons pas là, Chrétiens; mais pour achever de nous confondre, voyons en quelles

 

1 Psalm., LXXVIII, 10.

 

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qualités nous assistons au divin sacrifice. Comme témoins, disent les  docteurs, comme  ministres, comme victimes. Comme témoins : oui, mes Frères, vous êtes les témoins de ce qui se passe de plus mystérieux et de plus secret entre Dieu  et les hommes.  C'est dans cette vue que l'Eglise  vous  reçoit à son sacrifice, et qu'elle  vous  oblige  même  par  un précepte particulier à y  comparaître. Honneur qu'elle ne fait  pas  indifféremment à  toutes sortes de sujets, puisque le châtiment le plus sévère qu'elle exerce envers ses enfants rebelles est de leur interdire, par ses censures, le sacrifice qu'elle offre à Dieu. Honneur dont elle exclut même les catéchumènes, quoique déjà initiés dans les mystères de la foi, parce qu'ils n'ont pas encore le caractère du baptême. Elle n'y admet que les fidèles dont la religion lui est connue, et dont elle veut gratifier la piété. Mais au même temps elle les engage à soutenir cette qualité de témoins par un respect digne de Dieu. Quand Dieu, dans l'Ecriture, prend à témoin d'une vérité les êtres insensibles, les cieux en sont ébranlés : Obstupescite, cœli (1); et la terre en est émue jusque dans ses fondements : Commota est, et contremuit terra (2). Et vous, mon cher auditeur, témoin vivant du redoutable sacrifice qui s'accomplit sur nos autels, qu'y faites-vous? Ah! mon Frère, s'écrie saint Jean, patriarche de Jérusalem, n'avez-vous pas entendu le prêtre qui vous sommait de la part de Dieu de vous rendre attentif? Ne vous a-t-il pas averti d'élever votre cœur au ciel : Sursum corda; et n'avez-vous pas répondu qu'il était tourné vers le Seigneur : Habemus ad Dominum? mais à ce moment-là même, vous êtes plus occupé de la terre que jamais ; mais à ce moment-là même vous ne cherchez, en promenant partout vos regards, que des objets, ou qui repaissent votre curiosité, ou qui servent d'amusement à votre oisiveté. Est-ce pour cela que vous êtes appelés à l'autel? est-ce là, Chrétiens, la part que vous prenez à un sacrifice dont vous êtes non-seulement les témoins, mais les ministres?

Car vous l'êtes, mes chers auditeurs, quelle que soit d'ailleurs votre condition ; et ce n'est pas sans sujet que saint Pierre, relevant la dignité des chrétiens, entre les autres titres qui leur conviennent, leur attribue celui du sacerdoce : Regale sacerdotium (3); puisque tout chrétien doit offrir à Dieu le sacrifice de sa rédemption. De là vient que le prêtre, en célébrant dans le sanctuaire, n'y fait pas les oblations

 

1 Jerem., II, 12. — 2 2 Reg., XXII, 8. — 3 1 Petr., II, 9.

 

sacrées comme personne particulière, mais comme représentant tout le peuple assemblé. Car il ne dit pas : J'offre, je supplie, je voue, je proteste; mais : Nous protestons, nous vouons, nous offrons, nous supplions, parce qu'en effet tout le peuple offre et supplie avec lui. Non pas que tous soient pour cela revêtus du caractère de l'ordre, comme l'ont avancé quelques hérétiques, fondés sur une parole de Tertullien mal entendue ; mais parce que tous les fidèles, sans porter ce sacré caractère, comme le prêtre spécialement député de Dieu pour présenter le sacrifice, lui sont néanmoins associés dans cette importante fonction. Fonction si sainte (écoutez ceci), que, par cette raison-là même, quelques-uns ont prétendu qu'un chrétien en état de péché ne pouvait, sans se rendre coupable d'un nouveau péché, assister au sacrifice. Je sais sur ce point ce qu'il faut penser. Je sais que c'est une doctrine erronée et même scandaleuse, puisqu'elle donne atteinte au précepte de l'Eglise, qu'elle favorise le libertinage, et qu'elle ôte enfin au pécheur un des plus puissants moyens de conversion. Car, que peut faire un pécheur de plus salutaire, de plus édifiant, de plus propre à lui attirer les grâces du ciel, que de venir, comme le publicain , dans le temple , et d'y offrir, tout indigne qu'il est, ce sacrifice propitiatoire, dont une des principales vertus est d'apaiser la colère de Dieu ? Qu'est-ce que les prophètes recommandaient davantage aux pécheurs de leur temps, que de fléchir le Seigneur et sa justice , par l'oblation des victimes de l'ancienne loi? Ce qui servait alors à la sanctification des hommes servirait-il maintenant à leur damnation ? C'est donc une opinion outrée, et que nous devons hautement rejeter ; mais, en la rejetant, je m'en tiens au principe sur quoi elle est, disons mieux, sur quoi elle paraît établie ; et, de ce principe incontestable, je tire bien d'autres conséquences qui ne doivent pas moins nous faire trembler. Car, puisque nous participons au sacrifice en qualité de ministres, ce ne sera point une exagération si je conclus que tant de crimes qu'on y commet doivent être comptés pour autant de profanations ; qu'un entretien , même indifférent à raison de sa durée, y renferme deux offenses grièves, l'une particulière et d'omission à ces saints jours où le sacrifice est commandé, l'autre commune et d'irrévérence ou de commission à quelque temps et à quelque jour que ce puisse être ; que celui-là ne satisfait point au commandement de l'Eglise, qui sans nulle

 

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vigilance sur soi-même, sans nul effort pour se recueillir dans la plus grande action du christianisme, laisse impunément et volontairement son esprit se distraire : si, dis-je, je tire toutes ces conséquences, c'est sans craindre d'excéder, puisque je parle d'après les plus sensés et les plus savants théologiens.

Qui le croirait, mes Frères? (souffrez que, sans insister sur les autres , je m'attache surtout a ce désordre que déplorait le prophète Ezéchiel, et dont il faisait une peinture si conforme à ce qui se passe tous les jours parmi nous) qui le croirait, si tant d'épreuves ne nous l'avaient pas appris et ne nous l'apprenaient pas encore, qu'un chrétien, choisi de Dieu pour lui offrir un sacrifice tout divin et tout adorable, voulût faire du temple même un lieu de plaisir, et du plus infâme plaisir ; qu'il regardât le sacrifice comme une occasion favorable à son impudicité ; qu'il n'y vînt que pour y trouver l'objet de sa passion, que pour l'y voir et pour en être vu, que pour lui rendre des assiduités, que pour lui marquer, par de criminelles complaisances, son attachement, que pour se livrer aux plus sales désirs d'un cœur corrompu? C'est avec douleur que j'en parle, et que je révèle votre honte, mais je serais prévaricateur si je la dissimulais; et il vaut bien mieux, comme dit saint Cyprien, découvrir nos plaies pour les guérir, que de les cacher sans espérance de remède. Ce n'est pas d'aujourd'hui que les Pères s'en sont expliqués. Saint Jérôme et saint Chrysostome n'y apportaient pas plus d'adoucissement que moi, quand ils disaient que l'innocence et la pudicité couraient autant de risques (ne pouvaient-ils pas dire plus de risques?) dans les saints lieux que dans les places publiques ; qu'il était quelquefois aussi dangereux pour une femme chrétienne, ou plutôt pour une femme mondaine, de paraître au sacrifice que dans les cercles et les assemblées du monde ; qu'autrefois on consacrât les maisons des chrétiens pour en faire des temples à Dieu, mais que, dans la suite , les temples de Dieu étaient devenus des maisons d'intrigues et de commerces. Ce sont leurs expressions, que vous entendrez comme il vous plaira : mais , de quelque manière qu'elles dussent être alors entendues, ce qui me fait gémir, c'est qu'elles se vérifient presque parmi nous dans toute la rigueur de la lettre, et que la calomnie suscitée du temps de Tertullien contre les fidèles, savoir, que les plus honteux engagements se formaient et s'entretenaient à la faveur des autels : Inter aras lenocinia tractari ; que ce reproche, dis-je, qui fut, dans ces premiers siècles, une imposture, ne soit dans le nôtre qu'une trop juste accusation.

Avec cela, Chrétiens, êtes-vous en état d'assister au sacrifice en qualité de victimes? êtes-vous en état d'y être immolés vous-mêmes avec Jésus-Christ? et n'est-ce pas ainsi toutefois que vous y devez être encore présents? Ecoutez la preuve qu'en donne saint Augustin. Car, dit ce saint docteur, Jésus-Christ et l'Eglise ne faisant qu'un même corps, il est impossible que l'un soit immolé sans l'autre. Puisque cet Homme-Dieu est le chef de tous les fidèles, et que tous les fidèles lui sont unis comme ses membres, il faut qu'en même temps qu'il est sacrifié pour eux, ils le soient pareillement avec lui ; et que, par un admirable retour, ce Sauveur du monde offre à Dieu toute l'Eglise dans sa personne, en vertu d'une action où lui-même il est offert à Dieu par toute l'Eglise : Cum autem sit Christus Ecclesiœ caput, et Ecclesia Christi corpus, tam ipsa per ipsum , quam ipse per ipsam debet offerri. Théologie divine, et d'où il s'ensuit que nous ne devons donc aller au sacrifice de notre Dien qu'avec le généreux sentiment de l'apôtre saint Thomas, je veux dire que pour y mourir spirituellement avec Jésus-Christ : Eamus et nos, et moriamur cum eo (1). Or, comment y parait un chrétien ainsi disposé? Représentez-vous, mes Frères, l'état de ces anciennes victimes qu'on immolait au Seigneur , et qu'on mettait sur l'autel : elles étaient liées, elles étaient privées de l'usage des sens, elles étaient brûlées du feu de l'holocauste ; voilà votre modèle. Comme victimes de ce sacrifice non sanglant que tous présentez et où vous êtes présentés vous-mêmes, surtout comme victimes spirituelles et raisonnables, selon la parole de saint Pierre : Spirituales hostias (2), il faut que la religion vous lie, et qu'elle vous tienne respectueusement appliqués au saint mystère ; il faut qu'elle vous couvre les yeux, et qu'elle les ferme à tous les objets de la terre ; il faut qu'elle vous consume du feu de la charité. Mais si vous imilez le crime des successeurs d'Aaron, si comme eux vous portez dans le tabernacle un feu étranger, si c'est une habitude vicieuse qui vous y conduit et qui vous y relient; si, bien loin d'y captiver vos sens, vous leur donnez là toute licence : ah! mon Frère, conclut saint Chrysostome, vous êtes toujours alors une victime, mais une victime de malédiction : une victime non plus

 

1 Joan., XI, 16. — 2 1 Petr., II, 5.

 

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de la miséricorde, mais de la colère et de la vengeance de Dieu.

N'est-il pas surprenant. Chrétiens, comme l'a observé le savant Pic de la Mirande, que de tant de religions qui se sont répandues dans le monde et qui y ont si longtemps dominé, il n'y ait eu que la religion de Jésus-Christ dont les temples aient été profanés par ses propres sujets ? On a bien vu les Romains violer le temple des Juifs, on a vu les chrétiens briser les idoles du paganisme : mais a-t-on vu des [«lions s'attaquer eux-mêmes à leurs dieux, et souiller les sacrifices qu'ils leur offraient? Pourquoi cette différence? En voici, ce me semble, une raison : c'est que l'ennemi de notre salut no va point tenter les païens, ni les troubler au milieu de leurs sacrifices, parce que ce sont de faux sacrifices, et qu'il reçoit lui-même l'encens qu'on y brûle. Au lieu qu'il emploie toutes ses forces pour nous détourner du sacrifice de nos autels, et pour nous en faire perdre le fruit, parce que c'est Je vrai sacrifice, le grand sacrifice , un sacrifice également glorieux à Dieu et salutaire pour nous. Ainsi, mes Frères, à quelques désordres que soit exposé le sacrifice de notre religion, n'entrons pour cela en nulle défiance de la religion même que nous professons, et de la pureté de son culte. Malgré tous nos désordres, elle est toujours suinte, puisqu'elle les condamne tous. Mais rentrons dans nous-mêmes, confondons-nous nous-mêmes; disons-nous à nous-mêmes, avec un célèbre écrivain de ces derniers siècles, qu'il faut que la religion de Jésus-Christ soit une .religion plus qu'humaine, puisqu'elle se soutient toujours, malgré l'irréligion des chrétiens; et qu'il faut aussi que l'irréligion des chrétiens soit bien obstinée et bien enracinée, puisqu'ils sont si impies parmi tant de sainteté. Sacrifice de la messe, sacrifice souverainement et doublement respectable, parce que c'est à Dieu qu'il est offert, et que c'est un Dieu qui y est offert. Comme c'est Dieu même qui en est l'objet, c'est encore un Dieu qui en est le sujet ; vous l'allez voir dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

Je trouve la pensée de saint Chrysostome bien juste et bien-vraie, quand il dit que les temples où nous nous assemblons pour adorer Dieu, sont tout a la fois et l'ornement le plus auguste et l'opprobre le plus visible de noire religion. L'ornement le plus auguste , puisqu'ils sont tous les jours sanctifiés par le sacrifice d'un Dieu Sauveur ; et l'opprobre le plus visible, puisque ce sacrifice, tout divin qu'il est, sert si souvent, non par lui-même, mais par notre libertinage, d'occasion aux chrétiens pour déshonorer la maison de Dieu. Ainsi parlait ce saint évêque, en gémissant sur les scandales qui se commettaient au pied des autels, et dans le sacrifice de la loi de grâce. A quoi j'ajoute la pensée de Guillaume de Paris , que je vous prie de remarquer, parce qu'elle me paraît également solide et touchante. Car, dit ce savant homme, quand nous aurions vécu, selon l'expression de saint Paul, sons les éléments du monde, c'est-à-dire sous les figures de l'ancienne loi ; et que nous n'aurions point eu d'autres sacrifices que ces sacrifices imparfaits dont Dieu avait établi l'usage par le ministère de Moïse, il faudrait toujours y assister avec crainte et tremblement ; il faudrait toujours respecter ces chairs mortes, toujours révérer ces taureaux égorgés et sanglants, toujours se prosterner devant ces autels chargés des oblations et des prémices de la terre. C'étaient des créatures, il est vrai ; mais ces créatures étaient les victimes et les holocaustes du Dieu vivant, et cela seul les élevait à un ordre supérieur, et les consacrait. Aussi, mes Frères, poursuit le même docteur, voyez avec quelle révérence Dieu voulait que tes Juifs entrassent dans le sanctuaire, pour lui offrir leurs sacrifices, et le sang des animaux qu'ils immolaient. Voyez avec quel soin lui-même il les y disposait; combien de préceptes, combien de cérémonies, combien de pratiques, combien de purifications il leur prescrivait. A peine les livres entiers de l'Ecriture ont-ils suffi pour leur en tracer les règles, et pour leur faire entendre sur cela ses ordres. Mais admirez encore plus la constance et l'inviolable fidélité de ce peuplé, d'ailleurs si indocile et si grossier, à s'acquitter de ce devoir. Dans les plus pressantes extrémités, dans l'embarras et le désordre des guerres, dans le siège même de Jérusalem, rien jamais ne les fit manquer à ce culte extérieur, ni à la solennité de leurs fêtes et des sacrifices qui leur étaient ordonnes. Jusque-là, disait du temps même des apôtres un ancien auteur, que le général de l'armée romaine en parut surpris , et que tout païen , tout ennemi qu'il était, il en fut touché, et ne put refuser des éloges à leur zèle et à leur religion : Stupebat Pompeius acres virorum animas, a quibus in medio belli furore, sacrorum reverentiœ nihil defuit. Tel était le caractère de cette nation. Le Sauveur du monde leur reprocha tous les autres vices, mais il ne les accusa

 

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jamais d'impiété dans les sacrifices qu'ils présentaient à Dieu. Cependant, Chrétiens, dans leurs sacrifices les plus solennels, qu'avaient-ils autre chose que les ombres et seulement que les figures du sacrifice de la loi nouvelle ? Mais c'était assez pour eux, reprend saint Augustin ; c'était, dis-je, assez pour leur rendre vénérables jusques à ces ombres et à ces figures, que ce fussent les figures et les ombres du grand sacrifice que les prophètes leur annonçaient dans la suite des siècles. C'était assez pour les saisir d'une sainte horreur toutes les fois qu'ils assistaient à l'immolation de ces victimes, qui, quoique viles et abjectes, leur représentaient cette victime pure et précieuse, cette hostie divine qui devait être immolée pour eux et pour nous. Or, qu'eussent-ils pensé, qu'eussent-ils fait, s'ils eussent vu, comme nous la vérité? et que devons-nous penser, que devons-nous faire nous-mêmes? Sur cela, mes chers auditeurs, voici trois considérations que je me contente de vous proposer, plutôt par forme de méditation que de discours, et par où je finis en me les appliquant à moi-même. Ne les perdez pas.

Première considération. Quand je vais au sacrifice que célèbre l'Eglise, je vais au sacrifice de la mort d'un Dieu ; le môme qui fut offert sur le Calvaire, le même que Jésus-Christ consomma sur la croix, le môme où ce Dieu-Homme consentit, pour parler avec l'Apôtre, à être détruit et anéanti. Ce n'est point une supposition, c'est un point de foi. J'assiste à un sacrifice dont, réellement, et sans figure, la victime est le Dieu même que je sers et que j'adore. Par conséquent dois-je conclure et devez-vous conclure avec moi, si, par mes respects et mes adorations, je ne relève pas, autant qu'il m'est possible, les abaissements de ce Dieu Sauveur; si j'ajoute aux humiliations de sa croix, qui sont ici renouvelées, celles qui lui viennent de mes irrévérences et de mes scandales; si, le contemplant sur l'autel, mon cœur ne se brise pas, comme les pierres se fendirent au moment qu'il expira; si cette hostie mourante ne fait pas naître dans mon âme une componction aussi vive et aussi religieuse que le fut la douleur du centenier et celle des Juifs qui se convertirent à sa mort; si, par de sensibles outrages, j'insulte encore à son agonie, comme les soldats et les bourreaux qui l'avaient crucifié : ah! ne suis-je pas digne de ses plus rigoureuses vengeances, et ne faut-il pas me traiter d'anathème?

Seconde considération. Pourquoi ce Dieu de miséricorde s'immole-t-il dans le sacrifice de nos autels? Pour nous apprendre, disent les Pères, ce que nous ne pouvons apprendre que de lui ; pour nous aider à faire ce que nous ne pouvons faire sans lui et que par lui, je veux dire à honorer Dieu autant que Dieu le mérite et qu'il le demande. Car c'est pour cela, reprend saint Thomas, qu'il a fallu un sujet d'un prix infini, et offert d'une manière infinie. Or, ce sujet d'un prix infini, c'est Jésus-Christ dans le sacré mystère : ce sujet offert d'une manière infinie, c'est Jésus-Christ en état de victime, en état d'anéantissement, et sacrifié selon la prédiction de Malachie, dans tous les temps et dans tous les lieux du monde. Voilà ce qui était dû à Dieu , et de quoi l’Homme-Dieu est venu nous instruire aux dépens de lui-même. Ce sacrifice de son corps et de son sang est la preuve authentique qu'il nous en donne, et la perpétuelle leçon qu'il nous en fait. Que nous dit-il donc cet excellent Maître, autant de fois que nous nous présentons à son sacrifice? C'est là, mes Frères, que son sang, ce sang adorable, plus éloquent que celui d'Abel, semble nous crier sans cesse, et nous faire entendre ce que le même Sauveur disait aux Juifs : Ego honorifico Patrem (1). Vous voulez savoir ce que je fais ici : j'honore mon Père, je glorifie mon Père, je satisfais à la justice de mon Père; je répare les injures qu'il a reçues, et je rétablis ses intérêts ; je fais triompher sa miséricorde, éclater sa puissance , connaître sa sainteté; je lui rends, et à toutes ses perfections, des dommages proportionnés à sa grandeur. Tel est le dessein qui me fait descendre invisiblement sur cet autel, qui me fait prendre entre les mains des prêtres comme une seconde naissance, qui me fait subir dans le même sens comme une seconde mort: Ego honorifico Patrem. Oui, Chrétiens, c'est ce qu'il nous dit; et si nous ne profitons pas de son exemple, écoutez ce qu'il ajoute : Et vos inhonorastis me (2). Mais vous, ne semble-t-il pas que vous preniez à tâche de détruire, par le plus criminel attentat, tout ce que je rends d'honneur à mon Père par le sacrifice de mon humanité? et n'est-ce pas sur moi que retombent tous les outrages qu'il reçoit de vous? J'obscurcis toute ma gloire, et je m'ensevelis tout vivant en sa présence; et vous vous élevez devant lui et contre lui. Je lui offre dans ma personne un Dieu humilié, un Dieu soumis et obéissant ; et vous venez étaler avec ostentation devant ses yeux le faste du monde et le vain éclat d'une pompe humaine. Je lui

 

1 Joan., VIII, 49. — 2 Ibid.

 

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présente dans mon corps une chair innocente et virginale; et vous cherchez jusques à son autel de quoi exciter et de quoi nourrir les brutales cupidités d'une chair criminelle et impure. Je travaille à répandre le feu de son amour, d'un amour tout sacré, et exprimé de son sein même ; et vous ne pensez, jusque dans son temple et à ses pieds, qu'à inspirer, par des nudités immodestes, par des postures indécentes, par des airs libres et sans pudeur, un amour sensuel. J'emploie tous les attraits de ma grâce à sanctifier les âmes et à les lui attacher; et vous employez tous les artifices et tous les enchantements de votre mondanité à les corrompre et à les lui dérober. Est-ce ainsi qu'on l'honore? ou n'est-ce pas ainsi qu'on lui marque le mépris le plus insultant, et que l'on renverse tous mes desseins? Et vos inhonorastis me. Mais voulez-vous en effet, Chrétiens, l'honorer, et l'honorer autant par proportion qu'il le doit être, et qu'il l'attend de vous ? Allez, comme Jésus-Christ obscur et caché, vous prosterner devant cette majesté suprême, et faire à la vue de ses grandeurs, une humble confession de votre indignité. Allez, comme Jésus-Christ obéissant et soumis à la voix de ses ministres, relever son pouvoir par les sentiments d'une soumission parfaite, et par tous les témoignages d'une obéissance entière et sans réserve. Allez dans un esprit de sacrifice, comme Jésus-Christ immolé, lui présenter les hommages de sou Fils, les abaissements de son Fils, le sang de son Fils, ses souffrances, sa passion, sa mort, tous ses mérites, et vous les appliquer, pour être plus en état de le glorifier. Allez vous dévouer vous-mêmes, vous immoler vous-mêmes, sinon par une véritable destruction de vous-mêmes, au moins par une mort spirituelle, et par une totale destruction des désirs déréglés de votre cœur. Ainsi vous l'enseigne ce Dieu victime de la gloire d'un Dieu, et en cette qualité même de victime, votre modèle : Ego honorifico Patrem.

Troisième considération. Que fait encore Jésus-Christ dans ce sacrifice? Achevons, Chrétiens, de nous confondre, et rougissons de notre insensibilité. Non-seulement il apprend aux hommes à honorer Dieu, mais il y traite de leur réconciliation avec Dieu. Comme médiateur, il plaide leur cause, et il offre le prix de leur rédemption. Il ne se contente pas de dire qu'il glorifie son Père : Ego honorifico Patrem; mais s'adressant à son Père même, et lui montrant les fidèles assemblés, il lui dit d'une voix secrète  :  Ego pro eis sanctifico meipsum (1); c'est-à-dire, suivant l'explication de saint Jérôme : Je me donne moi-même, je me sacrifie moi-même pour eux. Paroles, ajoute ce saint docteur, qui convenaient aux victimes, et dont, pour la première fois, ce Sauveur des hommes se servit, lorsque actuellement il instituait cette divine Pâque, où il se consacrait en effet lui-même pour les pécheurs; mais paroles qu'il répète encore tous les jours, et qu'il répétera jusques à la fin des siècles, autant de fois qu'on l'offrira sur nos autels : Ego pro eis sanctifico meipsum. Oui, mon Père, c'est pour eux que je suis ici présent; c'est pour tous les hommes en général, et en particulier pour mon Eglise; c'est spécialement pour ceux que vous voyez dans votre maison et auprès de votre sanctuaire, occupés maintenant, ou devant l'être, à ce mystère de salut. Recevez-les, mon Dieu, dans votre grâce; ils sont criminels, mais me voici à leur place pour vous satisfaire ; et que ne peuvent point réparer les satisfactions infinies d'un Dieu comme vous? Ego pro eis sanctifico meipsum.

Ah ! mes Frères, reprend saint Bernard en s'écriant,et réduisant à une figure sensible cette importante vérité; ma cause était désespérée, et j'étais perdu; le souverain juge allait prononcer contre moi un arrêt de mort; mais le fils unique du prince vient à le savoir, et que fait-il? touché de compassion, il se substitue pour moi, et il veut lui-même porter la peine de mon péché. Dans cette vue, il sort de son palais; il dépose toutes les marques de sa dignité, il gémit, il prie, il va s'offrir à la justice de son père. Belle image, Chrétiens, de ce que fait Jésus-Christ dans le sacrifice de son corps et de son sang. Toutefois, poursuit saint Bernard, sans être instruit du péril où je me trouvais exposé, bien loin d'y penser, je m'arrêtais à un vain divertissement. Mais tout à coup j'aperçois mon roi, je le vois pénitent et humilié, je m'approche, j'en demande la raison : enfin j'apprends que c'est de moi qu'il s'agit, et que c'est pour moi qu'il s'est livré. C'est ce que nous voyons si souvent nous-mêmes, mes chers auditeurs, sur cet autel. Or, conclut le même Père, oserai-je encore retourner à mes premiers amusements? que dis-je? oserai-je encore me faire du sacrifice de mon Sauveur un amusement et un jeu ? et serai-je assez insensé pour mêler à ses gémissements et à ses larmes des ris profanes et scandaleux? Adhucne ludam et deludam lacrymas   ejus ?  Pensée touchante  que  saint

 

1 Joan., XVII, 10.

 

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Jean de Jérusalem exprimait en des termes moins figurés, mais non moins énergiques ni moins pressants. Examinez, disait-il, considérez ce qui se passe. C'est pour vous que l'autel est dressé : Pro te mensa mysteriis exstructa est. C'est pour vous que l'Agneau va être immolé : Pro te Agnus immolatur. C'est pour vous que le prêtre s'intéresse et qu'il sollicite : Pro te angitur sacerdos. Vous êtes le coupable dont on ménage la grâce, et ce sacrifice est le pacte même et le contrat en vertu duquel elle vous est accordée. De là jugez quels sentiments vous doivent donc occuper dans ce sacrifice d'expiation. Ne sont-ce pas ceux d'un pécheur contrit, et d'un pécheur reconnaissant? D'un pécheur contrit : car c'est par cette pénitence du cœur, par cette contrition du cœur, que doit être, pour ainsi dire, scellé et ratifié le traité de paix qui se négocie entre Dieu et vous; et comme l'Apôtre accomplissait dans son corps ce qui manquait à la passion de Jésus-Christ, c'est par là, selon le même langage, que nous devons accomplir ce qui manque au sacrifice de Jésus-Christ. D'un pécheur reconnaissant, au souvenir et à la vue des miséricordes infinies d'un Dieu qui, tout offensé qu'il est, tout juge qu'il est, se fait lui-même, pour vous racheter, votre rançon et le gage de votre salut. David disait : Que rendrai-je au Seigneur pour tout ce qu'il m'a donné? Quid retribuam Domino (1) ? Je prendrai le calice de mon Sauveur, ajoutait le même prophète, et j'invoquerai le nom de mon Dieu : Calicem salutaris accipiam, et nomen Domini invocabo (2). Ce n'est pas assez, poursuivait encore ce saint roi ; mais, en invoquant le Seigneur, je le bénirai mille fois ; et, sans oublier jamais les grâces dont il m'a comblé, je lui présenterai sans cesse le juste tribut de mon amour et le sacrifice de mes louanges : Laudans invocabo Dominum (3). Voilà ce qui doit faire chaque jour, devant l'autel, notre plus commun entretien.

Mais peut-être, mes chers auditeurs, n'êtes-vous pas bien persuadés de la vérité et de la grandeur du divin mystère, dont je vous parle, peut-être une infidélité secrète est-elle la source de tant de désordres qui s'y commettent : car il en faut venir au principe. Quand on vous dit que ce sacrifice est le renouvellement de la mort de votre Dieu, et comme la consommation du grand ouvrage de votre salut, peut-être avez-vous  peine à le comprendre.

 

1 Psalm , CXV, 12. — 2 Ibid. 13. —  3 Psalm., XVII, 4.

 

Or, sur cela, sans entreprendre de vous convaincre, je n'ai qu'un simple raisonnement à vous opposer, et c'est par là que je finis. Ou vous croyez ce que la foi nous enseigne du sacrifice de notre religion, ou vous ne le croyez pas : quelque parti que vous preniez vous êtes sans excuse ; car si vous le croyez, si, dis-je, vous croyez que c'est un sacrifice offert au vrai Dieu, et où le vrai Dieu lui-même est offert, je conclus que vous êtes donc, en linéique sorte, plus criminels que les Juifs, plus criminels que tant d'hérétiques dont vous avez en horreur les sacrilèges profanations. Il est vrai, les Juifs ont crucifié, comme parle saint Paul, le Seigneur de la gloire : mais, en le crucifiant, ils ne le connaissaient pas ; et s'ils l'eussent connu, dit l'Apôtre, ils n'auraient pas porté sur lui leurs mains parricides : Si enim cognovissent, nunquam Dominum gloriœ crucifixissent (1). Il est vrai, les hérétiques ont porté le feu et le fer dans ses temples, pour les détruire ; ils ont souillé ses autels, ils ont brisé ses tabernacles, ils l'ont lui-même foulé aux pieds : mais en cela même, après tout, ils agissaient conséquemment à leur erreur. Au lieu que, par une contradiction insoutenable, fidèles et infidèles tout ensemble, fidèles de créance et de spéculation, infidèles de mœurs et de pratique, vous profanez ce que vous adorez. Que si d'ailleurs c'est absolument la toi qui vous manque, si vous ne croyez pas Jésus-Christ présent dans ce que nous appelons ?on sacrifice, pourquoi donc y assistez-vous? Que ne levez-vous le masque, et pourquoi vous faites-vous un devoir de célébrer avec nous nos fêtes, et d'obéir à une loi qui, selon vos fausses idées, n'est plus un commandement ni une obligation pour vous ? Ah ! Chrétiens, à quoi nous réduisez-vous? à douter de votre foi,à souhaiter que vous vous retranchiez de la communion des fidèles, que vous vous bannissiez vous-mêmes de nos assemblées, et que vous n'ayez plus de part à nos cérémonies. Que dis-je? non, mes Frères, ce n'est point là le souhait que je forme ; j'attends tout un autre fruit de ce discours. Nous irons toujours à la sainte montagne, sacrifier au Seigneur; mais ce sera désormais le Seigneur lui-même qui nous y attirera. Nous irons nous prosterner devant lui, nous entretenir avec lui, nous unir à lui. Nous irons lui présenter nos hommages, et il les agréera ; lui offrir nos vœux, et il les écoutera; lui demander ses grâces, et il les versera sur

 

1 1 Cor., II, 8.

 

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nous avec abondance. Nous irons réparer nos scandales passés, édifier l'Eglise, nous sanctifier nous-mêmes. Nous irons nous laver, nous purifier dans le sang de cette divine hostie, qui doit être pour nous le prix de l'éternité  bienheureuse, où vous conduise, etc.

 

 

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