SERMON POUR LE DIMANCHE DES RAMEAUX.
SUR LA COMMUNION PASCALE.
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ANALYSE
Sujet. Or, tout ceci se fit, afin que cette parole du
Prophète fût accomplie : Dites à la fille de Sion : Voici votre roi qui vient à
vous plein de douceur.
Pourquoi
les Juifs font-ils au Fils de Dieu une entrée si solennelle et si glorieuse ?
C'est en vue du miracle qu'il venait d'opérer dans la résurrection de Lazare.
Or, ce miracle, Jésus-Christ le renouvelle en ce saint temps par la
résurrection spirituelle et la conversion de tant de pécheurs : et l'Eglise
veut que, ressuscites et convertis, ils reçoivent ce divin Sauveur dans
eux-mêmes par la communion pascale. Pour me conformer au dessein de l'Eglise,
c'est de cette communion pascale que je dois vous entretenir.
Division. Deux sortes de personnes reçoivent le Fils de Dieu
dans Jérusalem, ses disciples et les pharisiens. Ses disciples le reçoivent
avec honneur, et les pharisiens dans la résolution de le perdre. Dans le
triomphe dont les disciples honorent ce divin Maître, je trouve l'idée d'une
sainte et parfaite communion : première partie. Mais dans la manière dont ce
même Dieu est reçu des pharisiens, je trouve l'idée d'une communion indigne et
sacrilège : deuxième partie. Pour les justes, il vient comme un roi débonnaire
et bienfaisant; pour les impies engagés et obstinés dans le crime, il vient
comme un ennemi terrible et redoutable.
Première
partie. Idée d'une bonne communion
dans le triomphe dont les disciples honorent le Fils de Dieu. Il y a dans ce
triomphe quatre circonstances à remarquer : 1° ce sont les disciples qui
reçoivent ainsi Jésus-Christ; 2° ils vont au-devant de lui; 3° ils portent dans
leurs mains des branches de palmiers et d'oliviers ; 4° ils se dépouillent de
leurs vêtements, et les mettent sous les pieds de leur Maître. Belle figure de
la communion des justes.
1°
Ce sont les disciples de Jésus-Christ qui le reçoivent en triomphe ; et pour le
bien recevoir dans la communion, il faut être son disciple, et l'être en effet
et dans la pratique. Il s'est lui-même déclaré qu'il ne voulait faire la pâque
qu'avec ses disciples. Vous me direz qu'il ne parlait alors que de la pâque judaïque,
j'en conviens : mais s'il parlait ainsi de l'ancienne pâque, que pensait-il de
la nouvelle? Et d'ailleurs ce qui se passait dans la pâque des Juifs n'était-il
pas une leçon pour nous, mais une leçon exacte et précise, de ce qui devait
être accompli dans celle des chrétiens? Qu'il n'y ait donc personne assez
téméraire, concluait saint Chrysostome, pour prétendre avoir part à cette pâque
sans être en grâce avec Dieu, et sans avoir ce caractère particulier de
disciple de Jésus-Christ. Tel est l'ordre que le grand Apôtre avait lui-même
intimé à toute l'Eglise par ces courtes paroles : Probet autem seipsum homo
: Que l'homme s'éprouve. Sans cela il ne nous est pas permis de faire la pâque,
et nous n'y devons pas penser. Je me trompe, nous y devons penser ; et si, pour
n'y avoir pas pensé, nous manquons à recevoir Jésus-Christ dans cette fête
solennelle, nous commettons un nouveau crime, et nous désobéissons à ses
ordres. Mais l'ordre de Jésus-Christ est-il que nous le recevions sans être du
nombre de ses disciples ? A Dieu ne plaise ! mais son ordre est que vous vous
déclariez ses disciples, et que vous retourniez à lui par une sincère
pénitence, afin d'être en état de prendre place parmi les conviés qu'il fait
appeler.
2°
Les disciples vont au-devant de Jésus-Christ, et c'est ainsi que nous devons
anticiper sa venue par une sainte préparation. Je m'explique. Car attendre,
comme tant de mondains, le jour même de la communion pour s'y disposer,
n'est-ce pas se mettre dans un danger évident de profaner cet adorable mystère
? Ce point ne regarde pas ces âmes innocentes qui font du sacrement de
Jésus-Christ leur plus commune nourriture. Quoiqu'elles aient toujours sujet de
craindre, elles ont encore plus droit d'espérer : une communion les dispose à
l'autre. Mais pour vous, mondains, qui passez les années entières sans
confession et sans communion, attendre h vous y préparer que vous soyez au jour
précis où vous devez garder le précepte et y satisfaire, n'est-ce pas mépriser
votre Dieu, et vous exposer vous-mêmes à un scandale presque inévitable ? Car
si moi, par exemple, qui vous écoute au sacré tribunal, je ne vous trouve pas
prêts, que ferai-je alors ? Vous accorderai-je la grâce de l'absolution ? ce
serait trahir mon ministère. Vous la refuserai-je ? il n'y aura donc point de
pâque pour vous. Si dès le commencement du carême vous aviez eu recours à un
confesseur, et que vous lui eussiez découvert votre état, on aurait mis ordre à
tout : et n'est-ce pas pour cela que le carême est institué ? Si donc vous avez
différé jusques à présent, au moins ne différez pas davantage. Ecce Sponsus
venit, exite obviam ei: Voilà l'Epoux qui approche, allez vous présenter à
lui. Prœoccupemus faciem ejus in confessione : Prévenez-le et gagnez-le
par une bonne confession. Que feriez-vous si l'on vous annonçait que le plus
grand des rois vient en personne loger chez vous? Que ne faites-vous pas même
tous les jours pour un particulier, pour un ami?
3°
Les disciples vont au-devant de Jésus-Christ avec des branches de palmiers et
d'oliviers. La palme est le symbole des victoires que nous devons remporter sur
le péché, sur le monde, sur nous-mêmes ; et l'olive, le signe de la paix que
nous devons faire avec Dieu.
4°
Les disciples se dépouillent de leurs habits, et les étendent dans le chemin
par où Jésus-Christ devait passer. Cérémonie qui vous apprend, Mesdames, à vous
défaire de tout ce qui s'appelle superfluité mondaine ; surtout de cette superfluité
d'ajustements et de parures.
Que
fera Jésus-Christ de sa part ? Il viendra dans nous comme un roi triomphant : Ecce
rex tuus. Quand je communie en état de grâce, non-seulement Jésus-Christ
est en moi, mais il y règne, il y commande, il s'y fait obéir.
Il
y viendra non-seulement en roi triomphant, mais en roi débonnaire et
bienfaisant. A ne considérer que sa grandeur, je m'écrierais comme saint Pierre
: Exi a me, quia peccator sum; Eloignez-vous de moi, mon Dieu, car je suis
un pécheur. Mais il sait bien me rassurer par la manière dont il se donne à moi
dans ce sacrement. C'est là qu'il obscurcit toute sa splendeur, là qu'il
s'abaisse, là qu'il se fait petit et pauvre, afin que nous puissions avoir un
accès facile auprès de lui.
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C'est donc pour nous qu'il
viendra, c'est pour nous combler de ses grâces : Venit tibi. Quand il
fut entré dans Jérusalem, tout ce qu'il y avait de malades, d'aveugles, de
paralytiques, parut devant lui, et il les guérit. Ainsi guérira-t-il toutes nos
infirmités spirituelles. Disons-lui comme David : Sana me, Domine, et
sanabor : Guérissez-moi, et je serai guéri ; ou comme le centenier :
Tantum dic verbo; Prononcez seulement une parole, et vous rendrez une santé
parfaite à mon âme.
Deuxième
partie. Idée d'une communion
sacrilège dans la manière dont Jésus-Christ fut reçu des pharisiens et de leurs
partisans. 1° Ils ne le reçoivent que
par respect humain : Timebant vero plebem. 2° Dès que le Fils de Dieu
parait dans Jérusalem, ils conspirent et forment des desseins contre lui: Collegerunt
concilium adversus Jesum. 3° Ils contredisent ses miracles, et ils
s'aveuglent pour ne les pas reconnaître : Videntes autem mirabilia quas
fecit, indignati sunt. Mais comment est-ce aussi que Jésus-Christ vient a
eux? Comme un ennemi redoutable. Que de rapports avec la communion des pécheurs
!
1°
Les pharisiens ne reçoivent le Fils de Dieu que par respect humain et par
politique; et c'est ce que font encore certains pécheurs endurcis, qui veulent
seulement garder les apparences et sauver les dehors de la religion. C'est un
magistrat, c'est un père de famille, c'est une femme de qualité, c'est un homme
de l'Eglise, qui se décrieraient, s'ils ne se présentaient pas comme les autres
à la sainte table. Ils communient donc, mais comment? par une espèce de
contrainte : Timebant vero plebem.
2°
De là, ces hommes perdus de conscience et impies conjurent contre Jésus-Christ
dans le cœur, au même temps qu'ils reçoivent son sacrement; de même que les
pharisiens conspirent contre lui en le recevant dans Jérusalem. On forme des
projets pour satisfaire ses passions brutales, et le jour même de la communion
devient un jour d'excès et de débauche. On déclame tant contre de légères
imperfections qu'on remarque dans quelques âmes dévotes qui fréquentent les
sacrements, et l'on ne dit presque rien de ces chrétiens sacrilèges qui
profanent le corps de Jésus-Christ : mais c'est contre eux qu'il faudrait
employer le zèle évangélique.
3°
Par un dernier trait de ressemblance avec les pharisiens, ils traitent
d'illusions tous les miracles de Jésus-Christ, je veux dire tous les effets de
grâce qu'opère la communion quand elle est bien faite. Je n'ai donc point de
peine à comprendre pourquoi Jésus-Christ pleure sur eux comme il pleura sur
Jérusalem. Il voit que le même sacrement qu'il a institué pour la
sanctification des âmes va faire leur réprobation.
Mais
si cela est, ne vaudrait-il pas mieux ne point communier du tout que de
communier indignement? Autre désordre. L'un ne vaut pas mieux que l'autre ; car
l'un et l'autre est un mal : mais entre l'un et l'autre il y a un milieu, qui
est de communier et de bien communier.
Hoc
autem totum factum est, ut adimpleretur quod dictum est par prophetam dicentem
: Dicite filiœ Sion : Ecce rex tuus venit tibi mansuetus.
Or,
tout ceci se fit, afin que cette parole du prophète fût accomplie : Dites à la
fille de Sion : Voici votre roi qui vient à vous plein de douceur. (Saint
Matth., chap. XXI, 4, 5.)
Sire,
Le Prophète l'avait prédit, que
le Sauveur du monde entrerait dans Jérusalem glorieux et triomphant ; et c'est
dans le mystère de ce jour que cette parole du Prophète devait s'accomplir, et
qu'en effet elle s'accomplit. Mais du reste pourquoi les Juifs reçoivent-ils
aujourd'hui le Fils de Dieu avec tant de pompe et tant de solennité, et d'où
leur vient ce zèle qu'ils font paraître pour lui rendre des honneurs qu'il n'en
avait jamais reçus? Cent fois ils l'avaient vu parmi eux sans qu'à peine on
pensât à lui : mais par un changement bien nouveau , l'Evangile nous le
représente dans une espèce de triomphe, entrant au milieu des acclamations et
des applaudissements publics , escorté d'une foule de peuple, reconnu
solennellement comme Fils de David et comme envoyé de Dieu : Hosanna Filio
David! benedictus qui venit in nomine Domini (1) ! N'en soyons point
surpris, Chrétiens, puisque les évangélistes nous en apprennent la raison. Il
venait, ce Sauveur adorable, de faire un miracle dont le bruit s'était répandu
dans toute la Judée. La résurrection de Lazare, de cet homme mort depuis quatre
jours et enfermé dans le tombeau (miracle que toutes ses
circonstances rendaient incontestable, miracle subsistant
encore, dit saint Augustin, et que l'incrédulité même la plus obstinée ne
pouvait désavouer), voilà de quoi les habitants de Jérusalem avaient été
témoins ; voilà ce qu'ils avaient admiré , et ce qui leur donna une si haute
idée de Jésus-Christ. C'est donc en vue de ce miracle, et pour en reconnaître
publiquement l'auteur, qu'ils courent au-devant de lui, portant des palmes dans
les mains, et voulant honorer par là, remarque saint Chrysostome, la victoire
que cet Homme-Dieu avait remportée sur la mort. Tel est, mes chers auditeurs,
le précis de notre évangile dans le sens historique et littéral : écoutez-en le
mystère et l'application. Le temps approche, Chrétiens, et nous le commençons,
où Jésus-Christ, par une action spirituelle et intérieure, mais encore plus
puissante et plus efficace, renouvelle ce grand miracle de la résurrection de
Lazare, en faisant revivre par la grâce de la pénitence des âmes mortes par le
péché, et comme ensevelies dans leurs habitudes criminelles. Après ce miracle,
l'Eglise, que tous les prophètes nous ont marquée sous la figure de Jérusalem,
prépare à ce divin Sauveur une sainte et honorable entrée dans les cœurs des fidèles
par la communion pascale; et, pour me conformer à son dessein, c'est de cette
communion pascale que je dois vous entretenir. Saluons d'abord la Vierge, qui
eut avant nous le bonheur de recevoir ce Verbe fait chair, et de le porter dans
son sein : Ave, Maria.
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Deux sortes de personnes
reçoivent aujourd'hui le Fils de Dieu dans Jérusalem : d'une part ses
disciples, qui faisaient profession de le suivre, et qui par un engagement
particulier s'étaient attachés à son parti ; d'autre part les pharisiens, les
prêtres, les docteurs de la Synagogue, qui, par un aveuglement extrême,
rejetaient sa doctrine et s'étaient secrètement ligués contre lui. Ses
disciples le reçoivent avec respect, avec ferveur, avec joie ; et voilà
pourquoi il vient à eux comme en triomphe, et même, selon la prophétie, en
qualité de roi : Ecce rex tuus venit tibi mansuetus (1). Au contraire,
les pharisiens le reçoivent avec des sentiments d'aigreur, et dans la
résolution de faire bientôt éclater leurs pernicieux desseins, et de le perdre
; c'est pour cela qu'il vient à eux comme un ennemi, et que le Sauveur verse
sur ces aveugles des larmes de compassion : Videns civitatem, flevit super
illam (2). Deux idées bien naturelles de ce qui se passe encore chaque
année dans la communion pascale, et dont je vais faire le partage de ce
discours. Car prenez garde, Chrétiens : dans le triomphe dont les disciples de
Jésus-Christ honorent ce divin Maître, je trouve l'idée d'une sainte et
parfaite communion ; ce sera la première partie : mais dans la manière dont ce
même Dieu fut reçu des pharisiens, je trouve l'idée d'une communion indigne et
sacrilège ; ce sera la seconde partie. Pour les justes, qui sont les vrais
fidèles , le Sauveur vient comme un roi débonnaire et bienfaisant; mais pour
les impies engagés et obstinés dans le crime, il vient comme un ennemi terrible
et redoutable. C'est tout le sujet de votre attention.
PREMIÈRE PARTIE.
Voulez-vous savoir, Chrétiens ,
ce que c'est, à proprement parler, qu'une communion faite en état de grâce?
Ecoutez saint Chrysostome; il va vous l'apprendre. C'est, dit ce Père, une
réception solennelle que nous faisons à Jésus-Christ dans nous-mêmes, et une
entrée triomphante que Jésus-Christ fait dans nous. Pouvait-il s'en expliquer
plus noblement, et n'ai-je pas eu raison de m'attacher d'abord à sa pensée,
pour vous dire que le triomphe et l'entrée du Sauveur du monde dans Jérusalem
est la plus juste idée d'une bonne communion ?
Mais, afin de mieux comprendre la
chose, examinons, Chrétiens, toutes les circonstances particulières marquées
dans l'Evangile, et voyez si le dessein de Dieu n'a pas été visiblement
de nous proposer le modèle le plus parfait de l'action la
plus sainte du Christianisme, qui est la communion? Car, premièrement, cet
Homme-Dieu est reçu avec honneur dans Jérusalem; mais par qui? par ses amis,
par les sectateurs de sa doctrine, par ceux que l'on distinguait dans la Judée
pour être du nombre des siens; en un mot, par ses disciples qui, malgré
l'envie, ne laissaient pas de faire un parti considérable, puisque saint Luc
témoigne qu'ils accoururent en foule : Et cœperunt omnes turbœ discipulorum
gaudentes laudare (1). En second lieu, ces fervents disciples, transportés
de zèle pour la personne de leur Maître, n'attendent pas qu'il soit aux portes
de la ville pour se disposer à le recevoir : au premier bruit qu'ils entendent
de sa venue, ils sortent de leurs maisons, et par respect ils viennent
au-devant de lui : Et cum audissent quia venit Jesus, processerunt obviant
(2). De plus, ils se présentent à lui, les uns portant des branches de palmiers
: Acceperunt ramos palmarum (3) ; et les autres avec des branches
d'oliviers, qu'ils coupaient sur la montagne, selon la remarque expresse de
l'Evangile. Or, la palme est le symbole de la victoire, et l'olive le signe de
la paix ; ce qui ne fut pas sans mystère, comme je vais vous l'expliquer. Enfin
ils se dépouillent de leurs vêtements ; ils les mettent sous les pieds de
Jésus-Christ, en les étendant le long du chemin par ou il devait passer : Plurima
autem turba straverunt vestimenta sua in via (4). Excellente idée de la
communion des justes, et des saintes dispositions qu'une âme chrétienne doit
apporter à la participation du corps de Jésus-Christ et de son adorable
sacrement. Mais ce n'est pas assez pour nous d'en avoir l'idée ; Dieu veut que
nous nous l'appliquions dans la pratique, et que d'une figure nous en fassions
une vérité. Tâchez donc, mes chers auditeurs, à bien entrer dans les saintes
leçons que j'ai à vous faire.
Il faut être disciples de
Jésus-Christ pour mériter de le recevoir dans son sacrement, et c'est la
première disposition : mais ne sommes-nous pas tous ses disciples en qualité de
chrétiens? Il est vrai, mes Frères, et je le sais ; mais je dis que pour
participer au divin mystère il ne suffit pas d'être disciple du Sauveur par une
profession extérieure, qui souvent ne fait qu'augmenter notre indignité quand
elle n'est pas soutenue du reste; et j'ajoute qu'il le faut être en esprit et
par un sentiment de religion,
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puisque sans cela, bien loin que Jésus-Christ nous avoue
pour ses disciples, il nous regarde comme ses ennemis. Or, il s'est lui-même
déclaré qu'il ne voulait faire la pâque qu'avec ses disciples. Mais il ne
parlait alors que de la pâque judaïque, qu'il allait célébrer selon la loi: ah!
j'en conviens, répond saint Chrysostome ; mais s'il parlait ainsi de l'ancienne
pâque, que pensait-il de la nouvelle, qui devait être le don des dons, et la
plus excellente de toutes les grâces? et s'il fallait être son disciple pour
manger avec lui une pâque qui n'était que la figure de son corps, que ne
faut-il point être pour manger celle qui n'est rien moins que la substance même
de son corps ! Enfin n'est-il pas de la foi que tout ce qui s'observait dans la
pâque des Juifs était une leçon pour nous, mais une leçon exacte et précise, de
ce qui devait être accompli dans celle des chrétiens.
Qu'il n'y ait donc personne assez
téméraire, concluait éloquemment saint Chrysostome, pour prétendre à cette
pâque, en recevant l'agneau véritable qui est immolé, sans avoir ce caractère
particulier de disciple de Jésus-Christ ; qu'il ne s'y présente point .de
Judas, point de pharisiens, c'est-à-dire point de traître, point d'hypocrite,
point de simoniaque ni de profanateur des choses saintes : ce sont les paroles
de ce Père : Nemo accedat nisi amicus, nullus avarus, nullus fenerator,
nullus impudicus. Car je vous avertis, ajoutait ce saint docteur, que cette
divine table n'est point pour eux : Num et tales haec mensa non suscipit.
S'il y a un disciple fidèle et sincère, qu'il vienne, parce que c'est lui qui,
par le choix de Jésus-Christ même, y doit être admis : Si quis est discipidus,
adsit. Pour les mondains, pour les sensuels, pour les scandaleux et les
impies, ils en sont exclus; et s'ils osaient y paraître, nous qui sommes les
prêtres du Seigneur et les dispensateurs de ses mystères, nous ne craindrions
point d'user du pouvoir que le Dieu vivant nous a mis en main pour leur en
interdire l'usage. Fût-ce le premier conquérant du monde qui s'y présentât : Sive
princeps militiœ ; fut-ce le premier monarque du monde : Sive imperator
; nous lui ferions entendre les défenses et les menaces du souverain Maître
dont il Tiendrait profaner le céleste banquet. C'est ainsi que cet homme de
Dieu, s'acquittant du même ministère que moi, préparait le peuple d'Antioche à
la plus importante action du christianisme ; et tel est l'ordre que le grand
Apôtre avait intimé à toutes les Eglises par ces courtes paroles, mais qui,
selon le concile de Trente, comprennent en abrégé toutes les dispositions
requises pour avoir part au sacrement du Fils de Dieu : Probet autem seipsum
homo (1) ; Que l'homme donc s'éprouve lui-même,
c'est-à-dire qu'il se consulte lui-même, qu'il interroge son cœur, et que, sans
s'aveugler, sans se flatter, il examine devant Dieu s'il est en effet de ceux
qui appartiennent à Jésus-Christ, et que Jésus-Christ reconnaît pour ses vrais
disciples : car, si nos consciences ne nous rendent pas sur ce point un
témoignage favorable, et qu'avec humilité nous ne puissions nous glorifier de
ce beau nom, il ne nous est point permis de faire la pâque, et nous n'y devons
pas penser. Je me trompe, Chrétiens ; parlons plus correctement, et disons que
nous y devons penser, et y penser efficacement pour l'honneur de Jésus - Christ
même; et si, pour n'y avoir pas pensé, nous manquons à le recevoir dans cette
pâque solennelle, nous commettons un nouveau crime, et nous désobéissons à ses
ordres. Quoi donc! l'ordre de Jésus-Christ est-il que nous le recevions sans
être du nombre de ses disciples? À Dieu ne plaise, Chrétiens, puisque c'est ce
qu'il a le plus en horreur! mais il nous ordonne de nous déclarer ses
disciples; et si nous n'avons pas été jusqu'à présent de ce nombre, il veut que
nous commencions à en être, pour satisfaire à l'obligation indispensable où
nous sommes de prendre place parmi les conviés qu'il fait appeler. Voilà le
précepte non-seulement ecclésiastique, mais divin, qui vous est aujourd'hui
signifié par les pasteurs de vos âmes, où le Sauveur des hommes, de quelque
condition que vous soyez, veut célébrer la pâque avec vous. Vous êtes indignes
de cette grâce, mais il veut que vous vous en rendiez dignes ; vous êtes
pécheurs, mais il veut que vous deveniez justes; vous êtes dans les engagements
criminels du monde, mais il veut que vous en sortiez, et que vous vous mettiez
en étal d'approcher de lui. Point d'excuse,ni de délai; son ordre presse, et il
lui faut obéir. Dans les autres temps de l'année, peut-être auriez-vous droit
d'user de remise, et de vous prescrire un ternie pour former cette résolution ;
mais aujourd'hui il n'est plus question de résoudre, il est temps d'exécuter et
d'accomplir. Le terme est échu, et le Maître des maîtres vous envoie dire que
c'est chez vous que cette pâque se doit faire : Magister dicit : Apud te
facio pascha (1). Pour cela il faut que votre cœur, qui est comme le domicile
et le sanctuaire qu'il a choisi, soit purifié par la pénitence; et le même
commandement
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qui vous engage à l'un vous oblige à l'autre. Par conséquent
il faut rompre vos liens, et par de généreux efforts vous détacher une fois de
la créature et de vous-mêmes. Et c'est en quoi le précepte du Fils de Dieu est
admirable; je veux dire en ce qu'il vous met dans une si heureuse nécessité.
Car il ne s'agit pas moins pour vous que d'être, ou des sacrilèges, ou des excommuniés
: des sacrilèges, si vous recevez ce Dieu de sainteté sans vous y être disposés
par une contrition sincère ; des excommuniés, si, par votre impénitence, vous
vous trouvez hors d'état de le recevoir.
Cependant il ne suffit pas d'être
disciples du Sauveur pour mériter qu'il vienne à nous; il faut encore aller
au-devant de lui et le prévenir. Vous savez comment ces troupes sorties de
Jérusalem s'avancèrent jusque vers la montagne des Olives, n'attendant pas que
Jésus-Christ fût arrivé pour commencer les honneurs de l'entrée qu'on devait
lui faire : Cum audissent quia venit,processerunt obviam ei (1). Ainsi,
par un mouvement de ferveur, anticiper la venue de ce Dieu-Homme, c'est une
seconde disposition nécessaire pour le recevoir selon les règles et l'esprit de
la vraie piété. Je m'explique. Car, faire ce qui se pratique aujourd'hui, et ce
que la lâcheté du siècle n'a rendu que trop commun ; se réserver jusqu'au jour
de la communion même pour y penser; différer à la solennité de Pâques les
préparatifs que la religion demande; croire s'être acquitté de son devoir,
parce qu'on a pris quelques moments pour se recueillir devant Dieu ; venir à la
hâte et dans la foule s'accuser de ses désordres, et immédiatement après se
présenter à la sainte table; confondre les exercices de la pénitence avec la
communion, et souvent communier sans avoir fait aucun exercice de pénitence :
ah ! Chrétiens, c'est une indignité; et quiconque agit de la sorte attire sur
soi l'anathème de saint Paul, qui lui reproche de ne pas faire un juste
discernement du corps du Sauveur, et qui le menace de manger, avec cette viande
céleste, sa propre condamnation. Je parle à vous, mes chers auditeurs, qui,
dans la profession que vous faites d'une vie mondaine et dissipée, approchez
plus rarement de ces sacrés mystères, et qui vous contentez peut-être une fois
dans le cours d'une année de manger ce pain établi par Jésus-Christ pour être
le pain de tous les jours : c'est vous que ceci regarde. Car, pour les âmes
innocentes qui en font leur nourriture ordinaire, quoiqu'elles aient absolument
sujet de craindre, elles ont encore plus droit d'espérer.
Une communion les dispose à l'autre; la vie régulière qu'elles mènent, les
bonnes œuvres qu'elles pratiquent, leur assiduité à fréquenter les autels, tout
cela, dans la doctrine des Pères, leur sert de préparation, et d'une
préparation continuelle, au divin sacrement.
Mais pour vous qui tenez une
conduite directement opposée; pour vous qui vous faites un devoir non-seulement
d'être du monde, mais de vivre selon les maximes du monde ; pour vous dont les
liaisons, les habitudes, les divertissements, les emplois ne sont qu'un
enchaînement de péchés ajoutés sans cesse les uns aux autres; pour vous qui
n'avez aucun usage des choses de Dieu, et qui passez les années entières sans
faire peut-être une réflexion sérieuse sur l'affaire de votre salut ; pour vous
dont le dernier soin est de veiller sur votre cœur, et qui vous étant formé une
conscience libre , disons mieux, une conscience libertine, ne trouvez rien de
plus commode que de n'y rentrer jamais et d'ignorer toujours ce qui se passe ;
pour vous enfin qui ne communiez que par je ne sais quelle bienséance, et quand
le précepte vous y oblige ; attendre à vous y disposer que vous soyez au jour
précis où vous devez satisfaire à cette obligation, c'est mépriser votre Dieu
et faire outrage à son sacrement ; c'est anéantir l'effet de sa venue , c'est
vous exposer vous-mêmes à un scandale presque inévitable. Car enfin, mon Frère,
dirais-je à un de ces pécheurs, si vous vous adressez à moi dans ces jours de
solennité, et que je ne vous trouve pas en état de recevoir cette grâce de
réconciliation, sans laquelle il ne vous est pas permis de communier (or, qu'y
a-t-il de plus ordinaire à des hommes comme vous?), que ferai-je alors? Vous
accorderai-je la grâce de l'absolution que vous me demandez ? je trahirai donc
mon ministère. Ne vous l'accorderai-je pas? il faudra donc que vous ne mangiez
point l'agneau avec le reste des fidèles, et que vous soyez absent de la table
de Jésus-Christ. Si je vous y admets, je suis prévaricateur, et je me damne
avec vous : si je vous en exclus, vous scandalisez l'Eglise. Voyez-vous
l'extrémité où vous vous jetez, pour n'avoir pas pris les mesures que la loi de
Dieu et la prudence chrétienne vous prescrivaient? Que par considération pour
votre personne j'intéresse l'honneur du sacrement qui m'a été confié, c'est à
quoi il n'y a pas d'apparence que je me détermine jamais. Je sais trop quelles
sont les bornes de mon pouvoir, et l'éclat de votre fortune et
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de votre dignité ne m'éblouira pas. Qu'arrivera-t-il donc?
ce que je dis : qu'il n'y aura ni pâque, ni sacrement, ni culte de religion
pour vous; et qu'ensuite on vous remarquera; que celui qui se trouve chargé,
comme pasteur, du soin de votre âme, en sera dans l'inquiétude et dans le
trouble ; que votre mauvais exemple se
communiquera , que le libertinage
prendra sujet de s'en prévaloir, et que vous serez responsable de l'abus qu'il
en fera : pourquoi? parce que vous n'avez pas usé de la diligence nécessaire
pour vous préparer. Si dès l'entrée de ce saint temps, convaincu comme vous
l'étiez du désordre de votre conscience , vous eussiez eu recours au remède que
l'Eglise vous présentait, et que, par une prévoyance chrétienne, vous fussiez
venu dès lors vous soumettre à son tribunal, on aurait mis ordre à tout. Vous
n'étiez pas encore en état de participer au corps de Jésus-Christ, mais on vous
y aurait disposé ; vous étiez trop faible pour manger ce pain de vie, mais on
vous aurait fortifié ; on aurait guéri vos plaies , on vous aurait excité à
sortir de vos habitudes, on vous aurait fait passer par les épreuves de la
pénitence ; et, après les épreuves de la
pénitence , revêtu de la robe de noce, on vous recevrait enfin maintenant dans
la salle du festin. Aussi est-ce pour cela, Chrétiens, que le carême est
institué; et nous apprenons des anciens conciles que dès les premiers jours de
ce jeûne solennel on obligeait les fidèles à se sanctifier, c'est-à-dire, dans
le style de l'Ecriture, à se purifier par la confession, et qu'on les préparait
ainsi à célébrer dignement la pâque. S'il y avait même des pécheurs publics ,
on les faisait paraître dès le jour des Cendres couverts de cilices, pour les
initier, si j'ose parler de la sorte, et les agréger parmi les pénitents. Voilà
comment on en usait ; et nous voyons encore dans quelques églises des vestiges
d'une discipline si religieuse et
si louable. Toutefois ces pécheurs,
remarque le docteur angélique, saint Thomas,
n'étaient pas plus coupables que plusieurs de nous ; et le corps de
Jésus-Christ, qu'ils devaient recevoir, n'était pas plus saint ni plus
vénérable pour eux que pour nous. Mais aujourd'hui l'on a trouvé moyen
d'abréger les choses, et, si je puis me servir de cette expression, d'en être
quitte à bien moins de frais.
Je ne dis point ceci pour
favoriser aucun sentiment particulier , et je n'ai pas même besoin de
justification sur cela ; mais en vérité, mes chers auditeurs, avouons-le à
notre confusion, nous avons bien dégénéré, et nous dégénérons bien encore tous
les jours de la sainteté de notre foi. De tous ceux à qui j'adresse cette
instruction, et qui composent vraisemblablement la plus nombreuse partie de cet
auditoire, c'est-à-dire de tant de personnes engagées dans le péché, à peine
peut-être y en a-t-il quelques-uns qui aient fait le moindre effort pour se
disposer à la communion pascale. En dis-je trop, et serais-je assez heureux
pour me tromper? Cependant à cette fête prochaine on verra des hommes tout corrompus
de vices, des Lazares encore ensevelis dans l'iniquité, des morts non pas de
quatre jours, mais de quatre mois, mais de quatre années, qui se produiront à
la face de l'Eglise, et qui, pleins d'une confiance présomptueuse, demanderont
tout à la fois qu'on les délie, qu'on les ressuscite, et qu'on les fasse
asseoir à la table du Seigneur. Ah ! mes Frères, s'écrie saint Bernard, il
n'appartient qu'au Seigneur lui-même d'opérer de semblables prodiges : notre
juridiction et notre puissance ne s'étend point jusque-là; ce miracle est
au-dessus de nous. Que faut-il donc faire? ce que font ces troupes zélées qui
sortent de Jérusalem, et qui se mettent en marche, du moment qu'elles apprennent
que Jésus-Christ approche : Cum audissent, processerunt (1). Vous l'apprenez
vous-mêmes, Chrétiens, et je vous l'annonce actuellement de sa part : Ecce sponsus
venit (2) ; oui, mes Frères , puis-je vous dire, voici l'époux qui arrive :
il est presque aux portes de votre cœur, et dans fort peu de jours il y doit
faire son entrée. Ne vous laissez pas surprendre : Exite, sortez, pour
ainsi dire, hors de vous-mêmes, hors du tumulte de vos passions, hors de
l'embarras de vos intrigues malheureuses, hors du trouble et de la dissipation
où vous jettent vos affaires temporelles. Ne ressemblez pas à ces vierges
folles qui s'endormirent; mais tenez-vous prêts, et allez au-devant du maître
qui vient vous visiter : Exite obviam ei. Si vous avez différé jusqu'à
ce jour, après vous en être confondus devant Dieu , appliquez-vous à réparer ce
que vous avez perdu de temps. Considérez, et la sainteté de l'action que vous
avez à faire, et la grandeur du Dieu que vous avez à recevoir. Pour lui faire
un triomphe sortable et conforme à ses inclinations, n'oubliez pas d'envoyer
les pauvres devant vous chargés de vos libéralités et de vos aumônes. Il y en a
d'abandonnés dans les prisons, de languissants dans les hôpitaux, de honteux
dans les familles : cherchez-les pour les soulager, et ils se joindront à vous
pour vous seconder. Mais surtout
547
souvenez-vous de la grande leçon du Prophète, contenue dans
ces paroles : Prœoccupemus faciem ejus in confessione (1). Avant que ce
Dieu de gloire vienne à vous, prévenez-le et gagnez-le par une confession
exacte et sincère de tous les dérèglements de votre vie. N'attendez pas
jusqu'au moment qu'il faudra lui donner le baiser de paix ; votre bouche serait
encore infectée de l'impureté de vos crimes. Dès aujourd'hui, s'il se peut,
déchargez-vous de ce fardeau pesant qui vous accable, afin que votre âme libre
et dégagée puisse avancer à plus grands pas vers ce Seigneur qui daigne bien
descendre pour vous du trône de sa majesté. Eh quoi! mon Frère, reprend saint
Chrysostome, si présentement et à l'heure que je vous parle on vous annonçait
que le plus grand roi de la terre vient en personne loger chez vous; que c'est
lui-même qui, par un choix particulier, a voulu vous gratifier de cet honneur,
et qu'il ne prétend rien moins par là que de vous anoblir pour jamais, que
d'établir votre fortune et de vous combler de biens, que ne feriez-vous pas?
quels soins, quels empressements, quelle activité ! Que ne faites-vous pas même
tous les jours pour un ami, et comment en usez-vous? Ces comparaisons sont
familières et communes ; mais c'est pour cela même, dit suint Chrysostome, que
les prédicateurs de l'Evangile doivent s'en servir, parce qu'elles rendent les
choses plus sensibles, et qu'elles l'ont toucher au doigt les plus essentielles
obligations du christianisme.
Je dis plus : pour recevoir
Jésus-Christ dans la communion, il faut aller au-devant de lui ; mais comment?
comme les disciples, avec des branches de palmiers et d'oliviers : troisième
circonstance d'où je tire une troisième instruction. Voici ma pensée : Acceperunt
ramos palmarum (2); Ils prirent, dit saint Jean, des palmes dans leurs
mains : Alii autem cœdebant frondes de arboribus (3); les autres
coupaient des branches d'arbres. Or, ces arbres étaient des oliviers; puisque
ce fut sur la montagne même qui en portait le nom que les disciples allèrent
trouver le Fils de Dieu : Et cum appropinquare jam ad descensum montis
Oliveti (4). Que signifie cela? Rien de plus évident, dit saint Augustin,
que ce qui nous est enseigné par le Saint-Esprit, et marqué sous ces deux
symboles : c'est que ni vous, ni moi, ne devons point approcher de
Jésus-Christ, si nous ne portons la palme en témoignage de la victoire
que nous avons remportée sur le péché, et l'olive pour signe
de la paix que nous avons conclue avec Dieu. Prenez garde, Chrétiens ; saint
Augustin ne dit pas que pour bien communier il suffit d'avoir remporté quelque
avantage sur l'ennemi, ni que nous devions nous contenter d'avoir fait avec lui
une simple trêve, et que ce soit assez de nous être soustraits pour un temps de
sa servitude, et d'avoir gagné sur lui, ou plutôt sur nous-mêmes, une réforme
de quelques jours : car cet esprit séducteur ne vous la disputera pas,
puisqu'il l'accorde aux plus libertins, et que c'est un artifice dont il se
sert pour se les attacher encore plus étroitement. Il y a peu de pécheurs si
abandonnés qui, dans ces saints jours, ne se modèrent, ne se contraignent, et
n'affectent tout l'extérieur d'un pécheur touché et converti. Mais cela n'est
rien, mon cher auditeur, ce n'est point là ce que Jésus-Christ attend de vous,
ni le point de pratique que l'on vous prêche. On vous dit que pour recevoir cet
Homme-Dieu, il faut que vous vous présentiez à lui avec la palme, c'est-à-dire
après avoir vaincu véritablement, efficacement, parfaitement, le péché qui
règne en vous. Or, vous savez que dans cette guerre spirituelle les trêves et
les suspensions d'hostilité n'ont point communément d'autre effet que de
fortifier de plus en plus votre ennemi, que d'allumer la passion, que d'irriter
la cupidité. Vous succomberez donc par des rechutes encore plus dangereuses, à
de nouvelles attaques. Après un intervalle de liberté et de fausse paix, vous
vous trouverez plus esclave et plus pécheur que vous ne l'aviez jamais été ; et
si cela est, vous n'êtes point du nombre de ceux dont Jésus-Christ puisse être
reçu en triomphe. Il faut avoir la palme, et être vainqueur ; autrement vous
n'avez point droit de vous joindre aux troupes de ses disciples : pourquoi?
parce que vous êtes encore dans les fers et dans la tyrannie du prince du
monde. Il s'agit d'en sortir une bonne fois, et de faire le même effort que
l'épouse des Cantiques, lorsqu'elle disait : Ascendam in palmam, et apprehendam
fructus ejus (1) ; Oui, la résolution en est prise; je monterai sur le
palmier, et j'en cueillerai les fruits. Quels sont ces fruits? les fruits d'une
salutaire pénitence. Jusqu'à présent, direz-vous, je n'en ai pris que les
feuilles; je n'en ai eu que les apparences, que les dehors, que les belles
paroles, que les idées, que les désirs inutiles et inefficaces ; mais
aujourd'hui je suis déterminé à monter plus haut, et j'en veux prendre les
fruits : Ascendam
518
in palmam, et apprehendant fructus ejus. Il y a trop
longtemps que Dieu me sollicite, et je ne puis plus lui résister. Ces fruits ne
seront pas au goût de la nature; mais la charité, dont le goût est bien plus
exquis, m'y fera trouver des délices qui surpassent tous les plaisirs des sens.
C'est ainsi, dis-je, Chrétiens, que vous devez agir, et que vous ferez
triompher Jésus-Christ.
Enfin , les disciples se
dépouillèrent de leurs vêtements, et les étendirent dans le chemin par où le
Fils de Dieu devait passer : Plurima turba straverunt vestimenta sua (1);
cérémonie dont je voudrais inutilement vous développer le mystère, puisque vous
le comprenez déjà; cérémonie qui, par elle-même, vous instruit Lien mieux que
moi de cette grande vérité, que pour recevoir dignement le Sauveur des hommes
dans le sacrement de ses autels, vous devez quitter tout ce qui s'appelle
superfluité mondaine , surtout cette superfluité d'habits , d'ajustements, de
parures qui, selon la pensée de Tertullien , est comme une idolâtrie et une
espèce de culte que vous rendez à votre corps ; que vous devez, dis-je, la
quitter, non par des considérations humaines, mais par un respect religieux. On
vous l'a dit tant de fois , Mesdames , et personne ne le doit mieux savoir que
vous-mêmes ; vous le reconnaissez devant Dieu, combien ce luxe profane est
opposé à l'humilité de votre religion , de combien de péchés il est le
principe, à combien de scandales il vous expose. Mais ce que je ne puis
comprendre, c'est qu'étant aussi portées que vous l'êtes à tout ce qui regarde
la vraie piété , on vous engage néanmoins avec tant de peine à la pratique de
ce détachement. Ce que je ne puis comprendre , c'est qu'après tant de
remontrances que l'on vous a faites ; après les règles que vous adonnées saint
Paul, l'organe et l'interprète du Saint-Esprit ; après les exhortations
pressantes des Pères de l'Eglise , qui ont traité ce point de morale comme un
des plus essentiels à votre état ; après votre propre expérience, plus capable
de vous convaincre que tous les discours, vous contestiez encore avec Dieu pour
conserver ces restes du monde dont on ne peut vous déprendre. Ce qui m'étonne,
c'est qu'après tant de communions on en voie toujours parmi vous d'aussi
passionnées pour cette vanité, d'aussi affectées dans leurs personnes, d'aussi
curieuses de plaire que les âmes les plus libertines et les plus déréglées.
Voilà ce qui me surprend. Mais ce scandale ne cessera-t-il
point, et refuserez-vous à Jésus-Christ, je dis à
Jésus-Christ entrant dans votre cœur, un sacrifice aussi léger, et néanmoins
aussi nécessaire et aussi agréable à ses yeux que celui-là? Ah! mes Frères,
conclut saint Ambroise, quel avantage pour vous de pouvoir faire un triomphe à
votre Dieu des mêmes choses qui font le sujet de vos désordres ! Quelle
consolation de le pouvoir honorer non-seulement de vos superfluités , mais de
vos vanités mêmes! Il faut mettre sous les pieds de Jésus-Christ tout ce que
l'orgueil du monde invente pour se donner un faux éclat et pour se distinguer.
C'est ainsi que vous sanctifierez la communion, et que la communion vous
sanctifiera : car écoutez ce que Jésus-Christ fera de sa part. Il viendra dans
vous comme un roi, mais comme un roi triomphant, et c'est ce qu'il m'ordonne
lui-même de vous annoncer : Dicite filiœ Sion: Ecce rex tuus venit (1) ;
Dites à la fille de Sion : Voici votre roi qui vient. Or, quelle est cette
fille de Sion? Dans le sens même de la prophétie, c'est l'âme juste ; et c'est
proprement dans la communion que cette prophétie, a son effet. Oui, Chrétiens ,
c'est alors que le Fils de Dieu fera son entrée dans vous en souverain et en
roi ; car la foi nous apprend qu'il est roi, et, selon les termes formels de
saint Luc, son royaume est au milieu de nous : Regnum Dei intra vos est
(2). Le ciel et la terre lui sont absolument soumis, mais c'est dans le cœur de
l'homme, dit saint Augustin, qu'il se plaît surtout à régner : pourquoi? parce
qu'il le regarde, poursuit ce saint Docteur, comme un royaume de conquête. Il
veut y être reçu, et y établir sa demeure. Or, quand je communie en état de grâce,
il est vrai de dire non-seulement que Jésus-Christ est en moi, mais qu'il y est
en souverain ; qu'il y règne, qu'il y commande, qu'il s'y fait obéir, qu'il y
tient toutes mes passions sujettes sous la loi de son amour, qu'il y réprime ma
colère, qu'il y étouffe mes vengeances, qu'il y domine ma cupidité; en un mot,
qu'il est mon roi : Ecce rex tuus.
Si je m'arrêtais à cette première
vue, que ma religion me donne, je demeurerais saisi de frayeur; et, surpris de
la présence d'une si haute majesté, je m'écrierais avec saint Pierre: Exi a
me, quia homo peccator sum (3) : Retirez-vous de moi, Seigneur, parce que
je suis un homme rempli de misère et de faiblesse. Mais ce Dieu de gloire, par
un artifice et un prodige de sa charité, m'apprend bien à ne pas porter trop
loin ce prétexte, quoique spécieux, d'une
549
défiance respectueuse : car, s'il vient à moi, c'est en
qualité de roi débonnaire et plein de douceur : Dicite filiœ Sion : Ecce rex
tuus venit tibi mansuetus (1). Non, non, dit saint Chrysostome, sa grandeur
n'est point un obstacle qui l'empêche de s'humaniser avec nous, et de
s'incarner en quelque sorte dans nous; et nous n'avons pas les premières idées
du mystère de son corps et de son sang, si nous ignorons qu'il se fait même une
grandeur de cette condescendance infinie. Sa divinité était un abîme de
lumières, dont nous aurions été éblouis ; pour nous la rendre supportable, il
l'a couverte du voile de son humanité. Son humanité aurait eu trop d'éclat ; il
la cache sous les espèces d'un sacrement qui n'a rien à l'extérieur que de
simple et de commun. Ce sacrement, par ce qu'il contient, aurait encore pu nous
éloigner de lui ; il nous le propose comme un pain et comme une viande qui nous
doit nourrir, et que nous devons manger. Tout cela pour nous faire entendre ce
qu'il dit dans l'Ecriture, que ses délices sont de demeurer, tout Dieu qu'il
est, avec les enfants des hommes ; et qu'il ne veut être notre roi que pour
avoir droit de nous prévenir, et de nous combler des bénédictions de sa douceur
: Ecce rex tuus venit tibi mansuetus. Quand il entra dans Jérusalem, il
n'y avait autour de lui que pompe et que magnificence, et cette magnificence
était bien due à un Dieu aussi grand que
lui; mais, dans sa personne, ce n'était
que modestie, que pauvreté, qu'humilité. Ainsi, quand il descend sur l'autel,
des millions d'anges y descendent avec lui pour lui faire escorte et pour
l'accompagner. Ce n'est point là une de ces pensées pieuses qui ne sont fondées
que sur de légères conjectures. Saint
Jean Chrysostome n'était point un esprit faible, et il nous témoigne lui-même
qu'il a vu ces légions célestes : Vidi ipse; qu'il les a vues, dis-je,
s'assembler autour de Jésus-Christ et l'environner : Vidi ipse turbas angelorum
e cœlo descendentium. Mais, du
reste, c'est sur ce même autel que ce Dieu d'amour obscurcit toute sa splendeur
; c'est là qu'il s'abaisse, là qu'il se
fait petit et pauvre, afin que nous puissions avoir un plus facile accès auprès
de lui ; car, s'il ne s'était humilié, dit saint Augustin, nous n'aurions
jamais osé prendre cette divine nourriture et y toucher : Nisi enim esset
humilis, non manducaretur. Ah ! Seigneur, je le reconnais ; et dès à
présent je vous rends tous les hommages de respect, d'obéissance, de reconnaissance que je dois
vous rendre dans ma communion. Il n'appartient qu'à vous de
joindre à une majesté incompréhensible de si profonds abaissements. Si les rois
de la terre ne paraissaient que dans l'humiliation et dans un dénûment entier
de toutes choses, ils ne pourraient soutenir leur royauté : mais la vôtre se
soutient par elle-même, puisque vous êtes roi par vous-même, et que votre
souveraine puissance est inséparable de votre être : Dicite filiœ Sion :Ecce
rex tuus venit tibi mansuetus.
Cependant, Chrétiens, prenez-vous
garde à cette parole : Venit tibi ? Peut-être n'y pensez-vous pas ; mais
que ne comprenez-vous le don excellent qu'elle renferme! Elle vous fait
connaître que cet Homme-Dieu dans la communion vient non-seulement à nous et
pour nous, mais pour nous uniquement et singulièrement : en sorte que si nous
étions seuls dans le monde capables de participer à ce mystère, il sortirait
encore du sanctuaire où il réside et des tabernacles où il repose, pour venir,
avec toute la plénitude de sa divinité, prendre place dans notre cœur. Et, en
effet, combien de fois vous a-t-il honoré de cette grâce, sans que nul autre
que vous se présentât pour y avoir part? et combien de fois a-t-on pu dire que
c'était pour vous seul qu'il quittait l'autel, et qu'il était porté comme en
triomphe par les mains des prêtres : Ecce rex tuus venit tibi? De vous
apprendre en détail les avantages que vous devez tirer d'une union si intime
avec lui, c'est ce qui demanderait un discours entier. Mais je manquerais à mon
sujet, et à ce qu'il me fournit de plus remarquable pour votre instruction, si
je ne vous disais pas que le Sauveur vient à nous pour opérer invisiblement
dans nos âmes les mêmes miracles qu'il opéra visiblement sur les corps après
son entrée dans Jérusalem. Car l'Evangile ajoute que tout ce qu'il y avait de
malades , d'aveugles, de paralytiques parut devant lui, et qu'il les guérit :
Tunc accesserunt cœci et claudi, et sanavit eos (1). Or ce n'est point une conjecture, c'est un point de foi que l'effet
propre de la communion, ou plutôt la présence de Jésus-Christ par la communion,
est de guérir nos infirmités spirituelles, ces faiblesses, ces
langueurs, ces dégoûts poulie bien, ces inclinations au mal à quoi une âme
juste et convertie peut encore être sujette. Et pourquoi ne le ferait-il pas?
il guérissait bien les maladies les plus désespérées par le seul attouchement
de ses habits : aurait-il moins de vertu quand il nous est substantiellement
550
et si étroitement uni? Oui, Chrétiens, il veut guérir ces
restes de corruption que le péché, quoique effacé par la pénitence, aurait
laissés dans votre cœur; et si vous ne l'empêchez point d'agir, il fera dans
vous des prodiges qui édifieront toute l'Eglise, et qui vous surprendront
vous-mêmes. De violents et de passionnés que vous étiez, il vous rendra doux et
modérés ; de sensuels et de voluptueux, patients et mortifiés ; de vains et
d'ambitieux, humbles et soumis ; enfin il vous transformera en d'autres hommes.
Allons donc à lui, mes Frères ; allons lui découvrir toutes les plaies de nos
âmes, et lui dire comme le Prophète : Sana me, Domine, et sanabor (1) ;
Seigneur, vous voyez l'état où je suis : me voilà attaqué de bien des maux.
Mais guérissez-moi, et je commencerai à jouir d'une santé parfaite : Sana
me, Domine, et sanabor; Je suis aveugle, éclairez-moi ; je suis inconstant,
affermissez-moi ; je suis faible, fortifiez-moi. Il n'y a que vous, ô mon Dieu,
qui puissiez opérer ce miracle ; et toute autre guérison qui ne viendrait pas
de votre main ne serait qu'une guérison apparente : Sana me, Domine, et
sanabor. Il faut donc que vous y travailliez vous-même ; mais pour y
travailler efficacement, Seigneur, c'est assez que vous disiez une parole.
Prononcez-la cette parole de grâce : Tantum die verbo (2). Dites à mon âme que vous êtes son salut,
et elle sera sauvée : Dic animœ meœ : Salus tua ego sum (3). Il le fera,
Chrétiens, il vous sauvera : mais du reste, après vous avoir donné l'idée d'une
bonne communion dans la manière dont les disciples reçurent le Fils de Dieu,
voici l'idée d'une mauvaise communion dans la manière dont il fut reçu des
scribes et des pharisiens. C'est la seconde partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Si jamais l'oracle de Siméon
s'est accompli dans la personne du Sauveur, en sorte que cet Homme-Dieu, sujet
tout ensemble de contradiction et de bénédiction pour les hommes, ait été au
même temps la résurrection des uns et la ruine des autres, on peut dire ,
Chrétiens, que c'est particulièrement dans le mystère de ce jour, ou plutôt
dans ce qui nous est signifié par le mystère de ce jour; savoir, dans
l'opposition extrême qui se rencontre entre la communion des justes et la
communion des pécheurs. En effet, que peut-on concevoir de plus saint que ce
triomphe où je viens de vous représenter le Fils de Dieu, béni par tout un
peuple et bénissant tout un peuple, recevant des honneurs et
faisant des grâces, reconnu pour l'envoyé du Seigneur et pour le Seigneur
lui-même, agissant en cette double qualité, faisant des miracles, convertissant
les âmes, guérissant les malades, ressuscitant les morts? voilà la première
partie de la prédiction vérifiée ; et telle est la figure de la communion des
fidèles qui dans l'état de la grâce participent au corps de Jésus-Christ. Mais
voyez au contraire la triste image d'une communion indigne et sacrilège , dans
la réception que les pharisiens et leurs partisans font au même Sauveur,
lorsqu'il entre dans Jérusalem ; et par toutes les circonstances que j'y vais
remarquer, jugez si l'effet n'a pas pleinement répondu à la prophétie : Ecce
positus est hic in ruinam et in resurrectionem multorum, et in signum cui
contradicetur (1). Car premièrement les pharisiens et ceux de leur faction
ne reçoivent aujourd'hui le Sauveur du monde que par une espèce
d'hypocrisie, que par dissimulation, que
par je ne sais quelle nécessité qui les y engage, que par crainte et par
respect humain. S'il avait été en leur pouvoir de lui interdire pour jamais
l'entrée de leur ville, c'est ce qu'ils auraient souhaité; mais l'évangéliste
observe qu'ils craignaient le peuple : Timebant vero plebem (2): et
voilà pourquoi ils se joignent malgré eux-mêmes aux troupes des disciples, et
ils se conforment extérieurement à eux. Secondement, dès que Jésus-Christ
paraît dans Jérusalem , ils commencent à former des desseins contre lui, ils
conspirent contre sa vie, ils prennent des mesures pour le perdre : car ce fut
ce jour-là qu'ils assemblèrent ce conciliabule détestable , où la mort de
Jésus, après bien des délibérations, fut enfin conclue : Collegerunt
pontifices et pharisœi concilium advenus Jesum (3). En troisième lieu, ils
contredisent ses miracles, quoique visibles, quoique éclatants : ils
s'aveuglent pour ne les pas reconnaître; bien loin d'en être touchés, ils en
témoignent de l'indignation : Videntes autem scribœ mirabilia quœ fecit,
indignati sunt (4). C'est ainsi qu'ils reçoivent le Fils de Dieu ; et
comment est-ce que le Fils de Dieu vient à eux? Ah! Chrétiens, ne perdez pas
ceci. Dans la vue de ces infidèles, Jésus-Christ entre pénétré de douleur et
versant des larmes : Videns civitatem, flevit super illam (5); car tout
cela se trouve dans la suite de ce mystère. Il entre non plus comme un roi bienfaisant
à leur égard; mais parce
551
qu'ils ont méprisé ses grâces, comme un ennemi redoutable,
pour être le sujet de leur réprobation et même de la destruction de leur ville
: Non relinquent in te lapident super lapidem (1); Il ne restera pas,
leur dit-il, pierre sur pierre; pourquoi? parce que vous n'avez pas connu le
temps où votre Dieu vous a visités : Eo quod non cognoveris tempus
visitationis tuœ (2). Enfin, il entre pour exercer déjà sur les pharisiens
la sévérité de sa justice en les condamnant par avance, et prononçant contre
eux ce terrible arrêt : Dico vobis, quia lapides clamabunt (3); Allez,
je vous annonce que ces pierres (c'étaient les pierres du temple), rendront un
jour témoignage contre vous. Que de rapports avec la communion des pécheurs!
Souffrez que j'en fasse en peu de mots l'application.
Car, ce que firent ces pharisiens
et ces ministres de la Synagogue, qui ne reçoivent le Sauveur du monde que par
politique, et parce qu'ils craignent le peuple, c'est ce que font encore
certains pécheurs du siècle, endurcis dans leur péché et nullement disposés à y
renoncer., mais qui néanmoins veulent garder les apparences , et sauver les
dehors de la religion ; hommes dans le fond ennemis de Jésus-Christ, mais qui
n'osent pas se déclarer, et qui s'aveuglent quelquefois jusqu'à se le
dissimuler à eux-mêmes, lis voudraient bien ne communier jamais; mais ils y
sont engagés par des bienséances de condition et d'état dont ils ne peuvent pas
se dispenser. C'est un magistral, et le scandale qu'il causerait retomberait
sur sa personne; c'est un père de famille, qui serait infailliblement remarqué;
c'est une femme de qualité, qui ferait tort à sa réputation ; c'est un homme
d'église, qui se décrierait et qui passerait pour un libertin. Il faut donc
prévenir ces conséquences, et pour cela se présenter, au moins en ce saint
temps, comme les autres à la table des fidèles ; autrement il se trouverait un
pasteur qui, pour satisfaire à l'obligation de son ministère, s'élèverait
contre eux, qui parlerait, qui agirait, qui les noterait; et c'est, encore une
fois, ce qu'ils ne veulent pas s'attirer. Assez hardis pour secouer le joug de
la crainte de Dieu, ils le sont trop peu pour s'affranchir de la crainte des
hommes. Ainsi ils se déterminent, à quoi ? à communier; mais comment? par une
espèce de contrainte : Timebant vero plebem (4).
De là vous jugez, Chrétiens, ce
qui accompagne ordinairement de semblables communions : c'est qu'au moment même
où ces hommes
perdus et impies reçoivent le sacrement de Jésus-Christ, ils
conjurent contre lui dans le cœur, ils forment des projets pour satisfaire
leurs passions brutales, et le jour de la communion devient pour eux un jour
d'excès et de débauche. Voilà, mes chers auditeurs, ce qui arrive ; et il vaut
mieux vous le dire pour vous en donner de l'horreur, que de s'en taire, tandis
que vous êtes exposés à la contagion de cette impiété. On déclame tant tous les
jours contre d'autres désordres, et l'on ne parle point de celui-ci; mais c'est
celui-ci néanmoins qui attaque directement la religion. On insiste sur de
légères imperfections qu'on remarque dans quelques âmes dévotes qui fréquentent
les sacrements, et l'on ne dit presque rien des chrétiens sacrilèges qui
profanent le corps de Jésus-Christ; mais c'est contre eux qu'il faudrait
employer le zèle évangélique. Si de temps en temps on leur représentait le
malheur de leur état, peut-être enfin y seraient-ils sensibles; et de vives,
mais salutaires remontrances, les réveilleraient de leur profond
assoupissement.
Au reste, n'attendez pas que Dieu
fasse des miracles en leur faveur, puisqu'ils y mettent un obstacle presque
invincible; car, à l'exemple des pharisiens, et par un dernier trait de
ressemblance, ils traitent tous ces miracles d'illusions; et quand nous leur
disons qu'une communion bien faite est capable de les guérir de toutes leurs
faiblesses, ils s'en moquent, et ne nous répondent que par de piquantes et de
scandaleuses railleries. Il n'y a qu'un seul miracle que la communion opère
dans eux, et qu'ils ne peuvent empêcher. Mais quel est-il ce miracle? Ah!
Chrétiens, c'est que ce sacrement, qui devait être pour eux une source de
lumières, ne sert qu'à les aveugler; c'est que ce sacrement, qui devait être
pour eux un moyen de conversion , ne sert qu'à les endurcir; c'est que ce
sacrement de vie devient pour eux un sacrement de mort, et d'une mort
éternelle. Je n'ai donc point de peine à comprendre pourquoi le Fils de Dieu ne
vient à eux qu'en pleurant : Videns civitatem, flevit super illam (1).
Comment ne pleurerait-il pas? Il voit que le même sacrement qu'il a institué
pour la sanctification des âmes, va faire leur réprobation; il voit que ces
pécheurs qu'il voulait sauver, au lieu de profiter du don le plus excellent et
de la visite de leur Dieu, vont attirer sur eux, aussi bien que Jérusalem,
toute la colère du ciel et ses plus redoutables vengeances. Est-il
552
un sujet plus digne de ses larmes? Videns civitatem,
flevit super illam.
Mais si cela est, ne vaudrait-il
pas mieux ne point communier du tout que de communier indignement? Autre
désordre, et désordre d'autant plus dangereux que le libertinage qui l'a
introduit s'en sert comme d'un prétexte pour s'autoriser et se maintenir. Il
vaut mieux, dites-vous, ne communier jamais, que de communier indignement;
comme s'il pouvait y avoir du mieux dans une chose qui est un scandale, et un
des scandales les plus évidents ! Non, mon cher auditeur, l'un ne vaut pas
mieux que l'autre; et cette comparaison, faite par ceux dont je parle, je veux
dire par les libertins, marque un principe encore plus mauvais et plus corrompu
que n'est la conséquence même d'une communion indigne : car ils ne raisonnent
de la sorte que parce qu'ils sont impies, et déterminés à vivre dans leur
impiété. Ce n'est point par respect pour Jésus-Christ : ils font bien paraître
dans tout le reste qu'ils sont peu touchés de ce motif; ce n'est point en vue
de la sainteté du sacrement : à peine en croient-ils la vérité; ce n'est point
dans le dessein d'une prompte conversion : ils en sont bien éloignés, et ils
n'y pensent pas ; ce n'est donc que par un esprit d'irréligion. Or, dire par un
esprit d'irréligion : Il vaut mieux ne point communier du tout que de communier
mal, je soutiens que c'est un raisonnement d'athée.
A quoi j'ajoute une proposition
que je soumets à votre censure, mais que je crois vraie ; savoir, que de ne
point communier du tout par ce principe de libertinage et d'irréligion, est un
désordre encore plus abominable devant Dieu que de communier indignement par
principe de négligence ou de fragilité. Et en effet, on a toujours cru que de
manquer au devoir de la communion pascale, de la manière que je viens de
l'expliquer, c'était une espèce d'apostasie, parce qu'un des caractères les
plus marqués du christianisme, c'est la communion. On a toujours cru que de
manquer à ce devoir de Pâques, c'était s'excommunier soi-même, mais d'une excommunication
plus funeste encore que celle que fulmine l'Eglise par forme de censure ; car
être excommunié par l'Eglise, c'est une peine que saint Paul même prétend être
utile, mais s'excommunier soi-même, c'est un crime qui va droit à la ruine du
salut et à la damnation. On a toujours cru qu'un chrétien qui ne faisait pas la
pâque devait être considéré comme un païen et comme un publicain, selon la
parole du Sauveur même, parce qu'il n'écoute pas la voix de l'Eglise, et qu'il
méprise ses ordres; et moi, non-seulement je le regarde comme un publicain et
comme un païen, mais il me paraît pire qu'un païen, parce que je suis persuadé
qu'un bon païen, je dis bon autant qu'il le peut être dans sa religion, vaut
mieux qu'un chrétien de nom, mais au fond sans religion. Tel est le désordre
que je combats, et plût au ciel que ce fût un fantôme ! mais ce désordre n'est
point si rare que vous le pouvez penser; on ne sait que trop combien il y a de
ces libertins, et de ces libertins distingués par leur qualité et par leurs emplois,
qui se flattent d'une prétendue bonne foi en ne communiant jamais, parce qu'ils
ne veulent pas, disent-ils, se rendre sacrilèges en communiant. Ne les
scandalisons point ici, et gardons-nous de les faire connaître ; mais aussi je
les conjure de ne pas scandaliser Jésus-Christ leur Sauveur par le mépris de
son sacrement ; de ne pas scandaliser l'Eglise leur mère, par une désobéissance
opiniâtre ; de ne pas scandaliser les fidèles leurs frères, par leur exemple
pernicieux; de ne pas se scandaliser eux-mêmes par le dérèglement de leur
conduite. Que feront-ils donc? communieront-ils indignement? A Dieu ne plaise !
mais entre ces deux extrémités il y a un milieu : c'est de communier, et de
bien communier. Toute dévotion qui porte à ne point communier est une fausse
dévotion; et toute maxime qui porterait à communier en état de péché serait une
abomination. Mais le point solide est d'approcher de la table de Jésus-Christ,
et d'en approcher avec des sentiments de religion, de pénitence, de piété, de
ferveur, qui sanctifient une âme, et qui la disposent à manger ce pain céleste
qui doit être pour nous le gage d'une éternité bienheureuse, que je vous
souhaite, etc.