SERMON POUR LE LUNDI DE PAQUES.
SUR LA PERSÉVÉRANCE CHRÉTIENNE.
ANALYSE.
Sujet. Lorsqu'ils furent proche du bourg où ils allaient,
il feignit de vouloir aller plus loin. Et ils le pressèrent de demeurer avec
eux, en lui disant : Demeurez avec nous.
C'est
ainsi qu'une âme chrétienne ne se contente pas que Jésus-Christ soit venu chez
elle, ou plutôt dans elle, par la communion pascale ; mais qu'elle, l'engage
encore à demeurer avec elle. Il faut que ce Sauveur demeure en nous par sa
grâce ; el il faut aussi que nous demeurions en lui par notre persévérance dans
la grâce. Sainte persévérance dont je veux vous entretenir dans ce discours.
Division. C'est par sa passion et par sa mort que Jésus-Christ
a vaincu le péché ; et c'est par sa résurrection qu'il triomphe encore de notre
inconstance. Le mystère de Jésus-Christ ressuscité nous engage fortement à la
persévérance chrétienne : première partie. La persévérance chrétienne est le
titre le plus légitime et le gage le plus certain pour participer un jour à la
gloire de Jésus-Christ ressuscité : deuxième partie.
Première
partie. Le mystère de Jésus-Christ
ressuscité nous engage fortement à la persévérance chrétienne. Je considère
quatre choses dans la résurrection du Sauveur : savoir, l'exemple de cette
résurrection, la foi de cette résurrection, la gloire de cette résurrection, et
le sacrement de cette résurrection. Or, 1° l'exemple de la résurrection de
Jésus-Christ est le vrai modèle de notre persévérance dans la grâce ; 2° la foi
de la résurrection de Jésus-Christ est le solide fondement de notre
persévérance dans la grâce ; 3° la gloire de la résurrection de Jésus-Christ
est un des plus touchants motifs de mitre persévérance dans la grâce ; 4° le
sacrement de la résurrection de Jésus-Christ, de la manière que je
l'expliquerai, est comme le sceau de notre persévérance dans la grâce.
1°
L'exemple de la résurrection de Jésus-Christ est le vrai modèle de notre
persévérance dans la grâce. Car Jésus-Christ ressuscité ne meurt plus, dit
l'Apôtre, et nous-mêmes nous ne devons plus mourir. Pourquoi la résurrection du
Sauveur est-elle la seule que Dieu ait choisie pour nous servir de modèle dans
notre conversion? Pourquoi ne nous a-t-il pas proposé la résurrection de tant
d'autres, par exemple, de Lazare? C'est que la résurrection de Lazare n'était
qu'une résurrection passagère, et que notre conversion doit être durable. Si
donc vous retombez dans cet état de mort où le péché vous avait réduit, votre
pénitence n'est point ce qu'elle doit être, parce que vous n'êtes pas ressuscité
comme Jésus-Christ. Ah ! Seigneur, s'écriait le Prophète royal, c'est sur le
modèle de la résurrection de votre Fils que vous m'avez jugé, et que vous avez
examiné si ma conversion avait toutes les qualités d'une résurrection parfaite
: Probasti me, et cognovisti me : tu cognovisti sessionem meum, et resurrectionem
meam. Et par où avez-vous connu qu'elle serait telle que vous la demandiez,
ou qu'elle ne le serait pas? par l'avenir, et par ma persévérance : Intellexisti
cogitationes meas de longe, et omnes vias meas prœvidisti.
2°
La foi de la résurrection de Jésus-Christ est le solide fondement de notre
persévérance dans la grâce. Comment cela? C'est que la résurrection de
Jésus-Christ est un des principaux fondements de la foi chrétienne. Or, ce qui
fait subsister notre foi l'ait subsister notre conversion, parce que notre
conversion, selon le concile de Trente, n'a point d'autre fondement que notre
foi.
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Avant la résurrection du
Sauveur, rien de plus faible que les apôtres; mais depuis cette résurrection,
ce furent des hommes intrépides et inébranlables. Quand saint Paul exhortait
les Hébreux à la persévérance, voici une des grandes raisons dont il se servait
: Christus heri et hodie, ipse et in saecula. Jésus-Christ n'est plus
sujet à aucun changement; il était hier, il est encore aujourd'hui, et il sera
le même dans Ions les siècles. Rappelons un de ces moments où, touchés de Mien,
nous avons formé de si saintes résolutions, et demandons-nous à nous-mêmes :
Les principes de foi et les vérités sur quoi j'établissais ma conversion
ont-ils changé? Ce qui était vrai alors l'est encore maintenant, et le sera
toujours. Pourquoi donc changerais-je, moi, de conduite, et démentirais-je les
promesses que j'ai faites à Dieu? Excellente pratique pour apprendre à
persévérer. Credidi, propter quod locutus sum ; J'ai cru, Seigneur, et
c'est pour cela que je vous ai donné une parole que je no rétracterai jamais.
3°
La gloire de la résurrection de Jésus-Christ est un des plus touchants motifs
de notre persévérance dans la grâce. La raison est que cette résurrection du
Sauveur nous met devant les yeux la gloire et l'immortalité bienheureuse où
nous aspirons, et qui doit cire notre récompense éternelle. Aussi prenez garde
que ce fut cette vue qui inspira au saint homme Job tant de constance dans les
plus rigoureuses épreuves : Scio quod Redemptor meus vivit, et in novissimo
die de terra surrecturus sum... Reposita est hœc spes in sinu meo.
4°
Le sacrement de la résurrection de Jésus-Christ est comme le sceau de noire
persévérance dans la grâce. J'appelle le sacrement de sa résurrection le
sacrement de son corps, que nous avons reçu en célébrant sa résurrection
glorieuse. Il prétend par là servir d'aliment a noire âme; et c'est pour cela
que le prêtre, en nous faisant part de cette divine nourriture, nous a dit :
Que le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ conserve votre dîne pour la vie
éternelle. Ne pourrais-je donc pas bien, si vous retourniez à vos premières
habitudes, vous faire le même reproche que saint Paul faisait aux Galates : O
insensati Galatœ! quis vos fascinavit non obedire veritati? O insensés que
vous êtes! qui vous a ensorcelés pour vous faire abandonner lâchement et
honteusement le parti de la vérité! Quelle folie d'avoir commencé par la pureté
de l'esprit, et de finir par la corruption de la chair!
Deuxième
partie. La persévérance chrétienne
est le titre le plus légitime et le gage le plus certain pour participer un jour
à la gloire de Jésus-Christ ressuscité : 1° la persévérance représente déjà
dans nous l'état de cette bienheureuse résurrection ; 2° elle nous dispose et
nous conduit à cette bienheureuse résurrection ; 3° elle nous fait mériter,
autant qu'il est possible, la grâce spéciale de cette bienheureuse
résurrection.
1°
La persévérance chrétienne représente déjà dans nous l'état de cette
résurrection glorieuse, dont nous voyons les prémices dans la personne du
Sauveur. En quoi consiste cet état des corps glorifiés? en ce qu'ils ne sont
plus sujets à aucune vicissitude, en ce que leur gloire est immortelle. Or,
rien n'approche plus de cet état que la persévérance du juste, ou d'un pécheur
converti. Car, au lieu que les mondains sont dans un changement perpétuel, le
juste, fortifié par la bonne habitude, est inviolablement ce qu'il doit être,
et par là anticipe l'heureux état de la résurrection future. C'est ce que
disait saint Cyprien à des vierges chrétiennes : Vos resurrectionis gloriam
in hoc saecula jam tenetis ; Vous possédez par avance dans cette vie la
gloire que nous attendons dans l'autre. Or, ce que saint Cyprien leur disait,
je puis bien vous l'appliquer ; et les plus libertins même ne sont pas exclus
de ce bonheur, puisque les plus libertins sont capables d'une parfaite
conversion comme les autres pécheurs. Mais si vous ne soutenez pas ce que vous
avez entrepris, il est bien à craindre que vous ne soyez pas du nombre de ceux
qui, selon la parole du Prophète royal, doivent un jour ressusciter dans
l'assemblée des justes. Celui, dit le Sauveur du monde, qui regarde derrière
lui après avoir mis la main à la charrue, n'est pas propre au royaume de Dieu.
Et comment un homme inconstant et léger, reprend saint Chrysostome, serait-il
propre au royaume de Dieu, puisqu'il ne l'est pas même pour le monde et pour
les affaires du monde? Et d'ailleurs, conclut le même Père, si nous ne sommes
pas propres au royaume de Dieu, que sert-il de l'être pour toute autre chose?
2°
La persévérance chrétienne nous dispose et nous conduit à la résurrection
bienheureuse. Car elle nous conduit à la persévérance finale, qui est la
dernière disposition à la bienheureuse immortalité. Dans les prédestinés, dit
saint Jérôme, on ne cherche pas le commencement, mais la fin. Par conséquent,
c'est la persévérance qui met le comble à la prédestination des élus. Cela
s'entend, me direz-vous, de la persévérance finale; il est vrai : mais par où
arrive-t-on à la persévérance finale, sinon par la persévérance commencée, qui
est celle de la vie? Ainsi nous ne nous disposons à régner un jour comme les
Saints dans le ciel, qu'autant que nous nous accoutumons à persévérer comme eux
sur la terre.
3°
La persévérance chrétienne nous fait mériter, autant qu'il est possible, la
grâce spéciale de la résurrection bienheureuse : pourquoi? parce qu'elle nous
fait mériter, autant qu'il est possible, la grâce de la persévérance finale.
Quand je dis mériter, je n'entends pas d'un mérite de justice, mais d'un mérite
de convenance, et fondé sur la miséricorde et la libéralité de Dieu.
C'est-à-dire que Dieu voyant l'homme appliqué de sa part à se maintenir dans la
grâce, il se sent réciproquement ému, en vue d'une telle constance, à le
gratifier de ses plus singulières faveurs, et en particulier du don de la
persévérance finale. De là, quand nous voyons un juste mourir saintement, nous
ne nous en étonnons point; mais nous reconnaissons en cela une espèce de
convenance, qui, sans blesser en rien la justice de Dieu, l'a engagé à déployer
toute sa miséricorde et à l'exercer. Au contraire, quand on nous parle de certains
justes qui se sont démentis à la mort, et se sont malheureusement perdus, nous
en sommes effrayés, et nous jugeons qu'il y a eu dans cette disposition de Dieu
quelque chose que nous ne comprenons pas. Quoi qu'il en puisse être, la
surprise où nous jettent ces chutes inopinées et ces coups de réprobation, est
une preuve que ce n'est donc point ainsi que Dieu en use selon les règles
ordinaires.
Je
finis par la touchante exhortation de saint Jérôme à un homme, du monde, qui
commençait à chanceler dans le dessein qu'il avait pris de chercher à Bethléem
un asile contre les périls du siècle : Obsecro te, Frater, et moneo parentis
affectu, etc., Application des paroles de ce Père à un pécheur converti.
Et
appropinquaveriint castello quo ibant ; et ipse se finxit longius ire. Et cogerunt
illum, dicentes : Mane nobiscum.
Lorsqu'ils
furent proche du bourg où ils allaient, il feignit de vouloir aller plus loin.
Et ils le pressèrent de demeurer avec eux, en lui disant : Demeurez avec nous.
(Saint Luc, chap. XXIV, 28, 29.)
Voici, Chrétiens, un grand
mystère que l'Evangile nous propose, et qui renferme pour nous une importante
vérité. Deux disciples marchent avec le Fils de Dieu, déguisé sous la forme
d'un voyageur ; et lorsqu'il semble vouloir se séparer d'eux, ils l'invitent à
demeurer et lui l'ont même une espèce de violence pour le retenir : Et
coegerunt illum, dicentes : Mane nobiscum. Figure bien naturelle d'une âme
chrétienne qui l'a reçu, ce Sauveur des hommes, dans la communion pascale. Elle
ne se contente pas qu'il soit venu chez elle, ou plutôt
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dans elle, caché sous le voile et sous les espèces de son
sacrement; elle l'engage encore à demeurer avec elle, et, par mille vœux
redoublés, par de ferventes et d'instantes prières, par une sainte importunité,
mais qu'elle sait lui devoir être agréable, elle le presse, elle le conjure, et
lui dit intérieurement: Ah! Seigneur, ne vous retirez pas de moi ; car si je
viens à vous perdre, je perds tout, puisqu'en vous perdant je perds mon unique
et mon souverain bien : Mane nobiscum. Cependant, mes Frères, s'il nous
est si important que Jésus-Christ demeure dans nous et avec nous, il ne nous
est ni moins important ni moins nécessaire de demeurer en lui et avec lui ; et
voilà ce qui s'accomplit, selon sa parole même, dans ce sacrement adorable où
il s'est donné à nous, et où nous avons dû nous donner à lui : Qui manducat
meam carnem, et bibit meum sanguinem, in me manet et ego in eo (1). Il faut
qu'il demeure en nous par la grâce, et il faut que nous demeurions en lui par
notre persévérance dans la grâce ; il faut qu'il demeure en nous pour nous
aider de son secours, et il faut que nous demeurions en lui pour lui marquer
notre fidélité ; il le faut, mes chers auditeurs ; et de sa part il n'y a rien
à craindre, parce qu'il ne nous abandonne jamais le premier; au lieu que tout
est à craindre de la nôtre, parce que nous sommes l'inconstance même. Heureux
si je pouvais aujourd'hui vous fortifier, vous affermir, et par là vous
préserver de ces rechutes si ordinaires dans le christianisme, et si funestes !
c'est ce que j'entreprends dans ce discours, où je vais vous parler de la
persévérance chrétienne, après que nous aurons salué Marie. Ave, Maria.
C'est par sa passion et par sa
mort que Jésus-Christ a vaincu le péché : mais j'ose dire que cette victoire
serait imparfaite s'il ne triomphait encore de notre inconstance. Or, c'est ce
qu'il fait par sa résurrection glorieuse, et c'est une des grâces particulières
qui y sont attachées. Jésus-Christ est ressuscité comme il l'avait dit : Surrexit
sicut dixit (2); mais la question est de savoir s'il est ressuscité dans
nous. Car, comme saint Paul nous apprend que Jésus Christ doit être formé dans
nous par la prédication de l'Evangile : Donec formetur Christus in vobis
(3) ; comme il nous enseigne que Jésus-Christ est tout de nouveau crucifié dans
nous par le péché : Rursum crucifigentes sibimetipsis Filium Dei (4);
aussi est-ce une
suite nécessaire de la doctrine de ce grand Apôtre, que
Jésus-Christ doit ressusciter en nous par la grâce de la pénitence. Or, de
toutes les marques à quoi nous devons reconnaître s'il est ainsi ressuscité, la
plus évidente et la moins sujette aux illusions est la disposition où nous
sommes de persévérer, et d'accomplir fidèlement ce que nous avons promis à Dieu
en nous convertissant à lui. Pour vous porter, mes chers auditeurs, à cette
sainte persévérance, je fais deux propositions, qui vont partager ce discours.
Je dis que le mystère de Jésus-Christ ressuscité nous engage fortement à la
persévérance chrétienne, ce sera la première partie : j'ajoute que la
persévérance chrétienne est le titre le plus légitime et le plus certain pour
participer un jour à la gloire de Jésus-Christ ressuscité, ce sera la seconde.
Résurrection du Sauveur, principe de la persévérance chrétienne; persévérance
chrétienne, gage assuré de notre résurrection bienheureuse : voilà ce qui
demande toute votre attention.
PREMIÈRE PARTIE.
Etre incapable de pécher, c'est
le propre de la nature de Dieu ; n'être plus en pouvoir de pécher, c'est le
privilège de la gloire ; n'avoir jamais péché, c'est l'avantage de l'état
d'innocence ; se convertir après le péché, c'est l'effet ordinaire de la
pénitence ; mais être converti pour ne plus pécher, c'est ce qui s'appelle la
grâce et le don de la persévérance. Or, de ces états ainsi distingués, le
premier, qui consiste à être incapable de pécher, est le plus excellent; mais
il ne convient pas à la créature : le second, de n'être plus sujet à la
corruption du péché, est le plus souhaitable; mais il est réservé pour l'autre
vie : le troisième, de n'avoir jamais péché, était un des plus heureux ; mais
par le malheur de notre origine nous en sommes déchus : le quatrième, d'avoir
pleuré et réparé son péché, est absolument nécessaire; mais, quelque ressource
que nous y trouvions, il ne suffit pas pour notre sûreté : le dernier,
j'entends celui de la persévérance dans la grâce, est par rapport à nous un
bonheur parfait, puisqu'il nous fait participer, quoiqu'en différentes manières,
et à l'impeccabilité de Dieu, et à l'innocence du premier homme, et à la
sainteté consommée des bienheureux dans le ciel, et à la béatitude commencée de
ces pécheurs dont Dieu se plaît, selon l'Ecriture, à faire sur la terre des
vases de miséricorde. Aussi est-ce cet état où Jésus-Christ a prétendu
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nous élever, et dont il nous propose dans sa résurrection la
règle la plus infaillible que nous puissions avoir devant les yeux : car je
considère quatre choses dans la résurrection du Sauveur du monde , qui toutes
nous engagent à la persévérance ; savoir, l'exemple de cette résurrection , la
foi de cette résurrection, la gloire de cette résurrection, et le sacrement de
cette résurrection. L'exemple de la résurrection du Sauveur est le vrai modèle
de notre persévérance dans la grâce; la foi de la résurrection du Sauveur est
le solide fondement de notre persévérance dans la grâce; la gloire de la
résurrection du Sauveur est un des plus touchants motifs de notre persévérance
dans la grâce; et le sacrement delà résurrection du Sauveur, de la manière que
je l'expliquerai, est comme le sceau de notre persévérance dans la grâce :
quatre considérations très-efficaces pour nous affermir dans la sainte
résolution que nous avons formée de renoncer au péché et de vivre désormais à
Dieu. Ecoutez-moi, Chrétiens; et, pour bien comprendre ces importantes vérités,
attachons-nous â la doctrine de saint Paul, dont voici le grand mystère que je
vais vous développer.
Le Sauveur est ressuscité, dit ce
grand apôtre; mais ce qu'il y a de remarquable dans le triomphe de sa
résurrection, c'est que ce Dieu-Homme est ressuscité pour ne plus mourir, et
que désormais la mort n'aura plus sur lui d'empire. Il est mort, mais une fois
seulement, pour l'expiation du péché; et maintenant il possède une vie
incorruptible, une vie qu'il ne perdra jamais : Christus resurgens ex
mortuis, jam non moritur; mors illi ultra non dominabitur (1). Or,
qu'est-ce que saint Paul inférait de là? Ah ! Chrétiens, ce que nous n'aurions
jamais attendu , mais ce que l'Esprit de Dieu lui faisait conclure pour nous : Ita
et vos existimate , mort nos quidem esse peccato, viventes autem Deo. Ainsi
vous, mes Frères, ajoutait-il, si vous êtes ressuscites par la grâce de la
pénitence, faites état que vous êtes morts pour jamais au péché, et que vous
devez vivre constamment et pour toujours à Dieu ; comme s'il nous eût dit :
Prenez bien la chose, et ne vous faites pas une idée abstraite ni une foi
spéculative de cet état d'immortalité que Jésus-Christ a acquis en ressuscitant;
car ce serait l'entendre mal. Quand on vous dit que ce Dieu-Homme, depuis qu'il
est ressuscité , n'est plus sujet à la mort, ce n'est point un simple dogme de
religion que l'on vous explique, c'est un
fonds d'obligation que l'on vous découvre, et un devoir que
l'on vous enseigne ; devoir qui se réduit à conserver inviolablement cette vie
de la grâce que vous avez recouvrée par la pénitence : car il est certain, et
de la foi même, que votre conversion, quelque fervente qu'elle ait été
d'ailleurs, n'aura de vertu qu'autant qu'elle portera le divin caractère de la
sainte immortalité du Sauveur.
En effet, Chrétiens, cette vie de
la grâce que nous rend la pénitence est, de sa nature, aussi immortelle et
aussi incorruptible que notre âme qui en est le sujet. Si contre le dessein de
Dieu, nous perdons cette grâce, c'est à nous et non point à elle que nous
devons l'imputer; et en cela, dit l'ange de l'école, saint Thomas, consiste
notre désordre , c'est-à-dire en ce que par le péché nous nous ôtons
volontairement à nous-mêmes une vie aussi noble et aussi excellente que
celle-là, une vie qui, selon la propriété de son être , ne devrait jamais finir.
Et pourquoi pensez-vous, mes chers auditeurs, que la résurrection de
Jésus-Christ soit la seule que Dieu a choisie pour nous servir de modèle dans
notre conversion ? car ceci n'a pas été sans dessein. Lazare et plusieurs
autres dont parle l'Ecriture étaient ressuscités. Ces résurrections étaient
véritables, surnaturelles, miraculeuses; et cependant l'Ecriture ne nous les
propose point comme des exemples à quoi nous devions nous conformer, ni comme
des règles pour reconnaître devant Dieu si nous sommes convertis. En voici la
raison que donne saint Augustin : Parce que la résurrection de Lazare, quoique miraculeuse,
n'était qu'une résurrection passagère, qui ne l'affranchissait pas absolument
des lois de la mort, et qui ne l'avait fait sortir du tombeau que pour y
rentrer à quelque temps de là. Or, Dieu ne voulait pas que notre conversion fût
si peu durable, mais il voulait qu'elle fût sans retour; et parce qu'il n'y
avait que la résurrection de Jésus-Christ qui eût cette prérogative, c'est
uniquement sur l'idée de celle-ci qu'il prétend que nous nous tonnions : Resurgens
jam non moritur ; ita et vos. Ressuscité qu'il est, il ne meurt plus; ainsi
ne mourez plus vous-mêmes. C'était le raisonnement de saint Paul; et c'est ce
qui condamne ces légèretés criminelles qui détruisent en nous et qui
anéantissent l'effet de tous les dons de Dieu ;
ces inégalités et ces inconstances qui rendent suspectes nos ferveurs et
nos vertus mêmes; ces découragements qui nous font désespérer de soutenir le
bien que nous avons commencé ; cette facilité malheureuse à
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reprendre le cours du mal que nous avions interrompu ; ces
dégoûts de la piété, ces retours scandaleux au monde et à toutes les vanités du
monde; ces apostasies de la dévotion, souvent aussi funestes pour le salut que
celles de la religion ; ces déplorables vicissitudes de relâchement et de zèle,
de pénitence et de rechute, de vie et de mort. Car qu'y a-t-il de plus opposé à
tout cela que ce bienheureux état où est entré le Fils de Dieu par sa
résurrection glorieuse? Mors illi ultra non dominabitur ; la mort n'aura
plus de pouvoir sur lui; et telle est la règle que je me dois appliquer et par
où je dois juger de ma conversion : Ita et vos existimate, mortuos quidem
esse peccato, viventes autem Deo.
Si donc vous qui m'écoutez, et
qui dans cette solennité avez reçu la grâce de votre Dieu, vous n'êtes pas dans
la disposition de la conserver; si vous n'êtes pas déterminés à sacrifier
toutes choses pour faire toujours vivre cette grâce dans vos âmes ; si, par la
connaissance que vous avez de vous-mêmes, vous prévoyez que cette grâce
s'affaiblira bientôt, et succombera même aux attaques qu'elle va recevoir dans
les occasions dangereuses où vous l'exposerez ; si cette passion qui lui est
contraire, mais à laquelle vous avez renoncé, après une trêve de quelques
jours, reprend encore l'ascendant sur vous, et qu'au lieu de vous confirmer
dans une vie chrétienne par la solidité de la grâce, vous donniez, pour ainsi
dire, à la grâce même et à la vie chrétienne que vous avez embrassée, le
caractère de votre instabilité ; enfin si le divorce que vous avez fait avec la
chair et avec le monde est semblable aux ruptures de ces âmes passionnées qu'on
voit, après bien des éclats, bien des dépits, bien des reproches, revenir à de
nouveaux engagements, et s'attacher l'une à l'autre plus étroitement et
fortement que jamais : si cela est, Chrétiens, désabusez-vous, et n'ajoutez pas
au malheur de votre état le désordre d'un aveuglement volontaire. Votre
pénitence n'est point ce qu'elle doit être, parce que vous n'êtes pas
ressuscites comme Jésus-Christ. Ah! Seigneur, s'écriait le Prophète royal, et
devons-nous nous écrier avec lui, puisque dans la ferveur de sa pénitence il
parlait au nom de tous les pécheurs, c'est sur ce modèle de la résurrection de
votre Fils que vous m'avez jugé, que vous m'avez éprouvé, que vous avez examiné
si ma conversion avait toutes les qualités d'une résurrection parfaite : Probasti
me, et cognovisti me, tu cognovisti sessionem meam et resurrectionem meam (1).
Et
par où, Seigneur, avez-vous connu qu'elle serait telle que
vous la demandiez, ou qu'elle ne le serait pas? Le Prophète l'exprime dans la
suite du Psaume : Intellexisti cogitationes meas de longe (1) ; Vous
avez découvert de loin toutes mes pensées; vous avez suivi toutes les traces de
ma vie, vous avez prévu toutes mes voies; et, pénétrant dans l'avenir par une
lumière anticipée, vous avez observé si ma conduite répondrait à mes
résolutions, si je tiendrais ferme dans le parti de votre loi, si je
résisterais aux attraits du vice et de la passion, si le torrent du monde ne
m'emporterait point, si le respect humain ne m'ébranlerait point, si la
contagion du mauvais exemple ne me corromprait point, si je ne me laisserais
point tourner, comme un roseau, de tous côtés; si, lassé de quelques démarches
que j'aurais faites dans le chemin du salut, je ne retournerais point en
arrière : Et omnes vias meas prœvidisti (2). C'est sur cela, mon Dieu,
qu'est établi le jugement que vous avez porté de moi; et au moment même que je
me suis relevé de mon péché en le détestant, c'est par là que vous avez reconnu
si ma résurrection aurait du rapport avec celle de mon Sauveur : Tu
cognovisti sessionem meam, et resurrectionem meam. Comme si le Prophète eût
dit : Supposé que vous n'ayez prévu, Seigneur, après ma conversion, que de
honteuses et de lâches rechutes, vous l'avez connue, mais vous l'avez connue
pour la réprouver. Au contraire, si votre prescience adorable vous y a fait
voir de la fermeté et de la constance, vous l'avez connue, mais pour
l'approuver, mais pour la récompenser, mais pour la couronner : Tu
cognovisti sessionem meam, et resurrectionem meam. Voilà le modèle de la
persévérance d'un pécheur converti : en voulez-vous le fondement solide? c'est
ici que votre attention m'est nécessaire.
J'ai dit que le Sauveur du monde,
en ressuscitant selon la chair pour ne plus mourir, nous engageait
indispensablement à ressusciter en esprit pour ne plus pécher. Comment cela? le
voici : c'est qu'à prendre la chose dans sa source, Jésus-Christ ayant toujours
donné aux Juifs sa résurrection comme le gage authentique de ses promesses et
comme la preuve incontestable de sa doctrine, il s'ensuit, et c'est le
sentiment de tous les Pères, que toute la foi chrétienne est essentiellement
fondée sur la résurrection de cet Homme-Dieu. S'il n'est pas ressuscité, disait
saint Paul, nous avouons que notre foi est vaine; mais s'il est ressuscité,
nous
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prétendons, et avec justice, qu'il n'est rien de plus
solide, ni rien, pour ainsi parler, de plus subsistant, que notre foi : or,
prenez garde, Chrétiens; ce qui fait subsister notre foi, c'est ce qui fait
subsister notre conversion, parce que notre conversion, selon le concile de
Trente , n'a point d'autre fondement que notre foi. En effet, ce qui m'affermit
dans la sainte disposition où je puis être de fuir désormais le péché, c'est la
solidité de ma créance; et ce qui soutient ma créance, c'est la résurrection de
Jésus-Christ : par conséquent, la résurrection de Jésus-Christ est comme le
principe de ma persévérance dans le bien. Tandis que je me fonde sur cette
résurrection, ma foi ne peut chanceler ; et tandis que ma foi ne peut
chanceler, je ne puis chanceler moi-même dans l'obéissance que je dois à Dieu.
Or, le Fils de Dieu ressuscité opère dans moi l'un et l'autre; car en ressuscitant
il appuie ma foi, et en appuyant ma foi, il anime et il fortifie ma volonté.
C'est de quoi nous avons un bel
exemple dans la personne des apôtres. Avant la résurrection du Sauveur, rien de
plus fragile et de plus faible que les apôtres. Ils protestèrent à Jésus-Christ
qu'ils le suivraient jusqu'à la mort, et dans un moment ils l'abandonnèrent.
Saint Pierre parut hardi et intrépide dans le jardin; mais dans la maison du
pontife une simple femme l'intimida. C'étaient, dit saint Augustin, les
colonnes de l'Eglise, mais des colonnes sans appui, et qui n'avaient rien de
stable. Ils voulaient, et ils ne voulaient pas; ils avaient du zèle, et ils
n'en avaient pas; ils étaient à Jésus-Christ, et ils n'y étaient pas. Mais des
que Jésus-Christ, par sa résurrection, eut dissipé tous les nuages de leur
incrédulité, ce furent des hommes plus fermes que des rochers, ce furent des
colonnes de bronze et d'airain; ils ne cédèrent ni à la violence des
persécutions, ni à la rigueur des tourments, ni à la mort même; ils s'exposèrent
à tout, ils endurèrent tout pour la cause de leur maître. Qui fit ce miracle?
la foi de Jésus-Christ ressuscité : Ego confirmavi columnas ejus (1) ;
Oui, dit cet Homme-Dieu par son Prophète, selon la paraphrase de saint
Augustin, c'est moi qui les ai affermis, et qui, voulant poser sur eux
l'édifice de mon Eglise dont ils devaient être la base , leur ai donné une
vertu à l'épreuve de toutes les tentations. Ils ont cru ma résurrection, et dès
lors ils ont eu comme un esprit nouveau, comme un cœur
nouveau ; ils se sont sentis confirmés dans la grâce : Ego
confirmavi columnas ejus. Or, je vous demande, Chrétiens, pourquoi la
résurrection du Sauveur ne fait-elle pas la même impression sur nous?
Avons-nous une autre foi que les apôtres? Est-ce pour les apôtres plutôt que
pour nous que Jésus-Christ est ressuscité glorieux et immortel? Ce mystère
est-il moins efficace pour fixer notre inconstance; et si nous en sommes aussi
persuadés qu'eux, pourquoi ne serons-nous pas aussi fidèles qu'eux? Disons
quelque chose encore de plus particulier, et faisons ensemble une réflexion
bien touchante.
Quand saint Paul exhortait les
Hébreux à la persévérance chrétienne, voici une des grandes raisons dont il se
servait : Christus heri, et hodie, ipse et in saecula (1); Jésus-Christ,
leur disait l'Apôtre, n'est plus sujet à aucun changement; il était hier, il
est encore aujourd'hui, et il sera le même dans tous les siècles. Pourquoi
donc, concluait-il, changeriez-vous à son égard de sentiments et de conduite? Doctrinis
variis et peregrinis nolite ergo abduci (2). Ah ! Chrétiens,
appliquons-nous à nous-mêmes ce raisonnement. Il est difficile que nous n'ayons
été quelquefois touchés de Dieu, et que dans le cours de notre vie il n'y ait
eu d'heureux moments où, détrompés de la vanité du monde et confus de nos
égarements passés, nous n'ayons dit à Dieu de bonne foi : Oui, Seigneur, je
veux être à vous, et je ne me départirai jamais de la résolution sincère que je
fais aujourd'hui de vivre dans votre loi et en chrétien. Rappelons un de ces
moments, ou plutôt rappelons les sentiments de ferveur et de piété que le
Saint-Esprit excitait alors dans nos cœurs; car nous savons ce qui nous
touchait, et nous n'en avons pas encore perdu le souvenir. Remettons-nous donc
au moins en esprit dans l'état où nous nous trouvions, et sur cela raisonnons
ainsi avec nous-mêmes : Eh bien ! la résolution que je fis en tel temps de
renoncer à mon péché et de m'attacher à Dieu n'est-elle pas encore maintenant
aussi bien fondée et d'une nécessité aussi absolue pour moi que je la conçus
alors? Les principes de foi sur lesquels je l'établissais ont-ils changé?
m'est-il survenu quelque nouvelle lumière, pour en douter? les choses,
considérées de près et en elles mêmes, sont-elles différentes de ce qu'elles
étaient? Quand je comparus devant Dieu dans le tribunal de la pénitence, et que
je confessai à Dieu mon iniquité, je me
condamnai moi-même, je fus
597
moi-même mon accusateur et mon juge, et par conséquent je
fus convaincu moi-même que ce que j'appelais iniquité l'était en effet ; et
quand je promis à Dieu d'avoir pour jamais en horreur cette iniquité qui
faisait le désordre de ma vie, quand je m'engageai à en fuir l'occasion, je
crus fortement que ma conscience, que ma religion me l'ordonnait. Me
trompais-je? était-ce prévention? était-ce erreur? Non, sans doute : car je
suis obligé de reconnaître que c'était l'Esprit de Dieu qui m'éclairait, et que
je ne pensai jamais mieux ni plus sainement. Tout cela était donc vrai ; et
s'il l'était alors, il le doit être encore aujourd'hui, et il le sera encore
demain et jusqu'à la fin des siècles, puisque la vérité de Dieu, aussi bien que
son être, est immuable : Christus heri, et hodie, ipse et in saecula.
Excellente pratique, mes chers
auditeurs, pour se maintenir dans une sainte persévérance; se dire à soi-même :
Je fus persuadé un tel jour, et un tel jour mon esprit fut pénétré de cette
vérité ; j'en eus une vue si parfaite que j'en fus saisi, que j'en fus attendri
jusqu'aux larmes. Je ne la goûte plus cette vérité, comme je la goûtais; mais
c'est toujours néanmoins la même vérité, et tout ce que j'y goûtais s'y trouve
encore. Elle ne me paraît plus dans ce beau jour où elle se montrait quand j'en
étais sensiblement ému; mais dans le fond elle n'a rien perdu de tout ce que
j'y découvrais. Malheur à moi de ce qu'elle n'a plus pour moi le même goût ;
mais grâce à mon Dieu de ce que j'en ai conservé la foi 1 Parler ainsi, et agir
ensuite non plus en vertu du sentiment présent, mais des résolutions passées,
les faire revivre en nous, et quand la tentation nous attaque, nous sollicite,
quand l'occasion se présente, nous munir de cette pensée : J'avais prévu tout
cela, et j'y étais disposé lorsque je formai le dessein d'être à Dieu; puisque
j'ai encore ce qui opérait en moi cette disposition, pourquoi ne ferais-je pas
aujourd'hui ce que j'aurais fait alors, et pourquoi voudrais-je abandonner
Dieu, et me contredire moi-même ? Non, non, Seigneur, il n'en ira pas de la
sorte ; il ne faut pas que le caprice de ma volonté l'emporte sur la règle de
ma foi et de ma raison : vous êtes, ô mon Dieu, un trop grand maître pour être
servi par humeur; et je tiens à vous par des liens trop forts pour prétendre
jamais m'en détacher : j'ai cru, Seigneur : Credidi; et c'est pour cela,
que je vous ai donné une parole dont j'ai pris le ciel à témoin ; savoir, de
garder inviolablement le traité et le pacte solennel que j'ai fait avec vous
dans ma pénitence : Credidi, propter quod locutus sum (1). Voilà, mes
chers auditeurs, ce que j'appelle agir par la foi et vivre de l'esprit de la
foi, en quoi consiste proprement le caractère de l'homme juste : Justus autem
meus ex fide vivit (2). Résurrection de Jésus-Christ, modèle de notre
persévérance, fondement de notre persévérance, et motif encore de notre
persévérance : comment cela ? Apprenez-le.
C'est que la résurrection du
Sauveur nous met devant les yeux la gloire et l'immortalité bienheureuse où
nous aspirons, et qui doit être notre récompense éternelle. Aussi prenez garde
que ce fut la vue de cette résurrection qui inspira au patriarche Job tant de
constance dans les plus rigoureuses épreuves. Toutes choses le portaient, ce
semble, à quitter Dieu : il se trouvait accablé de misères et de calamités qui
l'assiégeaient de toutes parts ; ses amis mêmes s'étaient tournés contre lui ;
sa femme insultait à sa piété, en la traitant de simplicité : Adhuc tu permanes
in simplicitate tua (3) ? Mais que lui répondait ce saint homme? Allez, lui
disait-il, vous parlez en insensée : Quasi una de stultis mulieribus locuta
es (4). Vous me reprochez mon attachement au Dieu que j'adore ; et moi je
vous dis que je l'aurai jusqu'au dernier soupir de ma vie , et que toutes les
calamités du monde ne m'obligeront jamais à m'en départir. Et quel motif en
apportait-il? Ah! Chrétiens, admirable leçon pour nous ! Scio enim quod
Redemptor meus vivit, et in novissimo die de terra surrecturus sum (5);
Oui, je serai constant et fidèle, ajoutait-il, parce que je sais que je dois
avoir un Sauveur qui ressuscitera plein de gloire, et que je ressusciterai
moi-même un jour comme lui. Or, cette gloire dont je le vois déjà tout
éclatant, cette gloire qui par communication doit se répandre sur moi, c'est ce
qui m'engage à souffrir sans murmurer, c'est ce qui réprime mes plaintes, c'est
ce qui adoucit mes maux , c'est ce qui me soutient dans l'accablement extrême
où me réduisent l'humiliation et la douleur; cette espérance que je nourris
dans mon sein est le grand motif de ma persévérance : Reposita est hœc spes
in sinu meo (6). Ainsi parlait cet homme de Dieu. Or, mes Frères, reprend
saint Augustin , si la vue d'une résurrection si éloignée inspirait à Job ses
sentiments au milieu de la gentilité, nous, élevés au milieu du christianisme,
598
nous qui la voyons de si près, cette même résurrection, nous
qui, dans cette solennité, en célébrons la mémoire; en serons-nous moins
touchés et le devons-nous moins être?
Enfin, Jésus-Christ ressuscité
devient par un excès de son amour, et par un effet merveilleux du sacrement de
son corps, le sceau de notre persévérance dans la grâce, puisque, tout
ressuscité et tout immortel qu'il est, il veut bien être notre Agneau pascal,
selon l'expression de l'Apôtre, et s'immoler tout de nouveau sur nos autels
pour s'unir intimement à nous , et pour nous faire vivre en lui et par lui : Pascha
nostrum immolatus est Christus (1). Ce Dieu de gloire, le jour même de sa résurrection,
se fait notre nourriture; et après être sorti triomphant du tombeau, il vient
obscur et invisible s'ensevelir dans nous par la communion. Que prétend-il? On
vous en a instruits, Chrétiens, et vous ne le pouvez ignorer : il prétend
servir à votre âme d'aliment, mais d'un aliment céleste et spirituel; et comme
le propre de l'aliment est d'entretenir la vie, il se donne à vous pour
conserver cette vie divine, cette vie de la grâce que la pénitence vous a
rendue. Avez-vous fait, mon cher auditeur, quelque réflexion aux saintes et
vénérables paroles que le prêtre, comme ministre de l'Eglise, a prononcées en
vous admettant à la participation du corps de Jésus-Christ? peut-être n'y
avez-vous pas pensé, et néanmoins c'est à quoi vous deviez être attentif; car
voici comment il vous a parlé : Recevez, mon Frère, le corps de votre Seigneur
et de votre Dieu, afin qu'il garde votre âme, et qu'il la préserve de la mort
du péché; non pas pour quelques jours ni pour quelques mois, mais pour la vie
éternelle : Custodiat animam tuam in vitam œternam. Et en effet, s'il
n'avait été question que de vous faire vivre pour quelque temps, en vain
Jésus-Christ aurait-il daigné nourrir voire âme de sa propre chair : il ne
fallait pas pour cela un pain si exquis; mais ce pain dont vous avez l'ait
votre pâque est un pain, dit Jésus-Christ même, qui se mange pour ne mourir
jamais : Hic est panis de cœlo descendens, ut si quis ex ipso manducet, non
moriatur (2). Et voilà ce que je vous ai proposé d'abord comme le sacrement
de votre persévérance dans la grâce; vérité reconnue de tous les Pères, puisque
c'est ainsi qu'ils expliquent cette grande promesse du Sauveur : Qui
manducat hunc panem, vivet in œternum (3) ; Celui qui mangera ce pain vivra
éternellement; non pas, dit saint
Jérôme, d'une vie corporelle et matérielle, mais d'une vie
spirituelle et surnaturelle, qui doit être le fruit de l'adorable Eucharistie.
Si donc, engagés comme vous l'êtes à la persévérance chrétienne, et par l'idée
de la résurrection de Jésus-Christ, et par la foi de la résurrection de
Jésus-Christ, et par la gloire de la résurrection de Jésus-Christ, enfin parle
sacrement de la résurrection de Jésus-Christ; si, dis-je, comme tant de lâches
chrétiens, vous retourniez à vos premières habitudes, si vous vous laissiez
encore surprendre aux illusions du monde ; et, au lieu de donner à la grâce le
temps de s'enraciner dans vos cœurs, si vous étouffiez ce bon grain, selon la
parabole, et qu'au bout de quelques semaines on vous revît dans les mêmes
engagements et les mêmes désordres, n'aurais-je pas droit de vous faire le
reproche que faisait saint Paul aux Calâtes? Il leur avait annoncé le royaume
de Dieu, il les avait tous engendrés en Jésus-Christ par l'Evangile, et tandis
qu'il avait été parmi eux, ils étaient demeurés fermes dans la foi ; mais à
peine les eut-il quittés qu'ils oublièrent ce qu'ils étaient, et qu'ils
reprirent les observances du judaïsme. Saint Paul le sut, et voici en quels
termes il leur témoigne là-dessus son ressentiment : plaise au ciel que je
n'aie jamais sujet de vous les appliquer ! Miror, quod tam cito
transferimini ab eo qui vos vocavit in gratiam Christi (1) ; En vérité, mes
Frères, il est bien étrange que vous ayez si tôt changé de sentiments, et qu'en
si peu de jours vous ayez renoncé à celui qui vous avait appelés et conduits
par sa grâce à la connaissance de Jésus-Christ ! O insensati Galatœ,
quis vos fascinavit non obedire veritati (2)? O insensés que vous êtes, qui
vous a ensorcelés pour vous faire abandonner lâchement et honteusement le parti
de la vérité ? Sic stulti estis, ut cum spiritu cœperitis, nunc carne
consummemini (3) ? Quelle folie d'avoir commencé par la pureté de 1 esprit,
et de finir maintenant par la corruption de la chair! Ainsi leur parlait
l'Apôtre, et vous parlerais-je, Chrétiens; car j'aurais bien de quoi m'étonner
que des résolutions prises à la face des autels et en ia présence du Seigneur
se fussent tout à coup évanouies. Eh quoi ! mes Frères, vous dirais-je aussi
bien que saint Paul, vous faisiez à Dieu de si saintes protestations ; vous
nous donniez dans le sacré tribunal des paroles si expresses; vous vous
obligiez de si bonne foi, ce semble, à tout ce que nous vous prescrivions ;
vous deviez être si réguliers
599
à le pratiquer : mais l’avez-vous fait? Sic stulti estis,
ut cum spiritu cœperitis, nunc carne consummemini ! En êtes-vous moins
colères et moins emportés? en êtes-vous moins ambitieux et moins entêtés de
votre fortune? en êtes-vous moins sensuels et moins adonnés à votre plaisir?
n'avez-vous plus revu cette personne, écueil funeste de votre fermeté et de
votre constance? n'avez-vous plus recherché ces occasions si dangereuses pour
vous? n'avez-vous plus tenu ces discours ou médisants ou impies? Vous aviez
jeté les fondements d'une vie chrétienne et spirituelle : qui vous a empêchés
d'élever ce saint édifice? On espérait tout de vous, et dans un moment toutes
les espérances qu'on en avait conçues sont renversées. Fallait-il pour cela
faire tant d'avances, fallait-il puiser dans les sources salutaires de la
grâce? fallait-il se laver dans les eaux de la pénitence? fallait-il manger la
chair de l'agneau : Sic stulti estis ? Poursuivons, mes chers auditeurs.
Je vous ai fait voir que la résurrection du Fils de Dieu était pour nous un
engagement à la persévérance dans la grâce, et j'ajoute que la persévérance dans
la grâce est le gage le plus certain que nous puissions avoir d'une
résurrection glorieuse à la fin des siècles, et semblable à celle de Dieu.
C'est le sujet de la seconde partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Dieu l'a ainsi ordonné,
Chrétiens; et une des lois de sa providence est que le salut dans cette vie
nous soit incertain, et que nous n'ayons jamais sur la terre nulle assurance de
notre prédestination éternelle : providence, dit saint Augustin, que nous
devons adorer, puisqu'elle nous entretient dans l'humilité, et qu'elle excite
en nous la ferveur et la vigilance. Il est néanmoins vrai, sans déroger en rien
à cette règle, que la persévérance dans le bien, et l'accomplissement des
saintes résolutions qu'on a formées, est la marque la plus infaillible à quoi
nous puissions reconnaître si nous serons un jour semblables à Jésus-Christ
ressuscité, et si nous aurons le bonheur de participer à sa gloire. Je
m'explique. Tous les théologiens conviennent qu'il y a certains signes par où
nous pouvons distinguer ceux d'entre les fidèles qui doivent un jour
ressusciter à la vie, et ceux qui ressusciteront, comme parle le Fils de Dieu,
pour leur damnation. Mais, selon les mêmes théologiens, ces signes après tout
sont équivoques et douteux, et rien n'est plus ordinaire ni plus à craindre que
de s'y tromper. S'il y en a un, disent-ils, sur lequel nous soyons en droit de
faire fond, et qui soit capable d'établir solidement notre espérance pour la
résurrection bienheureuse , c'est cette persévérance dans l'état où nous sommes
entrés en nous convertissant à Dieu. Pourquoi? par trois raisons importantes
que je vous prie de bien méditer . parce qu'il est certain que la persévérance
représente déjà dans nous l'état de cette bienheureuse résurrection; parce
qu'elle nous dispose et qu'elle nous conduit à cette bienheureuse résurrection;
enfin, parce, qu'elle nous fait mériter, autant qu'il est possible, la grâce
spéciale de cette bienheureuse résurrection. Développons ces trois pensées.
Je dis que la persévérance
chrétienne représente déjà dans nous l'état de cette bienheureuse résurrection
dont nous voyons les prémices dans la personne du Sauveur. Car, en quoi
consiste cet état des corps glorifiés? Le voici : en ce qu'ils ne sont plus
sujets à aucune vicissitude : en ce que la gloire dont ils sont revêtus n'est
point une gloire passagère, mais permanente , et qui durera autant que Dieu
même ; en ce qu'ils sont aujourd'hui ce qu'ils seront éternellement, et ce
qu'ils ne peuvent jamais cesser d'être. Tel est l'avantage d'un corps
ressuscité, et réformé, comme dit l'Apôtre, sur le modèle du corps glorieux de
Jésus-Christ. Or, rien n'approche plus de cet état que la persévérance du juste
, ou d'un pécheur converti et inébranlable dans le plan de conversion qu'il
s'est tracé. Car au lieu que les mondains, semblables aux flots de la mer, sont
dans un changement perpétuel, et que, toujours agités par leurs passions, ils
succombent à la crainte, ils cèdent au respect humain, ils plient sous
l'adversité, ils s'enflent dans la prospérité, ils suivent l'attrait du
plaisir, ils se laissent vaincre par l'intérêt, abattre par la tristesse, corrompre
par la joie, entraîner par l'occasion; qu'ils tournent non-seulement leur
raison, mais leur religion, au gré de l'humeur qui les domine, et que, bien
loin de s'affermir par la grâce dans la piété, ils anéantissent dans eux la
piété et la grâce même par leurs variations continuelles ; état déplorable où,
selon saint Paul, la créature doit gémir de se voir réduite : Vanitati enim
creatura subjecta est (1) ; le juste, au contraire, fortifié de la bonne
habitude qu'il s'est faite, élevé au-dessus de tout ce qui pourrait le retirer
des voies de Dieu, vainqueur du monde et de soi-même, marche toujours d'un même
pas, suit toujours
600
la même route, ne vit plus dans une pitoyable alternative de
conversion et de rechute, de ferveur et de relâchement, de régularité et de
libertinage; mais, déterminé à la pratique de ses devoirs, est inviolablement
ce qu'il doit être, et par là anticipe l'heureux état de la résurrection
future.
C'est sur quoi saint Cyprien
félicitait avec tant d'éloquence des vierges chrétiennes qui s'étaient
consacrées à Jésus-Christ, et qui trouvaient dans leur retraite ce précieux
trésor d'une éternelle stabilité : Vos resurrectionis gloriam in hoc sœcula jam
tenetis. Vous possédez, leur disait-il, dès maintenant la gloire de la
résurrection que nous attendons. La chasteté que vous avez vouée solennellement
à Dieu, fait dès à présent dans vos âmes quelque chose de semblable à ce que la
résurrection doit faire dans les corps des saints; et votre constance à suivre
le divin Epoux que vous avez choisi commence déjà visiblement dans vos
personnes ce que la béatitude céleste achèvera et consommera. Or, ce que saint
Cyprien disait à ces épouses de Jésus-Christ, je vous le dis, mes chers
auditeurs. Oui, de quelque condition que vous soyez, si vous êtes ressuscites
avec Jésus-Christ de cette résurrection véritable et durable dont je vous ai
fait connaître l'importance et la nécessité : Si consurrexistis jam Christo
(1) ; si vous êtes disposés, mais efficacement, mais sincèrement, à persévérer
dans la voie où la grâce de la pénitence vous a appelés, je dis que vous avez
déjà part à tout ce qu'il y a de plus avantageux dans cet état d'immortalité où
nous espérons un jour de parvenir. Je dis qu'être constants comme vous l'êtes,
ou comme vous paraissez le vouloir être dans le service de votre Dieu, c'est
être déjà marqués de ce sceau du Dieu vivant que l'ange de l'Apocalypse doit
imprimer sur le front de tous les élus : Vos resurrectionis gloriam in hoc
sœculo jam tenetis. Et il n'y a personne de ceux qui m'écoutent qui n'ait
droit de prétendre à ce bonheur ; car les libertins mêmes et les plus impies
sont capables d'une parfaite conversion, comme les autres pécheurs ; et nous
avons quelquefois la consolation de voir les [dus endurcis et les plus obstinés
dans le péché, quand ils se sont reconnus et remis dans l'ordre, s'y tenir plus
étroitement et plus inséparablement attachés : comme si Dieu prenait plaisir à
faire éclater en eux toutes les richesses de sa miséricorde. Puissant motif
pour exciter dans tous les cœurs un saint zèle et une
sainte confiance ! Mais si par votre infidélité la grâce
n'agit en vous que faiblement, que superficiellement ; si dans la pratique vous
n'exécutez rien de ce que vous avez conclu et arrêté avec Dieu ; si, dès les
premiers jours, désespérant de pouvoir aller jusques au bout, et déjà lassés du
peu de chemin que vous avez fait, vous regardez derrière vous et vous commencez
à reculer, j'ose, Chrétiens, vous le dire, quoique avec douleur, il est bien à
craindre que vous ne soyez pas du nombre de ceux qui, selon la parole du
Prophète royal, doivent un jour ressusciter dans l'assemblée des justes, et,
par une triste conséquence, que vous ne soyez jamais reçus dans le royaume de
Dieu. Si je faisais de moi-même cette triste prédiction, peut-être
pourriez-vous ne m'en pas croire, et en appeler à un autre témoignage que le
mien. Mais Jésus-Christ même nous l'a ainsi déclaré dans son Evangile, et c'est
de sa bouche qu'est sorti ce terrible arrêt : Nemo mittens manum suam ad
aratrum, et respiciens retro, aptus est regno Dei (1). Comment, mes Frères,
reprend saint Chrysostome, expliquant ce passage de saint Luc, comment un homme
inconstant et léger serait-il propre pour le royaume de Dieu, puisqu'il ne l'est
pas même pour le monde, ni pour les affaires et le commerce du monde? Que
pense-t-on dans le monde d'un esprit volage et changeant, qui se confie en lui,
qui fait fond sur lui ; et de quoi le croit-on capable ? Or, si le monde même,
ajoute saint Chrysostome, malgré son inconstance naturelle, est néanmoins le
premier à condamner l'inconstance de ceux qui suivent ses lois, comment Dieu
s'accommodera-t-il de la nôtre? Et d'ailleurs, conclut le même Père, si nous ne
sommes pas propres au royaume de Dieu, que sert-il de l'être pour toute autre
chose? Eussions-nous les plus rares talents, et les plus sublimes, les plus
éminentes qualités; avec toutes les qualités et tous les talents, que
sommes-nous devant Dieu, si nous ne sommes pas en état d'entrer dans sa gloire
et de le posséder lui-même? Ce n'est qu'en persévérant qu'on s'attache à lui,
et ce n'est qu'en s'attachant à lui qu'on se rend digne de lui, et digne de la
couronne qu'il nous promet. Voilà le titre le plus légitime pour y prétendre et
pour l'obtenir, et c'est ma seconde proposition.
Car prenez garde à ceci, mes
chers auditeurs : que fait la persévérance chrétienne dans un pécheur converti,
et fidèle à la grâce de sa conversion? elle le conduit à la persévérance
finale. Et qu'est-ce que la persévérance finale?
601
c'est la dernière disposition à l'immortalité bienheureuse.
Je m'explique. Quand les théologiens parlent de la prédestination des saints,
ils nous la font concevoir comme une chaîne mystérieuse, composée de plusieurs
anneaux entrelacés les uns dans les autres, et qui se tiennent sans
interruption. Du côté de Dieu, disent-ils, cette chaîne n'est autre chose
qu'une suite de moyens, de secours, de grâces, que Dieu a préparés pour
soutenir ses élus, et pour les faire arriver à la couronne de justice qui leur
est réservée. Ainsi l'enseigne saint Augustin. Mais de notre part cette chaîne
est une suite d'actes qui se succèdent les uns aux autres, et par où nous
méritons cette couronne, en rendant chaque jour à Dieu l'obéissance qui lui est
due. Tous ces actes, ajoutent les docteurs, sont comme autant de parties de
cette persévérance totale qui nous sauve, et en cela ils sont tous de même
nature ; mais il y en a un néanmoins, et c'est le dernier, auquel tous les
autres se terminent, et qui fait la persévérance finale. Quoique ce dernier
acte, considéré en lui-même, n'ait ni plus de perfection, ni plus de mérite que
les autres, cependant, parce qu'il est le dernier, c'est lui qui couronne tous
les autres, et qui consomme notre bonheur. Car, comme dit saint Jérôme, dans
les prédestinés on ne cherche pas le commencement, mais la fin. Paul a mal
commencé, et bien fini; Judas a mal fini, et bien commencé : Judas est
réprouvé, et Paul glorifié. C'est donc de la fin que dépend le sort et le discernement
des hommes dans l'autre vie. En vain aurions-nous passé des siècles entiers
dans la pratique de toutes les vertus, il ne faut qu'une pensée pour nous
rendre criminels ; et si Dieu nous prend au moment que nous formons cette
pensée et que nous y consentons, il n'y a point de salut pour nous. Par
conséquent, c'est la persévérance qui met le comble à la prédestination des
élus : sans elle tout le reste est inutile, et c'est elle qui nous met en main
la palme, et qui nous introduit dans la gloire : Bonum certamen certavi,
cursum consummavi, de reliquo reposita est mihi corona justitiœ (1).
Cela s'entend, me direz-vous, de
la persévérance finale. Je le veux, mon cher auditeur; mais par où arrive-t-on
à la persévérance finale, sinon par la persévérance commencée, qui est celle de
la vie? Car, sans commencement il n'y a point de fin, et toute fin a un rapport
essentiel à son commencement. D'où il s'ensuit que pour persévérer à la mort,
c'est-à-dire
que pour avoir la persévérance finale, nous devons commencer
à persévérer dans la vie, puisque la persévérance de la mort est le terme et la
consommation de la persévérance de la vie. Et voilà pourquoi j'ai dit que la
persévérance dans les exercices d'une vie chrétienne, est la voie qui nous mène
au royaume éternel. Et en effet, tandis que nous suivons cette voie, tous les
pas que nous faisons nous sont comptés. Mais du moment que nous la quittons,
nous nous éloignons de ce bienheureux héritage que Dieu nous propose comme
l'objet de notre espérance : et ce qu'il y a de plus déplorable, c'est que tout
ce que nous avons fait jusque là n'est plus pour nous de nulle valeur, parce
que notre rechute dans le péché et notre retour au monde en suspendent tout le
mérite. Il faut recommencer tout de nouveau, reprendre la route que nous avions
perdue, rentrer dans la carrière, et la fournir avec une persévérance
infatigable. Ainsi nous ne nous disposons actuellement à régner un jour comme
les saints dans le ciel, qu'autant que nous nous accoutumons à persévérer comme
eux sur la terre. Voilà tout le secret de ce grand mystère que nous appelons
prédestination. En parler de la sorte, ce n'est ni philosopher ni user de
conjectures, puisque tout ce que j'en ai dit est fondé sur l'oracle de
Jésus-Christ même : Qui autem perseveraverit usque in finem, hic salvus erit
(1) ; Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé. Or, ces paroles,
remarque saint Chrysostome, ne doivent pas être entendues de la grâce de la
persévérance, mais de la vertu de la persévérance, puisqu'il est constant que
le Fils de Dieu a prétendu par là nous exhorter à une chose qui fût en notre
pouvoir, et qu'il dût récompenser comme un effet de notre fidélité ; ce qui
convient à la persévérance prise comme vertu, et non point comme don et comme grâce.
D'où vient que le Saint-Esprit nous fait ailleurs de cette persévérance un
commandement : Esto fidelis usque ad mortem (2) ; Tenez ferme et
combattez jusqu'à la mort. Vous me répondrez peut-être qu'il est toujours vrai
que cette vertu de persévérance dépend essentiellement de la grâce de la
persévérance; et que d'ailleurs cette grâce de la persévérance est tellement
donnée de Dieu que nous ne la pouvons mériter. Ah! Chrétiens, retenez bien ce
qui me reste à vous dire ; c'est par où je finis, et ce sera l'éclaircissement
de ma troisième proposition.
Je le sais, mes chers auditeurs, quelque
602
justes que nous soyons, quelque bonnes œuvres que nous ayons
pratiquées et que nous pratiquions encore tous les jours, nous ne pouvons
mériter ce don souverain de la persévérance finale; le mériter, dis-je, d'un
mérite parfait, d'un mérite de justice, d'un mérite qui nous donne droit de
l'exiger, ou, si vous voulez que je m'exprime avec l'Ecole, d'un mérite de
condignité. C'est ainsi que tous les Pères de l'Eglise l'ont reconnu. Mais
outre ce mérite il y eu a un autre : un mérite de convenance, un mérite, disent
les théologiens, de congruité, un mérite fondé sur la miséricorde et sur la
pure libéralité de Dieu : c'est-à-dire que Dieu voyant l'homme appliqué de sa
part à se maintenir dans la grâce, et pour cela se faire violence à lui-même,
mortifier ses passions, résister et combattre, il se sent réciproquement ému,
en vue d'une telle constance, à le gratifier de ses plus singulières faveurs,
et en particulier du don de la persévérance finale, parce que c'est la marque
de la plus grande distinction et du choix le plus spécial que Dieu puisse faire
d'une âme dans l'ordre du salut. Or, je prétends qu'à l'entendre ainsi, nous
pouvons mériter cet excellent don. De là, mes Frères, quand nous voyons un
juste, après avoir longtemps persévéré dans l'observation de la loi de Dieu,
mourir saintement, nous ne nous en étonnons point. Nous disons : Cela est
conforme aux idées que l'Ecriture nous donne des jugements de Dieu : cet homme
a trop bien vécu pour finir autrement sa course ; selon les lois communes de la
Providence, une vie si innocente et si fervente ne pouvait être terminée que
par une pareille mort ; Dieu lui a fait grâce, mais en lui faisant grâce il a
eu égard à ses bonnes œuvres. Nous reconnaissons donc dans cette conduite de
Dieu une espèce de convenance qui, sans blesser en rien sa justice, l'engage à
déployer toute sa miséricorde et à l'exercer. Au contraire, quand on nous parle
de certains justes, qui, par un triste naufrage, après une longue persévérance,
ont péri jusque dans le port et se sont malheureusement perdus ; quand on nous
rapporte ces exemples, nous en sommes effrayés , nous les regardons comme des
prodiges, nous nous écrions avec saint Paul : O altitudo (1) ! Nous
jugeons qu'il y a eu dans cette disposition de Dieu quelque chose que nous ne
comprenons pas; que cet homme , qui vivait régulièrement en apparence, avait
peut-être un orgueil caché que Dieu a,voulu punir; que l'effet d'une justice
si rigoureuse suppose un fond d'iniquité, qui ne paraissait
pas au dehors, et que Dieu voyait. Quoi qu'il en puisse être, ces chutes
inopinées et ces coups de réprobation nous font trembler; mais la surprise même
où ils nous jettent est une preuve évidente que ce n'est donc point ainsi que
Dieu en use selon les règles ordinaires, et que nous sommes persuadés
nous-mêmes que la persévérance finale est communément et presque
immanquablement le fruit d'une persévérance chrétienne pendant la vie.
C'est à cette persévérance de la
vie que je ne puis, mes chers auditeurs, assez vous porter; et souffrez
qu'empruntant ici les paroles de saint Jérôme, je vous dise pour conclusion de
ce discours ce que disait ce saint docteur à un homme du monde qui commençait à
chanceler dans le dessein qu'il avait pris de chercher dans la retraite de
Bethléem un asile contre les périls du siècle. Car voici comment il lui
parlait, et comment Dieu m'inspire de vous parler à vous-mêmes : Obsecro te,
Frater, et moneo parentis affectu, ut qui Sodomam reliquisti, ad montana
festinans, post tergum ne respicias ; Pécheur qui m'écoutez, puisqu'en
vertu de la grâce que vous avez reçue vous venez d'abandonner Sodome,
c'est-à-dire puisque vous avez renoncé
à vos engagements criminels , je vous conjure, par la charité que vous vous
devez à vous-même, de ne tourner plus les yeux vers le monde,.ce monde profane,
ce monde corrupteur que vous avez quitté, et dont vous avez si longtemps
éprouvé la tyrannie. Ne aratri stivam, ne fimbriam Salvatoris quam semel
tenere cœpisti, aliquando dimittas; Non, mon cher Frère, ne pensez plus à
secouer le joug du Seigneur que vous vous êtes imposé, et tenez toujours la
robe de votre Sauveur, pour le suivre. Vous ne pouvez avoir un meilleur guide,
et il ne vous appelle après lui que pour vous conduire à sa gloire. Ne de
tecto virtutum, pristina quœsiturus vestimenta, descendus; Prenez garde à
ne pas déchoir des hautes vertus où vous avez voulu, par votre conversion,
vous élever; et n'allez pas reprendre
les dépouilles de la vanité et du luxe, après vous être revêtu des livrées de
Jésus-Christ. Ne de agro revertaris domum ; Du champ de l'Eglise
où vous êtes rentré, et où vous commencez à recueillir les fruits de la grâce,
ne retournez point à ces maisons où votre innocence a tant de fois échoué, ni à
ces lieux de scandale et de débauche. Ne campestria cum Lot, ne amœna
hortorum diligas quœ
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non irrigantur de cœlo, ut terra sancta, sed de turbido flumine
Jordanis ; Ne vous arrêtez pas, comme Loth, à tout ce qui pourrait vous
rapprocher de l'embrasement dont vous vous êtes sauvé : fuyez ces demeures
agréables, mais dont l'air est si contagieux pour vous ; ces rendez-vous si
propres à rallumer votre passion ; ces jardins si commodes pour l'entretenir,
où la pluie du ciel ne tombe jamais, et qui ne sont arrosés que des eaux
troubles du Jourdain. Voilà, dit saint Jérôme, à quoi il ne faut plus retourner.
Cœpisse multorum est, ad culmen pervenisse paucorum : Plusieurs,
ajoutait-il, ont l'avantage de commencer, mais bien peu ont le bonheur de
persévérer. Or, il faut que vous soyez de ce nombre. Ma douleur est de penser,
Chrétiens, que la plupart de ceux à qui je parle en doivent être exclus, ou
plutôt sont dans la disposition de s'en exclure eux-mêmes. Ce qui m'afflige
jusqu'à dire comme David : Tabescere me fecit zelus meus (1) ; Mon
zèle m'a fait sécher de regret : c'est de faire aujourd'hui cette triste
réflexion , que d'une si nombreuse assemblée, à peine y en aura-t-il
quelques-uns que le monde bientôt ne rengage pas dans ses fers, et sur qui le
péché ne reprenne pas tout son empire. Mon Dieu, que vos jugements sont profonds, et que notre
inconstance est déplorable ! Le comble de l'affliction pour moi est de
voir, comme saint Bernard , que la résurrection du Fils de Dieu soit devenue le
terme fatal, ou, pour mieux dire, le commencement de nos rechutes : Proh
dolor ! terminus recidendi facta est resurrectio Salvatoris. Car n'est-ce
pas là que vont recommencer les parties de plaisir, les jeux, les spectacles;
et, par une conséquence infaillible, les impudicités, les dissolutions, les
excès? en sorte qu'il semble que Jésus-Christ ne soit ressuscité que pour nous
faire lâcher plus impunément la bride à nos passions et à nos sens : Ex hoc
nempe redeunt comessationes, ex hoc laxantur concupiscentiis frena ; quasi ad
hoc surrexit Christus, et non propter justificationem nostram. Mais non,
Seigneur; vous achèverez votre ouvrage : car c'a été votre ouvrage que ma
conversion. Vous le soutiendrez, comme vous l'avez commencé ; et moi-même je le
soutiendrai avec vous et. par vous. Votre grâce m'a prévenu, et je l'ai suivie.
Elle me montrera toujours le chemin, elle me servira toujours de guide, et je
la suivrai toujours, jusqu'à ce que je puisse arriver à la gloire, où nous
conduise, etc.