SERMON POUR LE QUATRIÈME DIMANCHE APRÈS L'EPIPHANIE.
SUR LES AFFLICTIONS DES JUSTES ET LA PROSPÉRITÉ DES PÉCHEURS.
ANALYSE.
Sujet. Jésus étant entré dans une barque, ses disciples
le suivirent; et aussitôt il s'éleva sur la mer une grande tempête, en sorte
que la barque était couverte de flots. Lui cependant dormait; et ses disciples
le réveillèrent, en lui disant: Seigneur, sauvez-nous ; nous allons périr !
Jésus leur répondit : Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi?
Voilà
une image bien naturelle de ce qui se passe tous les jours à l'égard des
justes. Tandis que les pécheurs sont dans la prospérité, les justes souvent
sont accablés d'afflictions et de misères. Or, il faut là-dessus les rassurer
et les consoler.
Division. Dans les affliction des justes et la prospérité des
pécheurs, il n'y a rien qui doive ni qui puisse ébranler notre foi: première
partie; il y a même de quoi établir et confirmer notre foi : deuxième partie.
Première
Partie : Dans les afflictions des
justes et la prospérité des pécheurs, il n'y a rien qui doive ni qui puisse
ébranler notre foi. C'est assez que nous sachions que Dieu a ainsi réglé les
choses, pour nous y soumettre et n'en point prendre de scandale. Or, nous avons
mille preuves qui nous montrent que rien n'arrive que
par la conduite de la Providence.
Cette
conduite de Dieu n'est pas néanmoins si obscure et si cachée, que nous n'en
puissions découvrir quelques raisons qui suffisent pour la justifier, et les
voici.
1°
Dieu veut éprouver ses élus, et leur donner occasion de lui marquer par leur
constance leur fidélité. C'était la réponse que faisait
aux infidèles un des plus zélés défenseurs de la loi chrétienne. Dieu nous
examine, disait-il; il sonde le cœur de l'homme; par où ? par
les afflictions. Si Dieu ne met pas l'impie à de pareilles épreuves, c'est
qu'il ne le juge pas digne de lui.
2°
Dieu veut purifier ses élus de toutes les affections de la terre. Si les
prospérités temporelles étaient attachées à la vertu, la plupart ne serviraient
Dieu que dans cette vue, et par conséquent ne l'aimeraient pas pour toi-même.
3°
Dieu veut assurer le salut de ses élus, et les mettre à couvert du danger
inévitable qui se rencontre dans les prospérités du siècle. Car il n'est rien
de plus contagieux que les biens de cette vie, et c'est pour cela que Dieu en
prive les justes.
4°
Dieu par une aimable violence veut forcer ses élus de se tenir unis à lui, en leur
rendant tout le reste amer, et ne leur offrant partout ailleurs que des objets
qui leur inspirent du dégoût. Si le monde eût été à leur égard ce qu'il est à
l'égard de tant de mondains, ils n'auraient jamais pensé à Dieu.
5°
Dieu veut fournir à ses élus une matière continuelle de combats, afin que ce
soit pour eux une continuelle matière de triomphe et de mérite. Sans combat
point de victoire, et sans victoire point de couronne.
6°
Dieu veut punir ses élus en ce monde, afin de ne les point punir en l'autre. Il
n'y a point d'homme si juste à qui il n'échappe des fautes dont il est
redevable à la justice de Dieu ; et Dieu dès maintenant le châtie en père
miséricordieux, pour ne le point châtier après la mort en juge sévère.
Voilà
donc la Providence justifiée sur le partage des prospérités et des adversités
temporelles entre les justes et les pécheurs. Car comme Dieu prend soin de ses
élus par les adversités qu'il leur envoie, au contraire il se tourne contre les
pécheurs par les prospérités mêmes dont il les laisse jouir, et qui les
perdent.
Deuxième
partie : Il y a même dans les
afflictions des justes et la prospérité des pécheurs de quoi établir notre foi.
Car ce partage nous montre trois choses, savoir : qu'il y a une autre vie que
celle-ci, que Jésus-Christ est fidèle dans les promesses qu'il nous a faites,
et que Dieu nous sauve selon l'ordre de prédestination qu'il a marqué pour tous
les hommes.
1°
Qu'il y a une autre vie que celle-ci, et d'autres biens à espérer. Sans cela,
comme remarque Guillaume de Paris, où serait à l'égard des élus la sagesse et
la bonté de Dieu? Sans cela, poursuit le même Père ,
on pourrait dire que les justes seraient des insensés, et que les impies
seraient les vrais sages. Ne vous troublez point, mon Frère, conclut saint
Augustin : l'impie a son temps qui est bien court, mais vous aurez le vôtre qui
sera éternel. C'est ce qui consolait le saint homme Job et le Roi-prophète.
2°
Que Jésus-Christ est fidèle dans les promesses qu'il nous a faites, et vrai
dans ses prédictions. Il a dit à ses disciples, et dans leur personne à tous
les justes : Le monde se réjouira, et vous serez dans la tristesse. Nous
voyons cette parole accomplie, et c'est une preuve que l'autre s'accomplira : Votre
tristesse sera changée en joie.
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3°
Que Dieu nous sauve selon l'ordre de prédestination qu'il a marqué. Car, il a
résolu que nous ne serions sauvés que par une sainte conformité avec
Jésus-Christ, son Fils. Ainsi nous le témoigne
expressément l'Apôtre.
Il
est vrai néanmoins qu'il y a des gens de bien dans la prospérité ; mais il le
faut de la sorte, afin que l'état de la prospérité temporelle ne soit pas
absolument exclu du royaume de Dieu. De plus, si les saints se sont vus dans
une prospérité humaine, c'est ce qui les faisait trembler. Enfin, sans quitter
leur condition, ils savaient bien, sous les dehors d'une condition aisée et
commode, garder toutes les pratiques de l'abnégation chrétienne.
Il
est encore vrai qu'on a vu et qu'on voit des pécheurs dans les mêmes adversités
que les justes. Mais sans examiner toutes les raisons que Dieu a de ne vouloir
pas que le vice toujours prospère, c'est assez d'avertir ces pécheurs que leurs
afflictions sont pour eux des grâces de Dieu, et les grâces les plus précieuses
s'ils en veulent profiter.
Ascendente Jesu in naviculam,
secuti sunt eum discipuli ejus
: et ecce motus magnus factus
est in mari, ita ut navicula operiretur
fluctibus. Ipse vero dormiebat ; et suscitaverunt eum discipuli ejus, dicentes : Domine, salva nos, perimus ; et dicit eis : Quid timidi estis, modicœ fidei
?
Jésus
étant entré dans une barque, ses disciples le suivirent : et aussitôt il
s'éleva sur la mer une grande tempête, en sorte que la barque était couverte de
flots. Lui cependant dormait, et ses disciples le réveillèrent, en lui disant :
Seigneur, sauvez-nous : nous allons périr. Jésus leur répondit : Pourquoi
craignez-vous, hommes de peu de foi ? (Saint Matth.,
chap. VIII, 23 et suiv.)
Voilà, Chrétiens, une image bien
naturelle de ce qui se passe tous les jours à nos yeux et parmi nous. Il semble
que le Saint-Esprit, en nous la traçant dans cet évangile, ait expressément
voulu nous représenter un des plus grands mystères de la conduite de Dieu sur
les hommes, et en faire le sujet de notre instruction. Les disciples de
Jésus-Christ, c'est-à-dire les justes et les élus de Dieu, vivent dans le
monde, que nous pouvons considérer comme une mer orageuse, et s'y trouvent
embarqués par les ordres mêmes de la Providence. Dieu est avec eux et ne les
quitte jamais ; il les suit dans toutes leurs voies, il les éclaire et les
soutient : mais du reste, à en juger par les apparences, on dirait en mille
rencontres qu'il s'en éloigne, qu'il les oublie, qu'il les abandonne, qu'il est
à leur égard comme endormi : Ipse vero dormiebat. Il permet
qu'ils soient assaillis et battus des plus violents orages, qu'ils soient
exposés aux plus rudes tentations, qu'ils soient affligés et presque accablés
des misères de cette vie. Or, qui croirait alors qu'il y a une Providence qui
prend soin de leurs personnes ; ou qui ne croirait pas au moins que cette Providence
est ensevelie dans un profond sommeil, et qu'elle ignore leurs besoins ;
surtout lorsqu'on voit les impies prospérer sur la terre, vivre dans le calme,
tenir les premiers rangs, jouir de l'abondance, être en possession de tout ce
qui s'appelle fortune et bonheur humain ? C'est en vue de ce partage si
surprenant et si peu conforme à nos idées, que David s'écriait, et disait à
Dieu : Exsurge! quare obdormis, Domine
(2) ? Levez-vous, Seigneur! et pourquoi demeurez-vous
dans cette espèce d'assoupissement?
Et c'est ainsi que nous lui disons encore nous-mêmes, comme
les apôtres : Domine, salva nos, perimus ; Hé ! Seigneur, où êtes-vous? nous périssons, et vous nous délaissez ; tous les maux
viennent nous assaillir, et il semble que vous y soyez insensible. Mais à cela,
Chrétiens, point d'autre réponse de la part de Dieu, que celle de Jésus-Christ
à ses disciples effrayés et consternés : Quid timidi
estis, modicœ fidei? Où est votre foi, où est la confiance que vous
devez avoir en votre Dieu ? que craignez-vous, quand
je suis avec vous ? Mystère de la Providence, dont je veux aujourd'hui, mes
chers auditeurs, vous entretenir, et dont il est d'une importance extrême que
vous soyez instruits. Ce n'est point précisément aux pécheurs que j'ai à
parler; c'est aux âmes fidèles, c'est aux prédestinés du Seigneur, c'est à ceux
qui font état de le servir, et qui, tout attachés qu'ils sont à son service,
voient souvent tomber sur eux tous les fléaux du ciel, tandis que les mondains
passent leurs jours dans le plaisir et dans la joie. Je vais là-dessus les
rassurer et les consoler, après que nous aurons demandé le secours du
Saint-Esprit par l'intercession de Marie. Ave, Maria.
C'est de tout temps que la foi
des chrétiens a été troublée, et leur confiance en Dieu ébranlée, de voir les
méchants dans la prospérité et dans le repos, pendant que les justes sont dans
l'adversité et dans le travail. Ce partage, à ce qu'il paraît, si injuste, a
toujours été, pour ainsi dire, le scandale de la Providence ; car, de là les
pécheurs ont pris sujet de triompher insolemment de la vie, et de là les plus
gens de bien se sont relâchés dans le chemin de la vertu ; de là même les plus
grands saints en sont venus presque jusqu'à former des doutes au préjudice de
leur foi. Ecoutez-en parler David: Mei autem pene moti
sunt pedes, pene effusi sunt
gressus mei (1) ; Pour
moi, disait-il, je le confesse, j'ai senti ma foi chanceler; et, quelque solide
que fût le fondement de mon espérance, je me suis vu sur le point de succomber
:
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et pourquoi? parce qu'il s'est
élevé dans mon cœur un mouvement de zèle et d'indignation à la vue des pécheurs
qui goûtent la paix, qui réussissent dans leurs desseins, qui établissent leurs
maisons, à qui rien ne manque dans la vie : Quia zelavi
super iniquos, pacem peccatorum videns (1). En
effet, ai-je dit, comment est-il possible que Dieu sache ce qui se passe ici-bas , et comment puis-je croire qu'il y prenne garde? Quomodo scit Deus, et
si est scientia in excelso
(2)? Les libertins et les impies sont les plus heureux, les plus honorés, les
plus riches : Ecce ipsi peccatores
et abundantes in saeculo obtinuerunt divitias (3)) ;
d'où j'ai presque conclu, ajoute le même prophète, qu'il m'était donc inutile
de conserver mon cœur dans l'innocence, et d'avoir les mains nettes de toute
injustice : Et dixi : Ergo sine causa justificatif
cor meum, et lavi inter
innocentes manus meas (4)
Ainsi parlait le plus saint roi du peuple de Dieu, et c'était le reproche que
taisaient les païens aux fidèles. Quel Dieu servez-vous? leur
disaient ces idolâtres; où est sa justice envers vous et sa bonté? Il vous voit
pauvres et languissants, et il ne prend nul soin de vous. Est-ce qu'il ne le
peut, ou qu'il ne le veut pas ? Si c'est impuissance,
il n'est pas Dieu ; et aussi peu l'est-il, si c'est insensibilité. Vous vous promettez l'immortalité dans un autre monde que
celui-ci ; mais quelle apparence qu'un Dieu que vous vous figurez assez
puissant et assez bon pour vous ressusciter après la mort, ne vous secourût pas
dans la vie? Cependant vous renoncez à tous les plaisirs, vous ne venez point à
nos spectacles, vous souffrez la faim et la soif, vous endurez les plus
rigoureux tourments; d'où il arrive que vous ne jouissez ni de la vie présente
où vous êtes, ni de cette vie future et imaginaire que vous attendez. A cela
les Pères faisaient diverses réponses. La plupart niaient la supposition, pour
établir une vérité tout opposée; car ils soutenaient que jamais les justes ne
sont malheureux sur la terre, et que jamais les impies n'y goûtent un véritable
bonheur. Intelligat homo, disait saint
Augustin, nunquam Deus permittit
malos esse felices ;
Que l'homme s'applique à bien comprendre ceci : jamais Dieu ne permet que les
méchants soient heureux. Ils passent néanmoins pour l'être, ajoutait ce saint
docteur; mais on ne les croit heureux que parée qu'on ignore en quoi consiste
la vraie félicité : Ideo malus felix putatur, quia quid sit felicitas ignoratur
; et il n'en faut point
juger par de certains dehors. Tel,
dit saint Ambroise, me paraît avoir la joie dans le cœur, dont le cœur est
déchiré de mille chagrins : il est à son aise, selon mon estime; mais dans son
idée et en effet il est misérable : Meo affectu beatus est, et suo miser. C'est ainsi, dis-je, que les Pères s'en
expliquaient. Mais, Chrétiens, je prends la chose tout autrement. Ne disputons
point aux impies et aux pécheurs la possession des joies humaines, et convenons
que les justes sont aussi malheureux dans le temps, que les mondains le
pensent. Cela posé, je prétends que nous sommes toujours coupables, si nous
nous défions de la divine Providence, qui l'a ordonné de la sorte ; et, pour
vous en convaincre, j'avance deux propositions qui renferment tout ce qu'on
peut dire de plus solide sur cette matière, et qui partageront ce discours. Je
soutiens, d'abord, que dans cette conduite de Dieu il n'y a rien qui doive ni
qui puisse ébranler notre foi : c'est la première proposition et la première
partie. Je dis plus, et je soutiens même que cette conduite de Dieu a de quoi
établir et confirmer notre foi : c'est la seconde proposition et la seconde
partie. Développons l'une et l'autre ; et ne croyez pas que je veuille
Là-dessus m'arrêter à de vaines subtilités. J'ai des preuves à produire
également sensibles et touchantes. Commençons.
PREMIÈRE PARTIE.
Saint Augustin dit un beau mot :
Que les secrets de Dieu doivent nous imprimer du respect, doivent nous rendre
attentifs à les considérer, doivent nous exciter à en faire la recherche,
autant que l'humilité de la foi nous le permet ; mais qu'ils ne doivent jamais
trouver d'opposition dans nos esprits, et qu'il ne nous appartient pas d'en
vouloir juger, ni d'entreprendre de les contredire : Secretum
Dei intentos nos habere debet ,
non adversos. Voilà, mes chers auditeurs, une
maxime bien chrétienne et bien importante : car, un des plus grands désordres
de notre esprit est de se révolter d'abord contre tout ce qui paraît contraire
à nos lumières et à nos vues ; et c'est de ce principe que procèdent toutes les
erreurs où nous tombons à l'égard de Dieu. Or, écoutez comment je me sers de la
maxime du saint docteur, pour établir ma première proposition touchant ce
partage si inégal des biens et des maux de cette vie, qui fait que les justes
souffrent pendant que les impies prospèrent. Je prétends qu'il n'y a rien en
cela qui doive troubler notre foi, et en effet, quand je ne verrais
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nulle raison de cette conduite de
Dieu, quand ce serait un abîme où je ne découvrirais rien, et que mon esprit
s'y perdrait, ma foi n'en devrait point être altérée; et tout ce j'aurais à
faire, ce serait de m'écrier avec saint Paul : O altiludo
! et de reconnaître que c'est un secret de la
Providence , que je dois adorer et non pas pénétrer. Ainsi quand je ne conçois
pas l'auguste et incompréhensible mystère d'un Dieu en trois personnes, je ne
crois pas dès lors avoir droit de le révoquer en doute ; je ne crois pas
pouvoir conclure : Il n'y a donc point de Dieu, il n'y a donc point de
souverain Etre ; mais je conclus que ce souverain Etre est au-dessus de toute
intelligence humaine, et je n'en demeure pas moins inviolablement attaché à ma
créance. Pourquoi ne ferais-je pas ici le même? et
quand il s'agit d'un point qui regarde la providence de Dieu et sa conduite
dans le gouvernement du monde, pourquoi en voudrais-je douter, et pourquoi me
troublerais-je, parce que je ne le comprends pas?
Car enfin, j'ai d'ailleurs mille
preuves qui me convainquent qu'il y a une providence dans l'univers, et que
tout ce qui arrive sur la terre est de l'ordre de Dieu. Je n'ai qu'à ouvrir les
yeux, je n'ai qu'à contempler le ciel, je n'ai qu'à considérer toutes les
créatures, il n'y en a pas une qui ne me rende témoignage de cette vérité, et
qui n'en soit pour moi une démonstration. Les païens et les barbares l'ont
reconnue ; et je serais plus infidèle que les infidèles mêmes, si je refusais
de m'y soumettre. Cependant contre tous ces témoignages, il se forme une
difficulté dans mon esprit. S'il y a une providence, me dis-je à moi-même,
comment souffre-t-elle que les justes soient opprimés, et les impies exaltés?
Voilà ce qui me fait peine. Or, je vous demande, Chrétiens, est-il raisonnable
que pour cette seule difficulté je me départe d'un principe de foi aussi
infaillible et aussi solidement établi que l'est celui d'une providence; et que
parce qu'il y a un certain point où la conduite de cette providence sur les
hommes me paraît obscure, je la tienne pour douteuse, et j'ose même absolument
la rejeter? N'est-il pas plus juste que j'oppose à la difficulté qui
m'embarrasse toutes les maximes de ma foi et toutes les lumières de ma raison ?
et que n'ayant pas assez de vue pour approfondir le
mystère de cette Providence si rigoureuse, ce semble, à l'égard des justes, et
si libérale envers les pécheurs, je me réserve à le connaître un jour dans sa
source, c'est-à-dire dans Dieu même ?
Et c'est là aussi que le Prophète
royal en revenait, après avoir confessé devant Dieu qu'il n'entendait rien à ce
procédé, et qu'un traitement si peu conforme aux mérites des uns et à
l'iniquité des autres passait toutes ses connaissances et confondait toutes ses
idées. J'espère bien, disait-il, Seigneur, que vous me découvrirez là-dessus
l'ordre de vos jugements, et que vous me ferez voir, comme dans un miroir, les
raisons secrètes que vous avez eues de disposer ainsi les choses. Alors je
saurai pourquoi vous avez permis que ce juste fût vexé et persécuté, et que le
crédit de cet impie l'emportât sur l'innocence et la vertu ; que cet homme de
bien n'eût aucun succès dans ses entreprises, et que ce mondain sans foi et
sans conscience réussît dans tous ses desseins ; que cette femme pieuse et
remplie d'honneur passât ses jours dans l'amertume et dans de mortels
déplaisirs , et que cette autre , idolâtre du monde et livrée à ses passions,
menât une vie douce et commode. Vous nous apprendrez, ô mon Dieu, quels étaient
les ressorts de tout cela ; et par un seul rayon de la lumière que vous
répandrez dans nos esprits vous dissiperez tous les nuages, et vous ferez
évanouir tous les doutes qui naissent maintenant malgré nous contre votre
adorable Providence. Je me figurais qu'à force de réflexions et de
considérations, je pourrais dès cette vie démêler cet embarras, et sonder les
impénétrables conseils de votre sagesse : Existimabam
ut cognoscerem hoc (1); mais je me trompais bien,
et je me suis bien aperçu que je m'arrêtais à d'inutiles recherches : Labor est ante me (2) ; d'où j'ai conclu
qu'il fallait attendre que je fusse entré dans votre sanctuaire, et que je
visse où se devaient terminer les espérances des uns et des autres : Donec intrem in sanctuarium Dei, et intelligam in
novissimis eorum (3).
Voilà comment raisonnait ce saint roi, et c'était l'Esprit de Dieu qui lui
inspirait ce sentiment.
Mais là-dessus, mes chers
auditeurs, nous n'en sommes pas encore après tout réduits à la simple
soumission et à la seule obéissance de la foi. Nous avons sur ce mystère de
quoi contenter notre esprit, autant et peut-être plus que sur aucun autre ; et
c'est par où nous devenons tout à fait inexcusables, quand nous nous troublons
et que nous tombons dans la défiance, parce que nous voyons les justes
affligés, et que les pécheurs ont toutes les commodités et toutes les douceurs
de la vie . Car, nous trouvons nous-mêmes des raisons
qui nous justifient
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parfaitement la conduite de
Dieu,.et qui nous persuadent que Dieu a fait sagement d'en user de la sorte.
Or, si moi, avec un esprit plein d'erreurs et de ténèbres, je découvre
néanmoins des raisons pour cela, ne dois-je pas être convaincu que Dieu en a de
plus solides encore et de plus relevées que je ne vois pas; et ces raisons de
Dieu que je ne vois pas, mais que je conjecture des miennes, ne doivent-elles
pas calmer mon cœur et le rassurer? Tout ce qui me reste donc, c'est de suivre
le conseil de saint Augustin, et de m'appliquer, non pas à connaître
pleinement, mais du moins à entrevoir le secret de Dieu, afin que ce que j'en
puis apercevoir m'apprenne à juger de ce qui échappe à ma vue, et que l'un et
l'autre affermisse ma confiance : Secretum
Dei intentos nos habere debet, non adversos.
Mais qu'est-ce en effet que j'en
aperçois de ce secret de Dieu, et quelles sont les raisons que je puis imaginer
d'un partage qui semble choquer la raison même? Vous me les demandez, Chrétiens
; et sans une longue discussion, voici celles qui se présentent d'abord à moi :
que Dieu veut éprouver ses élus, et leur donner occasion de lui marquer par
leur constance leur fidélité; que Dieu, selon la comparaison du Prophète-Roi, veut les purifier par le feu de la
tribulation, comme l'on épure l'or dans Je creuset ; que Dieu veut assurer leur
salut, et les mettre a couvert du danger inévitable qui se rencontre dans les
prospérités du siècle; que Dieu, par une aimable violence, dit saint Bernard , veut
les forcer en quelque sorte de se tenir unis à lui, en leur rendant tout le
reste amer, et ne leur offrant partout ailleurs que des objets qui leur
inspirent du dégoût; que Dieu veut leur fournir une continuelle matière de
combats, afin que ce soit en même temps pour eux une continuelle matière de
triomphes, et par conséquent de mérites ; que, tout justes qu'ils sont, ils ne
laissent pas d'être redevables a Dieu par bien des endroits, puisque le plus
juste, comme parle Salomon, tombe jusqu'à sept lois par jour; mais que Dieu
d'ailleurs veut les punir en père et non en juge, et pour cela qu'il les châtie
en ce monde selon sa miséricorde, afin de ne les pas punir en l'autre selon sa
justice. A s'en tenir là, mes chers auditeurs, et sans vouloir pénétrer plus
avant dans les desseins de Dieu, n'est-ce pas assez pour soutenir la foi du
juste; et une seule de ces raisons ne suffit-elle pas pour lui servir de
défense, et le fortifier contre les plus rudes attaques ? Due Dieu donc ordonne
selon qu'il lui plaît, qu'il détruise et qu'il renverse, qu'il abaisse et qu'il
humilie, qu'il frappe à son gré, jamais le juste n'aura que des bénédictions à
lui rendre; et s'il pensait à se plaindre, ce serait bien alors que Dieu
pourrait lui faire le même reproche que fit le Sauveur du monde à saint Pierre
: Modicœ fidei, quare dubitasli ? Homme
aveugle, laissez agir votre Dieu ; il vous aime , et
il sait ce qui vous convient. S'il vous traite maintenant avec rigueur, ce
n'est qu'une rigueur apparente, et tout sensibles que peuvent être les coups
que son bras vous porte, c'est son amour qui le conduit.
Pensées touchantes, et puissants
motifs d'une consolation toute chrétienne ! Dans ce vaste et nombreux
auditoire, il est impossible qu'il ne se rencontre bien de ces âmes chéries de
Dieu, et que Dieu toutefois abandonne aux traverses et aux disgrâces du monde.
Or, c'est à moi de leur faire goûter ces vérités. C'est à moi, mes chers
auditeurs, de vous relever par là de l'abattement où vous jette peut-être
l'état de pauvreté, l'état d'humiliation, l'état de souffrances qui vous
accable, et qui vous rend la vie si ennuyeuse et si pénible. C'est à moi, comme
prédicateur évangélique, de vous taire trouver tout l'appui nécessaire dans
votre foi. Car je ne suis point seulement ici pour vous reprocher vos
infidélités, ni pour vous remplir d'une terreur salutaire des jugements
éternels. Je l'ai fait selon les occurrences, je le fais encore, et je ne puis
assez bénir le ciel de l'attention que vous donnez à mes paroles, ou plutôt à
la parole de Dieu que je vous annonce. Mais l'autre partie de mon devoir est de
vous consoler dans vos peines; et puisque je tiens la place de Jésus-Christ,
qui vous parle par ma bouche, et dont je suis l'ambassadeur et le ministre : Pro
Christo legatione fungimur (1);
c'est à moi de vous dire aujourd'hui ce que ce divin Sauveur disait au peuple :
Venite ad me omnes
qui laboratis et onerati estis , et eqo reficiam vos (2) : Venez, âmes tristes et affligées ;
venez, vous qui gémissez sous le poids de la misère humaine et dans la douleur,
venez à moi. Le monde n'a pour vous que des mépris et des rebuts, et vous en
éprouvez tous les jours l'injustice. Les plus déréglés et les plus vicieux y
font la loi aux plus justes, et c'est ce qui vous flétrit le cœur et qui vous
remplit d'amertume. Mais, encore une fois, venez ; et sans rien changer à votre
condition, je l'adoucirai : Venite, et ego reficiam vos. Je ne suis qu'un homme faible comme vous,
et plus faible que vous;
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mais avec la grâce de mon Dieu,
avec l'onction de sa parole et les maximes de son Evangile, j'ai de quoi vous
rendre inébranlables au milieu des plus violentes secousses. J'ai de quoi
réveiller toute votre foi, et de quoi ranimer toute votre espérance; de quoi
vous apprendre à ne rien désirer de tout ce que le monde a de plus flatteur, et
de quoi vous faire connaître le précieux avantage d'un état où Dieu veille avec
d'autant plus de soin sur vous et d'autant plus d'amour, qu'il semble moins ménager
vos intérêts, et moins vous aimer.
Car, pour reprendre avec ordre et
pour mieux développer ce que je n'ai fait encore que parcourir, et ce qui
demande toutes vos réflexions, puisque ce doit être pour vous comme un trésor
et un fonds inépuisable de patience : je dis que si Dieu traite le juste avec
une sévérité apparente, que s'il l'afflige, c'est pour l'éprouver. Ainsi s'en
explique-t-il en mille endroits de l'Ecriture, où il déclare, en termes
formels, que c'est un des offices de sa Providence, et que, par cette raison,
il laisse tomber ses fléaux sur ceux qui le servent, encore plus que sur les
autres. De sorte que l'affliction dans le texte sacré, est appelée communément
épreuve ou tentation ; et que, suivant le même langage, ce que le Saint-Esprit appelle
tentation n'est autre chose que l'affliction. C'était la belle et solide
réponse que faisait un des plus zélés défenseurs de la loi chrétienne aux
idolâtres et aux infidèles, lorsqu'ils lui reprochaient l'extrême abandon où
l'on voyait le peuple fidèle, et qu'ils prétendaient de là tirer une
conséquence, ou contre le pouvoir, ou contre la miséricorde du Dieu que nous
adorons. Vous vous trompez, leur disait-il : notre
Dieu ne manque ni de moyens, ni de bonté pour nous secourir : Deus ille nos ter, quem colimus; nec
non potest subvenire, nec despicit. Mais que fait-il? Il nous examine chacun en
particulier; et à quoi se réduit cet examen? à nous
priver des biens de la vie, et à nous tenir dans l'adversité : Sed in adversis unumquemque explorat. Ces paroles sont remarquables : Dieu sonde le
cœur de l'homme, il l'interroge ; par où? par les
souffrances et les afflictions : Vitam hominis scitatur. Comme si Dieu disait au juste :
Déclarez-vous, et faites-moi voir ce que vous êtes. Je ne l'ai point encore
bien su jusqu'à présent, et je veux l'apprendre de vous-mêmes. Tandis que vous
avez été heureux sur la terre, et que vous y goûtiez le calme et la paix, vous
me l'avez dit, il est vrai, que vous vouliez être à moi; mais on ne pouvait
guère compter alors sur votre témoignage. Dans cet état de prospérité, vous ne
vous connaissiez pas encore assez bien, et vous ne pouviez juger sûrement à qui
des deux vous étiez, ou à moi, ou à vous-même. Mais maintenant qu'un revers a
troublé toute la douceur de votre vie ; maintenant que vous êtes dans
l'infirmité, dans le besoin, et que tous les maux sont venus, ce semble, vous
assaillir, c'est en cette situation que vous pouvez me donner des assurances de
votre foi, et que je puis faire fond sur votre parole. Si donc je vous vois
persévérer dans mon service, si je vous entends au pied de mon autel me faire
toujours les mêmes protestations d'un attachement inviolable, je vous écouterai
et je vous croirai; car un amour ainsi éprouvé ne doit plus être suspect. A
cela que pouvons-nous répondre, chrétiens auditeurs? Si Dieu ne met pas l'impie
à de pareilles épreuves, de quel sentiment, à la vue de son prétendu bonheur,
devons-nous être touchés ? Est-ce d'une envie, ou n'est-ce pas plutôt d'une
horreur secrète ? puisque si Dieu l'épargne, c'est'
que Dieu ne le juge plus digne de lui, c'est que Dieu ne s'intéresse plus en
quelque sorte à le former pour lui, c'est que Dieu le regarde comme un faux
métal que l'ouvrier abandonne; au lieu qu'il jette l'or dans la fournaise, et
qu'il le fait passer par le feu. De là cette sainte prière que David faisait à
Dieu : Proba me, Domine, et tenta me
(1) ; Ah ! Seigneur, éprouvez-moi, et ne me refusez pas la consolation et
l'inestimable avantage de pouvoir vous montrer qui je suis, et quelles sont
pour vous les véritables dispositions de mon cœur. Mais parce que je ne puis
mieux vous les faire connaître qu'en souffrant, frappez, brûlez, et me
consumez, s'il le faut, de misères et de peines : je consens à tout ; Ure renes meos.
Nous y devons consentir
nous-mêmes, mes Frères, d'autant plus aisément qu'un autre dessein de Dieu sur
le juste affligé est de le purifier de toutes les affections de la terre. En
effet, si les prospérités temporelles étaient attachées à la vertu, nous ne
servirions Dieu que dans cette vue, et par conséquent nous ne l'aimerions pas
pour lui-même. C'est ce que saint Augustin a si bien observé, et sur quoi il
raisonne si solidement, et avec sa subtilité ordinaire. Quand vous voyez,
dit-il, les ennemis de Dieu et les libertins dans l'état d'une riche fortune,
vous y êtes sensibles, et vous vous dites à vous-mêmes : Il y a si longtemps
que je sers Dieu, que j'accomplis ses commandements,
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et que je m'acquitte de tous les
exercices de la religion ! Cependant mon sort est toujours le même, mes
affaires n'en ont pas une meilleure issue, et il semble au contraire que Dieu prenne
à tâche de les arrêter et de les renverser : ceux-ci vivent dans le crime, sans
règle, sans retenue, sans piété, et avec cela ils ne laissent pas de jouir
d'une santé florissante, d'accumuler biens sur biens, d'être honores et
distingués. Mais, reprend ce saint docteur, c'était donc là ce que vous
cherchiez : Talia ergo quaerebas?
C'était donc pour la saute du corps, pour les biens du monde, pour les honneurs
du siècle, que vous vouliez plaire à Dieu? Or, voilà justement pourquoi il
était convenable que Dieu vous en privât, afin que vous apprissiez à l'aimer,
non pour ce qu'il donne aux hommes, mais pour ce qu'il est en lui-même. Car
souvenez-vous, ajoute le même Père, que si vous êtes juste, vous vivez dans
l'état de la grâce et dans l'ordre de la grâce. Comme donc cette grâce est
toute gratuite de la part de Dieu, elle vous engage à aimer Dieu d'un amour
gratuit : Si ideo gratiam
tibi dedit Deus, quia
gratis dedit, gratis ama
; et vous ne devez point l'aimer pour une autre récompense que lui-même,
puisqu'il veut être lui-même toute votre récompense : Noli ad prœmium diligere Deum, quia ipse est prœmium tuum. Les biens de la terre rendraient votre amour
mercenaire; et si vous vous plaignez quand Dieu vous les refuse ou qu'il vous
les enlève, vous faites voir par là que ces biens vous sont plus chers que Dieu
même, et par conséquent que vous ne méritez pas de le posséder.
Biens tellement contagieux,
qu'ils peuvent pervertir les plus justes, et que souvent ils les ont précipités
dans l'abîme le plus affreux et dans une corruption entière. Les exemples n'en
ont été que trop éclatants et que trop fréquents, mais, par un trait encore
tout nouveau de providence et de miséricorde à l'égard de ses élus, comment
Dieu les garantit-il de ce danger? Par une pauvreté qui leur sert de
préservatif contre la contagion des richesses temporelles, par une obscurité
qui leur tient lieu de sauvegarde contre la contagion des grandeurs
périssables, par une langueur et une maladie qui les met a couvert de la contagion
des plaisirs sensuels et des flatteuses illusions de la chair. Le juste, il est
vrai, peut maintenant ne pas vote a quoi il se trouvait exposé, lui, dis-je, en
particulier, plus que bien d'autres, si Dieu n'eût usé pour lui d'une telle
précaution. Mais ce qu'il ne voit pas à présent, il le verra à la fin des
siècles et au grand jour de la révélation. Car c'est là que Dieu l'attend;
c'est là que Dieu se réserve à lui mettre devant les yeux toutes les injustices
où l'eût emporté une avare et insatiable convoitise, tous les projets
criminels, et toutes les intrigues où l'eût engagé une ambition démesurée et
sans bornes ; tous les excès, toutes les habitudes et les abominations où l'eût
plongé une passion aveugle et une brutale volupté, si le frein de L'affliction
ne l'eût retenu, et si les disgrâces de la vie n'eussent empêché le feu de
s'allumer dans son cœur. Et, par une suite immanquable, c'est là qu'éclairé
d'une lumière divine, et découvrant les salutaires et favorables secrets de la
sagesse éternelle qui l'a conduit, il bénira Dieu mille fois de ce qui semblait
devoir exciter contre Dieu tous ses murmures ; il regardera comme un coup de
prédestination de la part de Dieu, comme une grâce de Dieu, et une des grâces
les plus précieuses, ce que le monde regardait comme un délaissement total et
comme une espèce de réprobation.
Cependant, parce qu'il ne suffit
pas de s'éloigner du monde et de l'occasion du péché, si ce n'est afin de
s'attacher à Dieu, je vais plus loin; et peu à peu, développant le bienfait du
Seigneur, et tout ce que je puis découvrir des desseins de sa providence,
j'ajoute et je prétends qu'il ne fait souffrir ses élus que pour les attirer à
lui, que pour les mettre dans une heureuse nécessité de recourir à lui, de se
confier en lui, de ne se tourner que vers lui : car il y a, selon saint
Bernard, quatre sortes de prédestinés : les uns emportent le royaume du ciel
par violence, et ce sont les pauvres volontaires, qui d'eux-mêmes quittent tout
et renoncent à tout ; les autres trafiquent en quelque manière pour l'acheter,
et ce sont ces riches qui, comme parle l'Evangile, se font, par leurs aumônes,
des intercesseurs auprès de Dieu, et des amis qui les doivent un jour recevoir
dans les tabernacles éternels ; d'autres, pour ainsi dire, semblent vouloir le
dérober : et qui sont-ils? ce sont ces humbles de
cœur, qui fuient la lumière, non par un respect humain, mais par un saint désir
de l'abjection, et qui, dans une vie retirée, cachent aux yeux des hommes
toutes les bonnes œuvres qu'ils pratiquent; enfin, plusieurs n'y entrent que
parce qu'ils y sont forcés; et voilà ces justes qui ne se sont déterminés à
chercher Dieu, que parce que Dieu n'a pas permis qu'ils trouvassent rien
ailleurs qui les arrêtât. Si le monde
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eût été, à leur égard, ce qu'il est à l'égard de tant de
mondains; c'est-à-dire si le monde les eût flattés, les eût idolâtrés, n'eût eu
pour eux que des distinctions, que des respects, que des agréments, ah!
Seigneur, auraient-ils jamais pensé à vous? Comme ce peuple charnel que vous
aviez formé avec tant de soin et engraissé du suc de la terre, ils auraient
oublié leur créateur et leur bienfaiteur; ils ne se seraient plus souvenus que
vous étiez leur Dieu, et tout leur encens eût monté vers d'autres autels que
les vôtres : Incrassatus, impinguatus, dilatatus dereliquit Deum factorem suum (1). Mais parce que vous avez appesanti sur eux
votre bras, parce qu'en leur faveur vous avez rempli le monde d'épines qui les
ont piqués, de chagrins qui les ont désolés, d'accidents et de malheurs qui les
ont obligés à disparaître et à ne plus sortir de leur retraite; en leur donnant
la mort, vous leur avez donné la vie, et les perdant en apparence, vous les
avez sauvés : ils n'ont point trouvé d'autre ressource que vous, et c'est pour
cela qu'ils sont venus à vous; ils se sont jetés dans votre sein comme dans
leur asile, et vous les y avez reçus; vous les y tenez en assurance, et vous
les y conservez : Cum occideret eos, revertebantur, et diluculo veniebant ad eum (2).
Ce n'est pas qu'ils n'aient toujours bien des combats à
soutenir; et c'est aussi ce que Dieu prétend : pourquoi ? parce
que ce sont ces combats, répond saint Ambroise, qui font leur mérite : sans
combat, point de victoire a remporter; et sans victoire, point de couronne à
espérer. Vous vous étonnez, continue ce Père, que
Dieu exerce ainsi ses plus fidèles serviteurs , et
qu'il laisse au contraire les plus grands pécheurs dans une paix profonde ;
vous voulez savoir la raison de cette différence. Elle est essentielle et très-naturelle : c'est que Dieu ne couronne que les
vainqueurs, et qu'il veut couronner ses élus, d'où il s'ensuit, par une
conséquence nécessaire, qu'il doit donc leur fournir des sujets de triomphe.
Mais la couronne n'étant point réservée aux pécheurs, il les laisse, par une
conduite tout opposée, sans leur donner ni à combattre ni à vaincre. Il en use
comme les princes de la terre, ou plutôt les princes de la terre en usent
eux-mêmes comme lui, et nous n'en sommes point surpris. Nous ne croyons pas
qu'ils abandonnent ceux qu'ils destinent à certaines dignités, quand, pour les
mettre en état de s'avancer, ils les chargent de tant de soins, ou qu'ils les
exposent à tant de périls. Ce
n'est, dans l'estime du monde, ni indifférence ni rigueur pour eux ; c'est
faveur et grâce.
Que dirai-je encore? et supposons même que ce soit, à l'égard des justes, rigueur
de la part de Dieu, ne sera-ce pas toujours une rigueur paternelle et toute
miséricordieuse ? Voici ma pensée. Il n'est point d'homme de bien, quelque
juste qu'il puisse être, qui n'ait ses chutes à réparer et ses infidélités à
expier. Le plus innocent et le plus juste, selon l'idée que nous en devons
avoir dans la vie présente, n'est pas celui qui n'a jamais péché et qui ne
pèche jamais : où est-il maintenant, et où le trouve-t-on? mais celui qui a
moins péché, et qui pèche moins ; celui qui a plus légèrement péché, et qui
pèche encore plus rarement ; celui qui s'est relevé , et qui se relève plus
promptement de son péché. Quel qu'il soit, il est comptable à Dieu de bien des
dettes, et il faut indispensablement qu'il les acquitte. Mais quand les
acquittera-t-il? Si c'est après la mort, quel jugement aura-t-il à subir et quel
châtiment ! 11 vaut donc mieux pour lui que ce soit pendant la vie et par les
peines de la vie. Or, voilà le temps en effet que Dieu choisit, voilà le moyen
qu'il emploie pour le châtier. C'est ce que saint Jérôme écrivait à l'illustre
Paule, et c'était ainsi qu'il la consolait dans les pertes qu'elle avait
laites, et dans la sensible douleur qu'elles lui causaient. Pourquoi tant de
larmes, lui remontrait-il, et tant de regrets ? Choisissez, et tenez-vous en,
pour vous soutenir, à l'une de ces deux réflexions : ou par le bon témoignage
de votre conscience, et sans blesser les sentiments de l'humilité chrétienne ,
vous vous considérez comme juste, et alors votre consolation doit être que Dieu
perfectionne votre vertu, qu'il la met en œuvre et lui fait sans cesse acquérir
de nouveaux degrés : ou le souvenir de vos chutes, et la connaissance de vos
faiblesses, vous porte à vous regarder comme criminelle ; et dans cette vue
vous devez, pour soulager votre peine et pour vous la rendre non-seulement supportable, mais aimable, penser que Dieu
vous corrige, et qu'il vous donne de quoi le satisfaire à peu de frais : Elige : aut sancta es, et probaris; aut peccatrix, et emendaris. Mais que ne corrige-t-il ce libertin ! Ah ! mon cher auditeur, contentez-vous que votre Dieu vous aime,
et ne l'obligez point à vous rendre compte de la terrible justice qu'il exerce
sur les autres. Je vous l'ai déjà dit tant de fois, et je ne puis trop vous le
faire entendre : Dieu se venge d'autant plus
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rigoureusement, qu'il diffère plus
ses vengeances; et malheur à ces riches du siècle, à ces puissants du siècle, à
ces superbes et à ces orgueilleux du siècle, qu'il engraisse comme des victimes
pour le jour de sa colère! c'est l'expression de Tertullien
: Quasi victimœ ad supplicium
saginantur.
Arrêtons-nous là; et pour
conclusion de cette première partie, raisonnons, s'il vous plaît, un moment
ensemble. Voilà donc, par cela seul que je viens de vous représenter, la
Providence justifiée sur le partage qu'elle fait des prospérités et des
adversités temporelles entre les Justes et les pécheurs. Car, cette
justification doit se réduire à deux points : l'un, que Dieu, dès cette vie,
prenne soin de ses élus ; l'autre, que, dès cette vie même, il se tourne contre
les pécheurs, et qu'il laisse agir contre eux sa justice. Or, éprouver ses
élus, purifier ses élus, préserver ses élus, se les attacher d'un nœud plus
étroit, leur faire amasser mérites sur mérites,
pour les faire monter à un plus haut point île gloire, et lever par de
légères satisfactions le seul obstacle qui pourrait retarder leur bonheur, ne
sont-ce pas là les soins salutaires d'une miséricorde également sage et
bienfaisante? Mais par une règle toute contraire, livrer les pécheurs à
eux-mêmes et à leurs passions ; ne peint troubler un repos mortel, où ils
demeurent tranquillement endormis ; ne répandre jamais l'amertume sur de fausses douceurs qui les corrompent, les
laisser dans une élévation qui les enfle, dans un éclat qui les éblouit, dans
une abondance qui leur inspire la mollesse, dans une vie voluptueuse qui les
entretient en toutes sortes de désordres, dans un oubli du salut et dans un
état d'impénitence qui les conduit à une mort réprouvée, ne sont-ce pas là les
coups redoutables dîme justice d'autant plus à craindre qu'elle se tait moins
connaître? Ce qui nous trompe, c'est que nous ne jugeons des choses que par
rapport au temps où nous sommes, et qui passe ; mais que Dieu en juge par rapport à
l'éternité où nous nous trouverons un jour, et qui ne passera jamais. Or, de
ces deux règles, quelle est la meilleure et la plus
avantageuse ? J'en conviens, dit saint Augustin : selon la première, le,
pécheur a droit, ce semble, d'insulter au juste et de lui demander : Où est
votre Dieu : Ubi est Deus tuus (1)? Mais selon l'autre, qui des deux est sans
contredit la plus droite et l'unique même qu'il y ait à suivre, le juste peut
bien répondre aux insultes du pécheur :
Mon heure n'est pas encore venue, ni la vôtre; attendons,
l'une et l'autre viendra, et c'est alors que je vous demanderai : Où sont ces
dieux que vous adoriez, et en qui vous mettiez toute votre confiance? où est cette félicité dont le goût vous enchantait, et dont
vous étiez idolâtre? que ne la rappelez-vous, pour
vous retirer de l'éternelle misère où vous êtes tombé ? Ubi
sunt dii eorum, in quibus habebant fiduciam (1) ?
Ainsi, mon cher auditeur, ce qui
vous reste, c'est d'entrer dans les vues de votre Dieu, qui vous afflige, et de
seconder, par votre patience ses desseins ; et le regret le plus vif qui doit
présentement vous toucher, c'est peut-être de n'avoir point encore profité d'un
talent que vous pouviez faire valoir au centuple ; c'est d'avoir trop écouté
les sentiments d'une défiance toute naturelle, et de les avoir fait éclater par
des plaintes si injurieuses à la providence du Maître qui veille sur vous ;
c'est d'avoir trop prêté l'oreille aux discours séducteurs du monde touchant
votre infortune et le malheur apparent de votre condition; c'est d'avoir trop
cherché à exciter la compassion des hommes, pour en recevoir de vains
soulagements, lorsque vous deviez vous regarder comme un sujet digne d'envie,
et ne mettre votre appui que dans la foi ; c'est de n'avoir point assez compris
la vérité de ces grandes maximes de l'Evangile, que bienheureux sont les
pauvres, parce que le royaume céleste leur appartient; que bienheureux sont
ceux qui soutirent persécution sur la terre, et qui pleurent,
parce qu'ils seront éternellement consolés dans le ciel. Mais, Seigneur, me
voici désormais instruit, et j'en sais plus qu'il ne faut pour éclaircir tous
mes doutes et pour arrêter toutes les inquiétudes de mon esprit. De tant de
raisons, une seule devait suffire ; et même, sans tant de raisons, n'était-ce
pas assez de savoir que, quoi qu'il m'arrive, c'est vous qui l'avez voulu?
Ordonnez, mon Dieu, comme il vous plaira, et faites de moi tout ce qu'il vous
plaira. Que l'impie à son gré domine le juste, qu'il le foule sous les pieds,
et que je sois le plus maltraité de tous, je ne m'écrierai point, comme ces
apôtres éperdus : Domine, salva nos, perimus; Aidez-nous, Seigneur, nous voilà sur le point
de périr : mais, me reposant sur votre infinie sagesse et votre souveraine
miséricorde, je vous dirai, avec un de vos plus fidèles prophètes : In te,
Domine, speravi : non confundar
(2); C'est en vous, mon
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Dieu, que j'espère ; mon espérance ne sera point trompée;
car je suis certain que tout ira bien pour moi, tant que je me confierai en
vous, et que, dans cette conduite de votre providence, qui paraît si
surprenante aux hommes, il n'y a rien, non-seulement
qui doive ébranler leur foi, mais qui ne la doive confirmer. C'est la seconde
partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Oui, Chrétiens, s'il y a un motif
capable de me confirmer dans la foi et d'affermir mon espérance, c'est de voir
que les impies s'élèvent et qu'ils prospèrent dans le monde, pendant que les
Justes sont dans l'abaissement et dans l'adversité. Cette proposition vous
paraît d'abord un paradoxe, mais je vais l'examiner avec vous, et bientôt vous
en découvrirez avec moi l'incontestable vérité. Nous la trouverons fondée sur
les principes les plus solides et même les plus évidents de la raison
naturelle, de l'expérience, de la religion. Appliquez-vous à ceci : j'ose dire
que c'est le point essentiel d'où dépend toute la morale chrétienne. En effet,
de voir les calamités des justes sur la terre et la prospérité des pécheurs (ce
qui nous semble un désordre), c'est un des arguments les plus forts et les plus
sensibles pour nous convaincre qu'il y a une autre vie que celle-ci, et que nos
âmes ne meurent point avec nos corps ; qu'il y a une récompense, une gloire, un
salut à espérer après la mort; que toutes nos prétentions ne sont point bornées
à la condition présente où nous sommes et que Dieu nous réserve à quelque chose
de meilleur et de plus grand : voilà le principe de la raison. Je dis plus ;
c'est ce qui nous montre que Jésus-Christ notre Maître, en qui nous nous confions,
est fidèle dans sa parole, que ses prédictions sont vraies, qu'il ne nous a
point trompés, et que nous pouvons compter avec assurance sur ses promesses,
puisqu'elles ont déjà leur accomplissement : voilà le principe de l'expérience.
Enfin, c'est ce qui se justifie, parce que rien n'est plus conforme à l'ordre
établi de Dieu dans la prédestination des hommes, que les souffrances des
justes et les avantages temporels des pécheurs : voilà le principe de la
religion. Or, je vous demande si ce ne sont pas là trois considérations bien
puissantes pour soutenir notre confiance? Je sais qu'il y a une vie future où
je suis appelé, une vie bienheureuse qui m'est destinée, et ma raison me le
fait connaître. Je sais que tout ce que le Fils de Dieu a prédit devoir
arriver, soit aux justes, soit aux pécheurs, est certain ; par conséquent je
puis faire fond sur tout ce qu'il m'a promis, et j'en ai déjà la preuve dans ma
propre expérience. Je sais et je reconnais visiblement que la prédestination
des hommes, de la manière que Dieu la conçue et l'a dû concevoir, que tout ce
qu'il a réglé et ordonné sur cela, commence à s'exécuter. Dès qu'on est
instruit de ces trois choses, y a-t-il une foi assez .faible et si chancelante
qui ne se fortifie, qui ne se réveille, qui ne se ranime tout entière? Or
voilà, je le répète, ce qui s'ensuit évidemment de l'état de peine et d'affliction
où nous voyons les justes, tandis que les pécheurs vivent
dans l'opulence et dans le plaisir. Reprenons, et mettons dans leur jour ces
trois pensées.
Il n'y a point de libertin, soit
de mœurs, soit de créance, qui ne cessât de l'être, s'il était persuadé qu'il y
a une autre vie. Ce qui fait son libertinage, c'est qu'il ne croit pas ou qu'il
ne croit qu'à demi, qu'il y ait quelque chose de réel et de vrai en tout ce
qu'on lui dit de cette vie future, où nous aspirons comme au terme de notre
course et à l'objet de notre espérance. Quoi qu'il en puisse penser (car ce
n'est point à lui présentement que je m'adresse, ni pour lui que je parle), moi
qui crois un Dieu créateur de l'univers, voici, pour me rassurer, et pour
entretenir toujours dans mon cœur les sentiments d'une foi vive et d'une ferme
confiance, comment je me sers de cette étrange diversité de conditions où se
trouvent les gens de bien et les impies. Je me dis en moi-même : Le parti de la
vertu est communément opprimé dans le monde ; celui du vice y est dominant et
triomphant : on y voit des justes dépouillés de tout et misérables, des amis de
Dieu persécutés, des saints méprisés et abandonnés. Que dois-je conclure de là?
qu'il y a donc pour le juste, après la vie présente,
d'autres biens à espérer que ces biens visibles et périssables qui lui sont
refusés. C'est ce que les Pères de l'Eglise ont toujours conclu, et c'est la
plus grande preuve qu'ils ont toujours employée contre ces hérétiques, qui,
prévenus de la connaissance de Dieu, voulaient néanmoins douter de
l'immortalité de nos âmes. Lisez, sur cette matière, l'excellent traité de
Guillaume de Paris; ou plutôt écoutez-en le précis, que je fais en peu de
paroles. Après bien d'autres raisonnements tirés de la nature de l'homme, il en
revient toujours à celui-ci, comme au plus pressant et au plus convaincant.
Vous convenez avec moi, dit-il, de l'existence d'un premier être, vous
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reconnaissez un Dieu ; mais,
répondez-moi : Ce Dieu aime-t-il ceux qui le servent et qui tâchent à lui
plaire? S'il ne les aime pas, et qu'il ne s'intéresse point pour eux, où est sa sagesse et sa bonté? s'il
les aime, quand le fait-il paraître? ce n'est pas dans
cette vie, puisqu'il les y laisse dans l'affliction ; ce n'est pas dans l'autre
vie, puisque vous prétendez qu'il n'y en a point.. Cherchez, ajoute ce saint évêque
; ayez recours à toutes les subtilités que votre esprit peut imaginer; vous ne
satisferez jamais à cette difficulté, qu'en avouant l'âme immortelle, et
confessant avec moi qu'après la mort il y a un état de vie, où Dieu doit
récompenser chacun selon ses mérites : car ce Dieu devant être, comme Dieu,
pillait dans toutes ses qualités, il doit avoir une parfaite justice. Or, une justice parfaite
doit nécessairement portera un jugement parfait. Ce ingénient parfait ne
s'accomplit pas en ce monde, puisque les plus impies y sont quelquefois les
plus heureux. Il faut donc qu'il s'accomplisse en l'autre, et par conséquent
qu'il y ait un autre siècle à venir, qui est celui que nous attendons. Sans
cela, poursuit le même Père, on pourrait dire que les justes seraient des
insensés, et que les impies seraient les vrais sages: pourquoi? parce que les impies chercheraient les véritables et solides
biens, en s'attachant à la vie présente; au lieu que les justes souffriraient
beaucoup, et se consumeraient de travaux, dans L'attente d'un bien imaginaire.
Voyez-vous, Chrétiens, comment ce savant évêque tirait des adversités des
justes une raison invincible pour établir la foi d'une vie et d'une béatitude
éternelle?
C'est aussi ce que prétendait
saint Augustin dans l'exposition du psaume quatre-vingt-onzième, lorsque,
parlant à un chrétien troublé de la vue de ses misères et du renversement qui
parait dans la conduite du monde, il allègue cette même raison, pour lui
inspirer une force à l'épreuve des événements les plus fâcheux. Voulez-vous
avoir, dit-il, toute la longanimité des saints? considérez
l'éternité de Dieu. Alors les plus tristes accidents, bien loin de vous
abattre, seront pour vous autant de motifs d'une foi et d'une espérance plus
constante que jamais. Car, quand vous vous troublez parce que la vertu est
maltraitée sur la terre et que le vice y est honoré, vous raisonnez sur un faux
principe, et vous êtes dans l'erreur. Vous n'avez égard qu'à ce petit nombre de
jours dont votre vie est composée, comme si dans ce peu de jours tous les
desseins de Dieu devaient s'accomplir sur les hommes : Attendis ad dies tuos paucos, et diebus tuis paucis
vis impleri omnia.
C'est-à-dire, que vous voudriez voir dès maintenant tous les justes couronnés et
récompensés, et les impies frappés de tous les fléaux de la justice divine; que
vous voudriez que Dieu ne différât point, et que l'un et l'autre s'exécutât dans la brièveté de vos années. Mais c'est ce que
vous ne devez pas demander. Dieu fera l'un et l'autre en son temps, quoiqu'il
ne le fasse pas dans le vôtre. Le temps de Dieu, c'est l'éternité ; et le
vôtre, c'est cette vie mortelle. Votre temps est court, mais le temps de Dieu
est infini. Or, Dieu n'est pas obligé de faire toutes choses dans votre temps ;
c'est assez qu'il les fasse dans le sien : Implebit
Deus in tempore suo. Et
c'est pourquoi je vous dis que si vous voulez vous affermir dans votre foi et
soutenir votre espérance, vous n'avez qu'à vous remettre sans cesse dans
l'esprit l'éternité de Dieu. Comment cela? parce que ,
témoin de l'injustice apparente avec laquelle Dieu semble traiter les hommes
sur la terre, se montrant si rigoureux pour ses amis et si favorable à ses
ennemis, vous tirerez cette conséquence , qu'il prépare donc aux uns et aux
autres une éternité où il leur rendra toute la justice qui leur est due,
puisqu'il la rend si peu dans le temps. Tout ceci est de saint Augustin , et ce sont ses propres paroles que je rapporte.
C'est cette même vue d'une
éternité qui a rendu les saints invincibles dans les plus violentes tentations.
Quand est-ce que Job parlait de la vie future et immortelle avec une certitude
plus absolue et une foi plus vive? Ce fut lorsqu'il se trouva sans biens, sans maison , sans famille , privé de tout secours , et réduit
sur le fumier. Scio quod Redemptor meus vivit (1) :
Oui, je sais, disait-il, que mon Rédempteur est vivant, et que moi-même je
vivrai éternellement avec lui. Je n'en ai pas seulement une révélation obscure,
mais une espèce d'évidence : Scio. Et d'où
l'apprenait-il? demande saint Grégoire, pape; de ses souffrances mêmes et de
toutes les calamités dont il était affligé. Quand est-ce que David eut une
connaissance plus claire et plus distincte des biens éternels
, et qu'il s'en expliqua comme s'il eût eu devant les yeux le ciel
ouvert : Credo videre bona
Domini in terra viventium
(2) ? Ce fut dans le temps que Saül le persécutait avec plus de fureur. Ah! s'écriait-il, je crois déjà voir la gloire que Dieu destine
à ses élus, et il me semble
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qu'elle se découvre à moi avec tout
son éclat. Mais, divin prophète, comment la voyez-vous? les
afflictions, les maux vous assiègent de toutes parts, et vous prétendez
apercevoir au milieu de tout cela les biens du Seigneur? Mais c'est en cela même,
répond saint Jean Chrysostome, c'est dans les maux dont il était assiégé, qu'il
trouvait des gages certains qui l'assuraient, pour une autre vie, de la
possession des biens du Seigneur. Car sa raison seule lui dictait au fond de
l'âme que les maux qu'il avait à souffrir de la part de Saül étant contre toute
justice, il était de la providence de Dieu qu'il y eût dans l'avenir un autre
état où son innocence fût reconnue et sa patience glorifiée ; et voilà ce qu'il
entendait, et ce qu'il voulait faire entendre, quand il disait : Credo videre bona Domini
in terra viventium.
Nous avons encore, Chrétiens,
quelque chose de plus : ce sont les prédictions de Jésus-Christ, dont notre
propre expérience nous fait voir l'accomplissement dans
les souffrances des justes et dans la prospérité des pécheurs.
Ceci n'est pas moins digne de vos réflexions. Si le Fils de Dieu avait dit dans
l'Evangile que ceux qui s'attacheraient à le suivre et qui marcheraient après
lui, seraient exempts en ce monde de toute peine, à couvert de toute disgrâce,
comblés de richesses, toujours dans le plaisir, et qu'il n'y aurait de chagrins
et de traverses que pour les impies : alors, je l'avoue , notre foi pourrait
s'affaiblir à la vue de l'homme de bien dans l'indigence, l'humiliation , la
douleur, et du libertin dans la fortune, l'autorité, l'élévation. Il me serait
difficile de résister aux sentiments de défiance qui naîtraient dans mon cœur :
pourquoi? parce que je me croirais trompé par
Jésus-Christ même, et que j'éprouverais tout le contraire de ce qu'il m'aurait
promis. Mais quand je consulte les sacrés oracles sortis de la bouche de ce
Dieu Sauveur, et que je les vois accomplis de point en point dans la conduite
de la Providence ; quand j'entends ce Sauveur adorable dire clairement et sans
équivoque à ses disciples : Le monde se réjouira, et vous serez dans la
tristesse : Mundas gaudebit, vos autem contristabimini (1) ;
quand je l'entends leur déclarer, dans les termes les plus exprès, qu'ils
seront en butte aux persécutions des hommes ; leur faire le détail des croix
qu'ils auront à porter, des mauvais traitements qu'ils auront à essuyer; leur
marquer là-dessus toutes les circonstances , et conclure en les avertissant, que
s'il leur annonce par
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avance toutes ces choses, c'est afin qu'ils n'en soient
point surpris ni scandalisés lorsqu'elles arriveront : Hœc
locutus sum vobis ut non scandalizemini (1)
; et afin qu'ils se souviennent qu'il les leur avait prédites : Ut cum venerit hora, eorum
reminiscamini , quia ego dixi
vobis (2); quand, dis-je, tout cela se présente à
mon esprit, et que tout cela s'exécute à mes yeux; que j'en suis instruit par
moi-même, et que j'en ai les exemples les plus sensibles et les plus présents,
est-il possible que ma confiance ne redouble pas, et qu'elle ne tire pas de là
un accroissement tout nouveau? Si je voyais tous les pécheurs dans l'infortune,
et tous les justes dans le bonheur humain , c'est ce
qui m'étonnerait, parce que je ne verrais pas la parole de Jésus-Christ
vérifiée. Mais tandis que les gens de bien souffriront et que les impies auront
tous les avantages du siècle, je ne craindrai rien, je me consolerai, je me
soutiendrai dans mon espérance. Car voici comment je pourrai raisonner. Le même
Fils de Dieu qui a dit aux justes : Vous serez dans l'affliction
, leur a dit aussi : Votre tristesse se changera en joie : Tristitia vestra vertetur in gaudium (3). Le
même qui leur a prédit leurs peines et leurs adversités s'est engagé à leur
donner son royaume , et dans ce royaume céleste une
félicité parfaite. Or, il n'est pas moins infaillible dans l'un que dans
l'autre ; pas moins vrai quand il annonce le bien que lorsqu'il annonce le mal,
puisqu'il est toujours la vérité éternelle. Comme donc l'événement a justifié
et justifie sans cesse ce qu'il a prévu des afflictions de ses élus, il en sera
de même de la gloire qu'il leur fait espérer. De là je prends le sentiment du
grand apôtre, et je dis avec lui : Je souffre, mais je souffre sans me
plaindre, et je n'en suis point déconcerté, ni inquiet ; car je sais en qui je
me confie, et sur la parole de qui je me repose. Je le sais, et je suis
certain, non-seulement qu'il peut faire pour moi tout
ce qu'il m'a promis, mais qu'il le veut et qu'il le fera, puisqu'il me l'a
promis, et à tous ceux qui se disposent, dans le silence et la soumission, au
jour bienheureux où il viendra reconnaître ses prédestinés et remplir leur
attente.
Est-ce tout? non,
mes chers auditeurs; mais je finis par un point qui me paraît, et qui doit vous
paraître comme à moi, le plus essentiel. Car dans cette assemblée je m'adresse
à celui de tous que Dieu connaît le plus juste, et que Dieu toutefois a moins
pourvu de ses dons temporels. Qu'il m'écoute, et qu'il me
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comprenne : c'est à lui que je
parle. Il est vrai, mon cher Frère, et je ne puis l'ignorer, votre sort parmi les
hommes est triste et fâcheux; mais par là, si je puis m'exprimer de la sorte,
à quel sceau vous trouvez-vous marqué? à celui que
doivent porter les élus, à celui qui les distingue comme élus, en un mot, à
celui du Fils unique de Dieu, le chef et l'exemplaire des élus. Tellement que
vous entrez ainsi dans l’ordre de votre prédestination, et que Dieu commence à
exécuter le décret qu'il en a formé. Je m'explique, et je vais mieux vous faire
entendre ce mystère de salut. On vous l'a dit cent fois après l'Apôtre, et
c'est un principe de notre foi, que Jésus-Christ étant le modèle des
prédestinés, il faut pour être glorifié comme lui, avoir une sainte
ressemblance avec lui. Car, selon l'excellente et sublime théologie du Docteur
des nations, telle est l'indispensable condition que Dieu demande, pour faire
part de sa gloire à ses élus, et c'est ainsi qu'il les a choisis : Quos prœscivit et prœdestinavit conformes fieri imaginis Filii sui (1). Or il
est évident que Jésus-Christ a vécu sur la terre dans le même état où Dieu
permet que le juste soit réduit, qu'il a marché dans la même voie, qu'il a été
exposé aux mêmes rebuts, aux mêmes mépris, aux mêmes contradictions. 0 profondeur des conseils de la divine sagesse! Tibère régnait
en souverain sur le trône, et le Fils de Dieu obéissait à ses ordres. Pilate
était revêtu de la suprême autorité, et le Fils de Dieu comparaissait devant
lui. Voilà comment Dieu opérait par Jésus-Christ le salut des hommes; et voilà,
mon cher auditeur, comment il opère, ou comment il consomme le vôtre par
vous-même. Il vous imprime les caractères de son Fils, il grave dans vous ses
traits et son image. Sans cela tout serait à craindre pour vous; mais avec
cela que ne pouvez-vous point espérer, puisque c'est l'exécution des favorables
desseins de Dieu sur votre personne? Quos prœscivit et prœdestinavit
conformes fieri imaginis Filii sui.
Vous me direz : On a vu et l'on
voit encore des gens de bien , riches et opulents,
honorés et distingués dans le monde. J'en conviens, mais sur cela je réponds
trois choses. En effet, s'il n'y avait de justes et d'élus que les pauvres et
les petits , que ceux qui, par l'obscurité de leur
condition ou par le désordre de leurs affaires, occupent les derniers rangs,
les autres états seraient donc exclus du royaume de Dieu? ce
serait donc par eux-mêmes des états réprouvés?
il y faudrait donc nécessairement
renoncer? Or, il était néanmoins de la Providence d'établir dans la société des
hommes ces états, et il est toujours delà même Providence de les y maintenir.
D'où il s'ensuit que Dieu n'a donc pas dû y attacher une damnation inévitable ;
et qu'au contraire il devait y faire paraître des exemples de sainteté , afin de ne pas jeter dans un désespoir absolu
tous ceux qui s'y trouveraient engagés. Je vais plus loin, et j'ajoute que si
les saints se sont vus quelquefois dans l'état d'une prospérité humaine, c'est
ce qui les faisait trembler, que c'est ce qui les entretenait dans une défiance
continuelle d'eux-mêmes, que c'est ce qui les humiliait, ce qui les confondait
devant Dieu : pourquoi? parce que, ne reconnaissant
point dans leur prospérité l'image de Jésus-Christ souffrant, ils craignaient
que Dieu ne les eût rejetés, et de ne régner jamais avec Jésus-Christ glorieux
et triomphant. De là, pour suppléer à ce qui leur manquait, et pour acquérir
cette conformité si nécessaire, que faisaient-ils? observez-le
bien : c'est ce que j'ai en dernier lieu à répondre. Ils ne quittaient pas pour
cela leur condition, parce qu'ils s'y croyaient appelés, et qu'ils voulaient
obéir à Dieu ; mais sous les dehors spécieux d'une condition aisée et commode,
ils conservaient toute l'abnégation chrétienne, et portaient sur leur corps
toute la mortification de leur Sauveur. Sans renoncer à leur état, ni à certain
extérieur de leur état, ils renonçaient à ses douceurs, et surtout ils se
renonçaient eux-mêmes. Au milieu de l'abondance , ils
savaient bien ressentir les incommodités de la pauvreté ; au milieu des
honneurs, ils trouvaient bien des moyens pour se contenir dans les sentiments
et s'exercer dans les actes d'une profonde humilité ; au milieu des
divertissements mondains, où quelquefois ils semblaient avoir part, ils
n'oubliaient pas les devoirs de la pénitence, et là même souvent la
pratiquaient-ils dans toute son austérité. Tout cela, afin d'être du nombre de
ceux dont l'Apôtre a dit : Quos prœscivit et prœdestinavit
conformes fieri imaginis Filii sui.
Vous me direz encore qu'on a vu
des pécheurs et qu'on en voit dans les mêmes adversités que les justes, et
aussi affligés qu'eux. Il est vrai ; mais sans examiner toutes les raisons
pourquoi Dieu ne veut pas, ni ne doit pas vouloir que le vice prospère
toujours, je me contenterai d'une réponse que j'ai à vous faire, et qui servira
de preuve à l'importante vérité que je vous prêche. C'est que pour ces pécheurs
sujets comme les justes aux revers et aux
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disgrâces de la vie, une des plus précieuses et des plus
sensibles marques, selon la doctrine de tous les Pères, que Dieu ne lésa pas
entièrement abandonnés, ce sont leurs souffrances mêmes et leurs peines; que le
plus grand de tous les malheurs pour eux, ce serait d'être ménagés, d'être
flattés, de n'être jamais traversés dans le crime; que la dernière ressource
qui leur reste pour rentrer dans la voie du salut et pour être reçus dans le
sein de la miséricorde, est que Dieu à présent les châtie, qu'en les châtiant
il les corrige, qu'en les corrigeant il les réforme, et que ce renouvellement
et cette réformation de mœurs retrace dans eux l'image de son Fils, qu'ils y
avaient effacée. De sorte qu'il en faut toujours revenir à la parole du Maître
des Gentils : Quos prœscivit
et prœdestinavit conformes fieri
imaginis Filii sui.
Plaise au ciel, mes chers
auditeurs, que vous ayez bien compris ce mystère de grâce et de sanctification
que j'avais à développer; que dans les coups dont Dieu vous frappe, vous
reconnaissiez l'amour qui l'intéresse pour vous ; que le juste ranime son
espérance, et qu'il se soutienne par sa patience; que le pécheur ébloui du vain
éclat qui l'environne, et enivré d'une trompeuse félicité qui le séduit, se
détrompe enfin des idées qu'il en avait conçues, et que désormais il en détache
son cœur, pour l'attacher à des biens plus solides! Vous cependant, ô mon Dieu,
ne changez rien à l'ordre des choses que votre providence a réglées; agissez
selon vos vues, et non selon les nôtres. Vos vues sont infinies, et les nôtres
sont bornées ; vos vues sont toutes pures , et les
nôtres sont toutes terrestres; vos vues ne tendent qu'à nous sauver, et les
nôtres ne tendent qu'à nous perdre. Si la nature se révolte, si les sens
murmurent, ah! Seigneur, n'accordez ni à la nature indocile, ni aux sens
aveugles et charnels, ce qu'ils demandent. Ne nous livrez pas à nos désirs, et
ne nous écoutez pas, comme vous écoutiez autrefois dans votre colère le peuple
juif. Mais suivez toujours vos adorables desseins ; et quoi qu'il nous en doive
coûter, exécutez-les pour votre gloire et pour notre bonheur éternel, etc.