SERMON POUR LE DIMANCHE DANS L'OCTAVE DE L'ASCENSION.
SUR LE ZÈLE POUR LA DÉFENSE DES INTÉRÊTS DE DIEU.
ANALYSE.
Sujet. Quand il sera venu, ce Consolateur que je vous
enverrai du sein de mon Père, lui qui est l'Esprit de vérité qui procède du
Père, il rendra témoignage de moi : et vous aussi vous en rendrez témoignage.
Les
apôtres ont rendu témoignage à Jésus-Christ en prêchant sa loi; et, sans être
appelés au même ministère, nous devons tous rendre témoignage à Dieu, en
défendant sa cause dans les rencontres, et ses intérêts.
Division. On abandonne les intérêts de Dieu, ou par une fausse prudence, ou par une
lâche faiblesse. Prudence réprouvée dans les uns : première partie. Faiblesse très-préjudiciable dans les autres : deuxième partie.
Première
partie. Prudence réprouvée : car
c'est une prudence dont Dieu se lient déshonoré, que le monde même n'approuve
pas, qui fait le scandale de la religion, et qui autorise l'impiété.
1°
Prudence dont Dieu se tient déshonoré : car il est de sa grandeur d'être servi
par des hommes qui fassent gloire d'être à lui, et que ses intérêts ne soient jamais balancés par nul autre
intérêt. De là cette obligation indispensable pour tout homme chrétien de professer
sa foi, même aux dépens de sa vie. Ainsi, par proportion, sommes-nous obligés
en mille occasions de nous déclarer pour Dieu. Sans cela nous lui faisons
injure, et la parole de Jésus-Christ se
vérifie en nous : Celui qui n'est pas pour moi est contre moi. Exemple de
David.
2°
Prudence que le monde même n'approuve pas. Un ami serait regardé dans le monde
comme un lâche, si dans une guerre il manquait à son ami; un sujet serait
traité de rebelle, si dans une guerre il ne prenait pas le parti de son prince.
Il ne faut donc que les règles du monde pour condamner notre indifférence sur
ce qui concerne la cause de Dieu.
3°
Prudence qui fait le scandale de la religion : parce que, dans l'opinion
commune, cette indifférence pour la cause de Dieu est prise et interprétée
comme une aliénation secrète des intérêts de Dieu. A peine démêle-t-on dans le
monde un homme indifférent pour Dieu, d'un libertin qui est formellement et
expressément contre Dieu. La raison est que le libertinage n'osant tout il fait
lever le masque, il ne se produit guère au dehors que pur une telle
indifférence; d'où les faibles tirent un sujet de scandale. Et c'est ce qui
alluma autrefois le zèle du prophète Elie. Pourquoi délibérez-vous? disait-il
aux Israélites. Si le Seigneur est votre Dieu, que ne parlez-vous pour lui.
4°
Prudence qui autorise l'impiété. Le libertinage
ne demande point précisément d'être applaudi : mais c'est beaucoup pour
lui d'être toléré. Avec cela il prend bientôt racine et se fortifie. Mais,
dit-on, mon zèle ne servira qu'à irriter le mal : quand cela serait, vous
auriez toujours fait votre devoir. Mais il faut user de discrétion : il est
vrai, pourvu que ce soit une discrétion qui aille toujours au terme où le zèle
doit tendre. Mais ce que je dirai fera de l'éclat et du bruit : ce n'est
pas toujours prudence d'éviter l'éclat
quand il est nécessaire; il y a une fausse paix plus dangereuse que le trouble.
Mais ne faut-il pas ménager le prochain? point de
ménagement lorsqu'il y va du service de Dieu. C'est ainsi que les apôtres ont
raisonné.
Deuxième
partie. Faiblesse très-préjudiciable. Elle nous prive du plus grand honneur
que nous puissions prétendre; elle nous
rend odieux et méprisables; elle se dément et se contredit dans nous d'une
manière dont la conviction et le remords nous doit être insupportable dès cette
vie; enfin, elle oblige Dieu à retirer de nous ses grâces, et à nous faire
sentir les châtiments les plus sévères de sa justice.
1°
Elle nous prive du plus grand honneur que nous puissions prétendre, qui est
d'être les défenseurs delà cause de Dieu. C'est par la défense de cette cause
de Dieu que tant de grands hommes se sont rendus recommandables dans l'Ancien
Testament et dans le Nouveau. Vous n'avez pas la même fermeté : Dieu ne se
servira point de vous comme il s'est servi d'eux.
2°
Elle nous rend odieux et méprisables : à qui? 1° aux gens de bien, qui ne
voient notre infidélité qu'avec une juste indignation; 2° aux pécheurs mêmes et
aux impies, qui découvrent le faible de notre conduite, et s'aperçoivent bien
que notre indulgence pour eux n'est que timidité et petitesse d'esprit.
3°
Elle se dément et se contredit elle-même d'une manière dont la conviction et le
remords nous doit être insupportable dès
165
cette vie. Nous ne manquons de fermeté que lorsqu'il faut
en avoir pour les intérêts de Dieu; et pour nos intérêts propres, nous ne péchons
que par trop de fermeté. Pour peu que nous soyons équitables, pouvons-nous
entendre sur cela le témoignage de notre cœur, et n'en pas rougir de confusion?
4°
Elle oblige Dieu à retirer de nous ses grâces, et à nous faire sentir les
châtiments les plus sévères de sa justice. Ainsi traita-t-il Héli, et ainsi en
traite-t-il bien d'autres.
Cum
venerit Paracletus quem ego
mittam vobis a Patre, Spiritus veritatis, qui a Patre procedit, ille testimonium perhibebit de me ; et
vos testimonium perhibebitis.
Quand
il sera venu, ce Consolateur que je vous enverrai du sein de mon Père, lui qui
est l'Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage de moi ; et
vous aussi vous en rendrez témoignage. (Saint Jean, chap. XV.)
Rendre témoignage de Jésus-Christ, c'est annoncer ses grandeurs, attester sa
divinité, faire connaître la vérité de sa mission , la
sainteté de ses mystères et de sa loi ; et voilà, Chrétiens, le témoignage que
lui a rendu le Saint-Esprit, et qu'il lui rend encore tous les jours, soit par
les secrètes inspirations dont il touche les cœurs, soit par les lumières de la
foi qu'il répand dans les âmes. Témoignage invisible dont nous ressentons au
dedans de nous l'impression, et qui ne se produit point communément au dehors,
si ce n'est quand cet Esprit tout-puissant opère quelquefois des prodiges dans
la nature, et qu'il fait éclater sa vertu pour l'honneur de l'Evangile, et pour
vérifier la parole des ministres qui le prêchent. Mais outre ce témoignage
intérieur de l'Esprit divin, il y a un témoignage sensible et public que le
Sauveur des hommes attendait de ses apôtres, et qu'il a reçu d'eux lorsqu'ils
ont parcouru le monde, qu'ils ont porté son nom à toutes les nations, et que
pour sa cause ils ont versé leur sang et donné leur vie. Car c'est ainsi qu'ils
ont accompli cet ordre de leur adorable Maître : Vous vous
déclarerez pour moi ; vous parlerez et vous agirez pour moi ; vous serez devant
les hommes mes témoins, mes prédicateurs, mes défenseurs : Et vos testimonium perhibebitis. Or,
il est vrai, mes chers auditeurs, et je dois en convenir, que nous ne sommes
pas tous appelés aux mêmes fonctions que les ministres évangéliques : mais
d'ailleurs je puis ajouter et je prétends que par proportion, et conformément à
notre état, nous sommes obligés comme eux de prendre, en mille occasions qui se
présentent, les intérêts de Dieu, de nous élever pour la défense de la cause de
Dieu, de combattre les ennemis de sa
gloire, et de maintenir la pureté de son
culte : devoir propre de toutes les conditions, quoique différent dans la
pratique, selon la différence des rangs et la diversité des ministères : devoir
indispensable ; mais, de quoi nous ne
pouvons assez gémir, devoir tellement négligé dans le christianisme,
qu'à peine y trouve-t-on quelques serviteurs fidèles qui, contre le monde et
ses maximes, osent tenir pour le Dieu qu'ils adorent, et en faire une
profession ouverte. Ce n'est là-dessus que froideur et indifférence, et c'est
cette indifférence criminelle que je ne puis trop fortement attaquer dans ce
discours. Daigne le ciel m'inspirer aujourd'hui le zèle de ses prophètes pour
animer le vôtre! Daigne le Seigneur me remplir de son esprit, de cet esprit de
feu, afin que par son secours je puisse embraser ici tous les cœurs! Nous
obtiendrons cette grâce par l'intercession de Marie, et pour cela disons-lui : Ave,
Maria.
Il y a dans l'homme
deux principes plus ordinaires de tous ses désordres, l'aveuglement de
l'esprit et la faiblesse du cœur : l'aveuglement de l'esprit, qui, le faisant
mal juger des choses, l'engage à tenir, en ce qui regarde la cause de Dieu, une
conduite non-seulement fausse, mais criminelle; la
faiblesse du cœur, qui, lui laissant assez de lumière pour discerner selon Dieu les vraies routes qu'il doit suivre, fait néanmoins qu'il n'a pas assez
de courage pour en soutenir les difficultés et en surmonter les obstacles.
C'est, Chrétiens, à ces deux principes que je rapporte les deux caractères de
cet esprit de froideur et d'indifférence pour les intérêts de Dieu, dont j'ai
dessein de vous entretenir. Car, après avoir fait quelques réflexions sur la
différence des hommes du siècle qui se rendent en effet coupables d'une telle
iniquité, je trouve qu'il y en a de deux sortes : les uns qui l'autorisent, et
qui prétendent s'en justifier; les autres qui s'en accusent et qui sont les
premiers à la condamner ; les uns qui la veulent faire passer pour sagesse, les
autres qui de bonne foi la reconnaissent pour prévarication et pour lâcheté ;
les uns qu'il faut détromper, les autres qu'il faut fortifier. Ceux-là sont les
politiques du monde, qui, préoccupés de leurs sentiments, se font une
prudence, dans les rencontres, d'être froids pour Dieu, et peu zélés sur tout
ce qui concerne son service et ses intérêts; se flattant d'agir en cela avec
une circonspection nécessaire, et confondant cette indifférence et ce
défaut de zèle avec l'esprit de modération et de
retenue ; ceux-ci, moins présomptueux
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et moins prévenus, conviennent de
l'obligation indispensable où nous sommes tous d'avoir du zèle pour Dieu et de
le marquer ; mais ne se trouvant pas assez de force pour le mettre en œuvre et
pour le faire paraître ; approuvant ce zèle dans autrui, mais dans eux-mêmes le
faisant céder à la crainte et au respect humain. Prudence trompeuse, lâcheté indigne
; deux caractères auxquels je vais opposer les lumières et l'efficace de la
parole de Dieu ; les lumières pour convaincre les premiers, et l'efficace pour
animer et pour piquer les seconds. Car je prétends que le monde se trompe, et
que sa prudence, qui nous fait avoir tant d'égards quand il s'agit de donner à
Dieu des témoignages et des preuves de noire zèle, est une prudence réprouvée :
vous le verrez dans le premier point. Et j'ajoute que cette faiblesse à
laquelle nous succombons en nous comportant avec timidité et avec lenteur dans
la cause de Dieu, pour ne pas encourir la haine des hommes et ne nous pas
exposer à leur censure, est une faiblesse essentiellement contraire à l'esprit
de Jésus-Christ, et par conséquent digne de la damnation éternelle ; je vous le
montrerai dans le second point. Deux vérités que chacun de nous s'appliquera,
selon l'état de vie et la condition particulière où il a plu à Dieu de
l'appeler; deux vérités dont il n'y aura personne dans cet auditoire qui ne
soit touché, si nous voulons entrer là-dessus en jugement avec nous-mêmes, et
considérer sérieusement nos devoirs ; deux vérités qui ,
bien conçues et bien pénétrées, seront capables de répandre dans tous les cœurs
ce feu sacré que Jésus-Christ est venu allumer sur la terre. C'est aussi tout
le sujet de votre attention.
PREMIÈRE PARTIE.
Se faire une prudence aux dépens
de Dieu, au préjudice même des règles du monde, à la honte de la religion et à
l'avantage de l'impiété, c'est-à-dire une prudence dont Dieu se tient déshonoré,
que Je monde même n'approuve pas, dont les faibles se scandalisent et dont les
impies se prévalent, c'est ce que la politique du siècle a de tout temps
inspiré aux mondains, et ce que l'Esprit de Dieu contredira toujours. En quatre
paroles, je viens de vous proposer quatre raisons que me fournit la morale
chrétienne, et sur lesquelles j'établis la vérité de ma première proposition.
Ne les perdez pas.
Il est de la grandeur de Dieu
d'être servi par des hommes qui fassent gloire d'être à lui et de se déclarer pour
lui ; et il n'y a point de prudence qui puisse affaiblir la force et l'obligation
de ce devoir, parce
que ce devoir est le premier
principe sur quoi roule la prudence même, et à quoi toute cette
vertu doit se rapporter. Les intérêts de Dieu, c'est-à-dire ce qui touche son
culte, sa religion, sa loi son honneur, sa gloire, font d'un ordre si relevé,
qu'ils ne peuvent jamais être balancés par nul autre intérêt ; et d'ailleurs
ces mêmes intérêts de Dieu sont tellement entre nos mains, que vous et moi
nous en devons être les garants, et qu'autant de fois qu'ils souffre quelque
altération et quelque déchet, Dieu droit de s'en prendre à nous, puisque ce
dommage qu'ils souffrent n'est que l'effet et une suite de notre infidélité. Or,
c'est ce qui arrive tous les jours, lorsque, par une fausse politique, nous
négligeons de les maintenir, et que, nous en reposant sur Dieu même, nous nous
faisons des prétextes pour nous taire, quand il faudrait parler, pour
dissimuler quand il faudrait agir, pour tolérer
et pour conniver quand il
faudrait reprendre et punir. Car, quelle prudence pourrait alors nous mettre à
couvert des jugements de Dieu, dont nous trahissons la cause ; et de quel
secours peut être pour nous la sagesse du monde, quand, parées maximes criminellement suivies, nous
nous rendons coupables et responsables de l'injure que Dieu reçoit?
C'est par cette règle que saint
Jérôme, et après lui le docteur angélique saint Thomas, ont expliqué ce
précepte de la loi divine, en apparence si rigoureux , lequel oblige tout homme
chrétien à faire, quand il en est requis la profession publique de sa foi, lui
en dut-il coûter la vie, s'attira-t-il par là les derniers malheurs, fallût-il
endurer pour cela les tourments les plus cruels : car notre religion, dit
Tertullien, pour l'honneur du Dieu qu'elle nous fait adorer, ne sait ce que
c'est que de biaiser dans cette extrémité même. En effet, c'est cette
nécessité, ou de mourir pour sa foi en la déclarant, ou d'en être le
prévaricateur et l'apostat, je ne dis pas en la désavouant, mais seulement même
en la déguisant et en la cachant ; c'est, dis-je ,
cette nécessité qui a produit tant de martyrs clans le christianisme. Or, la
même raison qui obligeait les martyrs a professer leur foi, m'engage encore
aujourd'hui à faire éclater mon zèle dans toutes les occasions où l'intérêt de
Dieu est exposé : pourquoi? parce que je ne suis pas
moins redevable
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à Dieu de mon zèle que de ma foi, ou plutôt parce que
l'obligation particulière que j'aurais de confesser extérieurement ma foi,
n'est qu'une conséquence de l'obligation générale mi je suis de témoigner,
quand il le faut, mon zèle pour Dieu.
Je sais que dans les premiers
siècles de l'Eglise il s'éleva une secte de faux chrétiens, ou pour mieux dire
de mondains, qui en jugèrent autrement, et qui prétendirent que dans ces
circonstances, où la confession de la foi était censée un crime devant les
hommes, on pouvait au moins, pour se racheter des supplices de la mort, user de
dissimulation, ne paraissant pas ce que l'on était, et au hasard même de
paraître pour quelque temps ce que l'on n'était pas : mais je sais aussi que ce
langage révolta tous les vrais fidèles ; je sais que d'un consentement unanime
les Pères détestèrent et rejetèrent cette erreur, que le premier concile
œcuménique la condamna, et que, dans la sainte religion que nous professons,
ceux-là ont toujours passé pour scandaleux, qui ont refusé de se déclarer
ouvertement. Or, si cela est vrai de la foi dans les temps mêmes où elle a été
odieuse et persécutée, combien plus l'est-il du zèle désintérêts de Dieu,
lorsque pour leur défense nous n'avons point de semblable risque à courir, et
qu'une liberté évangélique, bien loin d'être dangereuse pour nous, nous devient
glorieuse et honorable?
C'est donc en vertu de ce titre
que Jésus-Christ, dans l'onzième chapitre de saint Luc, proposant les maximes
fondamentales de son mine, c'est-à-dire de cet empire souverain qu'il exerce
sur nous comme notre Dieu, insiste particulièrement sur celle-ci : Qui non
est mecum, contra me est (1) ; Celui qui n'est
pas pour moi, est contre moi ; parole, dit saint Augustin , qui confondra
éternellement les sages du siècle, et qui suffira pour réprouver
l'indifférence criminelle où ils se retranchent, quand il est question de
rendre à Dieu le témoignage qu'il exige
d'eux ; parole qui réfutera
invinciblement les raisons frivoles par où ils s'efforcent maintenant de
justifier leur silence, et d'excuser leur timidité en ce que j'appelle le parti
de Dieu ; parole de malédiction pour ces esprits d'accommodement qui, sans
jamais choquer le monde, croient avoir le secret de contenter Dieu, et qui,
sans rien faire pour Dieu, voudraient que Dieu fût content d'eux. Car, que
répondront-ils à Jésus-Christ, quand il leur dira que l'un et l'autre ensemble
était impossible, et qu'ils en
devaient être convaincus par cet oracle sorti de sa bouche : Qui non est mecum,
contra me est ? Prétendront-ils l'avoir mieux entendu que lui, avoir été
plus prudents que lui, avoir eu pour ses intérêts un zèle plus discret que lui?
Et parce qu'alors il s'agira du choix décisif que cet Homme-Dieu
fera de ses élus, dépendra-t-il d'eux d'avoir été à lui malgré lui ? Ah ! Chrétiens, que David raisonnait bien d'une
autre manière, et que l'idée qu'il avait conçue de l'être de Dieu et de son
excellence lui donnait bien d'autres sentiments ! Non, non, Seigneur, disait-il
à Dieu dans l'abondance de son cœur, il ne faut point que je m'érige en sage et
en politique ; et malheur à moi si je le suis jamais à vos dépens ! Il faut que
dans l'étendue de ma condition, j'aie pour l'avancement et pour le soutien de
votre gloire autant de zèle que j'en dois avoir. Car en cela consiste ma grande
sagesse ; et ce zèle de votre maison, qui me dévore, fait que tous les outrages
que vous recevez dans le monde me blessent moi-même personnellement : Zelus dormis tuœ comedit me, et opprobria exprobrantium tibi ceciderunt super me (1).
Ces outrages , ô mon Dieu, par l'impiété et
l'insolence des hommes, montent jusqu'à vous;
mais, par une vertu toute contraire de la charité qui m'anime, ils
retombent en même temps sur moi; c'est-à-dire les blasphèmes que l'on profère
contre votre nom, les profanations de votre sanctuaire, les transgressions de
votre loi, les insultes, les scandales, les dérèglements de votre peuple, tout
cela fait sur mon cœur une impression à laquelle je ne puis résister. Quoi qu'en dise le monde, il faut que je
m'explique et que je parle ; et si ma raison s'y oppose, je la renonce comme
une raison séduite et corrompue : Et opprobria exprobrantium tibi ceciderunt super me. Voilà, mes chers auditeurs,
l'exemple et le modèle que l'Ecriture
nous met devant les yeux : car ce n'est pas seulement un roi comme David qui
doit parler de la sorte, mais un seigneur dans ses terres et ses domaines, mais
un juge dans sa compagnie, mais un magistrat dans son ressort, mais un
supérieur dans sa société, un particulier dans sa famille, chacun sans
exception dans son état. Tous les emportements d'un fils débauché et libertin
doivent toucher le cœur d'un père, tous les désordres d'un domestique vicieux
doivent toucher celui d'un maître. Je dis d'un père et d'un maître chrétiens,
afin
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que, l'un et l'autre répondant à la
grâce de leur vocation, ils puissent se rendre le même témoignage devant Dieu
que David se rendait par ces paroles : Et opprobria
exprobrantium tibi ccciderunt super me. Sans cela, ni l'un ni l'autre ne
satisfait à ce que lui impose la qualité de serviteur de Dieu ; et sans cela
l'un et l'autre abusent du pouvoir qui leur a été donné de Dieu. Seconde preuve
tirée de la comparaison des devoirs du monde, et de la manière dont ils sont
observés.
Car il serait bien indigne et
absolument insoutenable, de vouloir que Dieu comptât pour un service ce que le
monde même regarde comme une espèce de perfidie, et qu'il agréât pour
témoignage de notre attachement une conduite dont les hommes se tiennent tous les jours offensés. Or, un ami, bien loin de
reconnaître pour ami
celui qui dans l'occasion hésiterait à se ranger
hautement de son parti et à le défendre,
le mépriserait comme un lâche, et, si je l'ose dire, comme un déserteur
de l'amitié. Un prince, bien loin de mettre au nombre de ses fidèles sujets
quiconque, dans la conjoncture d'une guerre, affecterait de demeurer neutre, le
traiterait de rebelle et d'ennemi de l'état. Dès là que c'est son sujet, le maître veut, et avec justice, qu'il marche
sous ses étendards, qu'il s'intéresse pour la prospérité de ses armes, qu'il y
contribue et de sa personne et de ses biens, qu'il fasse céder toute autre considération
à celle-là. Reste donc à voir si la politique du monde, qui ne peut, avec tous
ses artifices et tous ses détours, excuser à l'égard des hommes cette disposition d'indifférence, peut l'autoriser à l'égard de Dieu, et si
Dieu, jaloux jusqu'à l'excès de la fidélité qui lui est due, peut, dans un point aussi délicat que celui-ci, être content
de ce qui ne suffit pas même aux hommes pour les satisfaire. Et c'est ici que,
pour votre édification et pour la mienne, ou plutôt que, pour la confusion de
cette prudence charnelle qui est visiblement ennemie de Dieu, je voudrais, s'il
était possible, rappeler tous les siècles passés, et faire comparaître comme en
jugement tous ces sages de la terre qu'on a vus si zélés pour le service des
puissances humaines à qui leur fortune
les attachait, mais en même temps si réservés et si froids pour Dieu
et pour sa religion. Car enfin, leur dirai-je avec tout le respect convenable,
mais toute l'assurance que devrait me donner mon ministère, quand il y allait
du bien de l'Etat, quand l'autorité du prince se trouvait en compromis, et qu'il
fallait la maintenir, cette modération,
dont vous vous piquiez tant d'ailleurs, ne diminuait rien de votre ardeur. De
quelle sévérité n'usiez-vous pas ? avec quelle
hauteur, avec quelle fermeté n'agissiez-vous pas? Toute votre prudence alors
était de n'avoir ni ménagements ni égards, de ne laisser rien impuni, de prévenir
par une juste rigueur jusqu'aux moindres suites; et sur cela même votre zèle
était louable, puisque l'autorité que vous aviez a défendre venant de Dieu,
comme dit l'Apôtre, elle ne demandait pas un moindre soutien ni une moindre
protection, quoique souvent elle eût peut-être demandé de votre part une plus
pure intention. Mais du reste, dans ces mêmes places que vous occupiez,
était-il question de vous opposer au libertinage qui faisait tous les jours de
nouveaux progrès; mais vous parlait-on d'un scandale qui se répandait, et qui
ne pouvait être arrêté que par vos soins et par une sainte vigueur; mais
fallait-il corriger des désordres qui déshonoraient le christianisme, et qui ne
subsistaient que par votre molle et pernicieuse tolérance : c'est là que
ce zèle, auparavant si courageux et si ferme, devenait timide et circonspect;
que vous deviez, à vous en croire garder des mesures; que vous craigniez de
vous avancer; que vous ménagiez celui-ci, que vous respectiez celui-là; c'est
là que votre prudence, ingénieuse à éluder tout ce qui lui était à charge,
trouvait mille raisons spécieuses pour ne rien entreprendre, et pour laisser
croître le mal : c'est là que vous traitiez d'indiscrétion les plus sages
démarches de ceux qui se portaient pour défenseurs de la vraie piété, et que
vous appeliez sagesse, habileté et science du monde, les dangereuses
connivences de ceux qui entretenaient comme vous et fomentaient l'iniquité. Ah !
Chrétiens, cette seule contrariété de sentiments et de conduite ne sera-t-elle
pas une conviction contre vous au tribunal de Dieu, et en faudra-t-il davantage
pour faire évanouir tout le mystère et pour renverser tout le plan de votre
prudence prétendue?
Ajoutez (et c'est la troisième
raison), que, dans l'opinion des hommes, cette indifférence pour la cause de
Dieu est communément prise et interprétée comme une aliénation secrète des
intérêts de Dieu ; excellente remarque du chancelier Gerson, que je vous prie
de bien comprendre. Voici sa pensée : Car le libertinage même le plus obstiné
n'osant pas lever le masque, et pour sa propre conservation, quel, que malice
qu'il cache au dedans, ayant soin
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de ne la pas produire au dehors, à
peine démêle-t-on dans le monde un homme indifférent pour Dieu, de celui qui
formellement et expressément est contre Dieu. Vérité si constante que Ton juge
même de l'un par l'autre, et que ce jugement n'est ni léger ni téméraire,
puisqu'il est fondé sur la pratique la plus commune, et sur l'usage le plus
ordinaire des libertins du siècle. En effet, un athée, s'il y en a, ne se fait
guère autrement connaître que par son indifférence pour toutes les choses de la
religion. Un homme corrompu et abandonné aux désirs de son cœur, ne se fait
guère autrement remarquer que par une
certaine insensibilité aux plus honteux dérèglements qui règnent autour de lui,
et dont il est témoin. Quand donc ce ne serait que pour les faibles, qui voyant
de ces chrétiens indifférents et de ces faux sages, en prennent sujet de
scandale , parce qu'ils ne savent avec qui ils traitent, et qu'ils ne peuvent
dire d'un chrétien de ce caractère ce qu'il est ni ce qu'il n'est pas, il
faudrait pour ne les pas jeter dans ce trouble, nous expliquer, et accomplir
par œuvre ce que nous demandons tous les jours à Dieu qu'il opère en nous par
sa grâce : Judica me, Deus, et discerne causam meam ab homine iniquo (1) ; Jugez-moi.
Seigneur, et faites le discernement de ce que je suis, d'avec l'impie et le
réprouvé. Je veux dire que nous devrions agir de telle sorte que l'on nous
distinguât, et qu'étant à Dieu comme nous y sommes, ou comme nous témoignons y
vouloir être, notre conduite ne donnât
aucun lieu d'en douter. Et voilà, mes
chers auditeurs, ce qui obligea autrefois le saint homme Elie à faire aux
Israélites ce reproche que nous lisons dans l'Ecriture, et que chacun de nous
peut bien s'appliquer; voilà ce qui alluma le juste courroux dont ce prophète
se sentit ému lorsqu'il vit les chefs du peuple d'Israël sans zèle et
sans action, à la vue d'un sacrilège qui se commettait, et des honneurs
profanes que l'on rendait à l'idole de Baal : Usquequo
claudicatis in duas partes?
Jusqu'à quand, leur dit-il, balancerez-vous entre la prévarication la plus
condamnable et le plus saint de tous les devoirs? Si le Dieu d'Israël est votre
Dieu, que ne prenez-vous la parole, que n'agissez-vous, que ne combattez-vous
pour lui? et si Baal n'est qu'un fantôme, que ne vous
élevez-vous contre cette fausse divinité, mi plutôt contre ceux qui
l'idolâtrent? Pourquoi faut-il que vous teniez un milieu, fie ni la conscience,
ni l'honneur n'approuveront
jamais, et que, par une espèce de neutralité aussi indigne,
et presque nous indigne que l'infidélité même, vous scandalisiez vos frères?
Pourquoi faut-il que ce peuple qui vous observe, et à qui vous servez
d'exemple, jugeant de votre religion par l'intérêt que vous y devez prendre,
puisse avec raison vous soupçonner d'en avoir fort peu, ou de n'en point avoir
du tout? Il en veut des preuves et des effets; et ce n'est que par ces effets
et ces preuves sensibles que vous pouvez lui apprendre ce que vous êtes, et
pour qui vous êtes. Or combien en voit-on parmi nous (avouons-le ici,
Chrétiens, et déplorons-le devant Dieu), combien en voit-on dans les mêmes
dispositions que ces Israélites à qui parlait le Prophète? combien
de ces esprits à qui tout est bon, qui pour le vice et pour la vertu ont d'égales
complaisances, qui s'accommodent de l'erreur comme de la vérité, qui souffrent
en leur présence le scandale sans émotion, et le mépris de Dieu sans altération
; en un mot, à qui Dieu peut dire ce qu'il disait dans l'Apocalypse à l'un des
premiers évêques de l'Eglise : Utinam frigidus esses, aut calidus (1) ! Je voudrais que vous fussiez ou tout un
ou tout autre; que vous fussiez ouvertement ou contre moi, ou pour moi : mais
parce que vous êtes tiède, et que vous demeurez dans un milieu qui ne décide rien,
c'est pour cela que je suis prêt à vous rejeter : Sed quia tepidus es, incipiam te evomere de ore meo. Esprits, ajoute saint Jérôme, d'autant plus
dangereux, que dans cet état de tiédeur ils sont plus capables de nuire, plus
en pouvoir d'arrêter le bien et de favoriser le mal, parce que leur tiédeur
même a je ne sais quel air de modération qui fait que l'on s'en préserve moins,
au lieu qu'une malice plus déclarée aurait bientôt ruiné tout leur crédit, et
leur ferait perdre toute créance.
Quoi qu'il en soit, en user
ainsi, c'est donner aux ennemis de Dieu, à l'impiété, au vice, tout l'avantage
qu'ils demandent, et les mettre en possession du règne funeste et de cet empire
qu'ils tâchent, par toutes sortes de moyens, à s'usurper. Quatrième et dernière
preuve de la vérité que je vous prêche. Car, suivant la belle et solide
réflexion de saint Augustin, le libertinage ne demande point précisément d'être
applaudi, d'être soutenu et appuyé; il se contente qu'on le tolère, et c'est
assez pour lui de n'être point traversé ni inquiété. Quand donc vous le laissez
en paix, vous lui accordez
170
tout ce qu'il prétend. Avec cela,
il ne manquera pas de prendre racine ; et, sans avoir besoin d'un autre
secours, il saura bien se fortifier et s'étendre. N'est-ce pas de cette sorte
et par cette voie qu'il est toujours parvenu à ses fins ? Les ménagements de
ceux qui l'ont épargné, et qui devaient le réprimer
dans sa naissance, ont été de tout temps les principes de son progrès. Voilà ce
qui a nourri dans tous les siècles la licence de certains esprits contagieux,
qui ont infecté le monde; voilà ce qui a introduit jusque dans le christianisme tant d'abus et tant de
désordres, directement opposés aux lois de l'honnêteté; voilà ce qui a
multiplié les schismes et les hérésies. On se faisait d'abord un point de
sagesse de les négliger, et puis on se trouvait trop faible pour les
retrancher. Après les avoir supportés par indulgence, on se voyait réduit à les
souffrir par nécessité. La politique des uns rendait
le zèle des autres impuissant et inutile. Et, pour remonter jusqu'à la source,
l'indifférence d'un homme qui n'avait pas fait son devoir, était la cause
originaire d'un vaste incendie qui embrasait des pays entiers. En dis-je trop,
Chrétiens? et, sans consulter d'autre expérience que
celle de nos pères, ce que je dis n'est-ce pas ce qu'ils ont éprouvé, et de
quoi ils nous ont laissé les tristes restes? De là l'obligation spéciale et
redoutable de ceux qui se trouvent élevés en dignité, de ceux qui ont dans le
monde de la qualité, de ceux qui, par leurs talents ou par leurs emplois, se
sont acquis plus d'autorité, de ceux à qui Dieu semble avoir donné plus de
lumière et de capacité; de là, dis-je, cette obligation plus étroite qu'ils ont
d'attaquer avec force les scandales du siècle, et de leur couper court :
obligation qu'ils doivent considérer
comme l'un des points sur lesquels le Saint-Esprit leur fait entendre qu'ils
seront plus exactement recherchés, plus sévèrement jugés, plus rigoureusement
condamnés. Car, qu'un homme du commun oublie là-dessus et ce qu'il peut et ce
qu'il doit; quoiqu'il se charge en
particulier d'un grand compte, la conséquence pour Dieu en est moins à craindre
; mais qu'un grand qui a le pouvoir en main, et qui, selon saint Paul, est le
ministre de Dieu pour venger ses intérêts, cesse de s'y employer; qu'il soit
sur cela d'une composition facile, qu'il se remue lentement, qu'il résiste
faiblement, qu'il se relâche et qu'il se rende aisément, vous savez avec quel
succès l'impiété en profite. En vain étalerais-je ici des maux qui vont presque
à L'infini, et qui ne vous sont que trop connus. Il me suffit de vous avoir appris
d'où ils procèdent, et de vous avoir fait comprendre ce qu'il était important
pour vous de n'ignorer pas : que de tolérer le vice, c'est l'autoriser, c'est
le seconder, c'est le faire croître, puisqu'il ne veut rien de plus qu'une
telle condescendance, et que cela seul lui ouvre un champ libre pour passer à toutes
les extrémités.
Vous me direz qu'un zèle vif et
ardent, tel que je tâche de vous l'inspirer contre le libertinage et contre le
vice, bien loin de guérir le mal, ne servira souvent qu'à l'irriter. Quand cela
serait, Chrétiens , et que vous verriez que cela dut être, votre indifférence
pour Dieu n'en serait pas moins criminelle , et en mille rencontres le zèle ne
vous obligerait pas moins à vous déclarer. Quoique le mal s'aigrît et s'irritât,
vous auriez fait votre devoir. Dieu aurait ses vues pour le permettre ainsi ;
mais l'intention de Dieu ne serait pas que le mal qu'il voudrait permettre fût
ménagé et toléré par vous. Sans mesurer les choses par l'événement, vous auriez
toujours la consolation de dire à Dieu : Seigneur, j'ai suivi vos ordres, et j'ai
pris le parti de votre loi. Et certes, mon cher auditeur, il ne vous appartient
point et ils ne dépend pas de vous, sous prétexte d'un événement futur et incertain , de vous dispenser d'une obligation présente et
assurée : c'est à vous de vous confier en Dieu, et d'agir dans l'espérance
qu'il bénira votre zèle. Aussi ce zèle que je vous demande étant un zèle de charité,
qui n'a rien d'amer , qui n'est ni fier ni hautain,
qui aime le pécheur et l'impie, en même temps qu'il combat l'impiété et le
péché; il y a tout sujet de croire qu'il sera efficace et d'en attendre le
fruit que l'on se propose.
Vous me direz qu'il faut user de
discrétion et je le dis aussi bien que vous ; car à Dieu ne plaise que je vous
engage à imiter ceux qui, emportés par leur propre sens, au lieu de si faire un
zèle de leur religion, se font une religion de leur zèle! Non, sans doute, ce
n'est point là ce que j'entends. Il faut de la discrétion, mais aussi une
discrétion qui aille toujours au terme où le zèle lui-même doit tendre. Tant de
discrétion qu'il vous plaira, pourvu que le vice soit corrigé, pourvu que le scandale
soit réparé, pourvu que la cause de Dieu ne succombe pas. Car, que votre
discrétion se termine à prendre toujours , quoique sous de belles apparences,
le mauvais parti; quel cause de Dieu souffre toujours, quand elle est entre vos
mains; que l'iniquité se tienne en assurance et qu'elle se croie assez forte,
du
171
moment que vous êtes son juge; que
vous ayez dans le doute un secret penchant à conclure favorablement pour elle,
et que tout ce tempérament de discrétion que vous affectez ne consiste qu'à
ralentir votre zèle et qu'à retenir celui des autres, c'est discrétion, si vous
le voulez; mais cette discrétion et cette prudence contre laquelle saint Paul
prononce anathème, et qu'il met parmi les œuvres de la chair, quand il dit aux
Romains : Sapientia carnis
inimica est Deo (1).
Vous me direz que votre zèle fera
de l'éclat et du bruit ; mais pourquoi donc en faire, si ce n'est pour empêcher
ce que vous savez être un véritable désordre, soit dans l'intérieur de votre
famille, soit au dehors ? Est-ce prudence d'éviter l'éclat, quand l'éclat est
nécessaire, et qu'il peut être avantageux ? Faudra-t-il que le libertinage, qui
règne peut-être dans votre maison, sous ombre que vous ne voulez pas éclater, y
soit tranquille et dominant? Puisqu'il n'y a qu'un éclat qui l'en puisse
bannir, bien loin d'appréhender cet éclat, ne faudrait-il pas le rechercher
comme un remède et comme un moyen efficace? Mais cet éclat troublera la paix :
Qu'il la trouble, répond saint Augustin ; c'est en cela même qu'il sera
glorieux à Dieu et digne de l'esprit chrétien. Car il y a une fausse paix qui
doit être troublée, et c'est celle dont je parle, puisqu'elle favorise le
péché. Et pourquoi le Fils de Dieu nous a-t-il dit dans l'Evangile qu'il
n'était pas venu pour apporter la paix sur la terre, mais le glaive et la
division; qu'il était venu séparer le fils d'avec le père, et la mère d'avec la
fille ? Que voulait-il par là nous marquer, sinon qu'il y a dans le cours de la
vie des occasions et des conjonctures où il est impossible de satisfaire au
zèle que l'on doit à Dieu, sans s'exposer à rompre la paix avec les hommes? et qu'y a-t-il eu effet de plus ordinaire que ces occasions
où, pour l'honneur de Dieu , il faut se résoudre à soutenir des guerres dans le
monde et contre le monde? Non , non, Chrétiens, il n'y
a point de paix, ni domestique ni étrangère, qui doive être préférée à
l'obligation de porter l'intérêt de Dieu, et de s'opposer à l'offense de Dieu.
Si le scandale qui se commet au mépris de Dieu vient de ceux qui vous sont unis
par les liens de la chair et du sang, toute paix avec eux est un autre scandale
encore plus grand. Il faut, selon le sens de l'Evangile, les haïr et les
renoncer; et ils ne doivent point s'en plaindre, puisque, si le scandale vient
de vous-mêmes,
il faut vous haïr et vous renoncer
vous-mêmes : car c'est pour cela que Jésus-Christ a pris les alliances les plus
étroites du père avec le fils, et de la fille avec la mère, afin de nous faire
mieux entendre que nulle raison ne doit être écoutée au préjudice du Seigneur
et de son culte.
Mais ne doit-on pas ménager le
prochain, surtout si c'est un ami, si c'est un homme distingué par sa
naissance, par son élévation, par son rang? Le ménager, mon cher auditeur I et
qu'est-ce que cet ami, qu'est-ce que ce grand, qu'est-ce que cet homme, quel
qu'il soit, dès qu'il y va de la gloire de votre Dieu et de son service? Si les
apôtres avaient eu de tels ménagements, où en serions-nous? Auraient-ils prêché
l'Evangile malgré les édits des empereurs et les menaces des tyrans?
Auraient-ils répondu avec tant de fermeté aux juges et aux magistrats qui leur
défendaient de parler, qu'ils devaient plutôt obéir à Dieu qu'aux hommes? Si
justum est in conspectu Dei,
vos potius audire quam Deum (1) ? Si les Pères de l'Eglise, les Athanase,
les Chrysostome, les Augustin et les autres, avaient eu de pareils égards,
auraient-ils préservé le peuple fidèle de tant d'erreurs qu'ils ont détruites,
et de tant d'hérésies qu'ils ont hautement combattues? Agissez avec respect,
mais agissez avec force; l'un n'est point contraire à l'autre. Honorez la
naissance, honorez la dignité, honorez la personne, mais condamnez l'injustice
et l'iniquité. Cependant, Chrétiens, voici le désordre : on a du zèle, et
quelquefois le zèle le plus violent et le plus amer pour certaines conditions,
et l'on en manque pour d'autres états plus relevés. On se dédommage en quelque
manière sur les petits de ce qu'on ne fait pas à l'égard des grands. Tout est
crime dans ceux-là, et tout est, ce semble, permis à ceux-ci. On se persuade
que c'est sagesse de se taire, de dissimuler, d'attendre l'occasion favorable,
et un moment qui ne vient jamais, ou qu'on ne croit jamais être venu. Ah !
Seigneur, ôtez-nous cette damnable sagesse du monde, et remplissez-nous de
votre zèle. Que ce zèle nous tienne lieu de la plus haute sagesse, que ce zèle
soit notre souveraine raison, que ce zèle nous serve de réponse à toutes les
difficultés d'une spécieuse et vaine politique; qu'après nous avoir garantis de
ce premier écueil d'une prudence prétendue, il nous préserve encore du second,
qui est une lâche faiblesse, dont j'ai présentement à parler, et qui doit être
le sujet de la seconde partie.
172
DEUXIÈME PARTIE.
C'est une vérité dont
l'amour-propre qui nous domine voudrait bien ne pas convenir, mais dont il
ressent tous les jours l'effet malgré lui-même, que quiconque s'aime au
préjudice de son devoir, beaucoup plus au préjudice de sa religion, en s'aimant
de la sorte devient son plus dangereux ennemi ; qu'il se perd en se cherchant,
qu'il se détruit en se conservant, et, par une providence toute particulière,
qu'il s'attire le sort que David, dans une espèce d'imprécation, souhaitait aux
pécheurs, quand il disait à Dieu : Redite retributionem
eorum ipsis (1) ;
Seigneur, confondez-les dans leurs propres voies, et faites retomber sur
eux-mêmes leur iniquité. Voyez-en la preuve, mes chers auditeurs, et l'exemple
sensible dans ces hommes du siècle, dont il me reste à vous tracer le caractère
; je veux dire, non plus dans ces sages et ces prudents, mais dans ces lâches
chrétiens, qui, par une faiblesse de cœur, par une crainte servile, par un
respect tout humain, contre les reproches de leur conscience, lorsqu'ils
devraient exercer leur zèle pour Dieu, abandonnent indignement ses intérêts. Ce
qu'ils ont en vue, c'est de se ménager eux-mêmes; mais qu'arrive-t-il? c'est que , bien loin qu'ils y réussissent, leur lâcheté se
termine pour eux à des effets tout contraires. Car premièrement elle les prive
du plus grand honneur qu'ils auraient pu prétendre, même dans l'opinion du
monde, savoir, d'être les défenseurs, et, selon la mesure de leur pouvoir, les
protecteurs de la cause de Dieu. Secondement , elle
les rend odieux et méprisables tout à la fois : odieux aux gens de bien, qui,
témoins de leur infidélité, ne peuvent se défendre de concevoir contre eux une
juste indignation ; et méprisables même aux impies, dont ils croient néanmoins
par là devoir se promettre l'affection et l'approbation. En troisième lieu , cette lâcheté se dément et se contredit dans eux,
mais d'une manière, comme vous le verrez, dont ils ne sauraient se parer, et
dont la conviction et le remords leur est déjà insupportable dès cette vie.
Enfin, elle oblige Dieu à retirer d'eux ses grâces les plus spéciales, et à
leur faire sentir les châtiments les plus sévères de sa justice. Quatre points
que je vous prie de bien méditer, et qui demandent encore de votre part une
nouvelle réflexion.
Oui, Chrétiens, vous renoncez à
votre propre gloire, lorsque, dans les sujets qui s'offrent à
vous et où votre zèle vous doit
faire entrer, vous n'osez, par une timidité faible et lâche, ni parler ni agir
pour l'intérêt de Dieu. Car qu'y a-t-il de plus digue d'une grande âme, d'une
âme noble et élevée, que la défense d'un tel intérêt, et que pouvons-nous nous proposer dans le monde de plus
honorable? Quand vous travaillez pour vous-mêmes, connue vous êtes vous-mêmes
petits, quoi que vous tassiez, tout est petit, tout est borné, tout est réduit
à ce néant inséparable et de vos personnes et de vos états. Mais quand vous vous intéressez pour Dieu, tout ce que
vous faites, dans l’idée même des hommes, a je ne sais quoi de divin que. l'on est comme forcé d'honorer, et qui donne pour vous une
secrète vénération. Vous chercha la gloire, écrivait saint Augustin à un homme
du monde; et cette gloire que vous cherchez, où la trouverez-vous mieux que
dans l'exercice d'un zèle sincère pour tout ce qui touche le culte de votre
Dieu ; c'est-à-dire pour protéger ceux qui l'observent, pour réprimer ceux qui
le violent, pour faire cesser les abus,
pour maintenir la discipline, pour vous opposer comme un mur d'airain et
comme une colonne de bronze aux entreprises de l'erreur, du vice, de l'impiété?
Si vous avez un mérite solide à acquérir pour vous
rendre recommandable, par quelle autre voie devez-vous espérer en venir à bout?
Qu'est-ce qui a immortalisé le nom de tant de grands hommes dans l'Ancien
Testament et dans le Nouveau? Qu'est-ce qui a imprimé dans
tous les esprits les sentiments d'une estime si générale et d'une
admiration si constante pour ces illustres Machabées?
Qu'est-ce qui a distingué, entre les empereurs chrétiens, les Constantin et les
Théodose? N'est-ce pas ce zèle de l'honneur de Dieu et de sa loi, dont ils ont
été animés? Parcourez, disait ce brave Mathathias
étant au lit de la mort et instruisant ses enfants, parcourez toutes les générations, et voyez si
ceux de nos ancêtres dont la mémoire est en bénédiction ont autrement mérité
ces éloges et ce respect des peuples que par la force et le courage qu'ils ont
témoigné, quand il a été question de soutenir la cause du Seigneur. Ne pensez
pas arriva jamais au degré de gloire où ils se sont élevés que par la même
résolution ; et ne soyez pas assez aveugles pour croire que par des succès
purement humains, dont le monde peut-être vous félicitera, vous puissiez les
égaler. Ainsi parlait ce saint et généreux pontife; et c'est, Chrétiens, ce que
je vous dis après lui. Non, qui que vous soyez, n'attendez point d'autre
173
gloire véritable que celle qui vous
viendra de sainte ardeur que vous marquerez à Dieu et pour Dieu. Avec de
prétendus succès que vous aurez d'ailleurs, et à quoi les bommes pourront
applaudir, vous ferez un peu de bruit dans le monde ; mais avec ce bruit, comme
l'Ecriture nous l'apprend, votre mémoire périra. Cette gloire que vous aurez cherchée
hors de Dieu, et où Dieu n'aura nulle part, s'évanouira comme une fumée; et
après vous avoir ébloui pour quelque temps d'une fausse lueur, elle vous laissera
dans une éternelle obscurité.
Mais savez-vous encore quel doit
être en cola le malheur de votre destinée? C'est qu'étant lâches pour Dieu
comme vous êtes, Dieu, qui n'a besoin de personne et qui choisit ceux qui lui
plaisent, ne daignera pas même se servir de vous. Usant bien des talents et des
avantages que vous aviez reçus de lui, vous pouviez cire les instruments de sa
gloire ; mais il ne voudra pas vous y employer. C'était un honneur qu'il vous
eût fait, mais dont il vous trouvera indignes. Vous ne méritez pas d'avoir
place entre ces hommes connus pour être à lui, et déterminés dans le besoin à
se sacrifier pour lui : il en suscitera d'autres qui le mériteront mieux que
vous ; d'autres qu'il remplira de son esprit, et qui, dans la médiocrité de leur
condition, feront pour ses intérêts des prodiges de vertus. Ceux-là oseront
tout et risqueront tout, quand il s'agira de le glorifier, et voilà pourquoi il
les glorifiera eux-mêmes. Vous craignez de vous exposer : eh bien ! il se passera de vous ; mais aussi n'aurez-vous pas
l'honneur de lui avoir été fidèles, et l'oracle qu'il a prononcé se vérifiera à
la lettre : Quicumque glorificaverit
me, glorificabo eum; qui autem contemnunt me erunt ignobiles (1). Voilà
comment s'expliquaient autrefois les prophètes, pour exciter dans les esprits
de leurs auditeurs cette émulation toute divine dont ils tâchaient a les
piquer; et plût à Dieu que ce discours lui accompagné d'une grâce assez forte
et assez puissante pour faire sur vous de pareilles impressions !
Mais ce n'est pas tout : car en
même temps que vous vous privez de l'honneur et du mérite que vous auriez à
prendre le parti de Dieu, vous devenez, par une suite nécessaire, odieux et
méprisable aux bommes. A qui odieux? je l'ai dit, à
tout ce qu'il y a de vrais fidèles qui aiment Dieu, et qui voyant avec quelle
faiblesse vous mollissez dans toutes les rencontres, en
173
gémissent, et disent intérieurement
comme le roi David : Vidi prœvaricantes, et tabescebam
(1) ; J'ai vu, Seigneur, ces lâches prévaricateurs, qui, par des complaisances
intéressées, ou par une crainte mondaine, ont négligé votre cause : je les ai
vus, et j'en ai séché d'ennui et de regret. Car quelle amertume à un juste qui
a le cœur droit et qui brûle d'un zèle évangélique, de voir les intérêts de
Dieu trahis par les vaines considérations et les timides, mais criminelles réserves, des partisans du monde et de ses
esclaves! Que peut-il moins faire que de s'en prendre à eux, et de former contre
eux dans son cœur ce sentiment de haine qu'une semblable indignité excitait
dans le cœur de David, haine dont il ne se faisait nul scrupule; que dis-je? qu'il s'estimait heureux de ressentir, et dont il se faisait
un mérite auprès de Dieu ; haine qui procédait en lui des plus pures sources de
la charité, et qui lui donnait droit de dire : Perfecto odio
oderam illos, et inimici facti sunt
mihi (2); Je les haïssais, mais d'une haine
parfaite; et j'étais leur ennemi, parce qu'ils étaient les ennemis secrets de
mon Dieu : Perfecto odio oderam
illos. Or, je vous demande s'il est rien, même
selon le monde, de plus difficile à supporter, et qui approche plus de la
malédiction, que cette haine et cette aversion des gens de bien. Je sais qu'il
y a de ces cœurs durs que leur lâcheté même pourrait rendre insensibles à ce
motif, et qui compteraient pour rien d'être dans la haine des serviteurs de
Dieu, pourvu qu'ils pussent contenter l'amour-propre qui les possède : mais
n'est-ce pas une autre malédiction qui prouve encore plus clairement ce que
j'ai avancé? Car, dans la pensée du sage, être content lorsque l'on s'attire la
haine des bommes, c'est être d'autant plus odieux qu'on le veut bien être, et
qu'on n'est point touché de l'être. Et ne me dites point que ce qui est
condamné des uns est approuvé des autres ! vous vous
trompez, Chrétiens. Votre lâcheté, outre la haine des gens de bien, vous fera
tomber encore dans le mépris des libertins et des pécheurs. Pourquoi? parce que les pécheurs et les libertins seront assez clairvoyants
pour découvrir le faible de votre conduite, et qu'ils s'apercevront bien que
votre indulgence pour eux n'est dans le fond qu'une petitesse d'âme, et que si
vous les épargnez, c'est que vous n'avez ni la force ni la hardiesse de les
entreprendre. Or la lâcheté reconnue, selon la remarque de Cassiodore, est
toujours méprisée, et de ceux mêmes à qui elle est
174
utile. Si, du moment que le vice se
produit et que le scandale paraît, vous qui le devez arrêter, vous faisiez
votre devoir, les scandaleux et les vicieux, en vous redoutant comme leur
persécuteur, seraient obligés néanmoins malgré eux de vous estimer et de vous
respecter. Ce qui vous perd dans leur esprit, c'est la complaisance même que
vous leur témoignez. Ainsi, manquant à l'une de vos plus essentielles
obligations par rapport à Dieu, vous n'avez pas même le monde pour vous : comme
si le monde, tout perverti qu'il est, vous faisait en cela votre leçon, vous
reprochant votre peu de zèle au même temps qu'il en profite, et vous méprisant
par où vous pensiez lui plaire.
Mais vous n'avez pas, à ce que
vous prétendez , assez de fermeté pour vous opposer au
progrès du vice et pour résister à l'insolence du libertinage. Ah ! Chrétiens,
c'est un troisième point où j'ai dit que l'iniquité de l'homme se dément
elle-même, et où je prétends que, pour peu qu'on se fasse de justice, on ne peut
éluder ni soutenir le reproche de sa conscience. Car voilà, mes chers
auditeurs, le comble de notre misère; confessons-le humblement et avouons-le de
bonne foi : Nous ne manquons de fermeté que lorsqu'il faut en avoir pour les
intérêts de Dieu, et pour nos intérêts propres, nous ne péchons que parce que
nous avons trop de fermeté. Je m'explique. Que Dieu soit outragé, que son nom
soit blasphémé, que le culte de sa religion soit profané, nous demeurons dans
un repos oisif et dans une langueur mortelle ; mais qu'on nous attaque dans nos
biens, qu'on nous blesse dans notre honneur, il n'y a point d'excès où le
ressentiment ne nous porte. Et, pour en venir au détail, qu'un esprit impie et
corrompu raille en notre présence des choses saintes, c'est là qu'une crainte
humaine nous ferme la bouche; mais que la raillerie s'étende sur nous, sur nos
personnes, sur nos actions, nous nous déchaînons contre elle jusqu'à la fureur.
Qu'un libelle injurieux et diffamatoire se débite dans le public, et que nous
nous y trouvions notés, nous remuerons tout pour en savoir l'auteur, et nous le
poursuivrons jusqu'au tombeau ; mais qu'un livre abominable se répande, où la
pureté des mœurs et la charité du prochain soient violées, à peine le
condamnons-nous, et Dieu veuille que nous ne nous en fassions pas un
divertissement ! En un mot, qu'on déshonore Dieu et qu'on crucifie
Jésus-Christ, comme l'Apôtre nous apprend qu'il est encore tous les jours
crucifié à nos yeux, ce n'est rien pour nous; mais qu'on nous pique, même
légèrement, mais qu'on nous rende un mauvais office, c'est alors que tout
le feu de la colère s'allume et nous transporte. Quelles
aigreur! quelles inimitiés, quelles vengeances
suivant cette belle parole de saint Jérôme : In Dei a juria
benigni sumus in nostris contumeliis odia exercemus. Or, il est
bien étonnant que nom ayons des sentiments si opposés, et que notre esprit, par
une étrange contradiction, soit tout à la fois si patient et si fier, si tiède
et si ardent, si lâche et si courageux. Je dis si courageux, si ardent, si fier
dans nos propres injures, et si patient ou plutôt si lâche et sans vigueur
dans] celles de Dieu. Mais c'est à nous à nous justifier devant Dieu sur une si
monstrueuse contrariété.
Nous n'avons ni crédit, ni
industrie, inintelligence contre les progrès et les attentats du libertinage ;
ainsi parlons-nous quand il ne s'agit que de Dieu seul et de sa cause. Mais que
ce qui était la cause de Dieu devienne la nôtre que cette cause de Dieu
commence à nous toucher personnellement , que notre intérêt s'y trouve mêlé ;
et l'on verra si nous sommes aussi peu agissants et aussi dépourvus d'adresse
que nous le disons. Il n'y a point alors de ressort que nous ne sachions faire
jouer, et il n'y a point d'obstacle que nous n'ayons le secret de rompre. Auparavant
nous ne pouvions rien maintenant nous pouvons tout. Nous n'osions employer nos
amis pour Dieu, nous les fatiguons et les épuisons pour nous-mêmes. Il semble
que nous soyons transformés en d'autres hommes, et que notre lâcheté, par un
changement merveilleux, se soit convertie dans la plus intrépide et la plus
inébranlable constance: In Dei injuria benigni sumus, in nostris contumeliis odia exercemus.
Encore une fois, pour peu que nous soyons équitables, pouvons-nous entendre sur
cela le témoignage de notre cœur, et n'en pas rougir de confusion ? Si nous
n'en rougissons pas, Chrétiens; si, par une ferveur toute nouvelle qui doit
aujourd'hui nous ranimer, nous ne profitons pas de ces leçons que je vous fais,
Dieu saura bien nous faire porter la peine de notre injustice, et nous punir de
notre infidélité. Car s'il y a rien qui soit capable de l'irriter contre nous
et d'attirer sur nous les fléaux de sa colère (apprenez-le, grands de la terre,
et humiliez-vous sous sa main toute-puissante), si, dis-je, il y a un sujet qui
l'engage à se tourner contre vous, et à vous traiter avec plus de sévérité,
c'est celui-ci. Quelque bien; que vous puissiez faire d'ailleurs, si, par une
condescendance trop facile, vous soutirez que
175
la religion, que l'Eglise, que la
piété, que la vérité, que la saine doctrine, soient impunément attaquées,
fussiez-vous dans tout le reste des hommes irréprochables, vous êtes des anathèmes
que Dieu rejettera, qu'il confondra même
dès celle vie, et sur qui il fera éclater toute la rigueur de ses jugements. Ne
comptez point sur toutes les autres vertus que vous auriez pratiquées. Vous
n'êtes pas plus saints que l'était Héli : il aimait l'ordre, il voulait que
Dieu fût servi, et il le servait lui-même ; il était touché des scandales que
ses deux enfants, Ophni et Phinées,
donnaient dans le temple : mais il manquait de fermeté pour les tenir dans le
devoir, et pour réparer les outrages qu'ils faisaient à Dieu. Vous savez ce qui
lui en arriva. Quia magis honorasti
filios tuos quam me, lui dit
le Seigneur par la bouche de son prophète: ecce dies veniunt,
et prœcidam brachium tuum, et non erit senex in domo tua (1) ; Parce
que tu as eu plus d'égard pour tes enfants que pour moi, parce que tu as plus
craint de leur déplaire qu'à moi, parce que tu n’as pu te résoudre à les
contrister en les châtiant, et qu'ils t'ont été plus chers que moi, voici le
jour de ma justice qui approche. Comme tu m'as offensé en eux, je te
punirai par eux : ils mourront l'un et l'autre d'une mort funeste, et dans
leurs personnes toute la gloire de ta maison sera pour jamais anéantie. Ah! mes chers auditeurs, combien de pères dans le christianisme
à qui Dieu pourrait faire, au moment que je parle, la même menace et la même
prédiction ! Quia magis honorasti
filios tuos quam me : Parce que vous vous êtes laissé amollir par
une tendresse criminelle, et que vous l'avez conservée à mon préjudice pour des
enfants impies , alliées, perdus de conscience ; parce que, voyant leurs
désordres, vous n'avez pas voulu oublier que vous étiez leur père, pour vous
souvenir que j'étais votre Dieu, ou que vous vous êtes seulement souvenu que
vous étiez leur père, pour les aimer, sans vous souvenir que vous l'étiez
encore pour les corriger; parce qu'en mille occurrences où je vous demandais
raison de leurs déportements; vous n'avez pu consentir à vous élever contre eux
pour venger mes intérêts : Ecce dies ventant, et prœcidam
brachium tuum, et non erit senex in domo
tua; je vous priverai de ces bénédictions que j'ai coutume de répandre sur
uns serviteurs, et sur ceux qui leur appartiennent. Elles ne seront ni pour
vous ni pour ces enfants dont vous êtes idolâtres, et sur qui
vous fondiez vos espérances dans
l'avenir. Je détruirai voire maison, j'abaisserai votre grandeur, je saperai
les fondements de cet édifice imaginaire que vous vous promettiez de bâtir, et,
par la juste sévérité de mes châtiments, vous reconnaîtrez que je n'ai besoin
que de moi-même pour tirer, quand je le veux, une vengeance exemplaire des
injures que je reçois, et de ceux qui les pardonnent trop aisément.
Oui, mes Frères, c'est ainsi que
Dieu pourrait vous parler, et à Lien d'autres. La prédiction se vérifia à
l'égard d'Héli, l'effet répondit à la menace ; tout ce que le prophète lui
avait annoncé s'exécuta; et, selon les règles de la prédestination divine, ce
fut encore une grâce que Dieu fît à ce père infortuné : car tous les maux qui
tombèrent sur lui n'étaient après tout que des maux temporels, dont il profita;
mais il y a des coups de la justice de Dieu plus terribles, que nous avons à
craindre. Et qu'est-ce quand Dieu, se retirant de nous, laisse peu à peu se
refroidir et s'éteindre tout notre zèle ? Or, voilà ce qui arrive souvent, et
ce qu'il nous a fait entendre par son prophète : Auferetur
zelus meus a te (1). Il laisse un juge, un
magistrat dans le plus profond assoupissement sur des abus qui s'introduisent,
et qui le condamneront au tribunal de Dieu, pour ne les avoir pas d'abord
condamnés à son tribunal. Il laisse un maître abandonner tout au gré de ceux
qui le servent, et fermer entièrement les yeux sur leur conduite, pour n'être
point forcé de les avertir et de les reprendre; mais pour se charger devant
Dieu d'un fardeau mille fois encore plus pesant que celui dont il a voulu se
décharger, et qu'il ne croyait pas pouvoir porter, il laisse un ministre de sa
parole, un directeur, un confesseur flatter les consciences, les perdre en les flattant,
et se précipiter lui-même dans l'abîme ; car ce sont là les suites malheureuses
de cette crainte mondaine qui nous lie tout à la fois et la langue et les
mains, pour ne rien dire et pour ne rien entreprendre dans des occasions qui
demandent toute la liberté de la parole et toute la force de l'action. Ah ! chrétiens auditeurs, si la crainte nous doit gouverner, que
ce soit la crainte du Seigneur, de ce Dieu tout-puissant, et surtout de ce Dieu
jaloux : car il l'est, et il l'est souverainement. Et ne peut-il pas bien
l'être? et que n'a-t-il pas fait pour avoir droit de
l'être? et n'est-ce pas notre avantage qu'il le soit,
et qu'il daigne attendre de nous
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et en recevoir ce témoignage, dont
il a prétendu nous faire un mérite? Que lui était du reste nécessaire le
témoignage d'aussi faibles créatures que nous le sommes?
Ne pouvait-il pas, sans nous, mettre à couvert ses intérêts? Mais par une
conduite toute miséricordieuse de sa providence et de son infinie bonté, il a voulu
que nous eussions de quoi lui marquer de quoi nous récompenser. Secondons ses
desseins, puisqu'ils nous sont si favorables; et, par une ardeur toute
nouvelle, disposons-nous à entendre un jour de sa bouche cette glorieuse invitation
: Venez, bons serviteurs; parce que vous m'avez été fidèles, entrez dans la joie
de votre Seigneur. C'est là que nous trouverons le centuple de tout ce que nous
aurons donné à Dieu, et que nous jouirons éternellement de notre attachement et
notre zèle, afin qu'il eût sa gloire, que je vous souhaite, etc.