IV° DIMANCHE - PENTECOTE

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SERMON POUR LE QUATRIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE.
SUR LES OEUVRES DE LA FOI.

ANALYSE.

 

SUJET. Pierre lui répondit : Maître,  nous avons travaillé toute la nuit, et nous n'avons   rien pris : mais sur votre parole, je jetterai encore le filet.

 

Voulons-nous travailler utilement, appelons à nous Jésus-Christ, et travaillons sous ses ordres et en son nom. Agissons selon la foi et par la foi.

Division. La foi se perd par le relâchement dans la pratique des bonnes œuvres : première partie. Elle se rétablit par la ferveur en la pratique des bonnes œuvres : deuxième partie.

Première partie. La foi se perd parle relâchement dans la pratique des bonnes œuvres. La perte de la foi ne peut venir que de deux principes, de Dieu et de nous-mêmes. De nous-mêmes, qui ne conservons pas avec soin le précieux trésor de la foi. De Dieu, qui retire de nous les grâces et les lumières de la foi. Or l'un et l'autre n'arrive que par notre relâchement dans la pratique des bonnes œuvres, qui sont les fruits de la foi.

1° De nous-mêmes nous perdons la foi, parce que nous n'en pratiquons pas les œuvres; car ce qui la fait vivre, ce sont les oeuvres. Quand donc les œuvres cessent, elle s'altère, elle devient languissante, et, selon l'expression de saint Jacques, elle meurt. Il est vrai qu'il n'y a que le péché d'infidélité qui puisse absolument la détruire ; mais on en vient peu à peu à ce péché. Car dès que la foi n’agit plus en nous, mille ennemis commencent à s'élever dans nous-mêmes pour agir contre elle : nos passions, l'orgueil, l’amour de la liberté, le monde, la chair ; et comment se défendra-t-elle, si elle n'a plus de mouvement ni d'action ? Ce serait une espèce de prodige, que, dans une vie déréglée, on conservât une foi sainte  et pure. Mais dépend-il de nous de croire et d’avoir la foi ? oui, Chrétiens, avec le secours de la grâce.

2° De la part de Dieu, nous perdons la foi, parce que, voyant que nous n'en pratiquons pas les œuvres, il retire de nous les grâces et les lumières de la foi. Rien de plus marqué dans l'Ecriture. Et n'est-il pas bien naturel que la foi ne nous étant donnée que pour agir, Dieu la laisse détruire lorsqu'elle n'opère rien en nous et que nous ne faisons rien avec elle? C'est ainsi que des esprits sublimes, des esprits forts, pénétrants, éclairés, selon le monde, sont tombés et tombent encore dans des aveuglements qui font horreur.

Deuxième partie. La foi se rétablit parla ferveur dans la pratique des bonnes œuvres; car c'est par les bonnes œuvres fidèlement et sincèrement pratiquées que l'on parvient à la perfection de la foi. Il est vrai que la foi au moins commencée est le principe nécessaire du bien que nous faisons pour Dieu ; mais il n'est pas moins vrai que c'est le bien que nous faisons pour Dieu qui nous conduit à cette foi parfaite et achevée dont dépend notre sainteté. Ainsi le centenier Corneille, d'une foi obscure et confuse qu'il avait des mystères de Dieu, parvint à cette foi claire et distincte qui lui fit connaître Jésus-Christ, et embrasser sa loi. Dieu eut égard aux œuvres de piété et de miséricorde où il s'exerçait continuellement, selon qu'il est rapporté dans les Actes des Apôtres. De là vient que, dans le langage des Pères, ces bonnes œuvres sont appelées œuvres édifiantes. De là vient que saint Paul exhortait si fortemement son disciple Timothée à ressusciter dans lui-même, par de saintes œuvres, la grâce qu'il avait reçue, et c'est à quoi l’on ne peut trop exhorter tant de chrétiens faibles et chancelants. Pour trouver Dieu, il faut le chercher ; et pour le chercher il faut agir.

Vous me direz que pour pratiquer ces bonnes œuvres, par où l'on parvient à la perfection de la foi, vous n'avez pas encore assez de foi. Faux prétexte. En quelque désordre que nous puissions être, non-seulement il nous reste assez de foi pour faire ces œuvres qui doivent rétablir notre foi, mais nous avons à craindre qu'il ne nous en reste trop pour servir à notre condamnation si nous ne les faisons pas. Quand nous n'aurions que la foi d'un Dieu et de ses adorables attributs, en faudrait-il davantage pour nous porter à tout le bien qu'on exige de nous? Corneille le centenier en avait-il d'abord une autre? Jésus-Christ disait aux Juifs : Marchez pendant que vous avez la lumière ; et leur foi néanmoins était alors dans son déclin. Un homme du monde un pécheur, quoique sa foi soit presque éteinte, a toujours malgré lui certains retours intérieurs, certaines vues dont il ne tient qu'à lui de profiter. Prière à Dieu.

 

Et respondens Simon, dixit illi : Prœceptor, per totam noctem laborantes nihil cepimus ; in verbo autem tuo laxabo rete.

Pierre lui répondit : Maître, nous avons travaillé toute la nuit, et nous n’avons rien pris ; mais sur votre parole je jetterai encore le filet. (Saint Luc, chap. V 15.)

 

 

Quoi qu'on puisse dire de la vie inutile des gens du siècle, le plus grand désordre et le plus commun dans le monde n'est pas d'y demeurer oisif et sans travail. De quels soins au contraire ne s'y charge-t-on pas, quelles entreprises n'y forme-t-on pas; et, pour y réussir, quels efforts ne fait-on pas? Mais le plus déplorable de tous les malheurs, c'est qu'on se consume en vain de tant de veilles et de tant de soins, c'est que tant d'entreprises et tant de projets n'aboutissent à rien de solide; c'est qu'on ne retire proprement aucun fruit de tant de fatigues et de tant d'efforts, et qu'après bien  des peines,  l'on se trouve réduit à la

 

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même plainte que faisaient les apôtres : Nous avons travaillé longtemps, et  nous n'avons rien gagné : Per totam noctem  laborantes nihil cepimus. Pourquoi cela, mes chers auditeurs? les paroles de mon texte nous en marquent assez la raison : parce que tant de mondains, comme les disciples de Jésus-Christ, ne travaillent qu'en son absence et dans les ténèbres : Per totam noctem laborantes. Expliquons-nous,  et comprenez ma pensée. Il est vrai, Ton agit dans le monde, mais selon le monde, mais en vue du monde et pour le monde. Or voilà ce que j'appelle travailler dans l'obscurité et dans la nuit, puisque Dieu, pour ainsi parler, n'y est point présent et qu'il n'y a nulle part. Et comme Dieu, d'ailleurs, ne compte que ce qui se rapporte à lui et qui est pour lui, voilà ce que je prétends n'être de nulle valeur dans son estime, et de quoi nous ne pouvons attendre nulle récompense : Nihil cepimus. Voulons-nous donc, Chrétiens, amasser et nous enrichir devant Dieu ? voulons-nous, aussi bien que les apôtres (permettez-moi cette figure), voulons-nous,   dis-je, remplir   nos   filets et faire une pêche abondante? appelons à nous Jésus-Christ, et travaillons sous ses ordres et en son nom : In verbo autem tuo laxabo rete ; c'est-à-dire travaillons dans le grand jour de la foi, agissons selon la foi et par la foi ; appliquons-nous aux œuvres de la foi, à ces œuvres saintes et sanctifiantes, mais si négligées et si rares ; à ces œuvres dont je veux aujourd'hui vous faire voir l'indispensable nécessité pour ne pas perdre la foi même, et pour s'y maintenir. C'est l'importante matière que j'ai à traiter, après que nous aurons salué Marie, en lui disant : Ave, Maria.

 

C'était une espèce de défi, mais bien pressant, que l'apôtre saint Jacques faisait autrefois à un lâche chrétien, lorsque, raisonnant avec lui, il lui parlait en ces termes : Que vous servira-t-il, mon Frère, de dire que vous avez la foi, si vous n'en avez pas les œuvres? Votre foi seule vous pourra-t-elle sauver? Vous vous glorifiez de cette foi; et moi, dans l'esprit d'une humble confiance, je m'attache à la pratique désœuvrés. Montrez-moi votre prétendue foi, qui est sans œuvres; et moi, par mes œuvres, je vous prouverai ma foi : Ostende mihi fidem tuam sine operibus, et ego ex operibus ostendam tibi fidem meam (1). Ce défi, Chrétiens, ne souffrait point de réplique, et réfutait dès lors la foi chimérique et imaginaire, c'est-à-dire la foi

 

1 Jac., II, 18.

 

justifiante indépendamment des œuvres, que l'hérésie du dernier siècle a bien osé renouveler ; rien n'étant plus conforme au bon sens et à la raison que de reconnaître entre les œuvres et la foi cette alliance mutuelle qui fait que, comme il ne peut y avoir de bonnes œuvres sans la foi, aussi ne peut-il y avoir une foi ni suffisante pour le salut, ni même capable de se maintenir au moins dans sa perfection et dans sa pureté, sans les bonnes œuvres.

Supposez donc cette maxime catholique que la foi et les bonnes œuvres ne peuvent être séparées dans l'ordre de la justification, j'entreprends de vous expliquer deux secrets de la vie chrétienne, qu'il vous est important de savoir. L'un regarde la perte de la foi, et l'autre le recouvrement ou le rétablissement de la foi. Car en deux mots, voici mon dessein : je ne puis juger de la foi d'un chrétien que par ses œuvres; donc quiconque abandonne les bonnes œuvres me donne tout sujet de craindre qu'il ne perde enfin le don de la foi : c'est la première vérité ; donc quiconque est assez malheureux pour avoir perdu le don de la foi ne doit point espérer de le réparer que par la pratique des bonnes œuvres : c'est la seconde vérité. Je parle à des fidèles, mais qui, malgré la profession qu'ils font de l'être, ne laissent pas tous les jours d'être chancelants dans la foi, et quelquefois même de succomber aux tentations qui ébranlent leur foi. Il m'a donc paru souverainement nécessaire de vous apprendre , dans ce discours, de quelle manière se perd la foi, et de quelle manière elle se rétablit : de quelle manière elle se perd, pour vous en donner une juste appréhension ; et de quelle manière elle se rétablit, pour ranimer par là votre espérance. Elle se perd par le relâchement dans la pratique des bonnes œuvres : ce sera la première partie ; et elle se rétablit par la ferveur dans la pratique des bonnes œuvres : ce sera la seconde. L'une et l'autre va faire tout le sujet de votre attention.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Pouvoir perdre la foi, dit saint Augustin, c'est l'effet déplorable de notre inconstance;et perdre réellement la foi, c'est la consommation malheureuse de l'impiété et de la malice de notre cœur. On la perd , Chrétiens, cette sainte et divine foi, dans le commerce du monde profane ; et saint Thomas a fort bien remarqué que la corruption qui s'en fait en nous ne peut venir absolument que de deux principes, c'est-à-dire de Dieu, ou de

 

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nous-mêmes : de nous-mêmes, qui ne conservons pas avec soin ce précieux trésor de la foi; de Dieu, qui, par une justice rigoureuse, retire de nous les grâces et les lumières de la foi. Or je prétends que l'un et l'autre n'arrive que parce que nous vivons dans une négligence criminelle, et que nous ne produisons pas les fruits de notre foi, qui sont les bonnes œuvres. Et voilà, Chrétiens, tout le mystère que Jésus-Christ voulait faire comprendre aux Juifs , quand il leur disait : Ideo auferetur a vobis regnum Dei, et dabitur genti facienti fructus ejus (1) ; C'est pourquoi je vous déclare que le royaume de Dieu vous sera enlevé, et qu'il sera donné à un peuple qui en produira les fruits par une fidèle correspondance.

Commençons donc par nous-mêmes ; et puisqu'il s'agit de reconnaître la source d'un mal dont il est indubitable que nous sommes les premiers auteurs, comme nous en sommes les sujets, demandons-nous à nous-mêmes d'où peut procéder cette altération si pernicieuse et si contagieuse qui se fait de notre foi, et que nous voyons se répandre de jour en jour dans les esprits des hommes. Il est aisé de vous instruire sur ce point, puisque les règles de cette même foi dont nous parlons en contiennent la résolution. Qu'est-ce qui fait vivre la foi dans nous? Consultons l'oracle du Saint-Esprit, qui est l'Ecriture. La foi, dit saint Jacques dans son Epître canonique, doit être en nous quelque chose de vivant et d'animé. Ce n'est point une habitude morte , et elle ne peut l'être sans que nous soyons coupables de l'avoir éteinte, en lui niant la vie qu'elle avait reçue de Dieu. Or en quoi consiste cette vie de la foi, ou plutôt, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, quelle est rame qui entretient et qui fait subsister le corps de la foi ? Ce sont, répond le même apôtre, les bonnes œuvres que nous pratiquons. Voilà par où la foi se soutient, voilà ce qui lui donne le mouvement et l'accroissement, voilà ce qui la rendrait immortelle si nous étions constants et toujours fervents dans la pratique de nos devoirs. Comme donc il arrive qu'un corps , dès qu'il cesse d'exercer les fonctions de la vie, commence à se détruire et à se corrompre ; aussi la foi, par l'interruption des bonnes œuvres, s'affaiblit peu a peu, devient languissante, mourante, et, si j'ose user de ces termes, expire enfin et meurt: Sicut enim corpus sine spiritu mortuum est, ita fides sine operibus mortua est (2). Conclusion terrible, ajoute saint Augustin, puisqu'il

 

1 Matth., XXI, 43. — 2 Jac, II, 26.

 

importe peu ou de n'avoir qu'une foi morte, ou de n'en point avoir du tout, et que le plus grand de tous les crimes est d'en avoir une dont on devienne, devant Dieu, le meurtrier et l'homicide.

Cependant, Chrétiens, rien de plus vrai ; et cette théologie de l'apôtre se confirme sensiblement par l'expérience que nous pouvons avoir de nous-mêmes. Car qu'y a-t-il de plus mort que la foi d'un homme qui ne fait rien pour Dieu ni pour son salut? Et que doit-on juger d'une foi comme celle-là, sinon, ou qu'elle est déjà détruite dans le cœur de celui qui la professe, ou du moins qu'elle le sera bientôt? J'avoue (et c'est ici que l'application de vos esprits m'est nécessaire), j'avoue que la foi, qui est une vertu surnaturelle, ne se détruit pas dans nous comme les vertus morales, je veux dire par une simple omission des actes qui lui sont propres ; j'avoue même que, toute surnaturelle qu'elle est, elle peut subsister avec le péché et avec le péché mortel, de quelque nature et de quelque grièveté qu'il puisse être, à l'exception de l'infidélité seule, puisque, selon la doctrine du concile de Trente , il n'y a que le péché d'infidélité qui nous fasse perdre directement l'habitude de la foi : mais je prétends qu'en cessant de faire de bonnes œuvres, on en vient insensiblement et presque sans l'apercevoir à cette infidélité ; non pas à une infidélité ouverte et déclarée, que la bienséance même des mœurs ne souffrirait pas, mais à une infidélité secrète, qui est aujourd'hui le grand péché du monde. Et comment cela? le voici, Chrétiens; concevez-en bien le progrès, et vous conviendrez que je n'exagère rien. C'est qu'en matière même d'infidélité, on ne se pervertit pas tout à coup. Il y a certaines démarches et certains degrés par où le démon nous conduit et qui nous mènent à ce malheureux terme. Je m'explique. Nous ne perdons pas d'abord la vertu de la foi, le caractère que nous portons l'a imprimée trop avant dans nous pour la pouvoir si tôt effacer ; mais nous en perdons premièrement l'usage et l'exercice , en négligeant les devoirs de religion auxquels cette foi nous engage. A force d'en perdre l'exercice nous en perdons peu à peu l'affection et le goût ; car le moyen de goûter ce que l'on ne pratique pas, et le moyen de s'affectionner à une foi que l'on se représente toujours comme fâcheuse et importune? Après avoir perdu l'affection et le goût de la foi, nous venons bientôt à perdre la soumission et la docilité qu'elle demande.

Car il est difficile, dit saint Bernard, que

 

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nous nous soumettions sincèrement et parfaitement à ce qui n'est pas selon notre cœur, et que nous ne prenions pas plaisir à contredire ce qui nous blesse et ce qui nous déplaît. Perdant cette soumission de la foi, il est infaillible que nous corrompons la substance de notre foi, puisque la soumission de l'esprit est aussi essentielle à la foi que la foi l’est à elle-même. La substance de la foi étant corrompue , il ne nous reste plus qu'un fantôme de cette vertu, pire devant Dieu que l'infidélité païenne, puisque c'est une infidélité élevée, pour ainsi dire, sur les débris de la foi. Or tout cela, Chrétiens, vient de cette lâcheté, de ce dégoût et de cet abandon des bonnes œuvres, comme de sa source. Ainsi un homme du monde se propose de vivre selon l'esprit du monde, et cet esprit du monde le fait tomber dans une insensibilité de cœur, et dans un oubli universel des choses de Dieu. Il ne vaque plus à la prière, il n'use plus d'aucun sacrement, il ne sait plus ce que c'est que pénitence, il n'y a plus de jeûnes ni d'abstinences pour lui ; il ne pense pas même à ce qui lui coûterait le moins et qui lui pourrait servir auprès de Dieu d'une ressource, qui serait de soulager les misères des pauvres; s'il assiste au sacrifice de l'Eglise, c'est sans esprit de religion, et Dieu veuille que ce ne soit pas souvent avec un esprit d'irréligion ! Il en est de même d'une femme mondaine : elle passe sa vie dans un embarras d'occupations vaines et frivoles, ou dans une oisiveté monstrueuse à l'égard du salut ; elle est chrétienne, et à peine lui voit-on jamais faire une action de christianisme. Point de retraite, point de pratique de charité envers le prochain, point de visites des hôpitaux, point de soins d'élever ses enfants ni d'instruire ses domestiques; une messe par cérémonie, un sermon par curiosité, une légère aumône par forme d'acquit ou par une compassion humaine, voilà à quoi se réduit toute sa vie selon Dieu. Que s'ensuit-il de la? je vous l'ai dit, un assoupissement, une léthargie, et enfin une extinction entière de la foi. Tandis que nous sommes dans la ferveur des bonnes œuvres, comme la foi ne nous promet en cet état que des récompenses, nous ne trouvons en elle qu'un fonds de consolation et de joie intérieure pour nous; et n'y trouvant que ce fonds de joie, notre esprit, bien loin de s'en rebuter, se sent disposé à s'y attacher, et à ne s'en départir jamais. Mais avons-nous une fois abandonné ce zèle pour les œuvres que Dieu nous commande, dès là notre esprit, qui ne trouve plus rien dans la foi d'avantageux ni de favorable, et qui, par la corruption des désirs du cœur, croit plutôt les choses comme il aurait intérêt qu'elles fussent que de la manière qu'elles sont, se défait peu à peu de cette foi qui lui est incommode, parce qu'il ne peut autrement se délivrer des reproches que cette foi lui fait; et je suis persuadé, Chrétiens, par toutes les lumières que Dieu me donne, que voilà le grand principe de l'infidélité du siècle.

Mais, me diriez-vous, il est toujours vrai que l'habitude de la foi divine peut demeurer en nous sans agir. Je le sais,mes chers auditeurs; mais je sais aussi que dès qu'elle cesse d'agir en nous, mille ennemis commencent à s'élever dans nous-mêmes pour agir contre elle. Nos passions, l'orgueil qui nous domine, l'amour de la liberté, le monde, la chair, tout cela s'arme et combat contre notre foi ; et si notre foi ne résiste pas, et qu'elle ne soit pas en défense, il faut nécessairement qu'elle succombe à tout cela. Or comment la foi se défendra-t-elle de tout cela si elle n'agit plus? Quelles armes Dieu lui a-t-il données pour repousser les ennemis qui l'attaquent, sinon les œuvres du salut? et le moyen qu'elle triomphe de tant de démons, si ce n'est, comme disait le Fils de Dieu, par la prière et par le jeûne ? Et c'est ici que je vous prie de remarquer avec moi le faux raisonnement d'un homme du monde, qui se plaint et qui déplore son malheur d'avoir peu de foi, quoiqu'il souhaitât, dit-il, d'en avoir davantage. Raffinement dont le libertinage se sert pour se justifier en quelque sorte , et pour se rendre moins odieux. Car comment est-ce, mon cher auditeur, que vous auriez beaucoup de foi, ne faisant rien de tout ce qui est nécessaire pour l'entretenir, et faisant ce qui est capable de la ruiner? Comment auriez-vous de la foi, la traitant de la manière que vous la traitez, la retenant captive dans l'injustice , la prostituant aux désordres d'une vie impure, lui portant autant de coups que vous commettez de crimes et ne pensant jamais à guérir ses plaies par les remèdes que Dieu vous a mis en main? Ne serait-ce pas une espèce de prodige que votre foi fût à l'épreuve de tant de blessures, et ne faudrait-il pas s'étonner comme du plus grand de tous les miracles que, dans un dérèglement de vie pareil à celui où vous êtes, vous conservassiez une foi saine et pure?

Mais dépend-il de moi de croire et d'avoir la foi ; cela est-il en mon pouvoir, et est-ce une chose dont je sois le maître, en sorte que je mêla puisse commandera moi-même? Voilà le dernier retranchement des âmes mondaine

 

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et infidèles : il ne dépend pas de moi de croire ou de ne pas croire. Il n'en dépend pas, Chrétiens? et pourquoi donc le Sauveur du monde Brait-il reproché à ses disciples que leurs cœurs étaient lents et tardifs à croire : O stulti et tardi corde ad credendum (1) ? Pourquoi se serait-il offensé de leur incrédulité, lorsqu'il leur disait avec indignation : Jusqu'à quand vous souffrirai-je ? O generatio incredula, usquequo patiar vos (2) ? Pourquoi aurait-il repris saint Pierre d'être un homme de peu de foi ? Modicœ fidei, quare dubitasti (3) ? Car, si cette foi n'est point en notre pouvoir, toutes ces propositions de Jésus-Christ étaient sans fondement ; il devait supporter ses apôtres, tout incrédules qu'ils étaient ; il ne devait point les condamner de ce que leur foi était imparfaite ; il devait remédier à l'impuissance où ils étaient de croire à sa parole, et non pas leur en faire des reproches. Or, de dire que Jésus-Christ leur ait fait ces reproches sans sujet et sans raison, c'est ce que je ne crois pas que nous osions lui imputer. Il dépend donc absolument de vous d'avoir la foi et de persévérer dans la foi; on ne vous dit pas, Chrétiens, que vous la puissiez avoir de vous-mêmes et sans le secours de la grâce ; on convient que la grâce nous est nécessaire pour assujettir notre raison a l'obéissance de la foi ; mais supposé cette grâce que Dieu nous promet, et que vous pouvez ensuite vous promettre infailliblement à vous-mêmes, parce que la parole d'un Dieu ne peut manquer, on dit qu'il est en votre pouvoir de pratiquer cette obéissance, de vous en imposer le joug, de le porter constamment et volontairement, en un mot de croire et d'être fidèles; et on prétend que de douter de cette maxime, c'est faire injure à la grâce même, sous ombre d'en établir la nécessité.

Si l'erreur contraire était une fois reçue, que, dans l'état même de grâce où nous sommes, il ne dépend point de nous de croire ou de ne pas croire, il n'y aurait plus d'impiété qui ne fût autorisée, plus de libertinage de créance qui ne se trouvât à couvert, plus d'athéisme non-seulement qui ne devînt pardonnable et excusable, mais qui ne se soutint même contre Dieu, sans avoir besoin d'excuse ni de pardon. En effet, c'est à quoi aboutit le raisonnement des libertins et des impies, et voilà ce qui les endurcit dans leur infidélité. On vous dit donc, Chrétiens, et on vous le répète, qu'il n'en est pas ainsi ; et qu'autant qu'il est vrai que la grâce de la foi dépend de Dieu

 

1 Luc, XXIV, 25. — 2 Matth., XVII, 16. — 3 Ibid., XIV, 31.

 

seul, autant est-il vrai, dans la solide théologie, que la foi dépend de Dieu et de vous : pourquoi? parce que, quand même vous n'auriez pas encore toute la perfection de cette vertu, il dépend de vous, en usant bien des grâces présentes, de la demander à Dieu ; il dépend de vous de vous y disposer, il dépend de vous de retrancher mille obstacles qui vous en éloignent, parce que, si l'ayant déjà vous reconnaissez qu'elle s'affaiblit, il dépend de vous d'employer les moyens efficaces dont Dieu vous a pourvus pour la fortifier par de bonnes œuvres. Vous ne faites rien de tout cela ; et sans user d'aucun effort, mesurant cette foi par les vues bornées d'un esprit mondain qui vous possède, vous prétendez en être quittes pour dire : Je n'ai pas le don de la foi, cette foi n'est pas en ma puissance. Je vous demande si c'est bien raisonner avec Dieu ?

Mais allons plus loin, et prenant la chose de plus haut, tâchons de pénétrer jusque dans le fond de ce mystère. Nous perdons la foi, parce que Dieu retire de nous les grâces et les lumières de la foi ; et Dieu retire de nous les grâces de la foi, parce que nous ne faisons pas des œuvres dignes de notre foi : voilà le second principe de l'infidélité secrète qui règne dans nous. N'avançons rien témérairement dans une matière aussi importante et aussi délicate que celle-ci. C'est le flambeau de la révélation de Dieu, et non pas celui de notre propre sens, qui nous doit conduire. Dieu nous ôte ces grâces spéciales et abondantes de la foi qui nous faisaient chrétiens ; rien de plus formel ni de plus expressément marqué dans l'Ecriture. Mais pourquoi nous les ôte-t-il ? ah ! Chrétiens, remarquez ceci. Il pourrait nous les ôter souverainement, et sans autre raison que parce qu'il lui plaît et qu'il le veut: car il est le maître de ses biens. Mais bien loin d'y procéder d'une manière si absolue, il nous déclare en mille endroits que la plus grande violence que nous lui puissions faire est de l'obliger d'en venir à cette extrémité ; que ses dons n'étant plus sujets à aucun repentir, il ne retirera jamais de nous celui de la foi, c'est-à-dire ces grâces, particulières auxquelles notre foi est attachée, que parce que nous nous en serons rendus indignes, qu'en punition de l'abus que nous en aurons fait, que pour n'en pas souffrir davantage la profanation, et par-dessus tout dans le juste ressentiment qu'il aura de voir ces grâces si fécondes et si agissantes d'elles-mêmes, devenues stériles et oisives en nous.

Car voilà ce que le Saint-Esprit semble avoir

 

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entrepris de nous faire entendre par les apôtres et par les prophètes. Voilà ce que saint Jean, dans l'Apocalypse, eut ordre de signifier à révoque d'Ephèse, quand il lui dit de la part de Dieu : J'ai quelque chose contre vous, parce que votre charité s'est refroidie. Souvenez-vous donc de l'état dont vous êtes déchu, et rentrez dans l'exercice des saintes œuvres que vous pratiquiez autrefois, à l'édification de toute l'Eglise. Sinon je viendrai dans le mouvement de ma colère, et j'ôterai de sa place ce chandelier mystérieux qui vous éclaire inutilement : Memor esto itaque unde excideris, et prima opera fac; sin autem venio tibi, et movebo candelabrum tuum de loco suo (1). Or ce chandelier, dit saint Grégoire, pape, selon même le sens de la lettre, nous représente la foi dont il est le symbole ; et cela montre que Dieu , lassé de la négligence de cet évoque et du relâchement de sa vie, n'avait point de justice plus rigoureuse à exercer sur lui que de lui enlever les grâces de la foi. Voilà ce que nous prêche cette parabole si intelligible et tout ensemble si terrible, du talent enfoui que le père de famille fit ôter à celui de ses serviteurs qui n'avait pas pris soin de le faire valoir. Car, suivant l'observation de saint Augustin, ce premier talent qui en devait produire d'autres est évidemment la foi, qui doit opérer dans nous les œuvres du salut ; et la sévérité dont ce père de famille usa envers son serviteur est justement ce qui s'accomplit dans un homme du siècle, quand Dieu, commençant déjà à le réprouver, le dépouille du seul bien qui lui restait, et qui était la lumière de la foi divine.

En effet, Chrétiens, s'il y a une raison capable d'autoriser cette conduite de Dieu, et de fermer la bouche aux hommes du monde, c'est ce mépris des bonnes œuvres dans lequel ils vivent. Car la foi, dit excellemment saint Chrysostome, n'étant donnée que pour agir; toute sa vertu se réduisant à exciter dans les cœurs le zèle du bien qu'elle fait connaître; son unique emploi étant de soutenir l'homme dans l'exécution de ce que le christianisme lui prescrit; dès qu'elle n'opère plus rien de semblable, Dieu, en vue même de sa gloire, est intéressé à la laisser détruire. C'est un arbre qui doit porter des fruits, et qui ne se trouve couvert que de feuilles, c'est-à-dire d'actions criminelles ou superflues; Dieu donc a droit de dire : Succide illam, ut quid etiam terram occupat (2) ? Coupez-le cet arbre, et arrachez-en

 

1 Apoc, II, 5. — 2 Luc, XIII, 7.

 

jusqu'à la racine; car à quoi bon le conserver, puisqu'il n'est d'aucun profit et d'aucun rapport? Or ce que l'Esprit de Dieu nous a exprimé en figure touchant cette vérité, c'est ce qui se passe tous les jours et en effet, quand Dieu, par le plus redoutable de ses jugements, nous prive de certaines grâces choisies, en  quoi consiste le don de la foi. Car il ne nous avait pas donné la foi comme une simple prérogative,   pour nous distinguer des nations infidèles; ni comme un simple ornement, qui ne dût qu'enrichir et parer notre âme. Nous n'étions pas seulement  chrétiens pour connaître les   merveilles et les prodiges qu'un Homme-Dieu a faits pour nous, sans autre conséquence que celle de lui en savoir gré, et de nous en féliciter nous-mêmes; nous l'étions pour répondre à ses bienfaits par des actions dignes de lui et dignes de nous. Nous avions cette foi pour la faire  multiplier,  pour en   : rendre les fruits à Dieu , pour en édifier notre prochain, pour en recueillir nous-mêmes des mérites sans nombre ; et tout cela par le moyen de nos bonnes œuvres. Dieu nous visite, et au lieu de ces bonnes œuvres, il ne trouve en nous qu'une foi inculte, aride, infructueuse, qui, quoique arrosée des pluies du ciel et engraissée du suc de la terre, c'est-à-dire des grâces que nous recevons   continuellement, demeure toujours ingrate et ne produit rien : que fait Dieu ? il conclut ou à l'extirper tout à fait, ou à la transplanter dans un autre sol : Succide, ut quid etiam terram occupat? Il commande aux anges, ministres de sa justice, de nous abandonner, et il renverse dans notre âme, ainsi que parle le Prophète royal, jusqu'au fondement de tout l'édifice spirituel qu'il y avait bâti. Exinanite usque ad fundamentum inea (1). Qu'est-ce que ce fondement? c'est la foi qui devait soutenir toutes les vertus chrétiennes, mais qui, ne soutenant  plus rien lorsque nous n'agissons plus pour Dieu, semble exciter Dieu à prononcer le dernier arrêt contre nous. Exinanite usque ad fundamentum in ea. Eh bien? dit Dieu, qu'elle périsse cette foi inutile, et qu'il n'en reste plus aucun vestige dans ce chrétien perverti : Usque ad fundamentum.

Et c'est ainsi, mes chers auditeurs, que nous voyons parmi nous des génies sublimes, des esprits forts, pénétrants, éclairés selon le monde, tomber dans des aveuglements qui font horreur, ne reconnaissant plus ni Dieu, ni foi, ni religion ; c'est ainsi que nous-mêmes, avec

 

1 Psalm., CXXXVI, 7.

 

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toute notre suffisance et tous les avantages dont nous nous piquons, nous avons souvent moins de foi que des âmes simples qui s'emploient avec humilité aux œuvres chrétiennes, nous flattant que cette différence est même une marque de leur simplicité et de notre esprit, et ne concevant pas que Dieu, en récompense de leur ferveur, se communique à elles, au lieu que, pour punir notre lâcheté, il se retire de nous ; c'est ainsi que nous perdons la grâce de la foi, et que cette foi, par une substitution bien malheureuse pour nous, passe aux nations étrangères, qui font leur richesse de notre perte, comme dit saint Paul, et qui entrent dans le royaume de Jésus-Christ à mesure que nous, qui en étions les héritiers, en sommes chassés : substitution tant de fois prédite par le Fils de Dieu, si manifestement accomplie dans tous les siècles du christianisme, consommée d'une manière si touchante dans le nôtre, où nous avons vu naître de nouvelles chrétientés, et comme deux mondes fidèles, les uns venus de l'orient et les autres de l'occident, par la propagation qui s'est faite de l'Evangile, en même temps que l'hérésie a détaché de l'Eglise des peuples entiers, afin qu'il ne manquât rien à cette prophétie : Multi ab oriente venient et occidente ; filii autem regni ejicientur in tenebras exteriores (1).

Ah! Chrétiens, ouvrons les yeux à cette vérité, et suivant le précepte de notre divin Maître, travaillons, efforçons-nous de faire des œuvres conformes à notre foi ; n'attendons pas que la mesure de nos péchés étant remplie, le soleil de justice s'éclipse entièrement pour nous : puisque notre foi n'est pas encore éteinte, servons-nous-en, non-seulement pour engager Dieu à nous la conserver, mais pour mériter même qu'il nous l'augmente ; désabusons-nous surtout d'une erreur grossière qui nous séduit, de croire que, renonçant aux bonnes œuvres, nous avons néanmoins toujours une intention droite de chercher Dieu, il un Mai désir de le connaître. Car comment Cela pourrait-il être? Est-ce par une vie lâche et toute mondaine qu'on cherche Dieu? est-ce par là qu'on le trouve? est-ce ainsi que l'on parvient à cette connaissance bienheureuse qui lait la sainteté des justes? Dieu serait-il ce qu'il est, si une telle voie nous conduisait à lui? Non, non, Chrétiens, cela ne se peut. Dans la naissance de l’Eglise, dit saint Chrysostome, la loi des chrétiens se soutenait par les miracles ; quelque temps après elle se fortifia par les

 

1 Matth., VIII, 13.

 

persécutions ; mais depuis que les persécutions ont cessé, et qu'il ne plaît plus à Dieu d'opérer ces fréquents miracles, c'est par la constance dans les bonnes œuvres que nous la devons maintenir. Ceci m'engage dans la seconde partie, où, après vous avoir montré que nous perdons la foi parce que nous négligeons les œuvres chrétiennes, je dois vous faire voir que c'est aussi par les œuvres chrétiennes que nous ranimons et réparons notre foi altérée ou perdue. Renouvelez, je vous prie, votre attention.

 

DEUXIÈME   PARTIE.

 

C'est par la foi que nous devenons capables d'agir pour Dieu et de faire de bonnes œuvres, et cependant il est vrai que c'est par l'exercice des bonnes œuvres que nous parvenons à la connaissance de Dieu et au don de la foi. Ne vous imaginez pas qu'il y ait en ceci de la contradiction. Pour peu que vous distinguiez ce que les théologiens appellent les premières grâces et les secondes grâces de la foi, ou, pour parler en termes plus simples, le commencement et la perfection de la foi, vous comprenez sans peine tout le mystère de ces deux grandes vérités, dont voici le sens. C'est par les premières grâces de la foi que nous devenons capables de faire les œuvres qui nous conduisent au salut ; rien de plus constant dans les maximes de la religion : mais aussi rien de plus indubitable que ce que j'ajoute ; savoir, que c'est par les œuvres du salut que nous parvenons à ces secondes grâces qui nous élèvent, qui nous perfectionnent et qui nous établissent solidement dans la foi. C'est la foi, au moins commencée, qui est le principe nécessaire du bien que nous faisons pour Dieu, j'en conviens : mais on ne peut non plus disconvenir que c'est le bien que nous faisons pour Dieu qui est la voie sûre pour arriver à cette foi parfaite et achevée dont dépend notre sainteté. Appliquez-vous, Chrétiens, à ce que je vais vous dire ; et si vous aviez le malheur d'être du nombre de ceux que le Dieu de ce siècle a aveuglés, comme parle l'Apôtre, souvenez-vous que voici la seule espérance qui vous reste, et le dernier remède pour guérir votre aveuglement.

Première vérité : c'est par les bonnes œuvres fidèlement et sincèrement pratiquées que l'on arrive à la perfection de la foi. Ainsi le centenier Corneille, dont il est parlé au livre des Actes, d'une foi obscure et confuse qu'il avait des mystères de Dieu, parvint à cette foi claire et distincte qui lui fit connaître Jésus-Christ. Dieu, dit l'historien sacré, eut égard aux

 

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œuvres de piété et de miséricorde où il s'occupait continuellement, et, touché de sa ferveur, lui députa un apôtre pour l'instruire, lui révéla le sacrement de l'incarnation de son Fils, le disposa au baptême. Voilà le modèle que l'Ecriture nous met devant les yeux, pour nous piquer d'une sainte émulation. Prenez garde : c'était un gentil, mais tout gentil qu'il était, il avait de la religion : Vir religiosus (1) ; mais , tout gentil qu'il était, il craignait Dieu et inspirait cette crainte à toute sa famille : Timens Deum cum omni domo sua (2) ; mais, tout gentil qu'il était, il faisait aux pauvres de grandes largesses de ses biens : Faciens eleemosynas multas plebi (3) ; mais, tout Gentil qu'il était, il priait avec assiduité, et deprecans Deum semper  (4). C'est pour cela, lui dit l'ange du Seigneur, que je suis envoyé vers vous , pour vous apprendre que vos prières et vos aumônes sont montées jusqu'au trône de Dieu ; que Dieu s'en souvient, et que, ne pouvant les oublier, il a choisi Pierre, le chef et le premier pasteur de son Eglise, pour être aujourd'hui votre évangéliste, et pour venir vous annoncer les plus hautes merveilles de la loi de grâce : Orationes tuœ et eleemosynœ ascenderunt in memoriam in conspectu Dei (5). Ecoutez ceci, mes Frères, reprend éloquemment saint Chrysostome, vous qui vous plaignez de n'avoir pas ces lumières dont Dieu remplit les âmes justes ; et adorez jusque dans le discernement que Dieu fait des hommes, non-seulement la profondeur de ses conseils, mais la suavité et la douceur de sa providence. Si Corneille n'avait prié , s'il n'avait été charitable; si dans les nécessités publiques il n'avait ouvert ses entrailles et son cœur, selon l'ordre des divins décrets , il serait demeuré dans les ténèbres de la gentilité. Pourquoi Dieu va-t-il le chercher au milieu d'un peuple incirconcis, et répand-il sur lui l'abondance de ses grâces? c'est qu'il trouve plus en lui de ces précieuses semences de la foi, plus de ces œuvres de justice fondées sur le devoir commun , qu'il n'en trouve en Israël. Ce zèle d'un Gentil à sanctifier sa maison par son exemple, cette persévérance dans la prière, cette inviolable probité qui lui attirait même, selon saint Luc, un honorable témoignage de toute la nation juive : Testimonium habens ab universa gente Judœorum (6); mais par-dessus tout cette tendresse de charité, et cette disposition sans réserve à secourir les indigents et ceux qui étaient dans la souffrance, voilà ce qui gagne le cœur de Dieu,

 

1 Act., X, 2. — 2 Ibid. — 3 Ibid. — 4 Ibid. — 5 Ibid., 4. — 6 Ibid., 22.

 

ce qui détermine Dieu à remplir de ses plus riches trésors ce vase de miséricorde qu'il a prédestiné pour sa gloire. Corneille donc est choisi, poursuit saint Chrysostome , non pas à cause de sa dignité , mais en considération de sa piété : Non propter dignitatem electus, sed propter pietatem. Soyez pieux comme lui, bienfaisants comme lui, zélés comme lui pour le soulagement des pauvres et pour l'avancement des œuvres de Dieu, et vous verrez si Dieu , toujours fidèle dans ses promesses, ne fera pas sur vous comme sur lui une effusion particulière de son esprit, pour fortifier et pour augmenter votre foi. Il le fera, Chrétiens; et, tout pécheurs que vous êtes, il enverra plutôt un ange du ciel que de vous laisser dans votre égarement. Sans y employer le ministère d'un ange , un prédicateur suscité comme un autre saint Pierre pour votre conversion, en vous annonçant la divine parole, vous éclairera, vous persuadera, vous imprimera profondément dans l'âme les vérités célestes. Après l'avoir entendu , vos doutes et vos incertitudes s'évanouiront; votre sécheresse, ou, disons mieux, votre dureté pour Dieu s'amollira : vous vous trouverez tout pénétrés des sentiments de la foi ; ces sentiments, qui n'étaient en vous que superficiels, et qui n'avaient nulle solidité, rempliront toute la substance et toute la capacité de votre cœur, jusqu'à faire en vous un changement visible. On s'en étonnera dans le monde , vous en serez vous-mêmes surpris; mais pour moi, je ne le serai pas ; et, connaissant le principe secret de cette merveille, je dirai aussi bien que saint Pierre, quand il entendit le centenier Corneille parlant du royaume de Dieu : In veritate comperi, quia non est personarum acceptor Deus, sed in omni gente qui timet eum et operatur justitiam, acceptus est illi (1) ; En vérité, je vois bien que, dans toute sorte d'états, c'est à celui qui craint Dieu et qui pratique le bien que Dieu se communique.  En effet, mes chers auditeurs, voilà le ressort de certaines conversions qui arrivent quelquefois, et qui nous causent de l'admiration. Ce chrétien, dans les engagements et les intrigués du monde, paraissait avoir peu de foi; mais, malgré ce peu de foi, il faisait des aumônes, et les faisait libéralement ; mais, convaincu lui-même de son peu de foi, il avait tous les jours ses heures réglées pour demander à Dieu qu'il lui fît connaître les voies du salut ; mais, avec son peu de foi, il voulait que Dieu fût servi dans sa maison, et n'aurait pas

 

1 Act., X, 35.

 

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souffert impunément un domestique vicieux et impie : tout cela lui a attiré de la part de Dieu une grâce qui l'a ramené dans le bon chemin ; et d'un mondain tiède et lâche qu'il était, il est enfin devenu un véritable et parfait chrétien : Orationes tuœ et eleemosynœ ascenderunt in memorinam in conspectu Dei. Quand nous n'aurions pas ces exemples de l'Ecriture pour nous convaincre, l'ordre même et la convenance des choses serait une preuve évidente pour nous faire voir qu'il en doit être ainsi. Je sais que Dieu, par un miracle de sa puissance, peut, sans le concours de nos bonnes œuvres, rétablir la foi dans nos esprits, quand elle y est affaiblie et altérée ; et qu'usant de l'empire absolu qu'il a sur nous, il peut alors , comme dit saint Paul, commander que la lumière sorte du centre de l'obscurité même : Qui dixit de tenebris lucem splendescere (1). Je sais qu'il le peut, et que, par une grâce purement gratuite, il lui plaît même quelquefois de le vouloir : mais d'attendre qu'il le veuille en effet, et de compter sur ce miracle, qui cesserait d'être miracle si nous avions droit de nous le promettre et de l'espérer, il n'y a que notre présomption ou notre ignorance qui puisse aller jusque-là.

C'est par les œuvres , encore une fois, qu'il faut réparer les brèches de la foi ; et de là vient que, dans le langage des Pères, ces bonnes œuvres sont appelées communément œuvres édifiantes, et que nous exprimons leur vertu par le terme d'édification, parce que c'est par elles que doit être édifiée la foi d'un juste , et par elles que doit être relevée la foi d'un pécheur. Voila pourquoi le grand Apôtre, écrivant a mu disciple Timothée, l'avertissait et le conjurait de ressusciter dans lui-même la grâce qu'il avait reçue par l'imposition de ses mains : Propter quam causam admoneo te, ut ressuscite gratiam Dei quœ est in teper impositionem manum mearum (2). Et moi, adressant aujourd'hui ces mêmes paroles à un chrétien froid et languissant dans la foi, mais qui voudrait avoir une foi plus vive, et qui cherche sincèrement à la réveiller, je lui dis dans le même esprit : Ressuscitez , mon Frère, ressuscitez cette foi que vous avez reçue par l'impression du caractère de votre baptême ; il y a trop longtemps que vous la tenez comme ensevelie, ressuscitez-la, et faites-en une foi vivante. Or tous avez entre les mains un moyen sûr et infaillible pour la faire revivre, qui est de la faire agir. Vous ne pouvez pas encore servir

 

1 2 Cor., IV, 6. — 2 2 Timoth., I, 6.

 

Dieu ni accomplir la loi de Dieu, avec cette vivacité de foi qu'ont eue les saints ; mais si vous ne l'avez pas encore, vous pouvez vous mettre en devoir de l'obtenir; vous pouvez intéresser Dieu à vous l'accorder; vous pouvez employer pour cela des intercesseurs puissants auprès de lui, qui sont les pauvres ; vous pouvez, en réglant votre maison, en faisant justice à qui vous la devez, en inspirant l'amour de la vertu à vos enfants, le forcer, par une aimable violence, à vous rendre cet esprit de religion que vous semblez avoir perdu. Cette œuvre de charité que vous entreprendrez ou à laquelle vous contribuerez, ce secours que vous donnerez dans une nécessité pressante à une famille ruinée et affligée, ces vœux que vous porterez vers le ciel, et cette prière que vous ferez à Dieu , voilà l'étincelle qui rallumera ce flambeau de la foi que vous aviez éteint; voilà ce que saint Paul a entendu par cet avis si salutaire et si important : Ut ressuscites gratiam Dei quœ est in te.

Et il était bien juste, comme l'a remarqué saint Chrysostome, il était de l'intérêt même de Dieu, que nous fussions assujettis à cette loi de providence, ou, si vous voulez, de prédestination. Car enfin, pour peu que je sois équitable, il faut que, dans le désordre de ma foi, j'en revienne toujours à ces deux principes : l'un, que Dieu étant mon souverain bien, il est pour moi d'une absolue nécessité que je le cherche ; l'autre, que si je dois jamais espérer de le trouver, c'est par l'exercice des bonnes œuvres. Dieu veut être cherché dans cette vie, le Prophète me l'apprend : Quœrite Dominum, dum inveniri potest (1) ; Cherchez le Seigneur pendant qu'on le peut trouver. Il habite une lumière inaccessible ; mais c'est pour cela, me dis-je à moi-même, que je dois, par de vertueuses et de saintes actions, travailler à m'approcher de lui. Car si sa lumière est inaccessible à l'orgueil, elle ne l'est pas à l'humilité,, elle ne l'est pas à la pureté de cœur, elle ne l'est pas à la ferveur, ni aux autres vertus chrétiennes. Et qui chercherais-je donc, ô mon Dieu, si je ne vous cherche pas, vous qui êtes ma béatitude et ma fin dernière ? Pourquoi m'avez-vous donné une raison, si ce n'est pour vous chercher? Ne suis-je pas trop heureux, tandis que le monde s'occupe à chercher la vanité et le mensonge, d'être obligé de chercher en vous la vérité éternelle?Mais si je vous trouve jamais, puis-je douter, Seigneur, que ce ne soit par des œuvres qui trouvent

 

1 Isa., LV, 6.

 

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grâce devant vous, par des œuvres qui tous glorifient, et qui me donnent ainsi accès et m'introduisent auprès de vous? Car comment pourrais-je autrement trouver le Dieu des vertus, que par les vertus mêmes? Ce raisonnement, Chrétiens, qui est invincible, et que l'infidélité ne peut détruire, produit en moi deux admirables effets ; car il m'engage d'une part, malgré le dérèglement de ma foi, à faire cependant de bonnes œuvres, à éviter le mal, à être miséricordieux et compatissant, parce que je suis certain que si jamais Dieu se découvre à moi et me révèle ses jugements, ce sera par là. Et d'ailleurs il me désabuse d'une erreur grossière où je pourrais tomber, et qui achèverait de me pervertir ; savoir : que je puis en même temps renoncer aux bonnes œuvres ou les négliger, et avoir néanmoins une volonté droite et véritable de chercher Dieu, puisque Dieu, comme je l'ai dit, ne se trouvant que par les bonnes œuvres, renoncer aux bonnes œuvres, c'est, par une suite nécessaire, ne vouloir pas le chercher, ou vouloir tout à la fois accorder deux choses contradictoires.

Vous me direz que pour pratiquer ces bonnes œuvres par où l'on parvient à la perfection de la foi, vous n'avez pas encore assez de foi. Mais je réponds (et c'est une seconde vérité qui demanderait un discours entier si je parlais à des chrétiens moins intelligents) ; je prétends, dis-je, qu'en quelque désordre que nous puissions être à l'égard de la religion, non-seulement il nous reste toujours assez de foi pour faire ces œuvres qui doivent rétablir notre foi, mais que nous devons plutôt craindre qu'il ne nous en reste trop, pour servir à notre condamnation, si nous ne les faisons pas. Reconnaissons dans nous le don de Dieu, et bénissons aujourd'hui le ciel d'un avantage dont nous n'avons peut-être jamais profité, parce qu'il y a bien de l'apparence que nous ne l'avons jamais compris. Disons, avec Isaïe : Nisi Dominus reliquisset nobis semen, quasi Sodoma fuissemus et quasi Gomorrha similes essemus (1). Si le Seigneur, au milieu de nos égarements, ne nous avait réservé une divine semence (or vous verrez comment il nous l'a réservée), nous aurions été semblables à Sodome et à Gomorrhe. Consolons-nous, encore une fois, par ces paroles du prophète, qui nous regardent personnellement. En effet, quand nous n'aurions que la foi d'un Dieu et celle de ses adorables attributs, qui, quoique invisibles d'eux-mêmes, nous sont rendus

 

1 Isa., I, 9.

 

visibles par les créatures, en faudrait-il davantage pour nous déterminer à tout le bien qu'on exige de nous? Qui est-ce qui inspirait à ce centenier dont je vous   ai produit l'exemple tant de ferveur dans ses prières et dans ses aumônes? Ce n'était pas la foi de Jésus-Christ, car Jésus-Christ ne lui avait pas encore été annoncé; ce n'était pas celle de Moïse ni des patriarches, car étant gentil, il ne connaissait pas le Dieu d'Israël sous cette qualité de Dieu d'Israël: c'était la foi d'un premier Etre, et d'une souveraine justice qui préside à tout l'univers. Il croyait un Dieu rémunérateur de la vertu et vengeur des crimes; et cela seul lui faisait conclure qu'étant riche, il devait partager ses biens avec les pauvres; qu'étant père, il devait entretenir l'esprit de religion dans ses enfants ; qu'étant maître , il devait donner l'exemple à ses domestiques; qu'étant homme, et homme pécheur, il devait prier et faire des fruits de pénitence. Ne croyons-nous pas un Dieu, comme lui ; et, dans les plus épaisses ténèbres où le libertinage du monde pourrait nous jeter, ne conservons-nous pas comme lui j cette première notion de la Divinité, que le péché n'efface point? Nous avons donc aussi bien que lui une foi du moins commencée; je dis une foi qui suffit pour nous engager à remplir tous les devoirs de la charité et de la piété, et qui, par l'accomplissement de ces devoirs, nous conduirait infailliblement à cette perfection de foi que nous n'avons pas. Or cette notion d'un Dieu juste est proprement, Seigneur, ce que voulait nous marquer votre prophète, quand il disait que vous nous aviez laissé une semence de foi : Nisi Dominus reliquisset nobit semen. Car, de quelque manière que je raisonne , et quelque système que je me fasse en matière de religion, cette semence de foi subsiste toujours : il y a un Dieu ; donc je dois également l'honorer, et par mes sentiments et par mes œuvres.

Prenez garde, Chrétiens, à la réflexion de saint Augustin sur une parole de l'Evangile qui va servir de conclusion à tout ce discours. Les Juifs, qui s'élevèrent contre Jésus-Christ, et qui se déclarèrent ses persécuteurs, étaient visiblement des incrédules; leur foi était corrompue, et ils vivaient dans un éloignement extrême de Dieu. Cependant ils avaient encore assez de lumière pour entrer dans la voie que Dieu leur montrait, et pour s'y avancer; car Jésus-Christ leur disait expressément : Ambulate dum lucem habetis (1) ; Marchez pendant

 

1 Joan., XII, 35.

 

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que vous avez la lumière. Ils avaient donc dans le déclin même de leur foi une lumière, quoique sombre, mais suffisante pour marcher, c'est-à-dire pour travailler, et pour opérer ce qui les aurait fait sortir des ombres de la mort où ils étaient malheureusement enveloppés, et ce qui les eût accoutumés à ce grand jour de la loi de grâce , dont leurs yeux faibles et malades étaient éblouis. Voilà, homme du monde, voilà, pécheur qui m'écoutez, ce que je puis bien vous appliquer à vous-même. La foi est languissante dans votre cœur, et même elle y paraît absolument éteinte,  il est vrai; mais après tout, jusque dans votre infidélité, si vous voulez bien sonder le fond de votre conscience, et prêter l'oreille à sa voix,  vous trouverez qu'il y a toujours certains remords intérieurs que vous sentez au moins de temps en temps, et que font naître malgré vous mille objets dont vos yeux sont frappés.  Vous trouverez qu'il y a toujours certains retours qui vous piquent, certains doutes qui vous troublent, certaines inquiétudes que vous portez dans le secret de l’âme, et que la dissipation du monde ne peut tellement assoupir qu'elles ne se réveillent quelquefois, et lorsque vous vous y attendez le moins. Vous  trouverez qu'il y a toujours certaines vues qui vous surprennent à certains moments, et qui vous saisissent tout à coup; certaines frayeurs subites qui   vous alarment au milieu même ou de vos affaires humaines, ou de vos divertissements les plus profanes. C'est ce que vous avez éprouvé en bien des rencontres,   ce que vous éprouvez encore; et là-dessus je ne veux point d'autre témoin que vous. Or qu'est-ce que tout cela, que des principes de foi,  quoique éloignés,  dont il ne lient qu'à vous de profiter? Ah! mon cher auditeur, suivez ces impressions salutaires, agissez, faites quelques efforts, quelques pas, ambulate; il ne faut rien davantage avec la grâce, qui ne vous manquera point, pour rendre à ces premières racines toute leur vertu. Elles s'étendront, elles croîtront, elles pousseront peu à peu de nouveaux fruits; la foi revivra dans vous, et vous revivrez avec la foi. Aidez-nous, Seigneur, à la ressusciter; et puisque c'est par les œuvres qu'elle doit renaître et se maintenir dans le christianisme, aidez-nous à rallumer notre zèle, et à ranimer notre ferveur dans la pratique des saints exercices de la religion. De tous les dons que nous ayons reçus de votre infinie miséricorde, le plus précieux, c'est la foi : mais où la réduisent tous les jours l'aveuglement de nos passions et les enchantements du monde? Qu'est-elle devenue, cette foi si nécessaire? est-elle? Je ne demande pas où en sont les apparences, nous les avons conservées; mais où en est l'esprit? en est la pureté, la fermeté, la force et l'activité? en sont les œuvres? Cependant, sans cet esprit de la foi, sans cette force et cette activité de la foi, sans ces œuvres de la foi, qu'est-ce que le reste, et qu'en pouvons-nous attendre? Que dis-je, Seigneur? ce reste de foi que le monde n'a pu encore nous enlever, nous peut rendre la vie, tout faible qu'il est, si nous prenons soin de le cultiver; et c'est pour cela que nous implorons votre secours. Vous ne nous le refuserez pas, ô mon Dieu ! Touché de notre confiance , vous écouterez notre prière; et, soutenus de votre grâce, nous reprendrons une ardeur plus vive et plus agissante que jamais. Pour réparer les perles passées, nous redoublerons notre travail, et, à proportion de notre travail, vous nous éclairerez, vous nous élèverez, vous nous récompenserez dans l'éternité bienheureuse, où nous conduise, etc.

 

 

 

 

 

 

 

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