XVI° DIMANCHE - PENTECOTE

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ESSAI D'AVENT II
ESSAI D’AVENT III
ESSAI D’AVENT IV
ESSAI SAINT-SACREMENT

SERMON POUR LE SEIZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE.
SUR  L'AMBITION.

 

ANALYSE.

 

Sujet. Il adressa ensuite aux conviés une parabole, prenant garde comment ils choisissaient les premières places.

 

C'est ainsi que l'ambition nous porte toujours à rechercher les premiers rangs et à vouloir partout dominer.

 

Division. L'ambition aveugle dans ses recherches : première partie ; présomptueuse dans ses sentiments : deuxième partit; odieuse dans ses suites : troisième partie.

Première partie. L'ambition aveugle dans ses recherches. Comment cela? Parce qu'elle se propose dans les honneurs qu'elle recherche, 1° un prétendu bonheur, et qu'elle n'y trouve que des chagrins et des croix ; 2° une véritable grandeur, et qu'elle n'y trouve qu'une grandeur vaine, et souvent même sa houle et son humiliation.

1° L'ambition se propose dans les honneurs qu'elle recherche un prétendu bonheur, et elle n'y trouve que des chagrins et la croix. Car pour parvenir à ce fantôme de bonheur où aspire l'ambitieux, il faut prendre mille mesures, toutes également gênantes et fatigantes. Pour contenter une seule passion, qui est de s'élever, il faut devenir la proie de toutes les passions ; pour se pousser à cet état que l'on ambitionne, il faut surmonter mille obstacles, et soutenir autant de combats qu'il y a de compétiteurs. Dam l'attente de cet état, il faut supporter des retardements capables d'épuiser toute la patience d'un cœur, etc. Or, voilà ce que l'ambition cache à l'ambitieux, et ce qu'il ne reconnaît que trop dans la suite.

2° L'ambition se propose dans les honneurs qu'elle recherche une véritable grandeur, et elle n'y trouve qu'une grandeur vaine, et souvent même sa honte et son humiliation. Grandeur vaine en elle-même : elle ne donne communément et ne suppose nul

 

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mérite réel ; vaine dans les moyens de l'acquérir, mille bassesses ; vaine dans sa durée, grandeur mortelle et passagère ; vaine dans les revers auxquels elle est sujette, chutes et décadences. Or l'aveuglement de l'ambitieux est de ne faire à tout cela nulle intention.

Deuxième partie. L'ambition présomptueuse dans ses sentiments. L'ambitieux prétend à tout : 1° il se croit donc capable de tout : 2° il se croit capable de tout, sans s'être auparavant éprouvé soi-même.

1° Il se croit capable de tout. Demandez-lui s'il aura  de  quoi remplir tous les devoirs d'une telle charge, il vous répondra sans hésiiter comme les deux enfants de Zébédée : Nous le pouvons. Ce qu'il y a de plus étrange, c'est que ce sont les sujets les plus incapables qui se tiennent plus assurés d'eux-mêmes, et qui forment plus d'intrigues pour s'ingérer dans les premiers emplois.

2° Il se croit capable de tout sans s'être auparavant éprouvé soi-même. C'est assez qu'il ait de quoi acheter cette charge, pour croire qu'il est en état de la posséder et de l'exercer, sans avoir fait nul  essai de son esprit, de ses talents, de son naturel. Il aspire même à des dignités dont la première condition, selon le témoignage de saint Paul, est d'être, irrépréhensible. D'où saint Grégoire conclut qu'il faut donc qu'il se juge en effet irrépréhensible et sans défaut. Suivons le grand principe de la prudence chrétienne, qui est de présumer peu de soi, ou plutôt de n'en point présumer du tout.

Troisième partie. L'ambition odieuse dans ses suites. Il y a deux sortes de grandeurs,les unes légitimes et naturelles, comme, par exemple, celle des rois ; les antres irrégulières, et, pour ainsi dire, artificielles, comme celle de tant d'ambitieux, qui ne s'élèvent que par brigues et par machines. Nous aimons les premières, mais les autres nous sont insupportables. Pour le mieux comprendre, il n'y a qu'a considérer l'ambitieux en deux états.

1° Dans la poursuite de la grandeur, lorsqu'il n'y est pas encore parvenu. Quels ressorts fait-il jouer? à quelles perfidies, à quelles iniquités ne se porte-t-il point? que ne sacrifie-t-il point à l'avancement de sa fortune et au succès de ses desseins? Or est-il rien qui doive plus exciter l'envie et l'indignation du public?

2° Dans l’usage de la grandeur, quand une fois il est arrivé au terme de ses espérances. Quelle fierté, et quelle hauteur ! Et c'est ici que nous devons observer la différence de ces deux espèces de grandeurs que nous avons d'abord distinguées. La grandeur légitime et naturelle, qui est celle des princes, et de ceux qui tirent de leur naissance et de leur sang leur supériorité ; cette grandeur dis-je, est communément civile, affable, douce, modeste, bienfaisante, et c'est ce qui la fait respecter et honorer. Mais l'autre, qui n'a pour fondement et pour appui que l'industrie et l'artifice, est une grandeur farouche, brusque, inaccessible, méprisante, tyrannique, et c'est ce qui lui attire la haine. Bienheureux les humbles ! ils possèdent tout à la fois et le cœur de Dieu et le cœur des hommes.

 

Dicebat autem et ad invitatos parabolam, intendens quomodo primos accubitus eligerent.

Il adressa ensuite aux conviés une parabole, prenant garde comment ils choisissaient les premières places. (Saint Luc, chap. XIV, 7.)

 

 

C'est ainsi que le Sauveur du monde profitait de toute occasion, et ne négligeait rien de tout ce qui s'offrait à ses yeux, pour en tirer de salutaires enseignements, et pour expliquer sa divine morale. Dans un repas où il avait été convié, et où se trouvait avec lui une nombreuse assemblée de pharisiens, il est témoin de leur orgueil, et remarque leur affectation à l'attribuer tous les honneurs, et à se placer eux-mêmes aux premiers rangs. Car ce fut toujours l'esprit de ces faux docteurs de la loi, de vouloir partout se distinguer, partout dominer, et d'être souverainement jaloux d'une vaine supériorité dont ils se flattaient, et dont se revissait leur ambition. Mais, pour rabattre ces hautes idées et cette enflure de cœur, que fait le Fils de Dieu ? dans un exemple particulier, il leur trace une leçon générale ; et dans la parabole de ce festin de noces, où il veut qu'une modestie humble et retenue leur fasse chercher les dernières places, il comprend tous les états, tous les temps, toutes les conjonctures de la vie, où l'humilité doit réprimer nos désirs ambitieux, et nous inspirer une réserve sage et chrétienne. Cum invitatus fueris ad nuptias, recumbe in novissimo loco; maxime qui ne dut guère être du goût de ces hommes superbes et orgueilleux que Jésus-Christ se proposait d'instruire, et maxime qui, de nos jours, n'est guère mieux suivie dans le christianisme, ni mieux pratiquée. Depuis les grands jusqu'aux petits, et depuis le trône jusqu'à la plus vile condition, il n'y a personne, ou presque personne, qui, plus ou moins, selon son état, n'ait en vue de s'élever, et qui ne dise, comme cet ange qui s'évanouit dans ses pensées : Je monterai : Ascendam. Or, qui pourrait exprimer de quels désordres cette damnable passion a été jusqu'à présent le principe, et quels maux elle produit encore tous les jours dans la société humaine? C'est donc ce qui m'engage à la combattre : et c'est pour la déraciner de vos cœurs et la détruire, que je dois employer toute la force de la parole de Dieu. Vierge sainte, vous qui, par votre humilité, conçûtes dans vos chastes flancs le Verbe même de Dieu, vous m'accorderez votre secours, et j'obtiendrai, par votre puissante médiation, les grâces qui me sont nécessaires, et que je demande, en vous disant: Ave, Maria.

Pour bien connaître la passion que j'attaque, et pour en concevoir la juste horreur qui lui est due, il en faut considérer les caractères, que je réduis à trois, savoir : l'aveuglement, la présomption, et l'envie qu'elle excite ou la haine publique qu'elle nous attire. Trois choses que je trouve marquées dans l'évangile de ce jour, et dont je vais faire d'abord le partage de ce discours. Car cet homme qui, dans un festin de

 

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noces, sans examiner si quelque autre plus digne et d'un ordre supérieur y a été convié, va se mettre à la première place, nous représente tout à la fois l'aveuglement et la présomption de l'ambitieux ; et l'affront qu'il reçoit du maître qui le fait retirer est une image naturelle de l'indignation avec laquelle nous regardons communément l'ambitieux, et de la jalousie dont nous nous sentons intérieurement piqués contre lui. Quoi qu'il en soit, mes chers auditeurs, et à parler de l'ambition en général, j'y découvre trois grands désordres, selon trois rapports sous lesquels je l'envisage. Elle est aveugle dans ses recherches, elle est présomptueuse dans ses sentiments, et elle est odieuse dans ses suites. Mais à cela quel remède? point d'autre que cette sainte humilité qui nous est aujourd'hui si fortement recommandée, et qui, seule, est le correctif des pernicieux effets d'un désir déréglé de paraître et de s'agrandir. Car si l'ambition, par un premier caractère, est aveugle dans ses recherches, c'est l'humilité qui en doit rectifier les vues fausses et trompeuses. Si l'ambition, par un second caractère, est présomptueuse dans ses sentiments, c'est l'humilité qui doit rabaisser cette haute estime de nous-mêmes et de nos prétendues qualités. Enfin, si l'ambition, par un dernier caractère, est odieuse dans ses suites, c'est l'humilité qui les doit prévenir, et c'est elle, à quelque état que nous soyons élevés, qui nous tiendra toujours unis de cœur avec le prochain. Voilà en trois mots tout le sujet de votre attention.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Il n'y a point de passion qui n'aveugle l'homme, et qui ne lui fasse voir les choses dans un faux jour, où elles lui paraissent tout ce qu'elles ne sont pas, et ne lui paraissent rien de ce qu'elles sont. Mais on peut dire, Chrétiens, et il est vrai, que ce caractère convient particulièrement à l'ambition. Comme la science du bien et du mal fut le premier fruit que l'homme rechercha et qu'il osa se promettre, quand il se laissa emporter à la vanité de ses désirs ; aussi l'ignorance et l'erreur est la première peine qu'il éprouva, et à quoi Dieu le condamna pour punir son orgueil et pour le confondre. Il voulut, en s'élevant au-dessus de lui-même, connaître les choses comme Dieu: Eritis sicut dii, scientes bonum et malum (1). Et Dieu l'humilia, en lui ôtant même les connaissances salutaires qu'il avait comme homme. Livré à son ambition, il devint, dans sa prétendue sagesse,

 

1 Genes., III, 5.

 

moins sage qu'un enfant, dépourvu de sens et de conduite ; et il sembla que toutes les lumières de sa raison s'étaient éclipsées, dès qu'il conçut le dessein de monter à un degré plus haut que celui où Dieu l'avait placé. Voila,mes chers auditeurs, le point de morale que noire religion nous propose comme un point do foi, et qui est si incontestable que les philosophes païens l'ont reconnu. Quelque ambitieux qu'aient été ces sages du monde, ils ont confessé qu'en cela même ils étaient aveugles;et jamais ils n'ont paru ni plus judicieux ni plus éloquents que quand ils se sont appliqués, ainsi que nous le voyons dans leurs ouvrages, à développer les ténèbres sensibles que l'ambition a coutume de répandre dans un esprit. C'était le sujet ordinaire où ils triomphaient.

En effet, à considérer la chose en elle-même, et sans examiner ce qu'en a pensé la philosophie humaine, quel aveuglement pour un homme qui, dans son origine, est la bassesse même, de vouloir à toute force se faire grandi ou dans le désespoir de l'être, de le vouloir au moins paraître, et d'en affecter les dehors et la figure ! Quel aveuglement de désirer toujours ce qu'il n'a pas, et de ne se contenter jamais de ce qu'il a; de faire consister sa félicité à être ce qu'il n'est pas encore, et souvent ce qu'il ne sera jamais, et de vivre dans un perpétuel dégoût pour ce qu'il est; de chercher toute sa vie ce qu'il ne trouve point et ce qu'il est incapable de trouver, savoir, le repos et la paix du cœur, puisque autant qu'il est essentiel à un ambitieux d'aspirer à être content, autant est-il certain que jamais il n'y parviendra; de prendre plaisir à se charger de soins, de peines, de fatigues, et à s'en charger jusqu'à s'accabler s'il pouvait, et à se faire une gloire de cet accablement : ce qui est la grande folie où aboutit l'ambition, et le terme où elle vise? Ce n'est pas assez. Quel aveuglement, et même quelle espèce d'enchantement, de s'engager en tant de misères pour un fantôme d'honneur qui n'a rien de solide, qui ne donne point le mérite, ni communément ne le suppose point, qui plutôt contribue à le faire perdre, qui ne subsiste que dans l'idée de quelques hommes trompés, qui devient le jouet du caprice et de l'inconstance, et qui, tout au plus, ne peut s'étendre qu'à une vie courte, pour disparaître bientôt à la mort, et pour s'évanouir comme une fumée !

C'est ainsi qu'en a parlé Salomon, le plus éclairé de tous les rois, et c'est ainsi qu'il l'avait connu par son expérience propre. Voilà ce

 

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qu'il nous a si bien représenté, et ce qu'il a compris en deux paroles, lorsque, déplorant ses erreurs passées : J'ai voulu, dit-il, me satisfaire, et je n'y ai rien épargné. J'ai bâti de superbes palais, j’ai entassé trésors sur trésors, j'ai fait éclater la puissance et la magnificence de mon règne, j'ai tout employé à relever ma grandeur; mais, sous de si belles apparences, je n'ai trouvé qu'affliction d'esprit et que vanité : Et ecce  universa vanitas et afflictio spiritus (1). Prenez garde, Chrétiens : affliction d'esprit et vanité, c'est à quoi se réduisent toutes les recherches de l'ambition, et ce qui en fait le double aveuglement. Car, pour reprendre plus en détail ce que je vous ai seulement marqué d'abord en général, et pour vous en donner une intelligence plus parfaite, je dis que l'ambition est doublement aveugle dans ses recherches, et voici comment. En premier lieu, parce qu'elle s'y propose un prétendu bonheur, et qu'elle n'y trouve que des chagrins, des croix, but ce que nous appelons affliction d'esprit : Afflictio spiritus. En second lieu, parce qu'elle s’y propose une véritable grandeur, et qu'elle n'y trouve qu'une grandeur vaine , et souvent même que sa honte et son humiliation : Universa vanitas. Or, n'est-ce pas le dernier aveuglement d'agir par des principes si chimériques et d'être conduit par des idées si contraires à la vérité? Ecoutez-moi, et détrompez-vous.

C'était pour saint Bernard un sujet d'étonnement dont il avait peine à revenir, lorsque, repassant d'une part en lui-même, et considérant tout ce que l'ambition attire d'inquiétudes, d'alarmes, de troubles , d'agitations , de douleurs intérieures et de désespoirs, il voyait néanmoins d'ailleurs tant d'ambitieux, et le monde rempli de gens possédés d'une passion si cruelle à ceux mêmes qui l'entretiennent et qui la nourrissent dans leur sein. 0 ambition ! s'écriait ce Père, par quel charme arrive-t-il , qu'étant le supplice d'un cœur où tu as pris naissance, et où tu exerces ton empire, il n’y a personne toutefois à qui tu ne plaises, et qui ne se laisse surprendre à l'attrait flatteur que tu lui présentes ? O ambitio, quomodo, omnes; torquens, omnibus places ? N'en cherchons point d'autre cause que l'aveuglement où elle jette l'ambitieux. Elle lui montre, pour ternie de ses poursuites, un état florissant où il n'aura plus rien à désirer, parce que ses vœux seront accomplis ; où il goûtera le plaisir le plus doux pour lui et dont il est le plus sensiblement touché, savoir, de dominer, d'ordonner,

 

1 Eccles., I, 14.

 

d'être l'arbitre des affaires et le dispensateur des grâces, de briller dans un ministère, dans une dignité éclatante, d'y recevoir l'encens du public et ses soumissions, de s'y faire craindre, honorer, respecter. Tout cela rassemblé dans un point de vue, lui trace l'idée la plus agréable, et peint à son imagination l'objet le plus conforme aux vœux de son cœur. Mais, dans le fond, ce n'est qu'une peinture, ce n'est qu'une idée; et voici ce qu'il y a de réel. C'est que, pour atteindre jusque-là, il y a une route à tenir, pleine d'épines et de difficultés : mais de quelles épines et de quelles difficultés ? Comprenez-le.

C'est que, pour parvenir à cet état où l'ambition se figure tant d'agréments, il faut prendre mille mesures toutes également gênantes, et toutes contraires à ses inclinations; qu'il faut se miner de réflexions et d'étude, rouler pensées sur pensées, desseins sur desseins, compter toutes ses paroles, composer toutes ses démarches, avoir une attention perpétuelle et sans relâche, soit sur moi-même, soit sur les autres. C'est que pour contenter une seule passion, qui est de s'élever à cet état, il faut s'exposer à devenir la proie de toutes les passions : car y en a-t-il une en nous que l'ambition ne suscite contre nous; et n'est-ce pas elle qui, selon les différentes conjonctures et les divers sentiments dont elle est émue , tantôt nous aigrit des dépits les plus amers, tantôt nous envenime des plus mortelles inimitiés, tantôt nous enflamme des plus violentes colères , tantôt nous accable des plus profondes tristesses, tantôt nous dessèche des mélancolies les plus noires, tantôt nous dévore des plus cruelles jalousies ; qui fait souffrir à une âme comme un espèce d'enfer, et qui la déchire par mille bourreaux intérieurs et domestiques ? C'est que pour se pousser à cet état, et pour se faire jour au travers de tous les obstacles qui nous en ferment les avenues, il faut entrer en guerre avec des compétiteurs qui y prétendent aussi bien que nous, qui nous éclairent dans nos intrigues, qui nous dérangent dans nos projets, qui nous arrêtent dans nos voies ; qu'il faut opposer crédit à crédit, patron à patron, et pour cela s'assujettir aux plus ennuyeuses assiduités, essuyer mille rebuts, digérer mille dégoûts, se donner mille mouvements, n'être plus à soi, et vivre dans le tumulte et la confusion. C'est que dans l'attente de cet état, où l'on n'arrive pas tout d'un coup, il faut supporter des retardements capables , non-seulement d'exercer, mais d'épuiser toute la patience ;

 

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que durant de longues années il faut languir dans l'incertitude du succès , toujours flottant entre l'espérance et la crainte, et souvent après des délais presque infinis, ayant encore l'affreux déboire de voir toutes ses prétentions échouer, et ne remportant, pour récompense de tant de pas malheureusement perdus, que la rage dans le cœur et la honte devant les hommes. Je dis plus : c'est que cet état, si l'on est enfin assez heureux pour s'y ingérer, bien loin de mettre des bornes à l'ambition et d'en éteindre le feu, ne sert au contraire qu'à la piquer davantage et qu'à l'allumer; que d'un degré on tend bientôt à un autre : tellement qu'il n'y a rien où l'on ne se porte, ni rien où l'on se fixe; rien que l'on ne veuille avoir, ni rien dont on jouisse ; que ce n'est qu'une perpétuelle succession de vues, de désirs, d'entreprises, et, par une suite nécessaire, qu'un perpétuel tourment. C'est que, pour troubler toute la douceur de cet état, il ne faut souvent que la moindre circonstance et le sujet le plus léger, qu'un esprit ambitieux grossit et dont il se fait un monstre. Car tel est le caractère de l'ambition, de rendre un homme sensible à l'excès, délicat sur tout et se défiant de tout. Voyez Aman : que lui manquait-il ? c'était le favori du prince , c'était de toute la cour d'Assuérus le plus opulent et le plus puissant ; mais Mardochée à la porte du palais ne le salue pas ; et, par le ressentiment qu'il en conçoit il devient malheureux au milieu de tout ce qui peut faire la félicité humaine. C'est qu'autant qu'il en a coûté pour s'établir dans cet état, autant en doit-il coûter pour s'y maintenir. Combien de pièges à éviter! combien d'artifices, de trahisons, de mauvais coups à prévenir ! combien de revers à craindre ! Je vais encore plus loin, et j'ajoute : c'est que cet état, au lieu d'être par lui-même un état de repos, est un engagement au travail, est une charge, est un fardeau, et un fardeau très-pesant, si l'on en veut remplir les devoirs, qui sont d'autant plus étendus et plus onéreux que l'état est plus honorable ; un fardeau auquel on ne peut quelquefois suffire, et sous lequel on succombe : d'où viennent tant de plaintes qu'on a à soutenir, tant de murmures, de reproches, de mépris. Voilà, dis-je, en cet état où l'ambitieux croyait trouver un bonheur imaginaire, ce qu'il y a de vrai, ce qu'il y a de certain, ce qu'il y a d'inévitable.

Or c'est ce que son ambition lui cache, ou à quoi elle l'empêche de penser. Du moins s'il y pense, c'est ce que son ambition lui déguise, comme si tout cela n'était rien en comparaison du bien où il aspire. Que je meure (1), disait cette mère ambitieuse à qui l'on annonçait que son fils posséderait l'empire, mais que, placé sur le trône, il se tournerait contre elle et lui donnerait la mort: Que je meure, pourvu qu'il règne ! Parce qu'on ne regarde encore les choses que de loin et sans en être venu à l'épreuve, on n'est touché que de ce qu'il y a de spécieux et de brillant dans ce rang d'honneur et dans cette prééminence ; mais la pratique et l'usage ne découvrent que trop évidemment l'erreur, et n'est-ce pas de quoi tant de mondains sont forcés de convenir? Ne sont-ils pas les premiers à déplorer leur folie, lorsqu'ils se sont laissé infatuer d'un fantôme qui les trompait? Nos insensati (2). Ne sont-ils pas les premiers à se plaindre qu'ils ont marché par des voies bien difficiles, pour arriver à un terme qui ne les a pas mis dans une situation moins laborieuse ni plus tranquille? Ambulavimus vias difficiles (3). Ne les entendons-nous pas regretter le calme et la paix d'une condition médiocre et privée, où l'on a tout ce qu'on souhaite, parce qu'on sait se contenter de ce que l'on a, et qu'on ne souhaite rien davantage? En quelles amertumes les voyons-nous plongés ! et si l'on était témoin de tout ce qui se passe dans le secret de leur vie et de tout ce qu'ils ressentent dans le fond de leur cœur, quelle que soit leur fortune, qui la demanderait à ce prix, et qui la voudrait acheter !

Surtout si l'on y ajoute une seconde considération, et que l'on vienne à bien comprendre un autre aveuglement de l'ambitieux: c'est qu'il se propose pour fruit de ses recherches une véritable grandeur, et que toute cette grandeur n'est que vanité: Universa vanitas. Comment cela ? Appliquez-vous toujours. Vanité par elle-même et en elle-même. Car, qu'est-ce que cette grandeur dont on est idolâtre, et en quoi la fait-on consister? Du moins si c'était dans un mérite réel, si c'était dans une vigilance plus éclairée, dans un travail plus constant, dans l'accomplissement de toutes ses obligations, peut-être y aurait-il là quelque chose de solide; mais on est grand par la prédilection du prince et la faveur où l'on se trouve auprès de lui, par les respects et les honneurs qu'on reçoit du public, par l'autorité qu'on exerce et dont on abuse, par les privilèges et la supériorité du poste qu'on exerce et qu'on ne remplit pas, par l'étendue de ses domaines, par la profusion de ses dépenses, par un faste immodéré

 

1 Agrippine. — 2 Sap., V, 4. — 5 Ibid., 7.

 

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et un luxe sans mesure ; c'est-à-dire qu'on est grand par tout ce qui ne vient pas de nous et qui est hors de nous, et qu'on ne l'est ni dans sa personne ni par sa personne. Vanité dans les moyens qu'on est obligé d'employer à ce faux agrandissement, soit pour y réussir d'abord, soit ensuite pour s'y affermir. Examinons bien sur quels fondements sont appuyées 1rs plus hautes fortunes, et nous verrons qu'elles n'ont point eu d'autres principes et qu'elles n'ont point encore d'autre soutien que les flatteries les plus basses, que les complaisances les plus serviles, que l'esclavage et la dépendance : tellement qu'un homme n'est jamais plus petit que lorsqu'il paraît plus grand, et qu'il a, par exemple, dans une cour, autant de maîtres dont il dépend, qu'il y a de gens de toute condition dont il espère d'être secondé, ou dont il craint d'être desservi. Vanité dans la durée de cette grandeur mortelle et passagère. Il a fallu bien des années et presque des siècles pour bâtir ce superbe édifice ; mais pour le détruire de fond en comble, que faut-il ? un moment, et lien déplus. Moment inévitable, puisque c'est n lui de la mort, à quoi toute la grandeur ne peut parer; moment d'autant plus prochain, qu'il s'est plus écoulé de temps avant qu'on ait pu venir à bout de ses desseins ambitieux ; moment qui bientôt efface, non-seulement tout l’éclat de la grandeur, mais jusqu'à la mémoire du grand, et l'ensevelit dans un éternel oubli. Enfin, vanité par les changements et les tristes révolutions où dès la vie même, et sans attendre la mort, cette grandeur est sujette. Combien de grands ont survécu et survivent en quelque sorte à eux-mêmes, en survivant à leur grandeur ! Combien ont entendu cette parole de notre évangile, si désolante pour une âme ambitieuse : Da huic locum (1) ; donnez la place à cet autre, et retirez-vous! De quel œil alors ont-ils regardé toute la fortune du siècle ; et combien de fois, devenus sages, mais trop tard cl à leurs propres dépens, se sont-ils écriés : Et ecce universa vanitas! Il est vrai que ces décadences ne sont pas universelles ; mais elles ont de assez fréquentes et assez surprenantes pour ne pouvoir être là-dessus  en assurance :  et qu'est-ce que de vivre dans une pareille incertitude, toujours exposé aux caprices de l'un et aux faiblesses de l'autre, toujours sur le penchant d'une ruine affreuse?

Or l'aveuglement de l'ambitieux est encore de ne faire à tout cela nulle attention, ou de n'en tenir nul compte ,  pourvu qu'il espère

 

1 Luc , XIV, 9.

 

fournir la carrière qu'il s'est tracée, et aller jusqu'au but qu'il a en vue. En vain le monde lui offre-t-il mille exemples de ce que je dis ; en vain lui vient-il à l'esprit mille réflexions sur ce qui se passe devant lui et autour de lui ; en vain entend-il parler et raisonner les plus sensés : il n'écoute que son ambition , qui l'étourdit à force de lui crier sans cesse , mais dans un autre sens que celui de l'Evangile : Ascende superius (1); fais ton chemin et ne demeure pas. Telle place est-elle vacante par un accident qui devrait l'instruire et le refroidir ; c'est ce qui l'aveugle plus que jamais, et ce qui l'anime d'une ardeur toute nouvelle. L'expérience de celui-ci ni le malheur de celui-là ne sont point une règle pour lui ; il semble qu'il ait des gages certains de sa destinée, et qu'il doive être privilégié. Du moins il en veut faire l'épreuve, et il n'y a rien qu'il ne soit en disposition de tenter. Laissons-le donc à son gré courir dans la route où il s'engage, et s'y égarer. Pour nous, mes chers auditeurs, suivant les lumières de la raison, et plus encore de la religion, profitons du divin enseignement que nous donne notre adorable Maître : Discite a me, quia mitis sum et humilis corde (2). Voilà ce que nous devons apprendre de lui : à être humbles, et humbles de cœur. L'humilité rectifiera toutes nos idées. Elle nous fera chercher le repos où il est, je veux dire dans le mépris de tous les honneurs du siècle et dans une sainte retraite: Et invenietis requiem animabus vestris (3). Elle nous établira dans une grandeur solide, en nous élevant par un renoncement chrétien, au-dessus de toute grandeur périssable. Ainsi elle corrigera l'aveuglement de notre esprit, et nous préservera encore d'un autre désordre de l'ambition , qui est d'être présomptueuse dans ses sentiments. Renouvelez votre attention pour cette seconde partie.

 

DEUXIÈME  PARTIE.

 

Je trouve la réflexion de saint Ambroise très-solide et pleine d'un grand sens , quand il dit qu'un homme ambitieux, et qui agit parle mouvement de cette passion dont il est dominé, doit être nécessairement ou bien injuste , ou bien présomptueux. Bien injuste, s'il recherche des honneurs et des emplois dont il se reconnaît lui-même indigne; ou bien présomptueux, s'il se les procure dans la persuasion qu'il en est digne. Or il arrive très-peu, ajoute ce saint docteur , que nous nous rendions sincèrement à nous-mêmes cette justice, d'être

 

1 Luc, XIV, 10. — 2 Matth , XI,  29. — 3 Ibid.

 

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persuadés et de convenir avec nous-mêmes de notre propre indignité. D'où il conclut que le grand principe sur lequel roule l'ambition de la plupart des hommes, est communément la présomption ou l'idée secrète qu'ils se forment de leur capacité : et de là, Chrétiens, je tire la preuve de la seconde proposition que j'ai avancée. Car remarquez , s'il vous plaît, toutes les conséquences qui s'ensuivent de ce raisonnement , et que je vais développer. L'ambitieux aspire à tout et prétend à tout : donc il se croit capable de tout. Il ne met point de bornes à sa fortune et à ses désirs : il n'en met donc point à l'opinion qu'il a de son mérite et de sa personne. Je m'explique. Qu'est-ce qu'un ambitieux ? C'est un homme, répond saint Chrysostome, rempli de lui-même, qui se flatte de pouvoir soutenir tout ce qu'il croit le pouvoir élever : qui, selon les différents états où il est engagé, présume avoir assez de force pour se charger des soins les plus importants, assez de lumière pour conduire les affaires les plus délicates, assez d'intégrité pour juger des intérêts publics, assez de zèle et de perfection pour gouverner l'Eglise, assez de génie et de politique pour entrer, s'il y était appelé, dans le conseil des rois ; qui ne voit point de fonction au-dessus de lui, point de récompense qui ne lui soit due, point de faveur qu'il ne méritât : en un mot, qui ne renonce à rien, ni ne s'exclut de rien.

Demandez-lui si dans cette charge, dont l'éclat l'éblouit, il pourra s'acquitter de tous les devoirs qui y sont attachés ; s'il aura toute la. pénétration d'esprit, toute la droiture de cœur, toute l'assiduité nécessaire ; c'est-à-dire, s'il sera assez éclairé pour faire le juste discernement du bon droit et de l'innocence ; s'il sera assez inflexible pour ne rien accorder au crédit contre l'équité et la justice; s'il sera assez laborieux pour fournir à tous les soins et à toutes affaires qui se présenteront; s'il aura l'âme assez grande pour s'élever au-dessus du respect humain, au-dessus de la flatterie, au-dessus de la louange et de la censure; faisant ce qu'il verra devoir être blâmé, et ne faisant pas ce qu'il verra devoir être approuvé, quand sa conscience lui dictera d'en user de la sorte ; si, après s'être défendu des autres, il pourra se défendre de soi-même, n'ayant point d'égard à ses avantages particuliers, ne profanant point sa dignité par des intérêts sordides et mercenaires ; n'employant point l'autorité comme un bien dont il est le maître, mais la ménageant comme un dépôt dont il est responsable, et n'envisageant ce qu'il peut que pour satisfaire à ce qu'il doit. Proposez-lui tout cela, et, après lui en avoir fait comprendre la difficulté extrême, interrogez-le pour savoir s'il pourra tout cela et s'il le voudra : comme il se promet tout de lui-même, il vous répondra sans hésiter, ainsi que ces deux enfants de Zébédée dont il est parlé dans l'Evangile de saint Matthieu : Possumus (1) ; Oui, je le puis, et je le ferai. Mais moi, Chrétiens, je conclus de là même qu'il ne le fera pas : pourquoi ? parce que sa seule présomption est un obstacle à le faire, et encore plus à le bien faire. En effet, nous voyons ces hommes, si sûrs de leur devoir hors de l'occasion , être les premiers à se laisser corrompre quand ils sont exposés à la tentation. A qui faut-il se confier? demande saint Augustin. A celui qui se défie de soi-même; car la défiance qu'il a de soi-même est ce qui m'assure de lui. Or, cette défiance est essentiellement opposée à la conduite et aux sentiments d'une âme ambitieuse.

Ajoutez à cela que les sujets du monde les plus incapables sont ordinairement ceux en qui cet esprit de présomption abonde le plus,et par une suite naturelle, ceux qui deviennent les plus ardents à se pousser et à s'élever. Car à peine entendez-vous jamais un homme sensé et d'un mérite solide se rendre à soi-même ce témoignage avantageux : Je puis ceci, j'ai droit à cela ; cet emploi n'excède point mes force! j'ai les qualités qu'il faut pour remplir cette place. Ce langage ne convient qu'à un esprit léger et frivole. De là vient que la modestie, qui, comme l'a fort bien remarqué le philosophe, devrait être naturellement la vertu des imparfaits, est au contraire celle des partait?, et que les plus présomptueux selon Dieu et selon le monde ont toujours été ceux qui devaient moins l'être. Et parce que l'avancement des hommes dans les conditions et dans lus rangs d'honneur dépend au moins en partie de ce que chacun y contribue pour soi, et des démarches qu'on fait pour s'insinuer et pour s'établir , de là vient encore, par un funeste renversement, que les premiers postes sont souvent occupés par les plus indignes , par les plus ignorants, par les plus vicieux, pendant que les sages, que les intelligents, que les gens ai bien demeurent dans l'obscurité et dans l'oubli. Car il n'est rien de plus hardi que l'ignorance et que le vice, pour prendre avec impunité l'ascendant partout. C'est ce qui faisait autrefois gémir saint Bernard ; et ce scandale serait encore maintenant

 

1 Matth., XX, 22.

 

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plus universel s'il n'y avait un certain jugement public et incorruptible, qui s'oppose aux entreprises de ces esprits vains, jusqu'à ce que le jugement de Dieu en punisse les excès , dont il n'est pas possible que sa providence ne soit offensée.

De plus, n'est-il pas étrange qu'un ambitieux se croie capable des plus grandes choses, sans s'être auparavant éprouvé, et sans avoir fait aucun essai de son esprit, de ses talents, de son naturel? Or il n'est rien de plus commun que ce désordre. Car, où trouver aujourd'hui de ces prétendants aux honneurs du siècle, qui, avant que de faire les recherches où les engage leur ambition, aient soin de rentrer en eux-mêmes pour se connaître, et qui, dans la vue de leur tradition future, se forment de bonne heure à a qu'ils doivent être un jour, ou à ce qu'ils veulent devenir? C'est assez qu'on ait de quoi acheter cette charge , pour croire qu'on est en Mat de la posséder et de l'exercer. C'est assez qu’il soit de l'intérêt d'une famille de tenir un tel rang, pour ne pas douter que l'on n'y soit propre. Cet intérêt de famille, ce bien, tiennent lieu de toutes les qualités imaginables , et suffisent pour autoriser toutes les poursuites. Si les lois prescrivent quelque chose de plus , c'est-à-dire si elles exigent quelques épreuves pour la connaissance des sujets, on subit ces épreuves par cérémonie; et, par la comparaison que l'on fait de soi-même avec tant d'autres qui y ont passé, on s'estime encore trop fort pour en sortir avec honneur. Si ceux à qui il appartient de corriger ces abus font des ordonnances pour les régler, on regarde ces ordonnances comme des vexations. On peut tout sans s'être jamais disposé à rien : sauf à faire ensuite des expériences aux dépens d'autrui et aux dépens de son emploi même, et à s'instruire des choses parles ignorances et les fautes infinies qu'on y commettra. Saint Paul ne voulait pas qu'un néophyte fût tout d'un coup élevé à certaines distinctions, et jugeait qu'il y avait des degrés par où l'humilité devait conduire les mérites les plus solides et les plus éclatants. Mais ces règles de saint Paul ne sont pas faites pour ambitieux. Du plus bas rang, si l'on s'en apporte à lui et selon ce qu'il croit valoir, il peut monter au plus haut; et sans passer par aucun milieu, il a de quoi parvenir au faîte. L'ordre de la Providence est que les dignités soient partagées , et il y en a même qui sont formellement incompatibles ; mais l'ambition est au-dessus de cet ordre, et ce qui est incompatible pour les autres ne l'est pas pour lui. Ce que ne feraient pas plusieurs autres plus habiles que lui, il le fera seul. Il peut tout, et tout à la fois; et parce que, pour tant de fonctions réunies, il faudrait être au même temps en divers lieux, par un miracle dont il est redevable à son ambition, il peut être tout ensemble ici et là; où, sans sortir d'une place, faire ici ce qui ne se doit faire que là.

Le croiriez-vous, Chrétiens, si je ne vous le faisais remarquer, et si, à force de le voir , vous n'étiez pas accoutumés à ne vous en étonner plus; le croiriez-vous, que l'ambition des hommes eût dû les porter jusqu'à chercher des honneurs pour lesquels, selon le témoignage du Saint-Esprit même, la première condition requise est d'être irrépréhensible? Voilà néanmoins ce qu'a produit l'esprit du monde dans le christianisme et dans l'Eglise de Dieu. Il faut donc, conclut saint Grégoire, pape, ou que l'ambitieux se juge en effet irrépréhensible, ou qu'il ne se mette pas en peine de contredire visiblement au Saint-Esprit. Or tant s'en faut qu'il considère son procédé comme un péché contre le Saint-Esprit, qu'il ne s'en fait pas même un scrupule : marque évidente que c'est donc la présomption qui le fait agir : et que, dans l'opinion qu'il a de lui-même, il ne craint pas de se compter parmi les irrépréhensibles et les parfaits. Car la témérité des ambitieux du siècle va jusque-là, quand elle n'est pas réprimée par la conscience ni gouvernée par la religion.

Mais enfin, disent-ils, et cela et tout le reste, nous le pouvons aussi bien que d'autres. Et je leur réponds avec saint Bernard : Quelle conséquence tirez-vous de là? Si mille autres, sans mérite et sans les conditions convenables se sont élevés à tel ministère, en êtes-vous plus capables parce qu'ils n'en sont pas plus dignes que vous? le pouvoir soutenir comme d'autres qui ne l'ont pas pu, n'est-ce pas même la conviction dans votre insuffisance? Mais si chacun se jugeait dans cette sévérité, qui remplirait donc les charges et les emplois ? Ah ! Chrétiens, ne nous inquiétons point de ce qui arriverait ; pensons à nous-mêmes, et laissons à Dieu le soin de conduire le monde : le monde, pour le gouverner, ne manquera jamais de sujets que Dieu par sa providence y a destinés. Si l'on jugeait dans cette rigueur, dès là plusieurs qui ne sont pas dignes des places qu'ils occupent, commenceraient à le devenir; et si plusieurs qui en sont indignes se faisaient la justice de s'en éloigner, dès là le mérite y aurait un libre et facile accès, et, quelque rare qu'il soit, on

 

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en trouverait toujours assez pour ce qu'il y aurait d'emplois et d'honneurs vacants.

Or, ces principes supposés, quel parti y aurait-il donc à prendre pour un chrétien, je dis pour un chrétien engagé à vivre dans le monde par profession et par état? Quel parti? mes chers auditeurs ? point d'autre que celui où la prudence chrétienne, qui est l'unique et véritable sagesse, le réduira toujours : savoir, de présumer peu de soi, ou plutôt de n'en point présumer du tout; de n'être point si persuadé ni si aisé à persuader des qualités avantageuses de sa personne ; de tenir sur cela bien des témoignages pour suspects, et presque toutes les louanges des hommes pour vaines ; d'en rabattre toujours beaucoup, et de faire état qu'on s'en attribuera encore trop : de ne point désirer l'honneur, et de ne se le point attirer ; d'attendre pour cela la vocation du ciel sans la prévenir ; de la suivre avec crainte et tremblement quand elle est évidente, et, pour peu qu'elle soit douteuse, de s'en délier ; de n'accepter point les emplois honorables pour lesquels on aurait reçu de Dieu quelques talents, que l'on ne voie de bonne foi qu'on y est contraint ; et, si l'on est convaincu de son incapacité, de ne céder pas même à cette contrainte : car c'est ainsi que s'en explique saint Grégoire, pape : Ut virtutibus pollens, invitus ad regimen veniat ; virtutibus vacuus, ne coactus quidem accedat. Et ce grand homme avait droit sans doute de parler de la sorte, après les efforts héroïques que son humilité avait faits pour refuser la première dignité de l'Eglise. Je sais que tout cela est bien opposé aux idées et à la pratique du monde ; mais je ne suis pas ici, Chrétiens, pour vous instruire selon les idées et la pratique du monde. J'y suis pour vous proposer les idées de l'Evangile, et pour vous convaincre au moins de leur solidité et de leur nécessité. Si le monde se conduisait selon ces maximes évangéliques, l'ambition en serait bannie et l'humilité y régnerait : avec cette humilité on deviendrait raisonnable, on se sanctifierait devant Dieu, et souvent même on réussirait mieux auprès des hommes, parce qu'on en aurait l'estime et la confiance ; mais sans cette humilité, outre que l'ambition est aveugle dans ses recherches et présomptueuse dans ses desseins, elle est encore odieuse dans ses suites, et c'est ce qui va faire le sujet de la troisième partie.

 

TROISIÈME  PARTIE.

 

Comme il y a deux sortes de grandeurs, les unes que Dieu a établies dans le monde, et les autres qui s'y érigent, pour ainsi dire, d'elles-mêmes, celles-là qui sont les ouvrages de la Providence, et celles-ci qui sont comme les productions de l'ambition humaine : il ne faut pas s'étonner, Chrétiens, qu'elles causent des effets si contraires, non-seulement dans ceux qui les possèdent, mais dans ceux mêmes qui n'y ont aucune part, et qui les envisagent avec un œil désintéressé et exempt de passion. Une grandeur légitime et naturelle qui est de l'ordre de Dieu porte en elle-même un certain caractère qui, outre le respect et la vénération, lui attire encore la bienveillance et le cœur des peuples. C'est par ce principe que nous aimons nos rois. Bien loin que leur élévation ait rien qui nous choque, nous la regardons avec un sentiment de joie que  l'inclination  nous inspire aussi bien que le devoir : nous avons du zèle pour la maintenir, nous nous en faisons un intérêt: pourquoi? parce qu'elle vient de Dieu, et qu'elle doit contribuer au bien commun. Au contraire, ces grandeurs irrégulières, qui n'ont d'autre fondement que l'ambition et la cupidité des hommes ; ces grandeurs où l'on ne parvient que par artifice, que par ruse, que par intrigue, et dont les politiques du siècle s'applaudissent dans l'Ecriture, en disant : Manus nostra excelsa, et non Dominus fecit hœc omnia (1) ; C'est notre crédit, c'est notre industrie, et non le Seigneur. qui nous a faits ce que nous sommes; ces grandeurs que Dieu n'autorise pas, parce qu'il n'en est pas l'auteur,  quelque éclatantes qu'elles soient à nos yeux, ont je ne sais quoi qui nous pique et qui nous révolte, parce qu'elles nous paraissent comme autant d'usurpations et autant d'excès qui vont au renversement de cette équité publique pour laquelle naturellement nous sommes zélés. Or ce caractère d'injustice qui leur est essentiel, est ce qui nous les rend odieuses.  Ainsi quand Pierre fut élevé à la plus haute dignité dont un homme soit capable, qui est celle de chef de l'Eglise, les apôtres ne s'en plaignirent point, ni n'en conçurent nulle peine ; mais lorsque Jacques et Jean vinrent demander au Fils de Dieu les premières places de son royaume, tous les assistants en furent scandalisés, et témoignèrent de l'indignation contre ses deux frères : Et audientes decem indignati sunt de duobus discipulis (2). Pourquoi cette différence? Ah! dit saint Chrysostome, il est bien aisé d'en apporter la raison. La prééminence de Pierre ne les choqua point, parce qu'ils savaient bien que Pierre ne lavait pas recherchée, et qu'elle venait immédiatement

 

1 Deut., XXXII, 27. — 2 Matth., XX, 24.

 

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de Jésus-Christ; mais ils ne purent voir sans murmurer celle des deux enfants de Zébédée, parce qu'il paraissait évidemment que c'était mi-mêmes qui l'affectaient et qui l'ambitionnaient. Or il n'y a rien de plus odieux que ces ambitieuses prétentions, et ce seul exemple pourrait suffire pour justifier ma dernière proposition.

Mais il est important, Chrétiens, de lui donner quelque étendue, et d'en reconnaître la vérité dans le détail, pour en être encore plus fortement persuadés. Je considère donc l'ambition dans les deux états où elle a coutume de dérégler et de pervertir l'esprit de l'homme ? je veux dire dans la poursuite de la grandeur lorsqu'elle n'y est pas encore parvenue; et dans le terme de la grandeur même, quand elle y est enfin arrivée. Or dans, l'un et l'autre état, je dis qu'elle n'a rien en soi qui n'excite l'envie, qui ne soit un objet d'aversion, et qui, parles autres passions qu'elle fait naître, par les divisions et les partialités qu'elle entretient, par les querelles qu'elle suscite, n'aille à la destruction et à la ruine de la charité. Ne consultez que votre expérience, bien plus capable ici de tous instruire et de vous convaincre que toutes les raisons. Quelle idée vous formez-vous d'un ambitieux préoccupé du désir de se faire grand ? Si je vous disais que c'est un homme ennemi par profession de tous les autres hommes, j'entends de tous ceux avec qui il peut avoir quelque rapport d'intérêt; un pomme à qui la prospérité d'autrui est un supplice; qui ne peut voir le mérite, en quelque sujet qu'il se rencontre, sans le haïr et sans le combattre ; qui n'a ni foi ni sincérité ; toujours prêt, dans la concurrence, à trahir l'un, à supplanter l'autre, à décrier celui-ci, à perdre celui-là, pour peu qu'il espère d'en profiter; qui de sa grandeur prétendue et de sa fortune sciait une divinité à laquelle il n'y a ni amitié, ni reconnaissance, ni considération, ni devoir qu'il ne sacrifie, ne manquant pas détours et de déguisements spécieux pour le faire même honnêtement selon le monde; en un mot, qui n'aime personne et que personne ne peut aimer : si je vous le figurais de la sorte, ne diriez-vous pas que c'est un monstre dans la société, dont je vous aurais fait la peinture? et cependant pour peu que vous fassiez de réflexion sur ce qui se passe tous les jours au milieu de vous, n'avouerez-vous pas que ce sont là les véritables traits de l'ambition, tandis qu'elle est encore aspirante, et dans la poursuite d'une fin qu'elle se propose ?

Ah ! mes Frères, disait saint Augustin (et remarquez, Chrétiens, ce sentiment), quand l'ambition serait aussi modérée et aussi équitable envers le prochain qu'elle est injuste et emportée, la jalousie seule qu'elle produirait encore infailliblement par la simple recherche d'une élévation qu'elle se procurerait elle-même, devrait en détacher votre cœur. Et puisque cette jalousie est une faiblesse dont les âmes les plus fortes et souvent même les plus vertueuses, ont peine à se défendre, et qui néanmoins ne laisse pas d'altérer la charité chrétienne; si nous avions à cœur cette charité pour laquelle Dieu nous ordonne de renoncer à tout le reste, nous n'aurions garde de lui faire une plaie si dangereuse dans le cœur des autres, en témoignant une ardeur si vive de nous élever; cela seul nous tiendrait dans les bornes d'une prudente modestie, et il n'en faudrait pas davantage pour réprimer dans nous la passion de nous agrandir : mais quand nous y ajoutons cent autres désordres, qui n'en sont, il est vrai, que les accidents, mais les accidents presque inséparables, et pires que la substance de la chose : c'est-à-dire quand, pour soutenir cette passion, ou plutôt pour la satisfaire, nous y joignons la malignité, l'iniquité, l'infidélité ; que, par une avidité de tout avoir et de l'emporter sur tout le monde, nous ne pouvons souffrir que l'on rende justice à personne; que de nos proches mêmes et de nos amis nous nous faisons des rivaux, et ensuite des ennemis secrets, que, par des perfidies cachées, nous traversons leurs desseins pour faire réussir les nôtres ; que nous usurpons, par des violences autorisées du seul crédit, ce qui leur serait dû légitimement ; que nous envisageons la disgrâce et la ruine d'autrui comme un avantage pour nous, et que, par de mauvais offices, nous y travaillons en effet : que pour cela nous remuons tous les ressorts d'une malheureuse politique, dissimulant ce qui est, supposant ce qui n'est pas, exagérant le mal, diminuant le bien, et, au défaut de tout le reste, ayant recours au mensonge et à la calomnie pour anéantir, s'il est possible, ceux qui, sans même le vouloir, sont des obstacles à notre ambition , parce qu'ils ont un mérite dont ils ne peuvent se défaire, et qui est l'unique sujet qui nous irrite : qu'en même temps que nous en usons ainsi à l'égard des autres pour empêcher qu'ils ne s'élèvent au-dessus de nous, il nous paraît insupportable que les autres aient seulement la moindre pensée de s'opposer aux vues que nous avons de prendre l'ascendant sur eux;

 

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que, pouf peu qu'ils le fassent, nous concevons contre eux des ressentiments mortels et des haines irréconciliables (car tout cela arrive, Chrétiens, et il me faudrait des discours entiers pour vous représenter tout ce que fait l'ambition et tous les stratagèmes dont elle se sert, au préjudice de la charité et de l'union fraternelle, pour parvenir à ses fins; voilà ce que l'esprit du monde lui inspire) : quand, dis-je, nous y procédons de la sorte, ah ! mes chers auditeurs, n'est-ce pas une conséquence nécessaire qu'en suivant des maximes aussi détestables que celles-là, nous devenions l'objet de l'indignation de Dieu et des hommes ?

Mais que serait-ce si maintenant je voulais m'étendre sur l'autre point que je me suis proposé, et si je venais à vous mettre devant les yeux les excès de l'ambition quand une fois elle est parvenue au terme de ses espérances » et qu'elle se trouve en possession de ce qu'elle prétendait? Quel usage alors, ou plutôt quel abus et quelle profanation de la grandeur ! vous le voyez. Quelle arrogance et quelle fierté de l'ambitieux, qui se prévaut de sa fortune pour ne plus garder de ménagements avec personne, pour traiter avec mépris quiconque est au-dessous de lui, pour en attendre des respects et des adorations: pour vouloir que tout plie sous son pouvoir, et seul décider de tout et régler tout, pour affecter des airs d'autorité et d'indépendance ! Quelle dureté à faire valoir ses droits, à exiger impérieusement ce qu'il se croit dû, à emporter de hauteur ce qui ne lui appartient pas, à poursuivre ses vengeances, à opprimer les petits , à humilier les grands et à leur insulter ! Quelle ingratitude envers ceux mêmes qui lui ont rendu les services les plus essentiels, et à qui peut-être il doit tout ce qu'il est, dédaignant de s'abaisser désormais jusqu'à eux, et les oubliant ! Une heure de prospérité fera méconnaître à un favori une amitié de trente années. Quel faste et quelle splendeur pour éblouir le public, pour en attirer sur soi les regards, pour répandre sur son origine un éclat qui en relève la bassesse et qui en efface l'obscurité !

Et c'est ici, Chrétiens , que je dois encore vous faire observer la différence de ces deux espèces de grandeur que j'ai déjà distinguées, et dont je vous ai parlé à l'entrée de cette troisième partie : je veux dire de la grandeur naturelle et légitime qui est établie de Dieu, et de cette grandeur, si j'ose ainsi m'exprimer, artificielle, qui n'a pour appui que l'industrie et l'ambition des hommes. Car la première, qui est celle des princes et de tous ceux qui tirent de leur naissance et de leur sang leur supériorité, cette grandeur, dis-je, est communément civile , affable , douce, indulgente et bienfaisante, parce qu'elle tient de la nature même de celle de Dieu. Comme elle est sûre d'elle-même , et qu'elle n'a point à craindre d'être contestée, elle ne cherche point tant à se faire sentir; elle n'est point si jalouse d'une domination qui lui est tout acquise ; et bien loin de s'enfler et de grossir ses avantages, elle les oublie en quelque manière, parce qu'elle sait assez qu'on ne les oubliera jamais. Mais l'autre au contraire est une grandeur farouche, une grandeur rebutante et inaccessible, délicate sur ses privilèges, aigre, brusque, méprisante. Ne pouvant se cacher à elle-même la source d'où elle est sortie, et craignant que le monde n'en perde point assez le souvenir, elle tâche à y suppléer par une pompe orgueilleuse, par un empire tyrannique, par une inflexible sévérité sur ses prérogatives ; et de là, faut-il être surpris qu'elle soit exposée aux envies, aux murmures, aux inimitiés? On l'honore en apparence, mais dans le fond on la hait; on lui rend certains hommages parce qu'on la redoute , mais ce ne sont que des hommages forcés ; on voudrait qu'elle fût anéantie; et au moindre échec qu'elle reçoit, on s'en fait une joie et comme un triomphe. Si l'on ne peut l'attaquer ouvertement, on la déchire en secret; et si l'occasion se présente d'éclater enfin et de l'abattre, y a-t-il extrémités où , l'on ne se porte, et quels exemples tragiques en a-t-on vus?

Bienheureux les humbles, qui contents de leur condition, savent s'y contenir et y borner leurs désirs! ils possèdent tout à la fois et le cœur de Dieu et le cœur des hommes. Ce n'est pas qu'il ne puissent monter aux plus liants rangs, car l'humilité ne demeure pas toujours dans ses ténèbres, et Jésus-Christ aujourd'hui nous fait entendre que souvent, dès cette vie même, elle sera exaltée : Qui se humiliat, exaltabitur (1). Mais parce que ce n'est point elle qui cherche à s'avancer et à paraître; parce que de son choix, et suivant le conseil du Fils de Dieu, elle ne demande ni ne prend que la dernière place, Recumbe in novissimo loco (2); parce que, pour la résoudre à en occuper une autre, il faut l'appeler, il faut la presser, il faut lui faire une espèce de violence : Amice, ascende superius  (3) ; parce qu'en changeant d'état, elle ne change ni de sentiments ni de

 

1 Luc, XIV, 11. — 2 Ibid., 10. — 3 Ibid.

 

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conduite; que pour être élevée, elle n'en est ni moins soumise à Dieu, ni moins charitable envers le prochain, ni moins détachée d'elle-même ; que les honneurs, bien loin de la flatter, lui sont à charge, et qu'au lieu d'en tirer une fausse gloire, elle les tourne à sa confusion ; qu'elle n'emploie  jamais plus  volontiers le pouvoir dont elle est revêtue que lorsqu'il s'agit d'obliger, de soulager, de faire du bien; fût-elle au comble de la grandeur, non-seulement on l'y voit sans peine, mais il n'est personne qui ne lui applaudisse, qui ne lui donne son suffrage, qui ne la révère et ne la    canonise. Ce serait peu néanmoins pour elle que ces éloges du monde, et que cette voix des peuples en sa faveur, si Dieu n'y ajoutait ses récompenses éternelles : mais comme il résiste aux ambitieux et aux superbes, c'est aux humbles qu'il communique sa grâce sur la terre, et qu'il prépare une couronne immortelle dans le ciel, où nous conduise, etc.

 

 

 

 

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