POUR LE DIX-SEPTIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE.
SUR LE CARACTÈRE DU CHRÉTIEN.
ANALYSE.
Sujet. Les pharisiens étant assemblés?, Jésus leur fit
cette question : Que pensez-vous du Christ ?
N'examinons
point aujourd'hui ce que c'est que le Christ; la foi nous l'apprend assez :
mais voyons ce que c'est que le chrétien qui en doit être le fidèle imitateur.
Division. Qu'est-ce qu'un chrétien? Un homme par état séparé
du monde : première partie ; un homme par état consacré à Dieu : deuxième
partie.
Première
partie. Un homme par état séparé du
monde. Deux choses sont essentiellement requises pour faire un chrétien : la
grâce ou la vocation, du côté de Dieu, et une fidèle correspondance a cette
vocation ou à cette grâce, du côté de l'homme. Or l'une et l'autre n'ont point
de caractère plus marqué que celui de la séparation du monde. Voici donc
comment nous devons raisonner. La grâce de la vocation au christianisme est une
grâce de séparation. Ainsi nous l'a enseigné saint Augustin, après Jésus-Christ
et saint Paul. Or la correspondance à une grâce doit être conforme à cette
grâce. Par conséquent la correspondance à la grâce du christianisme doit être
une correspondance de séparation, et voilà comment nous sommes chrétiens. De là
s'ensuivent trois vérités.
1°
Il suffit précisément d'être chrétien, pour être obligé de vivre dans cet
esprit de séparation du monde. Aussi, dès notre baptême, avons-nous renoncé au
monde, et les Pères autrefois, pour détourner les fidèles des vains
divertissements du siècle et de son luxe, ne leur en apportaient point d'autre
raison, sinon qu'ils étaient, comme chrétiens, séparés du monde. Ne disons donc
plus, par une grossière erreur : Je suis du monde, et je ne puis me dispenser
de vivre selon le monde. Mais renversons la proposition, et disons : En qualité
de chrétien, je ne suis plus du monde, et il ne m'est plus permis de vivre
selon le monde.
2°
Plus un homme, dans le christianisme, se sépare du monde, plus il est chrétien
; et plus il a de liaison avec le monde, je dis de liaison hors de la nécessité
et de sa condition, moins il est chrétien : pourquoi ? parce que, selon la
différence de ces deux états, il participe plus ou moins à cette grâce de
séparation qui fait le chrétien. Chose si avérée, que ceux qui ont le plus
aspiré à la perfection du christianisme se sont retirés dans les cloîtres.
3°
Il est impossible qu'une âme chrétienne se convertisse et retourne
véritablement à Dieu, à moins qu'elle ne soit résolue de faire un certain
divorce avec le monde, qu'elle n'a pas encore fait ; et il y a de la
contradiction à vouloir être autant du monde aussi engagé dans le monde
qu'auparavant, et néanmoins à prétendre marcher dans la voie d'une pénitence
sincère qui produise le salut. C'est le monde qui vous a perdu, vous en
convenez : il faut donc, pour vous sauver, que vous quittiez le monde ? Je ne
dis pas précisément le monde en général, mais surtout un certain monde
particulier dont vous connaissez le danger par rapport à vous. Si cette séparation
vous est douloureuse, vous l'offrirez à Dieu comme une satisfaction de vos attachements
criminels. Si le monde en parle, vous mépriserez ses discours. Vous vous
occuperez de Dieu et des devoirs de votre état.
Mais
encore qu'est-ce que cette séparation du monde que demande le christianisme?
Séparation intérieure de l'esprit et du cœur, et séparation même extérieure et
corporelle. Sans la séparation intérieure de l'esprit et du cœur, l'extérieure
ne sert à rien ; mais aussi, sans la séparation extérieure, du moins à certains
temps, l'intérieure ne se peut bien maintenir. Usage des retraites.
Séparons-nous du monde avant que le monde se sépare de nous ; séparons-nous-en
tandis que cette séparation nous peut être méritoire devant Dieu ;
séparons-nous-en afin que Dieu, dans son jugement, ne nous sépare pas de ses
élus. Nous trouverons dans la retraite des consolations plus pures et plus
sensibles que toutes les fausses joies du siècle.
Deuxième
partie. Un homme par état consacré à
Dieu. Sur cela trois considérations : 1° l'excellence de la consécration du
chrétien; 2° l'obligation indispensable de sainteté que cette consécration
impose au chrétien; 3° la tâche particulière qui se répand, en conséquence de
cette consécration, sur tous les péchés du chrétien.
1°
L'excellence de la consécration du chrétien. C'est par l'onction du baptême que
nous sommes consacrés à Dieu, mais consacrés en différentes manières que
l'Ecriture et les Pères nous ont marquées. Consacrés comme rois, comme prêtres,
comme temples de Dieu, comme enfants de Dieu, comme membres de Dieu.
2°
L'obligation indispensable de sainteté que cette consécration impose au
chrétien. Car il faut soutenir tous ces caractères, et par où, si ce n'est par
notre sainteté ? C'est pour cela que l'Apôtre n'appelait point autrement les
premiers fidèles que du
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nom de saints. C'est dans
nous, selon le même Apôtre, que doit être édifié le temple de Dieu ; et comment
ce temple de Dieu peut-il être édifié dans nous, sinon par la sainteté ? Si les
prêtres de l'ancienne loi devaient être saints, à combien plu forte raison
devons-nous travailler à le devenir, puisque nous offrons des victimes beaucoup
plus nobles, et l'Agneau même de Dieu ?
3°
La tâche particulière qui se répand, en conséquence de cette consécration, sur
tous les péchés du chrétien. Car tout péché dans un chrétien est une espèce de
sacrilège,, puisque c'est la profanation d'une chose consacrée à Dieu et unie à
Dieu. Vérité que saint Paul représentait si fortement aux premiers chrétiens.
Rien néanmoins de plus ordinaire dans le christianisme que le péché: la
corruption y est générale. Qu'avons-nous donc à craindre ? c'est que Dieu, qui
noya le monde entier dans un déluge universel, pour punir les péchés des
hommes, ne laisse le flambeau de la foi s'éteindre parmi nous.
Congregatis autem
pharisœis, interrogavit eos Jesus, dicens : Quid vobis videtur de Christo ?
Les pharisiens étant
assemblés, Jésus leur fit cette question : Que pensez-vous du Christ? (Saint
Matthieu, chap. XXII, 41, 42)
Si la passion n'eût point aveuglé
ces faux docteurs de la loi, ils pouvaient aisément répondre à la demande que
leur fait le Fils de Dieu, et découvrir dans sa personne sous les traits de ce
Christ ou de ce Messie qu'ils attendaient depuis si longtemps, et qu'ils
avaient actuellement devant les yeux. Témoins de tant de miracles qu'il
opérait, commandant aux flots de la mer, chassant les démons, guérissant les
malades, ressuscitant les morts, ne devaient-ils pas, sans hésiter, le
reconnaître et lui dire : Le Christ dont vous nous parlez, c'est vous-même?
Pour nous, mes chers auditeurs, nous n'en reconnaissons point d'autre ; mais du
reste, quelque importante et quelque nécessaire que nous puisse être la
connaissance de cet Homme-Dieu, c'est un sujet, dit saint Chrysostome, que les
ministres de l'Evangile ne doivent guère, dans leurs prédications, entreprendre
d'approfondir, parce qu'il est impénétrable et infiniment au-dessus de toutes
nos pensées et de toutes nos expressions. Cependant, mes Frères, il nous est
assez connu pour nous servir de modèle ; et même, selon saint Jérôme et saint
Augustin, il y a entre Jésus-Christ et le chrétien un tel rapport, qu'il faut,
en quelque manière, les confondre ensemble, et qu'on ne peut bien définir l'un
que par l'autre. De sorte que si Jésus-Christ n'est pas substantiellement dans
le chrétien , il y est par ressemblance ; et que si le chrétien n'est pas
réellement, et dans le fond de son être, un autre Jésus-Christ, il l'est au moins
par une conformité aussi parfaite qu'il peut l'avoir avec cet excellent et
divin exemplaire. Suivant ce principe, sans examiner aujourd'hui ce que c'est
que le Christ, examinons ce que c'est que le chrétien, qui en doit être le
fidèle imitateur : Quid vobis videtur ? Cette matière sera beaucoup plus
morale, plus utile et plus sensible. Vous y apprendrez ce que vous êtes, ou
plutôt ce que vous devez être et ce que vous n'êtes pas. Pour en profiter,
implorons le secours du ciel, et adressons-nous à Marie, en lui disant : Ave,
Maria.
De quelque manière que l'ait
entendu saint Jérôme, je trouve sa proposition bien judicieuse et bien juste,
quand il dit que ce qu'il y a de grand dans la profession du christianisme
n'est pas de paraître chrétien, mais de l'être : Esse christianum magnum
est, non videri. Et l'une des raisons qu'il en apporte, c'est, dit-il, que
le christianisme étant une profession d'humilité, et l'humilité ne cherchant
point à se montrer ni à briller, il s'ensuit que la vraie grandeur du chrétien
est d'être ce qu'il est, non point de le paraître, puisqu'une partie de sa
perfection consiste souvent à ne le paraître pas. C'est par cette pensée que
j'entre dans mon dessein ; et pour vous donner l'idée d'un véritable chrétien,
je la tire de son principe et de son modèle, qui est Jésus-Christ même.
J'entends Jésus-Christ selon deux caractères particuliers qu'il s'est lui-même
attribues, lorsque parlant aux Juifs pour se faire connaître à eux, il leur
disait : Ego non sum de hoc mundo (1); Je ne suis point de ce monde;et
qu'il ajoutait : Ego de supernis sum (2); Je suis venu du ciel et je
demeure immuablement attaché à Dieu mon Père. Divins caractères que j'ai à vous
représenter dans le chrétien, et qui vous en traceront l'image la plus
complète. Qu'est-ce qu'un chrétien : Quid vobis videtur? Un homme par
état séparé du monde, c'est sa première qualité ; et un homme par état consacré
à Dieu, c'est la seconde. L'une et l'autre pleines de gloire et de vertu en
elles-mêmes, quoique de nul éclat aux yeux du monde. Car qu'y a-t-il de moins
éclatant dans le monde que d'être séparé du monde, et qu'y a-t-il de plus
intérieur et de plus caché que d'être consacré à Dieu ? Mais ce mystère caché
est ce que j'entreprends de vous développer. Séparation du monde, qui élève le
chrétien au-dessus du monde : ce sera la première partie. Consécration à Dieu,
qui élève le chrétien jusqu'à Dieu même : ce sera la seconde partie ; et voilà
tout le plan et le partage de ce discours.
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PREMIÈRE PARTIE.
Pour vous faire entendre d'abord
ma pensée, il pour raisonner dans les principes de la théologie sur le sujet
que je me suis proposé, deux choses, selon saint Thomas, sont essentiellement
requises pour faire un chrétien : la grâce ou la vocation du côté de Dieu , et
une fidèle correspondance à cette vocation ou à cette grâce du côté de l'homme.
Or l'une et l'autre, bien considérées, n'ont point de caractère qui leur soit
plus propre que celui de la séparation du monde. D'où je conclus qu'être
véritablement séparé du monde, c'est être véritablement chrétien. Voilà tout le
fonds de cette première partie.
Qu'est-ce que la grâce, je dis la
première de tontes les grâces, qui est la vocation au christianisme? Les
théologiens et les Pères se sont efforcés de nous en donner de hautes idées,
lais je n'en trouve point de plus exacte ni de plus solide que celle de saint
Augustin, quand il dit en un mot que c'est une grâce de séparation : Qui autem
congruenter sunt vocati, hi electi, et Dei altiore judicio gratiœ prœdestinatione
discreti. Voulez-vous savoir, mes Frères, dit ce saint docteur, qui sont
ces élus appelés comme l'Apôtre selon le décret, mais le décret favorable de
Dieu ? ce sont ceux dont Dieu a fait le discernement, qu'il a tirés de la
niasse corrompue du monde, et qu'il en a séparés en vertu de la grâce de leur
vocation. C'est donc en effet dans la séparation du monde que consiste
l'attrait, le mouvement et l'impression particulière de cette grâce. De là
vient que saint Paul, pour exprimer le don de grâce qu'il avait reçu dans cette
vocation miraculeuse et pleine de prodiges dont sa conversion fut suivie, ne se
servait point d'autre terme que celui-ci : Qui me segregavit ex utero, et vocavit
per gratiam suam (1). Tout ce que je mis, je le suis par la miséricorde de
mon Dieu qui m'a appelé. Et comment m'a-t-il appelé? en me séparant dès le
ventre de ma mère ; c'est-à-dire, selon l'explication de saint Ambroise, en me
choisissant pour vivre séparé de la corruption du monde. De là vient que quand
l'Esprit de Dieu répandait sur les premiers disciples ces grâces visibles et
abondantes qui les élevaient aux plus saints ministères, ainsi qu'il est
rapporté au livre des Actes, c'était toujours en ordonnant que ceux qu'il avait
choisis pour cela fussent séparés du reste même des fidèles. Segregate mihi
Saulum et Barnabam (2) : Séparez-moi Saul et Barnabé pour l'œuvre
importante à laquelle je les ai appelés ; comme si cette
séparation, ajoute saint Chrysostome, eût été une espèce de sacrement, par
lequel la grâce de la vocation divine leur dût être communiquée. De là vient
que le Sauveur du monde, pour signifier qu'il était venu appeler les hommes à la
perfection évangélique, disait hautement qu'il était venu séparer le père
d'avec son fils, et la fille d'avec sa mère : Veni separare hominem adversas
patrem suum, et filiam adversas matrem suam (1), réduisant toute la grâce
de cette perfection à cet esprit de séparation. De là vient que le grand Apôtre
voulant nous faire comprendre la grâce suréminente et infinie de la sainteté de
Jésus-Christ, en a renfermé tout le mystère dans ce seul mot : Segregatus a
peccatoribus (2) ; c'est un pontife qui nous a été donné de Dieu, mais un
pontife qui, par l'onction céleste dont il était rempli, a été parfaitement
séparé des pécheurs. Or vous savez que la sainteté de Jésus-Christ est
l'exemplaire de la nôtre ; et que la nôtre , pour être agréée de Dieu, doit
être conforme à la sienne. Puisqu'il est donc vrai que cet Homme-Dieu a été
sanctifié par une grâce qui Ta pleinement séparé du monde, il faut par
proportion que la grâce qui nous sanctifie produise en nous un semblable effet;
et qu'en conséquence de cette grâce Dieu nous puisse dire ce qu'il disait aux
Israélites : Vous êtes mon peuple, et c'est en cette qualité que je vous
regarde; mais pourquoi et comment l'êtes-vous? parce que je vous ai séparés de
tous les autres peuples de la terre, qui vivent dans l'idolâtrie et dans les
ténèbres de l'infidélité. Voilà, encore une fois, le caractère essentiel de la
vocation ou de la grâce du christianisme.
Or, c'est de là que je tire la
preuve de ma première proposition, et que mesurant, selon la règle de saint
Bernard, par l'action de Dieu en nous notre obligation envers Dieu, j'entre
dans la plus édifiante moralité que ce sujet me puisse fournir. Car voici
comment je raisonne : la vocation chrétienne, en tant qu'elle procède et
qu'elle est inspirée de Dieu, est une grâce de séparation ; donc la
correspondance qui lui est due, et qui fait proprement le devoir du chrétien ,
doit être une correspondance de séparation du côté de l'homme. Pourquoi cela ?
Ah ! mes chers auditeurs, le voici : parce que la correspondance à la grâce doit
nécessairement se rapporter à la fin et au terme de la grâce même. Car comme il
y a diversité de
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grâces et d'inspirations : Divisiones gratiarum sunt (1) ;
aussi faut-il reconnaître qu'il y a diversité d'opérations dans l'homme et de
devoirs : Et divisiones operationum sunt (2). C'est-à-dire que toutes
sortes de devoirs ne répondent pas à toutes sortes de grâces. Je m'explique.
Dieu me donne une grâce de résistance et de défense contre la passion qui me
porte au péché : je ne puis correspondre à cette grâce qu'en résistant à ma
passion et en la combattant. Au contraire, Dieu me donne une grâce d'éloignement
et de fuite dans l'occasion du péché : je ne puis être fidèle à cette grâce
qu'en fuyant et en m'éloignant : et ainsi des autres, parce que c'est à nous,
dit saint Prosper, de suivre le mouvement de la grâce, et non pas à la grâce de
suivre le mien. Comme il est donc vrai que la grâce par laquelle Dieu m'appelle
au christianisme ou à la perfection du christianisme, est une grâce de
séparation du monde, quoi que je fasse, je n'accomplirai jamais le devoir du
christianisme, si je ne me sépare du monde, et si je ne fais avec Dieu ce que
Dieu fait le premier dans moi.
Car en vain Dieu me sépare-t-il
du monde en me prédestinant pour être chrétien, si je ne m'en sépare moi-même
en exécutant ce décret, et en coopérant à cette grâce qui me fait chrétien. Il
faut, s'il m'est permis de parler de la sorte, que ces deux séparations
concourent ensemble, et que la mienne seconde celle de Dieu, de même que celle
de Dieu est le principe de la mienne. Concevez-vous cette vérité? Voilà en
substance toute la théologie nécessaire au chrétien, et sur laquelle un
chrétien doit faire fond. Car de là s'ensuivent quelques conséquences, que
chacun de mous peut et doit aujourd'hui s'appliquer, comme autant de règles
pour se connaître devant Dieu et pour se juger soi-même. Ne perdez rien de
ceci, s'il vous plaît.
Première conséquence : il suffit
précisément d'être chrétien, pour être obligé de vivre dans cet esprit de
séparation du monde. Qu'est-ce à dire du monde? c'est-à-dire des faux plaisirs
du monde, des joies profanes du monde, des vaines intrigues du monde, du luxe
du monde, des amusements, des folies, des coutumes, ou plutôt des abus du monde
; en un mot, de tout ce qui entretient la corruption et la dissolution du monde
; c'est-à-dire de tout ce qu'entendait le disciple bien-aimé, quand il nous
défendait de nous attacher au monde et à tout ce qui est dans le monde; Nolite
diligere mundum,
neque ea quœ in mundo sunt (1) ; c'est-à-dire de ce
qu'il prenait soin lui-même de nous expliquer en détail, quand il ajoutait que
tout ce qu'il y a dans le monde est, ou concupiscence de la chair, ou
concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie
: Omne quod est in mundo,
concupiscentia carnis est, et concupiscentia oculorum, et superbia vitœ (2);
c'est-à-dire de ce qu'il nous ordonnait de détester et de fuir, lorsqu'il
concluait que le monde n'est que désordre
et qu'iniquité : Mundus totus in
maligno positus est (3). Il suffit, dis-je, pour être obligé par profession
et par état de s'en séparer, d'être chrétien ; et il n'est point nécessaire
pour cela d'être quelque chose de plus que chrétien : pourquoi ? parce que la
grâce seule du christianisme nous sépare de tout cela ; et parce qu'au moment
que nous avons été régénérés par cette grâce, nous nous en sommes séparés
nous-mêmes. Vous le savez, mes chers auditeurs ; et à moins de désavouer ce que
l'Eglise a fait solennellement en votre nom, et ce que vous avez mille fois
ratifié depuis, vous n'en pouvez disconvenir. Et en effet, quand les Pères
voulaient autrefois détourner les fidèles de certains divertissements qui ont
été de tout temps la passion du monde, et par lesquels les hommes du monde se
sont de tout temps distingués, ils ne leur en apportaient point d'autre raison,
sinon qu'ils étaient chrétiens et séparés du monde ; et cette raison seule les
persuadait. A theatro separamur, quod
est quasi consistorium impudiciticiae
(4) disait l'un d'entre eux : le théâtre , qui est comme une scène ouverte à
l'impureté, fait une séparation entre les païens et nous; car les païens y
courent, et nous l'abhorrons : et cette différence n'est qu'une suite de leur
religion et de la nôtre. De même, quand Tertullien recommandait aux dames
chrétiennes la modestie et la simplicité dans l'extérieur de leurs personnes,
ce que l'on peut dire être à leur égard un commencement de séparation du monde,
comment est-ce qu'il leur parlait? Vous êtes chrétiennes, leur disait-il, et
par conséquent séparées de toutes les choses où cette vanité pourrait avoir
lieu. Vous avez renoncé aux spectacles ; vous n'êtes plus de ces assemblées où
l'on ne va que pour voir et pour être vu ; ces cercles où l'orgueil, où le
faste, oit la licence, où l'incontinence
entretient tant de commerces criminels, ne sont plus pour vous: en
qualité de chrétiennes, vous ne paraissez plus dans le monde que pour les
exercices de
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la charité ou de la piété; que pour visiter les pauvres, qui
sont vos frères, pour assister au sacrifice de votre Dieu, pour venir entendre
sa parole : or tout cela est directement opposé à cette mondanité, qui est le
charme de votre amour-propre. Devez-vous traiter avec les femmes infidèles? à
la bonne heure ; mais pour cela même vous êtes indignes du nom que vous portez,
si, leur donnant par votre exemple l'idée de ce que vous êtes, vous n'avez
encore plus de soin de paraître toujours revêtues des véritables ornements de
votre sexe, qui sont la retenue et la pudeur. Voilà le raisonnement dont se
servait Tertullien, fondé sur la profession simple du christianisme,
Raisonnement qui convainquait les fidèles de ce temps-là, et malheur à nous, si
nous n'en sommes pas convaincus comme eux !
C'est donc une erreur,
non-seulement grossière, mais pernicieuse, de dire : Je suis du monde, et je ne
puis me dispenser de vivre selon le monde, ni de me conformer au monde. Car
c'est ce qui vous perd, et ce qui est la source de tous vos égarements. Or vous
me permettrez bien de vous dire que de parler ainsi c'est une espèce de
blasphème ; car le Fils de Dieu vous a déclaré expressément dans l'Evangile que
vous n'êtes plus du monde, et vous supposez que vous en êtes encore; et, ce qui
est bien plus étrange, vous prétendez en être encore dans le même sens qu'il a
voulu lui faire entendre que vous n'en étiez plus. Il faut donc renverser la
proposition, et dire : Je ne suis plus du monde, parce que je suis chrétienne ;
donc il ne m'est plus permis de rire selon le monde, ni de me conformer aux lois
du monde. Alors vous parlerez selon l'esprit et selon la grâce de votre vocation.
Mais cela est trop général.
Seconde conséquence : plus un homme dans le christianisme a soin de se séparer
du monde, plus il est chrétien ; et plus il a d'engagement et de liaison avec
le monde ( je dis de liaison hors de son devoir, et d'engagement hors de la
nécessité et de sa condition), moins il est chrétien : pourquoi ? parce que,
selon la mesure de ces deux états, il participe plus ou moins à cette grâce de
séparation qui fait le chrétien. Chose si avérée (c'est la remarque du saint évêque
de Genève, François de Sales), que quand la
grâce du christianisme a paru agir sur les hommes dans toute sa plénitude, elle
les a portés à des séparations qui, de l'aveu du monde même, ont été jusqu'à
l'héroïque. Ainsi un Arsène est en crédit dans la cour des empereurs ; cette grâce
l'en arrache pour le transporter au désert. Une Mélanie vit dans là pompe et
dans l'affluence des délices de Rome ; cette grâce l'en détache pour lui faire
chercher d'autres délices dans la retraite de Bethléem. Jamais tant d'illustres
solitaires, c'est-à-dire tant d'illustres séparés que dans ces premiers siècles
de l'Eglise, parce qu'il n'y eut jamais tant de parfaits chrétiens. Et pourquoi
pensons-nous que les monastères aient été de tout temps regardés comme des
asiles de sainteté, sinon parce qu'on y est dans une entière séparation du monde?
Qu'est-ce qu'une religion fervente et réglée (écoutez saint Bernard, et
souffrez que je rende ce témoignage à la vérité connue), qu'est-ce qu'une
religion fervente et réglée, telle que nous en voyons encore aujourd'hui? c'est
une idée subsistante du christianisme. C'est un christianisme particulier, dit
saint Bernard, qui, dans les débris du christianisme universel, s'est sauvé,
pour ainsi dire, du naufrage, et que la Providence a conservé, comme au
commencement de ce premier christianisme révéré par les païens mêmes; car
voilà, mes chers auditeurs, ce qui me rend la religion vénérable. Au contraire,
l'expérience m'apprend que plus un chrétien s'ingère dans le commerce et les
intrigues du monde, moins il est chrétien; et qu'autant qu'il fait de pas et de
démarches pour y entrer, autant l'esprit chrétien s'altère-t-il ou se
corrompt-il dans lui. Jusque-là que quand les Pères de l'Eglise ont parlé ou de
ces recherches empressées du monde, ou de ces vanités et de ces plaisirs qui
marquent l'attachement au monde, ils n'ont point fait difficulté de dire qu'il
y avait en tout cela une apostasie secrète : pourquoi? parce que la grâce de la
foi étant un principe de séparation à l'égard de toutes ces choses, ne pas
renoncer à ces choses, c'était renoncer, en quelque manière, à la grâce de la
foi.
Mais je vais plus loin. Troisième
conséquence : il est impossible à une âme chrétienne de se convertir et de
retourner véritablement à Dieu, à moins qu'elle ne soit résolue de faire un
certain divorce avec le monde, qu'elle n'a pas encore fait; et il y a de la
contradiction à vouloir être autant du monde et aussi engagé dans le monde
qu'auparavant, et néanmoins à prétendre marcher dans la voie, d'une pénitence
sincère qui produise le salut, car le moyen, mon cher auditeur, de concilier
ces deux choses ? Vous avouez vous-même que c'est le monde qui vous a fait
perdre l'esprit de votre religion et l'Esprit de Dieu : il faut donc
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que pour retrouver cet esprit vous vous sépariez du monde,
et qu'au lieu de persister à vous figurer en vain cet esprit où il n'est pas,
vous l'alliez chercher où il est. Or il est évident que l'Esprit de Dieu n'est
point dans cette espèce de monde dont nous parlons, puisque, bien loin d'y être
pour vous, c'est là que vous l'avez perdu : et c'est ici où je ne puis
m'empêcher d'être touché de la plus tendre compassion, en voyant certaines âmes
dont on peut dire que le monde est plein, et qui, pour ne se pas résoudre une
bonne fois à cette séparation du monde, délibèrent éternellement sur leur
conversion, et ne se convertissent jamais. Dieu les presse, la grâce agit en
elles, elles conçoivent mille désirs ardents de leur salut ; vous diriez
qu'elles sont toutes changées, et que le charme est levé; mais quand il en faut
venir à ce point, de rompre avec le monde et de se séparer du monde, ah!
Chrétiens, c'est une conclusion qui leur paraît plus affligeante que la mort,
et qu'elles éloignent toujours. Voilà pourquoi elles sont si ingénieuses à
trouver des raisons et des prétextes pour faire valoir les engagements qui les
retiennent dans le monde ; voilà pourquoi elles sont si éloquentes dans les apologies
qu'elles font du monde. Hé quoi! disent-elles, ne peut-on pas être du monde et
se sauver ? Dieu n'est-il pas l'auteur de ces conditions, que l'on réprouve
sous le nom de monde; et n'y a-t-il pas une perfection pour les gens du monde
comme pour les religieux? Mais quand on leur répond qu'il n'est pas question du
monde en général; qu'il s'agit d'un certain monde particulier, qui n'est point
l'ouvrage de Dieu ; d'un monde qui les pervertit et qui les pervertira
toujours, parce que c'est un monde où règne le péché, parce que c'est un monde
où le libertinage passe pour agréable et pour honnête, parce que c'est un monde
dont la médisance fait tous les entretiens, parce que c'est un monde où toutes
les passions se trouvent comme dans leur centre et dans leur élément, parce que
c'est un monde où l'on ne peut éviter mille écueils auxquels la conscience ne
manque pas d'échouer : que c'est ce monde-là dont il faut qu'elles se séparent,
si elles veulent être à Dieu ; qu'il n'y a point sur cela de tempérament à prendre
ni de ménagement à observer; que leur conversion est attachée à ce divorce :
quand on leur parle ainsi, c'est encore une fois, l'obstacle éternel que la
grâce trouve à surmonter dans ces âmes mondaines, et qu'elle ne surmonte
presque jamais ; parce que les séparer d'un tel monde, c'est les séparer
d'elles-mêmes, ce qu'elles ne veulent jamais tout de bon, quoiqu'elles le
veulent toujours imparfaitement.
Est-il possible, dit-on, que je
puisse vivre sans voir le monde ? Que ferais-je quand je me serai déclarée
n'être plus du monde? Quelle ressource aurais-je contre l'ennui qui m'accablera
dans cette séparation du monde? quel jugement fera-t-on de moi dans le monde?
car voila les difficultés que l'esprit du monde a coutume de former dans une
âme qui traite avec Dieu de sa conversion. Et moi je dis, âmes chrétiennes, que
si vous aviez tant soit peu de foi ou plutôt si vous écoutiez tant soit peu
votre foi, vous rougiriez de ces
sentiments. Non, non, Seigneur, diriez-vous à Dieu, ce n'est point de là que
doit dépendre ma résolution, et je raisonne en infidèle lorsque je parle de la
sorte. Que cette séparation du monde nie soit difficile ou aisée, qu'elle me
cause de la tristesse ou de la joie, que le monde l'approuve ou qu'il la condamne
; puisqu'elle m'est nécessaire, c'est assez pour m'y soumettre. S'il m'est
pénible d'être séparée du monde, j'accepterai cette peine comme une
satisfaction de tous les attachements criminels que j'ai eus au monde: et
combien de fois, ô mon Dieu, le monde même m'a-t-il causé de mortels
ennuis?est-ce un grand effort que je ferai, quand je serai prête à en souffrir
autant que vous? Le monde me condamnera : et que m'importe d'être louée ou
condamnée du monde, puisque je veux sincèrement m'en séparer? Je cherche quelles seront alors mes occupations
: et n'en aurai-je pas trop, pourvu que je m'attache aux devoirs de ma religion
et aux devoirs de mon état ? ces occupations ne sont-elles pas plus dignes
de moi que celles que je me faisais dans le monde, qui dissipaient mon esprit
sans le remplir, et qui corrompaient
mou cœur sans le satisfaire?
Cependant, Chrétiens, vous me
demandez quelle doit être cette séparation du monde, et c'est le grand point de
pratique qui me reste à vous expliquer. Je ne parle point des qualités
vicieuses et mauvaises que cette séparation peut avoir : c'est une matière qui me
fournirait mille réflexions très-solides
, mais qui me seraient peut-être pas universellement goûtées. Or mon dessein
est de tâcher à entrer dans vos cœurs, pour les gagner a Dieu. Il y a des
séparations du monde fausses, et il y en a de vraies. Je suppose que celle que
nous embrasserons sera telle qu'elle doit être ; qu'elle sera sincère,
désintéressée, et qu'elle aura Dieu pour motif.
353
Mais cela posé, je dis ( et voici les règles qui nous
regardent), je dis qu'il y a deux sortes de m pirations du monde : l'une
corporelle et extérieure, l'autre de cœur et d'esprit. Je dis que pour vivre en
véritable chrétien, toutes deux sont nécessaires, parce que la séparation
extérieure du monde n'est qu'un fantôme, si elle n'est soutenue et animée de
celle de l'esprit ; et que celle de l'esprit ne peut se soutenir ni subsister, si
elle n'est aidée de l'extérieure. C'est la maxime de saint Bernard et de tous
les Pères. Il faut une séparation du cœur et de l'esprit; car, en vain suis-je
séparé du monde, d'habit, d'état, de demeure, de fonction et de conversation, si
mon esprit et mon cœur y sont attachés. C'est par le cœur qu'il faut que je
commence à m'en séparer. Or, vous qui m'écoutez, Chrétiens, au milieu des
embarras de la vie du siècle, vous pouvez avoir cette séparation du coeur ; et
vous pouvez l'avoir, si vous le voulez, aussi parfaitement que les solitaires
et les religieux mêmes, parce que votre cœur est entre vos mains, et que vous
en pouvez disposer.
Mais ce n'est pas tout : il faut
que la séparation du cœur soit accompagnée, ou, pour mieux dire, soutenue de la
séparation extérieure et corporelle : par quelle raison? parce que, dit saint
Grégoire, pape, la contagion du siècle est telle, que les hommes les plus purs,
les plus saints et les plus dégagés de l'amour du monde, ne laissent pas d'en
ressentir les atteintes. Il faut donc de temps en temps les affaiblir et en
diminuer l'impression, en se retirant et se séparant extérieurement du monde,
et faire comme ces consuls et ces princes de la terre dont Job a parlé, qui
jusque dans leurs palais bâtissent des solitudes, où ils sont au milieu du
monde comme s'ils n'y étaient pas : Cum regibus et consulibus terrœ, qui
œdificant sibi solitudines (1). C'est de là qu'est venu l'usage de et s
saintes retraites qui se pratiquent aujourd'hui dans le christianisme, et qui y
produisent des effets de grâce si merveilleux. Que fait«on dans ces retraites?
on écoute Dieu parler, on converse familièrement et paisiblement avec lui, on
reçoit ses communications les plus intimes, et on y répond. Ah ! mes Frères,
les jours que vous passerez dans ces pieux et salutaires exercices seront
proprement vos jours ; et l'on peut dire que sans ceux-là, presque tous les
autres sont perdus pour vous. Ce qu'il y a de bien déplorable, c'est que nous
ne les voyons pratiquer ordinairement qu'à ceux qui m ont moins de besoin ;
car, à qui est-ce que
ces retraites sont plus nécessaires? Ce n'est pas à cet
ecclésiastique ni à ce religieux , qui mènent une vie réglée dans leur
profession : c'est à cet homme d'affaires, dont la conscience est chargée de
mille injustices qu'il ne verra jamais bien que dans une retraite : c'est à cet
homme de cour, qui ne pensera jamais sérieusement à son salut si une retraite
ne l'y fait penser : c'est à cette femme du monde, laquelle se trouve dans un
abîme de corruption dont il n'y a qu'une retraite qui soit capable de la tirer.
C'est à ces personnes qu'il faut des retraites. Aux autres elles sont de
conseil, mais à ceux-ci elles peuvent être et sont très-souvent d'obligation,
parce que, dans l'ordre naturel des grâces et dans la voie commune de la
Providence , elles leur deviennent un moyen unique pour se sauver.
Voilà, mes chers auditeurs, la
première idée du christianisme. Séparons-nous du monde avant que le monde se
sépare de nous ; car il faut de deux choses l'une, ou que nous nous en
séparions nous-mêmes par choix et par vertu, ou que nous en soyons séparés par
force et par nécessité. Or, ne vaut-il pas bien mieux que cette séparation se
fasse en nous par l'attrait de la grâce, que d'attendre qu'elle se fasse malgré
nous par la violence de la mort? Séparons-nous du monde, tandis que nous
pouvons devant Dieu nous rendre le témoignage que nous nous en séparons pour
lui. Car, quel honneur faisons-nous à Dieu quand nous nous convertissons à lui
parce que nous ne sommes plus en état de goûter le monde, ou plutôt parce que
le monde commence à ne nous plus goûter? Quelle obligation Dieu, pour ainsi
parler, nous peut-il avoir, quand nous lui donnons le reste du monde? Quelle
gloire tire-t-il de nous, quand nous nous mettons dans l'ordre, non pas par un
effort que nous faisions en quittant la créature, mais par un secret désespoir
de ce que la créature nous a quittés? Séparons-nous du monde de la manière dont
nous en voulons être séparés dans le jugement de Dieu ; et puisque, selon saint
Augustin, le jugement de Dieu à l'égard du juste ne sera point une punition,
mais une séparation :Non punitio, sed discretio ; anticipons dès cette
vie l'effet de ce jugement ; faisons dès maintenant ce que Dieu fera alors :
paraissons sur la terre dans le même rang où il faudra que nous paraissions,
c'est-à-dire séparés des impies et des réprouvés; et, sans différer jusqu'à la
venue de Jésus-Christ, faisons en sorte que , trouvant en nous cette séparation
déjà faite, il n'ait qu'à la ratifier
354
quand il viendra pour nous juger. Séparons-nous du monde,
afin que dans ce jour terrible Dieu ne Bons sépare pas de ses élus. Car comme
il y a, selon l'Ecriture, une séparation de miséricorde et de grâce, aussi y en
a-t-il une de rigueur et de justice ; et la plus forte imprécation que faisait
David contre ses ennemis, qui furent toujours les ennemis de Dieu , était de
dire à Dieu : Domine, a paucis divide eos (1) ; Séparez-les, Seigneur,
de ce petit nombre d'élus que vous avez choisis. Surtout, Chrétiens, n'appréhendez
point la séparation du monde comme un étal triste et affreux. Quand elle serait
telle, vous étant d'ailleurs aussi salutaire et aussi nécessaire qu'elle l'est,
vous devriez l'aimer. Mais j'ose bien dire que si vous y êtes fidèles à Dieu,
Dieu vous y fera trouver des douceurs préférables à toutes les joies et à tous
les plaisirs des sens. En effet, il n'y en a point de plus heureux dans le monde
que ceux qui sont parfaitement séparés du monde : c'est ce que nous avouons
tous les jours ; et il est bien étrange que, reconnaissant dans les autres ce
qui doit faire notre bonheur, nous le craignions pour nous-mêmes. Cependant,
mes chers auditeurs, tel est l'enchantement de nos esprits et le désordre où
nous vivons : toujours persuadés du néant du monde, et toujours possédés de
l'amour du monde, nous dégoûtant sans cesse du monde et ne nous en détachant
jamais. Quoi qu'il en soit, mes Frères, voilà le premier caractère de l'homme
chrétien , d être séparé du monde. Mais il n'en faut pas demeurer là, et le
second est d'être consacré à Dieu , comme je vais vous le montrer dans la
seconde partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Il est de la sainteté de Dieu
d'être servi par des saints, comme il est de la grandeur des rois d'être servis
par des grands ; et la même raison qui fait que ceux-ci, en qualité de
souverains et de monarques, veulent avoir des princes pour officiers de leur
maison , est celle pourquoi Dieu , en qualité de Saint des saints, se fait un
honneur de recevoir le culte qui lui est du par des hommes sanctifiés, et qui
portent dans eux un caractère de consécration. Tous les hommes, dit saint
Grégoire, pape, sont essentiellement sujets à l'empire de Dieu ; mais tous les
hommes ne sont pas pour cela consacrés à Dieu. Cette consécration est l'effet
d'une grâce spéciale : et je dis que c'est la grâce propre du christianisme.
Pour approfondir
cette vérité, concevez bien, s'il vous plaît, trois choses
dignes de toute votre réflexion, et capables de remplir vos cœurs des plus
nobles sentiments de la foi. Premièrement, l'excellence de ce que j'appelle la
consécration du chrétien ; en second lieu, l'obligation indispensable de
sainteté que cette consécration impose à l'homme chrétien ; et enfin la tache
particulière qui, par une malheureuse nécessité, et en conséquence de cette
consécration, se répand sur tous les péchés du chrétien. Si je vous lais bien
comprendre ces trois articles, il n'y a rien, mes chers auditeurs, que je ne
doive espérer de vous.
Qu'est-ce que l'onction du
baptême, en vérin de laquelle nous sommes chrétiens? C'est,dit saint Cyprien,
une consécration solennelle qui se fait de nos personnes; mais une consécration
dans laquelle il semble que Dieu a pris plaisir de rassembler toutes les
richesses de sa grâce pour nous la rendre plus précieuse ; car le baptême,
ajoute ce Père, nous consacre en je ne sais combien de manières, qui doivent
toutes nous inspirer un certain respect pour nous-mêmes. Il nous consacre comme
rois, il nous consacre comme prêtres,
il nous consacre comme temples
de Dieu,
il nous consacre comme enfants
de Dieu, il nous consacre comme membres de Dieu. Ah! mes chers auditeurs, apprenons
aujourd'hui ce que nous sommes, et confondons-nous, si
nous ne sommes pas ce que tant de motifs nous excitent à devenir.
Je dis que le baptême nous
consacre comme rois et comme
prêtres; ainsi l'apôtre saint Pierre le déclare-t-il,
lorsque parlant aux chrétiens dans sa première Epitre canonique, il leur donne
tout à la fois ces deux qualités en les appelant sacerdoce royal : Regale
sacerdotium (1). Et ainsi le disciple bien-aimé, dans l'Apocalypse, fait-il
consister en partie le bienfait de la rédemption en ce que Jésus-Christ, qui
est le souverain rédempteur, nous a établi rois et prêtres de Dieu son père : Et
fecisti nos Deo nostro regnum et sacerdotes (2). En effet, comme chrétiens,
nous ne sommes destinés à rien de moins qu'à régner; et ce n'est point une
exagération ni une ligure de dire que dans le baptême nous sommes sacrés pour
un royaume, qui est le ciel ; que nous y recevons l'investiture d'une couronne,
qui est la couronne du ciel; et qu'en même temps que la grâce de ce sacrement
nous est conféra, nous avons un droit légitime de prétendre à
355
l'un des trônes que le Fils de Dieu nous a préparés dans le
ciel. Comme chrétiens, nous vînmes encore consacrés prêtres du Dieu vivant :
comment cela? parce que l'onction baptismale non-seulement donne pouvoir au
chrétien, mais lui impose l'obligation d'offrir à Dion des sacrifices
continuels : le sacrifice de m esprit par la foi, le sacrifice de son corps par
la pénitence, le sacrifice de ses biens par l'aumône, le sacrifice de sa
vengeance par la charité,, le sacrifice de son ambition par l'humilité; toutes
hosties, dit saint Paul, par lesquelles on se rend Dieu favorable, et sans
lesquelles le christianisme n'est qu'une ombre de religion : Talibus enim
hostiis promeretur Deus (1). Je dis plus : parce qu'en qualité de chrétiens
nous pouvons offrir tous les jours le plus grand de tous les sacrifices, qui
est celui du corps et du sang de Jésus-Christ. Car tout biques, mes Frères, que
vous êtes, vous offrez m lit ment et conjointement avec le ministre du Seigneur
ce divin sacrifice : et de là saint Léon conclut que vous devez donc vous
regarder comme les associés des prêtres : Agnoscant te, et regii generis, et
officii sacerdotalis esse consortes. Or, vous ne pouvez offrir ce sacrifice
avec les prêtres sans être, dans un sens, prêtres vous-mêmes. D'où il s'ensuit
que le caractère de chrétien répand sur vous une partie de l'onction
sacerdotale.
J'ajoute qu'en vertu de ce même
caractère mus êtes consacrés à Dieu comme ses temples. Rien de plus commun dans
la doctrine de saint Paul. Non, mes Frères, disait ce grand apôtre, ce n'est
point dans des temples bâtis par les hommes que notre Dieu fait sa demeure,
mais dans ceux qu'il a bâtis lui-même; c'est-à-dire dans nous-mêmes, car vous
êtes vous-mêmes les temples du Dieu tout-puissant. Or, prenez Inde, mes chers
auditeurs, cette qualité que nous possédons de. temples de Dieu est, à parler
dans la rigueur, uniquement attachée à la grâce du baptême ; et toute autre
grâce que celle du baptême, fût-elle aussi éminente que celle des anges, ne
nous communique point cette qualité. Ecoutez la raison qu'en donne Guillaume de
Paris. C'est qu'à parler dans la rigueur, nous ne sommes proprement les temples
de Dieu qu’en tant que nous sommes capables de recevoir le Fils de Dieu par la
participation de son corps adorable, lorsque ce Dieu de bonté et de majesté
vient habiter dans nous, et fait de nos cœurs autant de sanctuaires et de
tabernacles où il réside. Or, par où sommes-nous
capables de le recevoir ainsi, cet Homme-Dieu? par le
baptême. Car, quand j'aurais toute la sainteté des esprits bienheureux, si je
n'avais le caractère du baptême, je ne pourrais me présenter à la table de Jésus-Christ,
ni participer à son sacrement. C'est donc le baptême qui fait en nous comme la
première consécration du temple de Dieu, ou plutôt c'est par le baptême, et par
le caractère de chrétien que le baptême nous confère, que nous devenons les
temples de Dieu.
Mais qu'est-ce que toutes ces
qualités, en comparaison des titres glorieux d'enfants de Dieu et de membres de
Dieu ? Car ce sont là les termes formels et les expressions de l'Ecriture.
C'est de nous que saint Jean a dit que tous ceux qui ont été unis à
Jésus-Christ dans le baptême et par le baptême, que tous ceux qui ont cru en
lui et en son saint nom, ont dès lors acquis un droit incontestable d'être
appelés enfants de Dieu, comme en effet ils le sont devenus : Quotquot autem
receperunt eum, dedit eis potestatem filios Dei fieri, his qui credunt in
nomine ejus (1). C'est aux chrétiens que saint Paul disait : Vous êtes le
corps de Jésus-Christ, vous êtes ses membres : Vos estis corpus Christi, et
membra de membro (2). De vouloir relever ici l'excellence de tous ces dons
descendus du Père céleste et communiqués à l'âme chrétienne, ce serait, mes
chers auditeurs, une matière infinie, et des discours entiers n'y pourraient
suffire. Passons à l'obligation de sainteté que nous imposent de si saintes
qualités; et tirons de là le juste sujet de notre confusion, pour le faire en
même temps servir à notre édification.
Voilà, dis-je encore une fois,
mes Frères, ce que nous sommes, et voilà les augustes caractères que la grâce,
à proportion de vos états, imprime dans vous. Mais aussi quelles conséquences
suivent de ces principes? Voyez quelle ferveur de charité la charité d'un Dieu
pour nous doit allumer dans nos cœurs. Voyez à quel retour de zèle elle nous
engage ; par quelle intégrité de mœurs nous devons soutenir ce degré de gloire
où la grâce nous a fait monter. Est-ce trop exiger de nous que de nous obliger
à être parfaits, pour remplir, non pas l'étendue, mais en quelque sorte
l'immensité de ce devoir? Enfin, tout ce que la loi chrétienne nous commande,
quelque héroïque qu'il puisse être, est-il trop relevé pour des enfants de Dieu
? Ah ! Seigneur, s'écriait saint Ambroise, méritons-nous de porter ce beau nom,
si, par
356
une lâche conduite, nous venions à dégénérer, et à déchoir
des hauts sentiments de l'esprit chrétien, dans les bassesses infinies de
l'esprit du monde ; et ne faut-il pas que nous renoncions pour jamais à
l'honneur de vous appartenir, si nous prétendions nous borner à des vertus
médiocres? C'est ainsi, mes chers auditeurs, que le concevaient les Pères de
l'Eglise, et c'est le tonds de moralité sur lequel saint Paul établissait les
plus fortes remontrances qu'il faisait aux chrétiens. Il ne les appelait point autrement
que du nom de saints ; et quand il écrivait aux Eglises dont le soin lui était
commis, son Epître portait pour inscription : Aux saints de l'Eglise de
Corinthe, aux saints qui sont à Ephèse : Ecclesiœ Dei quai est
Corinthi,vocatis sanctis (1) ; pourquoi ? parce qu'il supposait que l'on ne
pouvait être l'un sans l'autre, et que l'essence du chrétien étant d'être
consacré à Dieu, être chrétien par profession, c'était être saint. De là vient
qu'il n'employait guère d'autre motif que celui-là pour porter les chrétiens à
cette inviolable pureté du corps et de l'esprit, par où il voulait qu'ils
fussent distingués dans le monde. Ne savez-vous pas, mes Frères, leur
disait-il, que par le baptême vous êtes devenus le temple de Dieu : Nescitis
quia templum Dei estis ? Or le temple de Dieu doit être saint ; et
quiconque profane ce temple, Dieu le perdra.
Sur quoi Zenon de Vérone fait une
remarque aussi solide qu'ingénieuse. Si ce temple de Dieu, dit-il, était dans
nous parfait et achevé, comme il l'est dans les bienheureux qui sont au ciel,
nous n'aurions plus besoin de travailler à notre sanctification ; mais la
structure de ce temple, pendant que nous vivons sur la terre, devant toujours
croître et ne se terminant jamais, c'est à nous, pour répondre aux vues de Dieu
qui en est le premier architecte, de l'édifier continuellement. Vérité que
saint Paul a si bien exprimée par ces paroles : In quo omnis œdificatio
constructa crescit in templum sanctum in Domino (3); car il ne dit pas que
Jésus-Christ est le fondement sur lequel nous sommes bâtis et édifiés, mais sur
lequel nous bâtissons et nous éditions, pour être un temple consacré au
Seigneur. Or ce temple, encore une fois, ne peut être édifié dans nous que par
la sainteté de notre vie: d'où vient qu'une vie sainte est communément appelée
vie édifiante. Et la merveille en ceci, reprend Zénon de Vérone, est de voir
qu'en effet si nous sommes justes, le temple de Dieu se bâtit à tous
moments et se consacre dans nos personnes : 0 res
miranda, quotidie œdificatur in nobis et consecratur domus Dei ! Il est
vrai, ajoutait ailleurs le grand Apôtre, comme chrétiens, vous participez au
sacerdoce de Jésus-Christ et au ministère des prêtres ; mais c'est pour cela
même que je vous conjure de présenter à Dieu vos corps, comme autant d'hosties
saintes, vivantes, et agréables à ses yeux. Car, si les prêtres de l'ancienne
loi devaient être saints, parce qu'ils étaient députés pour offrir des pains et
de l'encens ; vous qui, en vertu de votre vocation, offrez à Dieu des victimes
incomparablement plus nobles ; vous qui lui offrez tous les jours l'Agneau sans
tache dans le sacrifice de l'autel ; vous qui lui devez offrir des cœurs, des
volontés et des esprits, que devez-vous être, si le raisonnement de l'Ecriture
est juste: Incensum et panes offerunt, et ideo sancti erunt Deo suo ? A
quoi, par rapport à vous, ce raisonnement ne s'étend-il pas, et quelle
nécessite ne vous impose-t il pas de mener une vie pure, et dégagée de la
corruption du siècle?
Voilà, mes chers auditeurs, ce
qui doit aujourd'hui vous animer ; et si vous n'êtes pas touchés de ce que je
dis, voilà ce qui doit vous faire trembler ; car un troisième et dernier
article par où je finis, c'est que les péchés des chrétiens contractent une
malice particulière, qui est celle même du sacrilège, et qui les rend plus
abominables devant Dieu. En effet, qu'est-ce que le sacrilège? c'est, disent
les théologiens, l'abus, la profanation d'une chose consacrée à Dieu. Or tout
ce qu'il y a dans moi est consacré à Dieu par le baptême ; et tous les péchés
que je commets sont autant d'abus criminels que je fais de moi-même. Par
conséquent tous mes péchés renferment une espèce de sacrilège dont je suis
coupable. Mais encore de quelle nature est ce sacrilège? ce n'est pas seulement
la profanation d'une chose consacrée à Dieu, mais unie à Dieu, mais incorporée
avec Dieu, ainsi que l'est un chrétien en conséquence du baptême et selon les
principes de notre foi. Ah ! mes Frères, écrivait saint Paul aux
Corinthiens, justement indigné d'un pareil abus, serait-il possible que j'en
vinsse à cette extrémité? Quoi! j'arracherais les membres de Jésus-Christ, pour
en faire les membres d'une prostituée? ce sont les propres expressions de
l'Apôtre : Tollens ergo membra
Christi, faciam membra meretricis (1) ? Quoi ! je corromprais un cœur qui
doit être la demeure de mon Dieu, je l'infecterais du poison le plus
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mortel, je le souillerais de toutes les iniquités.
C'est cependant, mes chers
auditeurs, ce que nous faisons en nous abandonnant au péché : jusque-là que
quelques théologiens , portant trop loin le sens et la force des paroles de
l'Apôtre, ont douté si l'on ne pouvait pas dire que Jésus-Christ, tout impeccable
qu'il est en lui-même, devenait pécheur dans les chrétiens; et cela autant de
fois qu'ils commettaient de péchés. Je sais que l'Eglise a rejeté cette manière
de parler si injurieuse à la sainteté d'un Homme-Dieu, et qu'elle l'a même
traitée d'hérésie ; mais cette hérésie et cette manière de parler ne laisse pas
d'être fondée sur une vérité certaine, savoir, que toutes les fois que nous
péchons, ce sont les frères et les membres de Jésus-Christ qui pèchent : Tollens
ergo membra Christi, faciam membra meretricis ?
Ce ne sont point Là des
exagérations de la chaire, ni ce n'en est point une d'ajouter, en déplorant la
triste décadence du christianisme, que rien néanmoins n'y est plus ordinaire
que le péché. Quand Dieu, dans les premiers âges du monde, vit la corruption
générale où toute la terre était tombée, il se repentit, selon le langage de
l'Ecriture, d'avoir créé l'homme : Pœnitet me fecisse eos (1). La vue de
tant de désordres qu'il découvrit lui fit regarder avec horreur son propre
ouvrage, et l'excita à le détruire : Delebo hominem
quem creavi (2). Car il ne put souffrir qu'une créature formée à sa
ressemblance, et enrichie de ses dons, défigurât ainsi son image par de honteux
excès et par ses débordements : Omnis
quippe caro carruperat viam suam (3). Hé ! mes Frères, ces premiers hommes
étaient-ils plus vicieux que nous, et dans leurs vices étaient-ils aussi
criminels ? Prenez garde : étaient-ils engagés en déplus mortelles habitudes,
étaient-ils dominés par de plus sensuelles passions, étaient-ils sujets à de
plus grossières et de plus sales voluptés? Voyait-on parmi eux plus
d'injustices, plus d'inimitiés, plus de vengeances, plus de perfidies, plus de
dérèglements et plus de débauches? Mais en tout cela et en toute autre chose
étaient-ils d'ailleurs aussi criminels que nous ? Avaient-ils avec Jésus-Christ
la même liaison? s'était-il montré à leurs yeux sous la même chair?
avait-il contracté avec eux la même union par la même grâce et les mêmes
sacrements ? En un mot, était-ce des chrétiens comme nous? et n'est-ce pas une
conclusion bien solide et bien vraie que
celle
de Tertullien et de tous les Pères après lui, que dans la
loi nouvelle, dans cette loi qui nous lie si étroitement à Dieu, qui nous
dévoue si spécialement à Dieu, qui nous donne avec Dieu une communication si
intime, et nous fait en quelque sorte participera la nature même de Dieu, si
nous sommes pécheurs, notre péché nous rend beaucoup plus condamnables au
tribunal de Dieu, et plus redevables à sa justice?
Qu'avons-nous donc à craindre?
Plaise au ciel de détourner l'effet d'une si terrible menace, et puissions-nous
le prévenir ! C'est que Dieu, selon les mêmes termes de l'Ecriture, ne vienne à
se repentir de ce qu'il a fait pour nous, en nous honorant d'un si saint et si
glorieux caractère : Pœnitet me fecisse. C'est qu'il ne détruise enfin
cette Eglise qu'il a rachetée de son sang et animée de son esprit : Delebo
de terra. Que dis-je, mes chers auditeurs ! il ne la détruira jamais, et
cette Eglise subsistera toujours, parce qu'elle est bâtie sur la pierre ferme.
Mais Dieu, content de se réserver quelques âmes fidèles, détruira tant
d'indignes sujets qui la désolent, au lieu de l'édifier. Il les retranchera de
son royaume comme autant de scandales, et il les transportera à des nations
étrangères. Il conservera le christianisme, mais il réprouvera des millions de
chrétiens. Il permettra que le flambeau
de la foi s'éteigne parmi nous : hélas! n'a-t-il pas déjà commencé à le
permettre? et tandis que la lumière de l'Evangile se répand sur des peuples
ensevelis clans les ombres de la mort, ne voyons-nous pas tous les jours des
esprits s'obscurcir, et tomber peu à peu dans les plus épaisses ténèbres de
l'incrédulité? Car voilà l'affreux châtiment qu'ils s'attirent de la part de
Dieu ; et le moyen qu'une foi toute sainte et toute sanctifiante pût se
maintenir dans la licence du siècle et compatir avec des mœurs toutes
perverties ? Omnis quippe caro
corruperat viam suam. Que nous reste-t-il autre chose, ô mon Dieu, que
d'avoir recours à votre infinie miséricorde, et de vous fléchir par un retour
prompt et sincère dans les voies d'une foi pure et agissante? Tout coupables
que nous sommes, ce sont toujours vos enfants qui vous réclament comme leur
père, ce sont toujours les membres de votre Fils adorable, puisque ce sont
toujours des chrétiens. Si nous n'avons plus qu'une faible lueur pour guider
nos pas, elle peut croître avec l'assistance de votre grâce, et se fortifier.
Ne souffrez pas, Seigneur, que cette dernière ressource nous soit enlevée.
Toute
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autre vengeance qu'il vous plaira d'exercer sur nous, nous
l'avons méritée et nous l'acceptons. Mais, mon Dieu, soutenez notre foi,
augmentez notre foi, vivifiez notre foi, pour la couronner dans l'éternité
bienheureuse, où nous conduise, etc.