XVIII° DIMANCHE - PENTECOTE

Précédente Accueil Remonter Suivante

Accueil
Remonter
VOLUME II
Ier DIMANCHE- EPIPHANIE
II° DIMANCHE - EPIPHANIE
III° DIMANCHE - EPIPHANIE
4° DIMANCHE - EPIPHANIE
V° DIMANCHE - EPIPHANIE
VI° DIMANCHE - EPIPHANIE
DIMANCHE SEPTUAGESIME
DIMANCHE SEXAGÉSIME
DIMANCHE - QUINQUAGÉSIME
II° DIMANCHE - PAQUES
III° DIMANCHE - PAQUES
II° DIMANCHE - PAQUES
V° DIMANCHE - PAQUES
DIM. OCTAVE L'ASCENSION
DIM. OCTAVE  SAINT-SACREMENT
III° DIMANCHE - PENTECOTE
IV° DIMANCHE - PENTECOTE
V° DIMANCHE - PENTECOTE
VI° DIMANCHE - PENTECOTE
VII° DIMANCHE - PENTECOTE
VIII° DIMANCHE - PENTECOTE
IX° DIMANCHE - PENTECOTE
X° DIMANCHE - PENTECOTE
XI° DIMANCHE - PENTECOTE
XII° DIMANCHE - PENTECOTE
XIII° DIMANCHE - PENTECOTE
XIV° DIMANCHE - PENTECOTE
XV° DIMANCHE - PENTECOTE
XVI° DIMANCHE - PENTECOTE
XVII° DIMANCHE - PENTECOTE
XVIII° DIMANCHE - PENTECOTE
XIX° DIMANCHE - PENTECOTE
XX° DIMANCHE - PENTECOTE
XXI° DIMANCHE - PENTECOTE
XXII° DIMANCHE - PENTECOTE
XXIII° DIMANCHE - PENTECOTE
XXIV° DIMANCHE - PENTECOTE
AVEUGLE-NÉ
ESSAI D'AVENT I
ESSAI D'AVENT II
ESSAI D’AVENT III
ESSAI D’AVENT IV
ESSAI SAINT-SACREMENT

SERMON POUR LE DIX-HUITIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE.
SUR LA RECHUTE DANS LE PÉCHÉ.

 

ANALYSE

 

Sujet. Jésus voyant leur foi, dit au paralytique : Mon fils, prenez confiance, vos péchés vous sont remis.

 

C'est ce que Dieu dit encore au pécheur pénitent ; mais un des caractères de la vraie pénitence, c'est la fermeté et la persévérance.

 

Division. Rechute dans le péché, marque d'une fausse pénitence à l'égard du passé : première partie ; obstacle à la vraie pénitence dans l'avenir : deuxième partie.

Première partie. Rechute dans le péché, marque d'une fausse pénitence à l'égard du passé. Si votre pénitence a été telle que vous la supposez, c'est-à-dire une vraie pénitence, il faut que vous vous soyez engagé à Dieu par une protestation sincère de ne plus retomber dans le péché qui vous avait attiré sa disgrâce. Cette protestation sincère a renfermé une volonté sincère. Or est-il croyable qu'un homme ait eu une volonté déterminée et absolue de renoncer à son péché, et qu'immédiatement après, lâchement et sans résistance, il y retourne tout de nouveau? Une volonté bien résolue est plus efficace. Ainsi raisonnait saint Bernard, et avant lui Tertullien.

A cela on peut opposer trois choses. Car premièrement ne peut-il pas arriver que la volonté change ? Il faut convenir que ce changement est possible ; mais il faut en même temps ajouter que quand les rechutes sont subites et fréquentes, il n'y a nulle vraisemblance que ce soit par un tel changement. En voici la preuve : c'est que dans tout le reste de notre conduite, on ne voit point de ces légèretés si surprenantes.

Secondement on dit : Nous sommes faibles, et, malgré la sincérité de nos résolutions, la violence de nos passions nous entraîne. Il est vrai que nos passions sont de puissants ennemis; mais si la promesse que nous avons faite à Dieu de persévérer dans si grâce a été véritable, elle a dû être plus forte que ces ennemis prétendus, et sa propriété la plus essentielle était de les pouvoir surmonter. Or, comment me persuaderai-je qu'elle a eu cette vertu, lorsqu'il ne m'en parait rien ? Jugez de vous par vous-même. Vous sortez d'une maladie, et vous craignez une rechute : que ne faites-vous point pour la prévenir? Or, le propos que vous avez fait d'éviter la rechute dans le péché, doit être encore plus efficace que ce désir naturel de conserver votre vie. Oseriez-vous dire qu'il l'a été ? Et ce qui doit être une dernière conviction, c'est que ces mêmes passions auxquelles vous succombez, vous bien les vaincre et y résister, s'il s'agissait de votre fortune et d'un intérêt temporel.

Mais enfin, dit-on en troisième lieu, nous avons gémi, nous avons formé des regrets et des repentirs, nous avons versé de larmes ; et ne sont-ce pas là des actes de pénitence ? Faux principe. Ce sont là, si vous le voulez, des grâces,, des désire de pénitence ; mais ce n'en sont pas toujours les actes. Les Juifs croyaient en Jésus-Christ, et paraissaient s'attacher à lui, voyant les miracles qu'il faisait. Mais Jésus-Christ, remarque saint Jean, ne se fiait pas pour cela à eux, parce qu'il les connaissait. Ceci pourra troubler bien des consciences; mais il est bon de les troubler, pour les réveiller de l'assoupissement où elles sont.

Deuxième partie. Rechute dans le péché, obstacle à la vraie pénitence par rapport à l'avenir. Ce n'est pas un obstacle invincible, et quand saint Paul dit qu'il est impossible que ceux qui ont été une fois éclairés des lumières du salut, et sont après cela retombés, se relèvent par la pénitence, nous ne devons entendre ce terme d'impossible que d'une impossibilité morale ou d'une extrême difficulté.

Quatre choses rendent la pénitence très-difficile après la rechute. 1° C'est que la rechute éloigne Dieu de nous. Exemple de Samson. Après que Dalila lui eut coupé sa chevelure, il se croyait aussi fort qu'auparavant ; mais il ne savait pas, remarque l'Ecriture, que le Seigneur s'était retiré de lui. 2° C'est que la rechute fortifie l'inclination que nous avons au mal ; la volonté se pervertit, et l'habitude se forme. 3° C'est que la rechute affaiblit en nous la vertu de la grâce. Les plus grandes vérités ne font presque plus d'impression sur l'esprit d'un pécheur. Il les a cent fois entendues, et autant de fois néanmoins il s'est replongé dan ses premières abominations. 4° C'est que la rechute est d'elle-même et de sa nature essentiellement opposée à la grâce de la conversion; car elle ajoute à la malice du péché l'ingratitude envers Dieu et le mépris : deux caractères que Dieu a le plus en horreur, et les plus capables de l'endurcir à notre égard, comme nous nous sommes endurcis pour lui.

Conclusion qui regarde deux sortes de personnes : 1° que ceux qui, depuis leur pénitence, se sont heureusement soutenus, prennent garde à eux et redoublent encore leur vigilance ; 2° que ceux qui sont retombés ne perdent pas toute espérance. Leur conversion est difficile, mais elle n'est pas impossible : parce qu'elle n'est pas impossible, il faut l'entreprendre ; et parce qu'elle est difficile, il faut faire tous les efforts nécessaires.

 

359

 

Et videns Jesus fidem illorum, dixit paralytico : Confide, fili ; remittuntur tibi peccata tua.

 

Jesus voyant leur foi, dit au paralytique :Mon fils, prenez confiance ; vos péchés vous sont remis. (Saint Matthieu, chap. IX, 2.)

 

Il n'est point de mal  plus  pernicieux  à l'homme que le péché ; et si ce fut une grâce que le Sauveur du monde fit à ce malade de notre évangile, de lui donner la santé du corps et de le guérir de sa paralysie, ce fut encore une faveur tout autrement précieuse et mille fois plus estimable, de lui donner la santé de l'âme et de lui accorder la rémission de ses péchés. Tel est, mes chers auditeurs , l'avantage que  nous recevons nous-mêmes dans le sacrement de la pénitence, et que nous ne pouvons conserver avec trop de soin. En vain le paralytique perdus de tous ses membres se fût-il trouvé tout à coup, par un miracle de la vertu divine , en état d'agir; en vain eût-il entendu de la bouche de Jésus Christ cette parole toute-puissante : Surge et ambula (1) ; Levez-vous et marchez, si, par une rechute aussi prompte que l'avait été sa guérison, il eût perdu tout de nouveau le mouvement, et qu'il fût retombé dans sa première infirmité. Disons mieux, Chrétiens, et ne sortons point de notre sujet : en vain ses péchés lui eussent-ils été pardonnes, si la passion, reprenant bientôt un nouvel empire sur son cœur, l'eût rengagé dans ses mêmes habitudes ; et en vain eût-il été réconcilié dans un moment avec Dieu , s'il fut au bout de quelques jours rentré dans ses voies criminelles, et qu'il se fût rendu plus que jamais ennemi de Dieu. C'est pour cela que le Sauveur, après avoir guéri auprès de la piscine cet autre paralytique dont il est parlé dans l'évangile de saint Jean , l'avertit expressément de ne pécher plus, et de ne pas retourner à ses désordres passés, de peur qu'il ne s'attirât de la part du ciel un châtiment encore plus rigoureux que celui qu'il avait déjà ressenti : Ecce sanus factus es : jam noli peccare, ne deterius tibi aliquid contingat (2). Souffrez donc, mes chers auditeurs, que je vous fasse aujourd'hui la même leçon ; et comme le concile de Trente , parmi les caractères de la vraie pénitence, par où nous obtenons le pardon de nos péchés, nous marque la fermeté et la persévérance du pécheur pénitent, permettez-moi de vous entretenir d'une matière que je n'ai point encore traitée jusques  à présent dans cette chaire , et qui demande tout mon zèle et toute votre attention : c'est la rechute dans le péché. Je veux vous faire voir ce qu'on doit

 

1 Matth., IX, 5. —5 Jean., V, 14.

 

penser de ces conversions suivies de rechutes ordinaires et habituelles. Le sujet est terrible ; et s'il est vrai, dans le sentiment de saint Augustin , qu'on ne doit pas se réjouir, ni même entendre parler des grâces que Dieu nous fait, sans avoir au même temps le cœur rempli d'une crainte salutaire, selon le mot du Prophète : Exultate ei cum tremore (1) ; à combien plus forte raison devons-nous trembler au récit des tristes malheurs que j'ai à vous représenter dans ce discours, après que nous aurons imploré l'assistance du Saint-Esprit par l'intercession de Marie : Ave, Maria.

Les théologiens distinguent divers états de péché et de grâce ; mais de tous ces états, il n'y en a que deux plus communs en cette vie présente où nous sommes : l'un est de se relever de la chute du péché par la grâce de la pénitence , et l'autre de déchoir de la grâce de la pénitence par la rechute dans le péché. Or le premier état, dit saint Grégoire , fait sur la terre notre véritable bonheur, et nous donne quelque communication de tous les autres états de sainteté ; car la pénitence nous remet absolument dans l'état de la grâce , pour pouvoir ne plus pécher ; elle nous rétablit dans les plus beaux droits de la grâce, comme si nous n'avions jamais péché ; elle nous tient lieu, tant qu'elle subsiste en nous, d'une grâce confirmée , pour nous préserver du péché ; et elle nous fait mériter l'état de la gloire, où nous ne pourrons plus pécher. De là il s'ensuit, par un raisonnement tout contraire, que le second état, qui est celui de la rechute dans le péché, doit être pour l'homme le plus grand de tous les malheurs, puisqu'il détruit tous ces avantages de la pénitence, que nous pouvons encore réduire surtout à deux : savoir, par rapport au passé, d'effacer les péchés commis ; et, par rapport à l'avenir, de nous fortifier pour ne les plus commettre. Car remarquez bien, s'il vous plaît, deux propositions que j'avance. Je dis que la rechute ordinaire et habituelle dans le péché rend la pénitence passée infiniment suspecte ; et j'ajoute que la même rechute dans le péché rend la pénitence à venir non-seulement difficile, mais, selon le langage de l'Ecriture et des Pères de l'Eglise, moralement impossible. Que fait donc le pécheur de rechute? deux choses. Il nous donne lieu de douter si sa pénitence passée a été sincère et véritable : c'est la première partie ; et il se jette dans une extrême difficulté, pour ne pas dire

 

1 Ps., II, 11.

 

360

 

dans une espèce d'impossibilité, de retourner jamais à Dieu par une nouvelle et solide pénitence : c'est la seconde partie. De sorte qu'il ne peut raisonnablement ni s'assurer du passé, ni compter sur l'avenir. En deux mots, rechute dans le péché, marque d'une fausse pénitence à l'égard du passé, obstacle à la vraie pénitence dans l'avenir, voilà de quoi je vais vous convaincre , si vous voulez m'écouter avec attention.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Quelque rigoureuse que nous paraisse l'exactitude de la loi, quand il s'agit du renoncement au péché , que demande la véritable pénitence, je n'ai garde, Chrétiens, de condamner absolument ni universellement la pénitence, quoique douteuse, d'un pécheur qui se rend à soi-même le témoignage de la faire ou de l'avoir faite de bonne foi. C'est à Dieu seul qu'il appartient d'en porter un semblable jugement. Comme il n'est pas, dit saint Augustin, au pouvoir des ministres de Jésus-Christ de donner aux pécheurs qu'ils réconcilient, et dont ils délient les consciences, une entière sûreté (car c'est ainsi que parlait ce saint docteur) : Pœnitentiam damus, securitatem dare non possumus ; aussi ne peuvent-ils ôter, aux pécheurs réconciliés et absous par leur ministère, la confiance qu'ils ont, bien ou mal fondée, que leurs péchés leur sont remis, et que leur pénitence a trouvé grâce devant Dieu. Car le prêtre, quoique lieutenant de Dieu et dispensateur du sacrement de la pénitence, ne peut répondre avec certitude ni de sa validité, ni de sa nullité. Il n'y a que Dieu qui sache infailliblement si notre pénitence a eu la juste mesure qu'elle a dû avoir pour être légitime et recevable ; comme, après Dieu, il n'y a que nous-mêmes qui puissions être sûrs qu'elle ne l'a pas eue. Et la raison de cette différence est que, pour savoir si la pénitence a été parfaite et solide, il en faut juger par les deux principes dont elle dépend, qui sont la grâce et la volonté de l'homme : or l'un et l'autre ensemble n'est connu que de Dieu ; au lieu que pour connaître si elle a été vaine et défectueuse, il suffit que le pécheur soit convaincu de sa propre indisposition et de son infidélité ; or il en peut être convaincu aussi bien que Dieu : mais hors Dieu et le pécheur même, nul n'a droit de conclure positivement que la pénitence faite par un homme du monde, quelque indigne qu'elle ait été en apparence, le soit en effet : pourquoi? parce que nul n'en peut avoir des preuves évidentes et incontestables. Il est vrai, Chrétiens; mais au défaut de l'évidence, du moins on peut en avoir des conjectures ; et ces conjectures peuvent être si fortes, qu'elles donnent lieu à une raisonnable présomption;et cette présomption peut aller jusqu'à autoriser le jugement que le prêtre, ministre de Dieu, porte de la pénitence de certains pécheurs, la tenant pour suspecte, et la rejetant comme telle, quand il est obligé par son ministère d'en faire le discernement. Car c'est ce qui se pratique tous les jours, selon l'esprit et selon les lois de la discipline de l'Eglise. Or, entre toutes les conjectures qui peuvent et qui doivent faire douter de la pénitence d'un pécheur, celle qui paraît la moins équivoque, et à laquelle je m'arrête comme étant la plus convaincante et en même temps la plus sensible, c'est la prompte rechute dans le péché, dont la pénitence de certains hommes du siècle a coutume d'être suivie ; et voici, mes chers auditeurs, la démonstration que je vous en donne, raisonnant ainsi avec vous-mêmes.

Vous vous êtes acquitté, dites-vous (je parle à un pécheur de ce caractère dont le concevait l'apôtre saint Jacques , lequel ayant le cœur partagé entre Dieu et le monde, devient inconstant dans ses voies, c'est-à-dire inconstant dans sa pénitence et sa conversion : Vir duplex animo, inconstans est in viis suis (1); vous vous êtes acquitté du devoir de votre religion, et le ministre du Seigneur, comptant sur vos dispositions intérieures, vous a dit, comme Jésus-Christ dit à Madeleine : Vos péchés vous sont pardonnes; allez en paix. Voilà sur quoi vous avez fondé le prétendu repos de votre conscience ; et à Dieu ne plaise qu'indiscrètement aujourd'hui j'entreprenne de le troubler ! Mais prenez garde, s'il vous plaît, a ce qui en doit être l'épreuve, et par où vous devez vous en assurer. Si votre pénitence est telle que vous la supposez, deux choses se sont passées entre Dieu et vous, je dis deux choses inséparables du sacrement de pénitence : l'une de votre part, et c'est que vous êtes engagé à Dieu par une protestation sincère de ne plus retomber dans le péché qui vous avait attiré sa disgrâce; l'autre de la part de Dieu, qui s'est engagé à vous réciproquement, et vous a promis des secours de grâce pour vous fortifier contre la rechute dans le péché. Ainsi le concile de Trente le déclare-t-il : car c'est une vérité même de la foi, que tout sacrement qui opère sans obstacle, outre la vertu qu'il a de

 

1 Jac, I, 8.

 

361

 

sanctifier les âmes, leur communique encore des grâces spéciales pour la fin qui lui est propre. Or, le sacrement de la pénitence n'a point de fin qui lui soit plus propre que celle de préserver l'homme de la rechute dans le péché. Il est donc une question de savoir si lorsqu'un chrétien, sans faire paraître aucun amendement de vie, retombe aisément, promptement et communément dans les mêmes désordres, on peut croire avec raison qu'il ait reçu ces grâces particulières, et qu'il ait eu cette volonté sincère et efficace de renoncer à son péché. Or, je prétends que ni l'un ni l'autre n'est vraisemblable ; et parce que de ces deux choses l'une est néanmoins la partie la plus essentielle du sacrement de pénitence, savoir, le propos de persévérer et de ne plus retomber ; et que l'autre en est le fruit principal, savoir, l'augmentation de certains secours, auxquels l'âme justifiée acquiert même une espèce de droit ; n'en voyant aucune marque dans un pécheur sujet à ces promptes rechutes, j'ai lieu d'entrer en doute que sa pénitence ait eu les qualités requises pour le justifier devant Dieu, ou plutôt j'ai lieu de craindre que sa pénitence n'ait été fausse et réprouvée de Dieu. Voilà le fondement et la preuve de ma première proposition. Permettez-moi de vous la développer; et pour cela, sans parler de ces grâces auxiliaires que Dieu, en conséquence du sacrement, ne manquerait pas d'accorder à l'homme, si l'homme véritablement converti se mettait en état de les recevoir (la conviction du point que j'établis en serait encore plus forte ; mais peut-être serait-elle pour vous moins sensible et moins capable de vous toucher), arrêtons-nous à la seule volonté du pécheur, que tous les théologiens conviennent être la substance même et le fond de la pénitence. En vérité, mes chers auditeurs, est-il croyable qu'un homme ait eu une volonté déterminée et absolue de renoncer à son péché; et qu'immédiatement après, lâchement et sans résistance, le péché se représentant à lui, il y succombe tout de nouveau ? Ah ! disait saint Bernard, il n'est rien de plus fort que notre volonté, dès qu'elle est bien d'accord avec elle-même ; tout lui cède, et tout lui obéit. Il n'y a point de difficulté qu'elle n'aplanisse, ni d'opposition qu'elle ne surmonte; et ce qui paraîtrait d'ailleurs impossible lui devient aisé quand elle l'entreprend de bonne foi. Or, cela est vrai particulièrement au regard du péché ; car, quelque corruption qu'il y ait en nous, après tout, nous ne péchons que parce que nous le voulons ; et si nous ne le voulons pas, il est constant et indubitable que nous ne péchons pas ; de sorte que notre volonté conserve encore à cet égard une espèce de souveraineté sur elle-même, et participe, en quelque façon, à la toute-puissance de Dieu , puisqu'en matière de péché elle ne fait absolument que ce qu'elle veut faire, et qu'elle n'a qu'à ne le vouloir pas faire pour pouvoir ne le pas faire. J'ai donc tout sujet de penser qu'en effet elle n'a pas voulu résister au péché et y renoncer, quand je vois dans la suite qu'elle n'y résiste nullement et n'y renonce point du tout. C'est le raisonnement de saint Bernard, bien éloigné du pélagianisme , puisqu'il suppose toujours la grâce de Jésus-Christ ; et très-facile à concilier avec ce que saint Paul disait de lui-même, quand il se plaignait de faire souvent le mal qu'il ne voulait pas : Sed quod nolo malum, hoc ago (1); parce que saint Paul entendait p9rlà les mouvements involontaires du cœur, au lieu que saint Bernard parle des consentements libres donnés au péché.

De même, remarque Tertullien, où il s'agit d'exécuter des choses promises à Dieu en se convertissant à lui, c'est un abus de dire : Je le voulais, mais je ne l'ai pas fait : Vaniloquium est dicere: Volui, nec tamen feci; car, ou vous ne l'avez voulu qu'à demi, répond ce grand homme, et cette demi-volonté ne suffisait pas pour la pénitence ; ou vous l'avez voulu pleinement et efficacement, et alors il était naturel que vous en vinssiez à l'exécution : Alioquin mit perficere debebas quod voluisti, aut non velle quod non perfecisti. En effet, mon Frère, ajoutait-il, s'il était vrai que vous l'eussiez bien voulu, pourquoi cette volonté si agissante en toute autre chose n'aurait-elle rien produit dans un sujet si important? pourquoi, en vue d'une rechute aussi mortelle que l'était celle que vous aviez à craindre, n'auriez-vous fait aucun effort, ni remporté aucune victoire ? pourquoi n'auriez-vous pas fui le danger? pourquoi ne vous seriez-vous pas interdit cette société , cet entretien, ces divertissements que vous saviez devoir être pour vous des occasions prochaines? Vous n'avez rien fait de tout cela, et, dès le premier piège que le démon vous a tendu, après quelques légers remords que votre conscience a étouffés, vous .avez suivi l'attrait et le charme de la tentation ; et vous voulez que je croie que vous avez eu ce propos sincère et véritable de la pénitence ? Mais moi j'aime mieux, pour l'honneur de la pénitence et pour l'intérêt de Dieu et de sa grâce, présumer que

 

1 Rom., VII, 15.

 

362

 

vous vous trompez, et que vous ne vous êtes pas bien connu vous-même. C'est la conclusion de Tertullien, qui me paraît très-juste et très-solide.

A cela, Chrétiens, on peut opposer trois choses auxquelles il est important que je réponde, parce qu'en vous détrompant d'autant d'erreurs, elles serviront à vous confirmer dans la vérité que je vous prêche. Car on me dira : Ne peut-il pas arriver que sans avoir menti au Saint-Esprit, j'aie été inconstant et fragile ; et que ma volonté ayant eu, dans le moment qu'elle a suivi l'impression de la grâce, tout ce qui était nécessaire pour une parfaite conversion, par un retour malheureux elle se soit ensuite pervertie jusqu'à commettre le péché qu'elle venait sincèrement de détester? Oui, j'avoue avec saint Thomas que ce changement est possible, et qu'il peut arriver. Mais en même temps, je dis que, quand les rechutes dans le péché sont subites et fréquentes, il n'y a nulle vraisemblance que ce changement arrive en effet : pourquoi ? en voici la raison, qui est sans réplique : parce que dans tout le reste de votre conduite, quelque faible que vous vous supposiez, on ne voit point de ces légèretés ni de ces inconstances si surprenantes ; au contraire , lorsqu'en d'autres matières que celle-ci vous formez des résolutions, pour peu qu'il y entre de votre intérêt, vous les soutenez avec fermeté et vous les poursuivez avec ardeur. Si c'est une entreprise où votre honneur soit engagé et dont dépende votre fortune, vous ne savez ce que c'est que d'en désister, et l'on ne s'aperçoit point de cette pitoyable facilité à vous relâcher dans l'accomplissement de ce qui a une fois piqué votre ambition et votre convoitise. Or pourquoi voudriez-vous, que dans le seul point qui touche la pénitence, on vous crût léger et changeant, et que l'on vous fît ce tort à vous-même , de s'imaginer qu'ayant pour tous les autres intérêts du monde une conduite égale et uniforme, vous n'eussiez ces inégalités d'esprit que quand il s'agit d'être fidèle à Dieu? N'est-il pas bien plus court de dire que ce n'est point inégalité, et qu'il n'y a point eu de changement dans vous ; c'est-à-dire que votre volonté a toujours été la même , toujours inefficace pour le bien , toujours secrètement attachée au mal, et par conséquent toujours vaine et inutile pour la pénitence? Voilà le sentiment que j'en ai ; et si vous vous faites justice, il est difficile que ce ne soit pas le vôtre. Et ce qui me le persuade encore davantage, c'est que bien souvent vous retombez dans votre péché sans qu'aucun prétexte nouveau puisse au moins colorer votre rechute ; je veux dire, sans que les occasions aient été plus dangereuses et les tentations plus violentes. Or, il n'est pas naturel que la situation de la volonté change, tandis que l'état des choses ne change point ; surtout quand il s'agit d'une volonté sérieuse, prudente, éclairée, telle qu'aurait dû être la vôtre, si votre pénitence eût été du caractère que Dieu l'exige pour la rémission du péché et la justification du pécheur.

Autre difficulté. Nous sommes faibles ; et cette volonté, quoique sincère, de la vraie pénitence, est combattue dans nous par de puissants ennemis, qui sont nos passions. Je le sais, Chrétiens, et si vous voulez, je conviens mémo de toute la violence du combat; mais je sais aussi que l'un des artifices de notre amour-propre est de nous figurer ces ennemis Lien plus puissants qu'ils ne le sont, pour avoir droit de s'en laisser vaincre avec moins de honte ; ou plutôt je sais que l'un des effets de la corruption de notre volonté est d'être elle-même d'intelligence avec ces prétendus ennemis, parce que dans le fond nous ne les regardons pas comme ennemis, et que nous voulons bien en être convaincus; car voilà notre désordre, mes Frères, disait saint Jérôme. Bien loin de nous confondre de notre faiblesse, nous en tirons avantage contre Dieu même; c'est-à-dire que, bien loin de nous en humilier, nous la faisons servir de voile aux vaines et frivoles excuses que nous cherchons dans nos péchés; et ce qui est en nous lâcheté, malice, infidélité, nous l'imputons à une fausse et chimérique nécessité : Omnes vitiis nos tris favemus, et quod propria fecimus voluntate, hoc ad naturœ referimus necessitatem. Reproche que Tertullien se faisait encore à soi-même. Nous avons, disait-il, une chair terrestre et animale qui nous porte au péché; mais nous avons en récompense une âme toute spirituelle et toute céleste qui nous élève à Dieu. Pourquoi donc nous excuser toujours par ce qu'il y a dans nous de fragile sans considérer jamais les forces de la nature et de la grâce, de la raison et de la foi, de la conscience et de la religion, dont nous avons été pourvus? Cur ergo ad excusationem proniores, quoi in nobis infirma sunt, opponimus ; et quae  fortia sunt, non memoramus ? Mais je veux que ces passions dont nous avons à soutenir les attaques soient pour v nous d'aussi véritables et d'aussi formidable! ennemis que nous le pensons, ce que je sais de plus, c'est que si la promesse que nous avons

 

363

 

faite à Dieu de persévérer dans l'obéissance de si loi était sincère, elle a dû être plus forte que ces prétendus ennemis ; que sa plus essentielle propriété a été de les pouvoir surmonter; et que si d'elle-même elle n'a pas eu cette vertu, dis là ce n'était plus une vraie pénitence que la nôtre. Or, comment me persuadera-t-on qu'elle a eu cette vertu, tandis qu'il ne m'en paraît rien, et que je vois un pécheur, après sa pénitence, aussi esclave de sa passion, aussi déréglé dans sa vie, aussi licencieux dans ses paroles, aussi emporté dans ses actions, qu'il l'était auparavant? C'est ce que j'aurai toujours peine à comprendre ; car, pour vous en expliquer tout le mystère, ce que j'appelle le propos de la pénitence n'est point de ces simples désirs dont parle l'Ecriture, que l'âme conçoit, mais qu'elle n'a pas la force de mettre au jour : c'est une volonté surnaturelle, mais d'un ordre si supérieur à toutes celles dont l'homme est capable, qu'il n'y en a aucune avec laquelle elle puisse être mise en comparaison ; une volonté qui doit avoir Dieu pour objet, qui nous doit faire haïr le péché souverainement, et dont le moindre des motifs, dans les principes de la théologie, est la crainte de cette justice éternelle, si terrible pour les ennemis de Dieu. Voilà ses qualités, sans lesquelles la foi nous apprend que la pénitence est non-seulement imparfaite, mais absolument nulle. Or, peut-on juger que ce propos ait eu dans nous toutes ces qualités, lorsqu'au préjudice du pacte que nous avons fait avec Dieu en retournant à lui, et nous obligeant à demeurer ferme dans l'état de la grâce, nous venons tout à coup à l'abandonner, et que la vue de la créature nous fait oublier nos plus fortes résolutions et nos plus indispensables devoirs ?

Permettez-moi de juger de vous par vous-mêmes; et, pour vous faire toucher au doigt la plus décisive de toutes les vérités, voyons de quelle manière vous en usez tous les jours dans des sujets bien moindres que celui-ci, mais où l'on ne peut douter que vous ne vouliez efficacement les choses. Vous sortez d'une maladie, et vous craignez une rechute : que ne faites-vous point pour la prévenir? à quoi ne vous réduisez-vous point, de quoi ne vous abstinez-vous point? quelle obéissance ne rendez-vous point à un homme qui vous traite? quel assujettissement au régime qu'il lui plaît de vous prescrire? Cela passe l'exactitude, et va jusqu'à la superstition. Vous jeûnez, vous vous mortifiez, vous gardez le silence et la retraite , vous vous retranchez ce qu'il y a pour vous de plus agréable et de plus délicieux dans la vie ; les compagnies, les jeux, les spectacles, tout cela ne vous est plus rien : pourquoi? parce que votre santé, qu'il faut rétablir, -vous est plus chère que tout cela, et qu'à quelque prix que ce soit vous avez résolu de la conserver. De vous dire qu'il est indigne que vous en fassiez moins pour éviter la rechute dans un péché qui cause la mort à votre âme , c'est ce que l'on vous a dit cent fois ; mais je vous dis aujourd'hui quelque chose de plus : et quoi? admirable principe de religion! c'est que si le propos que vous avez fait d'éviter la rechute dans votre péché n'est encore plus efficace que ce désir naturel de conserver votre santé (je ne dis pas plus vif ni plus sensible, mais plus solide et plus fort), il est de la foi que votre pénitence n'est de nul prix; et pourquoi? Ah! mes chers auditeurs, appliquez-vous à ceci : parce qu'il est de la foi que le propos de la pénitence doit l'emporter sur tous les désirs et toutes les craintes dont la volonté peut être naturellement touchée ; et que s'il y avait dans notre cœur une seule crainte et un seul désir qui égalât ou qui surpassât ce propos, ce ne serait plus le propos de cette pénitence salutaire qui doit sauver le pécheur. Voilà une grande vérité; et la raison qu'en donnent les Pères est que la pénitence, qui nous justifie, doit nous faire haïr le péché aussi parfaitement que nous aimons Dieu et que nous le craignons. Or, pour satisfaire en rigueur à l'obligation de la loi, il ne suffit pas d'aimer Dieu et de le craindre; il faut l'aimer et le craindre souverainement, c'est-à-dire par-dessus toutes choses : de même, pour remplir la mesure de la contrition, il ne suffit pas de haïr et de détester le péché, il faut le haïr et le détester par-dessus tous les maux du monde; et si la haine que nous en concevons ne va jusque-là, en vain prétendons-nous que Dieu l'agrée et qu'il s'en tienne satisfait. Or, suivant cette règle, vous, Chrétiens, dont la pénitence n'est suivie que d'inconstance et d'infidélité, oseriez-vous dire que, dans ce moment où vous avez confessé à Dieu votre péché, vous étiez plus résolus de ne le plus commettre que vous ne le seriez aujourd'hui de vous préserver dune maladie qui vous conduirait à la mort? et si, par la connaissance que vous avez de vous-mêmes, vous n'oseriez vous rendre ce témoignage, puis-je espérer que votre pénitence ait trouvé grâce devant Dieu? Voilà ce qui me fait trembler pour vous. Vous dites que la passion qui vous domine, et qui vous entraîne dans le péché,

 

364

 

est une passion bien plus violente que toutes celles qui s'opposeraient au désir naturel de la conservation de votre vie. Abus, Chrétiens; nous nous flattons encore sur cela : car, pour vous montrer que ce n'est point là le principe de vos rechutes, c'est qu'avec des motifs purement humains, et par conséquent bien inférieurs à celui de la pénitence , il m'est évident que vous renonceriez à cette passion , et que vous en seriez les maîtres. En effet, supposez de tous les péchés celui dont l'habitude vous paraît plus insurmontable, et je vous fournirai cent raisons d'intérêt, d'honneur, pour lesquelles vous la surmonterez. Par exemple, mon cher auditeur, si vous étiez sûr que la rechute dans ce péché sera la ruine de votre fortune, qu'il vous en coûtera la disgrâce de votre prince, et qu'il n'y aura plus de ressource pour vous ni de retour ; si vous, femme mondaine, étiez convaincue que le désordre de votre conduite deviendra public, que vous en essuierez toute la honte , que celui auquel vous affectez tant de le cacher le connaîtra, et que vous serez exposée aux fureurs de sa jalousie et aux emportements de sa vengeance, quelque fragile que vous soyez, il n'en faudrait pas davantage pour vous tenir dans le devoir : ce motif suffirait donc pour arrêter le cours de votre passion ; et vous dites que , malgré le motif de la pénitence , le torrent de cette passion vous emporte. Que dois-je inférer de là? Dois-je conclure que le motif de la pénitence est de soi moins puissant que celui d'un respect humain ? non ; car ce serait une erreur injurieuse à Dieu. Ce que je dois conclure, c'est que vraisemblablement vous n'avez point senti la vertu du motif de la pénitence, et qu'il n'a point agi sur votre cœur ; je veux dire que vous n'avez point détesté le péché dans la vue d'un Dieu, ou souverainement aimable, ou souverainement redoutable ; et, par une suite nécessaire, que votre pénitence a été du nombre de celles que Dieu rejette. Voilà ce que je conclus ; et cette conséquence est conforme aux maximes les plus incontestables de la religion.

Troisième et dernière objection que j'ai à résoudre. Ces pécheurs sujets aux rechutes ne laissent pas de s'humilier devant Dieu , d'être touchés du sentiment de leur misère, d'en former des regrets et des repentirs, de gémir et de verser des larmes. Or qu'est-ce que tout cela, sinon autant d'actes de pénitence? Faux principe, répond le chancelier Gerson, traitant cette matière : tout cela n'est point nécessairement ce que nous appelons actes de pénitence. Et quoi donc, des grâces de pénitence, si vous voulez, et des désirs ; mais rarement des fruits et des actes. Car il faut bien distinguer ici quatre choses : les grâces de la pénitence , les désirs de la pénitence, les actes de la pénitence, et les fruits de la pénitence. Les grâces de la pénitence sont les dispositions saintes par où Dieu nous sollicite de renoncer au péché ; les désirs de la pénitence sont comme les premiers essais que fait notre cœur pour se dégager du péché ; les actes de la pénitence sont le renoncement effectif et actuel au péché ; et les fruits de la pénitence sont les satisfactions que nous offrons à Dieu pour le péché. Un pécheur de rechute peut bien avoir eu les grâces et les désirs de la pénitence; mais il n'est guère croyable qu'il ait eu les fruits et les actes de la pénitence, tandis qu'il persévère dans ses dérèglements. Je m'explique. Il a eu les grâces de la pénitence, quand il a versé des larmes de douleur; car cette douleur était une grâce intérieure que Dieu produisait en lui, mais qui pour cela ne détruisait pas encore dans son âme la volonté du péché : pourquoi? parce que, comme dit saint Grégoire, pape, souvent  les pécheurs sont inutilement touchés de l'amour du bien, de même que les justes sont innocemment émus des tentations du mal : Quia sic plerumque mali inutiliter compunguntur ad justitiam, sicut innocenter justi tentantur ad culpam. Et comme la simple tentation ne rend pas la volonté du juste criminelle, aussi la seule grâce de la pénitence ne sanctifie-t-elle pas la volonté du pécheur. Mais que fait le pécheur? Voici ce qui le séduit. Il confond les grâces de la pénitence avec les effets de la pénitence, et il s'attribue ce que Dieu fait pour lui comme si c'était lui-même qui le fît pour Dieu. Aveuglement le plus pernicieux, dit saint Bernard, lorsque, par une espèce d'usurpation, ce qui est de Dieu dans nous,  nous nous l'imputons à nous-mêmes, prenant ses lumières pour nos pensées, et ses opérations   divines pour  nos coopérations : Quando quod Dei est in nobis, damus nobis,  putantes illius visitationem esse nostram cogitationem. Or, c'est ce que font ordinairement les pécheurs esclaves de la concupiscence et du démon ; et quelle preuve en ai-je? point d'autre que celle que j'ai apportée de saint Grégoire : car si je vois, dit ce grand pape, un chrétien agité de tentations fâcheuses ne commettre jamais le mal auquel il se sent porté, je puis présumer en sa faveur qu'il n'en a eu que les premiers sentiments, sans y donner

 

365

 

nul consentement ; et, par la même règle, quand je vois un pécheur, quoiqu'on apparence pénétré de componction, n'en être pas moins fragile dans ses rechutes, je me crois bien autorisé à dire qu'il n'a eu de la pénitence que les simples affections, et non les résolutions : ou s'il les a eues, ce sont, Chrétiens, de ces résolutions imparfaites, de ces bons désirs dont l'enfer est plein, de ces demi-volontés telles que les ont les démons mêmes, qui, tout démons qu'ils sont, abhorrent le péché comme la source de leur malheur, quoiqu'ils ne le quittent jamais par un effet de leur endurcissement; ce sont de ces repentirs semblables à ceux des Israélites, qui, du culte de Dieu passant aussi légèrement à l'idolâtrie que de l'idolâtrie au culte de Dieu, ne faisaient, dit l'Ecriture, qu'aigrir davantage le Seigneur et que l'irriter; ce sont de ces protestations d'Antiochus, dont la justice divine n'est point fléchie, et qui ne pénètrent pas jusqu'au trône de la miséricorde ; ce sont de ces larmes d'Esaü, qui, quoique accompagnées de cris et de rugissements, ne sont point bénies du ciel. J'accorderai, dis-je, tout cela à un pécheur dont les réduites sont habituelles, parce que tout cela ne répugne pointa l'idée que je me forme d'une pénitence suspecte ; au contraire, si elle est suspecte, c'est parce qu'elle fait l'alliage de tout cela, joignant les apparences de la contrition du péché avec les rechutes dans le péché, et l'infidélité d'action avec la confession de bouche : mais que je fasse jamais aucun fonds solide sur la pénitence d'un chrétien tandis qu'il est dans la disposition de retomber de la manière que je viens de vous le faire entendre, c'est ce que je ne puis sans contrevenir à toutes les règles de la religion.

Ainsi Jésus-Christ même en jugeait-il ; et son exemple, quand il s'agit du discernement des cœurs, comme de tout le reste, peut bien être notre modèle. En effet, disait saint Jean au chapitre second de son Evangile, plusieurs d'entre les Juifs croyaient en Jésus-Christ, voyant les miracles qu'il faisait; mais Jésus-Christ ne se fiait pas à eux, parce qu'il les connaissait tous : Multi crediderunt in eum; ipse autem non credebat semetipsum eis, eo quod ipse nosset omnes (1). Ces paroles sont dignes de remarque. Ils croyaient en lui, surpris du changement de l'eau en vin qu'il avait fait aux noces de Cana, et dont ils avaient été témoins : mais il ne se fiait pas à eux, parce qu'il ne découvrait en eux qu'une foi superficielle, excitée

 

1 Joan., II, 24.

 

par la vue de ce prodige, qui devait bientôt être effacé de leur esprit par les malignes impressions de leur incrédulité : Ipse autem non credebat semetipsum eis. Voilà , Chrétiens , comment Dieu se comporte à notre égard, quand nous nous approchons du tribunal de la pénitence pour reprendre immédiatement après notre même vie. Nous lui faisons dans ce moment-là, ou plutôt nous croyons lui faire une ouverture entière de nos âmes. Nous nous assurons de lui, et nous lui répondons de nous, et par ces ferveurs apparentes, nous imposons même souvent à ses ministres. Car il est aisé de les tromper, dit Tertullien : et si la grâce de la rémission du péché était aussi absolument en leur pouvoir que les paroles qui la signifient, elle serait tous les jours exposée aux artifices et aux surprises de la fausse pénitence. Mais que fait Dieu alors ? nous voyant si mal d'accord avec nous-mêmes, parce que nous voulons tout à la fois et ne voulons pas renoncer à notre péché ; connaissant, par les lumières de son adorable prescience, qu'après un prétendu retour vers lui, nous allons dans peu, par des liens plus forts et plus étroits, nous attacher tout de nouveau au monde, il pourvoit lui-même à son trésor, qui est la grâce de son sacrement, et ne souffre pas que des sujets indignes comme nous, par une pénitence subreptice, aient l'avantage de la recevoir : Thesauro suo providet, nec sinit accipere indignos.

Ah ! Chrétiens, que cette première vérité est terrible pour un homme du siècle emporté par le libertinage de sa passion, mais qui néanmoins a encore de la religion, de dire que la pénitence, qui est pour les autres, après le péché commis, un sujet de confiance, lui devienne, en conséquence de ses rechutes, un sujet de crainte et d'effroi ! Ce qui devrait être la source de son repos est 1a cause de ses plus mortelles inquiétudes ; et non-seulement il doit être troublé du péché passé, mais même de la contrition et de la pénitence passée. Voilà, mes chers auditeurs, ce que le Saint-Esprit nous veut faire comprendre, quand il nous avertit dans l'Ecclésiastique de trembler même pour les péchés pardonnes : De propitiato peccato noli esse sine metu (1). Nous n'entendions pas le mystère de cette parole, et elle nous paraissait renfermer une espèce de contradiction : car si le péché est pardonné, disions-nous, pourquoi en avoir encore de la crainte ; et s'il est encore un sujet de crainte, pourquoi le réputer comme pardonné? Mais je conçois maintenant,

 

1 Eccli., V, 5.

 

366

 

ô mon Dieu, ce que vous avez voulu par là nous marquer. C'est pour m'apprendre que toute sorte de pénitence n'est pas une caution sûre auprès de vous, et que très-souvent ce que je compte pour pardonné est ce qui me rend plus que jamais enfant de colère ; que tout péché me peut perdre, mais qu'il y a une pénitence plus capable de me damner que mon péché même, parce  qu'elle l'entretient sous ombre de le guérir. Or il m'est évident que, s'il y en a quelqu'une de ce caractère, c'est celle qui ne paraît suivie d'aucune réformation de mœurs, et qui ne me garantit point de mes malheureuses   rechutes.   Mais     mettrai-je donc, Seigneur, ma confiance et ma sûreté, si vous me défendez de la mettre dans ma pénitence? m'avez-vous enseigné une autre voie que celle-là : et vos Ecritures, qui me tiennent lieu d'oracles, m'ont-elles jamais parlé d'un autre asile ? Encore une fois, Chrétiens, telle est la déplorable destinée du   pécheur abandonné à l'instabilité de ses désirs, et dont la vie n'est qu'une alternative continuelle de pénitence et de rechutes dans le péché. Je sais que cette morale peut causer du trouble à quelques consciences ; mais plût à Dieu que je fusse aujourd'hui assez heureux pour produira un effet si salutaire ! car je parle à ces consciences criminelles que de  fréquentes  rechutes  ont confirmées dans l'iniquité. Or, l'unique ressource pour elles est qu'elles soient troublées par la parole de Dieu. Ce qui les perd, c'est cette paix trompeuse que le démon leur fait quelquefois trouver dans le péché ; et il n'y a que le trouble qui les puisse faire sortir de la léthargie et de l'assoupissement funeste où elles sont. Ainsi, bien loin de craindre de les troubler, mon unique crainte serait de ne les troubler pas, ou de ne les troubler qu'à demi. Et comme autrefois saint Paul se réjouissait d'avoir attristé les Corinthiens, parce  que leur tristesse les avait portés à la pénitence : Gaudeo, non quia contristati estis, sed quia contristati estis ad pœnitentiam (1); aussi bénirais-je Dieu d'avoir troublé tant de pécheurs, parce qu'en les troublant, au lieu de l'ombre et du fantôme de la pénitence, je les aurais réduits à en avoir la pratique solide. Mais cela les pourrait désespérer. Eh bien ! quel mal de les désespérer pour un temps, afin de rétablir en eux l'espérance pour jamais? Quel danger de les désespérer du côté d'eux-mêmes , pour leur apprendre à bien espérer du côté de Dieu? C'est après saint Grégoire que je parle, et c'est dans

 

1 2 Cor., VII, 9.

 

le même sens que ce Père. Il savait mieux que nous le juste tempérament de l'espérance et de la crainte chrétienne. Or une de ses maximes était celle-ci, de désespérer quelquefois ceux qui, par la continuation de leurs rechutes, s'endurcissaient dans le crime : Plerumque sine desperatione desperandi sunt, et sine desperatione dedignandi. Non, non, mon cher auditeur, n'appréhendez point de tomber dans un semblable désespoir: il ne vous peut être, selon ma pensée, qu'avantageux et utile. Désespérez de tant de fausses pénitences que vous avez faites, et espérez dans la véritable pénitence à laquelle je vous exhorte. Depuis que vous êtes dans l'habitude de ce péché, peut-être y avez-vous ajouté cent confessions indignes et sacrilèges : désespérez de tout cela;car tout cela, bien loin d'appuyer votre espérance auprès de Dieu, est ce qui l'anéantit et qui la ruine. Mais que faut-il donc faire? Ali! Chrétiens, est-il rien de plus raisonnable que ce qu'on exige de vous? On veut que vous agissiez avec Dieu de bonne foi, comme vous voudriez qu'on agît avec vous-mêmes. Si l'on vous avait manqué plus d'une fois de parole, vous vous feriez une sagesse de rejeter toutes les assurances qu'on vous donnerait d'un nouvel engagement : pourquoi voulez-vous que Dieu ait plus d'égard aux vôtres? Faut-il que vous soyez moins religieux envers lui que vous ne l'êtes envers les hommes ? Vous vous piquez d'être fidèles en traitant avec les hommes, et vous auriez honte de ne l'être pas : n'y aura-t-il que Dieu avec qui vous ne garderez nulle règle de fidélité? Faisons donc, mes chers auditeurs, faisons enfin saintement et utilement ce que peut-être nous avons fait tant de fois sans fruit et à notre condamnation. Imitons ces saints pénitents de l'Eglise qui, toute leur vie, se sont tenus inviolablement attachés à Dieu, après être rentrés dans sa grâce. Demeurons fermes dans nos résolutions, et, par une persévérance inébranlable, mettons le sceau à notre pénitence. Autrement, nous avons tout sujet de craindre, non-seulement pour les pénitences passées, mais pour les pénitences à venir. Car, comme la rechute dans le péché rend la pénitence passée très-suspecte, elle rend la pénitence à venir très-difficile et presque impossible. C'est la seconde partie.

 

DEUXIÈME  PARTIE.

 

Quand je considère les ternies dont s'est servie l'Ecriture en parlant de la pénitence qui suit la rechute dans le péché, je ne m'étonne

 

367

 

pas, Chrétiens, qu'il y ait eu autrefois des hérétiques qui, sur ce point, se soient portés à une rigueur extrême, et n'aient gardé nulle mesure  dans   la   sévérité   de   leur   morale. Peut-être n'y eut-il jamais d'erreur mieux fondée en apparence (je  dis  en apparence) sur  l'autorité de  la   parole  de   Dieu, que celle des novatiens, qui, après le baptême, excluaient absolument et généralement tous 1rs pécheurs de la grâce de la pénitence. Et quand Tertullien, raisonnant selon ses préjuges , n'accordait cette grâce de la pénitence que pour une fois seulement et sans espérance de retour, il prétendait parler si conformément aux divins oracles, qu'il ne comprenait  pas qu'il y eût des fidèles dans un sentiment contraire. En effet, que peut-on dire, ce semble, de plus exprès que ce qu'a dit saint Paul dans l’Epitre aux Hébreux? Il est impossible, mes Frères (ce sont ses paroles, que vous avez cent fois entendues,  mais dont j'entreprends aujourd'hui de vous   donner une   intelligence exacte), il est impossible, disait ce grand apôtre, que ceux qui ont été éclairés des lumières du salut, qui ont goûté le don de Dieu, qui ont n la participation du Saint-Esprit, qui se sont nourris des vérités célestes et de l'espérance des grandeurs du siècle futur, et qui sont après cela tombés, se renouvellent par la pénitence, parce que, autant qu'il est en eux, ils crucifient de nouveau le Fils de Dieu et l'exposent à l'ignominie. C'est ainsi, dis-je que s'expliquait saint Paul : Impossibile est eos qui semel sunt illuminati et prolapsi sunt, renovari ad pœnitentiam ; rursum crucifigentes Filium Dei, et ostentui habentes (1). En fallait-il davantage pour servir de prétexte  à  ces hérétiques  dans le dessein qu'ils avaient d'abolir l'exercice et le ministère de la pénitence? L'Eglise les a condamnés, et nous les condamnons avec elle. Saint Jérôme et saint Augustin ont interprété le passage de l'impossibilité de revenir jamais à la grâce baptismale quand on en est une fois déchu, parce que le baptême, que l’on nommait alors la première pénitence, est un sacrement qui ne se peut réitérer ; et cette explication, que j'estime la plus littérale, corrige, si j'use parler ainsi, toute la dureté de l'expression de  l'Apôtre.   Saint Thomas et Hugues de Saint-Victor l'ont pris plus simplement et l'ont entendu de la pénitence ordinaire, que nous appelons le sacrement de la réconciliation ; tâchant d'ailleurs d'accorder la possibilité de la conversion pour les pécheurs même

 

1 Hebr., VI, 6.

 

relaps avec cette parole redoutable : Impossibile est renovari ad pœnitentiam.

Quoi qu'il en soit, Chrétiens, notre grande règle est de nous contenir sur cela dans les bornes que l'Eglise s'est prescrites, en réprouvant le pernicieux dogme de Novatus. Or, par la censure qu'elle en a faite, nous savons et il est de la foi qu'après la rechute dans le péché Dieu veut encore la vie du pécheur, et non pas sa mort ; qu'il l'invite encore à la pénitence, ou plutôt qu'il la lui commande et l'y oblige ; et par conséquent que, malgré toutes les rechutes, la pénitence est encore possible, et la grâce encore prête pour l'accomplir. Voilà ce que l'Eglise a décidé ; mais elle en est demeurée là, ayant laissé du reste aux paroles de saint Paul toute l'étendue et toute la force qu'elles peuvent avoir. Et parce que ce terme d'impossible , dans le langage commun des hommes, convient même aux choses qui se peuvent absolument, mais dont l'exécution est difficile et accompagnée de grands obstacles, de là vient qu'elle a toujours autorisé la pensée des Pères, qui, surtout eu certains pécheurs sujets à des rechutes plus criminelles, ainsi que je vous ferai voir, reconnaissent une espèce d'impossibilité morale, c'est-à-dire une difficulté extrême de renoncer à leur péché et de se convertir à Dieu. Si nous raisonnions en chrétiens, cette vérité toute seule ne devrait-elle pas nous suffire pour marcher avec crainte et tremblement dans les voies du salut éternel ?

Mais attachons-nous à la bien pénétrer, et, pour en tirer tout le fruit qu'elle est capable de produire, que chacun de nous s'en fasse l'application particulière. Vous me demandez pourquoi la rechute dans le péché nous rend la pénitence si difficile ; et moi je vous réponds, avec saint Bernard, que c'est parce quelle éloigne Dieu de nous, parce qu'elle fortifie l'inclination que nous avons au mal, parce qu'elle affaiblit en nous toute la vertu de la grâce, et parce qu'elle a de sa nature une essentielle opposition a celle qui nous réconcilie avec Dieu. Quatre articles dont chacun séparément peut nous tenir lieu de démonstration. Oui, mes chers auditeurs, le premier malheur que nous attire la rechute, c'est d'éloigner Dieu de nous, et d'épuiser en quelque sorte sa miséricorde, qui, tout infinie qu'elle est en elle-même, ne laisse pas d'être bornée par rapport à nous, et à la distribution qu'elle l'ait de ces grâces spéciales et de ces secours extraordinaires dont notre conversion dépend. Super tribus sceleribus Damasci, et super quatuor non

 

368

 

convertam eum (1). Pour les trois premiers crimes de Damas, disait Dieu par un de ses prophètes, je les ai soufferts, et j'ai bien voulu les oublier; mais pour le quatrième je laisserai agir ma justice et ma colère : comment cela ? en m'éloignant de ces impies qui m'ont irrité par leurs infidélités. Or, du moment, Chrétiens, que Dieu s'éloigne de nous, il ne faut plus s'étonner si la pénitence devient difficile , et si cette difficulté croît à proportion de cet éloignement : pourquoi? parce qu'il n'y a que Dieu, remplissant notre cœur de sa présence, et y répandant fonction de son Esprit, qui puisse nous faciliter la pénitence et nous la faire aimer. En pouvons-nous voir une plus belle figure que dans cet homme si fameux de l'Ancien Testament, l'invincible Samson ? Une passion l'avait aveuglé , mais l'aveuglement où il était tombé n'était pas allé d'abord jusqu'à lui ôter les forces dont Dieu l'avait singulièrement et miraculeusement pourvu. L'étrangère à qui il s'était attaché, par une perfidie insigne, l'avait déjà lié plusieurs fois pour le livrer aux Philistins, ses plus déclarés ennemis ; mais il avait toujours trouvé moyen de rompre ses liens et de se mettre en liberté. De là il se flattait que, quoi qu'elle fît dans la suite, il saurait toujours bien se dégager ; et il se disait à lui-même : Egrediar sicut ante (1). Enfin cette femme artificieuse emploie si adroitement ses ruses , qu'elle le séduit , qu'elle le dompte, qu'elle lui coupe cette chevelure fatale où, par un secret mystère , sa vertu était renfermée. La nouvelle en est bientôt portée aux Philistins. Ils le surprennent, ils se jettent en foule sur lui : il veut se relever comme autrefois ; mais il ne savait pas, ajoute le texte sacré, que Dieu s'était retiré de lui : Nesciens quod recessisset ab eo Dominus (2). Voilà , mon cher auditeur, le tableau de votre âme dans l'état malheureux où je la conçois, qui est celui de la rechute dans le péché. Vous dites, en vous réveillant quelquefois du profond sommeil où vous êtes endormi, et faisant sur votre misère quelque réflexion : Je sortirai de cet état comme j'en suis déjà sorti : Egrediar sicut ante. Je briserai mes fers, je ferai un effort sur moi-même, et je me délivrerai de cette passion qui me tient captif : Egrediar et excutiam. Mais vous ne considérez pas que Dieu s'éloigne ; qu'à mesure qu'il vous quitte, vous êtes privé de son secours : que la pénitence vous devient dès là un fardeau pesant et un joug insupportable ; et qu'au

 

1 Amos., 1,3. — 2 Judic, XVI, 20.

 

lieu que vous y trouviez auparavant des consolations, vous ne l'envisagez plus qu'avec horreur, parce que vos fréquentes rechutes vous ont séparé de Dieu, et ont mis entre Dieu et vous comme un chaos presque insurmontable : Nesciens quod recessisset ab eo Dominus Combien de fois, Chrétiens, avez-vous éprouvé ce que je dis!

Cependant la volonté se pervertit toujours, et la même rechute qui l'affaiblit pour le bien lui donne de nouvelles forces pour le mal. Vous en savez le progrès, et en vain m'arrêterais-je à vous le décrire, puisque c'est par vous et par les tristes épreuves que vous en faites que j'en suis instruit. Après le premier péché commence l'habitude ; l'habitude venant à se former, elle jette peu à peu dans l'aveuglement et dans l'endurcissement. De là le vice s'enracine, et passe comme dans une seconde nature. Cette seconde nature est ce que saint Augustin appelle nécessité. De cette nécessité suit le désespoir, et le désespoir cause l'impossibilité morale de la pénitence ; car voilà l'idée que nous en donne saint Paul : Desperantes, semetipsos tradiderunt impudicitiœ (1) ; et il s'est servi de l'exemple du péché de la chair et de l'amour impur, parce que c'est celui où la rechute opère plus infailliblement et plus ordinairement ces détestables effets. D'abord l'âme chrétienne abhorrait comme un monstre le péché, parce que sa raison n'était pas encore aveuglée, ni sa volonté corrompue ; mais, à force de rechutes, ce péché, par ordre et par degrés, prend un entier ascendant ; on s'y accoutume, on se familiarise avec lui, on le commet sans scrupule , on s'y porte avec passion, on en devient esclave, on désespère de le pouvoir vaincre, on s'y abandonne absolument : Desperantes, semetipsos tradiderunt impudicitiœ. Mais encore, reprend saint Chrysostome, de qui désespère-t-on? est-ce de Dieu? est-ce de soi-même? De Dieu et de soi-même , reprend ce saint docteur. De Dieu, parce que c'est un Dieu de sainteté qui ne peut approuver le mal ; et de soi-même, parce qu'on est un sujet d'iniquité qui ne peut plus aimer le bien : de Dieu parce qu'on a si souvent abuse de sa miséricorde et de sa patience; et de soi-même, parce qu'on a fait tant d'épreuves de son inconstance et de son infidélité : de Dieu et de soi-même tout ensemble, parce qu'on voit entre Dieu et soi des oppositions infinies; car voilà la source de ces désespoirs. Ces désespoirs sont-ils raisonnables? Non, Chrétiens, puisque, bien loin de l'être, ce sont de

 

1 Ephes., IV, 9.

 

369

 

nouveaux crimes devant Dieu, n'étant jamais permis à un pécheur, tandis qu'il est en cette Tie, de désespérer de Dieu et de sa bonté, qui est sans mesure. Mais ces désespoirs, tout déraisonnables qu'ils sont, ne laissent pas d'être les premiers effets de la rechute dans le péché : pourquoi? parce que l'espérance, qui est le fondement essentiel de la pénitence, se trouvant ébranlée par là, il faut que, contre l'intention de Dieu même, tout l'édifice de la pénitence le soit aussi, et que cette vertu, qui devrait être la ressource de l'homme pécheur, par un défaut de confiance et de foi, lui devienne une pierre de scandale contre laquelle son désespoir le fait heurter : Desperantes, semetipsos tradiderunt impudicitiœ.

Ajoutez à cela, mes chers auditeurs, que par de fréquentes rechutes nous nous rendons inutiles les remèdes les plus puissants et les plus efficaces, et que la parole de saint Paul semble parfaitement s'accomplir en nous,  quand il fit que lorsque nous péchons volontairement après avoir reçu la connaissance de la vérité (remarquez bien cette circonstance),  il n'y a plus désormais  d'hostie pour l'expiation de notre péché, et qu'il ne nous reste plus autre chose qu'une affreuse attente du jugement et de la vengeance de Dieu : Voluntarie peccantibus, jam non relinquitur pro peccatis hostia : terribilis autem quœdam exspectatio judicii (1). En effet, Chrétiens, que direz-vous à un homme de ce caractère qui cent fois s'est lavé dans les eaux de la pénitence, et cent fois s'est replongé dans ses premières abominations? que lui direz-vous, et, avec toute l'ardeur du zèle dont vous vous sentirez pressés pour lui, par où le toucherez-vous ? Il n'y a rien qu'on ne lui ait représenté, point de vérité qu'il n'ait consigne, point d'exemple qu'on ne lui ait mis devant les yeux. Il a été persuadé de tout, il a entendu toutes les remontrances qu'on pouvait lui faire, il a presque épuisé toute la vertu des sacrements et par ces continuelles rechutes il s'est non-seulement accoutumé, mais endurci à tout cela; si bien que Dieu lui peut dire ce qu'il disait à son peuple : Insanabilis fractura tua, pessima plaga tua, curationum utilitas non est tibi (2). Ah! pécheur, qu'as-tu fait, et à quelle extrémité t'es-tu réduit? A force d'ouvrir tes plaies, tu les as rendues incurables ; et les remèdes de ma grâce, qui font des miracles pour la conversion des autres, n'ont plus de quoi te guérir.

Mais allons à la source, et disons, Chrétiens,

 

1 Hebr., X, 27. — 2 Jerem., XXX, 12.

 

que cette difficulté extrême de la pénitence, après la rechute dans le péché, vient de la nature même de la rechute, qui  d'elle-même est singulièrement opposée à la grâce de notre conversion ; car la rechute ajoute à la malice du péché l'ingratitude et le mépris : l'ingratitude du bienfait ou du premier pardon déjà obtenu, et le mépris de la majesté de Dieu offensée ; deux obstacles à une seconde réconciliation. Ingratitude du bienfait, qui consiste, dit Tertullien, non-seulement en ce que nous oublions les miséricordes de Dieu passées, mais en ce que nous les tournons contre lui-même, jusqu'à nous en servir pour pécher plus hardiment et plus impunément. Et en effet, si nous étions sûrs que la rémission de ce péché qui vient de nous être accordée est la dernière de toutes les grâces que nous avons à espérer, et qu'après cela la porte de la miséricorde nous sera fermée pour jamais ; si nous le savions, quelque emportés que nous soyons, ce serait assez pour nous retenir et pour nous préserver de la rechute. Nous nous faisons donc du remède même de la pénitence un attrait à notre libertinage; et comme parle Tertullien , l'excès de la clémence d'un   Dieu sert à fomenter et à entretenir la témérité de l'homme : Et abundantia clementiœ cœlestis libidinem facit humanœ temeritatis; c'est-à-dire  que nous sommes méchants parce que Dieu est bon, et qu'au préjudice de tous ses intérêts, le moyen unique qu'il nous a laissé pour retourner à lui et pour rentrer dans la voie du ciel nous est comme une ouverture aux égarements de nos passions et à la corruption de nos mœurs : Quasi pateret via ad delinquendum, quia patet ad pœnitendum. Or Dieu, Chrétiens, étant ce qu'il est, peut-il, pour l'honneur même de sa grâce et pour la justification de sa providence, n'avoir pas une opposition spéciale à se réconcilier avec nous dans cet état ? Mépris de la majesté et de   la souveraineté de Dieu. Car, pour suivre toujours la pensée de Tertullien, qu'avait fait le pécheur en se convertissant la première fois et en embrassant la pénitence ? il avait détruit l'empire  du démon  dans son cœur, pour y faire régner Dieu. Et que fait-il en retombant dans son désordre? Il bannit Dieu de son cœur, pour y établir l'empire du démon. L'homme,  dans cette alternative  de pénitence et de rechute, semble vouloir faire comparaison de l'une et de l'autre;  et, après avoir essayé de l'une et de l'autre, il conclut contre Dieu en s'attachant à son ennemi et le choisissant par préférence à Dieu : de sorte (tout

 

370

 

ceci est encore de Tertullien),  de sorte que comme par la pénitence son intention avait été de satisfaire à Dieu, maintenant, par une pénitence toute contraire, etqui est en quelque manière la pénitence de sa pénitence même, aux dépens de Dieu il apaise le démon et lui satisfait. Or, si quelque  chose peut nous rendre Dieu irréconciliable, n'est-ce pas un tel outrage ? Toute rechute peut nous engager dans ce malheur, mais particulièrement celle qui va jusqu'à quitter absolument Dieu, jusqu'à nous dégoûter de son service, jusqu'à secouer le joug de sa loi ; je veux dire celle par où nous ne retombons pas seulement dans le péché, mais dans rattachement au péché;  car une semblable rechute est une espèce d'apostasie dont le savant Estius, après plusieurs Pères, a prétendu expliquer le passage de saint Paul : Impossibile est renovari ad pœnitentiam ; ne voulant pas que cette impossibilité, même morale, de revenir à la pénitence, fût l'effet des simples rechutes, qui arrivent par surprise, par faiblesse, par fragilité; mais soutenant, et avec raison, que, dans le sentiment de l'Apôtre, c'était la suite de ces rechutes éclatantes, de ces rechutes méditées et délibérées, de ces rechutes qui portent conséquence pour l'état de vie, et qui, après des conversions édifiantes et publiques, déshonorent le culte  de   Dieu et scandalisent la piété. Vous le savez, Chrétiens ; et fasse le ciel que votre expérience ne vous ait jamais fait sentir combien ces inconstances criminelles rendent difficile et comme impossible le retour à Dieu !

Finissons , et de tout ce discours tirons une double conclusion. L'une regarde ceux qui, depuis leur pénitence, se sont maintenus heureusement et constamment dans l'état de la grâce : et l'autre s'adresse à ces pécheurs qui, par de funestes rechutes, se sont rengagés dans les voies de l'iniquité d'où la pénitence les avait retirés. Donnons aux premiers l'important avis que le docteur des Gentils donnait aux chrétiens de Corinthe : Qui se existimat stare, videat ne cadat (1). Prenez garde, mes Frères, et que le malheur de tant d'âmes que la rechute a perdues et qu'elle perd tous les jours, vous serve de leçon et de motif pour exciter votre vigilance. Mais en quoi cette vigilance doit-elle consister? à vous bien connaître, et à bien connaître les dangers qui vous environnent. A vous bien connaître vous-mêmes, vos faiblesses, vos inclinations, vos passions, afin de ne point compter sur vos forces et de vous en défier ; car c'est une salutaire défiance de vous-mêmes, qui doit faire votre assurance. A bien connaître les dangers qui vous environnent , afin de les éviter, de fuir l'occasion, de vous éloigner de telle compagnie ; car ce qui peut mieux vous garantir, avec la grâce divine, c'est la fuite. Relevons l'espérance des seconds, et après les avoir justement intimidés, ne les renvoyons pas dans le découragement C'est pour cela que je les exhorte à faire de plus grands efforts que jamais. Leur conversion est difficile, mais elle n'est pas encore absolument impossible ; ou , si elle est impossible à l'homme, elle ne l'est pas à Dieu ni à sa grâce. Parce qu'elle n'est pas impossible et qu'elle est d'ailleurs nécessaire, il faut l'entreprendre; et parce qu'elle est difficile, il faut l'entreprendre avec une résolution forte et généreuse. Ce que je leur conseille surtout aux uns et aux autres, c'est de chercher un guide fidèle, un directeur éclairé et désintéressé ; de lui exposer leur état et de prendre ses conseils, de ne point craindre qu'il les connaisse, mais de craindre plutôt qu'il ne les connaisse pas assez. Ainsi ils se maintiendront dans les voies de la pénitence, s'ils y sont rentrés ; ou ils y rentreront, s'ils ne s'y sont pas maintenus. La pénitence les conduira dans le chemin du salut, et les fera enfin arriver au port de la béatitude éternelle, que je vous souhaite, etc.

 

1 1 Cor., X, 12.

 

 

Précédente Accueil Remonter Suivante