SERMON POUR LE VINGT-QUATRIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE.
SUR LE JUGEMENT DE DIEU.
ANALYSE.
Sujet. Ils verront le Fils de l'Homme venir sur les nues
avec une grande puissance et dans une grande majesté.
L'Eglise
commence et finit son année évangélique par la peinture du jugement de Dieu,
parce qu'il n'y a point de pensée qui puisse plus utilement nous occuper.
Division. La vérité infaillible du jugement de Dieu opposée à
nos erreurs et à nos hypocrisies : première partie. L'équité inflexible du
jugement de Dieu opposée à nos faiblesses et à nos relâchements : deuxième
partie.
Première
partie. La vérité infaillible du
jugement de Dieu opposée à nos erreurs et à nos hypocrisies. Nous nous trompons nous-mêmes et ne voulons point nous
connaître, voilà nos erreurs. Nous trompons le public et ne voulons point en
être connus, voilà nos hypocrisies. Mais Dieu, avec les lumières de sa vérité,
nous détrompera de nos erreurs, et dévoilera nos hypocrisies.
1°
Il nous détrompera de nos erreurs, et il nous fera connaître nous-mêmes à
nous-mêmes. Connaissance qui nous sera insupportable, et qui nous consternera.
Venons au détail. Nous avons deux sortes d'erreurs en ce qui regarde Dieu et le
salut : erreurs défait et erreurs de droit. Erreurs de fait qui nous ôtent la
connaissance de nos propres actions; mais Dieu nous les remettra toutes devant
les yeux. Combien de péchés, qui nous sont présentement inconnus, soit que nous ne les ayons jamais remarqués, soit que nous
les ayons oubliés? Si nous les connaissons, combien y a-t-il, dans ces mêmes
péchés, de circonstances, de dépendances, de conséquences, d'effets, à quoi
nous ne faisons nulle attention? Or, rien de tout cela n'échappe à Dieu; et
c'est ce qu'il nous retracera avec des caractères si sensibles, que nous le
verrons malgré nous dans tonte son étendue et dans toute sa difformité. Erreurs
de droit qui nous font ignorer nos plus essentielles obligations : mais que
fera Dieu? Il renversera tous les faux principes que nous aurons suivis; et ces
consciences que nous nous faisions, dont nous nous tenions assurés et sur
lesquelles nous nous reposions, il nous les fera paraître pleines d'injustice,
de préoccupation, de mauvaise foi. Quelle sera notre surprise, et
qu'aurons-nous à dire pour notre justification?
2°
Il dévoilera nos hypocrisies, et nous fera connaître au monde que nous avions
trompé par de spécieux dehors. C'est l'expresse menace qu'il nous fait par son
prophète : Je découvrirai à toute fa terre ton opprobre, c'est-à-dire tes
artifices, tes fraudes, tes impostures, tes cabales, tes abominations. Tel se
croirait perdu sans ressource, et serait accablé de honte et de confusion, si
ce qu'il cache avec tant de soin venait à être su, non pas du public, mais
seulement de cette personne en particulier, ou de cette autre : que sera-ce
lorsqu'il faudra être connu du monde entier, et donné en spectacle à tout
l'univers? Soyons présentement de bonne foi avec nous-mêmes, pour travailler à
nous bien connaître ; et soyons-le avec les autres, pour vouloir aussi
sincèrement nous faire connaître à qui nous le devons, je veux dire aux
ministres de la pénitence. Voilà le meilleur préservatif et le remède le plus
certain dont nous puissions user.
Deuxième
partie. L'inflexible équité du
jugement de Dieu opposée à nos faiblesses et à nos relâchements. Trois
relâchements lors même que nous semblons nous condamner. Car nous nous
condamnons, mais en même temps nous nous faisons grâce, et nous voulons qu'on
nous ménage jusque dans le tribunal de la pénitence. Nous nous
reconnaissons pécheurs devant Dieu, mais eu même temps nous considérons ce que
nous sommes selon le monde, et nous prétendons qu'on ait égard à la qualité de
nos personnes. Nous nous avouons coupables et
punissables, mais en même temps nous exigeons qu'on ait pour notre faiblesse,
ou plutôt pour notre délicatesse, de la condescendance et de la douceur. Or,
Dieu nous jugera sans nous faire grâce, il nous jugera sans distinguer nos
qualités ; et les employant même contre nous, il nous jugera sans consulter
notre délicatesse, et il en fera même le sujet principal de son jugement.
1°
Il nous jugera sans nous faire grâce : pourquoi? parce
que ce sera sa seule justice alors qui agira; et que nous serviront devant lui
toutes ces grâces prétendues, que nous aurons extorquées des ministres de
Jésus-Christ?
2°
Il nous jugera sans distinguer nos qualités, car il n'a acception de personne.
Que dis-je? Il distinguera les conditions, mais pour juger et pour punir les
grands avec plus de sévérité que les autres. Ainsi nous le fait-il entendre
dans l'Ecriture.
3°
Il nous jugera sans consulter notre délicatesse; ou plutôt c'est sur notre
délicatesse même qu'il nous jugera, en nous reprochant, ce qui n'est que trop
réel et que trop vrai, que c'était une délicatesse affectée, une délicatesse
outrée, et par conséquent une délicatesse criminelle. Aimons-nous nous-mêmes :
mais aimons-nous d'un amour solide, nous traitant avec toute la sévérité
évangélique, afin d'expier nos péchés. Voilà par où nous obtiendrons miséricorde,
et comment nous engagerons Dieu à nous traiter avec toute sa bonté paternelle.
Et
videbunt Filium Hominis venientem in nubibus cœli cum virtute multa et majestate.
Ils
verront le Fils de l'Homme venir sur les nues, avec une grande puissance et dans
une grande majesté. ( Saint Matth.,
chap. XXIV, 30.)
Ce n'est pas sans dessein que
l'Eglise, dans l'ordre et la distribution de son année évangélique, commence et
finit par la peinture du jugement de Dieu. Elle veut nous faire entendre que de
toutes les pensées dont nous avons à nous occuper, il n'en est point qui nous
doive être plus familière que celle de ce jugement redoutable, parce qu'il n'en
est point qui nous soit plus salutaire. C'est par cette
434
grande vue que tant de libertins ont été touchés et
convertis à Dieu, que tant de justes ont été affermis et soutenus dans les
voies de la piété chrétienne : et c'est par là même, mes chers auditeurs, que je
puis me promettre, avec le secours de la grâce, ou de vous retirer de vos
égarements, si vous vous êtes laissé malheureusement séduire et entraîner par
la passion ; ou de vous établir dans une sainte persévérance, et de vous
attacher plus fortement que jamais aux devoirs d'une vie pieuse et réglée, si
vous avez eu jusqu'à présent le bonheur de l'embrasser et de la suivre. Et il
est vrai qu'entre les motifs qui nous détachent du péché et qui nous portent à
Dieu, le plus efficace est la crainte des jugements éternels, quoique ce ne
soit pas le plus pur et le plus relevé. Car, étant aussi dominés que nous le
sommes par l'intérêt propre, quelle impression doit faire sur nos cœurs le
souvenir d'un juge qui, par son arrêt irrévocable, doit décider de notre destinée
bienheureuse ou malheureuse pour l'éternité tout entière? Plût au ciel,
Chrétiens, que je fusse en état un jour de prendre votre défense auprès de ce
juge tout-puissant, et de vous rendre son jugement favorable! Mais puis-je
mieux vous disposer à y paraître avec assurance t qu'en vous apprenant à le
craindre de bonne heure et utilement? C'est ce que je. me
propose dans ce discours, et pour cela nous avons besoin de l'assistance du
Saint-Esprit ; demandons-la par l'intercession de la Vierge, que nous honorons
comme l'espérance et le refuge des pécheurs, et disons-lui : Ave, Maria.
Comme il n'y a que Dieu qui soit
absolument ce qu'il est, et qui, sans prendre d'autres qualités ni d'autres
titres, se distingue de tous les êtres, en s'appelant l'Etre par excellence : Ego
sum qui sum ; aussi n'y
a-t-il que le jugement de Dieu, je dis ce jugement où tous les hommes doivent
comparaître devant le tribunal de Dieu, qui, dans le langage de l'Ecriture, et
même dans la manière commune de nous exprimer, s'appelle singulièrement et à
proprement parler jugement. Concevez bien la raison qu'en apporte saint
Chrysostome, et qui va faire tout le partage de cet entretien. C'est qu'il n'y
a, dit ce Père, que le jugement de Dieu qui soit parfait. Tous les autres
jugements sont des jugements défectueux, c'est-à-dire ou faux, ou incertains,
ou lâches, et capables d'être affaiblis par la passion : ce qui faisait dire à
saint Paul qu'il lui importait peu d'être jugé par les hommes : Mihi autem pro minimo est ut a vobis judicer (1) ; ajoutant que quelque soin qu'il eût
d'examiner toute H vie, il n'osait pas se juger soi-même : Sed neque meipsum judico
(2); parce que les jugements qu'il pouvait faire de soi, ou que les hommes en
faisaient, n'étaient que des jugements trompeurs, et qu'être jugé de la sorte,
c'était ne pas l'être. C'est donc Dieu seul qui juge, poursuivait ce grand
apôtre : Qui autem judicat
me, Dominus est (3); parce qu'il n'y a que Dieu
dont le jugement soit accompagné de ces deux qualités qui font les jugements
certains et irréprochables, savoir, d'une vérité infaillible, et d'une équité
inflexible. D'une vérité infaillible, en sorte que Dieu, comme souverain juge,
ne peut être trompé : et d'une équité inflexible, qui dans l'exercice de cette
fonction de Juge le rend incapable d'être gagné. Or voilà, Chrétiens, ce qui
nous doit inspirer une sainte horreur du jugement de Dieu. Tout le reste en
comparaison, quelque affreux d'ailleurs qu'il puisse être, n'est rien : mais
d'avoir à soutenir le jugement d'un Dieu essentiellement véritable et
inviolablement équitable, ou plutôt d'un Dieu qui est la vérité et l'équité
même, c'est ce que je ne puis jamais assez craindre, parce que je ne puis assez
le comprendre. Telle est néanmoins l'idée que j'entreprends aujourd'hui
d'imprimer fortement dans vos esprits : et parce qu'un contraire ne paraît
jamais mieux que lorsqu'il est opposé à son contraire, je veux, pour
l'édification de vos âmes, vous représenter le jugement que Dieu fera de nous,
par opposition à celui que nous faisons maintenant de nous-mêmes, ou que nous
donnons sujet aux autres d'en faire. Ainsi, la vérité infaillible du jugement
de Dieu opposée à nos erreurs et à nos hypocrisies : ce sera la première
partie. L'équité inflexible du jugement de Dieu opposée à nos faiblesses et à nos
relâchements : ce sera la seconde partie. La conséquence infinie de l'une et de
l'autre demande toute votre attention.
PREMIÈRE PARTIE.
Il est de la Providence,
Chrétiens, que nous paraissions un jour ce que nous sommes, et que nous
cessions enfin de paraître ce que nous ne sommes pas ; et j'ose dire que Dieu
manquerait au premier de tous les devoirs dont il se tient comme responsable à
soi-même, s'il souffrait que la vérité demeurât éternellement obscurcie,
cachée, déguisée. Il
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faut qu'il lui rende une fois justice, et qu'après s'être
lassé, pour ainsi dire, de la voir dans les ténèbres de l'aveuglement et du
mensonge où les hommes la retiennent, il l'en fasse sortir avec éclat, suivant
cette admirable parole de Tertullien : Exurge,
veritas, et quasi de patientia
erumpe. Or, c'est pour cela que le jugement de
Dieu est établi. Nous l'outrageons, cette vérité, et s'il m'est permis de
m'exprimer delà sorte, nous lui faisons violence en deux manières. Car au lieu
d'user avec fidélité des lumières qu'elle nous présente, nous la corrompons au
dedans de nous par des erreurs criminelles, et nous la falsifions au dehors par
des hypocrisies affectées : c'est-à-dire que nous ne voulons ni nous connaître,
ni être connus; qu'un de nos soins est de nous tromper, et l'autre de tromper
le public. Voilà l'état de notre désordre ; et Dieu, par une conduite tout
opposée et par le zèle de la vérité, entreprendra de nous détromper de nos
erreurs, et de lever pour jamais le masque à nos hypocrisies; d'effacer les
fausses idées que nous aurons données aux autres de nous, et de détruire dans
nous celles que nous aurons conçues de nous-mêmes; de dissiper malgré nous ces
nuages par où la passion nous aura ôté la vue salutaire de ce que nous étions,
et de répandre dans tous les esprits une évidence plus que sensible de ce que
nous aurons été. Voilà ce que Dieu se proposera, et ce qui nous rendra son
jugement souverainement redoutable. Ne perdez rien, s'il vous plaît, d'une
matière si importante.
Nous nous
aimons, Chrétiens, jusqu'à être idolâtres de nos vices : mais ce qui est bien
étrange, et ce qui paraîtrait d'abord incroyable, si l'expérience ne le
vérifiait; par le même principe que nous nous aimons, nous craignons
mortellement et nous évitons de nous connaître; pourquoi? en
voici la belle raison qu'en donne saint Augustin : parce que nous savons que
nous connaissant nous serions obligés de nous haïr; et que si nous venions à
pénétrer le fond de notre misère, nous ne pourrions plus soutenir
l'amour-propre qui nous possède, et qui règne dans notre cœur. De là vient que,
par un instinct secret de cet amour, nous nous éloignons de cette connaissance
de nous-mêmes, et que dans la vie il n'est rien pour l'homme de plus fâcheux ni
de plus importun que de centrer dans soi-même, de faire réflexion sur toi-même,
de s'étudier et de se juger soi-même, parce que tout cela ne peut aboutir qu'a
l'humilier, et par conséquent qu'à troubler la possession où il est de se
flatter et de se
complaire en lui-même. Tout cela
néanmoins est de l'ordre ; et c'est une chose monstrueuse, dit saint
Chrysostome, qu'une créature intelligente ne se connaisse jamais, et un
dérèglement énorme que, ne se connaissant jamais, elle s'aime toujours
injustement.
Qu'arrivera-t-il donc? appliquez-vous, mes chers auditeurs, à comprendre le mystère
de la vérité de Dieu. Le premier effet de son jugement sera de nous rappeler à
cette connaissance odieuse et mortifiante de nous-mêmes, et de nous forcer
enfin à convenir avec nous de ce que nous sommes, pour s'autoriser ensuite à
agir contre nous dans toute l'étendue de ce qu'il est. Dans le cours d'une
prospérité humaine, dira-t-il à ce mondain, dans le tumulte et le bruit du
monde où mille objets t'éblouissaient, te charmaient et occupaient toute ton
attention, tu ne te voyais pas; et parce que tu ne te voyais pas, tu n'avais
pour toi-même que de vaines complaisances. Mais parce que, pour ne te pas voir,
tu te plaisais à toi-même et tu nourrissais dans ton cœur une secrète estime de
toi-même, je déchirerai le bandeau qui t'aveuglait, et il est de ma justice que
je te confonde par toi-même en te représentant à toi-même. Tu verras ton crime,
non plus pour y remédier, mais pour te le reprocher ; non plus pour l'expier
par la pénitence, mais pour le ressentir par le désespoir; non plus pour en
faire le sujet de ta contrition, mais de ta confusion : Videbis
factum tuum, non ut corrigas,
sed ut erubescas.
Or cette vue, Chrétiens, est ce
qu'il y aura de plus insupportable à l'homme pécheur, c'est ce qui l'accablera
et ce qui le consternera. Et voilà pourquoi les réprouvés s'adressant, ainsi
que le marque expressément saint Matthieu, aux collines et aux montagnes pour
implorer leur secours, ne leur diront point, selon l'observation de saint
Chrysostome, aussi solide qu'ingénieuse : Montagnes, cachez-nous le visage de
ce Dieu de gloire qui nous doit juger ; collines, empêchez-nous d'apercevoir
ces esprits qui doivent nous tourmenter ; mais seulement : Montagnes, tombez
sur nous, couvrez-nous, servez-nous d'un rempart éternel contre nous-mêmes. Car
c'est de nous-mêmes que nous avons aujourd'hui à nous défendre, et qu'il est de
notre intérêt d'éviter l'aspect: Tunc incipient dicere montibus : Cadite super nos ; et collibus : Operite nos (1). Et
en effet, si dans ce jugement nous pouvions être à
couvert de nous-mêmes, ni la présence de Jésus-Christ,
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quoique majestueuse, ni celle des
démons, quoique effrayante, ne seraient plus capables de nous troubler.
Mais venons au détail ; et pour
tirer de cette première partie tout le fruit que j'en espère, entrons dans la
discussion des choses. Nous avons, Chrétiens, deux sortes d'erreurs en ce qui
regarde Dieu et le salut : des erreurs de fait et des erreurs de droit. Des
erreurs de fait, qui nous ôtent la connaissance de notre propre action ; et des
erreurs de droit, qui nous font même ignorer notre obligation. C'est à quoi se
réduisent tous les désordres d'une conscience erronée. Or, à ces deux genres
d'erreurs, Dieu, qui est la vérité éternelle, et qui, par un privilège de son
être, n'est pas moins infaillible pour le fait que pour le droit, opposera
cette double infaillibilité de son jugement. Infaillibilité dans les faits,
pour nous confondre sur mille péchés auxquels peut-être nous n'avons jamais
bien pensé. Infaillibilité dans le droit, pour nous condamner sur mille points
de précepte et d'obligation dont nous nous sommes obstinés à ne vouloir jamais
convenir. Ah ! Chrétiens, que n'ai-je le zèle et l'éloquence des prophètes,
pour vous proposer ici l'un et l'autre dans toute sa force !
Nous entassons tous les jours
péchés sur péchés ; mais avec cela nous vivons tranquilles, nous accusant à
peine devant Dieu, et ne nous avouant presque jamais coupables devant les
hommes. Pourquoi? parce que nous ne cherchons qu'à
nous aveugler sur tout le mal que nous commettons, parce que nous ne nous le
reprochons que très-rarement, parce que nous ne
l'envisageons que très-superficiellement, parce que
nous ne l'approfondissons jamais, et que nous en perdons très-volontiers
et très-aisément le souvenir. Que fera Dieu? Parlez,
mon Dieu, par vous-même, et faites-nous connaître, par les oracles que vous
avez prononcés, quel doit être le procédé de votre justice, afin que nous le
prévenions, ou que nous soyons inexcusables. Car ce ne sont pas mes
raisonnements, mais vos révélations toutes divines, qui en doivent instruire
cet auditoire chrétien. Dieu, mes chers auditeurs, suppléera là-dessus à votre
défaut ; il recherchera ce que vous aurez négligé ; il approfondira ce que vous
n'aurez fait qu'effleurer; ce qui manquera au compte que vous vous en serez
rendu, il l'ajoutera ; ce qui était demeuré comme enveloppé dans l'embarras de
vos consciences, il le débrouillera. Ainsi nous l’a-t-il formellement déclaré
dans les saintes Ecritures, et en des termes dont l'infidélité la plus endurcie
ne peut désavouer qu'elle ne soit émue.
Oui, mes Frères, ce jugement de
Dieu succédera au nôtre, et réformera le nôtre : sur quoi? je le répète, sur
tant de péchés que notre légèreté, que notre vivacité, que notre dissipation
continuelle, que notre précipitation dans l'examen de nous-mêmes, que notre
ignorance volontaire fait disparaître à notre vue. Car rien de plus commun que
ces péchés inconnus ; je dis inconnus même au pécheur qui les a commis, et qui
s'en trouve chargé devant Dieu. Je n'en voudrais point de preuve plus sensible
que ce qui se passe au tribunal de la pénitence, s'il m'était permis de le
révéler. Nous y voyons venir des mondains et des mondaines, après avoir été des
années entières sans en approcher ; ils s'accusent au ministre de Jésus-Christ,
et toute cette accusation se termine à quelques faits dont le récit est presque
aussitôt achevé que commencé. Est-ce que ces pécheurs sont moins criminels que
des âmes timorées (je ne dis pas scrupuleuses), mais que des âmes sagement et
solidement chrétiennes, qui, dans des confessions de quelques semaines et même
de quelques jours, s'expliquent avec tout une autre étendue, et demandent de
notre part beaucoup plus de temps pour les entendre? Il y aurait lieu d'être
surpris de cette différence, si l'on n'en découvrait pas d'abord le principe.
C'est que ces hommes, que ces femmes du siècle, peu en peine de se connaître,
ne font presque nul retour sur eux-mêmes, et laissent échapper sans réflexion
les points quelquefois les plus essentiels. Combien de pensées, de soupçons, de
jugements, de sentiments, de paroles, d'actions, qui ne leur reviennent point
dans l'esprit, parce qu'ils ne se donnent ni le loisir, ni le soin de les
rappeler? Combien de consentements au mal qu'il prennent
pour de simples tentations? combien de désirs formés,
qu'ils ne distinguent point des simples idées? combien
de haines invétérées et depuis longtemps entretenues, qu'ils traitent
d'antipathies naturelles et involontaires? combien de
discours libertins, qu'ils ne regardent que comme des traits d'esprit et de
belle humeur? combien de tours et de détours, de
chicanes et d'artifices, de dissimulations et de supercheries, de violences et
de concussions, pour profiter, pour gagner, pour s'avancer, pour s'assurer un
héritage, pour s'ingérer dans un emploi ? Combien, dis-je, de toutes ces injustices,
et combien d'autres dont ils se savent bon gré, dont ils s'applaudissent,
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bien loin de les réputer pour des
crimes, et qui ne sont dans leur opinion qu'adresse, qu'habileté, que science
du monde? Voilà ce qu'ils ne font jamais entrer dans la recherche de leur vie ;
et quand, selon le devoir de notre ministère, nous voulons être éclaircis
là-dessus, et qu'ils nous en rendent compte, comment nous répondent-ils, et
pour qui passons-nous auprès d'eux?
Mais si, malgré nos soins, nous
ne pouvons parvenir à développer ce*chaos, et si nous sommes enfin obligés,
après avoir pris les mesures convenables, de nous en rapporter à leur propre
témoignage, ils ont un juge supérieur, qui de leur témoignage en appellera au
sien, ou plutôt qui, par son témoignage, les rendra témoins eux-mêmes de toutes
leurs iniquités. C'est lorsque, répandant sur eux un rayon de sa vérité, il les
éclairera de toutes parts, et qu'il ne laissera rien de si obscur et de si secret , qu'il ne produise à la lumière. Vois, pécheur, vois
(c'est ainsi qu'il leur parlera à chacun en particulier) : suis par ordre tout
le cours de tes années ; en voilà devant toi toutes les heures et tous les
moments. Voilà, sans y rien ajouter et sans y rien omettre, tout ce que tu as pensé,
tout ce que tu as dit, tout ce que tu as fait ; voilà cette passion qui t'a
dominé, et tous les excès où elle t'a porté ; voilà cet intérêt qui t'a
corrompu, et toutes les usures, toutes les fourberies qu'il t'a inspirées et
que tu as exécutées ; voilà cette envie, ce ressentiment qui te dévorait, et
que tu as mille fois satisfait aux dépens de la bonne foi, de l'équité, de la
charité, de toute la compassion naturelle. En un mot, te voilà toi-même, et il
ne tient qu'à toi de te considérer et de te contempler toi-même. Mais non, il
ne tient plus proprement à toi ; car, malgré toi, je te forcerai éternellement
à te considérer de la sorte, et à te contempler toi-même; pourquoi? afin que tu te haïsses et que tu te détestes éternellement
toi-même. Ainsi, dis-je, parlera le Seigneur; et dites-moi, mes Frères, si vous
le pouvez, quelle sera la surprise de ce pécheur, et son effroi, quand d'une
première vue il viendra tout à coup à découvrir cette affreuse multitude de
péchés oubliés, de péchés ignorés, de péchés éloignés par la distance des
temps, de péchés comptés pour rien et à peine remarqués, de péchés jusque-là
ensevelis dans une confusion de faits presque impénétrable, mais alors
tellement étalés devant lui, et tellement rapprochés de lui, que pas un ne sera
soustrait à sa vue, et que tous se montreront à ses yeux
dans tout leur nombre et dans toute
leur difformité.
Ce n'est pas que dès cette vie
plusieurs ne les connaissent ; mais appliquez-vous à cet autre article, qui
s'étend encore plus loin. Nous connaissons nos désordres, mais, par un défaut
d'attention qui ne nous est que trop ordinaire, nous n'en considérons ni les
circonstances, ni les dépendances, ni les conséquences, ni les effets ; et de
là nous ne nous accusons qu'à demi. Or, c'est surtout en cela que le jugement
de Dieu doit être le supplément du nôtre, et c'est ce que le Psalmiste
comprenait admirablement, lorsqu'il disait à Dieu : Appone
iniquitatem super iniquitatem
eorum (1). Ajoutez , Seigneur, ce que vous savez
qui a manqué à la confession qu'ils ont faite de leurs iniquités, et tirez du
fonds infini de votre sagesse, laquelle voit tout, ce qui doit rendre selon
vous leur jugement complet : Appone iniquitatem super iniquitatem.
Car voilà, remarque le chancelier Gerson, l'un des aveuglements les plus
pernicieux dans la pratique et dans l'usage de la vie chrétienne. On se juge et
on se condamne, mais par un malheureux secret d'abréger les choses, de dix
péchés qui ont été, pour ainsi dire, compliqués et d'un enchaînement nécessaire
entre eux, on n'en avoue qu'un ; et cela parce qu'on n'envisage que la
substance du péché, dénuée de tout ce qui l'accompagne et de tout ce qui le
suit.
On dit : J'ai trop d'amour et
trop de complaisance pour ma personne ; mais on ne dit pas que cet amour de sa
propre personne a été suivi d'un désir désordonné de plaire ; mais on ne dit
pas que pour plaire on a méprisé toutes les lois de la modestie, n'omettant
rien de ce que le luxe et la vanité ont pu y contribuer; mais on ne dit pas que
ce luxe et ce désir de plaire ont fait naître dans autrui des passions
criminelles; passions dont on s'est bien aperçu, que l'on a excitées et qu'on a
pris plaisir à faire croître, bien loin d'en rompre le cours ; mais on ne dit
pas que par là on a été la ruine des âmes que l'on a fait périr, et à qui l'on
a servi de tentateur : Appone iniquitatem super iniquitatem.
On dit : J'ai eu une attache qui m'a engagé dans des conversations trop libres
; mais on ne dit pas que cette attache a refroidi peu à peu et même entièrement
éteint un amour légitime et de devoir ; mais on ne dit pas que cette liberté de
la conversation a suscité des querelles et des jalousies, dont la paix d'une
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famille a été troublée ; mais on ne
dit pas que cet engagement a éclaté, et scandalisé le public : Appone iniquitatem
super iniquitatem. On dit : J'ai trop aimé le
jeu, mais on ne dit pas que ce jeu, outre le crime d'une vie oisive qui n'en a
pu être séparé, a fait abandonner les soins les plus essentiels, a détourné des
exercices de piété et de religion, a donné un mauvais exemple à des enfants, a
autorisé des domestiques dans leur libertinage, a empêché de payer ses dettes,
a causé des emportements et des dépits contre Dieu même : Appone
iniquitatem super iniquitatem.
J'ai parlé, dit-on, peu charitablement de mon prochain; mais on ne dit pas
qu'en parlant de la sorte on a perdu ce prochain d'honneur et de crédit , mais on ne dit pas que cette médisance a été un
obstacle à sa fortune, mais on ne dit pas qu'on a parlé pour se venger d'une
injure qu'on prétendait avoir reçue ; on ne le dit pas, et peut-être ne se
l'est-on jamais dit à soi-même. Mais Dieu vous le dira, et c'est ainsi que dans
son jugement il mettra iniquité sur iniquité; c'est-à-dire, qu'outre celles que
nous avons connues, il nous présentera celles, ou que nous n'avons jamais
observées, ou que nous avons oubliées ; Appone
iniquitatem super iniquitatem.
Je dis que nous avons oubliées,
car nous en perdons facilement la mémoire. Mais Dieu, qui se trouvera intéressé
à réveiller ce souvenir et à le perpétuer, le rendra fixe et immuable ; comment
cela? en nous appliquant la lumière de son entendement divin, par où ces mêmes
crimes lui sont toujours présents ; et en nous l'appliquant avec des traits si
marqués, qu'il ne sera jamais en notre pouvoir de les effacer. Lumière divine
(prenez garde, s'il vous plaît), qui pour cela est comparée par le
Saint-Esprit, non pas à la parole, mais à l'écriture : Lingua
mea calamus scribœ velociter scribentis (1) ; Ma
langue, disait le Prophète, lorsqu'elle exprime les pensées de Dieu, est
semblable à la plume d'un écrivain. Que voulait-il dire? Similitude admirable !
répond saint Jérôme, Parce que de même qu'un écrivain
forme des caractères qui demeurent, qui se conservent des siècles entiers , et
qui représentent toujours à l'œil ce que d'abord ils lui ont fait voir, au lieu
que la langue ne forme que des paroles passagères, qui cessent d'être à
l'instant qu'elles sont prononcées; aussi la lumière de Dieu a-t-elle un être
permanent, de sorte que lorsqu'une fois elle sera imprimée dans nos esprits
comme Dieu l'y imprimera, nous ne
pourrons plus perdre l'idée des sujets de notre condamnation, et nous les verrons
éternellement écrits dans Dieu même : Lingua
mea calamus scribœ velociter scribentis. Et
voilà, mes Frères, dit saint Bernard, ce que Dieu voulait nous déclarer dans ce
passage du Deutéronome, quand, après avoir fait le dénombrement des péchés de son
peuple, il concluait ainsi : Nonne hœc condita sunt apud
me, et signala in thesaurii meis
(1) ; Tout cela n'est-il pas comme en réserve chez moi, et tout cela n'est-il
pas comme scellé dans les trésors de ma justice? Voyez-vous, Chrétiens, la
conduite de Dieu à notre égard ? Si, par un esprit de pénitence, nous
conservions maintenant le souvenir de nos désordres, les ayant toujours devant
les yeux, et les repassant dans l'amertume de nos âmes, tout désordres qu'ils
auraient été, nous nous en ferions devant Dieu un trésor de miséricorde : mais
parce que nous les laissons volontairement échapper, Dieu les ramasse et nous
en fait un autre trésor, qui est ce trésor de colère dont a parlé l'Apôtre.
Trésor qu'il nous ouvrira dans le grand jour de la manifestation ; trésor où il
mettra le sceau, afin que jamais ni la négligence, ni l'oubli même
involontaire, n'y puissent donner la moindre atteinte, et que malgré nous notre
esprit se trouve pour ainsi dire, toujours saisi de la connaissance de nos
propres actions : Nonne hœc condita
sunt apud me, et signala in
thesauris meis ?
Voilà ce qui concerne les erreurs
de fait; mais il en est d'autres que j'appelle erreurs de droit. En effet,
l'extrémité de notre misère est que nous errons même dans les principes, et que,
par un renversement qui se fait en nous aussi bien de l'homme raisonnable que
de l'homme chrétien, nous nous formons des consciences que notre raison, pour
peu épurée et pour peu exacte qu'elle soit, ne peut s'empêcher de contredire :
réglant nos devoirs par nos intérêts, opinant et décidant sur nos obligations
selon le mouvement de nos passions ; nous en rapportant à notre sens
particulier, au préjudice des saintes lumières que la religion nous fournit ;
qualifiant les choses comme il nous plaît, traitant de bagatelles et de riens
ce qui est essentiel au salut; ne jugeant de ce qui est criminel que par
rapport aux idées du monde, c'est-à-dire ne comptant pour criminel selon Dieu
que ce qui l'est selon le monde, nous figurant honnête et permis tout ce qui
est autorisé
439
par l'usage du monde; au lieu de
combattre le monde par notre foi, accordant notre foi avec le monde, et par là
même l'anéantissant et la détruisant. Mais Dieu, Chrétiens, viendra par son
jugement rectifier tous ces faux principes, dissiper toutes ces illusions,
réformer toutes ces consciences ; et ce sera, dit-il, lorsqu’après
nous avoir laissé prendre notre temps, il prendra le sien : Cum accepero tempus (1). Ces
consciences dont nous nous étions assurés et sur lesquelles nous nous
reposions, il nous les fera paraître pleines d'injustice, de préoccupation, de
mauvaise foi ; et comme telles il les réprouvera. Dès celte vie, il nous avait
suffisamment pourvus de règles pour nous obligera les réprouver nous-mêmes. Car
nous n'avions qu'à les confronter avec la pureté de sa loi ; nous n'avions qu'à
les soumettre aux jugements de ceux qu'il avait établis dans son Eglise pour
nous conduire ; nous n'avions qu'à les comparer avec les premiers jugements que
nous faisions autrefois du bien et du mal. avant que notre raison fût pervertie
et obscurcie par le péché : mais parce que nous n'avons rien fait de tout cela,
et qu'emportés par l'esprit du monde, nous avons toujours voulu suivre ces
consciences erronées ; Dieu, pour nous confondre, leur opposera la sainteté,
l'intégrité, l'incorruptibilité de son jugement. Et qu'aurons-nous autre chose,
mes Frères, à lui répondre, que de faire en sa présence le même aveu que Job,
et de le faire encore avec plus de sujet que ce saint homme : Vere scio quod ita sit, et quod non justificefur homo compositus Deo
(2) ? Ah ! on nous le disait, et nous l'éprouvons,
Seigneur, que vos vues sont bien différentes des nôtres et bien au-dessus des
noires. Nous pouvions nous justifier à nos yeux, mais nous ne l'étions pas pour
cela devant vous ; et c'est même pour nous être tant justifiés à nos yeux, que
nous devenons devant vous plus criminels. Ou plutôt, mes chers auditeurs, sans
rien répliquer et sans rien dire, qu'aurons-nous à faire autre chose que de
demeurer dans un triste et morne silence, confus, interdits, effrayés,
apercevant partout les titres d'une juste et affreuse réprobation, et ne
pouvant les déguiser, ne pouvant les éluder, ne pouvant les détruire ni les
réfuter, parce que nous ne pourrons éteindre cette lumière éternelle de la
vérité, qui nous percera de toutes parts, et nous retracera incessamment
l'odieuse peinture de nous-mêmes? Je serais infini si, pour l'accomplissement
de
mon dessein et pour la conclusion de cette première partie,
je voulais maintenant, dans une nouvelle image, vous exposer comment Dieu,
vérité, toujours infaillible, non content de nous faire connaître à nous-mêmes
pour nous détromper de nos erreurs, nous fera encore connaître aux autres pour
confondre nos hypocrisies. Hypocrisie, caractère de notre siècle, ou, pour
mieux dire, caractère de tous les siècles où le libertinage a régné, puisque le
libertinage, quelque déterminé qu'il puisse être, ne se soutiendrait jamais
s'il ne se couvrait du voile de la religion. Hypocrisie, compagne inséparable
de l'hérésie, et qui as fomenté toutes les sectes, puisqu'il n'y en a pas une
qui ait osé se produire sans être revêtue des apparences d'une spécieuse
réforme. Hypocrisie, qui, sous prétexte de perfection, vas à la destruction, et
qui, sons ombre de ne vouloir rien de médiocre dans le culte de Dieu, anéantis
visiblement, quoique insensiblement, le culte de Dieu. Hypocrisie, qui, sous
l'austérité des paroles, caches les actions les plus basses et les plus
honteuses, et qui, sous le masque d'une fausse régularité, insultes à la
véritable et solide piété. Hypocrisie, qui, par un raffinement d'orgueil
déguisé sous le nom de zèle, condamnes tout le genre humain, fais de la
médisance une vertu, n'épargne pas les puissances établies de Dieu, et n'as de
charité pour personne. Hypocrisie, qui, pour parvenir à tes fins, remues toutes
sortes de ressorts, formes toutes sortes d'intrigues, emploies toutes sortes de
moyens; ne trouvant rien d'injuste dès qu'il le peut être utile, ni rien qui ne
soit permis dès qu'il sert à ton avancement et à ton progrès : c'est là, c'est
à ce tribunal que tu comparaîtras, et que Dieu, pour l'honneur de la vérité, révélera
toute ta honte. Lui-même il nous le dit, mais avec des expressions dont
j'aurais peine à user si elles n'étaient consacrées : Ostendam
gentibus nuditatem tuam, et regnis ignominium tuam (1). Oui, je
découvrirai à toute la terre ton opprobre, c'est-à-dire tes artifices, tes
fraudes, tes impostures, tes cabales, tes abominations, d'autant plus
ignominieuses pour toi, qu'elles auront été plus secrètes pour le monde. Ostendam : tout cela sera connu, et par là non-seulement je me satisferai, mais je satisferai tout
l'univers. Tu séduisais les peuples, tu leur en imposais, tu te les attachais
par une vaine montre de probité, de simplicité, de sévérité ; tu recevais leur
encens, et tu te repaissais de
440
leurs éloges. Or, je produirai au
grand jour tous ces mystères d'iniquité et toute cette turpitude. On la verra,
et tu auras à soutenir les regards de tous ceux que tu as trompés : Ostendam gentibus nuditatem tuam, et regnis ignominiam tuam. Voilà, Chrétiens, la menace, et jugez de l'effet.
Que dis-je, et qui peut l'imaginer et le concevoir? Je vous le demande : qui
peut concevoir de quelle confusion seront couverts tout à coup et accablés tel
peut-être et telle qui sont ici présents; qui, portant au fond de leur cœur de
quoi les diffamer, lèvent la tête néanmoins avec plus de confiance et plus
d'orgueil; qui, dans un moment, se tiendraient perdus sans ressource, si ce
qu'ils cachent avec tant de soin et sous de si beaux dehors venait à être su,
non pas du public, mais seulement de cette personne en particulier ou de cette
autre; qui ne trouveraient point alors d'assez épaisses ténèbres ni de retraite
assez profonde où se précipiter et s'abîmer. Ah! je le répète, et qui peut penser
quelle sera pour eux l'ignominie de cette révélation authentique et solennelle,
où ils se verront comme donnés en spectacle à toutes les créatures
intelligentes; où tout ce qu'il y aura eu de plus lâche, de plus indigne, de
plus malin, de plus sale et de plus corrompu dans leurs sentiments, dans leurs
déguisements, dans leurs menées et leurs fourberies, dans leurs plaisirs et
leurs brutales voluptés, sera tiré des ombres qui l'enveloppaient, et mis sous
les yeux de tous les hommes; où, devenus les objets du mépris le plus général,
ils seront surtout témoins de la surprise et de l'indignation de ceux qu'ils
auront trompés, de ceux qui les croyaient tels qu'ils paraissaient et qu'ils
s'étudiaient de paraître, droits, sincères, désintéressés, réglés, vertueux,
honnêtes ; mais qui commenceront à les connaître tels qu'ils étaient, sans foi,
sans retenue, sans pudeur, sans charité, sans équité, sans religion. Je ne puis
vous donner d'idée parfaite de cette infamie, et rien de tout ce qui se passe
dans le monde n'en peut approcher. Un homme est décrié sur la terre et noté :
mais il disparaît; mais il n'est flétri que dans une société, que dans un
quartier, que dans une ville, que dans une certaine contrée; mais la tache
enfin s'efface avec le temps : au lieu que l'hypocrite, démasqué à ce jugement
redoutable, sera forcé malgré lui de demeurer en vue; que l'image de son
hypocrisie sera gravée dans tous les esprits, et qu'éternellement celte image
et sa honte subsistera.
Le remède, mes Frères, et le plus
assuré préservatif que nous ayons et dont nous puissions présentement nous
servir, c'est d'être de bonne foi avec nous-mêmes pour travaillera nous bien
connaître; et de l'être avec les autres, pour vouloir aussi sincèrement nous
faire bien connaître à qui nous le devons, je veux dire aux ministres de la
pénitence. Connaissons-nous nous-mêmes, afin de nous remplir d'une sainte haine
de nous-mêmes, et de nous exciter à la réformation de nous-mêmes. Et
faisons-nous bien connaître aux médecins spirituels de nos âmes, afin qu'ils
puissent mieux nous traiter, et qu'ils s'appliquent avec plus de fruit à la
guérison de nos infirmités. Essuyons à leurs pieds et avec toute l'humilité
chrétienne une confusion particulière et salutaire. Demandons à Dieu qu'il
répande sur eux et sur nous sa vérité, et souhaitons que ce soit cette souveraine
vérité qui nous conduise par leur ministère. Sans cela nous avons tout à
craindre de cette vérité infaillible que rien ne trompera, et de cette équité
inflexible que rien ne corrompra, comme il me reste à vous faire voir dans la
seconde partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Il y a une loi rigoureuse de
justice, et nous ne pouvons douter que cette loi ne soit dans Dieu, pour
corriger un jour les relâchements et les abus infinis de notre amour-propre.
Quelque lumière que nous ayons, Chrétiens, pour faire le discernement intérieur
de nos consciences, dont je viens de vous parler; rarement avons-nous le
courage qui serait nécessaire pour procéder contre nous-mêmes, pour nous
traiter aussi sévèrement que nous nous sommes sincèrement et véritablement
connus. Nous nous condamnons (prenez garde, s'il vous
plaît, à ces trois pensées auxquelles je réduis toute cette seconde partie),
nous nous condamnons, mais en même temps nous nous faisons grâce, et nous
voulons qu'on nous ménage jusque dans le tribunal le plus saint où nous nous
soumettons à être jugés, qui est celui de la pénitence. Nous nous reconnaissons pécheurs devant Dieu, mais en même temps
nous considérons ce que nous sommes selon le monde, et nous prétendons qu'on y
doit avoir égard, tirant un avantage secret de la qualité de nos personnes et
de la différence de nos conditions. Nous nous avouons
coupables et punissables, mais en même temps nous nous alléguons à nous-mêmes
notre faiblesse, ou plutôt notre délicatesse, que nous croyons
441
devoir épargner, et pour laquelle
nous exigeons des autres qu'ils aient de la condescendance et de la douceur.
Trois effets de l'amour de nous-mêmes; trois désordres qui entretiennent l'impénitence
des hommes du siècle dans le cours delà vie; trois relâchements de l'esprit
chrétien, à quoi il faut que l'équité inflexible du jugement de Dieu serve de
correctif, et voici comment. Car Dieu, mes chers auditeurs, nous jugera sans
nous faire grâce; il nous jugera, non-seulement sans
distinguer nos qualités, mais les employant contre nous-mêmes ; il nous jugera
sans consulter notre délicatesse, et il fera même de notre délicatesse le sujet
principal de la rigueur de son jugement. Encore un moment de réflexion.
Nous nous
faisons grâce en nous jugeant, et Dieu ne nous fera nulle grâce. Voilà de tous
les points de la religion celui qui nous paraît le plus terrible, et qui
néanmoins est le mieux établi. Car c'est ainsi que le Saint-Esprit a défini en
propres termes le jugement de Dieu : iudicium
sine misericordia (1). Un jugement sans
miséricorde : pourquoi ? pour l'opposer à cette
miséricorde pernicieuse dont nous aurons usé dans les jugements que nous
faisons de nos personnes. Telle est en effet, Chrétiens, la fausse maxime qui
nous préoccupe. Parce qu'il s'agit de nous-mêmes, nous croyons avoir un droit
naturel de nous juger favorablement ; et c'est au contraire pour cela que nous
ne saurions y apporter un zèle trop rigide. S'il était question de juger les
autres, ce serait par ce principe de bénignité qu'il s'y faudrait prendre, et à
peine y aurait-il quelque danger de la porter trop loin et d'en abuser. Mais
dès que nous sommes nous-mêmes nos juges, le grand écueil à éviter, c'est cet
esprit de douceur et de modération que l'amour-propre nous inspire, et qu'il ne
manque jamais d'autoriser de mille prétextes spécieux. Voilà cependant où nous
allons toujours. Nous voulons que les prêtres, qui sont les lieutenants de
Dieu, et qui président de sa part à ce jugement secret de nos âmes dans le
sacrement de la pénitence, deviennent en cela les complices de notre lâcheté. A
force d'être indulgents comme nous le sommes envers nous-mêmes, nous les
obligeons en quelque sorte à le devenir, c'est-à-dire à nous accorder ce qui
nous est commode, et à nous dispenser de ce qui nous mortifie : et il arrive
tous les jours, par une prévarication indigne, mais qui est celle de notre siècle,
que lors même que nous nous scandalisons en général de la trop grande
facilité des ministres de l’Eglise,
nous l'entretenons en particulier par cent manières artificieuses dont nous
nous servons pour les faire entrer dans nos pensées et dans nos intérêts, et
que, ne trouvant point pour autrui de confesseurs assez sévères, nous en
formons pour nous-mêmes de plus indulgents et de plus accommodants. Car de là
vient l'espèce de nécessité où nous les mettons de garder avec nous tant de
mesures, d'imaginer tant d'adoucissements, de chercher tant de tempéraments ;
et cela au préjudice de la sainte fonction qui leur est confiée, et qu'ils
n'ont pas la force de soutenir, parce que nous en avons trop pour arrêter leur
zèle et pour l'énerver.
Mais Dieu, Chrétiens, qui est le
premier juge, et au tribunal duquel non-seulement nos
crimes, mais les jugements de nos crimes doivent être rapportés, confondra tout
cela par ce jugement suprême dont le caractère est d'être sans miséricorde : Judicium sine misericordia.
La raison est, dit saint Augustin, que ce sera la seule justice alors qui
agira. Elle agit dès à présent, mais elle n'agit pas toute seule; ou plutôt
c'est la miséricorde qui agit par elle et dans elle. Car cette justice même que
Dieu exerce contre nous dans la vie, est souvent une de ses miséricordes les
plus spéciales, puisqu'il est certain que Dieu ne nous punit point en ce monde
précisément pour nous punir; mais qu'il ne nous punit que pour nous convertir,
que pour nous sanctifier, que pour nous instruire, et qu'ainsi ses châtiments
dans les principes de la foi sont des bienfaits et des faveurs. Mais dans son
jugement il n'écoutera que sa justice, il ne suivra que sa justice, il n'aura
égard qu'aux droits de sa justice, parce que nous aurons négligé les dons de sa
miséricorde, et que nous en aurons épuisé toutes les sources. Je dis plus : sa
miséricorde négligée, méprisée, outragée, ne servira qu'à aigrir sa justice, et
par où? Par le témoignage qu'elle rendra contre nous, bien loin de s'intéresser
pour nous : Judicium sine misericordia.
Ah ! Chrétiens, que nous
serviront alors ces grâces prétendues que nous aurons comme extorquées des
vicaires de Jésus-Christ? ces condescendances qu'ils
auront eues pour nous, de quel usage nous seront-elles? Dieu les ratifiera-t-il?
conformera-t-il son jugement au leur? ce qu'ils auront délié sur la terre, le déliera-t-il dans le
ciel? le pouvoir des clés qu'il leur a donné va-t-il
jusque-là? Non, non, mes chers auditeurs, cela ne peut être. Dieu veut bien
qu'ils soient des ministres de miséricorde,
442
mais d'une miséricorde sage et
ferme, et non point d'une miséricorde aveugle et molle; mais d'une miséricorde
qui retranche les vices et les habitudes criminelles, et non point d'une
miséricorde qui les flatte et qui les fomente; mais d'une miséricorde qui mette
à couvert sa cause et l'honneur de son nom, et non point d'une miséricorde qui
l'outrage et le déshonore. Car une telle miséricorde, une miséricorde faible,
timide, disposée à tout accorder, ne sauvera pas le pécheur et perdra le
ministre : tellement que l'un et l'autre ne doit s'attendre de la part de Dieu
qu'à un jugement sans miséricorde. Judicium
sine misericordia.
Autre abus qui résulte de
celui-ci. Nous tirons avantage de nos qualités; et parce que nous nous voyons
dans les rangs de naissance et de fortune que le monde respecte, nous voudrions
que Dieu nous respectât aussi ; et nous le prétendons si bien, que quand les
substituts de sa justice, qui sont les prêtres de la loi de grâce,
entreprennent de nous juger selon les règles communes et générales du
christianisme que nous professons, nous le trouvons mauvais : exigeant de leur
discrétion qu'ils ne nous confondent pas avec les âmes vulgaires, et mesurant
leur prudence par la distinction qu'ils font de ce que nous sommes. N'est-ce
pas ainsi que les choses se passent entre les ministres de la pénitence et
nous? Mais voyons comment elles se passeront devant Dieu. Si je vous disais que
l'un des titres dont Dieu se glorifie davantage dans l'Ecriture est d'être un
Dieu sans égard aux conditions des hommes ; que c'était la louange particulière
que les pharisiens mêmes attribuaient à Jésus-Christ, confessant en sa présence
que dans les jugements qu'il portait, il ne considérait point les personnes : Non
enim respicis personam hominum (1) ; et
qu'en effet, jusqu'au sujet de sa mère, c'est-à-dire de la plus auguste de
toutes les créatures, cet Homme-Dieu s'est hautement
déclaré tel, ne l'ayant jamais élevée dans le monde, et pour lui donner place
dans sa gloire, ne l'ayant jamais partagée selon sa dignité , mais selon ses
mérites et ses œuvres : Laudent eam opera ejus
(2). Si je vous le disais, je De vous dirais que ce que vous avez cent l'ois
entendu, et cela seul devrait renverser toutes vos prétentions imaginaires,
fondées sur la différence de vos états. Mais je vous dis aujourd'hui quelque
chose de plus fort, et quoi ? c'est que la différence
de vos conditions et de vos états, bien loin de vous être avantageuse, est
justement ce qui rendra Dieu plus
sévère et plus inflexible contre vous. Qui nous l'apprend? lui-même,
par ces paroles de la Sagesse, que vous devriez écouter comme autant de
tonnerres, et qui ont fait la conversion de tant de grands du monde: Audi te
ergo vos qui continetis multitudines,
et placetis vobis in turbis nationum. Quia horrende et cito apparebit vobis ; quoniam judicium durissimum his qui prœsunt (1) ; Sachez donc, vous qui commanda aux
nations et qui vous plaisez dans la foule des peuples où vous êtes honorés,
sachez que ce Dieu de majesté se montrera bientôt à vous, mais d'une manière
qui vous doit saisir de frayeur. Car pour ceux qui sont dans l'élévation, il ne
peut y avoir qu'un jugement inexorable et rigoureux : Quoniam
judicium durissimum his qui prœsunt. De vous en
marquer les raisons, ce serait un soin superflu, puisque votre expérience vous
les fait assez voir : ce mépris de Dieu dans lequel vivent les grands de la
terre, cet oubli de leur dépendance, cette ostentation de leur pouvoir, et,
sans parler du reste, cette dureté de cœur envers ceux qui leur sont soumis , ne justifie que trop la Providence sur la sévérité
avec laquelle Dieu les jugera.
Quoi qu'il en soit, voilà l'arrêt
que la Sagesse éternelle a prononcé : Exiguo
conceditur misericordia : potentes autem potenter tormenta patientur (2). S'il doit y avoir de la douceur dans le
jugement de Dieu, c'est pour les faibles et pour les petits ; mais les grands
et les puissants du siècle, à proportion de leur grandeur, y doivent être plus
rudement frappés. Je me suis donc trompé quand j'ai dit que Dieu ne
distinguerait point nos qualités. Ah! mes chers
auditeurs, vous paraîtrez encore dans son jugement tout ce que vous êtes, et
vous y porterez toutes les marques de ces dignités éclatantes dont vous aurez
été revêtus; mais c'est ce qui allumera la colère de Dieu, et ce qui lui fera
lancer sur vos têtes de plus terribles anathèmes. Votre souhait alors sera que
Dieu voulût bien ne vous point distinguer, et qu'il vous jugeât comme les
derniers des hommes; mais c'est ce que la loi inviolable de son équité ne lui
permettra pas. Il faudra, malgré vous, que vous soyez jugés en grands, parce
qu'il faudra que vous soyez punis de même. Ainsi l'ont de les
Pharaon, les Balthasar, les Antiochus. Ils étaient
princes, et voilà pourquoi Dieu, dans l'Ecriture, a fulminé contre eux des
arrêts qui nous font encore frémir. Or vous devez compter
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que leur destinée sera la vôtre, et
que, vivant comme eux, ce qui s'est accompli dans eux s'accomplira infailliblement
en vous, pourquoi? parce que la loi est sans exception
: Quoniam judicium durissimum his qui prœsunt.
Troisième et dernier abus. Nous nous supposons délicats, et parce qu'il nous plaît de
l'être, nous nous faisons un droit et même une Obligation de nous épargner; eteequi est selon Dieu lâcheté et impénitence, nous
l'érigeons en devoir. Non-seulement nous nous
ménageons sans scrupule, mais nous nous ferions volontiers un scrupule de ne
nous ménager pas; et quoi que l'Ecriture nous dise de cette nécessité
indispensable de crucifier sa chair et ses sens, nous nous prévalons de la plus
légère Incommodité et du moindre besoin que nous sentons ou que nous croyons
sentir. Encore si celte délicatesse ne s'étendait qu'à certaines pratiques
volontaires de la pénitence chrétienne, et à certains exercices de notre choix
et moins expressément ordonnés ! mais ce qu'il y a de bien déplorable, c'est
qu'on s'en sert comme d'une dispense universelle à l'égard des observances même
les plus étroites, et des préceptes les plus communs et les plus formels.
Abstinences et jeûnes, ce sont des commandements qu'on tient impraticables; et
si les ministres de l'Eglise, dépositaires de ses lois et chargés de les faire
observer, veulent entrer là-dessus dans une sérieuse discussion, et ne s'en
rapportent pas d'abord à nous, on les regarde comme des gens indiscrets, et peu
versés dans l'usage ordinaire de la vie. De quoi ils ont encore plus lieu de
gémir, c'est que ce sont les riches et les opulents du siècle qui font plus valoir
leur prétendue délicatesse ; comme si l'abondance où ils vivent altérait leurs
forces, et qu'au milieu de tout ce qui peut flatter le corps et l'entretenir,
ils fussent absolument hors d'état de supporter ce que d'autres
, dans des conditions laborieuses, soutiennent avec constance et avec
fidélité.
De là, nul soin de satisfaire à
Dieu; mais Dieu néanmoins doit être satisfait, et veut être satisfait. Que
fera-t-il donc? parce que notre délicatesse nous aura
empêchés de le satisfaire, il se satisfera lui-même par l'équité incorruptible
de son jugement. Mais dans un jugement si équitable ,
cette délicatesse que nous alléguerons ne sera-t-elle pas une excuse légitime?
Chose étrange, mes chers auditeurs, que l'homme veuille se justifier devant
Dieu par cela même pourquoi Dieu se prépare à le condamner, et que sa témérité
aille jusqu'à ce point, de se couvrir de son propre désordre pour se dérober au
juste châtiment qui lui est dû ? Car nous nous fondons sur notre délicatesse
pour nous rassurer contre le jugement de Dieu ; et c'est sur notre délicatesse
même que Dieu nous jugera : comment? en nous reprochant (ce qui n'est que trop
réel et que trop vrai) et en nous faisant voir que c'était une délicatesse
affectée, que c'était une délicatesse outrée, par conséquent que c'était une
délicatesse criminelle, et que, bien loin de modérer l'arrêt de notre
condamnation, elle en doit d'autant plus augmenter la rigueur, qu'elle aura été
la source de plus de péchés , et qu'en même temps elle nous aura servi de
prétexte pour nous décharger de toute peine et de toute réparation.
Aussi, Chrétiens
, écoutez le formidable arrêt que le Seigneur a prononcé dans
l'Ecriture, et qu'il prononcera encore plus hautement et avec plus d'éclat : Quantum
in deliciis fuit, tantum
date illi tormentum (1).
Que l'oisiveté, la paresse, les aises et les plaisirs de la vie soient la règle
et la mesure de la damnation et du tourment. Car c'est ainsi qu'il exterminera
comme autrefois, et bien plus même qu'autrefois, tous les efféminés d'Israël.
C'est ainsi qu'il se tournera contre eux, et qu'il se dédommagera avec usure de
la satisfaction volontaire qu'il attendait de leur part, et qu'ils lui auront
refusée : Abstulit effeminatos
de terra (2).
Sur cela, mes chers auditeurs, je
finis par un avis important que j'ai à vous donner, mais qui pourrait être pour
vous un scandale, si vous et moi nous le prenions dans le vrai sens où il doit
être entendu. Car je vous dis : Aimez-vous vous-mêmes, mes Frères, et si vous
voulez, aimez votre chair; j'y consens. Ce n'est point précisément l'amour de
vous-mêmes ni l'amour de votre corps que Dieu condamne, puisque personne, selon
la parole du Saint-Esprit, ne hait proprement sa chair : Nemo
carnem suam odio habuit (3). Aimez-la
donc, encore une fois, cette chair ; mais aimez-la d'un amour solide et
chrétien, et non d'un amour terrestre et déréglé; c'est-à-dire aimez-la pour
l'autre vie, et non pour celle-ci. De tous les maux, épargnez-lui le plus
grand, qui est le supplice éternel dont elle est menacée, et où votre mollesse la
conduit. Or vous ne l'aimerez jamais de cet amour sage et véritable, qu'en la
haïssant dans ce monde; je veux dire qu'en l'affligeant, qu'en la renonçant,
qu'en la soumettant, qu'en arrêtant ses
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révoltes, qu'en réprimant ses appétits,
qu'en l'immolant et la sacrifiant. Ce langage lui semble dur, et elle y répugne;
je le sais et je ne m'en étonne pas, puisqu'il s'agit de la dompter et de la
crucifier avec tous ses désirs sensuels. Mais combien mille fois lui sera plus
dure cette sentence que Dieu prononcera contre elle : Allez au feu, et au feu éternel
: Discedite in ignem
œternum (1). Eh quoi ! mondain
voluptueux, femme idolâtre de votre chair, vous l'aimez, cette chair, et vous
l'exposez au coup le plus sensible et le plus accablant dont elle puisse être
frappée ! Vous l'aimez, et vous l'exposez à des flammes allumées du souffle même
de Dieu ! Vous l'aimez, et vous l'exposez à une éternité de souffrances ; et de
quelles souffrances ! Voilà ce que j'appelle l'amour, non-seulement
le plus aveugle, mais le plus insensé. Voilà ce qui me touche pour vous d'une
compassion d'autant plus vive, que je vous vois plus amateurs de vous-mêmes et
plus susceptibles des moindres impressions de la
douleur. Traitons-nous maintenant, mes chers auditeurs, traitons-nous avec
toute la sévérité évangélique , si nous voulons que
Dieu, dans son jugement, nous traite avec toute sa bonté paternelle. Ne nous
faisons grâce sur rien, afin qu'il nous fasse grâce sur tout. Armons-nous
contre nous-mêmes d'une inflexible équité, afin qu'il ne prenne à notre égard
que des sentiments de miséricorde. Préservons-nous de son jugement par le nôtre;
ou parce qu'il faut nécessairement paraître au jugement de Dieu, tâchons, par
la rigueur du nôtre, de mériter ce jugement de faveur,qui mettra les élus de
Dieu dans la possession d'une félicité éternelle , que je vous souhaite, etc.