ESSAI D’AVENT III

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VOLUME II
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ESSAI D’AVENT : TROISIÈME SEMAINE.

 

ESSAI D’AVENT : TROISIÈME SEMAINE.

JEAN-BAPTISTE  TRAÇANT  AUX PEUPLES  DES RÈGLES  DE  MORALE,   ET CONDAMNANT LES VICES LES  PLUS OPPOSÉS   A  L'ESPRIT DE  JÉSUS-CHRIST.

SERMON SUR L'IMPURETÉ.

SERMON SUR L'AMBITION.

SERMON SUR L'ATTACHEMENT AUX RICHESSES.

SERMON SUR LA DOUCEUR CHRÉTIENNE.

SERMON SUR LA MÉDISANCE.

SERMON SUR L'AUMONE.

 

JEAN-BAPTISTE  TRAÇANT  AUX PEUPLES  DES RÈGLES  DE  MORALE,   ET CONDAMNANT LES VICES LES  PLUS OPPOSÉS   A  L'ESPRIT DE  JÉSUS-CHRIST.

 

Ce n'était point assez pour le saint précurseur de prêcher en général la pénitence : mais, afin de mieux instruire les peuples, et de leur donner une connaissance plus distincte de ce qu'il y avait à réformer dans leurs mœurs, il descend au détail des vices les plus opposés à l'esprit de Jésus-Christ, et leur trace des règles de morale toutes contraires à ces désordres. Il condamne donc : 1° L'impureté : Il ne vous est pas permis d'avoir la femme de votre frère (1). 2° L'ambition : Toutes les montagnes et toutes

 

1 Marc, VI, 18.

 

les collines seront abaissées (1). 3° L'attachement aux richesses : Ne demandez rien au delà de ce qui vous est marqué. Contentez-vous de votre solde (2). 4° Les emportements et les violences : Ne faites point de violence (3). 5° La médisance : Ne parlez mal de personne (4). 6° La dureté envers les pauvres : Que celui qui a deux habits en donne un à celui qui n'en a point, et que celui qui a de quoi manger en use de même (5).

 

1 Luc, III, 5. — 2 Ibid.,  14. — 3 Ibid.  — 4 Ibid. — 5 Ibid., 11.

 

DIMANCHE. — Jean-Baptiste condamnant l'impureté.

 

SERMON SUR L'IMPURETÉ.

 

Non licet tibi habere uxorem fratris tui.

Il ne vous est pas permis d'avoir la femme de votre frère. (Marc, VI, 18.)

 

Il fallait tout le zèle et toute la sainteté de Jean-Baptiste, pour parler avec tant d'assurance à un roi possédé de sa passion, et pour s'exposer de la sorte à sa disgrâce. Mais, sans être ni aussi zélé ni aussi saint que ce divin précurseur, il ne fallait qu'une étincelle de raison pour voir toute l'indignité du commerce où Hérode était plongé, et pour en connaître tout le désordre. C'est néanmoins ce que ce prince voluptueux ne voyait pas lui-même, ou ne voulait pas apercevoir; et tel est le caractère et le dérèglement affreux de l'impureté. Il semble, dès qu'on se laisse dominer par ce vice infâme, qu'il nous fasse perdre toute raison, et avec la raison, toute religion. De sorte que l'impudique n'a plus de règle droite et sûre qui le guide, ni raison qui le conduise en qualité d'homme, ni religion qui le conduise en qualité de chrétien. Arrêtons-nous à ces deux pensées. Toute la raison de l'homme renversée par l'impureté : premier point; toute la religion du chrétien profanée par l'impureté : second point. Effets pernicieux d'une passion dont nous ne pouvons trop concevoir d'horreur, et contre laquelle nous ne pouvons nous précautionner avec trop de soin.

 

Premier point. — Toute la raison de l'homme renversée par l'impureté. On n'en doit pas être surpris : car il n'est rien de plus opposé à la raison que les sens; or l'impureté est un péché des sens, et c'est même de toutes les convoitises des sens la plus animale et la plus grossière. De là donc, ou bien elle éteint en nous toutes les lumières de la raison, ou, sans les éteindre, elle nous fait agir contre toutes les vues de notre raison.

1° Elle éteint en nous toutes les lumières de la raison. En effet, à consulter la seule raison, combien y a-t-il de motifs les plus forts et les plus puissants pour nous détourner d'un vice aussi honteux et aussi dangereux que l'est l'impureté? La pudeur naturelle, les bienséances de l'état, du rang, de l'emploi, delà profession ; les suites malheureuses où s'expose surtout une personne du sexe, aux dépens de sa réputation et de tout le bonheur de sa vie; les périls où elle s'engage là-dessus, et les risques qu'elle a à courir ; le dérangement où vit un homme par rapport à ses devoirs, par rapport à son avancement dans le monde, par rapport à la conduite de ses affaires, et souvent par rapport à sa santé qu'il ruine; l'esclavage et la dépendance où il passe ses jours auprès d'une idole dont il est adorateur; les infidélités qu'il éprouve, les désagréments qu'il

 

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essuie, les inquiétudes qui l'agitent, les dépenses qu'il fait et qui l'incommodent; les exemples d'une infinité de gens qui, par là, se sont perdus ; les discours du public, les remontrances et les reproches de ses amis; mille autres considérations plus particulières encore et plus secrètes : tout cela bien examiné et bien pesé, si l'on était raisonnable, devrait servir de préservatif contre les amorces de la plus flatteuse passion. Mais dès qu'elle s'est emparée du cœur, plus d'attention à tout cela : on dépose toute pudeur, on ferme les yeux à toute bienséance, on méprise tout danger, on oublie tout intérêt, on supporte toute contrainte, toute gêne; on dévore tout chagrin, on ne plaint nulle dépense, on ne profite de nul exemple, on n'écoute nul avis, nul conseil. L'esprit et le cœur ne sont occupés que d'un objet : tout le reste disparaît; et où est alors la raison ?

2° Si l'impureté n'éteint pas dans nous les lumières de la raison, du moins nous fait-elle agir contre toutes les vues de notre raison. Point de preuve plus sensible que le témoignage de saint Augustin, qui le connaissait par son expérience propre, et qui s'en est si bien expliqué. Je soupirais, dit-il, je voyais ma faiblesse, j'en rougissais ; et cependant j'étais toujours attaché, non point par une chaîne de fer, mais par ma volonté dépravée, plus dure que le fer. Voilà comment la passion tyrannise un homme qui s'y est une fois livré. Il gémit de sa servitude, et il en sent tout le poids. Il voit tout ce qu'une saine raison demanderait, et il est le premier à reconnaître ses égarements ; mais de briser ses liens et de se dégager, c'est à quoi il ne peut se résoudre. Il suit le charme qui l'enchante, et quoiqu'il condamne dans lui le vice, il n'en est pas moins vicieux. Samson n'ignorait pas que Dalila le trahissait. Que lui disait sur cela sa raison ? Mais sa raison avait beau parler, il ne laissait pas de rechercher avec la même assiduité cette perfide, et de se tenir auprès d'elle. Peut-être à la fin de nos jours vient-il un temps où la raison prend le dessus : mais peut-elle désormais réparer les dommages infinis qu'on s'est causés à soi-même? Plus sage mille fois celui qui les prévient de bonne heure, et qui n'attend pas si tard à y apporter le remède !

Second point. — Toute la religion du chrétien profanée par l'impureté. Deux sortes de profanations : l'une générale, par rapport à tous les états du christianisme; l'autre particulière et plus criminelle encore, par rapport à certains engagements et à certains caractères.

1° On peut dire en général que toute impureté dans un chrétien est une profanation : pourquoi ? parce qu'il souille une chair sanctifiée par le baptême de Jésus-Christ, honorée d'une alliance toute pure avec Jésus-Christ, devenue le temple du Saint-Esprit que l'Apôtre appelle l'Esprit de Jésus-Christ. Morale que nous ne devons point traiter d'idée subtile et superficielle, mais dont nous comprendrions toute la solidité et toute la force, si nous étions plus remplis des principes de la religion et plus touchés de ses sentiments. Morale dont les Pères ont fait plus d'une fois le sujet de leurs instructions, et sur laquelle Tertullien insistait si vivement. Car, disait-il, avant que le Fils de Dieu se fût revêtu d'un corps semblable au nôtre, c'était toujours un crime de s'abandonner aux désirs de la chair ; mais depuis le mystère de l'Homme-Dieu, maintenant et plus que jamais, ce n'est plus seulement un crime, c'est un sacrilège. Morale qu'ils avaient puisée dans l'excellente et sublime théologie de saint Paul, et dans ces fréquentes exhortations qu'il faisait aux fidèles, en leur représentant qu'ils étaient les frères de Jésus-Christ, qu'ils étaient ses membres, qu'ils étaient son corps, et par conséquent qu'ils avaient une obligation plus étroite de se conserver purs et sans tache. Quoi donc! s'écriait dans l'ardeur de son zèle ce maître des Gentils, quoi! les membres de Jésus-Christ, je les abandonnerai à une prostituée (1) ! Quel scandale dans la foi que nous professons ! quel abus énorme !

2° Profanation particulière, et plus criminelle encore par rapport à certains engagements, à certaines vocations, à certains caractères. N'entrons point là-dessus trop avant dans un détail qui pourrait blesser les âmes innocentes et chastes. Il serait à souhaiter que ces abominations fussent ensevelies dans un éternel oubli : mais le moyen de dérober à la connaissance du public des désordres si publics? Que veux-je donc dire ? Vous le savez, vous qui, liés par le sacré nœud du mariage, après vous être juré, au pied de l'autel, une fidélité mutuelle et inviolable, démentez toutes vos promesses, et profanez un sacrement si saint par des attachements si illégitimes; vous le savez, vous qui, sans respect pour le Dieu vivant et pour la présence de son Fils adorable, osez profaner le temple même, le sanctuaire,

 

2 Cor., VI, 15.

 

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la table de Jésus-Christ, et y apporter toute la corruption d'un cœur sensuel et dissolu ; vous le savez, vous qui, voués spécialement au Seigneur, élevés aux plus hauts ministères, employés à la célébration des mystères les plus redoutables, consacrés pour cela, et comme marqués du sceau de Dieu, vous dégradez vous-mêmes, et n'avez point horreur de profaner dans votre caractère ce que la religion a de plus auguste et de plus divin. Après cela nous étonnerons-nous de tant de calamités qui se répandent sur la terre ; et n'est-ce pas le juste châtiment de la licence effrénée de notre siècle et du débordement de nos mœurs? Rappelons toute notre raison , ranimons toute notre religion : l'une et l'autre, avec la grâce du ciel, purifieront nos voies, et rétabliront le peuple de Dieu dans sa première sainteté.

 

LUNDI. — Jean-Baptiste condamnant l'ambition.

SERMON SUR L'AMBITION.

 

Omnis mons et collis humiliabitur.

Toutes les montagnes et toutes les collines seront abaissées.  (Luc, 111,5.)

 

Puisque le Fils unique de Dieu descend du sein de son Père, et qu'il vient sur la terre s'abaisser lui-même et s'anéantir, il est bien juste que les montagnes du siècle, c'est-à-dire que les grandeurs humaines s'humilient, et qu'elles déposent aux pieds de cet Homme-Dieu tout leur orgueil. Mais, par le plus déplorable renversement, tandis que la Majesté divine quitte le trône de sa gloire et s'abîme en de profondes ténèbres, l'homme veut s'élever, se distinguer, et ne pense qu'à satisfaire son ambition. Esprit répandu dans tous les états de la vie et même jusque dans les plus viles conditions, où chacun, selon qu'il lui peut convenir, est jaloux d'une certaine supériorité qui le place au-dessus de ses égaux, et qui lui donne sur eux l'ascendant. C'est ce désir de l'honneur, cet esprit d'ambition, que nous devons aujourd'hui combattre, comme opposé directement à l'esprit de Dieu : car c'est par là, et non par les raisons d'une sagesse mondaine, que nous allons l'attaquer. Ambition dont nous verrons tout ensemble et le désordre et le malheur : ambition criminelle, et ambition malheureuse ; criminelle devant Dieu , malheureuse de la part de Dieu. Ambition criminelle devant Dieu : en quoi? dans les projets qu'elle inspire à l'ambitieux : premier point. Ambition malheureuse de la part de Dieu : comment? par les jugements et les coups du ciel qu'elle attire sur l'ambitieux : second point. La suite développera mieux encore ces deux vérités.

 

Premier point. — Ambition criminelle devant Dieu dans les projets qu'elle inspire à l'ambitieux. On veut s'agrandir précisément pour s'agrandir ; on le veut pour jouir des avantages temporels de la grandeur. On le veut à l'infini, sans se prescrire aucun terme où l'ambition s'arrête; on le veut indépendamment de Dieu ; on le veut sans égard au mérite, et sans être en peine si l'on a les dispositions requises; enfin, on le veut par les voies les plus illicites, et aux dépens de la conscience. Tout cela autant de désordres par où l'ambition devient criminelle devant Dieu. Reprenons toutes ces propositions.

1° On veut s'agrandir précisément pour s'agrandir : on ne cherche dans la grandeur que la grandeur même. Or la grandeur, comme grandeur ne convient qu'à Dieu, qui est seul grand, et qui le doit seul être. Vouloir donc s'élever et se faire grand, c'est une espèce d'attentat sur les droits du Seigneur, et de cet Etre suprême devant qui tout être créé n'est que néant. 2° On veut s'agrandir pour jouir des avantages temporels de la grandeur, c'est-à-dire pour se glorifier, pour recevoir des hommages et des respects, pour tenir partout le premier rang, pour vivre dans la pompe et dans l'éclat. Or, ce n'est point à cela que les grandeurs du siècle sont destinées, et n'y envisager que cela, c'est un abus hautement condamné dans la loi de Jésus-Christ : elles sont établies pour la gloire de Dieu, et non point pour la nôtre. 3° On veut s'agrandir à l'infini, et sans se prescrire jamais un terme où l'ambition s'arrête : plus on monte, plus on veut monter ; et à peine a-t-on fait un pas, que la pensée naît d'en faire un autre. Désir insatiable, désir déréglé, contraire à la modestie et à la modération chrétienne. Mais désir surtout condamnable dans des gens de rien, quand à force de se pousser, devenus plus audacieux,

 

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ils ne rougissent point d'aspirer enfin aux degrés les plus éminents, et prétendent, comme l'ange superbe, se placer au-dessus des nues et des astres de la première grandeur. 4° On veut l'agrandir indépendamment de Dieu et sans faire nul fonds sur Dieu. L'ambitieux compte sur lui-même,compte sur son industrie, compte sur des amis, sur de puissants protecteurs; mais pense-t-il à mettre Dieu dans ses intérêts? Contre l'oracle et l'expresse défense du Saint-Esprit, il s'appuie sur un bras de chair. Voilà toute sa ressource. 5° On veut s'agrandir sans égard au mérite, et sans examiner si l'on a les dispositions requises : témérité insoutenable ; on s'ingère dans des postes, dans des ministères, dans des prélatures qu'on n'est pas en état de remplir, et où l'on ne doit néanmoins entrer que pour en accomplir tous les devoirs. 6° On veut s'agrandir par les voies les plus illicites et aux dépens de la conscience : y a-t-il iniquité que l'ambition n'emploie pour venir à bout de ses desseins? Mais la conscience y répugne : hé ! qu'est-ce que la conscience d'un ambitieux?ou a-t-il une autre conscience que son ambition? Concluons par les paroles de Jésus-Christ, et disons que, de la manière dont on se comporte dans la poursuite des honneurs du monde, ce qui est grand aux yeux des hommes n'est qu'abomination aux yeux de Dieu (1).

 

Second point. — L'ambition malheureuse de la part de Dieu : comment? par les jugements et les coups du ciel qu'elle .attire sur l'ambitieux. Nous na lisons point dans l'Ecriture de menaces plus ordinaires que celle-ci, savoir : que Dieu confondra les orgueilleux de la terre ; que tandis qu'ils s'épuiseront de travaux et de soins pour l'établissement de leur fortune et pour leur agrandissement, il déconcertera leurs mesures, il dissipera leurs desseins, il fera échouer leurs entreprises : que s'il les laisse parvenir au point de prospérité où ils visaient, ce sera pour tourner contre eux leur prospérité même, et qu'ils y trouveront une source de chagrins et de déplaisirs les plus mortels; que s'il les laisse atteindre jusques au faîte de la grandeur, ce sera pour rendre leur chute d'autant plus désastreuse et plus éclatante qu'ils tomberont de plus haut, et que, dans leur ruine, il les abandonnera à eux-mêmes et à leur désespoir. Menaces qui ne regardent que la vie présente : car ne parlons point de ce que Dieu prépare à l'ambitieux

 

1 Luc, XVI, 15.

 

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dans l'éternité. Menaces confirmées par tant d'exemples dont les saints livres nous font le récit. Menaces qui se vérifient encore de siècle en siècle par mille événements que nous devons attribuer à la justice de Dieu, et qui sont de visibles, mais terribles châtiments de l'ambition.

1° Combien y en a-t-il que Dieu arrête au milieu de leur course? Ils s'agitaient, ils se tourmentaient, ils disposaient les choses avec toute l'adresse et toute l'assiduité imaginable ; une espérance presque certaine leur répondait du succès ; mais un fâcheux contre-temps, mais la mort d'un patron, mais le refroidissement d'un ami, mais la faveur d'un concurrent, mais quelque sujet que ce soit, a tout à coup rendu inutiles tant de démarches et tant de mouvements. Comme cette tour de Babylone, l'ouvrage est demeuré imparfait; et de cette fortune qu'on voulait bâtir, il n'est resté que la douleur d'y avoir perdu ses peines et vainement consumé ses jours. Ils édifieront, dit le Seigneur, et de mon souffle je disperserai tout ce qu'ils auront amassé de matériaux et fait de préparatifs. 2° Combien y en a-t-il qui, plus heureux en apparence, ont obtenu ce qu'ils souhaitaient? Tous les chemins leur ont été ouverts, tout les a soutenus; mais, dans leur élévation, à quoi se sont-ils vus exposés? à la censure et aux mépris, aux plaintes et aux murmures, aux traverses et aux contradictions, aux alarmes continuelles, aux affaires les plus désagréables, aux embarras les plus accablants, aux dégoûts et aux déboires les plus affreux; de sorte qu'ils ont été forcés de reconnaître que dans la médiocrité de leur premier état ils étaient mille fois, et plus honorés du public, et plus contents en eux-mêmes. Ils se promettaient de marcher dans des voies tout aplanies, mais Dieu les a semées d'épines. 3° Combien d'autres, après avoir vécu un certain nombre d'années dans la splendeur, et y avoir eu tout l'agrément qu'ils pouvaient attendre, ont été renversés par une disgrâce? de quelles chutes avons-nous entendu parler, et avons-nous même été témoins? Tout s'est éclipsé : des familles entières sont tombées avec leur chef, et l'éclat des pères n'a pu passer jusques aux enfants : car ce sont là les coups du bras tout-puissant de Dieu, et c'est ainsi qu'il abat de leur trône les potentats qui se confiaient en leur pouvoir. 4° Encore s'il daignait les consoler dans leur infortune ! mais parce que jamais ils ne se sont occupés de Dieu et que jamais ils n'ont su recourir à Dieu, il les livre à

 

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leurs noires mélancolies. Il les voit se ronger, se désoler, dépérir, sans verser sur eux une goutte de son onction divine pour leur adoucir l'amertume du calice. Apprenons de Jésus-Christ à être humbles; c'est ce qu'il vient nous enseigner,  et c'est dans notre humilité que nous trouverons tout à la fois et l'innocence et le repos de nos âmes.

 

MARDI. — Jean-Baptiste condamnant l'attachement aux richesses.

 

SERMON SUR L'ATTACHEMENT AUX RICHESSES.

 

Nihil amplius quam quod constitutum est vobis, faciatis... contenti estote stipendiis vestris.

Ne demandez point au delà de ce qui vous est marqué... contentez-vous de votre solde. (Luc, III, 14.)

 

Rien de plus juste que cette règle de conduite, rien de plus conforme à la droite raison. Les publicains à qui parlait Jean-Baptiste, établis pour recevoir les deniers publics, ne devaient point grossir leur recette, en exigeant au delà du prix ordinaire; et les soldats, contents de leur solde, ne devaient rien prétendre au-dessus de ce qui leur était assigné par l'ordre du prince. Que de désordres cesseraient, si l'on se conduisait dans tous les états selon cet esprit d'équité! mais une insatiable avarice semble l'avoir banni du monde; et si l'iniquité règne dans toutes les conditions, on peut dire que c'est surtout par l'attachement aux richesses. Passion qu'il nous importe infiniment de déraciner de nos cœurs; et rien ne doit plus fortement nous y exciter, que d'en considérer les divers caractères : car c'est une passion vaine, inquiète, dangereuse : vaine dans son objet, inquiète dans ses mouvements, dangereuse dans ses effets. Passion la plus vaine dans son objet; ce sont les biens temporels qu'elle se propose : premier point. Passion la plus inquiète dans ses mouvements ; ce sont les soins fatigants et les embarras où elle jette : second point. Passion la plus dangereuse dans ses effets ; ce sont les injustices qu'elle fait commettre aux dépens de la conscience et du salut : troisième point. Bienheureux les pauvres de cœur, qu'un saint détachement dégage d'une passion si frivole, si importune, si pernicieuse?

 

Premier point. — Passion la plus vaine dans son objet. Il ne s'agit point ici de la vue sage et modérée qu'on peut avoir de ne pas manquer dans son état, et de s'y soutenir honnêtement. C'est une prudence, et Salomon lui-même demandait à Dieu de ne pas tomber dans l'extrême pauvreté ; mais il ne souhaitait pas

avec moins d'ardeur que Dieu le préservât de la passion des richesses, la regardant comme une des passions les plus frivoles et les plus vaines.

En effet, à quoi aspire-t-elle, et pourquoi y aspire-t-elle? A quoi aspire-t-elle ? aux biens de la vie ; à les amasser, à les multiplier, à les accumuler; car c'est une de ces deux sangsues qui nous sont représentées au livre des Proverbes, et qui, ne se trouvant jamais remplies, ne cessent point de crier : Apporte, apportel. Or, qu'est-ce que ces biens qui allument une soif si ardente? des biens temporels, passagers, périssables; des biens qu'on acquiert aujourd'hui et qu'on perd demain, des biens qui du moins un jour nous seront certainement enlevés et dont on n'emportera rien avec soi, des biens qui du moins nous causeront d'autant plus de douleur quand, malgré nous, il les faudra quitter, que nous y aurons été plus attachés. En vérité, pour peu qu'on raisonne, peut-on ne pas voir que des biens de cette nature ne doivent point faire naître des désirs si vifs, et que de s'en infatuer, c'est une vanité et une faiblesse pitoyables? .

2° De plus, cette passion si aveugle, pourquoi aspire-t elle à ces biens visibles et terrestres? Est-ce pour en jouir? est-ce pour en goûter les douceurs? C'est seulement et précisément pour les posséder : car pour en jouir il faudrait en user, et l'usage les diminuerait. Or c'est ce qu'une âme intéressée ne veut point. On veut toujours mettre en réserve, et jamais ne rien ôter. De là, jusqu'au milieu de l'abondance, les plus sordides épargnes. Au lieu que l'Apôtre, plein de l'esprit de l'Evangile, disait : Nous n'avons rien et nous possédons tout (2); l'avare, idolâtre de son trésor, doit dire : J'ai tout, et je vis comme ne possédant rien. Qui donc jouira de tant de biens? des héritiers, et non point le maître qui les a actuellement dans les mains. Voilà ce que le Saint-Esprit, dans la Sagesse, appelle une grande misère, et ce que nous pouvons appeler une insigne folie.

 

1 Prov., XXX, 30. — 2 2 Cor., VI, 10.

 

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Second point. — Passion la plus inquiète dans ses mouvements. C'est pour cela que l'Evangile compare les richesses à des épines, qui de leurs pointes piquent le cœur et déchirent l'âme. Inquiétude dans l'acquisition des biens iprès lesquels on soupire, et inquiétude dans leur possession.

1° Inquiétude dans l'acquisition : car ces biens ne viennent pas se présenter d'eux-mêmes ; il faut les rechercher, et Ce n'est pas sans peine qu'on les trouve. Mille obstacles s'opposent aux desseins qu'on forme, mille accidents les dérangent et les arrêtent. Cependant la passion d'avoir sollicite, presse, ne peut souffrir de retardements, tant elle est précipitée ; ne peut se contenter de rien, tant elle est avide. De là donc les troubles et les agitations. On se surcharge de travail, d'affaires, d'entreprises. L'une terminée, on s'engage dans une autre, et souvent même on les embrasse toutes à la fois. On y pense la nuit, on s'en occupe le jour ; on y sacrifie son repos, on y altère sa santé, on y expose sa vie. A force de vouloir se procurer un prétendu bonheur que l'imagination fait consister dans l'opulence, on se rend malheureux, et l’on consume ses années dans un tourment que la mort seule finit.

2° Inquiétude dans la possession. Il n'en coûte pas moins pour conserver que pour acquérir. Ce qu'on aime, on craint de le perdre ; et plus on l'aime, plus les alarmes sont fréquentes : car on les prend aisément. Une perte qui arrive chagrine, et est capable de désoler un homme à qui néanmoins il reste d'ailleurs beaucoup plus qu'il ne lui faut pour être en état de porter le dommage qu'il a souffert. Parce qu'on est âpre sur l'intérêt, on ne veut rien laisser inutile, mais on prétend que tout ce qu'on a profite, et ce sont toujours pratiques nouvelles, toujours nouvelles fatigues. On ne veut rien céder, rien relâcher de ses droits ; on les exige à la rigueur, et de là les contestations, les démêlés, les procès. Il n'y a là-dessus qu'à interroger tant de riches du siècle, et qu'à les faire parler. Leur convoitise les dévore; mais s'ils savaient la contenir et la régler, avec une fortune un peu moins ample, ils vivraient beaucoup plus tranquilles, et cette paix vaudrait mieux que toutes leurs richesses.

 

Troisième point. — Passion la plus dangereuse dans ses effets à l'égard de la conscience et du salut. Outre que l'attachement aux biens de la vie est en soi un péché, et qu'il a sa malice propre, c'est encore la source de mille péchés. Vérité d'autant plus triste et plus déplorable, qu'elle a moins besoin de preuves, et que les exemples en sont plus communs. Y a-t-il injustice que cette passion ne fasse commettre, et y a-t-il injustice qu'elle n'empêche de réparer?

1° Quelles sortes d'injustices cette criminelle passion ne fait-elle pas commettre? Qu'a-t-on vu dans tous les siècles, et que voyons-nous autre chose tous les jours, que des usures, que des fraudes, que des violences, que des concussions? Quelles voies n'a-t-on pas imaginées pour gagner et pour s'enrichir aux dépens des particuliers, aux dépens du juste, aux dépens du pauvre, aux dépens de la veuve, de l'orphelin ; et cela, non point seulement dans le monde libertin et corrompu, mais dans le monde même chrétien, parmi un certain monde assez réglé d'ailleurs, et réputé vertueux et dévot? Iniquités plus grossières dans les uns, iniquités plus subtiles et plus couvertes dans les autres, mais toujours iniquités qu'on ne justifiera jamais au tribunal d'une conscience droite et saine, quoiqu'on ne manque pas d'artifices et de détours pour les accorder avec une conscience fausse et erronée.

2° Le comble de l'iniquité, c'est que la même passion qui fait commettre tant d'injustices empêche de les réparer. La nécessité de la restitution est un principe universellement reçu; nul ne l'ignore : mais la pratique de la restitution est une chose presque absolument inconnue. Chacun sait s'en dispenser : pourquoi? parce que chacun ne consulte que son attache au bien, et qu'il n'est rien de plus ingénieux que cette damnable avarice à inventer des prétextes et à éluder les plus étroites obligations. Mais si elle se déguise à nos yeux, elle ne peut se déguiser aux yeux de Dieu, qui la dévoilera dans son jugement, et qui la réprouvera. Gardons-nous d'une si terrible condamnation , et suivons l'avis que nous donne le Sauveur des hommes : Ne cherchez point à amasser des trésors sur la terre, où la rouille et les vers consument tout ; mais travaillez à amasser des trésors dans le ciel, où il n'y a ni rouille ni vers qui consument. Car où est votre trésor, là est votre cœur (1).

 

1 Matth., VI, 21.

 

MERCREDI. — Jean-Baptiste condamnant les violences et les emportements.

 

SERMON SUR LA DOUCEUR CHRÉTIENNE.

 

Neminem concutiatis.

Ne faites point de violence. (Luc, III, 14.)

 

Rien de plus pernicieux dans la société humaine et dans le commerce de la vie, que la colère. Elle cause des violences qui troublent tout, et mille épreuves ont fait connaître quelles en sont les suites funestes, et à quelles extrémités elle est capable de nous emporter. C'est pourquoi le Sauveur des hommes nous a tant recommandé la douceur, et nous Ta proposée comme une béatitude en ce monde, parce qu'elle arrête tous ces excès, et qu'elle établit partout le bon ordre et la tranquillité. Douceur chrétienne, dont peu de personnes comprennent bien tous les avantages, et à laquelle on ne donne pas communément, parmi les vertus, le rang qui lui est dû. Or nous en allons considérer tout ensemble, et le mérite et le fruit. Le mérite qui en fait l'excellence : premier point. Le fruit, qui dès cette vie même en est la récompense : second point. De l'un et de l'autre nous apprendrons à nous conduire en toutes choses selon l'esprit de cette paix que le Fils de Dieu vient apporter sur la terre, et qui est un des plus beaux caractères de son Evangile.

 

Premier point. — Le mérite de la douceur chrétienne. Il consiste en ce que cette vertu demande une victoire de nous-mêmes la plus héroïque, et une victoire de nous-mêmes la plus constante.

1° Victoire de nous-mêmes la plus héroïque. Car il n'est pas ici question d'une douceur de naturel qui ne s'émeut de rien, et qui, sans effort, s'accommode à tout ce qui se présente et à tout ce qu'on souhaite. C'est un don de Dieu, mais ce n'est pas précisément une vertu. II s'agit d'une douceur chrétienne dont les devoirs'sont de réprimer dans le fond de l'âme toutes les vivacités et toutes les saillies que la colère peut exciter ; de ne donner au dehors nuls signes ni d'impatience, ni d'aigreur, en des rencontres néanmoins où le cœur souffre intérieurement et se sent piqué ; de mesurer toutes ses paroles, et de n'en laisser pas échapper une ou de mépris ou de plainte même à l'égard de ceux dont on a plus lieu d'être malcontent; de se comporter dans toutes ses manières avec un air toujours honnête, modeste, humble et affable ; d'user de condescendance dans les occasions contre son inclination propre, et de se gêner, de se contraindre en faveur de certains esprits difficiles, en faveur de certaines personnes, plus capables que les autres, par leurs imperfections et leurs faiblesses, d'inspirer de l’éloignement et du dégoût. Or, pour cela quelle violences n'est-on pas obligé de se faire, et que ne doit-on pas prendre sur soi ? Car la douceur ne rend ni aveugle ni insensible : on s'aperçoit des choses, on en est touché , et si l'on suivait les impressions de la nature, on éclaterait; mais en vue de Dieu, et par un esprit du christianisme , on étouffe sa peine et on l'ensevelit. Est-il un plus beau sacrifice ? est-il une abnégation de soi-même^une mortification plus parfaite?

2° Victoire de nous-mêmes la plus constante. Il y a des vertus dont la pratique est plus rare, parce que les sujets en sont moins ordinaires et moins fréquents. Mais la douceur dont nous parlons est une vertu de tous les états, de tous les lieux, de toutes les conjonctures, de tous les temps; une vertu de toute la vie et de tous les moments de la vie : car toute la vie se passe à penser, à converser, à traiter avec le prochain, à agir; et par conséquent, les sujets sont continuels de se vaincre, en ne se départant jamais d'une douceur toujours égale, soit dans les sentiments, soit dans les paroles, soit dans les actions. Continuité qui donne le prix à toutes les vertus, et qui en est comme le couronnement et la perfection. Hélas! les moyens de se sanctifier ne nous manquent point, mais nous leur manquons. Où est cette douceur évangélique, et où la trouve-t-on? Je ne demande pas où l'on trouve une douceur affectée et de politique, une douceur apparente et de pure bienséance, une douceur de tempérament et d'indifférence : or voilà quelle est la douceur que font paraître en certaines rencontres un nombre infini de mondains. L'intérêt les retient, et ils craignent de se faire tort en éclatant, et de nuire à leur fortune. Une vaine gloire les arrête, et ils croiraient se déshonorer s'ils venaient à perdre la gravité et la modération qui convient à leur âge, à leur état, à leur caractère. Une lente et molle indolence

 

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les rend insensibles à mille choses qui, selon les vues ordinaires et humaines , devraient les piquer et les soulever. Mais tout cela ne peut être devant Dieu de nulle valeur, puisque tout cela n'a Dieu ni pour principe ni pour fin. Je demande donc où l’on trouve cette douceur que Jésus-Christ a canonisée, et dont il a été le modèle; cette douceur qui, par le motif d'une charité fraternelle et toute divine, apprend au fidèle à se renoncer, à se captiver, à se modérer, à se taire, à supporter, à pardonner, à ne s'expliquer qu'en des termes obligeants, et à ne témoigner jamais ni amertume ni dédain. Où, dis-je, est-elle ? L'usage du monde et de toutes les conditions du monde ne fait que trop voir combien elle y est peu connue et peu mise en œuvre.

 

Second point. — Le fruit de la douceur chrétienne : c'est la paix au dedans de soi-même, et la paix au dehors.

1° La paix au dedans de soi-même. Un des plus grands biens que nous avons à désirer pour le bonheur de notre vie et en même temps pour la sanctification de notre âme, c'est de nous rendre maîtres de nous-mêmes et de nos passions ; surtout maîtres de certaines passions plus vives, plus impétueuses, plus turbulentes. Sans cet empire, point de paix intérieure. Et de quelle paix en effet peut être assuré et peut jouir dans son cœur un homme sujet aux colères, aux promptitudes, aux dépits, aux aversions, aux antipathies, aux envies, aux vengeances ? D'une heure à une autre peut-il compter sur lui-même, et n'est-il pas comme une mer orageuse, où les flots s'élèvent au premier vent et forment de rudes tempêtes ? Or, que fait la douceur chrétienne? elle bannit toutes ces passions, ou elle les combat ; et, à force de les combattre, elle les soumet et les calme. On prend tout en bonne part : ce qu'on ne peut justifier, on le tolère; on ne s'offense point, on ne s'aigrit point; et parla que de mouvements du cœur et de pénibles sentiments on s'épargne ! que de réflexions chagrinantes !

que d'agitations de l'esprit et de dissipations ! Mais, ce qui est encore plus important, de combien de fautes, de combien de péchés se préserve-t-on ! Quelles grâces du ciel, quelles communications divines est-on en disposition de recevoir! Car, comme Dieu ne se plaît point dans le trouble, il aime à demeurer dans la paix, et une âme pacifique est d'autant mieux préparée à le posséder, qu'elle sait mieux se posséder elle-même.

2° La paix au dehors. On l'entretient par la douceur ; c'est-à-dire qu'on vit bien avec tout le monde. Et le moyen qu'on eût avec qui que ce soit quelque démêlé, puisqu'on est toujours attentif à ne rien dire et à ne rien faire qui puisse blesser personne ; puisqu'on est toujours prêt à prévenir les autres et à leur céder ; puisqu'on a un soin extrême d'éviter toute contestation qui pourrait naître entre eux et nous ; puisque partout on leur donne toutes les démonstrations d'une affection sincère, et d'une pleine déférence à leurs volontés? C'est ainsi qu'on se les attache, et que la parole du Fils de Dieu s'accomplit, savoir, que les débonnaires gagneront toute la terre (1). Heureuses donc, soit dans l'état séculier, soit dans l'état religieux, toutes les sociétés qu'une charité douce et officieuse assortit, et où elle maintient la bonne intelligence et l'union des cœurs ! Mais, par une règle toute contraire, on ne saurait assez pleurer le sort de tant de familles, de tant de maisons et de compagnies, où des esprits ardents, des esprits impatients et brusques, des esprits durs et intraitables, des esprits fiers et hautains, défiants et délicats, des esprits critiques et sévères à l'excès, des faux zélés, d'impitoyables et de faux réformateurs, allument le feu de la discorde, et sèment les querelles et les divisions. Quels scandales , quels maux s'ensuivent de là ! On n'en est que trop instruit ; mais pour couper court à de tels désordres, et pour y remédier, on ne peut trop s'étudier soi-même, ni trop prendre de précautions.

 

1 Matth., V, 4.

 

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JEUDI. — Jean-Baptiste condamnant la médisance.

 

SERMON SUR LA MÉDISANCE.

 

Neque calumniam faciatis.

Ne parlez mal de personne. (Luc, III, 14.)

 

Ce que condamne le saint précurseur, ce ne sont point seulement ces fausses suppositions que le mensonge imagine, et ces lâches calomnies dont il noircit le prochain ; mais ce sont ces médisances, en cela même plus mortelles ou du moins plus irréparables que la vérité les accompagne, et qu'elles sont fondées sur des faits plus réels et plus certains. Est-il un péché plus à craindre ? en est-il un contre lequel il nous importe plus de nous prémunir par toute la vigilance et toute l'attention nécessaire? Il y a des péchés où l'on se porte plus difficilement, et cette difficulté sert en quelque sorte de préservatif pour s'en défendre. Il y a des péchés où nous nous laissons entraîner plus aisément, mais où nous péchons aussi plus légèrement; et cette légèreté de l'offense en diminue le péril. Mais un péché où se rencontrent tout à la fois et une extrême facilité à le commettre, et une offense griève en le commettant, voilà ce que nous devons regarder comme un des péchés les plus dangereux : et n'est-ce pas là le double caractère de la médisance? Facilité de la médisance : premier point. Grièveté de la médisance: second point. Ces deux points, unis ensemble et rapportés l'un à l'autre,nous feront comprendre l'oracle du Saint-Esprit : que c'est un bonheur inestimable de savoir bien gouverner sa langue, et de ne pécher point en paroles.

 

Premier point. — Facilité de la médisance. Un péché où nous porte le penchant de la nature ; un péché dont l'occasion nous est fréquente et presque continuelle ; un péché que nous nous justifions à nous-mêmes par de spécieux prétextes et des sujets apparents ; un péché qui ne coûte que quelques paroles, et dont les moyens sont toujours les plus présents et les plus prompts ; enfin un péché qui fait l'agrément des conversations, et qui se trouve applaudi et bien reçu de tout le monde, c'est sans doute un péché aisé à commettre. Or telle est la médisance.

1° Péché où nous porte le penchant de la nature, je dis de la nature corrompue ; car voici quelle est la perversité de notre esprit ; nous nous rendons mille fois plus attentifs à découvrir dans le prochain le mal que le bien, et nous sommes incomparablement plus enclin! à nous entretenir de ses mauvaises que de ses bonnes qualités. C'est ce que nous éprouvons tous : mais outre cette inclination commune, il y en a encore de plus particulières dans une multitude infinie de gens, les uns légers à parler, et ne pouvant rien retenir de ce qu'ils savent ou qu'ils croient savoir ; les autres critiques et censeurs, trouvant partout à reprendre, et s'épanchant volontiers sur tout ce qu'ils remarquent dans autrui, ou qu'ils pensent y remarquer, d'imperfections et de défauts : or. dès que c'est la pente naturelle qui nous conduit, a-t-on de la peine à suivre le mouvement dont on se sent emporté?

2° Péché dont l'occasion nous est fréquente et presque continuelle. Eh ! que fait-on autre chose dans la société humaine, que de se voir, que d'avoir ensemble d'oisifs et de longs entretiens ; et parce qu'il ne semble pas qu'on puisse les soutenir sans le secours de la médisance, de quelle autre chose s'occupe-t-on? On se donne l'exemple les uns aux autres, on s'excite le?uns les autres ; les plus sages ne peuvent résister au torrent, et sont en quelque manière forcés d'entrer dans le discours, et de se joindre à ceux qui l'ont entamé. Bien loin qu'il leur fût difficile de médire, il ne leur serait presque pas possible de s'en abstenir et de se taire.

3° Péché que nous nous justifions à nous-mêmes par de spécieux prétextes et des sujets apparents. On dit : Que faire? il faut bien que quelqu'un soit mis en jeu ; autrement on tarirait bientôt, et on demeurerait dans le silence. On dit : Il faut bien être instruit de tout ce qui se passe ; il faut bien connaître le monde, afin de ne s'y pas tromper. On dit : Je n'ai rien contre ces personnes, et je ne prétends point leur nuire ; si j'en parle, c'est fort indifféremment. On dit : La chose n'est pas secrète, ou dans peu elle cessera de l'être. On dit : C'est un homme dont je n'ai pas lieu d'être content, il en use mal : pourquoi l'épargnerai-je? il se fait trop valoir ; il est bon de l'humilier. On dit : Je n'en impose point, je n'avance rien de faux, tout est comme je le rapporte. Enfin, que ne dit-on pas? et, rassuré de la sorte, avec

 

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quelle liberté ne s'explique-t-on pas et ne lance-t-on pas les traits les plus piquants?

4° Péché qui ne coûte que quelques paroles, et dont les moyens sont toujours les plus présents et les plus prompts : il ne s'agit que de s'énoncer, ou même, au défaut de la voix, un geste, un signe, un coup d'oeil suffit, et dans un moment fait concevoir tout ce que la bouche pourrait exprimer : car on médit en plus d'une façon, et il y a pour cela plus d'un langage.

5° Péché qui fait l'agrément des conversations, et qui se trouve applaudi et bien reçu de tout le monde. Ce n'est pas que dans le fond de l'âme, on n'ait souvent en horreur le médisant; mais la médisance plaît, surtout quand elle est assaisonnée de bons mots, c'est-à-dire de mots qui percent, qui déchirent, qui exposent le prochain à la risée, et qui insultent en quelque sorte à sa honte et à son malheur. Tous les esprits alors se réveillent pour écouter, et on redouble l'attention : il n'est donc point surprenant, après cela, qu'avec un accès si facile la médisance fasse de si grands progrès, et que sans obstacle elle répande de tous côtés son venin. Aussi est-ce le péché le plus commun, et de là les parfaits chrétiens tirent deux conséquences : la première, d'éviter, autant qu'il leur est possible, le commerce du monde; et la seconde, d'y être toujours eu garde toutes les fois qu'ils y sont appelés : car ils n'ignorent pas combien la médisance est un mal contagieux, et avec quelle subtilité et quelle vitesse il se communique.

 

Second point. — Grièveté de la médisance. C'est un principe général, et que nous devons reconnaître avant toutes choses, savoir : que la médisance est, de sa nature, un péché grief : pourquoi? par le tort qu'elle fait au prochain, à qui elle ravit le plus cher de tous les biens de la vie humaine et civile, qui est la réputation. Car la réputation, disent les théologiens, est un bien propre où chacun a droit, et un bien d'une valeur inestimable dans l'opinion des hommes : par conséquent, si je l'enlève à mon frère sans un titre légitime et sans une solide raison, c'est une injustice dont je me rends coupable envers lui, et dont je lui dois une réparation aussi entière qu'elle le  peut être. Mais, pour ne pas insister davantage sur un point si universellement établi et tant de lois traité dans la chaire,   attachons-nous à quelques circonstances particulières sur quoi il est moins ordinaire de s'expliquer, et mesurons ici la grièveté de la médisance par le caractère des personnes qu'elle attaque, par les tours malins qu'on lui donne, par le dessein prémédité qu'on s'y propose, par l'éclat avec lequel on la répand, par les scandales qui en naissent : cinq degrés d'injustice, et cinq articles qui contiennent tout le fond de cette seconde partie.

1° Grièveté de la médisance par le caractère des personnes qu'elle attaque. A qui fait-elle grâce, et où ne porte-t-elle pas ses coups? Y a-t-il une dignité si auguste qu'elle respecte? y a-t-il une profession si sainte qu'elle épargne ? Or, il est vrai néanmoins qu'il y a des places, des rangs, des professions où la réputation est beaucoup plus précieuse, plus délicate, plus aisée à blesser que dans les autres, et où les brèches qu'on y fait ont des conséquences beaucoup plus funestes. Ce qui n'est qu'une atteinte légère pour un homme du monde est une profonde blessure pour un homme d'église , pour un pasteur des âmes, pour un ministre des autels. Mais la médisance ne connaît point cette distinction, et ne la veut point connaître : on confond le séculier et le régulier. Que dis-je? c'est souvent contre le régulier qu'on se déchaîne avec plus d'aigreur, et l'on ne prend pas garde qu'en le décréditant on arrête tout le fruit de son ministère, et qu'on le met peut-être hors d'état d'exercer jamais utilement ses fonctions.

2° Grièveté de la médisance par les tours malins qu'on lui donne. Un fait rapporté simplement, et mis dans son jour naturel, peut faire moins d'impression. Mais ce n'est point assez pour la médisance ; il faut qu'elle en raisonne, il faut qu'elle l'enfle, qu'elle l'exagère, qu'elle l'interprète à son gré, qu'elle en pénètre les plus secrètes intentions, qu'elle en développe tous les plis et tous les replis : comme si elle n'était pas contente du récit injurieux qui la rend déjà criminelle, et qu'elle voulût encore y ajouter le jugement téméraire de la calomnie.

3° Grièveté de la médisance par le dessein prémédité qu'on s'y propose. Médire par entretien et par une espèce d'amusement, médire par inconsidération et par envie de parler, c'est toujours être condamnable : mais qu'est-ce donc de médire pour médire? Expliquons-nous. Qu'est-ce de médire pour déshonorer, de médire pour diffamer, de médire pour couvrir des gens d'opprobre, sans autre vue que l'opprobre même qui doit rejaillir sur eux? Car voilà jusqu'où va la médisance. Est-ce méchanceté pure? est-ce quelque intérêt, quelque

 

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passion qui anime? Quoi que ce soit, on ne s'en tient pas à ce qui semble de soi-même se présenter, ni à ce qu'on sait par les voies communes; mais on s'informe, mais on tâche de s'instruire, mais on recueille de toutes parts des mémoires, et l'on en grossit des volumes. Tout cela à quelle fin, et quelle en est l'utilité? quel en est le fruit? point d'autre que de décrier des particuliers, que de flétrir des familles, que d'humilier des maisons, que de scandaliser le public , et de le susciter contre des compagnies entières.

4° Grièveté de la médisance par l'éclat avec lequel on la répand. Plus le déshonneur est public, plus l'injure est sanglante : et souvent n'est-ce pas là ce qu'on demande et à quoi l'on vise? On sonne, pour ainsi dire, de la trompette, afin de faire entendre la médisance plus au loin. On veut qu'elle retentisse dans toute une ville, dans toute une province, dans tout un royaume. De là ces bruits qui courent comme des torrents impétueux , et dont toutes les oreilles sont rebattues. De là ces écrits , ces libelles dont toute la terre est inondée.

5° Grièveté de la médisance parles scandales qui en naissent. Un médisant dans une assemblée, c'est un homme contagieux, c'est un tentateur qui expose tous les assistants à deux sortes de tentations. En effet, un abîme attire un autre abîme, et une médisance une autre médisance. Si vous n'aviez point produit sur la scène celui-ci ou celle-là, il n'en eût point été question : on n'y pensait pas. Mais vous avez commencé, et on vous a suivi. Ce que vous avez dit pouvait être moins essentiel, mais on a bien enchéri sur vous. Vous ne l'avez pas prévu, mais il le fallait prévoir. De plus, si quelques-uns plus réservés et plus circonspects se sont abstenus de la médisance, ne Font-ils pas écoutée, et, en l'écoutant, ne Vont-ils pas favorisée? n'y ont-ils pas pris goût? Or en cela ils sont coupables, et vous êtes l'auteur de leur péché. Scandale sur quoi on n'entre point en scrupule, dont on ne se fait point de peine, dont on ne s'accuse point, mais dont on ne sera pas sans reproche au tribunal de Dieu. Arrêtons-nous-là, laissons bien d'autres circonstances que nous pourrions marquer, et que nous sommes obligés d'omettre; c'est une matière inépuisable que toutes les injustices de la médisance et tous les désordres qu'elle cause. Prions Dieu qu'il dirige notre langue, et qu'il la conduise : car le Sage nous apprend que c'est au Seigneur de la gouverner (1). Apportons-y nous-mêmes toute l'attention et toute la circonspection nécessaire; et n'oublions jamais cette autre parole du Saint-Esprit, que la langue, selon que nous la réglons ou que nous lui permettons de s'échapper, porte la mort ou la vie (2).

 

1 Prov., XVI, 1. — 2 Ibid., XVIII, 21.

 

 

VENDREDI. — Jean-Baptiste condamnant la dureté envers les pauvres.

 

SERMON SUR L'AUMONE.

 

Qui habet duos tunicas, det non habenti ; et qui habet escas, similiter faciat.

Que celui qui a deux habits, en donne un à celui qui n'en a point ; et que celui qui a de quoi manger en use de même. (Luc, II, 11.)

 

Est-il rien de plus opposé aux sentiments humains que la dureté des riches envers les pauvres ; et comment un homme, pour peu qu'il écoute la nature, peut-il voir dans la souffrance et la misère un homme comme lui, sans en être ému de compassion, et sans prendre soin de le soulager? Obligation indispensable dans tous les temps, depuis la naissance du monde; mais obligation plus particulière encore et plus étroite dans la loi nouvelle, qui est une loi de charité. C'est le sujet important que nous allons traiter; et pour réunir dans un même dessein les plus puissants motifs qui

nous engagent à la pratique de l'aumône, nous la considérerons tout ensemble et comme un devoir d'obéissance, et comme un devoir de reconnaissance, et comme un devoir de pénitence. Il faut obéir à Dieu, il faut reconnaître les bienfaits de Dieu, il faut apaiser la colère de Dieu. Or voilà ce que nous faisons par l'aumône. Devoir d'obéissance par rapport au commandement de Dieu, qui nous l'ordonne : premier point. Devoir de reconnaissance par rapport à la bonté de Dieu, qui nous gratifie de ses dons : second point. Devoir de pénitence par rapport à la justice de Dieu, qui nous menace de ses châtiments : troisième point. Puissions-nous mériter ainsi l'éloge que le Prophète donnait au juste : Il a répandu ses biens ; il en a fait part aux pauvres :

 

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ses bonnes œuvres subsisteront toujours, et il en recevra la récompense dans les siècles des siècles (1).

 

Premier point. — Devoir d'obéissance : car l'aumône est un commandement de Dieu. Commandement que Dieu a pu faire, commandement que Dieu a dû faire, commandement que Dieu a fait. Reprenons.

1° Commandement que Dieu a pu faire. Il est maître de nos biens, ou plutôt ce ne sont pas proprement nos biens, mais les biens de Dieu, qui nous les a donnés, et dont nous sommes seulement à son égard comme les dépositaires et les économes. C'est par grâce que nous les avons reçus : or, le maître qui dispense ses grâces à qui il lui plaît, peut y apposer aussi telle condition qu'il lui plaît. D'où il s'ensuit qu'il était libre à Dieu, en confiant au riche ses trésors, de le choisir seulement comme ce sage et fidèle administrateur dont il est dit dans l'Evangile, que le père de famille l'a établi sur toute sa maison, afin qu'il fournisse à chacun, quand il le faut, de quoi se nourrir (2).

2° Ce n'est pas assez : commandement que Dieu a dû faire. Où serait sa providence, celte providence universelle, s'il n'avait pas pourvu à la subsistance des pauvres? Or les deux voies d'y pourvoir étaient, ou de mettre entre les hommes une égalité parfaite de condition et de facultés, tellement qu'il n'y eût point de pauvres sur la terre ; ou, supposé cette inégalité que Dieu, dans le conseil de sa sagesse, a jugée plus convenable au gouvernement du monde, de porter une loi qui obligeât les uns d'assister les autres, et de suppléer à ce qui leur manque. Sans cela que feraient tant de misérables et de nécessiteux? à quoi auraient-ils recours? Dieu n'est-il pas leur père? Ne sont-ils pas ses créatures, son ouvrage, et leur a-t-il donné l'être et la vie pour les laisser périr de calamités et de besoins?

De là donc enfin commandement que Dieu non-seulement a pu faire, non-seulement a dû faire, mais qu'il a fait; et en voici la preuve incontestable. C'est que l'Ecriture, surtout l'Evangile, nous apprend que' parmi les titres de damnation qui doivent être produits contre les réprouvés, un des plus formels, ce sera l'oubli des pauvres et le défaut de l'aumône. Par conséquent, disent les théologiens, il y a un commandement de l'aumône,  puisque Dieu ne

nous damnera que pour une offense mortelle,

 

1 Psalm., CXI, 9. — 2 Matth., XXIV, 45.

 

et que, sans l'infraction d'un précepte, il n'y a point d'offense mortelle et digne de la réprobation. De détruire ici toutes les explications qu'on vent faire de ce précepte, tous les prétextes qu'on oppose à ce précepte, tous les détours qu'on prend pour éluder ce précepte, c'est ce que nous n'entreprendrons pas ; mais souvenez-vous, riches, que Dieu ne se laisse point tromper, et que, malgré toutes vos explications, malgré tous vos prétextes et tous vos détours, vous n'en serez pas moins frappés de ses anathèmes, et rejetés éternellement de sa présence.

 

Second point. — Devoir de reconnaissance. Reconnaissance envers Dieu, et reconnaissance envers Jésus-Christ, Sauveur des hommes et Fils de Dieu.

Reconnaissance envers Dieu. Sans parler de toutes les autres grâces dont les riches lui sont redevables, n'est-ce pas de sa libéralité qu'ils tiennent les biens  qu'ils possèdent? n'est-ce pas lui qui, dans le partage de ses dons temporels, les a distingués? et s'ils vivent dans l'abondance, tandis qu'une multitude presque innombrable d'indigents ressentent toutes les rigueurs de la pauvreté et de la disette, n'a-ce pas été de sa part une pure faveur? Or il est juste de lui en témoigner la reconnaissance qui lui est due; et celle qu'il nous demande, c'est que nous fassions retourner vers lui ses bienfaits, et que nous en usions pour l'entretien des pauvres, qui sont ses enfants. Tout méprisables qu'ils paraissent selon le monde, il les aime, et il veut que nous l'aimions dans eux ; il veut que nous acquittions envers eux sa providence, qui en est chargée. Excellent motif de l'aumône : Je rends a Dieu ce qu'il m'a donné! Dans l'ancienne loi, on lui offrait solennellement les prémices des fruits de la terre, et il les recevait dans son temple et à son autel, par le  ministère de ses   prêtres; mais sans cet appareil ni cette solennité, je lui offre encore les mêmes prémices et les mêmes fruits. Le temple où je les porte, c'est cet hôpital, c'est cette prison, c'est cette pauvre famille que je visite; et les prêtres qui les reçoivent  au  nom  du  Seigneur,  ce sont ces malades, ce sont ces captifs, ce sont ces orphelins; c'est cette veuve, ce père, cette mère, qui tous me tiennent la place de Dieu, et dont je deviens la ressource et le soutien. Est-il pour une âme charitable une pensée plus touchante et plus consolante?

Reconnaissance envers Jésus-Christ, Fils de

 

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Dieu et Sauveur des hommes. Dans un mot cette qualité de Sauveur nous fait comprendre tout ce que nous lui devons; et si nous le comprenons, est-il possible que nous ne nous sentions pas brûlés d'un désir ardent de lui marquer nous-mêmes notre amour? Or, ce qu'il dit à saint Pierre, il nous le dit, quoique dans un autre sens : Si vous m'aimez, paissez mes brebis (1).  C'est trop peu : non-seulement les pauvres sont ses brebis, mais il les appelle ses frères, mais il ne dédaigne pas de les compter pour ses membres. De sorte que tout ce qui est fait à un pauvre, et au plus petit des pauvres, il l'accepte comme étant fait à lui-même. Sommes-nous chrétiens, si des rapports aussi étroits que ceux-là entre Jésus-Christ et les pauvres n'excitent pas notre charité? Que pouvons-nous refuser à un Dieu Sauveur? Or, tout ce que nous refusons à ses frères et à ses membres, c'est à lui que nous le refusons. Après cela ne craignons-nous point qu'il ne retire de nous sa main libérale, et qu'il ne nous ferme le sein de sa miséricorde? Rien n'est plus capable de tarir la source des grâces divines, que notre ingratitude.

 

Troisième point. — Devoir de pénitence. Ou nous sommes dans l'état actuel du péché, et il en faut sortir par la pénitence ; ou nous sommes rentrés dans l'état de la grâce, mais il faut expier nos péchés passés par la pénitence : or, un des moyens les plus efficaces pour l'un et pour l'autre, c'est l'aumône.

Moyen efficace pour sortir de l'état du péché : car il faut pour cela une grâce de pénitence, et cette grâce, nous ne pouvons plus sûrement l'obtenir que par les œuvres de la charité chrétienne envers les pauvres. C'est ainsi que les Pères entendent ce beau témoignage du saint homme Tobie en faveur de l'aumône, où il dit en termes si exprès et si précis, que l'aumône délivre de la mort de l'âme, qu'elle efface les péchés, qu'elle fait trouver grâce auprès de Dieu, quelle conduit à la vie éternelle (2). Comment cela? non pas, répond saint Augustin, que le pécheur soit réconcilié avec Dieu, ni que ses péchés lui soient remis du moment qu'il a fait l'aumône, mais parce que ses aumônes lui attirent du ciel de

 

1 Joan., XI, 17. — 2 Tob., IV, 11.

 

puissants secours pour se relever de ses chutes par une solide conversion, et pour se remettre dans le chemin du salut. La grâce est le fruit de la prière; et, selon l'oracle du Saint-Esprit, l'aumône prie pour nous, et sa voix monte jusqu'au trône de Dieu pour le fléchir. Aussi est-ce une maxime constante parmi les maîtres de la morale et les docteurs les plus notaires dans la conduite des âmes, qu'à quelques excès qu'un homme soit abandonné, on peut toujours espérer de lui dans l'avenir un retour salutaire, tant qu'au milieu de ses désordres on le voit porté à faire du bien aux pauvres. Tôt ou tard Dieu récompense la miséricorde par la miséricorde.

Moyen efficace pour expier les péchés passés. Car, après être revenu à Dieu, il faut satisfaire à la justice de Dieu, il faut dès cette vie acquitter les dettes dont nous sommes chargés devant Dieu, et par là prévenir les rigoureux châtiments qui nous sont réservés après la mort, puisqu'en ce monde ou en l'autre le péché doit être puni. Or, entre les œuvres pénales et satisfactoires, il n'en est point de plus agréable à Dieu ni de plus recevable à son tribunal que l'aumône, et cela à raison de son utilité. En effet, les autres œuvres de pénitence ne sont profitables et utiles qu'au pénitent même qui les pratique; au lieu que l'aumône profite tout à la fois et au pénitent qui la fait, et au pauvre qui la reçoit. Sur quoi l'aveuglement des riches est bien déplorable quand ils négligent un moyen si présent que Dieu leur met dans les mains, et qu'ils perdent le plus grand avantage de leurs richesses; car voilà à quoi elles sont bonnes, et ce ne sont plus alors des richesses d'iniquité, mais une rançon pour racheter toutes les iniquités de la vie, et pour échapper au souverain Juge, qui n'en remet la peine qu'autant que nous nous l'imposons nous-mêmes. Tout autre usage des biens temporels est, ou criminel, ou vain, ou du moins passager; mais de s'en servir pour rendre à Dieu le devoir d'une humble obéissance, pour marquer à Dieu les sentiments d'une vive reconnaissance, pour se rapprocher de Dieu par la grâce et par une solide pénitence, c'est là l'usage chrétien qui les sanctifie, et qui, de richesses périssables, en fait les gages d'une bienheureuse immortalité.

 

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