ESSAI D’AVENT IV

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VOLUME II
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ESSAI D’AVENT. QUATRIÈME SEMAINE.

 

ESSAI D’AVENT. QUATRIÈME SEMAINE.

JEAN-BAPTISTE  PERFECTIONNANT  LES  PEUPLES,   ET  LES  FORMANT AUX VERTUS LES PLUS  CAPABLES DE  LES  UNIR A  JÉSUS-CHRIST.

SERMON SUR LA FOI.

SERMON SUR LA RÉDEMPTION DES HOMMES PAR JÉSUS-CHRIST.

SERMON SUR LA DÉVOTION ENVERS JÉSUS-CHRIST.

SERMON SUR LA DROITURE ET L'ÉQUITÉ CHRÉTIENNE.

SERMON SUR LA FRÉQUENTE CONFESSION.

FÊTE   DE   NOËL. SERMON SUR LA NATIVITÉ DE JÉSUS-CHRIST.

 

JEAN-BAPTISTE  PERFECTIONNANT  LES  PEUPLES,   ET  LES  FORMANT AUX VERTUS LES PLUS  CAPABLES DE  LES  UNIR A  JÉSUS-CHRIST.

 

Il restait a Jean-Baptiste de former les peuples à la pratique des vertus et de les perfectionner, pour les attacher plus étroitement à Jésus-Christ. Or il les perfectionne, 1° parla foi en Jésus Christ : Celui qui croit au Fils possède la vie éternelle; mais celui qui refuse de croire au Fils n'aura point la vie, et la colère de Dieu s'appesantira sur lui (1) ; 2° par l'espérance en Jésus-Christ : Voilà celui qui efface le péché du monde (2); 3° par l'amour de Jésus-Christ : L'ami de l'époux, qui est présent et qui l’écoute, met toute sa joie à entendre la voix de l'époux, et voilà ce qui rend ma joie

 

1 Joan., III, 36. — 2 Ibid., I, 29.

 

parfaite (1) ; 4° par une vertu solide, droite et sans intérêt : C'est à lui de croître, et à moi de déchoir (2); 5° par la confession des péchés : Ils recevaient de lui le baptême dans le Jourdain, en confessant leurs péchés (3). 6° fête de Noël : La grâce de Dieu, notre Sauveur, s'est manifestée à tous les femmes pour notre instruction, afin que renonçant à l’impiété et aux convoitises du monde, nous vivions dans ce siècle selon les règles de la tempérance, de la justice et de la piété, attendant le bonheur qui est le terme de notre espérance (4).

 

1 Joan., I, 29. — 2 Ibid., 30. — 3 Matth., III, 6. — 4 Tit., II, 13.

 

DIMANCHE. — Jean-Baptiste perfectionnant les peuples par la foi en Jésus-Christ.

 

SERMON SUR LA FOI.

 

Qui credit in Filium habet vitam œternam; qui autem incredulus ut Filio, non videbit vitam, sed ira Dei manet super eum.

 

Celui qui croit au Fils possède la vie éternelle ; mais celui qui refuse de croire au Fils n'aura point la vie, et la colère de Dieu s'appesantira sur lui. (Joan., III, 36.)

 

Malgré ce magnifique éloge que Jean-Baptiste faisait de la foi en Jésus-Christ, les Juifs l'ont rejetée, cette foi chrétienne; et c'est pour cela même aussi que s'est accomplie dans eux cette terrible menace du divin précurseur : Celui qui ne veut pas croire au Fils n'aura point la vie, mais la colère de Dieu tombera sur lui, et y demeurera. Les nations ont profité du malheur de ce peuple incrédule, et par un transport qui nous a été favorable, la foi que les Juifs n'ont pas voulu recevoir a passé aux Gentils, et s'est perpétuée jusques à nous. Don de la foi, don précieux, où paraît admirablement, outre la miséricorde du Seigneur, sa sagesse et sa providence; car il nous fallait tout ensemble, et une foi ferme, et une foi méritoire : une foi ferme, et par conséquent assez éclairée pour bannir de nos esprits tout doute raisonnable , et pour les fixer; une foi méritoire, et par conséquent assez obscure pour faire de notre soumission une vertu, et pour l'exercer. Deux excellentes prérogatives de la foi chrétienne. Nous ne pouvons mieux la comparer qu'à cette colonne qui conduit les Israélites dans le désert, et qui, toute lumineuse d'une part, était de l'autre toute ténébreuse. Foi assez éclairée dans la force des motifs qui nous la rendent croyable, pour former la persuasion la plus solide et la plus ferme : premier point. Foi assez obscure dans le fond de ses vérités, pour éprouver la soumission la plus humble et la plus aveugle : second point. De ce double avantage nous apprendrons quelle estime nous devons faire de notre foi, et nous comprendrons le sens de l'Apôtre, quand il dit que la foi est la conviction des choses que nous ne voyons point (1).

 

Premier point. — Foi assez éclairée, dans la force des motifs qui nous la rendent croyable, pour former la persuasion la plus solide et la plus ferme. Car, si nous croyons en Jésus-Christ, et si nous y devons croire, ce n'est point sans preuve. Cet Homme-Dieu s'est montré sur la terre, il s'est dit envoyé de Dieu et Fils de Dieu, il a annoncé aux hommes son Evangile, il leur a prêché une loi nouvelle; mais il n'a point exigé qu'on se soumît à sa doctrine, ni

 

1 Hebr., XI, 1.

 

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qu'on s'attachât à sa personne, sans produire en sa faveur des témoignages irréprochables et capables de convaincre les esprits. Or, ces témoignages qu'il produisait aux Juifs ont toujours la même forcé pour nous; et, soutenus encore des autres témoignages que la suite des temps, depuis Jésus-Christ, y a joints, permettent-ils à tout homme doué de raison la moindre incertitude; et peut-on, à moins que de s'aveugler soi-même, ne pas apercevoir la lumière qu'ils répandent sur la créance chrétienne?

Témoignage les plus authentiques et les plus sensibles. Ce sont : 1° l'accomplissement des plus fameuses prophéties, les unes faites de Jésus-Christ et vérifiées dans sa personne, les autres faites par Jésus-Christ même, et confirmées par les événements les plus incontestables et les plus connus; 2° l'éclat de tant de miracles du premier ordre, opérés par la parole toute-puissante de Jésus-Christ, pour établir l'autorité toute divine de sa mission et la vérité de sa doctrine ; 3° l'excellence de la loi que Jésus-Christ est venu prêcher au monde, la sublimité de ses mystères, la sagesse de ses maximes, la sainteté de sa morale ; 4° le sang d'une multitude innombrable de martyrs , c'est-à-dire de témoins qui, malgré les plus cruels tourments, ont rendu gloire à la loi de Jésus-Christ, et l'ont défendue aux dépens de leur vie ; 5° l'établissement si prompt et si général de la loi de Jésus-Christ dans toutes les parties de la terre, au milieu des obstacles en apparence les plus insurmontables, et avec les moyens les plus faibles en eux-mêmes et les plus impuissants ; 6° le consentement universel depuis plus de dix-sept siècles, et le concours unanime des plus saints et des plus savants personnages, des docteurs les plus consommés, des plus grands génies, à recevoir la loi de Jésus-Christ, à la publier, à la combler d'éloges, à en faire le sujet de leurs méditations et la règle de toute leur conduite.

De là il est aisé de voir avec quelle témérité et quelle injustice Julien l'Apostat reprochait aux chrétiens que leur foi ne consistait que dans une simple ignorance, et qu'on se contentait de leur dire : Croyez. On nous le dit en effet, mais en même temps on y ajoute tout ce qui peut déterminer un esprit droit et l'affermir. Il a été de la providence de Dieu d'en user ainsi à notre égard ; et nous ayant donné une raison pour nous diriger dans toutes les autres choses et nous servir de guide, il n'a pas voulu, dans les matières mêmes de la religion, l'exclure absolument et la détruire. Il a prétendu la soumettre, la captiver, l'humilier; mais non pas lui interdire tout exercice et la rejeter. Autrement nous n'aurions, ou qu'une foi chancelante et sans assurance, ou qu'une foi forcée et sans mérite. On dira peut-être que ces motifs, qui nous semblent si forts et si convaincants, ne font pas la même impression sur les libertins, et qu'ils n'en sont point touchés. Hé ! comment le seraient-ils ? y pensent-ils assez pour cela ? se donnent-ils le loisir de les examiner, de les étudier, et s'appliquent-ils à les bien comprendre? sont-ils d'assez bonne foi et ont-ils le cœur assez libre pour en juger sans prévention, sans passion ? et est-ce enfin au milieu de la débauche où ils demeurent plongés, est-ce parmi une troupe d'impies comme eux et dans la dissipation du monde, qu'on est en état de s'instruire ? Des yeux couverts d'un voile épais n'aperçoivent point la lumière du soleil, mais elle n'en est pas moins vive. Laissons le libertinage raisonner à son gré, et se perdre dans ses raisonnements : pour nous, raisonnons en chrétiens. Notre raison appuiera notre foi, et nous aidera à dissiper tous les nuages de l'incrédulité.

 

Second point. — Foi assez obscure dans le fond de ces vérités pour exercer la soumission la plus humble et la plus aveugle. C'est un autre avantage de la foi chrétienne, et c'est proprement ce qui en fait le mérite. Voilà pourquoi le Fils de Dieu disait à saint Thomas: Bienheureux ceux qui n'ont point vu et qui ont cru (1). Heureux de croire et de ne pas voir, parce que s'ils voyaient ils ne croiraient plus, puisque croire c'est adhérer à ce qu'on ne voit pas ; heureux de croire et de ne pas voir, parce que s'ils voyaient ils n'auraient plus de foi, puisque leur foi se changerait en évidence, et que l'obscurité est essentielle à la foi. Heureux de croire et de ne pas voir, parce que s'ils voyaient, leur adhésion à ce qu'ils verraient ne serait plus pour eux une vertu ni un sujet de récompense, puisqu'elle ne dépendrait plus de leur volonté et de leur consentement : car l'esprit est-il maître de ne pas acquiescer à ce qu'il voit, et faut-il le moindre effort et le moindre acte de la volonté, pour commander à la raison de le reconnaître et pour l'y obliger ?

C'est donc ici que nous devons admirer l'infinie miséricorde de la suprême sagesse de notre Dieu, lorsqu'il a formé le dessein de nous

 

1 Joan., XX, 29.

 

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conduire au salut par la voie de la foi. Il a eu tout à la fois en vue et sa gloire et notre sanctification ; il a, dis-je, voulu que la soumission de notre foi honorât son adorable et souveraine vérité, et que comme nous lui faisons par l'amour le sacrifice de notre cœur, nous lui fissions par la foi le sacrifice de notre esprit. Il ne s'est pas contenté de cela, mais en cela même il a encore eu égard à notre intérêt : il a voulu que la soumission de notre foi, par l'effort qu'elle nous coûterait, et par la victoire qu'elle nous ferait remporter sur nous-mêmes, nous tînt lieu de mérite auprès de lui, et nous devînt profitable pour l'éternité. Or, il est vrai que dans le fond de ses vérités et des mystères qu'elle nous révèle, la foi, par son obscurité, est en effet pour nous la plus grande épreuve, et conséquemment la plus méritoire.

Car quelles vérités nous propose-t-elle à croire, et quels mystères? 1° Des mystères au-dessus de tous les sens, et plusieurs même tout opposés à ce que les sens nous représentent ; 2° des mystères au-dessus de l'intelligence humaine, et où la raison , toute pénétrante qu'elle est, ne peut par elle-même se faire jour, ni suppléer au défaut des sens ; 3° des mystères dont la connaissance s'est perdue dans les plus vastes contrées de la terre, et que des nations entières d'infidèles ignorent, et ne sont nullement en peine de savoir ; 4° des mystères exposés, jusque dans le sein du christianisme, aux mépris et aux contradictions, attaqués par l'impiété, combattus par l'hérésie; 5° et quelle créance néanmoins dois-je donner à ces mystères? une créance si absolue, que pour cela je dois démentir tous mes sens, imposer silence à ma raison, lui faire violence, et la tenir assujettie sous le joug; une créance si pure, si simple, que je ne puis écouter la moindre difficulté, ni former le moindre doute; une créance si pleine et si parfaite, qu'elle doit généralement s'étendre à tous les articles de la foi que je professe : de sorte qu'il ne m'est pas permis d'en retrancher un seul, puisque de pécher dans un seul point, c'est pécher dans tous les autres; une créance si résolue et si constante, que rien ne puisse m'en détacher, ni crainte, ni espérance, ni menaces, ni promesses, ni autorité, ni grandeur, ni persécutions, ni tourments, ni la vie, ni la mort. Ah ! Seigneur, un tel hommage vous est bien dû, mais il n'appartient qu'à vous et à votre divine parole. Ce n'est point là ce que nous révèle la chair et le sang; mais cette docilité, cette soumission sans réserve ne peut venir que de la grâce de votre Père céleste. Tout l'esprit de l'homme y répugne; son indépendance naturelle, sa curiosité, sa présomption ne peuvent s'accommoder de ce saint esclavage où la foi le réduit ; mais, malgré toutes les révoltes intérieures et toutes les répugnances, je crois, mon Dieu, parce que je veux croire ; et je veux croire, parce que je sais que je dois croire. Vous cependant, Seigneur, augmentez ma foi, animez-la, vivifiez-la, afin que ce ne soit pas une foi stérile, mais agissante, mais féconde en bonnes œuvres, et salutaire.

 

LUNDI. — Jean-Baptiste perfectionnant les peuples par l'espérance en Jésus-Christ.

 

SERMON SUR LA RÉDEMPTION DES HOMMES PAR JÉSUS-CHRIST.

 

Ecce Agnus Dei, ecce qui tollit peccatum mundi.

Voilà   l'Agneau de  Dieu ,  voilà celui  qui  efface  le  péché  du monde. (Joan., I, 29.)

 

S'immoler à Dieu comme la victime du monde, en cette qualité de victime, effacer les péchés du monde et être le rédempteur du monde : tout cela c'est, en différents termes, le même sens. Dès là donc que Jésus-Christ est venu nous délivrer du péché, il est venu nous sauver; pouvons-nous concevoir une rédemption plus parfaite, de quelque manière que nous la regardions, soit dans son principe, soit dans son mérite, soit dans son étendue? Arrêtons-nous à ces trois points. Rédemption dans son principe la plus gratuite : premier point. Rédemption dans son mérite la plus abondante : second point. Rédemption dans son étendue la plus universelle : troisième point. De là nous tirerons autant de motifs pour exciter notre confiance en ce Dieu-Homme, dont nous nous disposons à célébrer la glorieuse nativité ; et, sans présumer de ses miséricordes, nous nous sentirons portés à le réclamer dans tous nos besoins, et à implorer auprès de son Père sa toute-puissante médiation.

 

Premier point. — Rédemption   dans   son

 

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principe la plus gratuite. Quand saint Paul veut relever et nous donner à connaître l'amour extrême que Dieu nous a témoigné dans la rédemption du monde, il nous marque deux circonstances, savoir, que nous n'avions mérité cette grâce en aucune sorte, ni par aucune de nos œuvres ; et de plus, que le péché même nous en rendait formellement indignes, puisque nous étions dans la disgrâce de Dieu et ennemis de Dieu. D'où l'Apôtre conclut que si nous avons été rachetés par un Dieu Sauveur, c'a été de sa part une pure miséricorde et une pure grâce.

1° Qu'avions-nous fait et que pouvions-nous faire qui dût nous attirer du ciel un don aussi excellent et aussi grand que celui du Fils unique de Dieu, pour être le médiateur de notre salut et le prix de notre rançon ? Voilà, dit Jésus-Christ lui-même dans saint Jean, voilà comment Dieu a aimé le monde. Il a donné son Fils pour le monde, afin que ceux qui croiront en lui ne périssent point, mais qu'ils parviennent à la vie éternelle (1). Paroles remarquables. Ce divin Maître ne dit pas : Voilà comment Dieu a récompensé le monde, voilà comment il a eu égard aux vœux et aux bonnes œuvres du monde; mais : Voilà comment il l'a aimé ; c'est-à-dire qu'il ne s'est intéressé pour nous que par amour, qu'il n'a compati à nos maux que par amour, qu'il ne nous a sauvés que parce qu'il est bon, et que par amour.

2° Ce n'est point encore assez, poursuit le docteur des nations. Car, une autre circonstance où notre Dieu a fait éclater, ne disons plus simplement sa charité, mais les richesses infinies, mais l'excessive condescendance, mais le comble de sa charité, c'est de l'avoir exercée envers nous, lors même que nous étions pécheurs, et que, participant à la désobéissance de notre premier père et à la malédiction tombée sur lui, nous n'étions à ses yeux que des enfants de colère et des sujets de haine. Du moins si nous n'avions eu que ce péché d'origine : mais combien d'autres péchés prévoyait-il, dont nous sommes devenus dans la suite des temps, et nous devenons sans cesse coupables? Péchés actuels et personnels, péchés énormes et de toutes les espèces, péchés sans nombre, et péchés toutefois qui n'ont pu, ni par leur malice et leur grièveté, ni par leur innombrable multitude, rétrécir ces entrailles de miséricorde avec lesquelles il a plu au Seigneur de venir d'en-haut nous visiter,

 

1 Joan., III, 15.

 

pour éclairer ceux qui demeuraient ensevelis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort, et pour nous mettre dans le chemin de la paix (1). Après cela, que n'avons-nous pas droit d'attendre d'un Dieu qui nous a ainsi prévenus? Craindrons-nous d'aller à lui? Tout offensé qu'il était et tout égarés que nous étions, il n'a pas dédaigné de nous chercher lui-même,et de faire tontes les avances pour nous ramener et nous retirer de la voie de perdition : nous rejettera-t-il quand nous nous présenterons à son trône, que nous nous jetterons à ses pieds, que nous lui adresserons nos demandes dans un esprit d'humilité et avec un cœur droit et contrit? Cessera-t-il de nous aimer dans le temps où, par notre confiance et par des dispositions chrétiennes, nous travaillerons à nous rendre moins indignes de son amour?

 

Second point. Rédemption dans son mérite la plus abondante. Elle a eu deux effets : l'un d'effacer pleinement le péché, l'autre de nous enrichir d'un trésor de grâces inépuisable.

1° Rédemption abondante, parce qu'elle a effacé pleinement le péché : comment cela? C'est que la vertu des mérites de Jésus-Christ est au-dessus de toute la malice du péché, et que ces mérites ont été plus que suffisants pour laver les péchés , non-seulement du monde entier, mais de mille mondes. Car la malice du péché, quelle qu'elle puisse être, et à quelque excès qu'elle soit montée, n'est, après tout, infinie que dans son objet, c'est-à-dire qu'elle, n'est infinie que parce qu'elle s'attaque à Dieu , qui est le premier être, un être infiniment grand : au lieu que les mérites de Jésus-Christ sont infinis en eux-mêmes et par eux-mêmes : pourquoi ? parce que ce sont les mérites d'un homme-Dieu, les mérites du Fils de Dieu, les mérites d'un Dieu.

2° Rédemption abondante par le trésor de grâces dont elle nous a enrichis. Trésor dont l'Eglise est dépositaire, et qui lui est resté des mérites de son Epoux. De là cette belle et consolante parole de l'Apôtre, que là où le péché était abondant, la grâce a été surabondante (2). De là même ce raisonnement si juste et si solide que faisait aux Romains le Maître des Gentils pour affermir leur espérance : Dieu n’a pas épargné son propre Fils, mais il l'a livré pour nous. Or, en nous le donnant, ne nous a-t-il pas tout donné avec lui et en lui (3) ? En effet, c'est de ce don essentiel, de ce premier don, comme d'une source intarissable, que sont

 

1 Luc, 1, 79. — 2 I Tim., I, 14. — 3 Rom., VIII, 32.

 

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venus et que viennent sans interruption tous les autres dons qui se répandent sur la terre, et qui servent à la sanctification des âmes ; c'est de la que partent toutes les grâces renfermées dans les sacrements de l'Eglise, et de là qu'ils tirent toute leur vertu ; c'est de là que nous sont communiqués tous les secours intérieurs et spirituels qui nous fortifient, toutes les lumières qui nous éclairent, toutes les vues qui nous conduisent, tous les sentiments qui nous touchent, tout ce qui nous approche de Dieu, qui nous convertit à Dieu, qui nous élève et nous unit à Dieu.

Ah ! Seigneur, il est bien vrai que vous êtes le Sauveur du monde (1). Nul autre que vous ne pouvait l'être, puisque nul autre ne pouvait satisfaire pour les péchés du monde, ni ne pouvait sanctifier le monde. Vous avez fait l'un et l'autre, et comment l'avez-vous fait? avec quelle effusion de vos miséricordes ! avec quelle plénitude et quelle perfection ! Mais hélas! s'il ne manque rien à notre rédemption de la part de ce Dieu Sauveur, n'y manque-t-il rien de notre part ? Car ne nous flattons point, dit saint Augustin : le même Dieu qui nous a créés sans nous ne veut point nous sauver sans nous. En effaçant le péché, il n'a point prétendu nous dégager de l'obligation d'effacer nous-mêmes nos péchés et de les expier, autant que nous le pouvons et que nous le devons. Et en nous comblant de ses grâces, il nous a ordonné de ne pas les recevoir en vain, mais d'y être fidèles et de les faire valoir. Selon ces deux devoirs si indispensables, jugeons-nous nous-mêmes, et voyons si notre espérance en Jésus-Christ est bien fondée, et si ce n'est point une espérance présomptueuse.

 

Troisième point. — Rédemption la plus universelle dans son étendue. Tous les hommes y sont compris : tous en général, chacun en particulier.

1° Tous en général : ce n'est point seulement pour une nation que Jésus-Christ est venu et qu'il a été envoyé, mais pour tous les peuples et toutes les contrées de la terre. Car auprès du Seigneur, dit l'apôtre saint Paul, il n'y a ni Juif, ni Gentil, ni circoncis, ni incirconcis, ni Scythe, ni Barbare ; mais Jésus-Christ est tout (2), et tout est en Jésus-Christ. Ce n'est point seulement pour certaines conditions. Le Dieu que nous adorons n'a acception de personne (3) : ni de celui qui est dans la grandeur, ni de celui qui est dans l'abaissement, ni du riche , ni

 

1 Joan., IV, 42. — 2 Col., III, 11. — 3 Ephes., VI, 9.

 

du pauvre, ni du monarque, ni du sujet, ni de l'affranchi, ni de l'esclave. Ce n'est point seulement pour les fidèles et pour un petit nombre de prédestinés, mais pour les infidèles et les idolâtres, mais pour les pécheurs, mais même pour les réprouvés. Le Père des miséricordes a fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants ; et sans exception, il a fait couler sur les uns et sur les autres la rosée du ciel (1), et les saintes influences de sa grâce.

2° Chacun en particulier. C'est ce que nous enseigne expressément le Prince des apôtres dans sa seconde Epître, où nous lisons ces paroles si claires et si décisives : Le Seigneur use de patience à cause de vous, ne voulant point que pas un périsse, mais que tous aient recours à la pénitence (2). D'où vient que saint Jérôme n'a pas craint d'avancer cette proposition : que Jean-Baptiste, en disant de Jésus-Christ : Voilà celui qui efface les péchés du monde, eût été dans l'erreur et nous eût trompés avec lui, s'il y avait un seul homme dont les péchés n'eussent pas été effacés par la médiation de ce divin Sauveur. Sur quoi saint Bernard ajoute (et ceci est bien remarquable) que comme tous les êtres créés peuvent dire chacun à Dieu : Vous êtes mon Créateur ; ainsi tous les hommes peuvent chacun lui dire : Vous êtes mon Rédempteur. Vérités constantes dans l'Eglise chrétienne; vérités fondées sur les sacrés oracles du Saint-Esprit, sur les écrits des apôtres, sur la tradition des Pères, sur la créance commune et orthodoxe, sur la raison même éclairée de la foi et dirigée par la foi. Car, sans cela, quel fonds pourrions-nous faire sur la Providence divine, et qui pourrait s'assurer qu'elle ne lui a pas manqué? Non, elle n'a manqué à personne ; mais voici le renversement. Dieu a voulu et veut encore sauver tous les hommes ; mais de tous les hommes combien y en a-t-il qui veuillent leur propre salut : qui le veuillent, dis-je, sincèrement, efficacement? Tous sont appelés à ce salut éternel, tous pour cela ont eu le même Rédempteur, et néanmoins il n'y a que très-peu d'élus : pourquoi? parce qu'il n'y en a que très-peu qui veuillent l'être, que très-peu qui travaillent à l'être, que très-peu qui prennent les moyens de l'être. Confions-nous en Jésus-Christ et en ses mérites; mais souvenons-nous qu'on n'y participe qu'en participant à ses souffrances et à ses travaux, qu'en observant ses préceptes, qu'en se conformant à ses exemples, qu'en imitant ses vertus,

 

1 Matth., V, 45.— 2 2 Petr., III, 9.

 

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MARDI. — Jean-Baptiste perfectionnant les peuples par l'amour de Jésus-Christ.

 

SERMON SUR LA DÉVOTION ENVERS JÉSUS-CHRIST.

 

Amicus sponsi, qui stat et audit eum, gaudio gaudet propter vocem sponsi. Hoc ergo gaudium meum impletum est.

 

L'ami de l'époux, qui est présent et qui l'écoute, met toute sa joie à entendre la voix de l'époux : et voilà ce qui rend ma joie parfaite. (Joan., III, 29.)

 

Qu'est-ce que cet époux, et qu'était-ce que cet ami de l'époux? Dans le sens propre de l'Evangile, cet époux c'est Jésus-Christ, et cet ami de l'époux c'était Jean-Baptiste. En témoignant ses sentiments à l'égard du nouveau Maître qui commençait à paraître dans le monde et à enseigner, le saint précurseur avait en vue de les inspirer à ses disciples, et de les répandre par leur ministère dans tous les cœurs. Sentiments dont nous devons être remplis nous-mêmes ; sentiments d'un zèle sincère pour Jésus-Christ, d'un dévouement parfait à Jésus-Christ, d'une fervente dévotion envers Jésus-Christ. Que ne suis-je assez heureux pour l'allumer dans vos âmes cet amour, cette dévotion si digne de l'esprit chrétien ! c'est du moins à quoi je vais travailler dans ce discours. Dévotion envers Jésus-Christ, dévotion tout à la fois et la plus sainte et la plus sanctifiante. La plus sainte en elle-même : premier point. La plus sanctifiante par rapport à nous : second point. La plus sainte en elle-même, en voilà l'excellence ; la plus sanctifiante par rapport à nous, en voilà les avantages. Quoique cette matière soit générale, c'est vous surtout qu'elle regarde, âmes fidèles et pieuses qui cherchez à vous avancer dans les voies de la perfection évangélique, et à vous tenir étroitement unies au principe même de toute sainteté, qui est le Sauveur envoyé du ciel pour le salut et la sanctification des hommes.

 

Premier point. — Dévotion envers Jésus-Christ, dévotion la plus sainte en elle-même. Doublement sainte, soit par l'objet qu'elle se propose, soit par l'esprit qui l'anime.

1° Dévotion sainte par l'objet qu'elle se propose. C'est le Verbe éternel de Dieu, le Fils unique de Dieu, le Saint des saints. Les autres dévotions sont saintes. C'est une sainte dévotion que d'honorer les saints, qui sont les amis de Dieu et les héritiers de son royaume. C'est une sainte dévotion que d'honorer les anges bienheureux qui assistent autour du trône de Dieu, et qui sont ses ministres et ses ambassadeurs. C'est une dévotion encore plus sainte d'honorer la mère de Dieu, que les mérites de ses vertus et l'éclat de sa dignité ont portée au plus haut point de l'élévation, et qui dans le ciel, au-dessus de tout ce qui n'est pas Dieu, tient le premier rang. Tout cela est vrai : mais en tout cela notre culte, après tout, n'a pour objet prochain et immédiat que de pures créatures. Ce sont des élus de Dieu, des favoris de Dieu, ce sont des saints; mais toute leur sainteté ne peut entrer en comparaison avec la sainteté de l'Homme-Dieu. Si donc, à raison de leur sainteté et à proportion de leur sainteté, le culte qu'on leur rend est saint, combien plus le doit être le culte que nous rendons, dans l'adorable personne de Jésus-Christ, à la sainteté même incarnée? Culte si agréable à Dieu, qu'il en a fait un commandement exprès. non-seulement aux hommes qui vivent sur la terre, mais aux principautés et aux puissances célestes. Car, selon le témoignage de saint Paul, c'est de ce Dieu-Homme, de ce Fils premier-né entrant dans le monde, que le Père tout-puissant a dit : Que tous les anges de Dieu l'adorent (1).

2° Par l'Esprit qui l'anime. Esprit de religion, esprit d'amour, esprit de reconnaissance : voilà les grands et puissants motifs de notre dévotion envers Jésus-Christ, et est-il rien de plus saint que ces sentiments? Esprit de religion qui nous remplit de la plus haute idée de Jésus-Christ et de ses grandeurs ; qui, par la foi, nous le fait reconnaître et envisager comme la sagesse incréée, la parole de Dieu, la force et la vertu de Dieu ; comme la splendeur de la gloire, l'image de la substance du Père, en qui il a mis ses complaisances et en qui réside la plénitude de la divinité ; comme le principe et la fin, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, par qui toutes choses subsistent, et ayant sur toutes choses l'empire et la prééminence. Expressions de l'Ecriture, et divines qualités d'où nous concluons avec l'Apôtre qu'il est digne de tous nos respects, et qu'au nom de Jésus tout ce qu'il y a dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, doit fléchir le genou et lui rendre hommage.

Esprit d'amour, qui nous le fait plus

 

1 Hebr., I, 6.

 

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particulièrement envisager selon les rapports qu'il a avec nous et que nous avons avec lui; qui nous le fait considérer comme l'auteur de notre salut, comme le pacificateur entre Dieu et nous, et le médiateur de notre réconciliation : comme le pontife de la loi nouvelle, le grand prêtre assis à la droite de Dieu, et toujours vivant pour prendre toujours nos intérêts et intercéder en notre faveur, comme le chef du corps de l'Eglise, dont nous sommes les membres ; comme notre frère, en qualité d'homme semblable à nous, tout Dieu qu'il est. Vues également solides et touchantes. La juste conséquence qui en suit, c'est le beau sentiment du maître des Gentils : Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ (1) ? ou cet autre : Quiconque n’aime pas Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu'il soit anathème (2).

Esprit de reconnaissance, qui nous fait descendre dans le détail de tous les biens qui nous sont venus par ce Rédempteur du monde; qui nous retrace dans le souvenir comment il a quitté le sein de son Père et il s'est abaissé jusqu'à nous ; comment il s'est revêtu de notre chair et chargé de toutes nos misères, pour demeurer parmi nous; comment, dans le cours de sa vie mortelle, il a conversé avec nous; comment il a souffert pour nous, il est mort pour nous; comment, dans son retour même au ciel, il n'a point voulu nous priver de sa présence, mais il est toujours resté au milieu de nous. Toutes ces considérations pénètrent une âme, la ravissent, l'enflamment, l'attachent pour jamais à son bienfaiteur et à son Sauveur, et, dans l'ardeur de son zèle, lui font dire sans cesse avec le Prophète : Que dominerai-je à celui qui m'a tout donné (3), et que ferai-je pour celui qui a tout fait pour moi?

Or, encore une fois, une dévotion établie sur de tels fondements, n'est-ce pas de toutes les dévotions la plus sainte? Aussi était-ce la dévotion de saint Paul. Il n'y a qu'à voir ses Epîtres : elles sont toutes remplies de Jésus-Christ, et il n'y est presque fait mention que de Jésus-Christ, tant il avait Jésus-Christ vivement imprimé et dans l'esprit et dans le cœur. Aussi est-ce la dévotion de l'Eglise. De quoi est-elle occupée, que de chanter les louanges de Jésus-Christ, que de célébrer les mystères de Jésus-Christ, que d'offrir le sacrifice de Jésus-Christ: et adresse-t-elle une prière à Dieu où elle ne fasse entrer Jésus-Christ? Aussi a-ce été la dévotion des saints, surtout de saint Bernard : Quoi que je lise, disait-il, je ne m'affectionne

 

1 Rom., VIII, 33. — 2 1 Cor., XVI, 22. — 3 Psam., CXV,12.

 

à rien, si je ne lis le nom de Jésus-Christ ; quoi que j'entende, je ne coûte rien, si je n'y entends le nom de Jésus-Christ. Toute nourriture est insipide à mon âme sans cet assaisonnement et ce sel divin. Quelle est donc l'illusion de notre siècle? illusion assez commune dans le monde chrétien. Chacun se fait des dévotions à sa mode, des dévotions selon son sens. A Dieu ne plaise que nous les blâmions ! mais ce qu'il y a de blâmable, c'est la préférence qu'on donne à ces dévotions nouvelles et arbitraires, au-dessus des dévotions essentielles dans le christianisme, telle que la dévotion envers Jésus-Christ.

 

Second point. — Dévotion envers Jésus-Christ, dévotion la plus sanctifiante par rapport à nous. Elle l'est, et dans les pratiques où elle s'exerce, et dans les effets qu'elle produit.

Dévotion sanctifiante dans les pratiques où elle s'exerce. Ces pratiques se réduisent à trois : adoration, invocation, imitation. Adoration : sous ce terme est compris tout ce que suggère à l'âme fidèle un saint désir d'honorer Jésus-Christ. Car que fait-elle, cette âme zélée pour l'honneur de l'adorable et aimable époux à qui elle s'est vouée, et dont elle voudrait répandre la gloire dans toute l'étendue de l'univers? Parce qu'elle sait que c'est Jésus-Christ même qui chaque jour est immolé sur nos autels, elle se rend assidue à ce sacrifice non sanglant, et se fait un devoir d'y apporter toute la réflexion, toute la révérence toute la piété convenable; parce qu'elle sait que c'est Jésus-Christ même qui habite dans nos temples et qui réside dans le sanctuaire, elle a ses heures et ses temps réglés pour le visiter, pour s'entretenir avec lui, pour s'humilier en sa présence, et pour lui offrir son encens; parce qu'elle sait que c'est Jésus - Christ même qu'elle reçoit à la sainte table, elle s'en approche , autant qu'il lui est. permis, par de fréquentes communions ; elle s'y dispose par de rigoureuses et d'exactes revues, elle ne souffre pas la moindre tache qui puisse blesser les yeux de son bien-aimé et n'omet rien de toute la préparation que demande le plus auguste sacrement. Or, combien tous ces exercices et les autres doivent-ils contribuer à sa sanctification, et qu'y a-t-il de plus propre à élever une âme et à la perfectionner? Invocation : en honorant Jésus-Christ, l'âme ne s'oublie pas elle-même, ni ses besoins. Jésus-Christ, dans toutes les conjonctures et tous les événements de la vie, est sa ressource,

 

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son conseil, son guide, son soutien. La nuit et le jour, elle n'a, pour ainsi dire, et dans le cœur et dans la bouche, que Jésus-Christ, qu'elle réclame sans cesse et qu'elle invoque ; et de cette sorte toutes ses délibérations, toutes ses résolutions, toutes ses actions sont sanctifiées, parce qu'elle n'entreprend rien ni ne fait rien qu'au nom de Jésus-Christ, que sous sa conduite et par son secours. Imitation : voilà le point capital, voilà, en quelque dévotion que ce soit, ce qu'il y a d'essentiel : s'efforcer d'acquérir une sainte ressemblance avec le Fils de Dieu, notre grand et unique modèle. Or, n'est-ce pas à quoi l'âme s'applique avec d'autant plus de soin, qu'elle s'est plus solidement et plus étroitement liée à Jésus-Christ? Toute son étude, c'est Jésus-Christ, pour apprendre à penser comme lui, à parler comme lui, à agir comme lui. Ce n'est point seulement sur le Thabor qu'elle veut le suivre, mais au Calvaire; ce n'est point seulement à sa gloire qu'elle veut avoir part, mais à sa pauvreté, mais à ses humiliations, mais à ses souffrances. Tout état où elle se croit conforme à Jésus-Christ est pour elle l'état le plus heureux.

2° Dévotion sanctifiante dans les effets qu'elle produit. Car de là l'union la plus intime et le commerce le plus sacré entre Jésus-Christ et l'âme dévote. C'est alors qu'elle peut bien dire avec l'Apôtre : Je vis, non plus moi-même; mais Jésus-Christ vit en moi. De là cette abondance de grâces dont Jésus-Christ la comble : il lui ouvre tous ses trésors ; et qu'épargne-t-il à son égard ? de quelles lumières ne l'éclaire-t-il pas? quelles vues, quels sentiments ne lui donne-t-il pas? de quelle onction ne la remplit-il pas? De là même aussi ces progrès qu'elle fait d'un jour à l'autre, allant toujours, comme le juste, de vertus en vertus, et accumulant mérites sur mérites. Quoi qu'il en soit, nous sommes chrétiens, et, en qualité de chrétiens, quelle dévotion peut mieux nous convenir que la dévotion envers Jésus-Christ? Souvenons-nous que c'est la pierre fondamentale sur qui doit porter tout l'édifice de notre perfection; souvenons-nous qu'il n'y a point d'autre nom que le sien par qui nous puissions obtenir le salut. Nous vivons sous sa loi, il nous a marqués de son sceau, il nous a revêtus de ses livrées : soyons par amour à notre Maître, puisque nous lui appartenons déjà par un droit inviolable; et que jamais rien ne nous sépare de la charité de Jésus-Christ, ni dans le temps, ni dans l'éternité.

 

 

MERCREDI. — Jean-Baptiste perfectionnant les peuples par une vertu solide et droite.

 

SERMON SUR LA DROITURE ET L'ÉQUITÉ CHRÉTIENNE.

 

Illum oportet crescere, me autem minui.

C'est à lui de croître, et à moi de déchoir. (Joan., III, 30.)

 

Il n'y avait qu'une solide vertu qui pût inspirer à Jean-Baptiste un sentiment si droit et si équitable. Ses disciples, par un faux zèle pour leur maître, dont ils voyaient l'école s'affaiblir, semblaient vouloir le piquer de quelque jalousie contre Jésus-Christ, dont le crédit au contraire croissait tous les jours, et le nom se répandait dans la Judée. Mais, bien loin de se laisser surprendre à une tentation si dangereuse et si délicate, l'humble précurseur est le premier à relever le mérite de ce prétendu concurrent qui leur donnait de l'ombrage , et il n'hésite pas à leur répondre : C'est à lui de croître, et à moi de diminuer. Esprit de droiture et d'équité, esprit qui discerne les vraies vertus de celles qui n'en ont que l'apparence et le nom. C'est avec cet esprit et par cet esprit que Jean-Baptiste, sans écouter ses disciples, et sans égard à son intérêt propre, se fait justice à lui-même, et fait en même temps justice à Jésus-Christ. C'est à moi de diminuer; voilà comment il se fait justice à lui-même. C’est à lui de croître; voilà comment il fait justice à Jésus-Christ. Ainsi le double caractère de la sainteté et de l'équité chrétienne est de savoir (surtout en matière de dons, de talents, de qualités, de mérites, de rang, de prééminence), de savoir, dis-je, tout ensemble, et se faire justice à soi-même: premier point; et faire justice au prochain : second point. Adressons-nous à Dieu pour obtenir cet esprit de droiture : il nous l'accordera, puisque, selon la parole de l'Evangile, il ne refuse point le bon esprit à ceux qui le lui demandent (1).

 

Premier point. — Se faire justice à soi-même : c'est s'estimer précisément soi-même tel qu'on est, et ne vouloir point être estimé des autres au delà de ce qu'on est.

 

1 Luc, XII, 13.

 

1° S'estimer précisément soi-même tel qu'on est, et rien davantage, c'est la règle la plus raisonnable et la plus juste; mais notre amour-propre ne peut s'en accommoder, et il lui faut quelque chose de plus. De là vient que nous aimons à nous tromper par de flatteuses images que nous nous faisons de nous-mêmes, et qui nous représentent à notre imagination tout autres que nous ne sommes ; fausses peintures qui nous plaisent et dont nous nous occupons, dont nous nous infatuons, où nous portons tous nos regards et où nous les arrêtons. Car, de nous considérer nous-mêmes dans la vérité, et pour cela de rentrer en nous-mêmes, de nous examiner à fond, de bien démêler, s'il est permis de parler ainsi, dans le champ de notre âme, le bon et le mauvais grain, c'est ce qui nous humilierait, parce ce que c'est ce qui nous mettrait devant les yeux des taches qui nous blesseraient la vue, et ce qui rabattrait les idées favorables que nous avons conçues de nos avantages et de nos perfections. Comme donc nous avons de la peine à nous humilier, nous avons la même peine à nous détromper de l'opinion, quoique erronée, que nous nous sommes formée de nous-mêmes. Or, une vertu solidement et vraiment chrétienne nous guérit de cette illusion: comment? parce que dès que c'est une vertu solidement chrétienne, c'est une vertu humble, et que l'humilité nous empêche de nous élever au-dessus de nous-mêmes, et nous dégage de toutes ces pensées vaines qui emportent les âmes faibles, et où elles s'évanouissent. D'où il arrive que nous sommes alors plus disposés à juger sainement de notre état, à reconnaître de bonne foi nos imperfections et nos défauts, à voir ce qui nous convient et ce qui ne nous convient pas, de quoi nous sommes capables et de quoi nous ne le sommes pas ; à dire enfin, avec le Prophète-royal : Seigneur, mon cœur ne s'est point enflé ; je m'en suis tenu à ce que j'étais, et je ne me suis point égaré en de spécieuses chimères, ni dans une présomptueuse estime de moi-même (1). Qu'une telle disposition marque de fermeté et de sagesse! mais qu'elle est rare! et l'expérience ne nous convainc-t-elle pas tous les jours qu'il y n'a presque personne dans la vie, et dans toutes les conditions de la vie, qui veuille delà sorte, ni qui sache se rendre à soi-même la justice qui lui est due?

2° Ne vouloir point être estimé des autres au delà de ce qu'on est. Malgré les déguisements et les artifices de la nature, qui nous

 

1 Psalm., CXXX, 1.

 

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cache nos faiblesses et notre peu de suffisance, nous ne laissons pas souvent de les apercevoir: mais quelle est notre ressource? c'est de les dérober, autant qu'il nous est possible, à la connaissance du public. Nous voulons qu'on nous estime, qu'on nous traite avec honneur, qu'on nous fasse monter à certains rangs, qu'on nous donne certaines places, comme si rien ne nous manquait pour cela, et que nous eussions droit d'y prétendre. Si l'on nous témoigne le moindre mépris, nous en sommes outrés de douleur ; si quelqu'un obtient la moindre préférence sur nous, nous éclatons en plaintes et en murmures ; si l'on entreprend de nous faire sur quelque article la moindre remontrance, nous la prenons pour une injure, et nous nous en offensons. Quel serait le remède? cet esprit droit et chrétien, dont il est ici question. Avec ce fond d'équité et de droiture, on ne cherche point à paraître ce qu'on n'est pas, ni à se faire valoir plus qu'on ne vaut. Tel qu'on se connaît, tel on consent d'être connu, sans ambitionner des titres, des honneurs, des distinctions, qu'on sait être au-dessus de soi.

Des prêtres et des lévites furent envoyés de Jérusalem à Jean-Baptiste pour lui demander s'il était le Messie, ou du moins s'il était Elie ; mais en deux mots il se contenta de leur répondre nettement et simplement : Je ne suis ni l'un ni Vautre. Ils insistèrent; et, le pressant de s'expliquer : Qui êtes-vous donc, lui dirent-ils, et quel témoignage rendez-vous de vous-même ? Mais lui, comme il était le précurseur de Jésus-Christ, il se contenta encore, avec la même sincérité et la même simplicité, de se faire connaître par l'office dont il était chargé, et dont il s'acquittait : Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin au Seigneur. Excellent modèle ! mais qui est-ce qui le suit, et où trouve-t-on cette candeur dame, cette modestie à l'épreuve des plus fortes tentations? C'est une des plus belles vertus, c'est une vertu héroïque, mais bien peu commune. Une justice si rigoureuse n'est guère de notre goût, dès que c'est nous-mêmes qu'elle regarde.

 

Second point. — Faire justice au prochain, c'est faire intérieurement du prochain l'estime qu'il mérite, et du reste le voir sans peine dans le degré d'élévation où, par son mérite, il est monté.

1° Faire intérieurement du prochain l'estime qu'il mérite. Puisqu'il la mérite, cette estime, pourquoi la refusons-nous ? C'est que la passion nous domine et nous séduit; c'est que l'envie nous met un voile sur les yeux, ou qu'elle répand sur le mérite d'autrui un nuage qui l'obscurcit et qui nous empêche de le découvrir ; c'est que la malignité de notre cœur nous peint la plupart des objets avec de fausses couleurs, et qu'elle les diminue ou les grossit, selon qu'ils sont conformes à nos inclination?, ou qu'ils y sont opposés. Or, étant naturellement jaloux de notre propre excellence, il s'ensuit de là que nous sommes beaucoup plus enclins à rabaisser le prochain dans notre estime, qu'à le relever. Car, de nous en faire un portrait aussi avantageux qu'il devrait l'être, de .reconnaître toutes ses bonnes qualités et toutes ses vertus, ce serait ou l'égaler à nous, ou même lui donner dans notre esprit l'ascendant sur nous, et voilà ce que nous n'aimons pas. Que faisons-nous donc? Nous avons, suivant le langage de l'Ecriture, un poids et un poids, une mesure et une mesure. Selon l'une, nous nous jugeons nous-mêmes avec toute l'indulgence possible, et selon l'autre, nous jugeons le prochain avec une sévérité extrême. Tout ce qu'il y a de bien en lui, nous nous le représentons sous des images qui l'altèrent, qui l'affaiblissent, qui le défigurent; et tout ce qu'il peut y avoir de mal ou de moins parfait, nous l'augmentons, nous l'exagérons, nous l'outrons.

Injustice que Jésus-Christ reprochait avec tant de raison aux pharisiens : Comment voyez-vous une paille dans l'œil de votre frère, tandis que vous ne voyez pas une poutre dans votre œil (1) ? Ce n'est point là ce caractère de droiture dont Jean-Baptiste nous a donné, dans sa personne et dans toute sa conduite, un exemple merveilleux. Dès que le Fils de Dieu paraît dans le monde, de quels sentiments d'admiration, de vénération, de religion est-il rempli et témoigne-t-il l'être pour ce Sauveur envoyé du ciel! Quand nous saurons ainsi nous dégager de toute préoccupation, de tout intérêt propre, ou que nous n'aurons point d'autre intérêt que celui de la vérité et de la charité, c'est alors que nous estimerons le mérite partout où il est, parce que nous n'aurons plus sur les yeux le bandeau qui nous le cache ; nous le verrons dans toute son étendue et dans toute sa perfection, et nous lui rendrons au dedans de nous-mêmes le légitime hommage qui lui appartient. Mais cela suppose une piété bien épurée, et bien détachée d'elle-même :

 

1 Matth., VIII, 3.

 

et comme il en est très-peu de cette sorte, il n'est que trop ordinaire, à un nombre infini de gens, dévots de profession ou plutôt de nom, d'être les plus rigides censeurs du prochain, et de se rendre, dans l'usage de la vie, les plus dédaigneux et les plus méprisants.

2° Voir sans peine le prochain dans le degré d'élévation où par son mérite il est monté. Il y a des mérites si évidents et si connus, qu'on ne peut se les déguiser à soi-même, et qu'on est forcé d'en convenir. Mais voici le comble de l'injustice : au lieu de dire, comme saint Jean : C'est à lui de croître ; on voudrait disputer à un homme la place qu'il occupe, et la lui enlever, quoiqu'on ne puisse néanmoins se dissimuler qu'il y est monté par la bonne voie, et qu'il a toutes les dispositions et toutes les conditions requises pour la remplir dignement. On l'avoue, on en est persuadé; mais malgré cette persuasion et cet aveu, on ne le voit qu'à regret dans un rang, dans une dignité, dans un ministère où l'on aspirait, et qu'on prétendait obtenir, sinon par le mérite, du moins par l'intrigue et par la faveur. Car telle est, présentement plus que jamais, l'iniquité du monde. Le plus faible moyen pour s'y avancer, c'est le mérite : ce qui fait que, sans égard au mérite d'un compétiteur, ni à ses talents, beaucoup supérieurs aux nôtres, on ne craint point toutefois d'entrer en concurrence avec lui, parce qu'on est appuyé d'ailleurs de puissants secours et de patrons sur qui l'on compte et dont on se prévaut. Si donc il arrive qu'on ne réussisse pas, et que l'autre ait le dessus, quoique ce soit une justice qui lui est faite, on en est vivement touché, et l'on ne peut digérer sur cela son chagrin. Où est la raison? est la probité naturelle? est le christianisme? Rendons, dit le grand Apôtre, rendons à chacun ce que nous lui devons : le tribut à qui est dû le tribut, et l’honneur à qui est dû l'honneur (1). Saint Paul faisait cette leçon aux premiers fidèles, et leur prescrivait cette règle à l'égard même des païens et des idolâtres : combien plus des chrétiens doivent-ils entre eux l'observer! S'il a plu à la Providence d'exalter celui-ci et de le placer sur le chandelier, quel droit avons-nous de nous opposer à ses desseins? Si celui-là se trouve plus digne que nous du crédit où il est et des emplois qu'on lui confie, soit dans l'Eglise, soit dans le siècle, que ne lui cédons-nous de bonne grâce un avantage qui lui est justement acquis? C'est notre frère; qu'il croisse (2). Pour

 

1 Rom., XIII, 7. — 2 Gen., XXIV, 60.

 

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penser de la sorte, il suffit d'être homme : mais, à plus forte raison, c'est ainsi que pense une âme bien fondée dans les principes de l'Evangile, qui est la droiture même et la souveraine justice.

 

JEUDI. — Jean-Baptiste perfectionnant les peuples par la confession des péchés.

 

SERMON SUR LA FRÉQUENTE CONFESSION.

 

Baptizabantur ab eo in Jordane, confitentes peccata sua.

Ils recevaient de lui  le baptême dans le Jourdain, en confessant leurs péchés. (Matth., III, 6.)

 

Cette confession que faisaient les peuples en recevant le baptême de Jean-Baptiste, c'était une confession publique; mais la confession que nous faisons au saint tribunal de la pénitence est une confession particulière et secrète. Le pécheur touché de Dieu vase prosterner aux pieds du ministre de Jésus-Christ, et servir de témoin contre lui-même, en déclarant ses péchés et s'en accusant. Confession dont je ne viens pas seulement vous recommander l'usage, mais le fréquent usage : l'un est de précepte, l'autre de conseil. De confesser aux prêtres nos péchés, du moins une fois dans le cours de chaque année, c'est ce que l'Eglise nous a expressément ordonné, et voilà le précepte; mais de n'en pas demeurer là, et d'aller souvent se laver à cette sainte piscine où sont renfermées les eaux de la grâce, et d'où elles nous sont communiquées par de salutaires effusions, c'est à quoi l'Eglise, sans nous en faire une loi, se contente de nous inviter, et voilà le conseil. Or j'entreprends ici de vous représenter les avantages infinis de cette importante pratique. Je veux vous montrer de quelle conséquence et de quelle utilité nous doit être à tous l'exercice de la fréquente confession. Ce n'est pas un commandement, j'en conviens; mais il y a des pratiques qui, sans être spécialement commandées, ont du reste une telle vertu, et peuvent tellement contribuer à l'affaire de notre salut et à notre avancement dans les voies de la sainteté chrétienne, que nous sommes inexcusables de les négliger. Ainsi, distinguant dans le christianisme deux états qui le partagent, je prétends vous faire voir l'importance de la fréquente confession, et par rapport aux pécheurs : ce sera le premier point, et par rapport aux justes : ce sera le second. Le Seigneur est proche : apprenons à lui préparer nos âmes et à les sanctifier, pour participer, avec le plus d'abondance que nous pourrons, à la grâce qu'il vient apporter au monde.

 

Premier point. — Importance de la fréquente confession par rapport aux pécheurs : pourquoi? parce que la fréquente confession est un des plus puissants moyens pour déraciner dans nous les principes du péché, et pour prévenir les suites malheureuses du péché.

1° Puissant moyen pour déraciner dans nous les principes du péché. J'appelle principes du péché ces convoitises avec lesquelles nous sommes nés, et qui sont, selon saint Jean, la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux et l'orgueil de la vie; c'est-à-dire les passions qui nous dominent, les inclinations qui nous entraînent, le penchant de la nature corrompue qui nous emporte vers les biens sensibles et périssables, richesses, honneurs, plaisirs. J'appelle principes du péché ces attachements criminels qui nous lient, ces habitudes vicieuses qui nous captivent, ces objets flatteurs qui nous attirent, ces respects humains qui nous tiennent asservis, ces occasions qui nous exposent à des périls si présents et à de si rudes attaques. Or, pour couper ces racines empoisonnées et pour en arrêter les progrès, rien de plus efficace que le fréquent usage de la confession.

A prendre la chose absolument, je sais quelle est la vertu du sacrement de pénitence, et qu'une seule confession, dès qu'elle est faite avec toutes les dispositions et tous les sentiments convenables, peut suffire pour nous fortifier contre les rechutes, et pour nous affermir dans l'état de grâce où elle nous a rétablis ; mais d'ailleurs je ne puis ignorer que cette confession, quelque sainte et quelque fervente qu'elle soit, n'éteint pas tout à coup dans le cœur le feu de la passion, ne redresse pas tout à coup l'habitude, n'efface pas tout à coup de l'esprit des objets dont le souvenir frappe et touche sensiblement, ne corrige pas tout à coup des idées vivement empreintes dans l'âme, ne dégage pas tout à coup de certaines occasions et de certaines tentations. Il faut du temps pour tout cela ; de sorte qu'après même avoir obtenu dans le sacrement le pardon des

 

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offenses dont nous nous sommes reconnus coupables, et que le ministre de Jésus-Christ nous a remises, nous avons néanmoins encore les mêmes ennemis à combattre, et au dedans de nous-mêmes, et hors de nous-mêmes. Ils sont affaiblis, je le veux; mais ils ne sont pas abattus. Les plaies que nous en avions reçues sont fermées; mais ils sont toujours en disposition de les rouvrir, et de lancer contre nous de nouveaux traits. Si nous cessons de les poursuivre, si nous mettons entre une confession et l'autre trop de distance, dans ce long intervalle ils répareront bientôt leurs pertes passées, et reprendront sur nous le même ascendant. Hélas 1 combien de funestes épreuves ont dû nous l'apprendre ! Mais voulons-nous enfin nous affranchir de leur tyrannie et nous mettre à couvert de leurs coups; voulons-nous dessécher ce mauvais levain que nous portons dans le cœur, et qui sans cesse grossit et se répand sur toutes les puissances de notre âme pour les corrompre; voulons-nous arracher ces principes de mort qui nous sont si intimes, et arrêter les impressions que font sur nous tant d'objets qui nous environnent ; en voici le moyen le plus infaillible : c'est d'user fréquemment des armes de la pénitence, c'est de se présenter régulièrement et fréquemment à son tribunal. A force de médicaments on guérit les plus profondes blessures, et on en tire tout le venin ; et à force d'employer les remèdes que fournit un confesseur, à force de s'accuser devant lui, de se confondre, de se reprocher ses faiblesse, de résoudre, de promettre, de s'assujettir à de justes satisfactions, il n'y a point de passion si violente dont, avec l'assistance divine, on n'amortisse peu à peu l'ardeur ; point de nœuds si serrés qu'on ne délie , point d'habitude, point de tentation qu'on ne surmonte. Mettons-nous en état de le connaître par nous-mêmes : l'expérience nous en convaincra.

2° Puissant moyen pour prévenir les suites malheureuses du péché. Trois effets du péché, qui en sont les suites les plus ordinaires : l'aveuglement de l'esprit, l'endurcissement du cœur, l'impénitence à la mort, ou la mort dans le péché. L'aveuglement : un homme adonné à son péché, où il reste et où il vit pendant un long espace de temps, perd de jour en jour les idées de Dieu et de la religion, oublie les vérités du christianisme, et se laisse tellement préoccuper, ou, pour mieux dire, tellement infatuer des erreurs et des fausses maximes du monde, qu'il n'a plus d'autre règle qui le guide, ni dans tous ses jugements, ni dans toute sa conduite. L'endurcissement : le mal se communique au cœur ; toutes les pointes de la conscience s'émoussent ; on tombe à l'égard du salut dans une espèce de léthargie où l'on n'est ému de rien, il n'y a ni avertissement, ni remontrances à quoi l’on prête l'oreille et qui fassent quelque sensation. Enfin l'impénitent» à la mort, ou la mort dans le péché : car il arrive assez communément qu'on est surpris de la mort lorsqu'on s'y attendait le moins, et qu'en remettant sa confession d'une pâque à l'autre, on ne peut atteindre ce terme, et Ton disparaît sans avoir eu le loisir de penser à soi et de se reconnaître.

Or, il est évident que le remède à tout cela le plus certain, c’est la fréquente confession. Et en effet, dans la fréquente confession, on se rappelle souvent le souvenir de Dieu et de la loi de Dieu, on se retrace ses devoirs, on s'occupe des vérités éternelles : remède contre l'aveuglement de l'esprit. Dans la fréquente confession, on s'excite souvent à la haine du péché, au repentir et à la douleur, à l'amour de Dieu, à la crainte de ses jugements, à de saints désirs et à de saintes résolutions : remède contre l'endurcissement du cœur. Dans la fréquente confession, on se réconcilie promptement avec Dieu, si l'on a eu le malheur de perdre sa grâce ; on bannit de son âme le péché presque aussitôt qu'il y est entré, i»n ne lui permet pas de s'y établir ; et par là, selon la parole de Jésus-Christ, on se tient toujours prêt et toujours en garde contre les surprises de la mort. Vigilance que le Fils de Dieu nous a tant recommandée dans l'Evangile, et qui, par une sage précaution, eût pu sauver des millions de réprouvés qu'une, mort imprévue et subite a précipités dans l'enfer. Ils comprennent, mais trop tard, ce que c'est que d'avoir trop différé à se relever du péché, et d'avoir longtemps vécu dans un état de damnation. Comprenons-le nous-mêmes, mais de bonne heure, mais dès à présent, mais quand cette connaissance nous peut être salutaire.

 

Second point. — Importance de la fréquente confession par rapport aux justes. Que celui qui est saint, dit l'Ecriture, se sanctifie toujours davantage ; c'est-à-dire que l'âme juste se purifie toujours de plus en plus devant Dieu, et qu'elle renouvelle toujours de plus en plus sa ferveur dans le service de Dieu. Or, il est aisé de voir combien la fréquente confession contribue à l'un et à l'autre.

1° Rien de plus propre à purifier de plus en

 

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plus l'âme juste que la fréquente confession. Le juste, selon le témoignage du Saint-Esprit, tombe jusques à sept fois le jour. Il n'y a donc point d'âme, si innocente et si nette aux yeux de Dieu, qui n'ait toujours besoin de se purifier; car la parole du Sage est générale, et il ne dit pas seulement quelques justes, mais il dit absolument et sans restriction le juste, quel qu'il soit. La raison est que le juste est toujours homme, et que, tout homme sur la terre est faible, et sujet aux fragilités humaines. Cependant il est d'un extrême intérêt, pour une âme qui veut être à Dieu, d'acquérir, autant qu'il lui est possible, la plus grande pureté de cœur, et de s'y maintenir : pourquoi ? parce qu'autrement elle ne peut jouir des faveurs du ciel, ni recevoir certaines grâces de Dieu, lequel ne se communique qu'aux âmes pures, et ne se découvre à elles qu'à proportion de leur pureté : ce qui a fait dire au Sauveur du monde : Heureux ceux dont le cœur est pur, car ils verront Dieu (1). Or, on ne peut douter que ce ne soit par la fréquente confession que l'âme chrétienne se purifie des moindres taches. Plus elle rentre souvent en elle-même, plus elle s'examine, et plus elle devient clairvoyante à les apercevoir : et du moment qu'elle les aperçoit , elle ne peut avoir de repos qu'elle ne les ait effacées par les larmes de la pénitence. De cette sorte, elle les empêche de croître , elle se préserve des chutes plus grièves où elle pourrait être entraînée par une multitude de fautes, quoique légères, qu'elle laisserait grossir et s'accumuler ; elle se présente toujours à Dieu , suivant la figure du Prophète royal, telle qu'une reine qui paraît devant le prince son fidèle époux, parée de divers ornements et avec un habit enrichi d'or (2). Dans cet état, elle attire sur elle les yeux de Dieu, elle lui plaît ; et parce qu'il n'y a point d'obstacle qui le puisse éloigner, il vient à elle, l'honore de sa présence et la comble de ses dons.

2° Rien de plus propre à renouveler sans cesse la ferveur de l'âme juste que la fréquente confession. Il n'y a point de feu si ardent qui ne se ralentisse quand on ne prend pas soin de l'entretenir, et il n'y a point de piété si fervente qui, pour ne pas déchoir et ne se point refroidir, n'ait besoin d'être souvent ranimée et réveillée. Cet évoque de l'Apocalypse l'avait éprouvé, lorsque Dieu lui reprochait qu'il avait beaucoup perdu de sa première charité , et

 

1 Matth., V, 8. — 2 Psalm., XLIV, 10.

 

qu'il était tombé dans le relâchement et la tiédeur. Voilà où en sont réduites tant d'âmes qu'on a vues à certains temps toutes brûlantes de zèle pour l'honneur de Dieu et pour leur sanctification. Rien n'échappait à leur fidélité, rien ne les arrêtait, rien ne leur coûtait ; il ne leur a manqué que la constance. Or, pour se remettre en de si heureuses dispositions, point de meilleure pratique à leur prescrire, que .de fréquenter le sacrement de pénitence.

Car, plus elles en approcheront, plus elles participeront aux grâces renfermées dans ce sacrement : et ce qui allume la ferveur, ne sont-ce pas les saints mouvements de la grâce ? Plus elles en approcheront, plus elles se rempliront l'esprit de pieuses considérations, la volonté de vives affections : et ne sont-ce pas là toujours de nouveaux aliments pour nourrir le feu et pour le perpétuer ? Aussi est-il vrai qu'on ne se retire point communément du sacré tribunal sans en emporter une certaine onction qui s'insinue dans le cœur, et qui occupe, pour ainsi dire, toute la capacité de l'âme. On se sent tout recueilli en soi-même, tout pénétré d'une joie céleste et intérieure, quelquefois même tout attendri de dévotion : les yeux se baignent de larmes, le cœur éclate en soupirs : dans l'ardeur où l'on est, on redouble le pas, on avance, on se rend plus régulier que jamais et plus assidu à tous ses exercices. Effets merveilleux, et plus ordinaires à ces fêtes solennelles où l'Eglise célèbre les grands mystères de la religion. En est-il un plus touchant que celui de la naissance d'un Dieu fait homme pour le salut des hommes, et de tous les hommes? Justes et pécheurs, je vous l'annonce. Il vient, ce Rédempteur, il est près de nous : ouvrons-lui tous les chemins de notre cœur, afin qu'il daigne y entrer et y prendre une naissance toute spirituelle ; car c'est ainsi qu'il le prétend. Levons tous les obstacles qui pourraient s'opposer à son passage et le séparer de nous. Comblons toutes les vallées, redressons tous les sentiers tortus, aplanissons tout ce qu'il y a de raboteux (1). Dégageons-nous de tous les liens et de toute la corruption du péché. N'en souffrons pas la moindre souillure, et que ce soit là le fruit d'une digne confession. De cette manière, nous pourrons renaître nous-même avec Jésus-Christ et en Jésus-Christ, pour vivre éternellement en lui et avec lui.

 

1 Luc, III, 5.

 

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FÊTE   DE   NOËL. SERMON SUR LA NATIVITÉ DE JÉSUS-CHRIST.

 

Apparuit gratia Dei Salvatoris nostri, omnibus hominibus, erudiens nos, ut abnegantes impietatem et sœcularia desideria, sobrie, et juste, et pie vivamus in hoc saeculo, expectantes beatam spem.

 

La grâce de Dieu notre Sauveur s'est manifestée à tous les hommes pour notre instruction, afin que. renonçant à l'impiété et aux convoitises du monde, nous vivions dans ce siècle selon les règles de la tempérance, de la justice et de la piété, attendant le bonheur qui est le terme de notre espérance. (Dans l’Epitre à Tite, chap. II, 11-13.)

 

C'est en ce jour qu'elle s'est montrée aux hommes, cette grâce de Dieu notre Sauveur ; et c'est dans l'adorable personne de Jésus-Christ naissant que se sont accomplies ces belles et consolantes paroles de l'Apôtre. Dans le mystère de l'incarnation divine , cette grâce du Sauveur est descendue sur la terre ; mais elle demeurait encore cachée dans le chaste sein de Marie, et ce n'est qu'en Bethléem et dans l'étable qu'elle s'est rendue visible par la sainte nativité de l’Enfant-Dieu qui nous l'apportait. Il est donc venu et il a paru au monde, ce Messie, ce désiré des nations : pourquoi? pour nous instruire et pour nous donner la science du  salut. Science du salut dont avait parlé Zacharie, père de Jean-Baptiste, dans son admirable cantique, et que le divin précurseur devait lui-même enseigner au peuple de Dieu. Science du salut, science suréminente, l'abrégé de  toutes  les sciences ,  ou  plutôt  l'unique science qu'il nous importe d'acquérir et de bien apprendre. Science que saint Paul fait consister en deux choses : l'une d'éloigner de nous tous les obstacles du salut, et l'autre, de pratiquer toutes les œuvres du salut. Car ce sont là, dans la pensée du maître des Gentils, les deux importantes instructions que nous devons tirer de la naissance de Jésus-Christ. La grâce de Dieu notre Sauveur s'est manifestée à tous les hommes, afin que nous renoncions aux convoitises du monde et à ses désirs sensuels ; voilà les obstacles  du salut   dont un Dieu-Homme, et naissant parmi les hommes, nous apprend à nous dégager : premier point. Cette même grâce de Dieu notre Sauveur s'est manifestée à tous les hommes, afin que nous vivions selon les règles de la tempérance, de la justice et de la piété ; voilà les œuvres du salut qu'un Dieu-Homme ,  et naissant  parmi  les hommes, nous apprend à pratiquer : second point. Grandes et salutaires leçons où est renfermée toute la  sagesse évangélique et qui demandent toute notre étude et toute notre attention.

 

Premier point. — Obstacles du salut dont un Dieu-Homme, et naissant parmi les hommes, nous apprend à nous dégager. Ces obstacles sont les biens du monde , les honneurs du monde, les plaisirs du monde et l'attachement que nous y avons : je dis l'attachement que nous y avons, et c'est cet attachement que l'Apôtre appelle convoitises du siècle et désirs sensuels. L'expérience de tous les temps n'a fait que trop voir de combien de crimes ces malheureuses convoitises ont été la source, et combien d'âmes elles ont damnées, combien elles en damnent tous les jours. Or, c'est ce que le Fils de Dieu, dès sa naissance, nous apprend à retrancher de nos cœurs ; et c'est pour nous y porter avec plus d'efficace et plus de force, qu'il commence par nous en donner lui-même l'exemple le plus touchant.

En quel état naît-il? dans un état de pauvreté, dans un état d'humiliation, dans un état de souffrance et de mortification. Lisons sur cela l'Evangile : tout y est remarquable. Pauvreté : la mère, qui se voit proche de son terme, cherche un lieu convenable pour se retirer ; mais son extrême indigence la fait refuser partout ; il ne lui reste qu'une étable : quelle demeure pour un Dieu et pour une mère de Dieu ! Quoi qu'il en soit, c'est laque Marie met au monde le Sauveur et le Roi du monde; c'est là qu'il commence à paraître. Le lit où il repose, c'est la paille; son berceau , c'est une crèche ; ses vêtements , ce sont de misérables langes ; voilà son palais; voilà tous ses trésors, Humiliation : hors quelques pasteurs qui viennent lui rendre leurs hommages, nul ne le connaît, ni ne pense à lui. A la naissance des princes, la joie éclate de toutes parts, on célèbre leur nom ; les peuples, par des feux, des acclamations publiques, leur applaudissent: mais à l'égard de ce Dieu naissant, tout est dans le plus profond silence ; il est dans le monde comme s'il n'y était pas. Souffrance et mortification ; dans les ténèbres d'une nuit obscure, et au milieu de la plus rigoureuse saison , il se trouve exposé à toutes les injures du temps. Quel soulagement peut-il recevoir

 

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de Joseph et de Marie? toutes choses leur manquent, et ils n'ont point d'autres secours à lui donner que de s'attendrir à ses cris et de compatir à ses douleurs.

Est-ce donc ainsi que devait naître le libérateur d'Israël, le rédempteur des hommes, l'envoyé de Dieu ? Est-ce ainsi que la Synagogue l'attendait? Bien loin de cela, elle se promettait un Messie puissant selon le monde, grand selon le monde, comblé de tout le bonheur et de toute la gloire du monde : fausse espérance dont les Juifs s'étaient laissé prévenir. Mais ce n'est point là le plan que Dieu , dans le conseil de sa sagesse éternelle, s'était formé pour l'ouvrage de notre rédemption et pour son accomplissement ; il nous fallait un Sauveur qui nous enseignât la science du salut, et qui d'abord nous apprît à en lever tous les obstacles; qui, dis-je, nous l'apprît encore plus par ses exemples que par ses paroles, puisque les paroles sans les exemples perdent infiniment de leur vertu, et ne font pas, à beaucoup près, la même impression. Par conséquent il nous fallait un Sauveur tel que nous l'avons, et tel qu'il se présente à nos yeux : un Sauveur pauvre, un Sauveur abject et humilié, un Sauveur souffrant et pénitent : pourquoi ? afin qu'il pût nous dire avec plus d'autorité et d'une manière plus persuasive ce qu'il nous dit en effet de sa crèche : Malheur à vous, riches (1) !  non point précisément parce que vous êtes riches, mais parce que, vous confiant dans ces richesses périssables que vous aimez, vous ne pensez point à ce souverain bien, à ce bien éternel que je viens vous promettre, et qui seul est digne de vos soins. Malheur à vous qui, pour vous élever et vous agrandir sur la terre, ambitionnez les premiers rangs et voulez occuper les premières places (2) ! non point précisément que ce soit un crime de devenir grand et d'être grand ; mais parce qu'éblouis de cette grandeur humaine et passagère dont vous êtes si jaloux, vous oubliez la véritable grandeur où vous devez sans cesse aspirer, et qui est la gloire céleste et immortelle. Malheur à vous qui vous réjouissez et qui trouvez votre consolation en cette vie (3) !  non point précisément que toute joie et toute consolation vous soit défendue, car il y en a d'innocentes et même de saintes; mais parce qu'enivrés des plaisirs sensuels qui vous corrompent, vous ne portez jamais vos vues vers la suprême béatitude où vous êtes appelés, et que vous ne prenez nulles mesures pour l'obtenir.

 

1 Luc, VI, 24. — 2 Ibid., XI, 43. — 5 Ibid., VI, 25.

 

Solides enseignements du divin Maître qui, pour nous faire marcher avec plus d'assurance dans les voies du salut, nous en découvre les écueils. Il nous parle; mais l'entendons-nous? voulons-nous l'entendre? Renoncer au monde, aux prospérités du monde, aux grandeurs du monde, au bonheur du monde: y renoncer, sinon d'effet, au moins de cœur, quel langage pour des mondains! mais c'est le langage de Jésus-Christ, c'est son Evangile. Nous trompe-t-il? veut-il nous tromper? Raisonnons comme il nous plaira : il faut, ou suivre ce guide qui vient nous conduire, et qui est la voie même, la vérité, la vie ; ou vivre et mourir dans un funeste égarement qui nous mène à la perdition.

Second point. — Œuvres du salut qu'un Dieu-Homme, et naissant parmi les hommes , nous apprend à pratiquer. l'Apôtre nous les a marquées dans ces paroles : Afin que nous vivions selon les règles de la tempérance, de la justice et de la piété. Œuvres, suivant l'explication de saint Bernard, œuvres de tempérance et d'une modération chrétienne par rapport à nous-mêmes, œuvres de justice et d'une charité chrétienne par rapport au prochain , œuvres de religion et d'une piété chrétienne par rapport à Dieu.

1° Œuvres de tempérance et d'une modération chrétienne par rapport à nous-mêmes. Ce devoir se réduit aux saintes violences qu'il en coûte pour se maintenir dans l'ordre et se bien gouverner en toutes choses ; pour garder une conduite toujours sage, droite, pure et régulière, selon la raison et selon l'esprit du christianisme. Car dans l'usage de la vie, combien y a-t-il pour cela de combats à livrer contre ses propres inclinations et ses propres sentiments? combien de vivacités à réprimer, combien de mouvements impétueux à arrêter, combien de jugements particuliers à soumettre et à déposer, combien de répugnances à vaincre, de volontés à rompre, combien d'efforts à faire, soit pour agir, soit pour s'abstenir et pour souffrir? en un mot, combien de fois et sur combien de sujets faut-il, non-seulement renoncer au monde et à tous les objets extérieurs et sensibles, mais s'immoler soi-même, mais se dépouiller de soi-même, mais se renoncer soi-même ? Sans cela, bien loin de pouvoir posséder son âme et de savoir se régler, à quoi souvent ne s'échappe-t-on pas? à quelles extrémités ne se porte-t-on pas? en combien de rencontres ne s'oublie-t-on pas ? Guerre évangélique  dont cet enfant à qui nous rendons

 

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nos hommages comme à notre Dieu, et que nous adorons dans l'étable, lève, pour ainsi parler, aujourd'hui l'étendard ; guerre qu'il vient allumer sur la terre , et qu'il propose à tous ses disciples, ne les reconnaissant pour être à lui que par le renoncement à eux-mêmes ; guerre qui réforme tout l'homme , qui le tient continuellement en bride, qui redresse ses caprices, ses légèretés, ses humeurs; qui le garantit de tous les excès où l'ardeur de ses passions pourrait l'entraîner ; qui l'établit et l'affermit inébranlablement dans cette sobriété, pour user du terme de saint Paul, dans ce tempérament et ce milieu où réside la sagesse, et où les maîtres de la morale font consister la vertu ; guerre difficile, il est vrai ; mais il y va du salut. Or un Dieu descendu de sa gloire, un Dieu fait chair et sujet à toutes nos infirmités, un Dieu né dans la misère et anéanti pour ce salut même dont le soin nous est confié, ne nous donne-t-il pas assez à entendre quelle en est l'importance, et que, dans une affaire d'une telle conséquence, il n'y a rien à ménager?

2° Œuvres de justice et d'une charité chrétienne par rapport au prochain. De justice : rendant à chacun ce qui lui est dû, et ne refusant rien à personne de tout ce qui lui appartient. De charité : ajoutant au devoir la bonne volonté, l'inclination à faire du bien, le désir d'obliger et de faire des grâces, la patience dans les injures, et une prompte disposition à pardonner. Contemplons notre modèle, et observons-y tous ces traits, pour les former en nous et pour les imiter. Il naît , ce roi du monde, et il naît dans l'exercice actuel de la justice la plus exacte, par l'hommage qu'il rend aux puissances du siècle, quoique païennes et ennemies de sa loi. Si Marie, toute enceinte qu'elle était, a quitté Nazareth et s'est transportée à Bethléem, c'est pour se soumettre à l'édit d'Auguste César , qui ordonne qu'on dresse un état de l'empire, et que tous sans exception aillent se faire inscrire, chacun dans la ville dont il est originaire : voilà pourquoi cette mère vierge s'expose , elle et l'enfant qu'elle porte, à toutes les fatigues d'un pénible voyage, et aux rudes épreuves qu'elle a à soutenir dans une bourgade où elle est regardée et traitée comme étrangère. Elle obéit, elle pratique par avance et fait pratiquer à son Fils cette grande maxime qu'il doit un jour prêcher lui-même : Rendez à César ce qui est à César (1) ; tant les droits du prochain sont inviolables,

 

1 Matth., XXII, 21.

 

et tant devons-nous les respecter, de quelque nature qu'ils soient et en qui que ce puisse être. Ce n'est pas tout : il naît cet aimable et adorable Sauveur, et c'est par un effet de la charité la plus ardente et la plus désintéressée, c'est pour nous délivrer de la mort c'est pour nous combler de ses biens, nous, indignes et viles créatures, nous pécheurs et ennemis de son Père. Comptons après cela le peu que nous faisons pour nos frères ; car qu'est-ce que notre charité, et en quoi se montre-t-elle? sont ses largesses ? sont ses soins prévenants et bienfaisants? Que donne-t-elle ? que supporte-t-elle ? que remet-elle? Toutefois un des caractères les plus marqués du christianisme, et par conséquent une des vertus les plus nécessaires au salut, c'est la charité.

3° Œuvres de religion et d'une piété chrétienne par rapport à Dieu. Voilà le point capital, et c'est là que tout doit tendre : c'est, dis-je, à la gloire et au culte de Dieu. Aussi est-ce l'essentielle et dernière lin de l'avènement du médiateur qui nous est né. En entrant dans le monde, que dit-il au Père tout-puissant qui l'envoie? Ecoutons l'Apôtre,et voyons comme il le fait parler : Vous n'avez pas voulu, Seigneur, du sang des taureaux et des doues ; vous ne vous êtes point contenté de ces oblations et de ces victimes ; mais vous m'avez formé un corps; et dans ce corps me voici, mon Dieu, je viens faire votre volonté, selon qu’il est écrit de moi (1). C'est par la transgression de cette volonté divine que votre gloire a été blessée, et je viens la réparer ; je viens vous honorer, autant que le mérite votre être suprême. Ainsi, en effet, vient-il glorifier le Dieu vivant, ce Fils unique de Dieu ; il s'abaisse à tout pour cela, il se soumet à tout; mais nous, ce même Dieu à qui nous assujettit une dépendance encore plus naturelle et plus entière, en quoi le glorifions-nous ? est-ce dans nos sentiments, est-ce dans nos paroles, est-ce dans nos actions? quels actes de religion, quels exercices de piété pratiquons-nous ? ou, si nous les pratiquons, comment les pratiquons-nous ? Devoirs indispensables, mais qu'on abandonne absolument, ou dont on ne s'acquitte qu'imparfaitement; on s'en fait une gêne, une servitude, un fardeau. A qui donc offrons-nous notre encens? à qui le devons-nous? et s'il nous est enjoint de rendre au monde ce qui appartient au monde, nous est-il moins étroitement ordonné de rendre à Dieu ce qui appartient à

 

1 Hebr., XXIX, 5.

 

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Dieu? Or ce qui appartient à Dieu, c'est l'honneur ; et l'honneur de Dieu, c'est que nous le servions, que nous l'adorions, que nous observions sa loi, que nous révérions ses mystères, que nous soyons assidus à chanter ses louanges, à célébrer ses grandeurs, à invoquer son nom, à entendre sa parole, à fréquenter ses autels, à fuir tout le mal qu'il nous défend , et à ne rien omettre de tout le bien qu'il nous commande. Reprenons tout ce discours, et concluons. Nous avons appris de Jésus-Christ naissant la science du salut, ou nous avons dû l'apprendre ; nous savons quels sont les obstacles du salut, quelles sont les œuvres du salut. Joignons à ces connaissances la pratique : c'est tout ce qui manque à l'ouvrage de notre rédemption, qu'il ne tient qu'à nous, avec la grâce du Sauveur, d'achever et de consommer.

 

 

FIN  DE  L'ESSAI  D'AVENT.

 

 

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