LUNDI DE PAQUES

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SERMON POUR LE LUNDI DE PAQUES.
SUR LA RÉSURRECTION DE JÉSUS-CHRIST.

ANALYSE.

 

Sujet. Tandis qu'ils s'entretenaient et qu'ils raisonnaient ememble, Jésus se joignit à eux, et marcha avec eux; mais ils avaient un voile sur les yeux pour ne le pas connaître.

 

Ces disciples, dont il est parlé dans l'Evangile, manquaient de foi en Jésus-Christ et d'amour pour Jésus-Christ. Or, c'est pour leur inspirer l'un et l'autre qu'il les rend témoins de sa résurrection.

 

Division. Résurrection de Jésus-Christ, motif puissant pour croire sa divinité : première partie. Résurrection de Jésus-Christ, engagement indispensable à aimer sa sainte humanité : deuxième partie.

(La première partie de ce sermon est la même que celle du sermon précédent.)

Deuxième partie. Résurrection de Jésus-Christ, engagement indispensable à aimer sa sainte humanité : pourquoi? 1° parce que c'est pour nous qu'il est ressuscité; 2° parce que, dans le triomphe même de sa résurrection, il a voulu conserver les marques les plus authentiques et les caractères les plus visibles de son amour pour nous, savoir, les cicatrices des blessures qu'il avait reçues dans sa passion; 3° parce qu'en ressuscitant glorieux, il a élevé son humanité à un état de perfection où nous ne pouvons nous défendre de l'aimer, mais d'un amour pur et tout spirituel.

1° C'est pour nous que Jésus-Christ est ressuscité : ainsi nous l'enseigne l'Apôtre : Resurrexit propter justificationem nostram. En effet, il n'est ressuscité qu'afin de nous ressusciter avec lui, et de ressusciter lui-même dans nous. Dieu donc, dans sa résurrection, nous le donne une seconde fois, comme il nous le donna dans sa naissance en qualité de Sauveur, en qualité de pasteur, en qualité de docteur et de maître : en qualité de Sauveur, puisque, dans sa résurrection, il mit le sceau à tout ce qu'il avait fait et à tout ce qu'il avait souffert pour notre salut; en qualité de pasteur, puisque son premier soin, après sa résurrection, fut de ramasser son troupeau, que L'infidélité avait dissipé; en qualité de docteur et de maître, puisque tout le temps qu'il demeura sur la terre depuis qu'il fut ressuscité, il l'employa à instruire ses disciples. Or, que doit nous inspirer tout cela? un zèle ardent et un amour tendre pour cet Homme-Dieu.

2° Dans sa résurrection, Jésus-Christ a voulu conserver les marques les plus authentiques et les caractères les plus visibles de son amour pour nous, savoir : les cicatrices des blessures qu'il avait reçues dans sa passion : par où il nous fait entendre que, dans le séjour même de sa gloire, il ne veut point nous oublier, mais qu'il veut nous servir d'avocat auprès de son Père. Nous ne devons donc jamais l'oublier nous-mêmes.

3° Jésus-Christ, en ressuscitant glorieux, a élevé son humanité à un état de perfection où nous ne pouvons nous défendre de l'aimer, mais d'un amour pur et tout spirituel. Il l'a rendue impassible et immortelle; il l'a revêtue de toute la splendeur que répand sur elle sa divinité.

Concluons avec saint Paul : Que celui qui n'aime pas le Seigneur Jésus soit anathème! Aimons-le, non pas toujours d'un amour sensible, mais d'un amour solide. Or, est-ce l'aimer de la sorte, que de vivre comme nous vivons?

 

Et factum est, dum fabularentur et secum quœrerent, et ipse Jesus appropinquans ibat eum illis ; oculiautem illorum tenebantur ne eum agnoscerent.

 

Tandis qu'ils s'entretenaient et qu'ils raisonnaient ensemble, Jésus se joignit à eux, et marcha avec eux ; mais ils avaient un voile sur les yeux pour ne le pas connaître. (Saint Luc, chap. XXIV, 16.)

 

Quand je considère, Chrétiens, la disposition où se trouvaient ces deux disciples dont nous parle notre évangile, il me semble que le Sauveur du monde eut deux grandes maladies à guérir dans leurs personnes, et qu'il fut nécessaire qu'il employât pour cela les remèdes les plus puissants, et toute la force de sa grâce. Car premièrement, ils n'avaient pas la foi qu'ils devaient avoir en lui; et de plus, quoiqu'ils eussent été jusqu'alors du nombre de ses disciples, ils commençaient à se détacher de lui. Ils étaient incrédules, et ils étaient froids et languissants : ils ne croyaient pas de lui ce qu'ils devaient croire, et ils n'aimaient pas dans lui ce qu'ils devaient aimer. Ils ne croyaient pas de lui ce qu'ils devaient croire; car il était Dieu, et ils n'en parlaient que comme d'un homme, abaissant leur foi à des idées communes et populaires, traitant Jésus-Christ de prophète, avouant qu'il avait été puissant en œuvres et en paroles, mais ne lui donnant rien de plus, et n'y reconnaissant que ce que les Juifs grossiers et charnels y avaient eux-mêmes reconnu : De Jesu Nazareno qui fuit vir propheta (1). Voilà leur incrédulité. Ils étaient froids et languissants dans son amour : car c'est pour cela qu'ils sortaient de Jérusalem, n'osant pas se déclarer ses disciples, abandonnant son parti et ses intérêts, n'espérant plus en lui, et n'attendant plus de lui cette rédemption d'Israël sur laquelle ils avaient compté : Nos autem sperabamus, quia

 

1 Luc., XXIV, 19.

 

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ipse esset redempturus Israël (1). Tout cela, Chrétiens, parce qu'ils n'étaient pas persuadés de sa résurrection : car le seul doute qu'ils avaient si Jésus-Christ était ressuscité, et s'il devait même ressusciter, corrompait leur foi et ralentissait leur zèle. Que fait donc Jésus-Christ? Il les convainc par une expérience sensible qu'il est vraiment ressuscité ; et dans cette apparition il éclaire leurs esprits et il embrase leurs cœurs. Il éclaire leurs esprits, en leur expliquant ce que Moïse et les prophètes ont dit de lui, et leur donnant de la vénération pour ce Christ et ce Messie qu'il leur propose comme un Dieu de gloire; jusqu'à ce qu'enfin il leur ouvre tout à fait les yeux, en leur découvrant que c'est lui-même qui leur parle, et les obligeant de confesser qu'il est leur Dieu et leur Seigneur. Et il échauffe leurs cœurs, leur inspirant peu à peu par ses discours des sentiments d'amour pour sa personne; d'où vient qu'ils se disaient l'un à l'autre : N'est-il pas vrai que notre cœur était tout enflammé et tout ardent lorsqu'il nous parlait dans le chemin, et qu'il nous expliquait les Ecritures? Voilà, mes chers auditeurs, le sujet de l'instruction que j'ai à vous faire. Ce qu'étaient ces deux disciples d'Emmaüs à l'égard du Fils de Dieu, c'est ce que sont encore aujourd'hui je ne sais combien de chrétiens lâches, infidèles, remplis de l'amour du monde, et que l'on peut dire avoir en quelque sorte renoncé à Jésus-Christ, quoiqu'ils fassent encore extérieurement profession d'être ses disciples. Ils en ont le caractère et le nom; mais à peine ont-ils la foi, ou à peine sont - ils touchés d'aucun sentiment d'amour pour cet Homme-Dieu. Ils ne croient que faiblement, et ils n'aiment presque point du tout, parce que la vraie charité ne peut avoir d'autre fondement que celui de la foi.

Je veux donc dans ce discours travailler à relever ce fondement, et à corriger ces deux désordres, dont le premier est notre infidélité , et le second, notre insensibilité. Je prétends que Jésus-Christ ressuscité doit parfaitement établir et dans nos esprits la foi de sa divinité, et dans nos cœurs l'amour de sa sainte humanité. Je m'explique. Qu'est-ce que Jésus-Christ? Un composé de deux natures, l'une divine, l'autre humaine. La divinité demande surtout notre foi, et l'humanité notre amour. Car, dit saint Jean, c'est la foi de la divinité de Jésus-Christ qui nous sanctifie, et c'est l'humanité de Jésus-Christ qui nous a sauvés. Or,

 

1 Luc, XXIV, 21.

 

pour avoir cette foi divine et ce saint amour, nous n'avons qu'à nous attacher au mystère de la résurrection. Dans ce mystère nous apprenons à connaître Jésus-Christ et à l'aimer; à le connaître comme Dieu, et à l'aimer comme Dieu-Homme et Sauveur. Résurrection de Jésus-Christ, motif puissant pour croire sa divinité : c'est la première partie ; résurrection de Jésus-Christ, engagement indispensable à aimer sa sainte humanité : c'est la seconde ; et voilà tout le sujet de votre attention.

 

(La première partie de ce sermon est la même que celle du sermon précédent.)

 

DEUXIÈME   PARTIE.

 

Que l'état de la gloire inspire la crainte, attire le respect, donne de l'admiration, c'est, Chrétiens, ce que je n'ai pas de peine à comprendre. Mais ne semble-t-il pas que ce soit un paradoxe ,  de dire  qu'un mystère aussi éclatant et aussi glorieux que celui de la résurrection du Fils de Dieu, qu'un mystère qui fut le triomphe de son humanité, qui l'exempta de toutes nos faiblesses, qui le sépara de nous, et qui le mit dans un état où il n'eût plus avec les hommes ce commerce familier que son incarnation avait établi entre lui et eux ; que ce mystère, dis-je, doive servir à exciter pour ce Dieu-Homme toute la tendresse de notre amour, c'est ce qui paraît d'abord difficile à croire, et ce qui est néanmoins constant dans tous les principes de notre religion. Car, de quelque manière que nous envisagions aujourd'hui ce grand mystère, soit que nous en considérions la fin, soit que nous en examinions les circonstances, soit que nous ayons égard à l'effet principal qu'il a produit dans la sainte humanité du Sauveur, je prétends, et il est vrai, que c'est un des mystères où sa charité s'est fait voir plus sensiblement; et que tous les autres mystères de sa vie souffrante et mortelle, ces mystères de miséricorde et de bonté, ont trouvé dans celui-ci comme leur accomplissement et leur consommation : pourquoi cela? comprenez, s'il vous plaît, ma pensée : parce qu'autant qu'il est vrai que Jésus-Christ est entré dans sa gloire en ressuscitant, autant est-il vrai que c'est pour nous qu'il a pris possession de cette gloire, et qu'il est ressuscité ; voilà ce que j'appelle la fin du mystère : parce que, dans le triomphe même de sa résurrection, il a voulu conserver les marques les plus authentiques et les caractères les plus visibles de son amour envers les hommes, savoir, les cicatrices des blessures qu'il avait reçues dans

 

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sa passion : voilà la circonstance la plus remarquable, ou du moins l'une des plus remarquables de ce mystère ; enfin, parce qu'en ressuscitant glorieux, il a élevé son humanité à un état de perfection où nous ne pouvons nous défendre de l'aimer, mais de quel amour? d'un amour pur, d'un amour spirituel et tout divin ; voilà l'effet, ou, pour mieux dire, la substance même de ce mystère, considéré par rapport à nous. Appliquez-vous, Chrétiens, à ces trois vérités.

C'est pour nous et pour notre intérêt que Jésus-Christ est ressuscité. Il ne nous est pas permis de former sur cela le moindre doute, puisque le Saint-Esprit nous le dit en termes exprès : Traditus est propter delicta nostra, et resurrexit propter justificationem nostram (1) ; Il a été livré à la mort pour nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification. En effet, de la manière qu'en parle l'Ecriture, il ne ressuscite qu'afin de nous faire ressusciter avec lui, et de ressusciter lui-même dans nous. Il ne ressuscite, dit saint Augustin, que pour ressusciter dans sa personne notre espérance, et pour ressusciter dans nos cœurs son amour, que le péché y avait éteint. En un mot, il ne ressuscite, selon saint Paul, que pour notre justification : Et resurrexit propter justificationem nostram. De sorte que cette grande parole de l'Evangile : Sic Deus dilexit mundam, ut Filium suum unigenitum daret (1), s'étend aussi bien au mystère de la résurrection qu'à celui de l'Incarnation : car, au moment que Jésus-Christ sortit du tombeau, il fut vrai de dire que le Père éternel donnait encore une fois au monde son Fils unique ; et c'est la pensée de l'Apôtre, dans ce texte de l'Epître aux Hébreux que j'ai déjà cité : Et cum iterum introducit primogenitum in orbem terrœ (3). Mais en quelle qualité le donna-t-il alors? Ne craignons point de porter trop loin la chose : il n'y aura rien dans cette théologie que de solide et d'incontestable. Il le donna pour la seconde fois en qualité de Sauveur, en qualité de pasteur, en qualité de docteur et de maître. En qualité de Sauveur, puisqu'il est certain que Jésus-Christ par sa résurrection mit le sceau à tout ce qu'il avait fait, et à tout ce qu'il avait souffert pour le salut des hommes ; et que, s'il n'était pas ressuscité, ce grand ouvrage du salut des hommes aurait été non-seulement imparfait, mais anéanti, et qu'on aurait pu dire : Ergo evacuatum est scandalum crucis ; ergo gratis Christus mortuus est (4) ; Eh quoi ! Jésus-Christ

 

1 Rom., IV, 20.— 2 Joan., III, 18.— 3 Heb., I,6.— 4 Gal., II, 21.

 

est donc mort en vain, et le scandale de la croix est sans effet? En qualité de pasteur, puisque le premier soin de cet Homme-Dieu, à l'instant qu'il ressuscita, fut de ramasser son troupeau que l'infidélité avait dissipé : Scriptum est : Percutiam pastorem, et dispergentur oves gregis. Postquam autem resurrexero, prœcedam vos in Galilœam (1). Il est écrit, disait-il à ses apôtres, en prophétisant leur chute : Je frapperai le pasteur, et les brebis seront dispersées : mais que cela ne vous trouble point; car après que je serai ressuscité, j'irai devant vous en Galilée : et pourquoi ? pour vous rappeler à cette sainte bergerie que j'ai formée, et où je rassemble mes prédestinés et mes élus. En qualité de maître et de docteur, puisque tout le temps qu'il demeura sur la terre après sa résurrection, il l'employa, comme nous l'apprenons de saint Luc, à instruire ses disciples, à leur donner l'intelligence de ses mystères, à leur développer le sens des Ecritures, à leur enseigner tout ce qui regardait les vérités de la religion. Salutaires enseignements qui sont aujourd'hui, dans le christianisme, le fond de ces traditions divines que nous recevons comme autant de règles de notre foi. C'est pour cela que ce Sauveur adorable suspendit quarante jours entiers la gloire de son ascension, ne pouvant encore monter au ciel, parce que son amour, dit saint Augustin, le retenait sur la terre. C'est pour cela que, tout glorieux qu'il était, il ne laissa pas de converser avec ses apôtres, leur apparaissant, les visitant, les consolant, leur faisant d'aimables reproches , les accompagnant dans leurs voyages, n'oubliant rien pour se les attacher, et pour avoir toute leur confiance. C'est pour cela que dans quelques-unes de ses apparitions, il les appela ses frères, ce qu'il n'avait jamais fait avant sa mort : Ite, nuntiate fratribus meis ut eant in Galilœam (2); Allez, dites à mes frères qu'ils se rendent en Galilée, parce que c'est là qu'ils me verront; ne se contentant pas, comme autrefois, de les traiter d'amis, mais les honorant du nom de frères, comme si l'état de sa résurrection avait ajouté un nouveau degré à l'étroite alliance qu'il avait contractée avec nous en se faisant homme. Or, que doit nous inspirer tout cela, Chrétiens? Un zèle ardent et un amour tendre pour cet Homme-Dieu. Il est ressuscité pour nous, comme il était mort pour nous : voilà le principe sur lequel saint Paul fonde cette admirable conséquence, quand il nous dit que

 

1 Matth., XXVI, 32. — 2 Ibid., XXVIII, 10.

 

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nous ne devons donc plus vivre pour nous-mêmes, ni mourir pour nous-mêmes; que soit que nous vivions, soit que nous mourions, c'est pour le Seigneur que nous devons vivre et mourir, parce que, soit que nous vivions ou que nous mourions, nous sommes à lui : Sive ergo vivimus, sive morimur, Domini sumus (1). Car, ajoute l'Apôtre, voilà pourquoi Jésus-Christ est mort et ressuscité : In hoc enim Christus mortuus est, et resurrexit (2). Il a voulu par sa mort et par sa résurrection acquérir sur les morts et sur les vivants une domination souveraine; une domination, non pas de crainte cl de servitude, mais d'amour et de liberté, puisque c'est particulièrement sur nos cœurs qu'il veut régner. Et en effet, reprend saint Ambroise, expliquant ce passage, comment reconnaître l'amour que   par l'amour,  et un amour si parfait,  que  par un amour sans bornes? Ce Dieu fait chair n'a point voulu se partager, quand il a été question de nos intérêts; pourquoi nous partagerons-nous quand il s'agira de son service? il nous a sacrifié sa vie glorieuse, aussi bien que sa vie souffrante; pourquoi ne lui sacrifierions-nous   pas   nos prospérités aussi bien que nos adversités, nous tenant toujours également   unis  à lui dans l'une et dans l'autre fortune? il ne veut ni de gloire, ni de triomphe que pour nous; pourquoi désirerons-nous et chercherons-nous jamais autre chose que lui?

Ce n'est pas assez : le Sauveur du monde est tellement ressuscité que, dans l'état même de sa résurrection, il porte encore les marques de son amour pour les hommes, je veux dire les cicatrices des blessures qu'il a reçues en mourant. Quoique ces plaies ne conviennent guère, ce semble, à la bienheureuse immortalité dont il prend possession, il se fait un plaisir de les conserver : et pourquoi? Ah ! mes Frères, répond saint Augustin, pour bien des raisons que sa charité lui fournit, et dont votre piété doit être touchée. Il conserve ses plaies pour nous faire entendre que dans le séjour même de sa gloire il ne veut point nous oublier; pour accomplir ce qu'il nous a dit à chacun par son prophète : Ecce in manibus meis descripsi te (3); Regarde, chrétien, c'est dans mes mains que je t'ai écrit, mais avec des caractères qui ne s'effaceront jamais : car ces plaies, dont tu vois encore les vestiges, sont autant de traits vifs et animés, qui te représenteront éternellement à moi, et qui me parleront sans cesse pour toi. Que la mère oublie son enfant, et qu'elle abandonne

 

1 Rom., XIV, 8. — 2 Ibid., 9. — 3 Isa., XLIX, 16.

 

le fils qu'elle a nourri dans son sein; quand cela même serait possible, pour moi je ne t'oublierai pas, parce que je te verrai gravé sur mes mains : Ecce in manibus meis descripsi te. Il conserve ses plaies pour apaiser la justice de son Père, et pour faire auprès de lui, selon la pensée du bien-aimé disciple, l'office de médiateur et d'avocat : Advocatum habemus apud Patrem (1). Car c'est bien maintenant que nous pouvons dire à ce Dieu Sauveur : In manibus tuis sortes meœ (1); Ah! Seigneur, mon sort est dans vos mains. Il n'est pas nécessaire que vous parliez pour plaider ma cause ; vous n'avez qu'à présenter ces mains percées pour nous, il n'y a point de grâces que je n'obtienne, et je tiens mon salut assuré. Il les conserve pour nous engager à ne perdre jamais le souvenir de sa sainte passion; en sorte que nous ayons toujours ses souffrances en vue, et que nous nous fassions non-seulement une occupation et un devoir, mais même un plaisir, d'y penser sans cesse avec tous les sentiments de la plus vive reconnaissance, disant avec le Prophète royal : Adhœreat lingua mea faucibus meis, si non meminero tui ; si non proposuero Jerusalem in principio lœtitiœ meœ (2); Oui, Seigneur, que ma langue demeure attachée à mon palais, si je ne me souviens do vous, si je ne me représente toujours Jérusalem, et ce que vous y avez souffert ; et si je n'apprends pas de là à réprimer mes passions, à retrancher l'excès criminel de mes divertissements, à me détacher du monde et de moi-même. Car rien, dit saint Chrysostome, n'est plus capable de produire en moi ces heureux effets, que de considérer un Dieu qui porte les vestiges de la croix jusque sur le trône de sa majesté.

Enfin ce divin Sauveur nous présente dans sa résurrection l'objet le plus aimable, et le plus propre à lui gagner tous les cœurs, savoir : son humanité glorieuse, immortelle, impassible, revêtue de toute la splendeur que répand sur elle la divinité qu'elle renferme, et qui commence, après s'être si longtemps cachée dans les ténèbres, à se produire au jour et à se faire connaître. Or, dans cet état où il fait la félicité des saints, n'a-t-il pas droit de nous dire : Qu'y a-t-il sur la terre que vous puissiez préférer et même comparer à moi? Si donc vous êtes ressuscites selon l'esprit, comme je le suis selon la chair, ne vous attachez plus à ces beautés fragiles et périssables qui séduisent vos sens et qui corrompent vos âmes; mais

 

1 Joan., II, 1. — 2 Ps., XXX, 16. — 3 Ps., CXXXVI, 6.

 

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recherchez ces beautés célestes et incorruptibles dont vous voyez déjà dans ma personne une si brillante image : Si consurrexistis cum Christo, quœ sursum sunt quœrite, non quœ super terram (1). Demeurons-en là, Chrétiens, et n'entrons pas plus avant dans un sujet qui me conduirait trop loin, si j'entreprenais de l'approfondir et de le développer dans toute son étendue. Contentons-nous de faire un retour sur nous-mêmes, et de tirer des trois considérations que je vous ai proposées, la conséquence naturelle qui en doit suivre. Car une charité aussi constante que celle de Jésus-Christ pour nous, une charité qu'il a fait paraître, non-seulement jusqu'à la mort, mais au delà des bornes de la mort, nous touche-t-elle autant qu'elle le doit et autant qu'il se l'était lui-même promis? pourrions-nous dire aujourd'hui, comme les deux disciples de notre Evangile, que notre cœur est tout brûlant de zèle : Nonne cor nostrum ardens erat in nobis (2)? Concevons-nous au moins l'obligation indispensable où nous sommes de nous consacrer sincèrement et pleinement à Jésus-Christ? croyons-nous, comme nous en devons être convaincus, que tout notre bien consiste dans ce parfait dévouement; et que sur cela, si j'ose parler de la sorte, roule toute notre destinée selon Dieu? c'est-à-dire, aimons-nous Jésus-Christ d'un amour qui ait quelque rapport à celui dont il nous a aimés? Si c'est ainsi que nous l'aimons, prenons confiance, parce que nos noms seront écrits dans le livre de vie. Si nous l'aimons moins, tremblons, parce qu'il est de la foi que celui qui n'aime pas le Seigneur Jésus, est anathème. Oui, mes Frères, disait saint Paul, je vous regarde comme des anathèmes, si vous êtes indifférents pour cet Homme-Dieu, et insensibles à ses intérêts. En vain feriez-vous dans le monde les plus grands miracles, en vain parleriez-vous le langage des anges, en vain auriez-vous tous les dons du ciel ; si vous n'avez pas la charité de Jésus-Christ, vous n'êtes pas en grâce avec Dieu, et par conséquent vous n'êtes devant Dieu que des sujets d'abomination : pourquoi? parce que, selon la parole de Jésus-Christ, Dieu n'aime les hommes qu'autant que les hommes aiment son Fils : Ipse enim Pater amat vos, quia vos me amastis (3). Je dis plus; et quand même j'aimerais Dieu, sans l'amour de Jésus-Christ, je ne serais rien, et je ne mériterais rien : Dieu ne se tiendrait pas honoré de mon amour, parce qu'il ne veut être aimé de moi que dans Jésus-Christ, comme

 

1 Colos., III, 1. —2 Luc, XXIV, 32. — 3 Joan., XVI, 27.

 

il ne veut me sauver que par Jésus-Christ. D'où vient que saint Paul, parlant de la charité de Dieu, lui donne toujours ce caractère particulier d'être renfermée en Jésus-Christ : Gratia Dei in Christo Jesu (1). Car, comme raisonne saint Thomas, c'est à Dieu de me prescrire comment il veut que je l'aime ; et c'est à moi de l'aimer selon la forme qu'il me prescrit. Or il m'a déclaré expressément qu'il voulait que je l'aimasse dans la personne de ce Sauveur ; c'est donc dans la personne de ce Sauveur que je dois désormais chercher Dieu, aimer Dieu, espérer en Dieu. Hors de ce Sauveur, il n'y a plus de Dieu pour moi, plus de grâce, plus de miséricorde, plus de salut pour moi, parce qu'il n'y a plus, dit l'Ecriture, d'autre nom sous le ciel par où nous puissions parvenir à la vie bienheureuse.

Or, un moment de réflexion, mon cher auditeur : et considérez, mais considérez-le attentivement, si, vivant comme vous vivez dans les engagements du monde, dans les intrigues du monde, au milieu des écueils et des tentations du monde, vous avez pour Jésus-Christ cet attachement d'esprit et de cœur qu'exige de vous la religion que vous professez. Examinez bien si, dans l'embarras et le tumulte des affaires humaines, vous conservez pour Jésus-Christ toute la reconnaissance qui lui est due comme à votre Rédempteur; si vous êtes zélé pour la gloire de son nom, si les intérêts de son Eglise vous sont chers, si vous suivez ses maximes, si vous imitez ses exemples, si vous pratiquez sa loi : car voilà les marques d'un véritable et solide amour. Du reste que ce ne soit pas un amour sensible; que cet amour solide et véritable n'opère pas dans vous les mêmes effets que dans certaines âmes spécialement choisies et favorisées de Dieu ; il n'importe : ce serait une erreur de mesurer par là, soit l'obligation, soit même la perfection de cette divine charité qui nous doit unir à Jésus-Christ : et c'est une des plus subtiles illusions dont se sert l'ennemi de notre salut pour désespérer les faibles et pour endurcir les libertins. Je dis que vous devez à Jésus-Christ votre amour, mais je ne dis pas que vous le devez sentir, cet amour : car il peut être dans vous, quoique vous ne le sentiez pas. Il doit être dans la raison, et non dans le sentiment; il doit être dans la pratique et dans l'action, et non dans le goût ni dans la douceur de l'affection : il peut même quelquefois être plus parfait, lorsque, sans être ni sensible, ni doux, il est généreux

 

1 1 Cor., I, 4.

 

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et efficace, embrassant tout et ne goûtant rien ; surmontant la nature par la pure grâce, cl dans les aridités et les sécheresses, soutenant une exactitude et une fidélité qui ne se dément jamais. Et voilà, Chrétiens, de quoi vous consoler d'une part, quand Dieu ne vous donne pas ces sentiments tendres et affectueux que l'on voudrait quelquefois avoir : mais aussi voilà de quoi vous condamner, lorsque vous n'avez pas cet amour chrétien et raisonnable que je vous demande. Car cet amour, tout divin qu'il est, ne s'allumera pas dans vous sans vous-mêmes. Dieu, indépendamment de vous, saura bien vous y porter par de secrètes inspirations; mais le consentement que vous donnerez aux inspirations de Dieu, les actes d'amour que vous formerez, et qui ne peuvent être méritoires s'ils ne sont libres, doivent être les effets de votre coopération. Et tandis que, sans rien faire, vous vous contenterez de dire, comme tant d'âmes mondaines : Je n'ai pas encore pour Jésus-Christ cet amour torrent et agissant, mais c'est un don que j'attends du ciel ; vous l'attendrez en vain, et Dieu éternellement lancera sur vous ce terrible arrêt qu'il a déjà prononcé par la bouche de saint Paul : Si quis non amat Dominum nostrum Jesum Christum, sit anathema (1) ; Que celui qui n'aime pas le Seigneur Jésus soit anathème !

Ah! mes Frères, prévenons l'effet de cette terrible menace. Que ce Sauveur, ressuscité pour notre justification, ne soit pas une pierre de scandale pour nous, et le sujet de notre condamnation. Faisons-le vivre dans nous comme saint Paul, en sorte que nous puissions dire, après cet apôtre : Ce n'est plus moi qui vis, mais c'est Jésus-Christ qui vit en moi : Vivo autem, jam non ergo, vivit vero in me Christus (2). Et cela comment? par un amour sincère, par une vive reconnaissance, par une fidélité inviolable, par une parfaite imitation des vertus de ce Dieu-Homme, notre modèle sur la terre, et notre glorificateur dans l'éternité bienheureuse, que je vous souhaite, etc.

 

1 1 Cor., XVI, 22. — 2 Galat., II, 20.

 

 

 

 

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