PENTECOTE

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SERMON POUR LA FÊTE DE LA PENTECOTE.

ANALYSE.

 

Sujet. Ils furent tous remplis du Saint-Esprit.

 

Il est important de connaître quel est cet Esprit que le Fils de Dieu nous a promis comme aux apôtres, et quels effets il doit opérer en nous.

 

Division. Esprit de vérité qui nous éclaire : première partie; esprit de sainteté qui nous purifie : deuxième partie; esprit de force qui nous anime : troisième partie.

 

Première partie. Esprit de vérité qui nous éclaire. Pouvoir 1° enseigner sans exception toute vérité; 2° l'enseigner sans distinction à toutes sortes de sujets; 3° l'enseigner en toutes manières, c'est ce qui n'appartient qu'à l'Esprit de Dieu.

 

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1° Il n'appartient qu'au Saint-Esprit de nous enseigner toute vérité : car il y a des vérités que la chair et le sang ne révèlent point, des vérités qui semblent choquer la raison humaine, des vérités gênantes, humiliantes, mortifiantes. Si donc un homme en est persuadé, ce ne peut être que l'effet d'un esprit supérieur qui agit en lui ; et cet esprit supérieur, c'est l'esprit de Dieu.

2° Il n'appartient qu'an Saint-Esprit d'enseigner toute vérité à toutes sortes de sujets. Donnez au plus habile docteur certains esprits grossiers à instruire : avec toutes ses lumières, il ne les éclairera pas Mais quand l'esprit de Dieu s'en rend le maître, comme c'est lui qui les a formés, il les élève à tout ce qu'il veut

3° Il n'appartient qu'au Saint-Esprit d'enseigner tonte vérité en toutes manières; c'est-à-dire dans un instant, sans qu'il en coûte ni étude, ni travail, et jusqu'à déterminer les hommes à mourir pour la défense des vérités qui leur ont été révélées.

Or, voilà ce que fait le Saint-Esprit dans les apôtres. Il leur enseigne les vérités les plus dures en apparence, et les plus contraires aux sens et à la nature. Il les leur enseigne sans nulle disposition de leur part, puisque c'étaient des hommes à qui Jésus-Christ lui-même avait reproché leur aveuglement, et leur lenteur à comprendre et à croire. Il les leur enseigne dans un moment, et jusqu'à les résoudre à souffrir le martyre On a vu dans la suite ces mêmes effets du Saint-Esprit en des millions de fidèles. Mais qu'a fait le démon? il a opposé à cet esprit de vérité l'esprit du monde, qui est un esprit de mensonge; et c'est cet esprit du monde qui conduit tout. Car à nous voir agir, peut-on dire que ce soit l'esprit de Dieu qui nous dirige, et que nous soyons bien convaincus des vérités qu'il est venu nous apprendre?

Deuxième partie. Esprit de sainteté qui nous purifie. C'est pour cela que le Fils de Dieu en parlait à ses disciples comme d'un baptême : Vos autem baptizabimini Spiritu Sancto. Voyons : 1° l'excellence; 2° les obligations de ce baptême.

1° Excellence de ce baptême. Ce fut comme un baptême de feu; et ce baptême de feu alla jusqu'il purifier les cœurs des apôtres d'un certain genre d'attache qu'ils avaient eu, et qu'ils conservaient pour Jésus-Christ même. Car s'attachant à Jésus-Christ, dit saint Augustin, ils ne l'envisageaient point encore avec des yeux assez purs, et ils le considéraient trop selon l'humanité et selon la chair. Voilà pourquoi le Sauveur du monde leur disait : Si je ne m’en vais, l'Esprit consolateur ne viendra point dans vous. Jugeons de là ce que nous devons penser, non-seulement de ces attaches grossières qui portent évidemment le crime avec elles; mais de bien d'autres attaches innocentes, à ce qu'il parait, honnêtes et mêmes saintes, mais dont l'esprit de Dieu nous ferait voir le danger si nous voulions nous rendre attentifs à sa voix.

2° Obligation de ce baptême. C'est de retrancher tout ce qu'il y a d'humain dans nos pensées, dans nos désirs, dans nos paroles et dans nos actions. Voilà le miracle que nous devons demander au Saint-Esprit, et c'est pour nous purifier de la sorte qu'il se répandra sur nous.

Troisième partie. Esprit de force qui nous anime. Nous en avons un exemple bien sensible dans les apôtres L'esprit de force dont ils sont remplis leur inspire un zèle 1° qui les fait parler hautement et se déclarer, 2° qui les encourage à. tout entreprendre, 3° qui les rend capables de tout souffrir pour le nom de Jésus-Christ.

1° Zèle qui les fait parler hautement et se déclarer. Ils s'étaient tenus renfermés dans le cénacle; mais tout à coup ils en sortent, et rendent un témoignage public à Jésus-Christ.

2° Zèle qui les encourage à tout entreprendre   Ils se proposent la conversion du monde entier, et ils en viennent à bout.

3° Zèle qui les rend capables de tout souffrir. Persécution, contradiction, opprobres, rien ne les arrête. Ils méprisent les tourments et la mort.

C'est par cette force chrétienne que nous pourrons connaître si nous avons reçu nous-mêmes le Saint-Esprit.

Compliment à la reine d'Angleterre.

 

Repleti sunt omnes Spiritu Sancto.

Ils furent tous remplis du Saint-Esprit. (Livre des Actes, chap. II, 4.)

 

Madame (1),

 

C'est le grand mystère qui s'est accompli pour la première fois dans les apôtres, et qui doit s'accomplir en nous, si nous sommes disposés, ainsi qu'ils l'étaient, à recevoir ce don céleste de l'Esprit de Dieu. Car Jésus-Christ, par sa mort, Ta mérité pour nous aussi bien que pour les apôtres ; il le demanda pour nous à son Père, en le demandant pour les apôtres ; et la solennité que nous célébrons n'est point, comme les autres fêtes de l'année , une simple commémoration , mais le mystère même de la descente du Saint Esprit. Mystère toujours subsistant, et qui, jusques à la fin des siècles, subsistera dans l'Eglise de Dieu, tandis qu'il y aura des fidèles en état d'y participer, et qui se mettront en devoir de le renouveler dans leurs cœurs. Or il ne tient qu'à nous, Chrétiens, d'être de ce nombre, puisqu'il est vrai, et même de la foi, que, par les sacrements de la loi de grâce, nous pouvons tous les jours recevoir

 

1 La reine d'Angleterre.

 

le Saint-Esprit; et qu'en vertu des promesses du Sauveur, le même Esprit qui descendit visiblement sur les disciples assemblés dans Jérusalem, descend encore actuellement et véritablement sur nous ; non pas avec le même éclat ni avec les mêmes prodiges, mais avec les mêmes effets de conversion et de sanctification , quand il trouve nos âmes bien préparées , et que nous prenons soin de les lui ouvrir. Il est donc, mes chers auditeurs, d'un intérêt infini pour vous et pour moi de bien comprendre quel est cet Esprit que le Vils de Dieu nous a promis, et dont la mission ineffable doit opérer en nous ce qu'elle opéra dans les apôtres. Car, malheur à nous si par notre infidélité nous y apportons quelque obstacle! malheur, pour me servir de l'expression de saint Paul, si nous contristons le Saint-Esprit, et si nous négligeons d'entrer dans les dispositions où nous devons être pour avoir part a ses grâces ! Divin Esprit, source féconde, d'où procède toute grâce excellente et tout don parfait, répandez sur moi un rayon de cette lumière dont les disciples de Jésus-Christ furent pénétrés, quand vous reposâtes sur eux.

 

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Donnez-moi une de ces langues de feu qui parurent sur leurs têtes, lorsqu'intérieurement éclairés, animés, fortifiés, ils commencèrent à parler. Dans l'obligation où je suis d'annoncer à mes auditeurs les vérités du salut, votre secours m'est nécessaire, et je vous le demande par l'intercession de Marie. Ave, Maria.

Le monde, dans l'état malheureux où l'a réduit le péché, ne peut recevoir le Saint-Esprit. C'est la plus sensible marque et la plus funeste que Jésus-Christ nous ait donnée de la réprobation du monde : et en prononçant contre lui cet anathème, il n'en a point apporté d'autre raison, sinon que le monde, dans l'excès de son aveuglement, ne sait pas même ce que c'est que l'Esprit de Dieu : Spiritum veritatis quem mundus non potest accipere, quia non videt eum, nec scit eum (1). Il est donc, concluait saint Chrysostome , du devoir des prédicateurs de l'Evangile, de faire connaître au monde ce divin Esprit. Et c'est ce que j'entreprends dans ce discours, où j'ai à vous exposer le mystère de notre religion, non-seulement le plus sublime, mais le plus édifiant et le plus touchant. Quand saint Paul, venant à Ephèse, demanda aux disciples qu'il y trouva si, depuis qu'ils avaient reçu la foi, ils avaient reçu le Saint-Esprit : Si Spiritum Sanctum accepistis credentes (2);surpris d'une telle demande et confus, ils lui répondirent ingénument qu'ils n'avaient pas même ouï dire qu'il y eût un Saint-Esprit : Sed neque si Spiritus Sanctus est, audivimus (3). Combien de chrétiens, disons mieux, combien de mondains, à la honte du christianisme qu'ils professent, vivent aujourd'hui dans la même ignorance, et peut-être dans une ignorance encore plus criminelle! car il ne suffit pas, pour le salut, de savoir que le Saint-Esprit est la troisième personne de l'adorable Trinité, qu'il est consubstantiel au Père et au Fils, qu'il procède éternellement de l'un et de l'autre ; ce sont des points de créance qui nous apprennent ce que le Saint-Esprit est en lui-même, et par rapport à lui-même : mais de plus , mes chers auditeurs, il faut savoir ce qu'il est par rapport à nous, ce qu'il doit produire en nous, pourquoi il nous est envoyé, ce que nous devons faire pour le recevoir, et par où nous pouvons juger si nous l'avons reçu. Or combien de lâches chrétiens, uniquement occupés du monde, ne se sont jamais mis en peine de s'instruire sur tout cela, et, plus condamnables que les disciples d'Ephèse, pourraient faire encore

 

1 Joan., XIV, 17. — 2 Act., XIX, 2. — 3 Ibid.

 

aujourd'hui cet aveu honteux : Sed neque si Spiritus Sanctus est, audivimus ; Comment aurions-nous reçu le Saint-Esprit, puisque nous ignorons même ce que c'est que le Saint-Esprit? Quoi qu'il en soit, voici, mes Frères, ridée que je viens vous en donner, et que je tire du mystère que nous célébrons. Cet Esprit, dont les apôtres reçurent les prémices et la plénitude, fut pour eux, et est par proportion pour nous un Esprit de vérité, un Esprit de sainteté, et un Esprit de force. Appliquez-vous à ces trois pensées. C'est un Esprit de vérité, parce qu'en nous remplissant de ses lumières, il nous enseigne toute vérité : ce sera la première partie. C'est un Esprit de sainteté, parce qu'en s'unissant à nous, il détruit en nous tout ce qu'il y trouve non-seulement d'impur et de charnel, mais d'imparfait et de terrestre, opposé à la vraie sainteté : ce sera la seconde partie. Et c'est un Esprit de force, parce qu'il nous rend capables de tout faire et de tout supporter pour Dieu, en nous inspirant une vertu surnaturelle, et un courage au-dessus de toute difficulté : ce sera la conclusion. Qualités du Saint-Esprit, qui nous sont sensiblement représentées par ce feu mystérieux et miraculeux, sous le symbole duquel il fut donné aux apôtres : car le feu, qui de tous les éléments est le plus noble, a la vertu d'éclairer, de purifier et d'échauffer. Or, ce sont justement à notre égard les trois propriétés de l'Esprit de Dieu. Comme Esprit de vérité il nous éclaire , comme Esprit de sainteté il nous purifie, et comme Esprit de force il nous anime. Comme Esprit de vérité il nous détrompe de nos erreurs, comme Esprit de sainteté il nous détache de nos engagements criminels, et comme Esprit de force il nous fait triompher de nos faiblesses. Comme Esprit de vérité il élève et perfectionne nos esprits, comme Esprit de sainteté il réforme et change nos cœurs, et comme Esprit de force il remue toutes nos puissances par le zèle qu'il excite en nous, quand il veut que nous agissions pour la gloire et les intérêts de Dieu. Trois effets de sa sainte présence que Dieu nous découvre en ce grand jour, et qui vont faire tout le sujet de votre attention.

 

PREMIÈRE  PARTIE.

 

Enseigner la vérité, c'est une chose qui peut convenir à l'homme, et qui n'est point au-dessus de la portée de l'homme. Mais enseigner sans exception toute vérité, mais l'enseigner sans distinction à toute sorte de sujets, mais pouvoir l'enseigner en toutes manières,

 

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c'est ce qui n'appartient qu'à Dieu, et de quoi tout autre esprit que celui de Dieu est absolument incapable. Aussi est-ce le caractère le plus essentiel et le plus divin que Jésus-Christ, dans l'Evangile, ait attribué au Saint-Esprit : Quam autem venerit ille, docebit vos omnem veritatem (1) ; et c'est ce même caractère qui me semble d'abord avoir paru plus sensiblement en ce jour solennel, où cet Esprit de vérité descendit sur les apôtres et sur tous les disciples assemblés. En voici la preuve, que je vous prie d'écouter.

Non, dit saint Augustin, pesant ces paroles, Omnem veritatem, il n'appartient qu'à l'Esprit de Dieu d'enseigner et de persuader toute vérité. Car il y a des vérités que la chair et le sang ne veulent point, des vérités qui choquent et qui révoltent la raison humaine, des vérités dont la nature s'effraye, des vérités humiliantes, gênantes, mortifiantes, mais qui sont par là même des vérités salutaires et nécessaires ; en un mot, des vérités que l'homme, selon le terme de l'Evangile, ne saurait porter, beaucoup moins goûter, ni aimer. S'il arrive donc qu'il vienne à en être sincèrement et efficacement persuadé, ce ne peut être que l'effet d'un esprit supérieur, qui agit en lui et qui l'élève au-dessus de lui. Or il n'y a que l'Esprit de Dieu qui ait ce pouvoir. L'esprit de l'homme, dit saint Chrysostome, apprend à l'homme et lui persuade ce qui satisfait l'amour-propre, ce qui flatte la vanité, ce qui excite la curiosité, ce qui favorise la cupidité : voilà ce qui est de son ressort. Mais ce qui combat nos passions, et ce qui est contradictoirement opposé à toutes les inclinations de l'homme, ne pouvant pas venir du fonds de l'homme, et d'ailleurs étant vérité, il faut nécessairement que ce soit l'Esprit de Dieu qui nous l'enseigne et qui nous le persuade. De même, c'est une marque sûre et infaillible de l'Esprit de Dieu, d'enseigner la vérité à toute sorte de sujets ; et la raison en est évidente : parce qu'il se trouve dans le monde des sujets si mal disposés, soit à comprendre la vérité, soit à s'y soumettre et à la croire, quand même ils la comprennent, qu'il n'y a que le Dieu de la vérité qui puisse les en rendre capables. En effet, donnez au docteur le plus consommé, et au plus habile homme de la terre, certains esprits grossiers à instruire : avec toutes ses lumières, il ne les éclairera pas. Donnez-lui à persuader certains esprits obstinés et entêtés : avec toutes ses démonstrations, il ne les

 

1 Joan., XVI, 13.

 

persuadera pas. Mais quand l'Esprit de Dieu s'en rend le maître, ni l'entêtement dé ceux-ci, ni la stupidité de ceux-là, n'est un obstacle aux impressions toutes-puissantes de la vérité: pourquoi ? parce que cet Esprit, qui est souverainement et par excellence l'Esprit de vérité, en se communiquant à nous, surmonte ou plutôt détruit dans nous tous ces obstacles : c'est-à-dire parce qu'un des effets de sa puissance est de corriger tous les défauts de nos esprits, et qu'ayant lui-même formé tous les esprits, il sait leur donner le tempérament qu'il lui plaît. Ainsi, de grossiers qu'ils étaient, il les rend, quand il veut agir en eux, spirituels et intelligents; et, de rebelles à la vérité, souples et humbles pour lui obéir. Les autres maîtres cherchent des disciples, et qui par eux-mêmes aient déjà des dispositions pour entendre les vérités qu'on se propose de leur enseigner. Mais l'Esprit de Dieu n'a pas besoin de ce choix : toutes sortes de disciples, indociles, pesants, incrédules, opiniâtres, prévenus, lui peuvent convenir, dit saint Chrysostome, parce qu'il sait faire de tous autant de sujets propres à être instruits, et c'est la merveille que les prophètes nous ont distinctement marquée : Est scriptum in prophetis : Et erunt omnes docibiles Dei (1).

Enfin, c'est l'ouvrage de l'homme d'enseigner la vérité d'une manière bornée et limitée ; je veux dire, de l'enseigner à force de leçons et de préceptes, et de la faire entrer dans les esprits jusqu'à un certain point de persuasion et de conviction. Ainsi les philosophes du paganisme imprimaient-ils peu à peu dans l'esprit de leurs auditeurs les vérités humaines qu'ils leur enseignaient, y employant de longs discours et bien des paroles. Mais enseigner dans un instant les vérités les plus profondes et les plus incompréhensibles de la religion; mais les enseigner sans qu'il en coûte, pour les apprendre, ni étude ni travail ; mais les enseigner et les persuader jusqu'à déterminer les hommes à mourir et à se sacrifier pour elle, c'est les enseigner en Dieu, et d'une manière qui justifie parfaitement l'efficace et l'opération de l'Esprit de Dieu. Or voilà, mes chers auditeurs, ce qui s'est accompli à la lettre dans la personne des apôtres, et ce que je remarque comme un des plus grands miracles qui jamais aient paru sous le ciel, comme le miracle qui a le plus contribué à l'établissement de notre foi, et dont nous devons pour cela conserver un éternel souvenir.

 

1 Joan., VI, 45.

 

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Car ne fut-ce pas un prodige bien étonnant, de voir les apôtres, au moment qu'ils reçurent le Saint-Esprit, aussi pénétrés des lumières de Dieu, et aussi consommés dans la science du royaume de Dieu, qu'ils avaient été jusque-là ignorants et remplis d'erreurs? Ne fut-ce pas un changement de la main du Très-Haut, de les voir dans Jérusalem prêchant des vérités qu'ils avaient fait profession, non-seulement de ne pas croire, mais de contredire? Tandis qu'ils n'avaient eu pour maître que Jésus-Christ, (ô mystère adorable et impénétrable !) vous le savez, Jésus-Christ, tout Dieu qu'il était, n'avait pas suffi, ce semble, pour leur faire entendre cette doctrine céleste qu'il était venu établir sur la terre. Quelque soin qu'il eût pris de leur en donner une intelligence parfaite, après trois années d'instruction, tout ce qui regardait sa divine personne leur était encore caché; son humilité les choquait, sa croix était pour eux un scandale, ils ne concevaient rien à ses promesses : au lieu de la vraie rédemption qu'ils devaient attendre de lui, ils s'en figuraient une chimérique, c'est-à-dire une rédemption temporelle, dont la vaine espérance les séduisait : et quand ce Dieu-Homme leur parlait de la nécessité des souffrances, des avantages de la pauvreté, du bonheur des persécutions, de l'obligation de pardonner les injures jusqu'à aimer ses ennemis, c'étaient, dit l'Ecriture, autant d'énigmes où ils ne comprenaient rien : Et ipsi nihil horum intellexerunt, et erat verbum istud absconditum ab eis (1) ; pourquoi? parce qu'ils n'avaient pas encore reçu l'Esprit de Dieu, et que toutes ces vérités étaient de celles que le seul Esprit de Dieu peut enseigner. Mais dans l'instant même que le Saint-Esprit leur est donné, ces vérités, qui leur avaient paru si incroyables, se développent à eux : ils en comprennent le secret, ils en découvrent les principes, ils en voient clairement les conséquences. Renoncer à soi-même et porter sa croix, ce n'est plus dans leur idée une folie, puisqu'ils font consister en cela toute leur sagesse. Aimer ses ennemis et pardonner les injures les plus atroces, ce n'est plus, dans leur estime, ni faiblesse, ni bassesse, puisque c'est par là qu'ils mesurent la grandeur et la force de l'esprit chrétien. Ils ne comptent plus pour un bien les richesses de la terre, puisqu'ils se font une béatitude d'être pauvres et de manquer de tout. Ils ne regardent plus la persécution comme un mal, puisqu'ils triomphent de joie d'en avoir été trouvés

 

1 Luc, XVIII, 34.

 

dignes. Je ne fais que rapporter ce que nous lisons dans le livre des Actes; et voilà les saintes et admirables leçons que fit aux apôtres ce divin Maître, et dont il les rendit capables lorsqu'il descendit sur eux. Or, quand je dis que le Saint-Esprit les rendit capables de tout cela, je prétends, mes chers auditeurs, vous faire conclure avec moi que c'est donc un Esprit qui enseigne toute vérité. Car que ne peut pas enseigner et persuader Celui qui enseigne et qui persuade le détachement de soi-même, l'oubli de soi-même, la haine de soi-même?

Mais encore quels hommes pensez-vous qu'étaient les apôtres avant que le Saint-Esprit vint leur enseigner ces vérités ? Ah ! Chrétiens, quelle merveille ! des hommes remplis de défauts; des hommes, selon le reproche de Jésus-Christ, insensés et lents à croire : Stulti et tardi corde ad credendum (1) ; des hommes charnels, et ne voulant juger des choses de Dieu que par les sens : Nisi videro, non credam (2); des hommes intéressés, qui ne reconnaissaient pour vérité que ce qui était conforme à leurs désirs; des hommes que le Sauveur lui-même avait eu peine à supporter, et à qui, dans le mouvement de son indignation, il avait dit : O generatio incredula, quandiu vos patiar (3)? Car c'est ainsi que l'Evangile nous les dépeint, et telle était, même après la résurrection du Fils de Dieu, la disposition où ils se trouvaient encore, puisque Jésus-Christ, en se séparant d'eux et montant au ciel, leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leurs cœurs. Sont-ce là des sujets capables de profiter à l'école du Saint-Esprit, et d'y être admis? Oui, répond saint Chrysostome, ce sont là les sujets que le Saint-Esprit choisit pour en faire ses disciples : s'ils étaient mieux disposés, ils ne lui seraient pas si propres; s'ils étaient plus spirituels et plus raisonnables, il ne tirerait pas de leur conversion toute la gloire qu'il en veut tirer : il lui en faut de ce caractère, pour montrer ce qu'il est et ce qu'il peut. Jésus-Christ vient de les quitter, en leur reprochant le déplorable état où il les laissait. Voilà justement le fonds que cherchait l'Esprit de vérité, pour faire éclater sa puissance. De ces incrédules, il fait les appuis de la foi, et de ces ignorants, les docteurs de toutes les nations, afin qu'il n'y ait personne sur la terre qui ne puisse prétendre à la qualité de disciple du Saint-Esprit, et dont le Saint-Esprit ne puisse être le maître : car s'il l'a été des apôtres, de qui ne le sera-t-il pas ?

 

1 Luc, XXIV, 25. — 2 Joan., X, 25. —3 Marc, IX, 18.

 

121

 

Vous me demandez jusqu'à quel point il les persuade? Jusqu'à les résoudre à mourir pour la confession des vérités qu'il leur enseigne, jusqu'à les préparer au martyre, et à leur en inspirer des désirs ardents. Car c'est pour cela que ces disciples de la vérité reçurent la plénitude de l'Esprit. Or, en matière de persuasion, l'Esprit même de Dieu ne peut aller plus loin. Si Platon , dit saint Chrysostome, eût eu la présomption d'exiger de ses sectateurs ce témoignage de la créance qu'ils avaient en lui ; s'il avait voulu qu'ils soutinssent sa doctrine jusqu'à, l'effusion de leur sang, bien loin de s'attacher à lui, ils en auraient conçu du mépris : pourquoi? parce qu'il ne les persuadait qu'en homme, et qu'en effet la persuasion qui vient de l'homme ne va pas à beaucoup près jusque-là. Tirez donc de là cette conséquence, et raisonnez de la sorte : Le Saint-Esprit, révélant aux disciples du Sauveur les vérités évangéliques, leur révèle en même temps que la foi de ces vérités sera pour eux un engagement au martyre; que, pour croire et pour soutenir ces vérités, il leur en coûtera d'être maltraités, accablés, sacrifiés comme des victimes : et il les persuade à cette condition ; marque visible et incontestable que c'est l'Esprit de Dieu.

Au reste, Chrétiens, ne pensez pas que tout ceci ne se soit accompli qu'une fois, ou ne l'ait été que dans la personne de ces premiers disciples. Car saint Luc, en termes exprès, nous assure que le miracle dont je parle se renouvelait tous les jours dans l'Eglise naissante ; que le Saint-Esprit descendait sur les fidèles, tantôt quand on leur conférait le saint baptême, tantôt quand on leur imposait les mains, tantôt quand on leur annonçait la parole du salut ; et que par là on voyait grossir de jour en jour le nombre des croyants, c'est-à-dire le nombre de ceux qui étaient persuadés comme l'avaient été les apôtres : Augebatur credentium in Domino multitudo (1). Or, ce qui arrivait alors avec ces signes éclatants que saint Luc rapporte, c'est, malgré la perversité du siècle, ce qui arrive encore aujourd'hui, quoique d'une manière plus simple, c'est ce que nous avons vu nous-mêmes plus d'une fois : et ce que nous avons admiré, lorsque des esprits libertins et obstinés dans leur libertinage, que des mondains, des impies, des incrédules qui vivaient au milieu de nous, touchés de cet Esprit de vérité, ont renoncé à leur impiété, se sont soumis au joug de la religion, ont commencé à connaître Dieu et à le glorifier.

 

1 Ad., V, 14.

 

Car ainsi le monde est-il devenu chrétien ; ainsi des ténèbres de l'infidélité s'est-il converti à la lumière pure de la foi; et ainsi l'Esprit de Dieu , selon la parole de Dieu même, a-t-il rempli tout l'univers : Spiritus Domini replevit orbem terrarum (1).

Mais qu'a fait le démon, ce prince des ténèbres, ennemi des œuvres de Dieu et jaloux de sa gloire? Pour combattre ce miracle, il s'est efforcé, et il a même trouvé le moyen de pervertir l'univers par un esprit tout contraire à l'Esprit de vérité ; je veux dire par l'esprit du monde, qui, se communiquant et se répandant a défiguré toute la face de la terre, que l'Esprit de Dieu avait saintement et heureusement renouvelée : je m'explique. Car voici, mes chers auditeurs, le désordre de notre siècle, que nous ne pouvons assez déplorer. Tout l'univers est aujourd'hui rempli de l'esprit du monde, et on peut dire que l'esprit du monde est comme l'esprit dominant qui conduit tout. En effet, c'est l'esprit du monde que l'on consulte dans les affaires , c'est l'esprit du monde qui règne dans les conversations, c'est l'esprit du,monde qui fait les liaisons et les sociétés, c'est l'esprit du monde qui règle les usages et les coutumes. On juge selon l'esprit du monde, on parle selon l'esprit du monde, on agit et on se gouverne selon l'esprit du monde; le dirai-je? on voudrait même servir Dieu selon l'esprit du monde, et accommoder sa religion à l'esprit du monde. Et parce que cet esprit du monde est un esprit de mensonge, un esprit d'erreur, un esprit d'imposture et d'hypocrisie; par une conséquence nécessaire , et que l'expérience même ne nous fait que trop sentir, de là vient qu'il n'y a rien dans le monde que de faux et d'apparent. Faux plaisirs, faux honneurs, fausses joies, fausses prospérités, fausses promesses, fausses louanges; voilà pour les biens extérieurs : fausses vertus , fausse prudence, fausse modération, fausse justice, fausse générosité, fausse probité; voilà pour les biens de l'esprit : mais ce qui est bien plus indigne , fausses conversions, fausses dévotions, fausses humilités, fausses pénitences, faux zèles pour Dieu, et fausses charités pour le prochain ; voilà pour ce qui regarde le salut. De la vient que les hommes du monde, pleins de cet esprit, semblent n'avoir point d'autre étude que d'imposer aux autres et de se tromper eux-mêmes, que de cacher ce qu'ils sont et de montrer ce qu'ils ne sont pas : de là vient que, selon l'Apôtre, le monde est

 

1 Sap., 1, 7.

 

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une scène où tout se passe en figure, où il n'y a rien de solide ni de réel, où la flatterie est en crédit, où la sincérité est odieuse, où la passion, soutenue de la ruse et de l'artifice, parle hardiment, où la vérité simple et modeste est captive et dans le silence. Pernicieux esprit, qui, à mesure qu'il s'empare du monde, y fait éclipser les plus vives lumières, non-seulement du christianisme et de la religion, mais de la droite raison. Cependant, je le répète, c'est cet esprit du monde qui s'insinue et qui s'introduit partout. On ne se contente pas de l'avoir pour soi ; on le communique, on travaille à le répandre. Un père l'inspire à ses enfants, il leur en fait des leçons, il leur en donne des règles, il les élève selon cet esprit, il les avance selon cet esprit, et, en les conduisant selon cet esprit, il se damne avec eux selon cet esprit. Ce n'est pas seulement dans les palais des grands que cet esprit du monde exerce un souverain empire, c'est dans les conditions particulières , c'est parmi le peuple : le dirai-je? c'est jusque dans les plus saints états , jusque dans l'Eglise et dans le clergé. Car je vois, par exemple, dit saint Bernard, et je le vois avec douleur, que tout l'empressement et tout le zèle des ministres de l'Eglise consiste à faire valoir leurs droits, à s'enfler de leur dignité, à jouir de leurs revenus et à en abuser. Ainsi parlait-il de son temps. Or on sait bien, ajoutait-il, que ce n'est pas l'Esprit de Dieu , mais l'esprit du monde, qui leur inspire ce zèle ambitieux et intéressé. Voilà donc l'esprit du monde placé jusque dans le sanctuaire. Vous me direz que les religieux mêmes n'en sont pas exempts, et  que, dans la profession qu'ils font de renoncer au monde, ils ne laissent pas souvent d'en conserver encore l'esprit : je le sais, et c'est ce qui me fait trembler, quand je viens à rentrer dans moi-même. Mais si j'en dois trembler pour moi, quelle sûreté peut-il y avoir pour vous? et si ce malheureux esprit du monde peut aveugler et séduire un homme séparé du monde, que ne doivent pas craindre ceux qui, par la nécessité de leur état, se trouvent exposés à tous les dangers et à toutes les tentations du monde ?

Quoi qu'il en soit, Chrétiens, reprenons ; et par le miracle qu'a opéré dans les apôtres le Saint-Esprit, reconnaissons ce que nous sommes devant Dieu. A en juger par les effets, cet Esprit de vérité, dont je viens de vous faire voir les merveilles et les prodiges, a-t-il été jusqu'à présent un esprit de vérité pour nous ? et s'il ne l'a pas été, à quoi devons-nous l'imputer, sinon à l'endurcissement et à la dépravation de nos cœurs ? Quelque profession que nous fassions, comme chrétiens, d'être les disciples de cet Esprit de vérité, nous a-t-il réellement persuadé les vérités du christianisme? nous les a-t-il fait goûter ? nous a-t-il mis dans la disposition sincère et efficace de les pratiquer ? Nous adorons en spéculation ces vérités , mais y conformons-nous notre conduite? nous en parlons peut-être éloquemment, mais nos mœurs y répondent-elles? nous en faisons aux autres des leçons, mais en sommes-nous bien convaincus nous-mêmes? croyons-nous d'une foi bien vive qu'il faut, pour être chrétien, non-seulement porter sa croix, mais s'en faire un sujet de gloire? qu'il faut, pour suivre Jésus-Christ, renoncer intérieurement, non-seulement à tout, mais à soi-même? qu'il faut, pour lui appartenir, non-seulement ne pas flatter sa chair , mais la crucifier ; qu'il faut, pour trouver grâce devant Dieu , non-seulement oublier l'injure reçue , mais rendre le bien pour le mal ? Croyons-nous, sans hésiter, tous ces points de la morale évangélique, et pouvons-nous nous rendre témoignage que nous les croyons aussi solidement de cœur, que nous les confessons de bouche ? Les apôtres, au moment qu'ils reçurent le Saint-Esprit, furent prêts à mourir pour ces vérités : sommes-nous prêts, je ne dis pas à mourir nous-mêmes, mais à faire mourir nos désirs déréglés et nos passions? Suivant cette règle, y a-t-il lieu de croire que l'Esprit de vérité nous a détrompés de mille erreurs qui causent tous les désordres du monde, qu'il nous a désabusés de je ne sais combien de fausses maximes qui nous pervertissent, qu'il nous a dessillé les yeux sur certains chefs où nous nous formons des consciences qui sont autant de sources de damnation? s'il n'a rien fait en nous de tout cela, quelles preuves avons-nous que nous l'ayons reçu? et si nous ne l'avons pas reçu, à qui nous en devons-nous prendre, encore une fois, qu'à nous-mêmes? Peut-être, pour excuser l'aveuglement criminel où nous vivons, osons-nous dire que ce sont les lumières du Saint-Esprit qui nous manquent, et rejeter sur lui l'iniquité de nos erreurs. Mais comme Esprit de vérité, il a bien su nous ôter ce vain prétexte, et nous convaincre, par les reproches qu'il nous fait si souvent dans l'Ecriture, que nos erreurs viennent uniquement de nos résistances  à  ses  lumières  ;   que  si   nous

 

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sommes toujours aveugles, c'est que toujours incirconcis de cœur, toujours indociles et opiniâtres, nous ne voulons pas l'écouter, et qu'au mépris de ses inspirations , nous ne suivons point d'autre guide que l'esprit séducteur du monde, qui nous corrompt et qui nous perd : Dura cervice et incircumcisis cordibus, vos semper Spiritui Sancto resistitis ! Au lieu que nous voudrions rendre le Saint-Esprit lui-même responsable de notre aveuglement, par le refus qu'il ferait de nous éclairer, comme Esprit de vérité il nous fait convenir malgré nous que la cause de notre aveuglement, c'est que nous ne pouvons supporter la vérité qui nous reprend, et que nous abusons par orgueil de celle qui nous flatte : Dura cervice et incircumcisis cordibus, vos semper Spiritui Sancto resistitis. Ah ! mes chers auditeurs, ne faisons pas cet outrage à l'Esprit de grâce, de vouloir nous justifier aux dépens de la grâce même. Préservez-nous de ce désordre, ô divin Esprit ! et pour cela faites-nous connaître vos voies. Enseignez-nous ce que vous enseignâtes aux apôtres. Faites que nous commencions enfin à être vraiment vos disciples; et soyez pour nous, non-seulement un Esprit de vérité, mais un Esprit de sainteté : c'est la seconde partie.

 

DEUXIÈME  PARTIE.

 

Comme Dieu est absolument et souverainement saint, parce qu'il est saint par lui-même, aussi l'Esprit de Dieu, par une propriété même personnelle, est-il appelé dans l'Ecriture, non-seulement l'Esprit saint, mais Esprit sanctificateur, c'est-à-dire source et principe de sainteté dans tous les sujets à qui il se communique. Ce n'est donc pas sans raison que le Sauveur du monde, sur le point de monter au ciel, et parlant du Saint-Esprit, qu'il devait envoyer sur la terre, se servit d'une expression bien mystérieuse en apparence, quand il dit à ses disciples que ce divin Esprit leur tiendrait lieu d'un second baptême, et qu'au moment que ces promesses s'accompliraient en eux, ce qui devait arriver peu de jours après, ils seraient baptisés par le Saint-Esprit : Vos autem baptizamini Spiritu Sancto, non post multos hos dies (2). Car l'effet propre du baptême est de purifier et de sanctifier ; et le Saint-Esprit étant particulièrement descendu pour purifier les cœurs des hommes, quelque mystérieuse que paraisse cette expression, elle ne laissait pas d'être, dans l'intention de Jésus-Christ, très-

 

1 Act, VII, 51. — 2 Ibid., 1, 5.

 

naturelle. Mais il est maintenant question d'en bien pénétrer le sens ; et puisque ce baptême du Saint-Esprit a été généralement promis à tous les fidèles, il s'agit, pour vous et pour moi, d'en reconnaître l'excellence d'une part, et de l'autre les obligations. Deux points d'instruction dont vous allez comprendre la conséquence, et que je vous prie de n'oublier jamais.

Il est donc vrai que le Saint-Esprit descendant sur les apôtres fut comme un baptême solennel, dont chacun d'eux sentit l'impression salutaire ; et c'est ce qui a fait dire à Tertullien que ces bienheureux disciples furent alors comme inondés de l'Esprit de Dieu : Spiritu Dei inundatos ; parole emphatique, mais qui dans le fond se réduit littéralement à la promesse du Sauveur : Vos autem baptizabimini Spiritu Sancto ; puisque dans l'usage des premiers siècles du christianisme on baptisait par immersion, qui était une espèce d'inondation. Or qu'est-ce que d'être baptisé dans le Saint-Esprit, une pureté toute céleste et toute divine? Je sais, Chrétiens, que les apôtres, dès leur vocation à l'apostolat, avaient été baptisés par Jésus-Christ : et je sais que, parla vertu de ce premier baptême, ils étaient déjà purs devant Dieu, selon le témoignage de Jésus-Christ même : Et vos mundi estis (1). Mais aussi vous n'ignorez pas que ce premier baptême conféré aux apôtres avait été le baptême de l'eau ; au lieu que le second, dont le Saint-Esprit, par son ineffable mission et par sa présence immédiate, leur imprima le caractère, fut, d'une façon toute particulière, le baptême du feu : différence que le saint Précurseur avait annoncée, en parlant aux Juifs du Messie, et leur disant : Ipse vos baptizabit in Spiritu Sancto, et igni (2). C'est lui qui vous baptisera dans le Saint-Esprit et dans le feu : différence qui se vérifia pleinement, lorsque le Saint-Esprit, en forme de langues de feu, se partagea et s'arrêta sur chacun des disciples : Et apparuerunt illis dispertitœ linguœ tanquam ignis, seditque supra singidos eorum (3). Pourquoi ce symbole du feu? Pour marquer, dit saint Chrysostome, que comme le feu a une vertu infiniment plus agissante, plus pénétrante et plus purifiante que l'eau, aussi, par la venue du Saint-Esprit, les cœurs des hommes devaient être purifiés d'une manière bien plus parfaite qu'ils ne l'avaient été par le premier baptême de Jésus-Christ. Eu effet, après le baptême de Jésus-Christ, les apôtres, tout sanctifiés et tout régénérés qu'ils avaient été par

 

1 Joan., XIII, 10. — 2 Matth., III, 11. — 3 Act., II, 3.

 

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ce sacrement, ne laissaient pas d'être encore très-imparfaits. Selon le rapport que nous en fait l'Evangile , quoique baptisés par Jésus-Christ, ils étaient encore ambitieux, intéressés, jaloux; on voyait encore parmi eux des dissensions, et ils tombaient dans des faiblesses dont cette grâce, quoique sanctifiante, du baptême du Fils de Dieu, ne les avait pas entièrement préservés. Mais à peine ont-ils reçu le Saint-Esprit , qu'ils deviennent des hommes tout spirituels, des hommes détachés du monde, des hommes au-dessus de tout intérêt ; des hommes non-seulement saints, mais d'une sainteté consommée; des hommes pleins de Dieu et vides d'eux-mêmes; en un mot, des hommes parfaits et irrépréhensibles. Ils ne sont plus, dit saint Chrysostome, cet or de la terre, grossier et informe, tel que la terre le produit, mais cet or purifié et éprouvé, qui a passé par le feu : Igne examinatum, probatum terrœ, purgatum septuplum (1). Or le feu par où ils ont passé, c'est, ajoute saint Paul, notre Dieu lui-même : non plus notre Dieu irrité, et faisant éclater comme autrefois le feu de sa colère sur les pécheurs, mais le Saint-Esprit répandant avec profusion ses dons et ses grâces, et consumant par le feu de son amour tout ce qu'il y a dans ses élus d'impur et de terrestre : Deus enim noster ignis consumens est (2).

Voulez-vous savoir, Chrétiens, jusqu'à quel degré de perfection et de pureté alla ce baptême de feu? Ne vous scandalisez pas de ce que je vais dire, puisque c'est une vérité des plus constantes de la foi. Peut-être croyez-vous que ce baptême se termina, dans les apôtres, à leur ôter certains restes de leurs premières attaches, ou au monde, ou à eux-mêmes : vous vous trompez ; j'ai quelque chose encore de plus important à vous déclarer : et quoi ? le voici : car la perfection de ce baptême de feu alla jusqu'à purifier leurs cœurs d'un certain genre d'attache qu'ils avaient eue et qu'ils conservaient pour Jésus-Christ. Oui, cette attache trop humaine pour le Sauveur du monde était dans la personne des apôtres un obstacle à la descente du Saint-Esprit; et si Jésus-Christ, pour rompre cette attache, ne s'était séparé d'eux, jamais le Saint-Esprit ne leur eût été donné : Si enim non abiero, Paracletus non veniet ad vos (3). Quelle incompatibilité y avait-il entre l'un et l'autre, et pourquoi les apôtres ne pouvaient-ils pas recevoir le Saint-Esprit, pendant qu'ils étaient attachés à leur divin Maître ? Ecoutez la réponse de saint Augustin,

 

1 Psalm., XI, 7. — 2 Hebr., XII, 29. — 3 Joan., XVI, 7.

 

et tirez-en vous-mêmes les conséquences : Parce que les apôtres , dit ce saint docteur, en s'attachant à Jésus-Christ, ne l'envisageaient pas, comme ils devaient, avec des yeux assez purs : parce que, dans l'amour qu'ils lui portaient, ils le considéraient trop selon l'humanité et selon la chair. Il est vrai, cette humanité était sainte, et cette chair était consacrée par son union intime avec le Verbe : mais parce que la grossièreté de leur esprit ne faisait pas un assez juste discernement de ce mystère ; parce qu'en s'attachant à Jésus-Christ, ils ne s'élevaient pas assez au-dessus de l'homme : quoique ce fût l'Homme-Dieu, l'Esprit de Dieu, dont la sainteté surpasse infiniment toutes les idées que nous en avons, ne pouvait, dans cet état d'imperfection, les honorer de sa présence. Il fallait donc, poursuit saint Augustin, que les apôtres perdissent Jésus-Christ de vue, pour pouvoir être remplis du Saint-Esprit; et il fallait que le Saint-Esprit, prenant, si j'ose ainsi parler, les intérêts de Jésus-Christ contre Jésus-Christ même, arrachât du cœur des apôtres les sentiments trop naturels qu'ils avaient pour ce Dieu-Homme. Voilà, dis-je, mes chers auditeurs, quelle a été, dans les apôtres, l'excellence de ce baptême de feu, et d'où nous devons conclure quelles en doivent être les obligations par rapport à nous; je veux dire, jusqu'à quel point le Saint-Esprit doit être pour nous un Esprit de pureté et de sainteté.

Après cela faut-il s'étonner si Dieu, dès le commencement du monde, protesta, par un serment si solennel et si exprès, que jamais son Esprit ne demeurerait dans l'homme, tandis que l'homme serait sujet à la chair? Non permanebit Spiritus meus in homine, quia caro est (1). Faut-il s'étonner si dans l'horreur extrême que Dieu conçut de la corruption des hommes, se repentant d'avoir créé l'homme, il lui ôta son Esprit, et lui fit sentir les effets de sa justice par ce déluge universel, qui fut comme l'expiation , mais l'expiation authentique, des dérèglements de la chair? Non, non, Chrétiens, il n'y a rien en cela qui me surprenne ; et supposé le principe que je viens d'établir, Dieu, selon les lois ordinaires de sa sagesse, n'en pouvait autrement user. Ce qui m'étonne, c'est qu'on se flatte encore de pouvoir, sans éloigner Dieu de nous, entretenir dans le monde certaines attaches : attaches funestes , sources inépuisables de tous les malheurs , de tous les égarements, de tous les entêtements, de tous les excès et de tous les

 

1 Genes., VI, 3.

 

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emportements des hommes ; attaches que l'on entretient, prétendant qu'elles sont innocentes, et qu'étant, comme on les suppose, autorisées par l'usage du monde, elles n'ont rien d'incompatible avec l'esprit de sainteté. Car c'est ainsi, mondains, que vous en jugez; et voilà peut-être la plus dangereuse illusion dont vous ayez à vous parer. Mais vous avez beau vouloir vous tromper vous-mêmes , et chercher des excuses, cet Esprit de Dieu, dont la pénétration est à l'épreuve de tous vos artifices, ou ne demeurera jamais en vous, ou détruira dans vous toutes ces damnables attaches qui vous lient à la créature, et que votre amour-propre tâche de justifier. Si vous étiez de bonne foi, et si vous vouliez, au lieu d'en croire l'esprit du monde, cet esprit de séduction et d'erreur, vous en rapporter à l'Esprit même de sainteté, dont vous devez être, comme chrétiens, les temples vivants; par les vues qu'il vous donnerait, par les remords qu'il exciterait dans vos cœurs, il vous ferait reconnaître l'impossibilité absolue de l'accorder jamais, lui qui est la pureté et la sainteté même , avec ces sortes d'attaches, surtout avec celles que la diversité du sexe, jointe à la vivacité de l'âge et du tempérament, a rendues de tout temps si dangereuses et si pernicieuses. Comme Esprit de sainteté, il vous convaincrait que ces attaches ne sont ni ne peuvent être innocentes pour vous, puisque malgré vous-mêmes vous sentez bien qu'elles amollissent votre cœur; puisque vous ne pouvez disconvenir qu'elles ne le partagent;  puisque vous n'éprouvez que trop qu'elles   le   dérèglent;  puisque   vous   savez qu'elles vous détournent, et même qu'elles vous dégoûtent de vos légitimes devoirs ; puisque du moment que ce sont des attaches et des attaches du cœur connues pour telles, le monde même ne vous les pardonne pas ; puisqu'elles vous exposent à la censure, qu'elles donnent lieu à la médisance, qu'elles servent de sujet à la raillerie ; puisque c'est au moins la matière la plus prochaine du péché ; je dis plus, puisque ce  n'est communément rien autre chose qu'un déguisement et un raffinement de sensualité. Voilà  ce que l'Esprit-Saint  vous ferait voir, ce qu'il vous ferait entendre, si vous lui prêtiez l'oreille, et que vous fussiez plus dociles à en suivre les secrets mouvements. Mais soit que vous l’écoutiez, ou que vous ne l'écoutiez pas, indépendamment de vous, Dieu en a prononcé l'arrêt qu'il retirerait son Esprit de l'homme qui vit selon la chair. Or le principe de ces attaches, et ce qui les fait naître, n'est-ce pas la concupiscence de la chair? Je sais que vous leur donnez de beaux noms, et que, pour en étouffer tous les remords, vous les qualifiez sans scrupule d'amitiés honnêtes. Mais l'Esprit de sainteté réclamant au fond de vos consciences contre cette honnêteté prétendue, vous dit que ce sont des amitiés réprouvées de Dieu, qui, par un progrès insensible, mais infaillible, conduisent enfin de l'honnête apparent à l'impur et au criminel. Quoi donc ! Chrétiens, les apôtres n'ont pu recevoir le Saint-Esprit, tandis qu'il leur restait pour Jésus-Christ une attache un peu trop humaine ; et vous vous croiriez disposés à le recevoir, en laissant former dans vos cœurs des passions vives et ardentes pour de mortelles créatures, en concevant pour elles des sentiments de tendresse, dont la suite immanquable est de n'avoir plus que des sécheresses pour Dieu; en entretenant avec elles des liaisons dont la privauté pervertirait un ange, s'il avait des sens ; en vous engageant, par rapport à elles, dans des affaires et dans des intrigues qui font, à votre honte, la plus grande occupation de votre vie! Non, non, doit conclure aujourd'hui toute âme solidement chrétienne; non, divin Esprit, je le confesse, rien de tout cela ne peut subsister avec vous, et il y aurait même une monstrueuse contradiction dans l'alliance que j'en voudrais faire, ou que j'en croirais pouvoir faire avec la pureté des mœurs, et encore plus avec la pureté du cœur. Quand tout cela n'irait pas jusqu'à détruire, par une offense griève, votre règne en moi, et qu'absolument une telle attache ne romprait pas encore le lien de la grâce habituelle qui m'unit à vous, le seul respect de votre adorable personne, ô Esprit de mon Dieu, la seule idée que la foi me donne de votre délicatesse sur la préférence infinie qui vous est due, et sur l'amour sans partage que vous exigez comme Dieu ; la seule crainte de vous irriter et de provoquer votre jalousie (car vous êtes le Dieu jaloux), devrait me faire renoncer à tout objet créé : fût-ce mon œil, il faudrait l'arracher, puisque ce serait un sujet de scandale pour moi, et un obstacle à vos grâces les plus intimes et à la participation de vos plus exquises faveurs.

Or voilà, mes chers auditeurs, ce que j'ai appelé par rapport à nous les obligations du baptême intérieur du Saint-Esprit. Que devons-nous donc faire pour accomplir ces obligations importantes, et à quoi, dans la pratique, doit se réduire ce mystérieux baptême? Le voici. Pour répondre au dessein de Dieu, notre

 

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soin continuel doit être de corriger et de retrancher tout ce qu'il y a d'humain dans nos pensées, dans nos désirs, dans nos paroles et dans nos actions : car, comme disait Paul, après avoir reçu l'Esprit de Dieu, et nos actions et nos paroles, et nos désirs et nos pensées, ne doivent plus avoir pour fin, pour objet, pour règle, que ce qui est bien, que ce qui est louable, que ce qui est saint, que ce qui est exemplaire et édifiant : De cœtero, Fratres, quœcumque pudica, quœcumque sancta, quœcumque bonœ famœ (1); notre soin continuel doit être de mortifier par l'esprit les œuvres de la chair : Si spiritu facta carnis mortificaveritis, vivetis (2). Or, par les œuvres de la chair, l'Apôtre n'entendait pas seulement ces vices grossiers, ces monstres de péché qu'il nous défendait même de nommer ; mais il entendait cent autres choses qui y conduisent, et qui, par la fragilité de notre cœur, y servent de disposition ; occasions recherchées, discours licencieux, libertés imprudentes, regards immodestes, curiosités, lectures, conversations, divertissements peu chrétiens, excès d'intempérance, vie molle et sensuelle : il entendait filles du siècle, ces airs mondains et affectés, si contraires à la pudeur et à la retenue de votre sexe, ces nudités artificieuses, et quelquefois si honteuses et si scandaleuses, dont le ciel rougit; ce luxe qui inspire l'orgueil, cet étalage de vanité, cette idolâtrie de vos personnes, ce désir effréné de plaire, que l'esprit corrompu du monde ne compte pour rien; mais dont sans doute le Saint-Esprit, si vous l'avez reçu dans cette fête, vous fait voir le danger et même le crime. Sans parler de l'impudicité, saint Paul entendait, par les œuvres de la chair, tout ce qui est en général incompatible avec la sainteté de l'Esprit de Dieu, surtout avec la charité : animosités, dissensions, querelles, inimitiés, haines, aversions, envies, colères,vengeances : Manifesta sunt autem opera carnis, quœ sunt inimicitiœ, rixœ, irœ, disscnsiones, œmulationes (3). Car si vous n'aviez pas, mes frères, ajoutait-il, et puis-je ajouter moi-même après lui, si vous n'aviez pas renoncé a tous ces désordres, s'il vous restait encore un fiel amer contre le prochain, si vous n'étiez pas réconciliés de bonne foi avec cet ennemi, si vous n'aviez pas étouffé dans vos cœurs tous les sentiments de vengeance, si vous n'étiez pas tous réunis par une charité sincère et cordiale, quelque opinion qu'on ait de vous, ou que vous en ayez vous-mêmes, n'est-il pas vrai

 

1 Philip., IV, 8. — 2 Rom., VIII, 13. — 3 Galat., V, 20.

 

que vous seriez encore charnels : Nonne carnales estis (1) ? Or, tandis que vous serez charnels, ne prétendez pas recevoir le Saint-Esprit. Je me trompe, Chrétiens, vous pouvez y prétendre, et vous le devez. Car, tout pécheurs que vous êtes, Dieu vous l'a promis; et le serment qu'il a fait que son Esprit ne demeurera jamais dans l'homme, tandis que l'homme sera esclave de la chair, n'empêche pas la vérité de cet autre oracle par où il s'est engagé à répandre son Esprit sur toute chair : Effundam de Spiritu meo super omnem carnem (2); et c'est ce qui doit consoler les âmes faibles et imparfaites. L'Esprit de Dieu ne demeurera point en nous, tandis que nous serons charnels; mais il se répandra sur nous, afin que nous cessions d'être charnels : et voilà le miracle que nous devons lui demander; miracle plus grand que celui de la création du monde ; ou plutôt qui, dans Tordre de la grâce, est une espèce de création plus miraculeuse que celle du monde. Mais il faut pour cela, Seigneur, la toute-puissance de votre grâce. Quand vous créâtes le monde, vous travailliez sur le néant, et ce néant ne vous résistait pas; ici c'est le néant du péché, qui, tout néant qu'il est, s'oppose à vous, et s'élève contre vous. Envoyez-nous donc votre Esprit dans toute sa plénitude ; et par là, Seigneur, créez dans nous des cœurs purs, des cœurs chastes, des cœurs soumis à votre loi : Cor mundum crea in me Deus (3) ; envoyez-nous cet Esprit sanctificateur; et par là, renouvelant nos cœurs, vous renouvellerez toute la face de la terre : Emitte Spiritum tuum, et creabuntur, et renovabis faciem terrœ (4). Quelle force, mon Dieu, et quel zèle pour votre gloire ne nous inspirera-t-il pas? c'est ce que nous allons voir dans la dernière partie.

 

TROISIÈME  PARTIE.

 

C'est un caractère qui ne peut convenir qu'au Saint-Esprit, et qui le distingue essentiellement comme Saint-Esprit, de posséder en soi l'Etre divin, sans pouvoir le communiquer à nulle autre personne divine ; d'être produit par le Père et par le Fils, et de ne pouvoir être le principe d'aucune autre semblable production; en un mot, d'être, tout Dieu qu'il est, stérile dans l'adorable Trinité, parce qu'il est le terme de la Trinité même. Stérilité, disent les théologiens, qui, bien loin d'être défectueuse, marque et suppose en lui la plénitude

 

1 1 Cor., III, 2. — 2 Act., II, 17. — 3 Ps., L, 12. — 4 Ps., CIII, 30.

 

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de toute perfection. Mais autant que la foi nous représente le Saint-Esprit stérile dans lui-même, et par rapport aux deux autres personnes dont il procède, autant nous le fait-elle concevoir agissant, fécond et plein d'efficace et de vertu, hors de lui-même, et dans les sujets à qui il fait part de ses dons. Car, selon l’Ecriture, c'est le Saint-Esprit qui est en nous le principe immédiat et substantiel de toutes les opérations de la grâce : c'est par le Saint-Esprit que nous sommes régénérés dans le baptême : Nisi quis renatus fuerit ex aqua et Spiritu Sancto (1) ; c'est par le Saint-Esprit que nous sommes réconciliés dans la pénitence : Accipite Spiritum Sanctum ; quorum remiseritis peccata, remittuntur eis (2) ; c'est par le Saint-Esprit que nous prions, ou plutôt, c'est lui-même qui prie en nous avec des gémissements ineffables : Ipse enim Spiritus postulat pro nobis gemitibus inenarrabilibus (3); c'est par le Saint-Esprit que la charité s'est répandue dans nos cœurs : et comme, en qualité de Saint-Esprit, il est en lui-même la charité subsistante, par qui le Père et le Fils s'aiment d'un amour mutuel et éternel ; aussi, disent les Pères, est-il, dans le fond de nos âmes, la charité radicale par où nous aimons Dieu, et d'où procèdent tous les saints désirs que nous formons pour Dieu : Charitas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum Sanctum, qui datus est nobis  (4). Or, si jamais cette propriété de l'Esprit de Dieu nous a été sensiblement révélée, c'est encore dans le glorieux mystère de ce jour, où nous voyons des hommes, j'entends les apôtres, auparavant faibles, lâches, timides, embrasés tout à coup, par la vertu de cet Esprit divin, d'un zèle fervent, d'un zèle (ne perdez pas, s'il vous plaît, ceci) qui les fait parler d'abord et se déclarer, d'un zèle qui les détermine à tout entreprendre, d'un zèle qui les rend capables de tout souffrir pour le nom de Jésus-Christ : trois dispositions que le Saint-Esprit opère en eux par sa présence, et qui montrent bien qu'il est souverainement et par excellence l'Esprit de force, ou, pour mieux dire, la force même. Encore un moment d'attention, et je finis. A peine les apôtres ont-ils reçu le Saint-Esprit, qu'ils commencent à parler et à se déclarer : Repleti sunt Spiritu Sancto, et cœperunt loqui (5) ; voilà le premier effet de leur zèle. Mais pour qui se déclarent-ils, et pour qui parlent-ils? Pour Jésus-Christ, dont ils se considèrent désormais comme les ambassadeurs,

 

1 Joan., III, 5. — 2 Ibid., XX, 23. — 3 Rom., VIII, 26. — 4 Ibid., V,5. —6 Act., II, 4.

 

comme les hérauts, comme les témoins fidèles. Honteux de n'avoir osé jusque-là lui rendre le témoignage qu'ils lui devaient, confus de n'avoir pas eu le courage de prendre sa cause en main, et de soutenir ses intérêts ; indignés contre eux-mêmes de l'avoir déshonoré par une désertion et une fuite pleine de faiblesse, et résolus de réparer ce scandale par la ferveur de leur confession et aux dépens de leur vie, que font-ils? Animés du nouvel Esprit qui vient de descendre sur eux et de les fortifier, ils sortent du cénacle, où ils s'étaient tenus cachés; ils paraissent dans les places publiques, ils entrent dans les synagogues, ils se produisent devant les tribunaux; et là, au-dessus de tous les respects humains, ils protestent que cet homme crucifié, et mis, par l'injustice de Pilate, au rang des criminels, est le Messie : que ce Jésus de Nazareth est l'oint du Seigneur, et que Dieu a pris soin de le glorifier par des prodiges qui surpassent toute la vertu de l'homme ; que ce Juste, livré à la mort, est le souverain Auteur de la vie, et qu'il l'a bien fait voir en se ressuscitant lui-même; qu'ils en sont les témoins oculaires et irréprochables, et qu'ils ne peuvent plus résister à la force de l'Esprit-Saint, qui s'est rendu maître de leur cœur, et qui parle par leur bouche. En vain prétend-on leur imposer silence : Dieu nous commande, répondent-ils, de publier ce que nous avons vu et entendu ; or il est juste d'obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. En vain les veut-on faire passer pour des insensés et pour des hommes pris de vin. Si c'est ivresse, reprend saint Pierre, d'accomplir les oracles des prophètes, pensez de nous ce qu'il vous plaira ; mais au moins savez-vous ce que Joël a prédit : que Dieu, dans les derniers temps, répandra son Esprit sur toute chair? Or, c'est ce que nous vérifions actuellement en confessant Jésus-Christ; et bien loin de rougir de cette ivresse, nous nous en faisons une gloire. Qui s'explique de la sorte, Chrétiens? sont-ce des hommes pleins de zèle? Non, dit saint Chrysostome, c'est le zèle même; c'est le Saint-Esprit qui se sert de l'organe des hommes pour faire connaître Jésus-Christ, pour justifier la sainteté de Jésus-Christ, pour établir la foi de la divinité de Jésus-Christ, pour confirmer ses miracles, pour autoriser sa doctrine, pour fonder son Eglise, et la religion qu'il a apportée au monde. Car c'est cet Esprit, disait le Sauveur, qui me glorifiera par sa venue : Ille me clarificabit (1). Ce n'est pas vous,

 

1 Joan., XVI, 14.

 

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ajoutait-il à ses disciples, qui parlerez pour moi; votre témoignage, quoique vrai, n'aurait pas assez de poids : c'est l'Esprit de votre Père qui parlera en vous et par vous : Non enim vos estis qui loquimini, sed Spirits Patris vestri qui loquitur in vobis (1).

Non-seulement le Saint-Esprit fait parler les apôtres en apôtres, mais, par le plus grand miracle qui fut jamais, il leur fait entreprendre et exécuter des choses tellement au-dessus des forces humaines, qu'on est obligé de s'écrier : Digitus Dei est hic (2) ! C'est le doigt de Dieu qui agit ici. Ecoutez-moi. Ce sont de pauvres pêcheurs, des hommes sans talent, sans crédit, sans nom, des hommes que l'on regarde comme le rebut du monde : Tanquam purgamenta hujus mundi (3), mais qui, possédés de cet Esprit, se proposent de changer et de réformer le monde. Qu'ont-ils pour venir à bout d'un tel dessein? quels trésors possèdent-ils? par quels conseils agissent-ils? de quelles armes usent-ils? point d'autres armes pour eux que la force de votre Esprit, o mon Dieu, par qui ils triomphent de tout. Non, Chrétiens, ce n'est ni par l'évidence des mystères qu'ils annoncent, puisque ce sont des mystères incompréhensibles ; ni par la douceur et le relâchement de la morale qu'ils prêchent, puisque c'est une morale qui combat tous les sens; ni par les artifices et les charmes d'une éloquence étudiée, puisqu'ils n'ont jamais fait d'autre étude que celle de leur profession. Cependant tout se soumet à eux, ou plutôt à la loi qu'ils publient, les savants et les ignorants, les peuples les plus polis et les nations les plus barbares, les princes et les sujets, les grands et les petits. Elle passe par leur ministère, cette loi nouvelle : au delà des mers ; elle pénètre jusque dans les lieux les plus inaccessibles; elle s'établit dans les provinces, dans les royaumes, dans les empires ; et jamais ces fameux conquérants, que l'histoire profane a tant vantés, dont elle a tant exalté les faits héroïques, dont elle a voulu éterniser les noms par de si magnifiques éloges, avec toute leur puissance et tous leurs préparatifs, avec les plus florissantes armées, n'ont pu porter, je ne dis pas plus loin, mais même aussi loin leurs conquêtes. Ce n'est pas que les apôtres n'aient eu bien des persécutions, bien des contradictions à soutenir : mais, par un dernier effet de la force du Saint-Esprit, ils sont à l'épreuve de tout, ils méprisent les tourments et la mort, ils se glorifient dans les fers, ils embrassent

 

1 Matth., X, 20. — 2 Exod., VIII, 19. — 3 1 Cor., IV, 13.

 

leurs croix ; souffrir et mourir pour Jésus-Christ, ce sont leurs plus chères délices. Demeurons-en là, et n'entrons point dans un détail qui serait infini. Voilà, mes chers auditeurs, les excellentes et divines opérations de l'Esprit de Dieu, non-seulement dans les premiers disciples du Sauveur, mais dans toutes les âmes justes ; et voilà par où nous apprendrons si c'est cet Esprit qui nous anime, et s'il nous a communiqué cette force dont les apôtres furent tout à coup revêtus.

Car pour réduire tout ceci à quelque chose de pratique, croire qu'on a reçu l'Esprit de Dieu, et n'oser se déclarer pour Dieu, et se taire quand il faudrait parler, et demeurer oisif quand il faudrait agir, et craindre de s'exposer ou de se commettre quand il faudrait se sacrifier; croire qu'on a reçu l'Esprit de Dieu, et ne rien faire pour Dieu, et être languissant dans le service de Dieu, et n'avoir nul zèle pour les intérêts de Dieu, et ne rien entreprendre pour la gloire de Dieu ; croire qu'on a reçu l'Esprit de Dieu, et ne se résoudre jamais à rien endurer pour Dieu, et trouver pour Dieu tout difficile et tout impossible, et ne vouloir pour Dieu ni se mortifier, ni se vaincre, ni se contraindre, ce serait une erreur grossière. Non, Chrétiens, ne nous aveuglons pas jusques à ce point. Le Saint-Esprit est essentiellement ferveur et amour. Or l'amour, dit saint Grégoire, pape, opère de grandes choses partout où il est; et s'il n'opère rien, ce n'est plus amour : Magna operatur amor ubi est; si magna non operatur, amor non est. Faisons-nous donc autant qu'il nous convient, une sainte pratique de tout ce que pratiquèrent les apôtres. Si nous avons reçu le don de Dieu et le Saint-Esprit comme eux, commençons à parler comme eux, à agir comme eux; et quand la Providence l'ordonnera , soyons prêts à souffrir comme eux. En vrais disciples du Sauveur, pleins de son Esprit, confessons hautement son nom, ne rougissons point de son Evangile, rendons-lui dans le monde des témoignages dignes de notre foi ; expliquons-nous dans les occasions; n'ayons point, quand il est question de la cause de Dieu, de lâches complaisances pour les hommes; ne donnons point cet avantage à l'impiété, qu'elle nous rende timides et muets ; mais confondons-la par une sainte, quoique modeste , liberté. On dira que nous sommes imprudents; on a bien tenu des apôtres d'autres discours et plus injurieux , sans que leur zèle en ait été refroidi. Ne nous contentons pas de parler ; travaillons

 

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pour Dieu avec courage ; intéressons-nous dans tout ce qui regarde son culte, sa religion, sa loi, son Eglise. Dans l'étendue de notre pouvoir, à proportion de nos talents, formons pour lui des desseins et des entreprises. Ne nous rebutons point des obstacles qu'il y aura à surmonter : l'Esprit de Dieu nous donnera des forces, et il nous fera vaincre le monde. Nous aurons des contradictions à essuyer, il faudra livrer des combats, peut-être nous en coûtera-t-il des persécutions : eh bien ! nous nous ferons de tout cela, comme les apôtres, une consolation et un mérite. A quoi connaîtra-t-on que nous avons reçu le Saint-Esprit, si ce n'est par notre constance à soutenir ces sortes d'épreuves?

Adhuc loquente Petro, cecidit Spiritus Sanctus super omnes qui audiebant verbum (1) ; Comme Pierre parlait encore, rapporte saint Luc, le Saint-Esprit descendit sur tous ceux qui écoutaient sa parole. Que ne puis-je, mes chers auditeurs, obtenir pour vous et pour moi le même miracle! Faites, Seigneur, que ce que je dis ne soit pas un simple souhait; donnez bénédiction à ma parole, ou plutôt à la vôtre; répandez sur toute cette assemblée la plénitude de votre Esprit. Et vous, ô Esprit de mon Dieu, principe de toutes les grâces, auteur de toute sainteté, venez nous éclairer et nous fortifier ; venez sanctifier cette maison qui vous est dévouée, et qui ne veut être gouvernée que par vous, parce que tout autre esprit que vous ne la maintiendrait pas dans l'ordre qui y règne, et dans cette parfaite charité qui y a toujours entretenu la paix de Dieu. Vous nous mettez ici devant les yeux un exemple aussi   éclatant qu'édifiant,  seul capable

 

1 Act., X, 44.

 

de nous convaincre du souverain empire que vous avez sur les esprits et sur les cœurs : une dos plus grandes reines du monde, sanctifiée par la pratique de toutes les vertus chrétiennes, qui, dans l'élévation de son rang, a su conserver l'esprit d'une profonde humilité, d'une solide piété, d'une sainte et exacte régularité; une reine qui a tout sacrifié, et qui s'est sacrifiée elle-même pour sa religion ; une reine victime de sa foi, et persuadée de la vérité catholique, jusqu'à la défendre aux dépens de trois royaumes ; une reine dont les malheurs n'ont ni ébranlé la constance, ni ralenti le zèle; enfin, une reine qui sert aujourd'hui de spectacle au monde, aux anges et aux hommes, mais encore plus à Dieu qui l'éprouve; voilà, divin Esprit, ce que nous regardons comme un chef-d'œuvre de votre grâce : et telle est aussi, Madame, l'heureuse et glorieuse destinée de votre Majesté. Dieu vous a choisie pour être une preuve, mais une preuve illustre et mémorable de la toute-puissance de son Esprit. Il vous a choisie pour allier dans votre personne toute la perfection du christianisme avec toute la grandeur du siècle. Il vous a remplie de l'Esprit de vérité, de l'Esprit de sainteté, de l'Esprit de force, pour faire de vous un modèle des plus héroïques vertus. C'est ce qui nous inspire pour votre Majesté une si profonde vénération ; c'est ce qui nous fait espérer que la suite réparera les pertes passées; que Dieu, selon le mot du Sage, vous ayant trouvée digne de lui dans l'affliction, non-seulement vous consolera, vous relèvera, vous glorifiera sur la terre, mais vous couronnera dans le ciel, où nous conduise, etc.

 

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