ANNONCIATION VIERGE II

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DEUXIÈME SERMON SUR L'ANNONCIATION DE LA VIERGE.

ANALYSE.

 

Sujet. Le Verbe s'est fait chair, et il a demeuré parmi nous.

 

C'est le grand mystère que célèbre l'Eglise. Mystère de la bonté et de la charité de Dieu envers les hommes; mystère qui, tout incroyable qu'il parait, a été cru dans tout le monde. Il s'agit dans ce discours d'en donner une connaissance aussi parfaite que nous pouvons l'avoir.

 

Division. Trois alliances merveilleuses. Alliance du Verbe avec la chair par rapport à Jésus-Christ, qui devient Homme-Dieu : première partie ; alliance du Verbe avec la chair par rapport à Marie, qui devient mère de Dieu : deuxième partie ; alliance du Verbe avec la chair par rapport à nous, qui devenons enfants de Dieu : troisième partie.

Première partie. Alliance du Verbe avec la chair par rapport à Jésus-Christ, qui devient Homme-Dieu. Miracle que la foi nous révèle, et d'où il s'ensuit que la chair de l'homme, considérée dans la personne du Rédempteur, est vraiment la chair d'un Dieu, et qu'elle est entrée en possession de toute la gloire de Dieu. De là vient encore que dans Jésus-Christ, entre la chair et le

 

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Verbe, il n'y a rien eu de divisé, et que ce qui était vrai de l'un, par une communication d'attributs, l'est aussi de l'autre. Parce que la chair de Jésus-Christ a été passible, nous disons que le Verbe de Dieu a souffert; et parce que le Verbe est égal à Dieu, nous ne craignons point de dire que la chair de Jésus-Christ est assise à la droite de Dieu.

Trois hérésies : 1°de ceux qui ont combattu la divinité de Jésus-Christ, 2° de ceux qui n'ont pas voulu reconnaître l'humanité de Jésus-Christ. 3° de ceux qui, reconnaissant la divinité et l'humanité de Jésus-Christ, ont seulement nié l'union de l'une et de l'autre, telle que le Saint-Esprit l'a faite, et telle qu'elle subsistera toujours. Dogmes impies, que l'Eglise a frappés de ses anathèmes.

Il est donc vrai que le Verbe de Dieu s'est réellement fait chair; et puisque la chair de ce Verbe fait homme est la chair d'un Dieu, jugeons avec quel sujet saint Paul a prononcé un si terrible arrêt contre ceux qui la reçoivent indignement dans la communion. Quelle épreuve Marie fit-elle d'elle-même avant que de consentir à l'incarnation de ce Dieu-Homme dans son sein? Faisons de nous la même épreuve pour nous disposer à la communion pascale.

Deuxième Partie. Alliance du Verbe avec la chair par rapport à Marie, qui devient mère de Dieu. Alliance que l'hérésiarque Nestorius ne voulut pas reconnaître, refusant à Marie le titre de mère de Dieu. Mais on sait avec quel zèle l'Eglise prit les intérêts de cette Vierge, et comment elle arrêta dans le concile d'Ephèse que le titre de mère de Dieu serait un terme consacré contre l'hérésie nestorienne, comme celui de consubstantiel l'avait été dans le concile de Nicée contre l'hérésie arienne.

Ainsi nous croyons que Marie est véritablement mère de Dieu; et c'est sur cette maternité divine que sont fondés tous les honneurs que nous lui rendons Nous n'en faisons pas une divinité; mais sans l'élever jusqu'à Dieu, est-il du reste une grandeur comparable à celle de cette mère de Dieu? Considérons-la sous deux rapports, l'un à Dieu, l'autre aux hommes : 1° Marie, mère de Dieu; c'est le premier rapport : 2° Marie, mère de Dieu, devenue par là même la médiatrice et comme la mère des hommes; c'est le second. Or, quelle gloire lui doit revenir de l'un et de l'autre?

1° Marie, mère de Dieu. La virginité et la maternité jointes ensemble, quel prodige ! Un Dieu dépendant d'une vierge en qualité de fils, quel honneur pour cette vierge !

2° Marie, mère des hommes, puisque tous les hommes sont non-seulement les frères, mais les membres de ce Dieu-Homme qu'elle a porté dans son sein. De là médiatrice et protectrice des hommes. Adressons-nous donc à elle avec confiance; ce ne sera pas en vain : mais nous en recevrons ce que tant d'autres en ont reçu.

Troisième partie. Alliance du Verbe avec la chair par rapport à nous, qui devenons enfants de Dieu. Car le Verbe divin n'a pu se revêtir de la chair de l'homme, sans contracter avec les hommes la plus étroite affinité; et du moment qu'il nous a ainsi unis à lui, en sorte que nous ne faisons avec lui qu'un même corps, nous pouvons dire, dans un sens propre et réel, que nous sommes enfants de Dieu. Sur cela, voyons, 1° ce que nous devons à Dieu, 2° ce que nous nous devons à nous-mêmes.

1° Ce que nous devons à Dieu comme enfants de Dieu : l'obéissance à ses ordres, et le zèle pour sa gloire. Sans cela, que sert-il de l'appeler notre Père? Si cette obéissance et ce zèle nous doivent coûter, ils ont encore plus coûté à Jésus-Christ.

2° Ce que nous nous devons à nous-mêmes comme enfants de Dieu : ne pas dégénérer de cette glorieuse qualité par une conduite qui nous en rende indignes.

 

Verbum caro factum est, et habitavit in nobis.

 

Le Verbe s'est fait chair, et il a demeuré parmi nous. (Saint Jean, chap. I, 14.)

 

Sire , C'est le grand mystère que nous célébrons aujourd'hui, et sur quoi est fondée toute la religion chrétienne. Mystère que l'apôtre saint Paul exprimait en des termes si relevés, et qu'il appelait le mystère par excellence de la bonté et de la charité de Dieu envers les hommes : Magnum pietatis sacramentum , manifestatum in carne (1). Le Verbe s'est fait chair : voilà . dit saint Augustin , ce qui paraissait incroyable. Mais il y avait encore, ajoute-t-il, quelque chose de plus incroyable , savoir , que ce mystère , tout incroyable qu'il était, fut crû néanmoins dans le monde ; et c'est ce qui est arrivé. De ces deux choses incroyables, celle qui l'était le plus a cessé de l'être, et est devenue non-seulement croyable, mais évidente. Car il est évident que le mystère d'un Dieu incarné a été prêché aux nations, et que le monde s'est soumis à ce point de foi : Magnum pietatis sacramentum, prœdicatum gentibus, creditum in mundo (2). Quand saint Paul en parlait ainsi, ce n'était qu'une prédiction qui dès lors commençait à se vérifier : mais nous voyons la

 

1 1 Tim., III, 16. — 2 Ibid.

 

prédiction pleinement accomplie. Le monde devenu chrétien croit un Dieu fait chair ; et voilà le miracle qu'a opéré le Seigneur, et qui paraît à nos yeux : A Domino factum est istud, et est mirabile in oculis nostris (1). Or, convaincus, comme nous le sommes, du plus incroyable, pourquoi aurions-nous de la peine à croire ce qui l'est moins ? C'était le raisonnement de saint Augustin. Mais ce n'est pas assez : le Verbe fait chair a demeuré parmi nous : Et habitavit in nobis (2); pourquoi cela? pour nous instruire par ses exemples, et pour nous sanctifier par sa doctrine. Voilà, dit saint Paul, par rapport à nous, une des principales fins de l'incarnation : Apparuit erudiens nos (2). Ecoutez-le donc, mes chers auditeurs, ce Verbe incréé, mais incarné : c'est par moi qu'il vous doit aujourd'hui parler, c'est moi qui lui dois servir d'organe ; et, pour m'acquitter dignement d'un si saint ministère, j'ai besoin des lumières et des grâces du même Esprit dont Marie reçut la plénitude. Demandons-les par l'intercession de cette mère de Dieu, et disons-lui avec l'ange: Ave, Maria.

 

Ce n'est pas sans un dessein particulier que l'évangéliste, pour nous donner une idée juste

 

1 Psalm., CXVII, 23. — 2 Joan., I, 14. — 3 Tit., II, 11.

 

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du mystère de ce jour, Ta renfermé dans ces trois divines paroles, que nous ne devons jamais prononcer qu'avec respect : Le Verbe s'est fait chair : Verbum caro factum est (1). Autrefois saint Paul défendait aux ministres de l'Eglise, chargés de l'instruction des fidèles, d'entretenir leurs auditeurs de ce qui regardait les généalogies et les alliances, prétendant que c'étaient des questions inutiles qui ne servaient qu'à exciter des disputes, et qui ne contribuaient en rien à l'édification des mœurs. Ainsi l'ordonnait-il à Timothée. Il n'en est pas de même, Chrétiens, des alliances du Verbe avec la chair, et de la chair avec le Verbe, dont j'entreprends ici de vous parler ; car ce sont des alliances toutes saintes qu'il vous est important de bien connaître, et qu'il ne vous est pas permis d'ignorer ; des alliances qui doivent être le sujet de vos réflexions, comme elles sont l'objet de votre foi ; des alliances qui vous découvrent les plus admirables principes que vous puissiez vous appliquer pour la réformation de votre vie. Or, j'en trouve trois de ce caractère dans le mystère adorable de l'incarnation, et les voici : Alliance du Verbe avec la chair, par rapport à Jésus-Christ ; alliance du Verbe avec la chair, par rapport à Marie, sa mère; alliance du Verbe avec la chair, par rapport à nous, qui sommes ses frères ; alliances, dis-je, que je vous propose comme infiniment propres à vous toucher, à vous convertir, à vous sanctifier, à vous rendre de parfaits chrétiens, si vous en savez profiter. Et afin que vous en puissiez mieux faire le discernement, je distingue dans ces trois alliances autant de degrés qui élèvent la chair de l'homme, dans la personne de Jésus-Christ, jusqu'à la souveraineté de l'être de Dieu ; dans la personne de Marie, jusqu'au rang sublime de la maternité de Dieu ; et dans nos personnes, Jusqu'à la dignité d'enfants de Dieu. Ainsi, gardant les proportions convenables entre Jésus-Christ et Marie, et entre Marie et nous, ce seul mystère du Verbe incarné nous fait voir aujourd'hui trois grands miracles : dans Jésus-Christ, un Homme-Dieu : ce sera la première partie ; dans Marie, une mère de Dieu : ce sera la seconde; dans nous, qui que nous soyons, mais surtout si nous sommes en état de grâce , de légitimes enfants de Dieu : c'est la troisième. Vous verrez, Chrétiens, les trois conséquences pratiques que je tirerai de là, non-seulement pour vous affermir dans la foi, mais pour vous

 

1 Joan., I, 14.

 

apprendre à remplir dignement les plus saints devoirs du christianisme.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Il est donc vrai, Chrétiens, que la chair de l'homme a été élevée dans Jésus-Christ jusqu'à la souveraineté de l'être de Dieu ; et c'est ce que le Saint-Esprit a prétendu d'abord nous marquer par ces paroles : Verbum caro factum est; Le Verbe s'est fait chair. Demander comment et pourquoi s'est accompli ce prodige, ce serait le détruire, dit saint Augustin, en voulant le connaître ; puisqu'il est certain que ce mystère de l'incarnation du Verbe ne serait plus par excellence l'œuvre de Dieu, si l'on en pouvait rendre raison, et qu'il n'aurait plus l'avantage de se distinguer par sa singularité, si, dans l'ordre de la nature ou de la grâce, on en pouvait trouver un seul exemple : Hic, si ratio quœritur, non erit mirabile ; si exemplum, non erit singulare. J'avoue que Marie, au moment que l'ange lui en fit la déclaration, ne laissa pas de dire : Quomodo fiet istud? Comment cela se fera-t-il? Mais saint Chrysostome remarque très-bien que cette demande fut alors L'effet d'une profonde et respectueuse admiration, et non pas d'une présomptueuse et vaine curiosité, et que si Marie voulut savoir de quelle manière se vérifierait ce qui lui était annoncé de la part du ciel, ce ne fut point par incrédulité, mais par un pur zèle, et par un sincère amour de la virginité qu'elle avait vouée.

Quoi qu'il en soit, Chrétiens, voilà le miracle qui vous est proposé dans cette fête, et que je dois vous expliquer : car je serais prévaricateur, et je ne m'acquitterais pas de mon ministère, si, préférablement à tout le reste, je ne m'attachais aujourd'hui à vous développer cet article essentiel de votre foi. Voilà, dis-je, le miracle que la foi nous révèle, un Dieu incarné, un Dieu-Homme, jusqu'à pouvoir dire, dans le sens propre et naturel, qu'il s'est fait chair : Verbum caro factum est. D'où il s'ensuit, par une conséquence nécessaire, que la chair de l'homme, considérée dans la personne du Rédempteur  est  donc  véritablement la chair d'un Dieu ; que dans l'instant bienheureux où fut conçue cette chair virginale, elle se trouva donc, toute chair qu'elle était, pénétrée, comme dit saint Paul, de l'onction de Dieu, inséparablement unie au Verbe de Dieu, n'ayant, selon le langage des théologiens, point d'autre substance que celle du Verbe de Dieu ; qu'en recevant l'être, elle entra donc d'abord

 

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en possession de toute la gloire qui appartient à Dieu, et que le Fils de Dieu la reconnaîtra dans toute l'éternité pour une chair qu'il s'est appropriée, qu'il a consacrée, qu'il a déifiée ; car c'est ainsi qu'en ont parlé tous les Pères, dans des termes que la tradition même de l'Eglise aurait eu peine à autoriser, s'ils n'étaient encore au-dessous de l'énergie et de la force de ceux-ci : Le Verbe s'est fait chair. Tunc in utero virgo concepit, et Verbum caro factum est, ut caro fieret Deus : Ce fut alors, dit saint Ambroise, qu'une vierge conçut miraculeusement, et que le Verbe fut fait chair, afin que la chair devînt Dieu. Ce Père pouvait-il s'en expliquer d'une manière plus expresse? Et parce qu'une vérité aussi importante que celle-là ne peut être appuyée sur trop de témoignages, ajoutons celui de saint Augustin : Talis fuit ista susceptio, quœ Deum hominem faceret, et hominem Deum. Oui, mes Frères, disait ce saint docteur, l'effet de cette incarnation a été tel, que l'homme s'est vu dans Jésus-Christ élevé jusqu'à Dieu, et que Dieu, dans ce même Jésus-Christ, s'est vu réduit à la forme d'un homme. Expressions, je le répète, qui demandent toute la soumission de la foi, et qui nous paraîtraient avoir je ne sais quoi de dur, si elles n'étaient évidemment fondées sur ce principe incontestable : Verbum caro factum est.

De là vient, mes chers auditeurs (appliquez-vous à ceci, et ne pensez pas que la grandeur de mon sujet m'emporte trop loin, puisque autant qu'il est relevé, autant me suis-je étudié à le traiter exactement) ; de là vient que dans Jésus-Christ, entre la chair et le Verbe, il n'y a rien de divisé ; et que ce qui était vrai de l'un, par une communication d'attributs, l'est encore de l'autre. Ainsi, parce que la chair de Jésus-Christ a été passible et mortelle, nous disons, sans craindre d'être accusés de blasphème, que le Verbe de Dieu a souffert et est mort pour nous : et d'ailleurs, parce que le Verbe de Dieu est égal à Dieu, nous ne craignons point la censure, en disant que la chair de Jésus-Christ est assise à la droite de Dieu. Et quoiqu'il n'y ait point d'extrémités plus opposées que la croix et le trône de Dieu, nous ne faisons pas plus de difficulté d'attribuer à cette chair du Fils de l'Homme, qui a été crucifiée, la prééminence du trône de Dieu, que d'attribuer au Verbe de Dieu, qui est la splendeur de la gloire du Père, l'humiliation et l'ignominie de la croix. Pourquoi? parce que tout cela n'est qu'une suite de ce que nous professons par ces paroles : Verbum caro factum est.

Il est vrai, et je suis toujours obligé de le reconnaître, ce mystère est difficile à croire, et c'est là que nous devons captiver nos esprits. Mais puisqu'un Dieu veut bien anéantir pour nous dans ce mystère sa souveraine Majesté, ne refusons pas au moins de lui soumettre notre raison. Soumission nécessaire :car, comme disait saint Athanase, je ne puis savoir comment le Verbe s'est incarné ; mais il ne m'est pas permis d'ignorer qu'il se soit incarné, et qu'il ait pris une chair semblable à la mienne. Au lieu donc de m'engager dans une recherche inutile, et qui passe toutes mes vues ; au lieu de vouloir pénétrer dans ces ineffables secrets de l'incarnation divine, lorsque je ne me connais pas moi-même; ce que j'ai surtout à faire, c'est de bénir mille fois la miséricorde infinie de mon Dieu , non-seulement parce qu'il est descendu de sa gloire pour moi, et qu'il s'est fait homme comme moi, mais parce qu'il m'a révélé, et qu'il m'a fait annoncer ce mystère de mon salut. Car, si je puis être sauvé sans la science de l'incarnation , je ne puis l'être sans la foi de l'incarnation ; c'est-à-dire si je puis être sauvé sans savoir par quelle vertu et de quelle manière le Verbe de Dieu a élevé lu chair de l'homme à une si noble alliance, je ne puis l'être sans savoir que cette merveilleuse alliance s'est faite dans la personne de Jésus-Christ ; en sorte que, dans la personne de Jésus-Christ, il y a eu tout à la fois et un vrai Dieu et un vrai homme : Verbum caro factum est.

C'est de quoi tant d'hérétiques n'ont pas voulu convenir; et c'est pour mieux affermir la créance de ce mystère , que Dieu a permis qu'elle fût attaquée par tant d'endroits. Les uns ont combattu la divinité de Jésus-Christ, ne considérant pas qu'il est aujourd'hui formé dans le sein de Marie par la seule opération de l'Esprit divin : Spiritus sanctus superveniet in te (1) ; que l'ange l'appelle absolument saint et la sainteté même : Sanctum vocabitur (2) ; qu'il est conçu par une mère vierge, et demeurant toujours vierge, quoique mère; enfin, qu'il vient dans le monde pour être le Sauveur du monde : principes d'où il s'ensuit incontestablement qu'il est Dieu ; car, comme raisonnent saint Ambroise, saint Augustin, saint Cyrille et saint Bernard, il n'appartient qu'à un Dieu d'être saint par lui-même et la source de toute sainteté ; qu'à un Dieu d'être fils d'une vierge, sans que cette vierge y perde rien de sa virginité ;

 

1 Luc, I, 35. — 2 Ibid.

 

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qu'à un Dieu de sauver le monde, après qu'il l'a créé.

D'autres ont refusé , par «ne erreur toute contraire, de reconnaître l'humanité de Jésus-Christ ; tantôt ne lui attribuant qu'un corps imaginaire et fantastique ; tantôt lui accordant un vrai corps, mais sans âme et sans intelligence ; tantôt lui donnant un corps parfait, mais formé d'une matière toute céleste, et non de la substance de Marie : dogmes insoutenables, à quoi les docteurs de l'Eglise, et entre autres Tertullien, saint Athanase et saint Léon, pape, ont opposé toutes les Ecritures et les plus solides raisons. Car, disaient-ils, si Jésus-Christ n'a eu qu'un corps imaginaire, comment nous a-t-il rachetés de son sang? s'il n'a eu qu'un corps sans âme, comment a-t-on pu l'appeler homme ; et s'il n'était pas homme , comment a-t-il satisfait pour les hommes? si son corps a seulement été formé dans le sein de Marie , et non de la substance de Marie, comment Elisabeth l'appela-t-elle la mère de son Seigneur? Mater Domini mei (1) ; et comment l'ange lui dit-il que l'Homme-Dieu, qu'elle devait porter dans ses chastes flancs, naîtrait d'elle ? Nascetur ex te (2).

Enfin, conclut saint Augustin , plusieurs se sont trompés, tout à la fois, et à l'égard de la divinité de Jésus-Christ, et à l'égard de son humanité ; non pas en niant ni l'une ni l'autre, mais l'union de l'une et de l'autre, telle que le Saint-Esprit l'a faite et telle qu'elle subsistera toujours. Car ils reconnaissaient en Jésus-Christ et une vraie divinité, et une vraie humanité. Mais comme le propre de l'hérésie est de donner dans toutes les extrémités, ou bien, d'une part, ils prétendaient que Dieu et l'homme dans l'incarnation avaient été seulement unis de volonté, unis de sentiments et d'intérêts, unis par adoption, par affection, par communication de gloire, et non point d'une union réelle et substantielle ; ou bien, d'autre part, ils confondaient tellement ensemble la divinité et l'humanité, qu'outre l'unité de personne, ils établissaient encore dans l'Homme-Dieu une unité de nature : erreurs foudroyées par l'Eglise dans ces fameux conciles dont les célèbres décisions nous servent de règles, et qui nous apprennent qu'en vertu de l'incarnation le Verbe divin s'est réellement et substantiellement uni à notre chair ; que par cette union le Verbe incarné s'est rendu propres toutes les misères de l'homme, et que l'homme est entré en participation de toutes  les grandeurs de

 

1 Luc, 1, 43. — 2 Ibid., 35.

 

Dieu; qu'il y a néanmoins entre les deux natures qui composent cette adorable Personne , la nature divine et la nature humaine, une distinction essentielle, sans qu'elles aient été confondues, et que l'une, comme parlaient quelques hérétiques, ait absorbé l'autre. Tel est, Chrétiens, le précis de la doctrine orthodoxe touchant le mystère d'un Dieu fait homme, et c'est de quoi il fallait d'abord vous instruire : Verbum caro factura est.

N'en demeurons pas là ; mais réduisant à la pratique et aux mœurs cette première vérité , profitons de la fête de ce jour pour nous disposer à la solennité de Pâques qui approche , et faisons-nous du mystère de l'incarnation une préparation solide à l'accomplissement du grand précepte de la communion. Car voilà sur quoi est fondée cette loi si sainte, qui nous oblige à nous éprouver nous-mêmes avant que de recevoir le corps de Jésus-Christ, et à n'y participer jamais qu'avec une conscience pure, et dans un état où, sans être absolument assurés que nous sommes dignes d'amour, nous puissions toutefois, quoique pécheurs, dire avec humilité , comme saint Paul : Nihil mihi conscius sum (1) ; Ma conscience ne me reproche rien, du moins rien de capital et de grief. On demande pourquoi l'Apôtre a fait un crime si atroce de ce qu'il appelle communion indigne; et l'on s'étonne qu'animé du zèle apostolique dont il était rempli , il ait fulminé de si terribles anathèmes contre ceux qui, dans un état de mort, osent manger le pain de vie; qu'il leur ait déclaré que c'est alors leur jugement qu'ils mangent, et leur condamnation; qu'il les ait traités de profanateurs et de sacrilèges ; et que, sur sa parole, malgré la corruption du siècle, la seule pensée de communier indignement fasse encore horreur aux chrétiens les plus imparfaits et même les plus mondains. Non, non, mes chers auditeurs, il ne faut point en être surpris. Supposé ce que je viens de vous dire, et ce que la foi nous enseigne de l'incarnation du Verbe, il n'y a rien en tout cela qui ne soit facile à comprendre; et quand une fois j'ai conçu que ce pain dont parle saint Paul est le corps du Seigneur, et le Seigneur même, je souscris sans peine à tous les anathèmes qu'il prononce contre ceux qui prennent sans discernement cette nourriture céleste. Quelque formidables qu'ils soient, je n'ai, pour les trouver équitables, qu'à m'appliquer personnellement le mystère du Verbe fait chair, en me disant à moi-même : Cette

 

1 1 Cor., IV, 4.

 

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chair que je mange dans le sacrement est la chair d'un Dieu, et je la profane quand je la mange dans l'état de péché. Par l'incarnation elle est unie à une personne divine ; et par l'indigne communion que je fais, je l'unis, toute sainte qu'elle est, à une âme criminelle et ennemie de Dieu. Cela seul me fait sentir la raison qu'a eue saint Paul de condamner si sévèrement ces sacrilèges qui se présentent à la table du Sauveur sans avoir la robe de noces, qui est la grâce, et il n'y a point ensuite de châtiment qui me paraisse encore au-dessous d'une telle profanation.

Que faudrait-il donc dire à un chrétien qui se trouve sur le point de célébrer la pâque, et de prendre part au sacrement de Jésus-Christ? Ecoutez-moi, hommes du siècle, et n'oubliez jamais cette instruction. Il faudrait lui dire à peu près, et avec la proportion qui doit être ici gardée, ce que l'ange dit à Marie : Ideoque et quod nascetur ex te Sanctum, vocabitur Filius Dei ; Prenez garde, mon Frère I ce qui est caché sous les symboles de ce pain, c'est le Saint des saints et le Fils de Dieu, le même qui est né d'une vierge, le même dont l'ange fit à cette vierge un si magnifique éloge. Voilà Celui que vous allez recevoir. Ainsi rentrez en vous-même, et vous mesurant sur l'exemple de Marie, puisque vous êtes destiné à porter dans votre sein le même Dieu, voyez si vous êtes dans les mêmes dispositions; voyez si vous avez reçu comme elle l'Esprit divin ; voyez si l'esprit corrompu du monde ne règne pas encore dans vous : car il ne s'agit pas moins pour vous que d'être, aussi bien que Marie, le temple vivant où un Dieu fait chair doit et veut faire sa demeure : Verbum caro factum est, et habitavit in nobis.

Ah ! Chrétiens, quelle épreuve Marie ne fit-elle pas d'elle-même, avant que de consentir à ce que l'ange lui proposait ! et quand elle apprit que l'heure était venue où le Verbe, avec toute la plénitude de sa divinité, devait s'incarner en elle, avec quelle foi et quelle humilité ne répondit-elle pas à l'honneur que Dieu lui faisait, et aux miséricordes dont il la comblait ! avec quelle pureté, avec quelle obéissance, avec quelle confiance, avec quel amour ne conçut-elle pas ce Dieu-Homme dans son chaste sein ! par combien de vertus héroïques ne se mit-elle pas en état de coopérer à cet ineffable mystère ! Or tel est, mes chers auditeurs, l'excellent modèle sur quoi nous devons aujourd'hui nous former. Marie était sainte dès sa conception ; depuis sa conception, croissant en âge, elle avait toujours crû en sainteté. Avant que l'ange la saluât, elle était déjà pleine de grâce : mais cela ne suffisait pas. Il fallut que le Saint-Esprit lui-même, selon l'expression de l'Evangile, survînt en elle, et qu'il la sanctifiât tout de nouveau par des grâces plus abondantes. Encore après cette nouvelle sanctification, saint Ambroise ne croit point offenser Marie , quand il dit au Sauveur du monde : Tu ad liberandum suscepturus hominem, non horruisti virginis uterum ! Ah! Seigneur, pour sauver l'homme, vous, qui êtes la sainteté même, n'avez point eu horreur de vous renfermer dans le sein d'une vierge! Approchons, Chrétiens, de la communion, prévenus de ce sentiment, et nous n'en approcherons plus avec tant de lâcheté et tant de négligence : nous ne nous y présenterons plus avec une indévotion et une tiédeur dont nous ne pouvons trop gémir ; nous n'en sortirons plus aussi froids, aussi indifférents, et, ce qui est encore plus déplorable, aussi imparfaits, que si nous n'y étions jamais venus. Nous préparer à ce sacrement, ce sera la plus grande et la plus sérieuse occupation de notre vie : en profiter, ce sera le plus ardent de nos désirs : en abuser, ce sera la plus mortelle de nos craintes. Nous irons à la sainte table avec des cœurs embrasés d'amour; comme des lions, dit saint Chrysostome, respirant le feu de la charité; comme des aigles, ajoute saint Augustin, élevés au-dessus delà terre par des pensées toutes célestes, nous y recevrons ce Dieu de gloire dans le même esprit que Marie le conçut, et son exemple nous servira de règle. Du reste, tirer de là des conséquences spécieuses, mais qui, sous une fausse apparence de respect, nous éloigneraient pour jamais du corps de Jésus-Christ; faire consister les dispositions nécessaires dans des degrés de sainteté où personne ne peut atteindre; demander pour ce sacrement un état aussi parfait que celui de Marie; en un mot, de l'obligation d'imiter Marie, se faire, contre l'intention de Jésus-Christ même, un obstacle insurmontable à la communion, c'est à quoi porte le raffinement du libertinage, mais c'est le piège grossier dont votre piété, aussi prudente qu'éclairée, saura bien se garantir. Au contraire, de la nécessité de communier, conclure celle de se sanctifier, y travailler en effet et y donner tous ses soins, c'est par là que nous honorerons le mystère du Dieu incarné. Alliance de notre chair avec le Verbe, premier miracle que nous avons vu dans un Homme-

 

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Dieu. Passons au second, qui nous fera voir dans une vierge une mère de Dieu : c'est le sujet de la seconde partie.

 

DEUXIÈME  PARTIE.

 

Il fallait, Chrétiens, pour mettre au monde un Dieu-Homme et fait chair, qu'il y eût une créature prédestinée en qualité de mère de Dieu selon la chair, et voilà ce que j'appelle la seconde alliance de la chair avec le Verbe dans la personne de Marie. Alliance que l'hérésie n'a pas voulu reconnaître dans cette vierge, non plus que celle de la divinité et de l'humanité dans Jésus-Christ : mais alliance que les vrais fidèles ont hautement et constamment soutenue. Appliquez-vous d'abord, mes chers auditeurs. à en comprendre le dogme : nous verrons ensuite la gloire qui en revient à Marie, et le fruit que nous en pouvons retirer.

Une vierge mère de Dieu, et mère de Dieu selon la chair, c'est ce qui choqua autrefois la fausse piété des hérétiques, surtout de ce fameux Nestorius, patriarche de Constantinople. Cet homme, emporté par l'esprit d'orgueil, et abusant du pouvoir que lui donnait son caractère, osa disputer à Marie sa qualité de mère de Dieu : et dans cette vue y eut-il artifice qu'il n'employât, et déguisement dont il n'usât, pour couvrir ou pour adoucir la malignité de son erreur? car, suivant le rapport des Pères, tout ce qu'on peut d'ailleurs imaginer de titres spécieux et honorables , il les accorda à Marie , hors celui dont il était uniquement question. Il confessa qu'elle était la mère du Saint des saints, qu'elle était la mère du Rédempteur des hommes; il convint qu'elle avait reçu et porté le Verbe de Dieu dans ses chastes entrailles; il se relâcha même jusqu'à dire qu'elle était la mère d'un homme qui, dans un sens , avait été Dieu, parce qu'il avait été spécialement uni à Dieu. Mais qu'elle fut absolument et sans restriction mère de Dieu, c'est sur quoi on ne put fléchir cet esprit incrédule et opiniâtre. Que fit l'Eglise? elle rejeta toutes ces subtilités; et plus Nestorius s'obstinait à combattre ce titre de mère de Dieu, plus elle s'intéressa à le maintenir. Il ne s'agissait en apparence que d'un seul mot, et ce seul mot grec, Theotokos,qui signifie mère de Dieu , était le sujet de toutes les contestations. Mais parce qu'il est vrai, comme l'a sagement remarqué saint Léon, pape, que le chemin qui conduit à la vie est un chemin étroit, non-seulement pour l'observation des préceptes, mais encore plus pour la soumission aux vérités orthodoxes : Non in sola mandatorum observantia, sed in recto tramite fidei, arcta via est quœ ducit ad vitam ; l’Eglise prit la défense de ce seul mot ave: toute la force et toute l'ardeur de son zèle. Elle assembla des conciles , elle fulmina des anathèmes , elle censura des évêques, elle n'épargna pas ceux qui tenaient les premiers rangs, elle les excommunia, elle les dégrada : pourquoi ? parce que dans ce seul titre de mère de Dieu , était renfermé tout le mystère de l'incarnation du Verbe. Car c'est pour cela qu'on se fit comme un capital, et un point essentiel de religion, de croire que Marie était, dans le sens le plus naturel, mère de Dieu. Non pas que cette créance fût nouvelle, puisque, selon saint Cyrille, toute la tradition l'autorisait, et que déjà depuis longtemps Julien l'Apostat l'avait reprochée aux chrétiens : Vos christiani, Mariam nunquam cessatis vocare Dei genitricem; mais on voulut que cette créance, aussi ancienne que l'Eglise , fût désormais comme un symbole de foi ; et l'on arrêta, dans le concile d'Ephèse, que le titre de mère de Dieu serait un terme consacré contre l'hérésie nestorienne , comme celui de consubstantiel l'avait été dans le concile de Nicée contre l'hérésie arienne.

Voilà, mes Frères , ce que nous croyons ; et c'est sur ce dogme ainsi établi que sont fondés tous les honneurs que nous rendons à Marie; c'est, dis-je, sur sa maternité divine , qui, dans l'ordre des décrets de Dieu, l'a élevée au-dessus de tout ce qui n'est pas Dieu. Nous n'en faisons pas pour cela une divinité. Ecoutez ceci, vous qui, réunis à l'Eglise, avez besoin d'être instruits à fond de sa doctrine ; et achevez de vous détromper des fausses idées que vous aviez conçues du culte de la mère de Dieu. Nous n'en faisons pas une divinité ; et je pourrais appliquer ici ce que le grand saint Augustin, dans un semblable sujet, répondait aux manichéens, qui, malicieusement et injustement, accusaient les catholiques de rendre aux martyrs un culte superstitieux et idolâtre. Voici ce qu'il leur disait, en s'adressant à Fauste : Il est vrai que nous nous assemblons pour célébrer les fêtes des martyrs; mais nous n'avons jamais eu la pensée d'offrir, par exemple, le sacrifice à aucun des martyrs. Nous savons que cet honneur n'est dû qu'à Dieu seul, et c'est aussi à Dieu seul que nous le rendons. Car où est l'évêque, où est le prêtre qui ait jamais dit, étant à l'autel: C'est à vous, Pierre, c'est à vous, Paul ; c'est à vous, Cyprien, que nous offrons et que nous immolons l'Agneau sans tache? Nous l'immolons à Dieu, qui a couronné

 

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les martyrs, et nous ne l'offrons en mémoire des martyrs que pour participer à leurs mérites, et pour obtenir le secours de leur intercession. Ainsi parlait saint Augustin, et je dis le même de Marie. Nous célébrons avec solennité le jour bienheureux où l'ange lui annonça le choix que Dieu faisait d'elle ; mais à Dieu ne plaise qu'en lui rendant nos hommages parce qu'elle a conçu le Verbe de Dieu, nous la confondions avec Dieu ! c'est de quoi nous ne craignons pas qu'on puisse soupçonner notre foi ; car, pour me servir du même raisonnement, où est le prêtre qui dans les saints mystères ait jamais dit : C'est à vous, Marie, que nous sacrifions ? Nous sacrifions à celui qui a prédestiné Marie, qui a sanctifié Marie, qui a glorifié Marie ; mais, quoiqu'elle soit incontestablement mère de Dieu, nous ne la regardons et nous ne l'honorons que comme une pure créature, dont tout le bonheur est d'avoir été fidèle à Dieu, d'avoir été humble devant Dieu, d'avoir été singulièrement élue de Dieu.

Cependant, sans élever Marie jusqu'à Dieu, est-il, du reste, une grandeur comparable à celle de cette mère de Dieu ? Tâchons, mes chers auditeurs, à nous en former quelque idée ; mais souvenons-nous d'abord de ce qu'a dit saint Bernard, que Marie elle-même n'eût pu la comprendre dans toute son étendue, ni l'expliquer : Audacter dico, quod nec ipsa plane Maria potuit explicare. Après cela, vous ne serez pas surpris si ce que j'ai à vous dire se trouve encore infiniment au-dessous de mon sujet.

Je considère Marie sous deux rapports : l'un à Dieu, et l'autre aux hommes. Marie devient mère de Dieu, c'est le premier rapport ; et Marie, mère de Dieu, devient par là même la médiatrice et comme la mère des hommes, c'est le second. Or voyons, autant qu'il nous est possible, quelle gloire doit revenir à cette vierge de l'un et de l'autre, et quelles grandeurs y sont renfermées.

Marie, mère de Dieu. Ecoute, ô homme ! s'écrie là-dessus saint Anselme, contemple et admire: Intendat mens humana, contempletur et stupeat. Le Père céleste avait un Fils unique et consubstantiel : mais il n'a pas voulu que ce Fils n'appartînt qu'à lui seul ; il en a fait part à Marie, et elle est véritablement sa mère sur la terre, comme il est son Père dans le ciel : Non est passus manere suum, sedeum ipsum voluit esse Mariœ unicum. Pensée sublime, mais qui, dans sa sublimité, n'exprime rien dont notre mystère ne nous fasse voir l'entier accomplissement. Ah ! mes Frères, disait saint Paul, je fléchis le genou devant le Père de Jésus-Christ mon Maître, parce que c'est de lui que procède toute paternité, soit dans le ciel, soit sur la terre. Ainsi parlait le grand Apôtre; et ne puis-je pas ajouter que je me prosterne en la présence de ce Père tout-puissant pour le reconnaître, non plus seulement comme auteur de toute paternité, mais comme principe de cette maternité divine que j'honore dans Marie? Car quel prodige, Chrétiens ! et quel autre que Dieu même a pu opérer ce miracle ? La virginité et la fécondité jointes ensemble ; une vierge qui conçoit dans le temps le même Fils que Dieu, avant tous les siècles, a produit dans l'éternité; une mère, dit saint Augustin, devenue mère par la seule obéissance de son esprit, de même que le Père, dans l'adorable Trinité, est père par la seule connaissance de ses infinies perfections. Qui jamais, avant Marie, entendit rien de pareil ; et si la foi ne nous l'apprenait pas, qui jamais l'eût cru, qu'une créature dût un jour donner en quelque manière l'être à son Créateur, et que le Créateur pût devenir en quelque sorte l'ouvrage et la production de sa créature? qui l'eût cru, que Marie dût donner à un Dieu ce qu'il n'avait pas auparavant, et qu'un Dieu en dût recevoir une vie toute nouvelle ? qui l'eût cru, que le Verbe, par qui tout a été fait, dût être formé lui-même par une vierge, et que par là cette vierge s'acquittât, pour ainsi dire, envers lui du bienfait de la création? Permettez-moi, Chrétiens, d'user de toutes ces expressions. Les Pères avant moi, s'en sont servis, et ce serait une délicatesse mal entendue, d'avoir peine à parler comme eux, et d'omettre ces magnifiques éloges que la piété leur inspirait, et que la même piété nous doit rendre vénérables.

Ce qui me parait plus surprenant, reprend l'archevêque de Ravenne, c'est que le Verbe divin, qui dans le ciel ne dépend point du Père dont il est produit, ait voulu dépendre sur la terre de la mère en qui il s'est incarné. Que dis-je, mes chers auditeurs ? le Verbe dépendant, cela peut-il s'accorder avec la majesté de Dieu ? Il  faut bien le dire, puisque c'est une suite de la maternité de Marie. Dès là que je la reconnais pour mère de Dieu, non-seulement je puis, mais je dois reconnaître que ce Dieu-Homme a voulu dépendre d'elle; qu'il lui a rendu des honneurs et une obéissance légitime; qu'il s'est soumis à son pouvoir ; et c'est aussi ce que l'Evangile nous a expressément marqué dans ces courtes paroles : Et erat subditus illis (1).

 

1 Luc, II, 51.

 

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Paroles à quoi se réduit presque tout ce que nous savons de la vie mortelle du Sauveur jusqu'au temps de sa prédication. Mais encore, demande saint Bernard, de qui parlait l'évangéliste? est-ce Dieu, est-ce l'homme qui obéissait à Marie? Dieu et l'homme tout ensemble, répond ce Père. Or voyez, poursuit-il, lequel des deux est plus digne de votre admiration, ou la soumission du Fils, ou l'empire de la mère ? Elige utrum mireris, aut Filii beneficentissimam dignationem, aut matris excellentissimam diqnitatem. Car voici tout à la fois deux grands prodiges : prodige d'humilité, que Dieu soit dépendant d'une femme; et prodige de grandeur, qu'une femme commande à Dieu : Utrinque miraculum, et quod Deus feminœ obtemperet, humilitas sine exemplo ; et quod Deo femina prœcipiat, sublimitas sine socio.

De là ne nous étonnons plus qu'un ange descende aujourd'hui du ciel pour saluer Marie, qu'il s'humilie en sa présence, qu'il l'appelle pleine de grâce , qu'il l'élève au-dessus de toutes les femmes. Ne nous étonnons plus d'entendre dire à saint Augustin que rien après Dieu et parmi tous les êtres créés n'est égal à Marie, et n'est même comparable à Marie. Mais surtout ne doutons plus du pouvoir de Marie, ni de sa tendre affection pour nous; et, sans considérer davantage son auguste maternité par rapport à Dieu, regardons-la maintenant par rapport aux hommes, et tâchons d'en tirer tous les avantages qu'elle nous promet.

Car je dis que Marie, devenue mère de Dieu, devient par là même la mère des hommes, la protectrice des hommes, la coopératrice du salut des hommes ; et une mère, une protectrice, une coopératrice toute-puissante pour les hommes. Prenez garde, s'il vous plaît. Mère des hommes, puisque tous les hommes sont non-seulement les frères, mais les membres de ce Dieu-Homme qu'elle porte dans son sein. Protectrice des hommes, puisque c'est en faveur des hommes qu'elle est choisie, et qu'en ce sens elle doit aux hommes son élévation. Coopératrice du salut des hommes, puisqu'elle sert à former le Sauveur qui vient racheter les hommes, et qu'elle donne le sang qui doit être le prix de cette rédemption et de ce salut. Mais j'ajoute, mère toute-puissante , protectrice toute-puissante, coopératrice toute-puissante : pourquoi? parce qu'en qualité de mère de Dieu, elle a singulièrement trouvé grâce auprès de Dieu.

C'est donc aujourd'hui que Marie nous tend les bras, pour nous admettre au nombre de ses enfants; et c'est dans cette pensée que nous devons imiter le zèle et la piété que témoignèrent les chrétiens d'Ephèse, lorsqu'ils reçurent le jugement de l'Eglise universelle à la gloire de cette vierge en qui ils avaient mis leur confiance. Le fait est remarquable, et je voudrais que les hérétiques de notre siècle y fissent toute l'attention nécessaire, et qu'ils apprissent quels étaient, il y a plus de douze cents ans, les sentiments des fidèles à l'égard de Marie, et quels doivent être encore les nôtres. L'histoire nous apprend que le jour où l'on devait conclure sur la divine maternité de Marie, tout le peuple parut dans les rues, remplit les places publiques, se tint autour de ce fameux temple dédié au culte de la Vierge, et où les Pères du concile étaient assemblés ; qu'au moment que la décision fut publiée, et qu'on entendit que Marie était maintenue dans la juste possession du titre de mère de Dieu, toute la ville retentit d'acclamations et de cris de joie; que les Pères sortant pour se séparer, furent comblés de bénédictions, et conduits en triomphe; que l'air fut éclairé de feux ; enfin, que rien ne manqua à la pompe de cette réjouissance commune, ni à l'éclat de la glorieuse victoire que Marie avait remportée. Ah ! Chrétiens, il est vrai, ce peuple fidèle était sensible aux intérêts de Marie, et agissait en cela par un esprit de religion : mais en s'intéressant pour Marie, il s'intéressait pour lui-même; car il comptait sur le secours de cette mère de Dieu , et il savait ce qu'il en devait attendre. Prenons les mêmes sentiments, et tenons la même conduite. Dans ce grand jour où Marie est déclarée mère de Dieu, rendons-lui les hommages qu'elle mérite, et allons au pied des autels lui jurer une fidélité inviolable , et lui renouveler les saintes protestations du plus respectueux et du plus parfait dévouement. Mais ne nous oublions pas nous-mêmes; et, pour l'engager à nous faire sentir les effets de sa médiation, représentons-lui l'étroite alliance qui l'unit à nous et qui nous unit à elle. Disons-lui, d'une part, comme les habitants de Béthulie disaient à Judith : Tu gloria Jerusalem, tu lœtitia Israël, tu honorificentia populi nostri (1); Oui, Vierge sainte, vous êtes l'ornement de Jérusalem, le bonheur d'Israël, la gloire de notre peuple : c'est-à-dire l'ornement, la gloire, le bonheur de l'Eglise. Quia confortatum est cor tuum, eo quod castitatem amaveris (2); Parce que vous étiez pure dans un degré de perfection qui surpassait même la pureté des anges, vous avez eu la

 

1 Judith., XV, 10. — 2 Ibid., 11.

 

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force d'attirer du ciel le Verbe divin, et de l'incorporer à notre chair. Ideo eris benedicta in œternum (1) : C'est pour cela que nous nous humilions devant vous, pour cela que nous vous donnons le tribut de louanges qui vous est dû, pour cela que nous vous bénissons, et que tous les siècles après nous vous béniront. Mais, d'autre part, reprenons, Chrétiens, et ajoutons ce que le sage et zélé Mardochée dit à la reine Esther, lorsque, pour l'exciter à prendre la défense des Juifs, menacés d'une ruine prochaine, il lui remontra que si Dieu l'avait élevée sur le trône, c'était plus pour sa nation que pour elle-même : Et quis novit, utrum idcirco ad regnum veneris, ut in tali tempore parareris (2)? Non, ô glorieuse mère de Dieu, nous ne craindrons point de le dire, car nous le savons, que si le Seigneur vous a distinguée entre toutes les femmes, que s'il vous a honorée de la plus éclatante dignité, c'est pour nous ; et voilà ce qui, dans tous les états de la vie, dans toutes les conjonctures et tous les temps, nous fera recourir à vous avec confiance. Nous vous exposerons nos besoins, nous implorerons votre intercession ; et vous écouterez nos vœux, et vous les présenterez à votre Fils, et vous y joindrez les vôtres, et vous ferez descendre sur nous toutes les grâces divines.

N'en doutons point, mes chers auditeurs ; et puisque nous avons une telle ressource auprès de Dieu , apprenons à en profiter. On vous proche sans cesse dans la chair la sévérité des jugements de Dieu; on vous dit tout ce qui peut vous intimider et vous effrayer : ce sentiment est bon, et je dois travailler moi-même à vous imprimer profondément dans L'âme une crainte chrétienne et salutaire. Mais de s'en tenir là; de ne vous faire entendre que les menaces du Seigneur; de ne vous faire voir que les difficultés et les obstacles qui se rencontrent dans la voie du salut ; de ne vous la représenter, cette voie, que comme un chemin semé d'épines et presque impraticable, c'est un excès qui ne corrige rien, et qui ne va qu'à décourager et à désespérer. Je dois donc, en vous faisant craindre, vous faire espérer ; en réprimant votre présomption , soutenir votre confiance : je dois vous faire connaître les moyens que la miséricorde divine vous a fournis, et les secours qu'elle vous a ménagés ; je dois vous consoler, vous animer, vous fortifier. Or, s'il y a un mystère capable de produire ces heureux effets, n'est-ce pas celui-ci? pourquoi? non-seulement parce que c'est le mystère

 

1 Judith, XV, 11. — 2 Esth., IV, 4.

 

d'un Dieu fait homme, mais d'une vierge devenue mère de Dieu ; et en qualité de mère de Dieu, spécialement engagée à veiller sur les hommes, à s'intéresser pour les hommes, à les aider de tout son pouvoir, et à leur servir d'avocate et d'asile. Vous me direz que cette confiance dans la protection de Marie peut autoriser nos désordres, et diminuer en nous le zèle de la pénitence : mais je réponds, moi, que si c'est une vraie confiance, bien loin de refroidir ce zèle, elle l'allumera. Faites-en vous-mêmes l'épreuve, et vous le verrez. Vous verrez, dis-je, si, dévoués à la plus sainte des vierges, vous n'apprendrez pas à haïr le péché; si vous ne vous sentirez pas portés à le fuir par une exacte vigilance, et à l'expier par une sévère pénitence ; si de vives lumières ne vous éclaireront pas, pour vous en faire concevoir l'énormité; si de solides réflexions ne vous toucheront pas, pour vous en faire craindre les suites affreuses, et pour vous les faire éviter : si mille attraits particuliers, mille grâces intérieures ne vous appelleront pas à la sainteté. Car voilà les fruits ordinaires d'une solide et religieuse confiance dans la protection de la mère de Dieu. Combien de justes ont été par là maintenus, et ont persévéré? combien de pécheurs ont été convertis, et se sont sauvés? Je le répète : combien de justes ont été maintenus, et ont persévéré? c'étaient des justes, mais des justes chancelants dans leur état d'innocence et de justice, des justes assaillis de la tentation, combattus par leurs passions, presque vaincus par le monde, et sur le point de céder enfin et de tomber, si Marie, dans des conjonctures si périlleuses, n'eût été leur soutien : et comment? non par elle-même, mais par une grâce victorieuse que son intercession leur a obtenue, et qui les a préservés. Combien de pécheurs ont été convertis, et se sont sauvés? c'étaient des pécheurs , et des pécheurs de longues années, des pécheurs d'habitude : il n'y avait plus, ce semble, de salut pour eux ; et chargés de dettes, ils commençaient à désespérer de la miséricorde divine. Mais ils se sont souvenus que Marie était la mère des pécheurs : ce qu'ils ne croyaient pas pouvoir demander par eux-mêmes, ils l'ont demandé par elle, et ils ont été exaucés ; dans un heureux moment la grâce les a changés, et, de pécheurs qu'ils étaient, en a fait des saints. Miracles dont ils ont rendu mille témoignages; et c'est à ces exemples qu'il faudrait s'attacher, et non point à d'autres plus rares, dont on voudrait quelquefois tirer de si

 

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injustes conséquences. Car telle est en effet notre injustice : parce qu'il s'en trouve peut-être quelques-uns qui, consacrés en apparence au service de la mère de Dieu, n'en mènent pas dans la pratique une vie plus réglée, de ces exemples particuliers, on pense avoir droit de tirer des conséquences générales contre le culte de la Vierge ; et l'on ne considère pas que c'a été, et que c'est tous les jours pour des millions d'autres un principe de conversion et de sanctification. Ah ! mes chers auditeurs, dans un siècle où les dangers sont si fréquents et les besoins si pressants, ne nous privons pas du secours qui nous est offert. De cet autel, si je l'ose dire, et de ce tabernacle où Jésus-Christ repose, il fait encore aujourd'hui par proportion, et pour nous, ce qu'il fit sur la croix pour son bien-aimé disciple. Voilà votre mère, lui dit-il, en lui montrant Marie : Ecce mater tua (1) ; et dès cette heure, ce disciple que Jésus-Christ aimait commença à regarder Marie et à l'honorer comme sa mère : Et ex illa hora accepit eam discipulis in sua (2). C'est ainsi que nous la pouvons regarder nous-mêmes. Heureux qu'elle daigne bien nous recevoir au nombre de ses enfants ! Nous reconnaîtrons bientôt que ce n'est pas en vain qu'elle porte le titre de mère des hommes, si de notre part ce D'est pas en vain que nous portons la qualité d'enfants de Marie. Mais achevons, et voyons comment ce mystère nous élève à la dignité même d'enfants de Dieu : c'est le troisième avantage qui nous revient de l'alliance du Verbe avec la chair, et le sujet de la dernière partie.

 

TROISIÈME PARTIE

 

C'était une erreur des païens, et une erreur aussi grossière que présomptueuse, de se figurer qu'ils étaient les enfants des dieux, parce qu'ils mettaient en effet au nombre des dieux leurs ancêtres. Mais cette erreur, quoique grossière, comme remarque saint Augustin, ne laissait pas de leur inspirer de hauts sentiments; parce qu'il arrivait de là, que se confiant dans la grandeur ou dans la prétendue divinité de leur origine, ils entreprenaient des choses difficiles et héroïques avec plus de hardiesse, ils les exécutaient avec plus de résolution , et en venaient à bout avec plus de bonheur : Et sic animus divinœ stirpis fiduciam gerens , res magnas prœsumebat audacius, agebat vehementius, et implebat ipsa felicitate securius. Ne dirait-on pas que, parmi ces ténèbres

 

1 Joan., XIX, 27. — 2 Ibid.

 

du paganisme, il y avait dès lors quelque rayon ou quelque commencement du christianisme ; et ne semble-t-il pas que la Providence, qui sait profiter du mal même, se servait des erreurs des hommes pour préparer déjà le monde à la vraie religion? Oui, répond excellemment saint Augustin, il était de l'ordre de la prédestination et du salut de l'homme, que l'homme fût un jour persuadé qu'il était d'une extraction divine ; et voilà pourquoi Dieu, par un effet de sa grâce toute-puissante, a voulu que cette persuasion ne fût ni fausse ni téméraire. C'était dans les païens une vanité : mais le mystère que nous célébrons nous a fait de cette vanité une sainte et adorable vérité. Ceux-là se flattaient en se donnant une si haute origine; et nous, si nous avons une moindre idée de nous-mêmes, nous nous méconnaissons, nous nous déshonorons, nous nous dégradons. Car écoutons le disciple bien-aimé ; et quoique, dans un autre discours, j'aie déjà employé le même témoignage pour établir la même vérité, souffrez que je le reprenne, et que je vous le propose dans un nouveau jour. Ecoutons, dis-je, le disciple bien-aimé, et sans rien perdre de l'humilité chrétienne, apprenons de lui à connaître notre véritable noblesse. Voyez, mes Frères, nous dit-il dans sa première Epître canonique, voyez quel amour le Père céleste nous a marqué , de vouloir que l'on nous appelle, et que nous soyons en effet enfants de Dieu : Videte qualem charitatem dedit nobis Pater, ut filii Dei nominemur et simus (1). Il est vrai que saint Jean parlait en particulier aux fidèles qui ont cru en Jésus-Christ, et qui l'ont reçu : mais ce qu'il disait en particulier aux fidèles, et ce qui leur convient spécialement, je puis en général, et dans un sens plus étendu, l'appliquer à tous les hommes. Car c'est à tous les hommes, selon l'expression de ce bien-aimé disciple, que le pouvoir d'être enfants de Dieu a été donné, sans différence de mérites, sans distinction de qualités et de sexe, aux petits aussi bien qu'aux grands, aux pauvres aussi bien qu'aux riches, aux sujets aussi bien qu'aux rois : Dedit eis potestatem filios Dei fieri (2).

Or, je prétends que cette filiation ainsi établie est une suite naturelle de l'incarnation, et le troisième effet de l'alliance du Verbe avec notre chair : Et verbum caro factum est (3). Car le Verbe divin n'a pu se revêtir de la chair de l'homme, sans contracter avec les hommes la plus étroite affinité : et du moment qu'il nous

 

1 Joan., III, 1. — 2 Ibid., I, 12. — 3 Ibid , 14.

 

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a ainsi unis à lui, en sorte que nous ne faisons plus avec lui qu'un même corps, ce n'est point une usurpation pour nous de dire à Dieu, dans un sens propre et réel, que nous sommes ses enfants : Ut filii Dei nominemur et simus (1). C'est en ce sens que Clément Alexandrin, parlant du mystère d'un Dieu fait homme, et relevant les avantages infinis que nous en retirons, s'est servi d'une expression bien forte, lorsqu'il a dit que Dieu se faisant homme, a fait des hommes comme autant de dieux : non pas après tout que nous soyons enfants de Dieu dans la même perfection que l'Homme-Dieu : il l'est par nature, et nous le sommes par adoption ; mais cette adoption divine ne nous ennoblit-elle pas assez? Dieu, tout Dieu qu'il est, pouvait-il nous élever plus haut, et y avait-il pour nous une distinction plus glorieuse à espérer? Ce n'est ni par le sang, ni par le ministère d'aucun homme, que nous sommes montés à ce point de grandeur : le penser de la sorte , ce serait ne pas connaître et la bassesse naturelle de l'homme et l'excellence de la dignité dont nous avons été honorés : Non ex sanguinibus, neque ex voluntate carnis (2). Mais toute la gloire de cette naissance spirituelle nous vient de la volonté de Dieu, de la prédestination de Dieu, du choix et de la grâce de Dieu. Car pour m'en tenir toujours à notre mystère, si nous sommes enfants de Dieu, c'est par ce même Dieu-Homme , qui dans un même homme a su si bien réunir et allier ensemble sa divinité et notre humanité : Et Verbum caro factum est. Ainsi, dit saint Chrysostome, le Fils unique de Dieu est devenu fils de l'homme, afin que les enfants des hommes devinssent enfants de Dieu. Et ne demandez pas, ajoute saint Augustin, comment les hommes ont pu naître de Dieu, puisqu'un Dieu lui-même a pu et voulu naître des hommes.

Voyez donc, encore une fois, jusqu'à quel excès s'est portée la charité de votre Dieu : Videte qualem charitatem; mais voyez ensuite quelles conséquences s'ensuivent de là ; voyez ce que vous devez à Dieu comme enfants de Dieu, et ce que vous vous devez à vous-mêmes : ce que vous devez à Dieu, qui vous permet de l'appeler votre père, et qui l'est en effet ; ce que vous vous devez à vous-mêmes, qui pouvez vous dire enfants de Dieu, et qui avez à soutenir une si noble qualité, et à n'en pas dégénérer. Deux points qui me fournissent une morale bien solide et bien importante.

Ce que vous devez à Dieu ; car puisqu'en

 

1 Jean., III, 12.— 2 Ibid., I, 13.

 

vertu de ce mystère, et par l'alliance du Verbe avec notre chair, nous avons le même père que le Verbe incarné, je dis aussi que nous devons, à l'égard de ce Père tout-puissant, tenir par proportion la même conduite que l'Homme-Dieu, et prendre les mêmes sentiments ; c'est-à-dire que nous devons avoir la même obéissance aux ordres de Dieu, et le même zèle pour la gloire de Dieu. En effet, si le Fils de Dieu prend aujourd'hui dans les chastes entrailles de Marie une chair semblable à la nôtre, c'est, dit l'Apôtre, pour obéir à son Père, pour se conformer aux volontés de son Père, et pour accomplir ses adorables desseins; et s'il s'humilie jusqu'à s'anéantir lui-même, c'est pour l'honneur de son Père, et pour lui rendre toute la gloire qui lui avait été ravie. Or voilà notre modèle. Etre soumis à Dieu, garder fidèlement et constamment la loi de Dieu, glorifier Dieu par une vie digne de Dieu, c'est ainsi que nous le reconnaîtrons pour père. Sans cela, que sert-il de lui dire ce que nous lui disons néanmoins tous les jours : Notre Père qui êtes dans les deux, si nous nous révoltons contre lui sur la terre, si nous le renonçons dans la pratique et le traitons en ennemis? que sert-il de lui dire : Que votre nom soit sanctifié, qu'il soit connu et honoré dans tout l'univers , si nous le blasphémons et le faisons blasphémer aux autres? Car ce que j'appelle, selon le langage de l'Ecriture, blasphémer le nom du Seigneur, c'est outrager le Seigneur même par nos dérèglements et nos désordres; et ce que j'appelle le faire blasphémer aux autres, comme saint Paul le reprochait aux Juifs : Per vos blasphematur nomen Dei (1), c'est les séduire par nos paroles , les engager par nos exemples dans nos habitudes criminelles, et les corrompre par nos scandales. Que sert-il de lui dire : Que votre volonté soit faite, si nous ne suivons rien moins en toutes choses que la volonté de Dieu, toujours violant sa loi, toujours murmurant contre sa providence, toujours disposés , malgré ses promesses et ses menaces, malgré ses défenses et ses commandements les plus exprès, à écouter la passion et à la satisfaire, quoi qu'elle demande? Je sais que pour garder inviolablement la loi de Dieu, que pour donner à Dieu , par la sainteté de nos mœurs, toute la gloire qu'il attend de nous, il faut qu'il en coûte. Mais, Chrétiens, vous en doit-il jamais autant coûter qu'il en coûte aujourd'hui à un Dieu ; à un Dieu que son Père envoie, et qui, suivant la mission

 

1 Rom., II, 24.

 

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qu'il avait reçue , descend du trône de sa majesté, et vient demeurer avec nous; à un Dieu qui, pour réparer l'injure faite à son Père, se réduit jusqu'à la forme d'un homme, jusqu'à la forme d'un esclave, jusqu'à la forme d'un pécheur? Ah! mes Frères, comprenons, si nous le pouvons, par l'obéissance de cet Homme-Dieu, combien sont sacrés les droits du Père qui nous a donné l'être , et qui nous donne encore dans ce saint jour comme une nouvelle naissance, en nous adoptant au nombre de ses enfants. Comprenons, par les anéantissements de cet Homme-Dieu, de quel prix est la gloire de Dieu, le souverain Auteur de tous les êtres, et doublement notre créateur, soit selon la nature , soit selon la grâce. Mais de là même jugeons ce que c'est pour un homme, surtout pour un chrétien, que de refuser à ce premier Maître la soumission et les services que nous lui devons par tant de titres : jugeons ce que c'est que de s'attacher à lui et de l'insulter, en voulant secouer le joug d'une dépendance si incontestable et si légitime; jugeons ce que c'est que d'abandonner ses intérêts, que de s'opposer à ses vues, que de s'obstiner contre ses ordres; et cela tandis qu'on est adorateur du monde, tandis qu'on ne manque à rien de tout ce qu'exige le monde, tandis qu'on entreprend tout et qu'on supporte tout pour le monde. Si je suis le Seigneur et votre Père, disait-il autrefois à son peuple, où est l'honneur que vous me rendez ? Ubi est honor meus (1) ? Où est le respect que vous me devez? Ubi est timor meus (2)? Or la plainte qu'il faisait à son peuple, il peut bien nous la faire à nous-mêmes ; mais avec cette terrible menace , que si maintenant nous ne l'honorons pas comme Père , nous le craindrons un jour comme Juge ; que si maintenant nous ne sommes pas soumis à sa loi, nous serons un jour soumis à ses châtiments ; que si maintenant notre vie ne sert pas à le glorifier comme Dieu sanctificateur, notre éternelle réprobation après la mort servira à le glorifier comme Dieu vengeur. Car voilà, mes chers auditeurs, l'affreux retour à quoi il faut vous attendre de la part d'un Père si indignement méprisé, et si justement irrité.

Je dis plus, et c'est par où je finis. Outre ce que vous devez à Dieu, qui vous permet de l'appeler votre père, et qui l'est en effet, voyez encore ce que vous vous devez à vous-mêmes , qui pouvez vous dire enfants de Dieu , et qui avez à soutenir une si noble qualité , et à n'en

 

1 Malach., I. — 2 Ibid.

 

pas dégénérer. Comme il y a dans le monde , et selon les principes de la philosophie humaine, une fierté raisonnable et sage, qui, sans vous faire dédaigner personne , vous inspire néanmoins des sentiments généreux et dignes de votre naissance et de votre rang, je puis ajouter que , dans la religion même que nous professons, et selon les règles de la morale, évangélique, il y a une fierté sainte et toute chrétienne, qui , sans nous enfler, nous remet sans cesse devant les yeux le caractère dont nous sommes revêtus, et nous engage à y conformer nos œuvres. C'est ainsi que le prince des apôtres représentait aux fidèles qu'ils étaient un peuple choisi et distingué : Vos autem genus electum (1) ; un peuple conquis : Populus acquisitionis (2);une nation sainte, élevée à l'honneur du sacerdoce et d'un sacerdoce royal : Regale sacerdotium, gens sancta (3). C'est ainsi que le docteur des Gentils faisait souvenir les Ephésiens qu'ils étaient les enfants de la lumière ; d'où il concluait qu'ils devaient donc se comporter et vivre en enfants de lumière : Ut filii lucis ambulate (4); et c'est, Chrétiens, ce que je veux conclure moi-même, en vous disant que vous êtes enfants de Dieu. Car des enfants de Dieu doivent-ils penser ou agir comme les enfants du siècle? est-il une contradiction plus sensible? en est-il une plus criminelle et plus damnable? Des enfants de Dieu prévenus de toutes les idées du siècle, et du siècle le plus profane, n'estimant que ce que l'esprit du siècle leur fait estimer, n'aimant que ce que l'esprit du siècle leur fait aimer, ne craignant et ne fuyant que ce que l'esprit du siècle leur fait craindre et haïr; des enfants de Dieu sujets à tous les vices du siècle, et du siècle le plus corrompu, aux ressentiments et aux envies, aux colères et aux emportements, aux impostures et aux trahisons, aux désirs ambitieux et à l'orgueil, à l'avarice, à la mollesse, aux débauches et aux plaisirs les plus infâmes. Est-ce là ce qui leur convient, est-ce à cela qu'on les doit reconnaître? ou plutôt, n'est-ce pas là leur honte? n'est-ce pas pour eux un opprobre? Qu'un homme d'une certaine distinction dans le monde, soit par la place qu'il occupe , soit par le sang dont il est sorti, ait commis une action lâche, c'est une tache que rien presque ne peut effacer. De quel œil le regarde-t-on , et de quel œil se regarde-t-il lui-même, quand il vient à considérer d'un sens rassis la faute qu'il a faite, et qui le couvre de confusion ? Or, est-il moins honteux à des

 

1 1 Petr., II, 9. — 2 Ibid. — 3 Ibid. —4 Ephes., V, 8.

 

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hommes nés de Dieu, adoptés de Dieu, enfants de Dieu, de s'asservir à leurs sens, de se rendre esclaves de leurs passions, de se laisser dominer par les brutales cupidités de leur chair, de se porter à toutes les injustices qu'inspire une avare et insatiable convoitise, de nourrir dans leur cœur des haines secrètes et invétérées, d'y concevoir les plus noirs desseins, pour se tromper et pour se vendre les uns les autres ; de n'écouter jamais, je ne dis pas la religion, mais même l'équité naturelle, la bonne foi, la raison ? Est-ce pour former un tel peuple que le Fils unique de Dieu est venu sur la terre, et qu'il a voulu demeurer parmi les hommes? ou n'est-ce pas pour former un peuple parfait, un peuple exempt de la corruption du monde, un peuple affranchi de ces malheureuses concupiscences par où le péché s'est introduit dans le monde et s'y établit tous les jours ; un peuple chrétien, non-seulement de nom, mais de pratique et d'action : Parare Domino plebem perfectam (1) ? Ouvrons donc, mes Frères, ouvrons les yeux de la foi ; et découvrant avec les yeux de la foi notre dignité, sanctifiés comme nous le sommes par l'alliance d'un Dieu, ne retombons pas dans nos premiers égarements ; ne faisons pas de la glorieuse

 

1 Luc, 1, 17.

 

qualité que nous portons, un vain titre qui nous déshonore lorsque notre conduite le dément. Si, m'adressant ici à tant de grands qui m'écoutent, j'avais la témérité de leur dire que leur conduite dément leur grandeur, leur naissance, leurs ancêtres, leur rang, ils prendraient ce que je dirais pour un outrage, et combien y seraient-ils sensibles ! Ne le soyons pas moins au juste reproche qu'on peut nous faire, que nous nous rendons indignes du plus beau de tous les noms, qui est celui d'enfants de Dieu. Verbe éternel et consubstantiel à votre Père, Dieu comme lui, mais homme comme nous, c'est vous qui nous l'avez acquis ce beau nom, et c'est par vous que nous sommes parvenus à ce point d'élévation. Ne permettez pas que nous venions jamais à en déchoir : surtout ne permettez pas que nous perdions le fruit de cette rédemption surabondante dont vous voulez être vous-même le prix. Et vous, Vierge sainte, puisque c'est dans votre sein que ce grand ouvrage est aujourd'hui commencé, aidez-nous à le soutenir, et à y mettre toute la perfection qui doit dépendre de notre fidélité et de nos soins. C'est ainsi qu'après avoir vécu comme de dignes enfants de Dieu, nous aurons part à la gloire des élus de Dieu, où nous conduise, etc.

 

 

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