SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT FRANÇOIS DE PAULE.
ANALYSE.
Sujet. Je suis le plus petit dans la maison de mon Père.
C'est
ce que disait Gédéon, et c'est ce qu'a dit après lui l'humble François de Paule. L'humilité fut son caractère, et doit faire
le sujet de son panégyrique.
Division. Espèce de combat
entre Dieu et François de Paule. Saint François de Paule a employé tous les efforts de son humilité
pour se faire petit dans le monde : première partie. Et Dieu a employé tous les
trésors de sa magnificence pour le faire grand : deuxième partie.
Première
partie. Saint François de Paule a employé tous les efforts de son humilité
pour se faire petit dans le monde. Dès l'âge de treize ans il se retira dans un
désert, afin d'y mener une vie cachée, et d'y cacher son humilité même.
Cependant, après six années
de retraite, sa sainteté malgré lui le fit connaître. Un grand nombre de,
disciples se joignirent à lui, et il devint fondateur d'un nouvel ordre dans
l'Eglise. Mais de quel ordre ? d'un ordre qu'il établit sur le seul fondement
de l'humilité; d'un ordre qu'il gouverna par le seul esprit de l'humilité; d'un
ordre qu'il distingua par le seul caractère de l’humilité.
Son
nom se répandit dans les cours des princes. Un de nos rois l'appela auprès de
lui, et il parut à la cour de France. Mais s'il entra à la cour, ce ne fut que
par la porte de l'humilité; s'il y demeura, ce ne fut que pour y exercer
l'humilité; s'il eu sortit, il en remporta toute son humilité.
Ce
fut par le même esprit d'humilité que, non content de renoncer à l'épiscopat,
il renonça même au sacerdoce. Soyons humbles, par proportion, comme lui.
L'humilité est l'abrégé de toute la perfection chrétienne, puisqu'il n'y a
point de désordre que l'humilité ne puisse corriger, ni de vertu qu'elle ne
nous fasse acquérir.
Deuxième partie. Dieu a
employé tous les trésors de sa magnificence pour glorifier saint François de Paule et pour le faire grand. Il l'a glorifié en
deux manières : 1° par soi-même; 2° par le ministère des créatures.
1°
Dieu l'a glorifié par soi-même, en lui communiquant deux des caractères les
plus essentiels de sa divinité, savoir : la science et la puissance : la
science, pour prévoir les choses futures, et pour découvrir les secrets des
cœurs; la puissance, pour opérer les plus grands miracles. En combien
d'occasions François de Paule a-t-il fait éclater ce don des miracles et
ce don de prophétie?
2°
Dieu l'a glorifié par le ministère des créatures. Tous les éléments lui ont
obéi, toutes les puissances de la terre l'ont honoré, surtout Sixte IV, pape;
Louis XI, roi de France; Charles VIII, successeur de Louis.
Mais
si Dieu l'a tellement glorifié pendant sa vie, combien plus encore l'a-t-il
glorifié après sa mort ? Son sépulcre, selon l'expression du Prophète, a été un
des plus glorieux : et de quelle gloire jouit son âme bienheureuse dans le
ciel? telle est la véritable grandeur où nous devons aspirer. Nous ne devons
pas souhaiter de briller dans le monde comme saint François de Paule; mais nous devons travailler à devenir
grands comme lui auprès de Dieu et dans l'éternité.
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Ego
minimus in domo patris mei.
Je
suis le plus petit dans la maison de mon père. (Livre des Juges, chap. VI, 5.)
Ces paroles, que j'applique au
glorieux patriarche dont nous célébrons ici la fête , furent autrefois prononcées
par Gédéon, l'un des plus grands hommes de l'ancienne loi. Dieu l'avait choisi
pour combattre les Madianites enflés de leur victoire, pour délivrer les
Hébreux ses compatriotes de l'oppression, et pour être enfin le chef, le
conducteur et le souverain de son peuple. Mais qui suis-je, dit ce saint
capitaine, surpris du choix que Dieu faisait de lui pour une si haute
entreprise ; et comment est-ce, Seigneur, que vous avez jeté les yeux sur moi?
Je suis de la dernière des douze tribus, qui est celle de Manassès ; dans la
tribu de Manassès ma famille est la moindre de toutes; et moi, je suis le plus
petit de la maison de mon père : par où donc pourrai-je sauver Israël? In
quo liberabo Israël? ecce familia mea infirma est in Mariasse, et ego minimns
in domo patris mei (1).Va, lui répondit le Seigneur, ne sois point en peine
: je me joindrai à toi, je relèverai et te ferai grand. Cette promesse
s'accomplit, et vous savez à quel point de grandeur Gédéon parvint, et combien
son nom fut redouté des ennemis du peuple de Dieu, et fameux dans toute la
terre. N'est-ce pas là, Chrétiens, l'image la plus naturelle et la plus
parfaite de L'incomparable François de Paule ;
et ne semble-t-il pas que le Saint-Esprit, sous ces traits, ait prétendu nous
le marquer par avance et nous le faire connaître? Dieu le destinait à des
commissions importantes : à fonder dans l'Eglise un nouvel ordre ; à combattre
le monde, le démon et la chair, ces dangereux ennemis de notre salut : et sur
cela, quel était le sentiment de ce saint instituteur? Le même que celui de
Gédéon. Eh quoi ! mon Dieu, s'écriait-il, vous me connaissez; je suis le plus
petit des hommes, et le moyen que, dans mon extrême faiblesse, je sois en état
de seconder vos vues sur moi et de les remplir ? Ego minimus in domo patris
mei. Je le sais, répond le Seigneur; mais c'est pour cela même que je
l'exalterai, et que je te comblerai de gloire. Arrêtons-nous là, mes chers
auditeurs, puisque c'est la plus juste idée de l'éloge que j'entreprends. Faire
le panégyrique de François de Paule, c'est
faire le panégyrique de l'humilité, ou faire le panégyrique de l'humilité,
c'est faire celui de François de Paule. Toutes
ses vertus se sont comme abîmées dans celle-là :
sa foi merveilleuse, sa charité ardente et zélée, son
austérité de vie, et sa mortification. Mais avant que de vous expliquer mon
dessein, implorons le secours du ciel, et demandons-le par l'intercession delà
plus humble des vierges : Ave, Maria.
Quoique l'humilité soit de toutes
les vertus la plus pacifique, la plus soumise et la plus modeste, souvent
néanmoins, si je puis ainsi m'exprimer, elle voudrait, aussi bien que
l'orgueil, résister à Dieu, et combattre contre Dieu. L'Ecriture sainte , au
livre de la Genèse, nous représente un combat qui se passa dès le commencement
du monde entre Dieu et les hommes , et dont l'orgueil des hommes fut le seul
principe : des hommes entreprirent de s'élever malgré Dieu même, et Dieu,
malgré eux, entreprit de les humilier. L'orgueil des géants s'arma d'insolence et
de présomption contre la toute-puissance de Dieu, et la toute-puissance de Dieu
s'arma de foudres contre l'orgueil des géants. Mais, Chrétiens, j'ai à vous
proposer aujourd'hui un combat bien différent, et non moins saint que l'autre
était criminel : car quoique ce soit un combat entre Dieu et l'homme, il a cela
do propre et de merveilleux, que, bien loin de séparer l'homme de Dieu, il
l'unit étroitement à Dieu, et l'entretient dans une paix éternelle avec Dieu.
Ce combat, mes chers auditeurs, c'est celui de l'humilité de François
de Paule, contre la libéralité et la magnificence divine. Dieu veut exalter François;
et François, autant qu'il lui est permis,
s'oppose à son exaltation. François veut
s'abaisser et s'anéantir; et Dieu, pour le relever, le tire de l'obscurité où
il veut vivre, et s'oppose à son anéantissement. Voilà tout mon sujet;
concevez-le bien, parce que ce sera tout le fond et tout le partage de ce
discours. Saint François de Paule a employé
tous les efforts de son humilité pour se faire petit dans le monde : c'est la
première partie; et Dieu a employé tous les trésors de sa magnificence pour le
faire grand : c'est la seconde. Le Sauveur des hommes avait dit, dans son
Evangile, que celui qui s'humilierait serait exalté : Qui se humiliaverit
exaltabitur (1); et il fallait que cet oracle se vérifiât : or, je prétends
qu'il n'a jamais été plus authentiquement vérifié, ni dans un exemple plus
illustre, que dans la personne du saint fondateur que nous honorons en ce jour
; et pour vous en convaincre, je vous ferai voir d'une part
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François de Paule, qui
s'humilie, et Dieu de l'autre qui glorifie François
de Paule. Appliquez-vous, Chrétiens : il y aura là également et de quoi
satisfaire à votre dévotion, et de quoi servir à votre instruction.
PREMIÈRE PARTIE.
N'être rien, et ne s'estimer rien
; être peu de chose, et s'estimer peu de chose ; être méprisable, et se
mépriser en effet soi-même, c'est l'indispensable devoir de l'humilité. Mais
être grand, et s'étudier à devenir petit ; être distingué aux yeux de Dieu, et
n'être à ses propres yeux qu'un vil sujet: être tout ce que l'on peut être de
plus relevé dans l'opinion des hommes, et dans la sienne propre se rabaisser
au-dessous de tous les hommes, c'est la grâce, c'est la perfection de
l'humilité, et ce que saint Bernard admirait plus que toutes les autres vertus
: Mirabilem te apparere, et contemptibilem reputare, hoc ego virtutibus
ipsis mirabilius judico. Or voilà, Chrétiens, le caractère de l'humilité de
saint François de Paule. Figurez-vous un homme
comblé d'honneur et de gloire, un homme puissant en œuvres et en paroles, un
homme vénérable aux souverains de la terre, chéri des papes, recherché des
rois, honoré des peuples; un homme de miracles et dont tout le soin néanmoins
est de se cacher et de s'obscurcir; qui ne travaille que pour cela, et qui n'a
de pensée que pour cela; qui met en usage tout ce que l'Esprit de Dieu peut
suggérer, et tout ce que l'esprit humain peut imaginer pour cela : voilà en
raccourci tout le portrait de ce grand saint.
François
réussit d'abord dans cette entreprise. Des qu'il s'aperçut que Dieu commençait
à opérer en lui des choses extraordinaires; que dès les premières années de sa
vie, le ciel le prévenait des plus rares bénédictions ; que déjà son enfance
était devenue illustre par divers prodiges, et que le bruit de ces prodiges se
répandant au dehors, son humilité en pourrait recevoir quelque atteinte, que
fait-il? Il forme un dessein que la seule grâce du christianisme lui put
inspirer. S'il eût consulté la prudence de la chair, elle eût traité de folie
une si sage résolution ; mais c'est l'Esprit du Seigneur qui le conduit, et il
ne veut point d'autre conseil. Sous un tel guide, il se dérobe de la maison
paternelle; il entre, dès l'âge de treize ans, dans un désert qui semblait
plutôt être la retraite des bêtes sauvages que des hommes ; il y trouve une
solitude que Dieu même lui avait préparée dans une étroite caverne ; il regarde
cette grotte comme son tombeau, il s'y ensevelit tout vivant. et il est résolu
d'y demeurer et d'y mourir.
Ce fut là, Chrétiens, comme le
premier pas de son humilité. De vous dire ce que fit ce saint solitaire, séparé
de tout commerce, et n'ayant à traiter qu'avec Dieu ; de vous dire quelles
faveurs célestes il reçut, de quelles lumières il fut éclairé, de quels
sentiments il fut pénétré, à quelles austérités il se condamna, combien de
vertus héroïques il pratiqua : ce sont des secrets qui passent toutes nos
connaissances, et qu'il ne nous appartient pas de découvrir. Je ne sais qu'une
seule chose, mais cette seule chose est plus que tout ce que nous en pourrions
d'ailleurs savoir, et que tout ce que je vous en pourrais apprendre : et quoi ?
C'est que François de Paule voulut vivre dans
cette solitude inconnu aux hommes, ignoré des hommes, abandonné et généralement
oublié des hommes : Oblivioni, datus sum tanquam mortuus a corde (1) ;
c'est là, dis-je, tout ce que je sais, et ce qui vaut les plus pompeux et les
plus magnifiques éloges. Si je vous disais que dans son désert il mena une vie
tout évangélique ; qu'il y eut avec Dieu les communications les plus intimes,
et, si j'ose ainsi m'exprimer, les entretiens les plus familiers ; qu'il y fut
gratifié de tous les dons de l'oraison la plus sublime et de la plus haute
contemplation ; si je vous disais qu'il consacra ce saint lieu par des ferveurs
et même des excès de pénitence qui l'égalèrent aux Elie et aux Jean-Baptiste; que
le jeune y fut sa nourriture, le cilice son vêtement, la terre son lit ; qu'il
y fit de sa chair une victime de mortification : tout cela vous paraîtrait
grand, admirable, divin. Mais, encore une fois, j'ai quelque chose de plus
grand à vous dire que tout cela, et c'est qu'en tout cela François
voulut être caché, qu'en tout cela il suivit la belle maxime de saint Bernard,
qui est le précis de l'humilité évangélique : Ama nesciri; qu'il a dit à
Dieu en tout cela comme Jérémie : Diem hominis non desideravi, tu scis ;
Seigneur, vous le savez, je n'ai point recherché la vue des hommes ; au
contraire, je m'en suis éloigné, et je n'ai voulu avoir que vous pour témoin de
mes actions et de ma vie.
Si donc il fut saint dans, le
désert, ce fut d'une sainteté cachée; s'il y fut sévère à lui-même , ce fut
d'une sévérité cachée ; mais surtout s'il y fut humble, ce fut d'une humilité
cachée, et par là même de l'humilité la plus parfaite. Il y a dans le monde, et
dans le monde
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chrétien,une humilité d'une autre espèce, une humilité qui
éclate, une humilité qui se produit avec un extérieur plein de piété, une
humilité qui attire le respect, qui se donne du crédit, qui reçoit tous les
honneurs qu'elle semble fuir. Est-ce une vraie humilité? je n'en jage point,
car c'est à Dieu d'en faire le discernement : du reste, quand je vois une
humilité de ce caractère, je l'honore, mais je crains pour elle. Je l'honore,
parce qu'elle a le corps et la surface de l'humilité chrétienne, et qu'il ne
m'appartient pas d'en sonder le fond ; mais je crains pour elle, parce qu'il
est très-dangereux qu'avec toute l'apparence de l'humilité, elle n'en ait pas
l'esprit ; je m'en défie, parce que je me souviens de l'excellente instruction
de saint Grégoire, pape, savoir, que L'humilité est de la nature de ces
senteurs précieuses qui ne se conservent jamais mieux que dans un vase bien
fermé, et qui s'évaporent dès qu'elles sont exposées au grand air. Voilà
pourquoi François de Paule, solidement humble,
cacha dans les ténèbres jusqu'à son humilité même, persuadé qu'on se laisse
bientôt enlever ce trésor évangélique, dès qu'on le découvre et qu'on le fait
paraître au grand jour.
Une dis-je après tout, Chrétiens ? est-ce que l'humilité
doit toujours demeurer sous le boisseau, et ne se montrer jamais? Elle le
voudrait ainsi ; mais il y a des conjonctures où elle est en quelque sorte
forcée de se faire voir ; et quand, par une longue et solide épreuve, elle
s'est bien affermie, elle peut enfin sortir de son obscurité pour suivre la
voix de Dieu, et pour se conformer aux vues de la Providence. François
de Paule vivait depuis six années entières dans la plus sombre retraite : ce
n'était point assez selon les désirs de son cœur, mais c'était trop pour
l'Eglise, à qui Dieu le réservait, et trop pour les âmes qui devaient être
éclairées de ses lumières. Quelques charmes qu'ait donc pour lui sa solitude,
il faut qu'il la quitte. Je me trompe, mes chers auditeurs, il ne la quitta
point ; mais son histoire nous dit un beau mot, et qui est plein d'un grand
sens : que cet homme de Dieu, sans quitter sa solitude, qui fut le centre de
son humilité, porta dans le monde, en y entrant, tout l'esprit de sa solitude
et de son humilité, ou plutôt, que le monde vint le chercher dans sa solitude,
pour y être sanctifié par la vertu et par les exemples de son humilité : c'est
ainsi que s'explique l'historien de sa vie. Et en effet, dès que le solitaire
de la Calabre commença malgré lui à être connu, dès que son nom fut divulgué
dans les provinces voisines, on vit les peuples de toutes parts aborder à sa
cellule, et y recourir comme à la source de la piété.
Quel prodige ! c'était un jeune
homme ; il n'avait pas encore atteint sa vingtième année, il n'avait nulle
teinture des lettres, il semblait n'avoir nulle expérience : et voici néanmoins
un nombre presque infini de disciples qui le viennent trouver, qui renoncent à
toutes choses pour se donner à lui, qui le choisissent pour leur maître, qui le
reconnaissent pour leur législateur, qui l’écoutent comme un oracle, qui lui
obéissent comme à leur père, qui se soumettent à sa discipline et à ses
instructions. Et que leur enseigne-t-il ? un seul point, sur quoi Dieu l'a
rendu savant, et qu'il a lui-même pris soin d'apprendre à l'école du
Saint-Esprit : Discite a me quia mitis sum et humilis corde (1). Mes
Frères, leur dit-il, je ne sais pas ce que vous prétendez en me cherchant dans
ce désert, et me demandant des leçons et des règles de conduite ; mais je vous
déclare que toute ma doctrine se réduit à un seul article. N'attendez point que
je vous découvre de grands secrets, que je vous communique des pensées sublimes,
que je vous rende capables de pénétrer dans les mystères de Dieu : je n'ai
qu'une science, qui est Jésus-Christ, et Jésus-Christ anéanti par l'humilité :
être débonnaire et doux comme lui, être humble de cœur comme lui, c'est
l'unique chose que je veux savoir; et dès que vous la saurez, vous saurez tout.
Il ne leur prêche que cela et avec cela il les persuade, il les convertit, il
les détache du monde, il en fait des hommes tout spirituels, il les engage dans
les voies de la croix les plus étroites ; et, ce qui tient du miracle, dès
l'âge de dix-neuf ans, il devient fondateur d'un ordre approuvé par le saint
Siège.
Mais de quel ordre ? ah !
Chrétiens, voilà ce que nous ne pouvons assez admirer : d'un ordre qu'il
établit sur le seul fondement de l'humilité, d'un ordre qu'il gouverne par le
seul esprit de l'humilité, d'un ordre qu'il distingue par le seul caractère de
l'humilité. Tous les ordres ont leur caractère propre, et c'est ce qui fait
cette variété mystérieuse du corps de l'Eglise dont parlait David : Circumdata
varietate (2). L'un a l'austérité pour partage, l'autre la pauvreté,
celui-ci la contemplation, celui-là le zèle des âmes. Que fait saint François
de Paule? Il embrasse tout, l'austérité des
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uns, la pauvreté des autres, la contemplation de ceux-ci, le
zèle de ceux-là ; mais à tous ces caractères il en ajoute un qu'il veut être
particulier à ses enfants : c'est l'humilité. De là, il demande au souverain
pontife , et il en obtient, comme un privilège et une grâce, qu'ils soient
appelés minimes, c'est-à-dire les plus petits dans la maison de Dieu. Il ne
veut pas qu'ils portent son nom, parce qu'il ne veut pas que son nom vive dans
la mémoire des hommes ; il ne veut pas qu'ils portent un nom qui les fasse
connaître ou comme pénitents , quoi qu'ils aient toutes les rigueurs de la
pénitence , ou comme pauvres selon l'Evangile, quoiqu'ils aient toute la
pauvreté évangélique, ou comme d'habiles maîtres de la vie spirituelle et
contemplative, quoiqu'ils en possèdent tous les trésors, ou comme des ministres
zélés pour la gloire de Dieu et pour l'avancement des âmes, quoiqu'ils
travaillent avec édification et avec fruit à l'un et à l'autre ; mais il veut
que leur nom, si j'ose parler ainsi, les rabaisse au-dessous de tout ce qu'il y
a d'hommes sur la terre. Il va plus loin ; et pour les maintenir toujours dans
cette humilité qu'il leur propose comme leur essentielle perfection, il établit
parmi eux une forme de gouvernement où règne l'humilité, dont l'humilité est la
base et le soutien, qui ordonne et qui règle tout par l'humilité. Dès là que
c'est une assemblée d'hommes, il faut, pour entretenir la subordination, qu'il
y ait un supérieur; mais qu'est-ce , dans l'idée de François
de Paule, que ce supérieur? Un homme au fond plus dépendant que les autres, et
en qui s'accomplit à la lettre cette parole du Sauveur à ses apôtres : que
celui qui est entre vous le plus grand se fasse le serviteur de tous : Qui
major est in vobis, fiat sicut minor (1). Mais l'autorité par là n'est-elle
point affaiblie? Ah ! mes chers enfants, leur répondait là-dessus leur glorieux
père, il y aura toujours assez d'autorité parmi vous, s'il y a de l'humilité ;
et dès qu'il n'y aura point d'humilité, l'autorité sera onéreuse et
insupportable. Dans le monde, l'autorité supplée au défaut de l'humilité ; mais
dans une société religieuse, et entre des disciples de Jésus-Christ, l'humilité
doit être le supplément de l'autorité. C'est pour cela qu'étant général de son
ordre, François était toujours occupé dans les
offices les plus abjects et dans les plus vils ministères, servant les autres
et ne pouvant souffrir qu'on le servît lui-même ; c'est pour cela qu'il fut
un grand nombre d'années sans faire aucune règle. Et en
effet, s'il n'y avait dans la vie que des humbles, il ne serait plus besoin de
règles ni de lois.
Mais il est temps, Chrétiens, de
faire paraître l'humilité de François de Paule
sur le théâtre que la providence lui avait préparé, je veux dire dans la cour,
et dans la première cour du monde, qui est celle de nos rois : car il y fut
appelé, il y vécut ; et nous pouvons dire, en ce sens, que c'a été un homme de
la cour. Il est vrai ; mais il est encore plus vrai que la cour, qui est le
siège de l'orgueil du monde, devint comme le siège de son humilité. C'était
sans doute un pas bien glissant pour un solitaire et un religieux, que d'entrer
dans la cour d'un prince : car qui ne sait pas quels sont les dangers de la
cour, que c'est recueil de la sainteté, et que les plus fortes vertus sont
sujettes à y faire naufrage? Mais ne craignons rien pour François
de Paule ; il est humble, et cela suffit : s'il entre à la cour, ce ne sera que
par la porte de l'humilité ; s'il y demeure, ce ne sera que pour y exercer
l'humilité ; et s'il en sort, il remportera avec lui toute son humilité.
Oui, Messieurs, ce fut par la
porte de l'humilité qu'il entra dans la cour de Louis XI. Vous le savez; il
fallut un commandement absolu du souverain pontife pour l'y obliger. Le roi
pressait, il faisait instance, il écrivait à François
des lettres pleines d'honneur, il lui députait des ambassadeurs; et François
s'humiliait, François se confondait, François
protestait qu'il n'était point celui que cherchait le prince, ou que ce prince
ne le connaissait pas. Un autre, séduit par un faux zèle, eût volé à la
première invitation de ce monarque ; il l'eût regardée comme une heureuse
ouverture à l'avancement de la gloire de Dieu et au progrès de son ordre :
mais, Non, disait François, ce n'est pas ainsi
que mon ordre s'établira, puisque nous sommes petits, et que nous faisons même
profession d'être les plus petits de tous; c'est par l'humilité des petits, et
non point par la puissance et la faveur des grands, que nous nous
multiplierons. Cependant le vicaire de Jésus-Christ parle; et, en vertu de son
autorité suprême, il ordonne. Ah! Chrétiens, François
obéira; mais en obéissant, il aura cet avantage de n'être introduit à la cour
que par la voie de la dépendance et de la soumission : aussi est-ce l'unique
voie de s'y introduire chrétiennement selon les lois de la conscience et avec
sûreté pour le salut. Quiconque y entre par une autre
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route, y périra : pourquoi ? parce qu'il n'y a que
l'obéissance et L'humilité du christianisme qui puissent servir de préservatif
contre la corruption et les désordres de la cour : y entrer par un intérêt
humain, c'est y chercher un précipice, c'est se mettre au péril certain d'une ruine
prochaine et presque inévitable. Je sais que la sagesse du monde a des maximes
toutes contraires, et qu'elle en juge tout autrement ; mais je sais d'ailleurs
combien la sagesse du monde est aveugle, et surtout je sais que c'est une
sagesse réprouvée de Dieu.
Quoi qu'il en soit, François
paraît à la cour ; mais y prend-il les sentiments de la cour? y mène-t-il la
vie de la cour ? comment y demeure-t-il, et qu'y fait-il? Ce qu'il y fait, mes
chers auditeurs? ce qu'il a fait dans son désert, et ce qu'il a fait dans le
cloître : il prie avec la même assiduité, il jeûne avec la même rigueur, il
converse avec la même simplicité, il s'adonne aux mêmes exercices ; si bien que
par là il fait régner l'humilité religieuse dans un lieu où elle était
auparavant regardée comme étrangère, et traitée avec mépris. Le beau spectacle,
de voir la cellule de cet anachorète, placée au milieu de la maison royale
comme un sanctuaire où Dieu habitait, comme l'arche d'alliance au milieu des
tribus d'Israël, comme le propitiatoire où saint François
de Paule offrait continuellement à Dieu, pour la personne de son prince, le sacrifice
de son humilité ! c'était une pauvre cabane, dont il avait lui-même tracé le
dessin, et où sans cesse il faisait sa cour au Roi du ciel, tandis que les
autres la faisaient à un roi de la terre. Mais à qui tenait-il qu'à François
d'avoir un appartement plus magnifique? Louis voulait qu'il fût logé comme les
grands de son palais; et l'humble solitaire ne voulut point être autrement logé
que les pauvres de Jésus-Christ. Louis prétendait que l'humilité de François
ne devait point faire la loi à sa magnificence; et François
soutenait que la magnificence de Louis ne devait point faire de violence à son
humilité : qui remportera? L'humilité. François
établit jusque dans la cour la pauvreté de son institut; il y vécut pauvre au
milieu de l'abondance et du luxe, humble au milieu des pompes humaines et des
grandeurs, mortifié au milieu des divertissements et des plaisirs du monde.
Ainsi, tel qu'il était entré à la
cour, tel il en sortit : il y était venu avec la seule qualité de religieux, et
c'est le seul titre avec lequel il en sort, et avec lequel il en veut sortir.
Prenez garde, Chrétiens : je dis, avec lequel il en veut sortir; car il n'y en
a que trop qui en sortent, comme saint François
de Paule, aussi dépourvus qu'ils étaient en y entrant; mais c'est de quoi ils
se plaignent, sur quoi ils murmurent et s'épanchent en des regrets si amers ;
au lieu que François s'estime heureux de ne
remporter de la cour que ce qu'il y a apporté, je veux dire le double trésor de
sa pauvreté et de son humilité : voilà toutes ses richesses et toutes ses
dignités ; et voilà, disait saint Bernard, sur un sujet à peu près semblable,
voilà, ce qu'on ne peut assez hautement vanter, et ce qui est au-dessus de
toute dignité. D'être évêque, écrivait ce Père à un saint prélat, c'est ce que
vous avez de commun avec plusieurs autres, et par conséquent c'est peu par
rapport à vous ; mais d'être évoque et de vivre pauvre comme vous vivez, c'est
ce que vous avez de singulier, et ce qui n'est pas seulement grand, mais
très-grand : Non magni fuit episcopum te fieri ; sed episcopum pauperem
vivere, id vero plane magnificum. Disons le même de François
de Paule : c'eût été une petite louange pour lui, qu'un roi de France l'eût
fait évêque; mais qu'en quittant la cour d'un roi de France il n'ait rien
recherché, rien demandé, rien voulu recevoir, c'est ce qui l'élève au-dessus
des prélats et des rois. Il eût pu être tout ce qu'il eût voulu ; mais il ne
voulut être que ce qu'il était, et c'est ce qui le distingue plus que tout ce
qu'il eût été.
Ce fut par ce même esprit de
l'humilité chrétienne et religieuse que, non content de renoncer à l'épiscopat,
il renonça même au sacerdoce ; parce que le sacerdoce , joint aux autres grâces
que Dieu lui avait faites et lui faisait tous les jours , lui eût donné plus
d'autorité, et qu'il n'en voulait point avoir. Ce fut par ce même esprit que,
quoiqu'il eût une éloquence toute divine, qui semblait lui être comme naturelle
. et un don particulier et extraordinaire de parler de Dieu et de toucher les
cœurs , il ne voulut jamais exercer le ministère de la prédication ; parce
qu'il craignait que cette fonction éclatante ne lui acquit trop de crédit dans
le monde, et qu'il ne cherchait qu'à y tenir toute sa vie le dernier rang. Ce
fut enfin par ce même esprit qu'il ne voulut jamais s'adonner à l'étude des
sciences. Mais on peut bien dire de lui ce que saint Bernard disait de Gérard,
son frère : Non cognovit litteraturam, sed habuit litteram Jesum. On ne
l'a point vu dans les écoles recueillir de la bouche des maîtres et des savants
une doctrine humaine ; mais il a eu pour maître Jésus-Christ
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même : ou plutôt, toute sa science, c'a été Jésus-Christ, et
Jésus-Christ humilié, Jésus-Christ crucifié : or, cette science renferme toutes
les autres, et savoir Jésus-Christ comme l'Apôtre, c'est tout savoir. Ainsi François
de Paule se réduisit-il dans une espèce d'anéantissement et dans l'abnégation
la plus parfaite, par son renoncement total et absolu aux richesses du siècle,
aux plaisirs du siècle , aux honneurs du siècle , et à ceux mêmes de l'Eglise ;
aux talents de la nature , aux connaissances de l'esprit, au plus saint de tous
les caractères; humble partout, dans la solitude, dans le cloître , à la cour,
afin de pouvoir dire partout : Ergo minimus in domo patris mei.
Heureux, Chrétiens, si vous vous
formez sur ce modèle , et si vous imitez ce grand saint dans la pratique d'une
des plus essentielles vertus du christianisme , qui est l'humilité ! C'est
l'unique et importante leçon que vous fait ici son exemple ; et qu'est-il
nécessaire que vous appreniez autre chose de lui, puisqu'il n'y a point de
désordre que l'humilité ne puisse corriger, ni de vertus qu'elle ne vous fasse
acquérir? En effet, soyez humbles, et vous ne serez plus vindicatifs, parce que
vous ne serez plus si délicats sur le point d'honneur , et si sensibles aux
injures que vous prétendez avoir reçues ; soyez humbles, et vous ne serez plus
colères et emportés, parce que votre cœur, moins vif et moins ardent sur ce qui
le blesse, ne s'aigrira plus si aisément, et ne s'élèvera plus avec tant de
hauteur ; soyez humbles, et vous ne serez plus opiniâtres et entêtés, parce que
vous ne croirez plus que tout doive vous céder, et que vous céderez vous-mêmes
volontiers aux autres ; l'humilité corrigera vos jugements désavantageux et
téméraires , vos railleries et vos médisances, vos vaines complaisances et vos
fiertés, vos vues mondaines et ambitieuses, votre libertinage et votre
irréligion, bien d'autres désordres qui n'ont pour principe que votre orgueil.
C'est par l'orgueil que le péché est entré dans le monde, et c'est par
l'humilité qu'il en sera banni : car l'humilité est la source et comme la mère
de toutes les vertus. Dès que vous serez humbles, vous aurez la crainte de Dieu
, vous paraîtrez avec respect devant Dieu, vous mettrez toute voire confiance
en Dieu , vous serez soumis à toutes les volontés de Dieu, parce que vous
reconnaîtrez toute votre dépendance et tout votre néant en la présence de Dieu.
Dès que vous serez humbles, vous serez charitables envers le prochain , vous
l'excuserez, vous le supporterez , vous lui pardonnerez, vous le soulagerez ,
vous le préviendrez en tout; parce que ne vous préférant jamais à lui, et le
mettant même toujours au-dessus de vous dans votre estime , vous vous trouverez
toujours bien disposés en sa faveur. Dès que vous serez humbles, vous serez
mortifiés, désintéressés, détachés de vous-mêmes, vigilants et attentifs sur
vous-mêmes, parce que vous vous défierez de vous-mêmes , que vous vous
mépriserez vous-mêmes , que , dans le sens et selon l'esprit de l'Evangile,
vous vous haïrez vous-mêmes.
C'est sur ce fondement de
l'humilité, comme sur la pierre ferme, que François
de Paule établit tout l'édifice de son salut et de sa sanctification ; il
connut tout le prix de cette perle évangélique , et pour l'acheter il se
dépouilla de tout. Je ne vous dis pas de quitter comme lui vos biens, de vous
démettre de vos emplois, d'abandonner vos justes prétentions, de renoncer à
tous les honneurs attachés aux places que vois occupez et aux rangs que vous
tenez dans le monde ; mais je vous dis que, dans ces places mêmes et dans ces
rangs, que dans ces charges et dans ces emplois, qu'au milieu de ces biens et
de ces honneurs, vous ne devez rien perdre de l'humilité d'un chrétien. Cela
est difficile , je l'avoue ; et si vous voulez, je conviendrai avec vous qu'il
serait en quelque sorte plus aisé de se confiner, comme saint François
de Paule, dans un désert, ou de se cacher dans le cloître, puisque, ce pas une
fois fait, l'occasion ne serait plus si fréquente ni si présente, et qu'on
n'aurait plus tant de combats à soutenir. Mais il ne s'agit point ici, mes
chers auditeurs, de ce qui est plus aisé, ni de ce qui est plus difficile; il
s'agit de ce que Dieu veut, et de ce qu'il demande indispensablement de vous.
Or, il veut que vous soyez petits et humbles comme François
de Paule , quoique vous ne soyez ni solitaires comme lui, ni religieux. La
difficulté est d'allier cette humilité avec vos états ; mais c'est à quoi vous
devez travailler, ou plutôt c'est à quoi la grâce doit travailler en vous et
avec vous : car sans cela j'ose vous dire que vos vertus, même les plus
éclatantes aux yeux des hommes, seront réprouvées de Dieu, et, par conséquent,
qu'il n'y a point sans cela pour vous de salut. Ah ! Chrétiens, nous estimons
tant l'humilité dans les autres, et elle nous y paraît si aimable ; ayons-la
dans nous. Contemplons souvent le grand modèle de l'humilité, qui est
Jésus-Christ; et si cet exemple est trop relevé, contemplons un des plus
parfaits imitateurs de l'humilité de Jésus-Christ,
401
qui est François de Paule.
Il a employé tous ses soins et tous ses efforts pour se faire petit dans le
monde et pour s'abaisser; mais, par un merveilleux retour, Dieu de sa part a
employé sa toute-puissante vertu et tous les trésors de sa magnificence pour le
faire grand et pour l'élever : c'est ce que vous allez voir dans la seconde
partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Le Prophète nous l'apprend, et il
est vrai que Dieu se plaît à glorifier tous les saints qui sont ses amis : Nimis
honorificati sunt amici tui Deus (1 ). Mais entre les saints, il faut
convenir qu'il n'en est point que Dieu prenne plus soin du taire connaître que
ceux qui ont été plus parfaits dans l'humilité ; et qu'autant qu'ils ont voulu
vivre obscurs et sans nom, autant il s'attache à rendre leur nom célèbre, et à
les mettre dans le plus grand jour. Pourquoi cela, demande saint Augustin?
C'est, répond ce saint docteur, qu'avec les humbles sa grâce ne court aucun
risque ; c'est que sa gloire, dont il est souverainement jaloux, n'est exposée
de leur part à aucun péril ; et que , s'il les exalte, ce n'est point tant eux
qu'il exalte , que ses dons qu'il exalte en eux, qu'il couronne en eux, qu'il
magnifie et qu'il canonise en eux : Nec tam illos coronat donis suis, quam
in illis coronat dona sua. En pouvons-nous produire une preuve plus
authentique et un exemple plus éclatant que saint François
de Paule? Son humilité l'a réduit aux plus profonds abaissements , et Dieu,
pour cela même , l'a comblé d'honneurs. Il l'a glorifié en toutes les manières,
et par soi-même, et par le ministère des créatures : par soi-même, en lui
communiquant les caractères les plus essentiels de la divinité ; par le
ministère des créatures en le rendant vénérable aux peuples et aux potentats de
la terre , et lui attirant leurs respects et leurs hommages. Ecoutez-moi,
Chrétiens, voici dans l'éloge de ce glorieux patriarche ce qu'il y a de plus magnifique et de plus grand.
Dieu, dit saint Thomas, a surtout
deux attributs de grandeur, qui marquent la supériorité et L'infinité de son
être, savoir, la science et la toute-puissance : la science , par où il connaît
jusqu'aux choses même futures, jusqu'aux secrets des cœurs : la
toute-puissance, par où il ordonne tout, et il fait tout. Or, je trouve qu'il a
communiqué l'une et l'autre à François de Paule,
mais dans toute la plénitude dont un homme est capable : sa science, par
l'esprit de
prophétie dont il le remplit ; sa toute-puissance, par le
don des miracles qu'il lui conféra ; en sorte que François
parut dans le monde comme un homme plus qu'homme, c'est-à-dire comme un homme
éclairé de la sagesse de Dieu et revêtu de la force de Dieu. Je ne dis rien
dont nous n'ayons les témoignages les plus incontestables , et qui n'ait été
universellement reconnu.
Oui, Chrétiens, c'est à François
de Paule que l'esprit des prophètes fut donné sans réserve et sans mesure. Dieu
demandait autrefois à Isaïe : Sur qui reposera mon esprit, cet esprit de
sagesse et de lumière? et le Prophète lui répondit que ce serait sur l'humble
de cœur: parole qui s'est bien vérifiée dans le saint fondateur dont je fais le
panégyrique. D'autres ont eu l'esprit de prophétie en quelques rencontres, par
une inspiration passagère et pour quelques moments ; mais François
de Paule l'a possédé habituellement ; et l'on peut dire à la lettre que ce
céleste et divin esprit a reposé sur lui. Ne semblait-il pas qu'il eût la clef
de tous les cœurs pour y pénétrer, et pour en découvrir les pensées et les
sentiments les plus cachés ? ne semblait-il pas qu'il fût tout à la fois dans
tous les lieux, pour être témoin de ce qui se passait au delà des mers, et dans
les régions les plus éloignées? ne semblait-il pas que tous les temps lui
fussent présents, et qu'il n'y eût point pour lui d'avenir? Disons-mieux : ne
voyait-il pas l'avenir comme le présent, et quand il l'annonçait, était-ce avec
des circonstances douteuses? était-ce dans le secret d'une confidence
particulière? était-ce à des personnes inconnues et sans autorité ? que dis-je,
n'était-ce pas si hautement et avec tant d'éclat que l'Europe en retentissait?
Ainsi prédit-il aux Grecs la
ruine de leur empire et la prise de Constantinople , s'ils s'obstinaient dans le schisme
scandaleux qui les séparait de l'Eglise romaine. Ils furent sourds à la voix de
Dieu , qui leur parlait par la bouche de son ministre ; ils n'écoutèrent ni le
Seigneur, ni son prophète , et vous savez ce qu'il leur en coûta. La prédiction
s'accomplit : la Grèce se vit inondée d'un
déluge d'infidèles qui y portèrent la désolation et l'effroi ;
Constantinople fut assiégée, pillée, réduite enfin sous l'obéissance et le joug
des ennemis de la foi. Ainsi prédit-il au roi de Naples une signalée victoire
sur les Turcs, en lui ordonnant, de la part de Dieu, de les attaquer et de les
chasser de la Calabre, qu'ils
infestaient. L'effet répondit à
sa parole, le prince l'écouta, et
402
malgré l'inégalité des forces, il combattit et lut
victorieux. Ainsi prédit-il à Ferdinand , roi d'Espagne, qu'il chasserait les
Maures de ses Etats ; et que, s'il agissait contre eux avec confiance , il
recouvrerait le royaume de Grenade, qu'ils lui avaient enlevé. Le succès fut
aussi heureux que François l'avait promis; les
Maures furent défaits, Ferdinand rentra en possession des terres qu'il avait
perdues, et l'Espagne se délivra de la plus dure et de la plus tyrannique
domination qu'elle eût à craindre. Or jugez quel bruit de pareils événements
tirent dans le monde, ce qu'on dut penser du saint prophète, ce qu'on en dut
dire. On le regarda, si j'ose m'exprimer de la sorte, comme le plus intime
confident de Dieu même , et comme l'oracle de l'Eglise.
Ajoutez à ce don de prophétie le
don des miracles, qui lui a soumis, ce semble, toute la nature. Mais sur les
miracles dont je parle, il y a un point important à remarquer, et où paraît
également la providence de Dieu, soit pour rehausser la gloire de son
serviteur, soit pour confondre l'incrédulité des libertins. Car, prenez garde,
s'il vous plaît, les miracles de saint François
de Paule n'ont point été des miracles douteux et incertains. On nous raconte
divers miracles, et il est de notre piété d'y donner une créance raisonnable et
sage : mais, après tout, ce ne sont pas toujours des miracles tellement
incontestables, qu'ils portent avec eux-mêmes leurs preuves et une pleine
conviction ; ce sont des miracles faits en présence d'un petit nombre de
témoins, dont l’autorité ne suffit pas pour entraîner les esprits et pour
répondre à toutes les difficultés qui peuvent naître. Au lieu qu'il s'agit ici
de miracles publics, et tellement avérés, que l'infidélité même la plus
opiniâtre est forcée d'y souscrire, et de se rendre à la vérité reconnue. En
effet, si la mer obéit à François aussi bien
qu'à saint Pierre, et s'il passe le détroit de Sicile sans autre secours que
celui de son manteau étendu sur les eaux, c'est à la vue de tout un peuple qui
l'attend sur le rivage, et qui le reçoit en triomphe. Si le feu perd en ses
mains toute sa vertu , et si, pour confirmer sa règle, il prend des charbons
ardents sans en ressentir la moindre atteinte, c'est aux yeux des députés du
souverain pontife, et dans une nombreuse assemblée de ses frères, qu'il
convainc par ce prodige. S'il transporte les rochers d'un lieu à un autre, pour
aider à la construction de la première église qu'il voulut bâtir, c'est devant
toute la ville de Paule, qui lui applaudit et le comble de bénédictions. S'il
rétablit l'air dans sa pureté, et s'il fait cesser une contagion mortelle qui
ravageait tout un pays, c'est à la prière de tous les habitants, qui ont
recours à lui, et qui le regardent comme leur libérateur. Il faudrait faire le
récit de toute sa vie, pour faire le récit de ses miracles. Tous les éléments
ont entendu sa voix, ont exécuté ses ordres, ont pris tel mouvement et telle
disposition qu'il a voulu, comme s'il en eût été le maître, et que Dieu l'eût
établi l'arbitre absolu du monde.
Après cela, faut-il s'étonner que
toutes les puissances de la terre l'aient honoré, que les rois se soient
humiliés devant lui, que les papes lui aient donné tant d'éloges, qu'il ail été
recherché des peuples avec tant d'empressement? Non, Chrétiens, je n'en suis
point surpris, et vous ne devez point l'être : l'humilité, quand elle est
sincère, mérite tout cela; et autant de fois que Dieu entreprendra de glorifier
en cette vie un homme humble, c'est ainsi qu'il sera glorifié : Sic honorabitur,
quemcumque voluerit rex honorari (1). Le pape Paul second l'envoya saluer
par un des officiers de sa chambre, qui se prosterna à ses pieds, et les voulut
baiser par respect. Il fit informer des actions miraculeuses de ce saint homme,
même avant sa mort, comme s'il eût eu dessein de le canoniser tout vivant. Quoi
qu'il en soit, la voix publique le canonisait déjà par avance. Sixte quatrième
le reçut à Rome comme un ange du ciel, le consulta sur les plus importantes affaires
de la religion, et par honneur le fit asseoir auprès de sa personne. Mais c'est
surtout à notre France qu'il était réservé de faire connaître cet homme
incomparable, et de l'exalter; c'est de la cour de nos rois que toute l'Europe
devait apprendre ce que valait François de
Paule, et ce qui lui était dû. Je ne puis lire dans notre histoire, sans une
consolation sensible, la magnifique réception qui fut faite, par Louis XI et
par tous les seigneurs du royaume, à cet humble religieux. Vous étiez alors, ô
mon Dieu, connu dans le monde, et les cours des princes n'étaient pas des lieux
inaccessibles à votre grâce, ni à la piété chrétienne, puisque vos serviteurs y
étaient si honorablement traités. A peine Louis a-t-il su la marche de François,
qu'il envoie au-devant de lui son héritier présomptif et son dauphin, pour le
recevoir. Qu'eût-il fait davantage pour une tête couronnée? Mais
403
aussi, permettez-moi de le dire, quelle tète couronnée était
plus respectable qu'un saint à qui Dieu destinait la couronne de gloire, et
qu'il avait revêtu de tout son pouvoir? Jamais la France n'avait vu de prince
plus jaloux de sa grandeur, ni plus impérieux que Louis onzième; mais à la vue
de François de Paule, ce monarque oublie toute
sa grandeur et dépose tout son orgueil. Tout le monde tremblait en la présence
de Louis, et Louis s'humilie en la présence de François;
Louis faisait la loi à ses sujets, et il la reçoit de François.
O merveilleux effet de la toute-puissance du Seigneur, qui tient dans ses mains
les cœurs des rois, et qui les tourne comme il lui plaît! ô spectacle digne de
l'admiration du ciel et de la terre ! un roi la terreur de tant de peuples, un
roi également redouté et des étrangers et des siens, un roi si fier, devient
respectueux et soumis devant un homme nourri dans la solitude, et sorti de
l'obscurité du cloître.
Vous me direz que cette
soumission et ce respect de Louis XI étaient intéressés ; qu'il demandait sa
guérison, et qu'il voulait l'obtenir; que François,
hors de là, ne lui était rien, et qu'il l'eût tout autrement regardé sans cette
espérance. Mais d'abord je vous réponds, et je dis: Voilà comment Dieu sait
relever ses saints, et voilà comment en particulier il a voulu relever
l'humilité de saint François de Paule : il I
fait dépendre de lui les rois mêmes, il a réduit un des plus grands monarques
dans la nécessité de recourir à lui. Tous les secours humains, longtemps et
inutilement employés, manquaient à Louis; et il ne lui est resté pour dernière
et unique ressource que l'humble serviteur de Dieu. Je vais plus loin et
j'ajoute : Ce qui lit appeler François à la
cour, ce fut, il est vrai, l'intérêt d'une santé ruinée, que Louis XI
cherchait, par tous les moyens, à rétablir : mais ce qui le maintint ensuite à
la cour, ce qui le mit dans un si grand crédit à la cour, ce fut l'éclat de ses
vertus, ce fut l'estime et la confiance du prince. La preuve en est évidente,
puisque, dès le jour même que cet homme de miracles parut pour la première fois
à la cour, et dès la première audience qu'il eut de Louis, il lui prononça
l'arrêt de sa mort. Il lui parla en prophète, et lui dit, comme un autre Isaïe
: Dispone domui tuœ, quia morieris tu et non vives (1) ; Sire, mettez ordre
à votre Etat et à ce que vous avez de plus précieux dans votre Etat, qui est
votre conscience ; car il n'y a point de miracle pour vous : votre heure est
venue, et
il faut mourir. C'était une parole bien dure pour tout
homme, encore plus pour un roi, mais surtout pour un roi aussi attaché à la
vie. Quel autre eût osé lui annoncer une si triste nouvelle, et n'était-ce pas
s'exposer à toute son indignation? mais par le changement le plus subit, et qui
ne put venir que de la droite du Très-Haut, Louis écouta François
avec respect ; il l'estima et se confia en lui plus que jamais ; il lui mit son
âme entre les mains, il le pria de le disposera la mort, il voulut expirer dans
son sein, et, en mourant, il lui recommanda la France et son fils, ne croyant
pas pouvoir laisser l'une et l'autre sous une plus puissante protection. Voilà
sur quoi furent fondés les honneurs dont saint François
de Paule fut comblé à la cour de Louis XI. Il fit dans la personne de ce
monarque un miracle bien plus difficile et plus grand que s'il lui eût rendu la
santé du corps, puisqu'il lui rendit la santé de l'âme, puisqu'il le détacha de
la vie, que ce prince aimait jusqu'à l'excès, puisqu'il l'accoutuma à entendre
parler de la mort, qu'il le prépara à ce dernier passage, et qu'il l'aida à le
sanctifier.
Cependant Louis mort, comment
Charles VIII, son successeur, en usa-t-il à l'égard de l'homme de Dieu ? Vous
le savez, Chrétiens : il hérita de la piété de son père, c'est-à-dire de sa
vénération pour François de Paule. Que dis-je
? il la surpassa : François fut son conseil,
fut son confident, fut sa consolation. S'agissait-il d'un choix honorable à
faire, c'est sur François de Paule qu'il
tombait, témoin l'honneur qu'il eut d'être choisi pour nommer le dauphin de France
dans la cérémonie solennelle de son baptême. Il avait-il une affaire importante
à traiter, c'est à François de Paule qu'on
s'adressait, et sur lui qu'on s'en reposait ; témoin celle où il fut employé
pour le mariage de Charles avec Anne, héritière de Bretagne, et où il réussit
avec tant de succès et tant d'avantage pour l'un et pour l'autre ; car, je puis
le dire, c'est à ce grand Saint que la France doit en partie l'avantage qu'elle
eut alors, et dont elle jouit encore aujourd'hui, d'être unie avec la Bretagne
; c'est à lui que nos rois sont en partie redevables de cette illustre province
, qu'ils regardent comme une des plus belles et des plus nobles portions de
leur héritage ; et c'est pareillement à François
de Paule que la Bretagne doit le bonheur et la gloire d'appartenir aux premiers
rois de la chrétienté.
Mais si Dieu, dans cette vie
mortelle, qui est le temps du travail, veut bien de la sorte glorifier
404
ses saints, que leur prépare-t-il après la mort, qui est
pour eux le temps de la récompense? Que préparait-il à François?
La mort est l'humiliation des grands du monde. Qu'ils aient rempli toute la
terre de leur nom, qu'ils aient ébloui tout l'univers de la splendeur de leur
gloire ; dans les ombres du tombeau, toute cette gloire s'obscurcit, et ces
noms si fameux s'effacent bientôt de la mémoire des hommes, dès que ceux qui
les portaient ont disparu à nos yeux. Mais c'est dans le sein même de la mort,
et dans les plus profondes ténèbres du tombeau, que Dieu donne un nouvel éclat
à ses amis; et le tombeau de François de Paule
n'a-t-il pas été, selon l'expression du prophète, après le sépulcre de
Jésus-Christ, un des plus glorieux : Et erit sepulcrum ejus gloriosum
(1) ? Son corps, sans voix et sans vie, a prophétisé aussi bien que celui d'Elisée
; ses ossements, précieuses et saintes reliques, tout insensibles et tout
inanimés qu'ils étaient, ont conservé la même vertu et le même don des
miracles, ont chassé les démons, ont guéri les malades, ont éclairé les
aveugles, ont fait entendre les sourds, ont fait parler les muets, ont fait
marcher les paralytiques. Dans quelle partie de l'Europe n'en a-t-on pas
ressenti les salutaires effets, et de quelle partie de l'Europe n'y a-t-on pas
eu recours, comme à l'asile commun de tous les affligés? L'hérésie, déclarée
contre le culte des saints, n'a pu voir, sans en frémir, cette confiance des
peuples ; elle s'est armée contre ce saint corps, que la France conservait, que
le monde révérait, autour duquel tant de vœux de toutes les nations étaient
suspendus; elle l'a insulté, elle l'a outragé, elle l'a livré à la fureur des
flammes; mais tous les efforts de l'hérésie n'ont pas arraché et n'arracheront
jamais du cœur des fidèles les sentiments de respect, de reconnaissance, de
zèle dont ils sont prévenus pour un de leurs plus puissants protecteurs auprès
de Dieu. Ses cendres nous sont restées, et c'est assez; ces cendres, purifiées
par le feu, ou, pour mieux dire, consacrées par une espèce de martyre, n'en ont
que plus de pouvoir; nous les honorons, et nous y trouvons toujours les mêmes
secours : quoi qu'il en soit, sa mémoire est toujours vivante, et tant qu'il y
aura des hommes sur la terre, elle y vivra; ses fêtes y seront célébrées, son
nom y sera invoqué, ses vertus y seront publiées.
Mais qu'est-ce, après tout, pour
les saints, que cette gloire de la terre, toute juste et toute
éclatante qu'elle peut être, en comparaison de cette
couronne immortelle qu'ils reçoivent dans le ciel? que leur importe d'être
grands devant les hommes , pourvu qu'ils soient grands devant Dieu? et que leur
importe que leurs noms soient ici gravés dans le souvenir des hommes, pourvu
qu'ils soient écrits et connus dans le royaume de Dieu? Ah! Chrétiens, tous ces
honneurs dont je viens de vous parler, et que tant de nations ont déférés à
saint François de Paule , ne lui étaient point
nécessaires; et s'il a plu à Dieu de l'exalter parmi nous, ce n'est que pour
nous apprendre à estimer l'humilité. Du reste, François
pouvait être sans cela éternellement heureux et souverainement glorieux; car il
pouvait sans cela parvenir à toute la gloire dont il jouit dans la béatitude
céleste. C'est là que les humbles sont bien dédommagés de leurs abaissements
volontaires ; et c'est à cette unique et véritable grandeur que nous devons aspirer
comme eux. Mais, par le plus étrange aveuglement, de quelle grandeur
sommes-nous jaloux? D'une grandeur toute mondaine : briller dans le monde comme
François de Paule, être comme lui recherché
des grands et adoré des petits, voilà de quoi nous sommes touchés, et ce qui
comblerait, à ce qu'il nous semble, tous nos vœux ; mais voilà, de la manière
que nous l'envisageons , ce que j'appelle une fausse grandeur. Prenez garde, je
vous prie : c'était pour notre saint une grandeur véritable et réelle, et ce
n'est pour nous qu'une grandeur chimérique et fausse. Grandeur réelle et
véritable pour François : comment cela? parce
que c'était une récompense anticipée de son humilité ; parce que c'était une
grandeur fondée sur le mépris même qu'il faisait de toute grandeur humaine;
parce que c'était une grandeur qu'a fuyait, dont il se défiait, qui, par un
amour et un désir sincère des humiliations, lui devenait onéreuse, bien loin
qu'il cherchât à en goûter les vaines douceurs; parce qu'au milieu de cette
grandeur visible, il ne se rendait attentif qu'aux grandeurs invisibles de
l'éternité-; mais ce qui était réel et solide pour François
de Paule n'est pour nous qu'erreur, n'est que mensonge et illusion : pourquoi?
parce que nous ne cherchons cette prétendue grandeur du monde que pour nourrir
notre orgueil et contenter notre ambition, parce que nous ne nous y proposons
qu'un certain éclat qui nous éblouit et qui nous aveugle; parce que nous nous
en laissons entêter et infatuer, jusqu'à nous oublier nous-mêmes au moindre
405
avantage que nous avons, et au moindre degré d'élévation où
nous parvenons ; parce que nous en abusons pour entretenir nos complaisances,
pour autoriser nos hauteurs, pour prendre sur les autres l'ascendant, pour les
regarder avec dédain et les traiter avec empire ; parce qu'uniquement occupés
d'une grandeur mortelle, nous perdons absolument le souvenir de cette glorieuse
immortalité, qui seule devrait emporter toutes nos réflexions et tous nos
soins. Or, en ce sens et sous cet aspect, tout ce qu'il y a de plus grand dans
la vie n'est rien, et s'y attacher de la sorte, s'y laisser ainsi surprendre,
c'est un des plus sensibles sujets de notre confusion , puisque c'est une des
marques les plus évidentes de notre faiblesse.
Et souvent encore qu'arrive-t-il?
c'est que Dieu, par une sage conduite de sa providence, nous refuse ce que nous
désirons avec tant d'ardeur, et le donne aux humbles, qui travaillent à s'en
préserver et a l'éviter. Que de mondains dans la cour de Louis XI s'empressaient
autour du prince, pour s'insinuer auprès de lui, pour gagner sa faveur, pour
avoir part à ses grâces, et ne pouvaient y réussir? au lieu que François
de Paule, dégagé de toute espérance, sans vues, sans prétentions, sans
intrigues, ne pensant qu'à se retirer et à disparaître, parlant au premier
monarque de l'Europe avec toute la liberté de l'Evangile, ne faisant rien pour
ce prince de tout ce qu'il attendait; au contraire, lui présentant un objet
aussi triste pour lui que la mort, et le lui montrant de près, en devint le
favori le plus intime, et le directeur. Je ne veux pas, après tout, vous faire
entendre que les saints aient toujours ces sortes de distinctions sur la terre
: il y en a, et un grand nombre, que Dieu laisse dans l'obscurité et dans
l'oubli parmi les hommes; il y en a qui ne sont pas seulement humbles, mais en
effet humiliés et très-humiliés. Se plaignent-ils de leur état? ils sont bien
éloignés de s'en plaindre, puisqu'ils l'ont choisi, puisqu'ils l'aiment et
qu'ils s'en font selon l'Evangile, un bonheur : car ils savent quel est le prix
de l'humiliation où ils vivent, quand elle est sanctifiée par l'humilité; ils
savent ce que c'est que toute la grandeur du siècle; que ce n'est qu'une
grandeur imaginaire, et surtout que ce n'est qu'une grandeur passagère ; d'où
ils concluent qu'ils, doivent porter toutes leurs espérances et tous leurs
désirs vers une autre grandeur qui leur est promise dans le ciel. A quoi
tient-il, mes chers auditeurs, que nous ne tirions la même conséquence, puisque
nous sommes aussi instruits qu'eux du même principe ? nous connaissons malgré
nous la vanité des pompes du monde ; et plus même nous sommes engagés dans le
monde , plus en voyons-nous le néant. Nous nous en expliquons si bien dans les
rencontres, et nous en faisons de si beaux discours! pourquoi donc ne
méprisons-nous pas ce qui nous parait si méprisable, ou pourquoi ne nous
détachons-nous pas de ce que nous méprisons? Allons à la gloire et
cherchons-la. Mais comme il n'y a point d'autre véritable gloire à désirer pour
nous, selon l'Evangile, que cette gloire future où Dieu nous appelle, c'est là
qu'il nous ordonne de tourner tous nos regards, et c'est là aussi la seule
gloire que je vous souhaite, au nom du Père, etc.