SAINT PIERRE I

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PREMIER SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT PIERRE.

ANALYSE.

 

Sujet. Pierre lui répondit : Vous êtes le Christ, fils du Dieu vivant.

 

C'est ainsi que saint Pierre confessa le premier la divinité de Jésus-Christ; et c'est en conséquence de cette confession, aussi bien que pour son amour envers le Fils de Dieu, que Jésus-Christ l'établit chef de l'Eglise.

 

Division: Foi de saint Pierre, opposée à notre infidélité : première partie. Amour de saint Pierre, opposé à notre insensibilité : deuxième partie.

Première partie. Foi de saint Pierre, opposée à notre infidélité. Nous devons apprendre de lui deux choses : 1° à confesse comme lui la foi que nous avons dans le cœur; 2° à réparer comme lui par une fervente pénitence notre lâcheté, si quelquefois nous sommes assez malheureux pour manquer de ferveur et de courage dans la confession de notre foi.

1° A confesser la foi que nous avons dans le cœur. La foi de saint Pierre fut une foi pratique qui se produisit par les œuvres, el la nôtre n'est qu'une foi oisive et sans action. La foi de saint Pierre fut une foi généreuse, en vertu de laquelle il abandonna tout ce qu'il possédait et tout ce qu'il était capable de posséder; et la nôtre ne nous fait renoncer à rien. La foi de saint Pierre fut une foi pleine de confiance, qui le fit marcher sur les eaux ; et la nôtre s'étonne du moindre danger. La foi de saint Pierre fut une foi à l'épreuve de tout scandale; et le plus léger scandale déconcerte la nôtre. Ce n'est pas que la foi de cet apôtre fût d'abord parfaite, et nous en avons toutes les imperfections sans en avoir les perfections. Mais après tout, malgré les imperfections à quoi il était encore sujet, il confessa hautement Jésus-Christ, et le reconnut comme Dieu. Sans une confession haute et publique de notre foi, selon que les occasions le demandent, il n'y a point de salut à espérer pour nous.

2° A réparer par une fervente pénitence notre lâcheté, si quelquefois nous sommes assez malheureux pour manquer de courage dans la confession de notre foi. Saint Pierre renonça Jésus-Christ; et en combien de rencontres le renonçons-nous ? Chute de saint Pierre qui doit nous faire trembler, et qui procéda de trois causes, savoir : de sa présomption, de son orgueil et de son imprudence. Mais par quelle pénitence se releva-t-il d'une telle chute? Pénitence la plus prompte, la plus sincère, la plus constante. Si nous tombons comme lui, faisons pénitence comme lui.

Deuxième partie. Amour de saint Pierre opposé à notre insensibilité. Ce fut par son amour pour Jésus-Christ, que cet apôtre mérita l'entier accomplissement de la promesse que le Fils de Dieu lui avait faite, de lui confier le soin et la conduite de l'Eglise. Aussi le Sauveur du monde, avant que de l'établir pasteur de son troupeau, lui demanda-t-il par trois fois : M'aimez-vous, et m'aimez-vous plus que les autres? Amour de saint Pierre, 1° amour humble; 2° amour généreux.

1° Amour humble. Pierre ne répondit pas à Jésus-Christ : Je vous aime plus que les autres, mais simplement : Je vous aime, ne voulant pas se préférer à eux. Il ne répondit pas même absolument : Je vous aime, mais : Vous savez que je vous aime, comme se défiant de lui-même et de son propre sentiment. Enfin, il s'attrista, voyant que Jésus-Christ lui demandait plusieurs fois : M'aimez-vous? car il commença à craindre en effet de n'aimer pas autant cet aimable Maître qu'il le croyait.

2° Amour généreux, c'est-à-dire amour fervent, patient, héroïque. Fervent : avec quelle ardeur prêcha-t-il Jésus-Christ? patient : que n'eut-il point à souffrir pour le nom de Jésus-Christ? héroïque : quel martyre endura-t-il pour la cause de Jésus-Christ? Est-ce ainsi que nous aimons Dieu et Jésus-Christ? Avons-nous cet amour fervent? nous ne faisons rien pour Jésus-Christ ou le peu que nous faisons, nous ne le faisons encore qu'avec froideur. Avons-nous cet amour patient? la moindre peine nous abat. Avons-nous cet amour héroïque? puisque les plus légères difficultés nous étonnent, peut-on penser que nous soyons dans la disposition de sacrifier notre vie? Ranimons dans nos cœurs ce saint amour; et si nous ne l'avons pas, demandons-le à Dieu.

 

Respondens  Simon Petrus, dixit : Tu es Christus, Filius Dei vivi.

 

Pierre lui répondit : Vous êtes le  Christ, Fils du Dieu vivant. ( Saint Matthieu, chap., XVI, 16.)

 

Voilà,  mes chers auditeurs, toute la substance de l'évangile de ce jour, et des importantes vérités qui y sont contenues ; voilà sur quoi est fondée la gloire de saint Pierre, votre illustre patron. C'est lui qui le premier a confessé la divinité de Jésus-Christ ; et voilà pourquoi Jésus-Christ lui a donné, au-dessus des apôtres, cette primauté qui nous le rend si

 

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vénérable, et en vertu de laquelle il est le chef de toute l'Eglise. C'est lui qui, non-seulement pour sa personne, mais au nom de tous les autres apôtres, a le premier rendu témoignage que Jésus-Christ est le Fils du Dieu vivant, non pas simplement par adoption, mais par nature : car il l'a reconnu Fils du Dieu vivant d'une manière qui ne convenait ni à Elie, ni à Jean-Baptiste, ni aux prophètes. Or Elie, Jean-Baptiste et les prophètes étaient, dans les termes de l'Ecriture, enfants de Dieu par adoption. Il est donc vrai que saint Pierre, qui prétendait élever Jésus-Christ au-dessus d'eux, l'a confessé absolument Fils de Dieu, égal à Dieu, consubstantiel à Dieu, en un mot, Dieu lui-même. Et c'est pour cela, encore une l'ois, que Jésus-Christ a établi cet apôtre comme le fondement sur lequel il voulait édifier son Eglise, pour cela qu'il lui a mis en main les clefs du ciel, pour cela qu'il lui a donné le pouvoir de lier et de délier sur la terre : en sorte que foutes les prérogatives de saint Pierre ont été les suites heureuses et les fruits de cette confession de foi : Tu es Christus, Filius Dei vivi. Ajoutons-y toutefois, Chrétiens, l'ardent amour de ce glorieux apôtre pour Jésus-Christ : car la foi de saint Pierre, sans son amour, n'eût pas suffi. Il fallait que le chef de l'Eglise fût non-seulement le plus éclairé, mais le plus rempli de zèle et de charité. Et en effet, ce que Jésus-Christ promet aujourd'hui à saint Pierre, parce qu'il confesse sa divinité, n'a eu son accomplissement qu'après que le Fils de Dieu lui eut demandé s'il l'aimait plus que tous les autres. M'aimez-vous, Simon, fils de Jean? lui dit ce Sauveur adorable après sa résurrection. Oui, Seigneur, lui répondit Pierre ; vous savez que je vous aime, et que je suis prêt à donner ma vie pour vous. Paissez donc mes agneaux et mes brebis, reprit son divin Maître : Pasce agnos meos, pasce oves meas (1). Ainsi, Chrétiens, c'est sur la foi de saint Pierre et sur l'amour de saint Pierre qu'est établie sa sainteté et sa prééminence : voilà les deux sources des grâces dont il fut comblé. Il a été le pasteur des peuples, et le souverain pontife : pourquoi ? parce qu'il a reconnu Jésus-Christ pour le Fils du Dieu vivant, et parce qu'il a aimé Jésus-Christ jusqu'à verser pour lui son sang. Arrêtons-nous là : car il ne s'agit pas aujourd'hui de parler des grandeurs de saint Pierre, mais de ses vertus; il ne s'agit pas de ce que nous devons admirer, mais de ce que nous devons imiter en lui; il ne s'agit pas de relever son

 

1 Joan., XXI, 15.

 

apostolat, et d'en concevoir de liantes idées, mais de nous édifier de ses exemples. Attachons-nous donc à sa foi et à son amour. En qualité de chrétiens, nous sommes les pierres vivantes de ce mystérieux édifice de l'Eglise, que Jésus-Christ est venu construire sur la terre. Et comme, après Jésus-Christ, votre saint patron en est la pierre fondamentale, il faut que nous soyons bâtis sur cette pierre : Et super hanc petram œdificabo Ecclesiam meam (1). Or, pour cela il faut que nous participions à la foi et à l'amour de saint Pierre ; pour cela il faut que la foi de saint Pierre soit la règle de la nôtre, et que l'amour de saint Pierre soit le modèle de notre amour ; il faut que nous croyions de cœur et que nous confessions de bouche ce que le Père céleste, et non pas la chair et le sang, a révélé à saint Pierre, et il faut que nous puissions dire à Jésus-Christ, comme saint Pierre : Vous savez, Seigneur, que je vous aime. Ainsi, Chrétiens, comparons notre foi avec la foi de saint Pierre, et notre amour avec l'amour de saint Pierre pour Jésus-Christ. En deux mots, la foi de saint Pierre opposée à notre infidélité : c'est la première partie ; l'amour de saint Pierre pour Jésus-Christ, opposé à notre insensibilité : c'est la seconde. Toutes deux feront le partage de ce discours, et le sujet de votre attention, après que nous aurons salué Marie : Ave, Maria.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

Je fais l'éloge du prince des apôtres, du chef visible de l'Eglise , du vicaire de Jésus-Christ en terre, mais qui, par une disposition particulière de la Providence , n'a pas laissé avec tout cela d'être pécheur ; qui, malgré tout cela, est tombé, et a eu besoin de se relever par la pénitence ; et qui, par la pénitence, est aussi rentré dans tous les privilèges et dans tous les droits attachés à son apostolat. Je parle d'un saint dont Jésus-Christ a béatifié la foi, et le zèle à confesser la foi ; mais qui, dans l'abondance même des lumières de sa foi, avant qu'il eût reçu le Saint-Esprit, n'a pas laissé d'avoir ses ténèbres, c'est-à-dire ses erreurs ; et qui, malgré la ferveur de son zèle , a eu ses imperfections et ses faiblesses : or l'un et l'autre, dans le dessein de Dieu, doit aujourd'hui nous instruire, et contribuer à notre édification.

Il est donc du devoir de mon ministère que je ne sépare point ces deux choses, et qu'en prédicateur fidèle de la divine parole, considérant saint Pierre dans l'état où l'Evangile nous

 

1 Matth., XVI, 18.

 

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le représente, je  veux dire dans cet état de béatitude commencée, mais non encore consommée par la venue du Saint-Esprit : Beatus es, Simon Barjona (1), je vous parle de ses erreurs aussi bien que de ses lumières, de ses faiblesses aussi bien que de ses ferveurs, de sa chute et de son péché aussi bien que de ses mérites. Il est vrai, c'est sur la foi de saint Pierre que la prééminence de sa dignité fut dès lors fondée ; mais après tout, la foi de saint Pierre n'était pas encore parfaite, quand Jésus-Christ lui dit : Vous êtes bienheureux, parce que ce n'est point la chair ni le sang qui vous a révélé ceci, mais mon Père qui est dans le ciel. Il est vrai, saint Pierre confessa que Jésus-Christ était le Fils du Dieu vivant, et c'est par cette confession qu'il mérita d'entendre ce que Jésus-Christ lui répondit : Vous êtes Pierre, et c'est sur cette pierre que je bâtirai mon Eglise; mais après tout, en ce moment-là saint Pierre n'était pas encore à l'épreuve des tentations où sa loi devait être exposée ;  il n'était pas encore inébranlable dans cette confession de foi qu'il faisait avec tant de zèle. Or c'est à nous, comme je l'ai dit , de profiter , non-seulement  de l'exemple de sa foi, mais des imperfections mêmes de sa foi : de l'exemple de sa foi en l'imitant, et des imperfections de sa foi en les évitant. C'est à nous d'apprendre de lui à confesser de bouche la foi que nous avons dans le cœur;  et si quelquefois nous sommes assez malheureux pour manquer de ferveur et de courage dans la confession de notre loi, c'est à nous d'apprendre à réparer comme lui, par une fervente pénitence,  celle honteuse et scandaleuse lâcheté : deux points,  mes chers auditeurs,  où je renferme toute cette  première partie. Ecoulez-moi ; il n'y aura rien Là qui ne soit proportionné à la capacité de vos esprits, ni rien que chacun de vous ne puisse et ne doive s'appliquer. Commençons.

La loi de saint Pierre était grande sans doute et très-grande, quand Jésus-Christ lui dit : Beatus es ; Vous êtes bienheureux, Simon, fils de Jean. Car en vertu de cette foi, saint Pierre avait tout quitté pour suivre Jésus-Christ; en vertu de cette foi, il avait marché sur les eaux pour aller à Jésus-Christ ; en vertu de celle foi, plusieurs d'entre les disciples s'étant retirés du troupeau de Jésus-Christ, parce qu'ils se scandalisaient de sa doctrine sur le sujet de l'Eucharistie, et Jésus-Christ ayant demandé aux apôtres s'ils voulaient aussi se séparer de lui, saint Pierre lui avait dit : Hé ! Seigneur,

 

1 Matth., XVI, 17.

 

à qui irions-nous? car vous avez les paroles de la vie éternelle. Tout cela, marques évidentes de la grandeur de sa foi, qui ne fut pas, dit saint Augustin, une foi de spéculation et en idée, mais une foi réelle et de pratique; qui ne fut pas une foi morte, mais une foi vive et animée ; qui ne fut  pas une foi stérile el infructueuse, mais une foi, pour ainsi parler, riche et féconde, puisqu'elle  produisit en lui de si surprenants et de si  merveilleux effets. Tout cela, preuves incontestables, que, dès son premier engagement avec Jésus-Christ, il l'avait reconnu  pour Fils du Dieu vivant. Car, comme raisonne saint Augustin, s'il l'avait cru seulement homme,  il  n'aurait  pas renoncé pour lui à tout ce qu'il possédait dans le monde, s'il l'avait cru seulement homme, il ne lui aurait pas dit : Domine, si tu es, jube me ad te venire super aquas (1); Si c'est vous, Seigneur, commandez, et dès l'instant je marcherai sans crainte sur l'eau pour aller à vous; s'il l'avait cru seulement homme, il se serait scandalisé, aussi bien que les autres, du commandement que lui lit Jésus-Christ de manger sa chair et déboire son  sang;  s'il l'avait cru seulement homme, il n'aurait pas pris ce que Jésus-Christ leur annonçait de ce mystère, pour des paroles de vie, et d'une vie immortelle : Verba vita œternœ habes (2). Il est donc vrai que ce n'était dès lors, ni la chair ni le sang, mais l'Esprit même de Dieu qui lui avait donné les hautes et sublimes connaissances dont il se trouvait rempli.

Voilà, mes chers auditeurs, les qualités de la foi de saint Pierre, et voilà en quoi la loi de saint Pierre doit être le modèle de la nôtre. Prenez garde : ce lut une foi pratique, une loi efficace et agissante, que celle de saint Pierre, et telle doit être notre foi ; car une loi oisive, une foi qui s'en tient à des paroles, une foi qui ne consiste qu'en de belles et de spécieuses maximes, une foi qui se borne à des sentiments sans aller jusqu'aux œuvres, c'est une loi qui ne peut servir qu'à notre condamnation; c'est la foi des dénions, qui croient, qui tremblent, et qui en demeurent là. Ce fut une loi généreuse, en vertu de laquelle saint Pierre abandonna non-seulement tout ce qu'il possédait, mais tout ce qu'il était capable de posséder, mais tout ce qu'il pouvait espérer, mais tout ce qu'il pouvait désirer; tellement qu'il eut bien raison de dire : Ecce nos reliquimus omnia (3); Voici que nous avons tout quitté. Et c'est ainsi que notre loi doit nous détacher de

 

1 Matth., XIV, 28. — 2 Joan., VI, 69. —  3 Matth., XIX, 27.

 

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tout, en sorte que nous quittions tout, non pas toujours réellement et en effet, mais au moins de cœur : c'est-à-dire que nous soyons disposés à quitter tout; que nous soyons dégagés de toute affection aux biens que nous possédons; que nous soutenions avec patience la perte de ces biens, quand il plaît à Dieu de nous les  enlever; que nous soyons tranquilles et soumis, quand la Providence permet que ces biens diminuent; que nous nous  dépouillions avec joie d'une partie  de ces  biens pour en assister les membres de Jésus-Christ et nos frères, qui sont les pauvres; car une foi en conséquence de laquelle on ne renonce à rien, on ne quitte rien, on ne se refuse rien et l'on ne veut rien se refuser, c'est une foi chimérique, qui ne peut être de nul mérite devant Dieu, et que Dieu même réprouve. Ce fut une foi pleine de confiance qui fit marcher saint Pierre sur les eaux, sans craindre le péril où il s'exposait, ni la tempête dont la mer était agitée; et si notre foi est telle que Dieu la demande, il faut qu'elle se soutienne au milieu des dangers du monde, au milieu des persécutions et des disgrâces du monde,  au milieu des changements et des révolutions inévitables dans le cours du monde ; car une foi qui  doute, une foi qui hésite, n'a plus ce caractère de fermeté qui est essentiel à la vraie foi. Ce fut une foi à l’épreuve du scandale où tombèrent ces disciples incrédules, qui, ne pouvant comprendre l'adorable mystère de nos autels que Jésus-Christ leur annonçait, en prirent occasion d'abandonner ce Dieu Sauveur; et notre foi, comme celle de saint Pierre, doit nous fortifier contre tant de discours que nous entendons, contre tant d'exemples que nous avons sans cesse devant les yeux, afin que nous puissions faire à Dieu la même protestation que fit ce prince des apôtres : Et si omnes scandalizati fuerint in te, sed non ego (1); Non, Seigneur, je ne m'éloignerai jamais de vous ; quand tous les hommes vous auraient renoncé, et que de tous les hommes je resterais seul sous l'obéissance de votre loi, je ne m'en départirai jamais : fallût-il résister à toutes les  puissances de la terre, fallût-il donner ma vie, vous me trouverez toujours fidèle : Et si oportuerit me commori tibi, non te negabo (2).

Telle était, dis-je, la foi de saint Pierre; mais quelque grande que fût sa foi, j'ai ajouté qu'elle n'était pas encore parfaite, parce qu'il n'avait pas encore reçu le Saint-Esprit : il ne faut que lire l'Evangile pour en être persuadé;

 

1 Marc, XIV, 20. — 2 Ibid.,31.

 

car, immédiatement après que saint Pierre eut rendu témoignage à la divinité de Jésus-Christ , le Fils de Dieu ayant déclaré à ses disciples qu'il allait à Jérusalem, et que là il devait être livré aux Gentils, moqué, outragé , déchiré de fouets, crucifié: Ah! Seigneur, reprit le saint apôtre, à Dieu ne plaise que tout cela vous arrive! parole dont Jésus-Christ parut indigné, et qui lui fit dire à ce chef même de son Eglise: Retirez-vous de moi, Satan ; vous êtes un scandale pour moi, et vous n'avez point de goût pour les choses de Dieu, mais seulement pour les choses de la terre : Vade post me, satana , scandalum es mihi (1). Il s'en fallait donc bien , remarque saint Chrysostome, que la foi de saint Pierre ne fût dans le degré de perfection où elle devait être, puisqu'il se trouvait prévenu d'une erreur aussi pernicieuse et aussi grossière que celle de croire qu'il ne convenait pas à Jésus-Christ de mourir pour le salut des hommes. Elle n'était pas non plus parfaite, cette même foi, lorsque saint Pierre ayant d'abord marché avec confiance sur les eaux, mais voyant ensuite les flots de la mer agités, craignit, et s'écria : Seigneur, sauvez-nous, autrement nous sommes perdus; sur quoi le Fils de Dieu lui fit ce reproche : Homme de peu de foi, pourquoi avez-vous eu peur? Modicœ fidei, quare dubitasti (2)? Enfin, sa foi était bien imparfaite, quand, après avoir été trois ans entiers à l'école de Jésus-Christ, après avoir entendu si souvent ce divin Maître expliquer les vérités évangéliques, il ne les comprenait pas; car, comme l'a formellement observé saint Luc, ce que cet adorable Sauveur disait à ses disciples de la nécessité des souffrances, de l'avantage des croix, du renoncement à soi-même , ils le regardaient comme des mystères cachés, et comme autant de paradoxes : Et erat verbum istud absconditum ab eis (3).

Voilà, Chrétiens, les ténèbres de la foi de saint Pierre; mais en même temps voilà les écueils de notre foi, et ce que nous devons éviter. Saint Pierre crut Jésus-Christ Fils du Dieu vivant, mais il se scandalisa du mystère de sa passion et de sa mort; c'est ce qui nous arrive tous les jours, car nous adorons la personne de Jésus-Christ, mais nous nous scandalisons de sa croix, nous nous scandalisons de son Evangile : l'orgueil et l'amour-propre qui nous dominent, forment en nous une opposition secrète à ses maximes et à sa loi. Ce scandale paraît dans nos actions : nous nous

 

1 Matth., XVI, 23. — 2 Ibid., XIV, 31. — 3 Luc., XVIII, 34.

 

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disons chrétiens, et nous vivons en païens. Que fit Jésus-Christ, justement offensé du scandale de saint Pierre? Il le reprit avec aigreur, il le traita de satan, il le rejeta. Prenez garde, mes Frères, dit saint Hilaire : le Fils de Dieu brûlait d'un désir si ardent de souffrir pour nous, qu'il ne put voir sans indignation que Pierre entreprît de combattre ce dessein. Or ce même Sauveur n'aurait-il pas encore plus droit de nous dire, comme à son apôtre : Vade post me, satana ; Allez, hommes lâches et sensuels, amateurs de vous-mêmes et idolâtres de votre corps , vous n'avez jamais connu le prix de ma croix ; car ce mystère de la croix est trop relevé pour vous ; et tant que vous serez esclaves de vos plaisirs , vous ne comprendrez jamais que ce qui peut flatter la chair et satisfaire la cupidité? Dès que saint Pierre fut assailli de l'orage, il trembla, malgré la confiance qu'il avait d'abord marquée; et tandis que nous sommes dans la prospérité, que les choses du monde vont selon nos souhaits, et que rien ne nous trouble, nous nous confions en Dieu , nous nous soumettons à Dieu, nous bénissons Dieu; mais sommes-nous dans la peine et dans l'affliction, une disgrâce imprévue nous arrive-t-elle, les affaires du siècle prennent-elles pour nous un mauvais tour, c'est là que notre courage nous abandonne, nous commençons à douter de la providence du Seigneur, nous nous élevons contre elle, nous manquons de foi, ou nous n'avons qu'une foi timide et chancelante : Modicœ fidei, quare dubitasti? Mais avançons.

Saint Pierre ne se contenta pas de croire la divinité de Jésus-Christ, il la confessa hautement, il la confessa avec zèle, il la confessa au nom de tous les apôtres ; et c'est particulièrement en vue de cette confession de foi, que Jésus-Christ le choisit pour être la pierre fondamentale de son Eglise : Et ego dico tibi. : Quia tu es Petrus, et super hanc petram aedificabo Ecclesiam meam (1). Autre exemple que Dieu nous propose en ce saint jour; autre règle qu'il nous ordonne de suivre, et à laquelle nous devons nous conformer, si nous voulons solidement établir notre salut ; car pour être sauvés, Chrétiens, il ne suffit pas, selon saint Paul, que nous croyions de cœur, mais il faut encore que nous confessions de bouche ; il ne suffit pas qu'intérieurement et dans l'âme nous adorions Jésus-Christ comme notre Dieu, mais il faut qu'au dehors, et devant les hommes,

 

1 Matth., XVI, 18.

 

nous lui rendions le témoignage qui lui est dû; et comme toute l'Eglise est fondée sur la confession que lit saint Pierre de la divinité du Fils de Dieu,  j'ajoute que le salut de chaque fidèle doit être fondé sur la confession qu'il fera de sa foi. Confession, prenez garde, s'il vous plaît, confession de foi dont l'obligation rigoureuse est également et de droit naturel, et de droit divin; confession qui renferma deux préceptes, l'un négatif, permettez-moi de m'exprimer de la sorte, après les théologiens, l'autre positif : l'un qui nous défend de lieu faire, de rien dire qui soit seulement, même en apparence ,  contraire à la foi que nous professons; l'autre qui nous oblige à donner des marques publiques de cette foi, selon que les sujets et les occasions le demandent pour l'honneur de Dieu et pour L'édification de l'Eglise : deux devoirs absolument indispensables, s'agît-il de tous les biens du monde et de sacrifier jusqu'à notre vie; confession selon laquelle, au jugement de Dieu, nous serons ou reconnus , ou réprouvés de Jésus-Christ. Car quiconque me reconnaîtra devant les hommes, disait cet adorable Sauveur, je le reconnaîtrai devant mon Père : Qui confitebitur me coram hominibus, confitebor et ego eum coram Patre meo (1). Et, par une règle toute contraire, quiconque devant les hommes m'aura renoncé, je le renoncerai en présence de mon Père : Qui negaverit me coram hominibus, negabo et ego eum coram Patre meo (2).  C'est donc à nous d'imiter saint Pierre dans cette confession si nécessaire : c'est ce qu'ont l'ait les martyrs} quand ils ont paru devant les juges de la terre, et qu'ils ont versé leur sang pour la cause de Jésus-Christ; c'est ce qu'ont l'ait tant d'hommes apostoliques, quand ils ont passé les mers et qu'ils ont pénétré jusqu'aux extrémités du monde pour y annoncer le nom de Jésus-Christ; et c'est ce que nous devons faire nous-mêmes, chacun dans notre condition, et autant que Le demande l'honneur de Jésus-Christ.

Cependant (ô profondeur! ô abîme des conseils de Dieu!) Pierre, tout éclairé qu'il était d'en haut, n'était pas encore inébranlable : c'était la pierre sur laquelle l'Eglise devait être bâtie; mais cette pierre n'avait pas encore toute la stabilité nécessaire pour L'affermissement de l'Eglise. En un mot, saint Pierre, après avoir confessé Jésus-Christ, le renonça; après avoir dit à cet Homme-Dieu : Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant, il fut assez faible et assez lâche pour dire, parlant de ce même Sauveur:

 

1 Matth.,  X, 32. — Ibid., 33.

 

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Je ne le connais point. Dieu le permit ainsi, Chrétiens, et la Providence eut en cela ses desseins particuliers, que nous devons adorer. Mais dans cet exemple reconnaissons-nous nous-mêmes, car voilà ce que nous faisons en mille rencontres : nous confessons Jésus-Christ de bouche ; mais combien de fois dans la pratique l'avons-nous renoncé plus indignement et plus honteusement que saint Pierre? combien de fois et en combien d'occasions n'avons-nous pas rougi d'être chrétiens? combien de fois avons-nous paru devant les autels du Seigneur, comme si jamais nous ne l'avions connu? et cela, tantôt par un respect humain, tantôt par une fausse politique, tantôt par un libertinage affecté, tantôt par un scandale qui nous a entraînés, et à quoi nous n'avons pas eu la force de résister; d'autant plus coupables, on trahissant notre foi, qu'il ne s'agissait pas pour nous, comme pour saint Pierre, de perdre la vie. Chute de saint Pierre, qui doit toujours nous faire trembler, qui que nous soyons, et quelque fermes, jusqu'à présent, que nous ayons pu être ; car, si cet apôtre, et ce prince même des apôtres a eu un sort si déplorable, que ne devons-nous pas craindre pour nous? si ce fondement de l'Eglise de Jésus-Christ a été ébranlé, et s'il est tombé en ruine, nous qui sommes la faiblesse même, la fragilité même, la pusillanimité même, avec quelle défiance de nous-mêmes et quelle frayeur des jugements de Dieu ne devons-nous pas nous conduire? Chute de saint Pierre, qui procéda de trois causes : de sa présomption, de son orgueil, de son imprudence. De sa présomption, qui lui fit dire à Jésus-Christ, avant que de s'être bien éprouvé lui-même : Je suis prêt à vous suivre jusqu'à la mort; quoique Jésus-Christ lui eût dit : Avant que le coq chante, vous me renoncerez trois fois. De son orgueil, car il se préféra à tous les autres apôtres, en sorte que le Fils de Dieu leur ayant dit : Vous m'abandonnerez tous aujourd'hui, Pierre, rempli d'une vaine opinion de lui-même, lui répondit hautement : Quand tous les autres vous abandonneraient, pour moi, je ne vous abandonnerai pas. De son imprudence : tout faible qu'il était, il ne laissa pas de s'exposera l'occasion, en entrant dans la maison du pontife, et en demeurant au milieu des ennemis de Jésus-Christ. Trois causes, mes chers auditeurs, qui nous font tous les jours tomber dans le même désordre que saint Pierre : nous sommes présomptueux comme lui, vains comme lui, imprudents et téméraires comme lui. Chute de saint Pierre, qui doit, après tout, nous consoler, puisque le dessein de Dieu, en la permettant, a été de nous faire voir, dans la personne de cet apôtre, un pécheur prédestiné pour être un vase de miséricorde.

Et par quelle pénitence en effet se releva-t-il d'une telle chute, et la répara-t-il? Pénitence la plus prompte; il ne fallut, pour le toucher et le convertir, qu'un regard du Fils de Dieu : pénitence la plus fervente ; il pleura, et il pleura amèrement : pénitence la plus constante; durant tout le reste de sa vie oublia-t-il jamais son péché, et ne l'eut-il pas toujours devant les yeux, pour le pleurer toujours avec la même amertume? pénitence qui non-seulement rétablit sa foi, mais qui le mit en état de rétablir la foi de tous les autres; car c'est à lui que le Sauveur du monde avait dit : Et tu aliquando conversas, confirma fratres tuos (1) ; Quand vous serez converti et que vous serez revenu de votre égarement, travaillez à rappeler vos frères dispersés, à les rassembler et à les confirmer : or n'est-ce pas ce qu'il a fait, et n'eut-il pas une grâce particulière pour gagner les cœurs les plus endurcis, pour convaincre les esprits les plus opiniâtres, et pour leur inspirer le don de la foi ? Dès les premières prédications qu'il lit aux Juifs, ne soumit-il pas l'Evangile, tantôt jusqu'à trois mille âmes, tantôt jusqu'à cinq mille? et dans le cours de son apostolat, combien de provinces a-t-il éclairées, combien d'Eglises a-t-il fondées? Ah! mes chers auditeurs , il parlait à des Juifs déclarés contre la loi qu'il leur annonçait; il parlait à des païens élevés dans les superstitions et les ténèbres de la plus grossière idolâtrie ; et cependant il les persuadait, il les sanctifiait, il en faisait de parfaits chrétiens : nous vous prêchons la même loi que lui, nous vous annonçons les mêmes vérités ; par quel monstrueux renversement ne seraient-elles pas aussi efficaces dans le centre du christianisme, qu'elles l'ont été au milieu du judaïsme et du paganisme? Quoi qu'il en soit, attachons-nous à la foi de saint Pierre ; et si nous sommes tombés comme lui, faisons pénitence comme lui : disons à Jésus-Christ : Tu es Christus, Filius Dei vivi (1). Oui, Seigneur , je veux vivre et mourir dans cette sainte foi, qui vous reconnaît pour l'envoyé de Dieu , pour le Christ et le Fils de Dieu : si le libertinage de mon cœur m'a séduit en certaines rencontres et en certains temps de ma vie , maintenant que votre grâce répand dans mon esprit une lumière toute nouvelle, je

 

1 Luc., XXII, 32. — 2 Matthi., XVI. 18.

 

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renonce à mes erreurs, et je vous rends l'hommage d'une loi soumise et docile. Jamais saint Pierre ne se dévoua plus ardemment à votre service qu'après son péché, et mes égarements passés ne serviront qu'à redoubler mon zèle pour vous. Ainsi, Chrétiens, devons-nous imiter a foi de ce saint apôtre, pour imiter encore son amour, dont j'ai à vous parler dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

Selon l'ordre que nous a marqué saint Paul, le fondement de toutes les vertus, c'est la foi ; mais la charité en est le comble et la perfection : Major autem horum est charitas (1) ; aussi le Sauveur ne donna-t-il à saint Pierre, préférablement à tous les autres apôtres, le gouvernement de son Eglise, que parce que, entre tous les autres, ce fut saint Pierre qui lui témoigna le plus d'amour. En conséquence de sa foi, ou plutôt de sa confession de foi, Jésus-Christ lui avait promis les clefs du ciel, la puissance de lier et de délier, la juridiction spirituelle et universelle sur tout le monde chrétien. Mais comment fut-il mis en possession de ces clefs, de cette puissance et de cette autorité souveraine? par son amour, et à cause de son amour. L'amour donc, dit saint Augustin, acheva ce que la foi avait commencé. Saint Pierre, en confessant la divinité de Jésus-Christ, avait mérité que Jésus-Christ lui fit cette promesse solennelle et authentique : C'est sur vous que je bâtirai mon Eglise, et par vous que je la gouvernerai; et saint Pierre, par son amour pour Jésus-Christ, mérita que Jésus-Christ ratifiât dans la suite et accomplit cette promesse. Appliquons-nous encore ceci, mes chers auditeurs; et après en avoir tiré une nouvelle matière d'éloge pour notre glorieux apôtre, tirons-en pour nous-mêmes une nouvelle instruction.

Le Sauveur du monde, comme il s'y était engagé, veut établir saint Pierre pasteur de son troupeau et chef de son Eglise ; mais pour cela que fait-il? Il ne demande plus à cet apôtre : Que disent de moi les hommes? mais il lui demande : M'aimez-vous? Simon Joannis, amas me (2) ? Et, sans se contenter d'un amour ordinaire, il ajoute : Avez-vous plus d'amour pour moi que tous ceux-ci? c'était des autres apôtres qu'il parlait : Simon Joannis, diligis me plus his (3) ? Non pas, dit saint Chrysostome, que cet Homme-Dieu eût besoin d'interroger de la sorte saint Pierre pour être

 

1 1 Cor., XIII, 13. — 2 Jean., XXI, 17. — 3 Ibid., 15.

 

instruit de ses sentiments, puisqu'il n'ignorait rien de tout ce qui se passait dans son cœur; mais il l'interroge, pour donner lieu à saint Pierre d'effacer, par une protestation d'amour jusqu'à trois fois réitérée, le crime qu'il avait commis en renonçant trois fois ce divin Maître; il l'interroge pour faire voir quel doit être celui à qui cet adorable pasteur veut confier ses ouailles, puisque ce n'est qu'à celui qui aime Jésus-Christ, et qu'on ne mérite de conduire ce troupeau fidèle qu'autant qu'on aime Jésus-Christ; il l'interroge pour montrer par là combien Jésus-Christ aime lui-même son troupeau, puisqu'il n'en veut donner le soin qu'à celui qui lui témoigne plus d'amour; mais que répond saint Pierre ? Vous savez, Seigneur, que je vous aime : Etiam Domine, tu scis quia amo te (1). Eh bien! répond le Fils de Dieu, paissez donc mes agneaux, c'est-à-dire mes fidèles : Pasce agnos meos (2). Car ce sont les miens, et non pas les vôtres, et je veux que vous les gouverniez comme étant à moi et non point à vous; et qu'en les conduisant, vous n'y cherchiez point votre intérêt, mais leur utilité et ma gloire. Ce n'est pas assez : le Fils de Dieu lui demande une seconde fois : M'aima» vous? pourquoi? afin qu'il paraisse davantage que l'amour de saint Pierre est un amour éprouvé et solide ; et pour une troisième fois il lui demande : M'aimez-vous plus que tous les autres? afin de tirer de lui cette parole si vive et si animée : Vous savez toutes choses, Seigneur, et par là même vous savez que je vous aime, et que je suis prêt à donner ma vie pour la vôtre ; sur quoi Jésus-Christ ne lui dit plus seulement : Paissez mes agneaux : Pasce agnos meos (3); mais : Paissez mes brebis : Pasce oves meas; voulant ainsi lui faire entendre qu'il ne lui donnait pas seulement le soin de son troupeau, mais des pasteurs de son troupeau, marqués sous la figure des brebis qui nourrissent les agneaux.

C'est donc sur l'amour de saint Pierre pour Jésus-Christ qu'est fondée la prééminence de sa dignité et de la juridiction qu'il a eue sur toute l'Eglise. Mais quelles furent les qualités de cet amour ? c'est ce que nous devons considérer, et ce qui doit servir à votre édification. En deux mots, ce fut un amour humble, et ce fut un amour généreux. Amour humble, et par là opposé au zèle présomptueux de cet apôtre pour Jésus-Christ, dans le temps de sa passion. Amour généreux, et par là opposé à la faiblesse et à la lâcheté de cet apôtre lorsqu’il

 

1 Joan., XXI, 15. — 2 Ibid. — 3 Ibid.

 

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qu'il renonça Jésus-Christ. Or, dans l'une et dans l'autre de ces deux qualités, l'amour de saint Pierre doit être le modèle du nôtre. Appliquez-vous.

Ce fut un amour humble ; car Jésus-Christ demandant à saint Pierre : M'aimez-vous plus que tous vos frères ? Pierre ne lui répondit pas : Oui, Seigneur, je vous aime plus qu'eux ; mais il se contenta de lui dire simplement : Je vous aime, n'osant pas se préférer, ni môme se comparer à eux. Il ne dit pas même absolument à Jésus-Christ : Je vous aime ; mais : Vous savez, Seigneur, que je vous aime : comme s'il eût voulu lui dire : c'est à vous, Seigneur, d'en juger; car vous êtes le scrutateur des cœurs. Peut-être me tromperais-je dans le jugement que je porterais du mien; peut-être me flatterais-je d'avoir pour vous plus d'amour que je n'en ai ; peut-être présumerais-je de moi-même : mais vous en êtes le juge, et vous connaissez mes véritables sentiments. Aussi quand le Fils de Dieu l'interrogea de la sorte, ce ne fut pas tant pour éprouver son amour, par comparaison avec les autres apôtres, que pour éprouver son humilité ; car il n'ignorait pas que saint Pierre ne pouvait savoir quelles étaient les dispositions intérieures des apôtres, et par conséquent qu'il ne pouvait pas dire : Je vous aime plus qu'eux. Mais ce divin Maître voulut que Pierre fît voir son humilité, et qu'au lieu de dire comme autrefois : Quand tous les autres ne vous aimeraient pas, je vous aimerais ; il dît seulement : Je vous aime. Ah ! Chrétiens, sans l'humilité il n'y a point d'amour ni de vraie charité ; et si l'amour de Dieu était mêlé d'orgueil, il cesserait d'être amour de Dieu, et dégénérerait dans un amour criminel de soi-même. C'est sur cette humilité que Jésus-Christ a établi la première de toutes les dignités ; c'est sur ce fondement que doivent être établies toutes les vertus.

Cependant notre saint apôtre s'attrista, et il s'affligea, voyant que Jésus-Christ lui demandait jusqu'à trois fois : M'aimez-vous? et pourquoi s'affligea t-il ? c'est, répond saint Chrysostome, qu'il commença à se défier de soi-même ; c'est qu'il commença à douter si en effet il aimait autant Jésus-Christ qu'il prétendait l'aimer ; c'est qu'il commença à craindre que Jésus-Christ ne vît dans le fond de son cœur quelque disposition contraire à l'amour sincère qu'il se flattait d'avoir pour cet Homme-Dieu. Il se souvint de la prédiction que le Sauveur du monde lui avait faite dans une autre rencontre, en lui disant : Vous me renoncerez jusqu'à trois fois : ce qui était arrivé malgré ses protestations et ses résolutions; et il craignit qu'il n'en arrivât ici de même, et que la demande du Fils de Dieu ne lui annonçât dans l'avenir une chute nouvelle, et aussi funeste que la première. Voilà ce qui l'attrista et ce qui l'affligea : car, touché qu'il était de l'amour le plus solide pour Jésus-Christ, rien ne lui parut plus douloureux et plus affligeant que de n'être pas assuré de cet amour. N'aimer pas Jésus-Christ, c'est ce qu'il regarda comme le souverain mal, et le comble de tous les maux. Et d'être seulement soupçonné de n'aimer pas cet aimable Sauveur, ce fut pour lui un sujet de tristesse dont il se sentit presque accablé : Contristatus Petrus (1). Ah ! Seigneur, lui dit-il, ne m'affligez pas jusqu'à ce point, que de me laisser dans un fel doute. Je crois vous aimer; mais pour rendre mon amour plus certain, mettez-le à telle épreuve qu'il vous plaira. Le plus sensible témoignage de l'amour, c'est d'être prêt à mourir pour celui qu'on aime ; je veux bien passer par cette épreuve ; et déjà, dans la préparation de mon cœur, je donne ma vie pour vous : Et animam meam pro te ponam (2). Tirez-moi seulement, Seigneur, de cette cruelle incertitude où je suis, et du trouble où vous me jetez en me demandant si je vous aime. La mort me serait mille fois plus douce, et je mourrais tranquille, si je pouvais compter que je vous aime et que vous m'aimez.

Il n'était pas possible que Jésus-Christ, qui avait admiré l'humilité du centenier et celle de la femme cananéenne, ne fût louché de l'humilité de son apôtre. Il exauça ses vœux; et pour lui marquer combien il se tenait sur de son amour, il le mit à la tête de tous les apôtres, il l'éleva au-dessus d'eux, il le distingua : tant il est vrai, Chrétiens, que comme celui qui s'exalte lui-même sera abaissé, celui, au contraire, qui s'abaisse, sera exalté. Quand saint Pierre présuma de lui-même, et qu'il se crut assez fort pour résister à la tentation, Dieu permit qu'il succombât, afin de lui faire connaître sa faiblesse ; mais quand il s'humilia, et que dans une sainte défiance de ses propres sentiments, il n'osa faire fond sur son cœur, c'est alors que Dieu le plaça dans le plus haut rang, et que Jésus-Christ, par la plus éclatante distinction et sans nulle réserve, le lit dépositaire de ses droits et de sa puissance. Amour de saint Pierre, amour humble ;

 

1 Joan., XXI, 17. — 2 Ibid., XIII, 37.

 

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et, de plus, amour généreux, autre qualité bien remarquable.

Amour généreux , c'est-à-dire amour fervent, amour patient, amour héroïque, opposé à l'amour lâche, à l'amour timide, à l'amour faible et languissant que cet apôtre avait fait paraître. Amour fervent : de quel feu et de quelle ardeur était animé cet apôtre, quand il prêchait Jésus-Christ, quand il rendait hautement témoignage à Jésus-Christ, quand il formait et qu'il exécutait tant de saintes entreprises pour Jésus-Christ? Amour patient : que ne dut point souffrir cet apôtre au milieu de tant d'ennemis qu'il eut à combattre, et de tant d'obstacles qu'il eut à surmonter pour la propagation de l'Evangile de Jésus-Christ, et pour l'affermissement de son Eglise? ni les courses fréquentes, ni les longs voyages, ni les veilles continuelles , ni les misères, ni les persécutions, ni les prisons, jamais rien put-il lasser son zèle et le rebuter? Amour héroïque, en vertu duquel cet apôtre eut le courage et la force de s'exposer à la plus cruelle et la plus honteuse mort : vous me direz qu'il fut crucifié, et que la croix n'était plus un supplice ignominieux , puisque dans la personne de Jésus-Christ elle était plutôt devenue un sujet de gloire ; vous me direz que Jésus-Christ ayant subi lui-même ce genre de mort, les vrais disciples ne devaient plus le regarder comme un opprobre, mais comme un triomphe. J'en conviens ; mais c'est de là même que je tire une preuve incontestable de ma proposition ; car saint Pierre ne put envisager la croix comme le sujet de sa gloire, que parce qu'il aimait Jésus-Christ de l'amour le plus héroïque. Saint Pierre ne put désirer la croix, ne put soupirer après la croix, ne put aller chercher la croix, que parce qu'il fut transporté pour Jésus-Christ d'un amour sans bornes, et qu'il voulut lui en donner une marque, en lui rendant amour pour amour, sacrifice pour sacrifice. Saint Pierre ne put s'estimer heureux de mourir sur la croix comme Jésus-Christ, que parce que l'excès de son amour lui fit souhaiter d'être en tout semblable à cet Homme-Dieu, et même jusqu'à la mort, et à la mort de la croix.

Quoi qu'il en soit, Chrétiens, c'est sur le modèle du prince des apôtres que nous devons tous nous former : car nous avons tous la même obligation d'aimer Dieu et Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, et Dieu lui-même. Or notre amour pour Dieu, et pour le Fils de Dieu, est-ce un amour généreux comme celui de saint Pierre, c'est-à-dire est-ce un amour fervent? est-ce un amour patient? est-ce un amour héroïque ? Prenez garde : est-ce un amour fervent? mais qu'avons-nous fait jusqu'à présent pour Dieu, et que faisons-nous? Peut-être appelons-nous amour de Dieu certains discours vagues et sans fruit : car telle est l'illusion ordinaire de s'en tenir à de spécieuses paroles qui ne coûtent rien, et qui dans la pratique ne vont à rien. Peut-être prenons-nous pour amour de Dieu certains sentiments dont le cœur est quelquefois touché, mais sans effet. Autre erreur encore plus subtile et plus dangereuse : on compte pour beaucoup quelques mouvements affectueux dont l'âme se sent remuée et attendrie; mais si les œuvres manquent, si l'on mène une vie tranquille et oisive, si, dès qu'il faut agir, qu'il faut prier, qu'il faut soulager les pauvres, qu'il faut visiter les hôpitaux, les prisons, qu'il faut vaquer aux exercices de la religion, on devient lâche et paresseux, que servent alors les plus beaux sentiments, et de quel prix peuvent-ils être devant Dieu ? Est-ce un amour patient? mais qu'avons-nous souffert jusqu'à présent pour Dieu, et que voulons-nous souffrir? une faible violence qu'il y a à se faire, une légère contradiction qu'il y a à soutenir, n'est-ce pas assez pour déconcerter toute notre piété, et pour éteindre tout le feu de ce prétendu amour de Dieu, qui paraissait à certaines heures si vif et si animé? On suit Jésus-Christ jusqu'à la cène, mais on l'abandonne au Calvaire; on aime Dieu, ou l'on croit l'aimer, et cependant on ne voudrait pas se gêner pour lui dans la moindre rencontre, se refuser pour lui le moindre plaisir, sacrifier pour lui le moindre intérêt. Est-ce un amour héroïque? car il doit être tel, pour être un véritable amour de Dieu ; et s'il n'est pas assez fort, assez efficace pour me disposer à verser mon sang en certaines occasions, et à donner ma vie pour Dieu, ce n'est plus un amour de Dieu. Or, de bonne foi, mes chers auditeurs, peut-on penser que nous soyons dans une pareille disposition, quand on nous voit céder si aisément aux premiers obstacles qui se présentent, et nous rendre, lorsqu'il est question du service de notre Dieu, à des difficultés que nous surmontons tous les jours pour le monde? Si donc Jésus-Christ nous faisait aujourd'hui la même demande qu'il fit à saint Pierre : Amas me? M'aimez-vous? pourrions-nous lui répondre : Oui, Seigneur, je vous aime, et vous  le  savez  : Domine, tu scis,  quia amo te (1)?

 

1 Joan., XXI, 15.

 

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Si nous osions le dire, nos œuvres ne nous  démentiraient-elles pas? Cependant, sans l'amour de Dieu et de Jésus-Christ, Homme-Dieu et notre espérance ,  que pouvons-nous être autre chose devant Dieu que des anathèmes et des sujets de malédiction ? Ah ! Chrétiens , ranimons dans nos cœurs ce saint amour; et si nous ne l'avons pas, ne cessons point de le demander à Dieu. Servons-nous de notre foi pour l'exciter davantage et pour le rendre plus ardent; et par un heureux retour, cette charité divine servira à vivifier notre foi et à la rendre plus agissante. Pour l'un et pour  l'autre, employons auprès de Dieu l'intercession du glorieux apôtre dont nous solennisons la fête : c'est le  patron de tous les fidèles, puisqu'il est le chef de toute l'Eglise ; et c'est  en particulier le vôtre dans cette église, où il est spécialement honoré. En lui adressant nos prières, travaillons à huiler ses vertus, pour avoir part à sa gloire dans l'éternité bienheureuse que je vous souhaite, etc.

 

 

 

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