SAINT LOUIS

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SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT LOUIS, ROI DE FRANCE.

ANALYSE.

 

Sujet. Qui d'entre les forts vous peut être comparé, et qui vous est semblable, Seigneur, à vous qui êtes grand et magnifique dans votre sainteté (1)!

 

Quoique cet éloge ne convienne proprement qu'à Dieu, on peut dire néanmoins, par proportion, que, de tous les saints, il n'y en a point eu de plus grand ni de plus magnifique dans sa sainteté que saint Louis.

 

Division. Saint Louis a été un grand saint, parce qu'étant né roi, il a fait servir sa dignité à sa sainteté : première partie. Saint Louis a été un grand roi, parce qu'il a su, en devenant saint, faire servir sa sainteté à sa dignité : deuxième partie.

Première partie. Saint Louis a été un grand saint, parce qu'étant né roi, il a fait servir sa dignité à sa sainteté. En effet, sa grandeur n'a servi qu'à le rendre 1° humble devant Dieu avec plus de mérite; 2° charitable envers le prochain avec plus d'éclat; 3° sévère à soi-même avec plus de force et de vertu.

1° Humble devant Dieu. Tout roi qu'il était, il ne se considéra que comme un sujet né pour dépendre de Dieu et pour obéir à Dieu ; et il préféra toujours la qualité de chrétien à celle de roi : de là procédait ce zèle admirable qu'il eut pour tout ce qui concernait la gloire de Dieu et de son culte; de là ce zèle pour la propagation de l'Evangile, ce zèle pour l'intégrité et l'unité de la foi, ce zèle pour la discipline de l'Eglise, ce zèle pour la réformation et la pureté des mœurs, ce zèle de la maison de Dieu qui le dévorait : or, ce zèle n'eut de si merveilleux succès, que parce qu'il était soutenu de la puissance royale.

2° Charitable envers le prochain : rendant lui-même justice à tout le monde, se familiarisant avec les pauvres, portant en terre es corps de ses soldats tués dans une sanglante bataille, fondant des hôpitaux sans nombre. Or, à tout cela, combien lui servit le pouvoir que lui donnait la dignité de roi?

3° Sévère à soi-même. Austérité qui, dans le rang où le ciel l'avait fait naître, doit être regardée comme un miracle de la grâce. Car quel miracle qu'un roi couvert du cilice, atténué de jeûnes, couché sur le sac et sur la cendre, toujours appliqué à combattre ses passions et à mortifier ses désirs! Voilà notre condamnation. Saint Louis s'est sanctifié jusque sur le trône : qui peut donc nous empêcher, chacun dans notre état, de nous sanctifier?

Deuxième partie. Saint Louis a été un grand roi, parce qu'il a su, en devenant saint, faire servir sa sainteté à sa dignité. Il a

 

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été grand dans la guerre, grand dans la paix, grand dans l'adversité, grand dans la prospérité, grand dans le gouvernement île son royaume, grand dans sa conduite avec les étrangers; et c'est à quoi lui a servi sa sainteté.

1° Grand dans la guerre et dans la paix. Il n'a point aimé la paix pour vivre dans l'oisiveté, et il n'a point aimé la guerre pour satisfaire son ambition. Oui le rendait si intrépide et si fier dans les combats ? c'était le zèle de la cause de Dieu qu'il défendait.

2° Grand dans l'adversité. Exemple de sa prison, où sa seule sainteté put si bien le soutenir.

3° Grand dans la prospérité. Jamais la France n'avait été plus florissante, ni le peuple plus heureux, parce que saint Louis se faisait une religion de contribuer à la félicité de ses sujets.

4° Grand dans le gouvernement de ses Etats. Jaloux par piété d'y maintenir le bon ordre, il sut se faire obéir, craindre et aimer. Divers exemples.

5° Grand dans sa conduite avec les étrangers. C'était, dans le monde chrétien, le pacificateur et le médiateur de tous les différends qui naissaient entre les tètes couronnées. De toutes parts on avait recours à lui, parce qu'on connaissait sa probité et son incorruptible équité. Exemples.

Fausse idée des libertins, qui se persuadent qu'en suivant les règles de la sainteté évangélique, on ne peut réussir dans le monde.

 

Quis similis tui in fortibus, Domine, quis similis tui ? magnifions in sanctitate.

 

Qui d'entre les forts vous peut être comparé, et qui vous est semblable, Seigneur, à vous, qui êtes grand et magnifique dans votre sainteté. (Livre de l'Exode, chap. XV, 11.)

 

C'est ainsi que parla Moïse, quand il vit l'éclatant miracle que Dieu, par son ministère, avait opéré en faveur des enfants d'Israël, les tirant de l'Egypte et divisant les eaux de la mer Rouge, pour les faire passer au milieu des abîmes où leurs ennemis devaient être submergés. Je me sers aujourd'hui de ces paroles, pour faire l'éloge d'un roi qui, par une heureuse et singulière conformité, non-seulement avec Moïse, mais avec Dieu même, dont le zèle l'animait, a porté jusque dans l'Egypte ses armes victorieuses, s'y est rendu redoutable aux ennemis du nom chrétien, y a fait des miracles de valeur aussi bien que de piété, pour la délivrance du peuple de Dieu. Moïse, saisi d'étonnement à la vue du prodige dont il était témoin, s'écrie que Dieu est magnifique dans sa sainteté, et il nous donne par là une des plus hautes idées que nous puissions concevoir de l'excellence de Dieu. Il ne dit pas que Dieu est magnifique dans les trésors de sa sagesse, dans les œuvres de sa puissance, dans les effets de sa miséricorde, ni dans aucun autre de ses divins attributs. Il s'arrête à la sainteté : Magnificus in sanctitate ; et nous ne devons pas en être surpris, dit saint Chrysostome, expliquant ce passage. Car la sainteté est, dans les attributs de Dieu, ce qu'il y de plus parfait, de plus grand, de plus adorable; et même tous les autres attributs que Dieu possède ne sont dignes de nos adorations,  que parce qu'ils sont inséparables de la sainteté, D'où il s'ensuit que la magnificence de la sainteté est en Dieu , comme la grandeur de la grandeur même, et comme la perfection de la perfection même. Moïse avait donc raison de demander à Dieu : Qui d'entre les forts, ô Seigneur ! est semblable ù vous, et qui d'entre les hommes de la terre a l'avantage de participer à cette magnifique sainteté dont vous êtes l'exemplaire et le modèle? Quis similis tui? magnificus in sanctitate. Or, j'ose ici répondre en quelque manière à cette question. Car j'ai à vous produire un saint, dans la personne duquel vous avouerez que ce caractère ( selon la mesure que Dieu veut bien le communiquer à la créature et lui en faire part) a éminemment paru. C'est l'incomparable saint Louis, dont nous célébrons la fête , et qui, par un effet de la grâce de Jésus-Christ, est parvenu à cette divine ressemblance : Magnificus in sanctitate. C'a été un homme magnifiquement saint, héroïquement saint, et, si j'ose me servir de cette expression, royalement saint. Voilà tout le fond de son panégyrique. Il fallait être pour cela aussi élevé dans le monde que saint Louis : car pour nous, Chrétiens, dans la médiocrité des conditions où Dieu nous a fait naître, ce titre ne nous convient pas. Nous pouvons bien, et nous devons être humbles dans la sainteté, fidèles dans la sainteté, sincères dans la sainteté, constants et fermes dans la sainteté ; mais il ne nous appartient pas d'être magnifiques dans la sainteté. C'est le privilège des grands, quand il plaît à la Providence d'en faire des saints; et entre ceux que Dieu a choisis pour les sanctifier sur le trône , c'est la louange particulière de notre saint. Car, dans les principes de la vraie religion, nous pouvons dire en quelque sorte de saint Louis ce que les Romains idolâtres disaient de leurs empereurs, qui avaient été mis au nombre des dieux : Reliquos deos accepimus, Caesares dedimus ; Pour les autres dieux de l'empire, disaient-ils, nous les avons reçus du ciel; mais pour ceux-ci, qui étaient nos princes, le ciel les a reçus de nous. Et moi je dis : Pour les autres saints que nous honorons dans le monde chrétien, l'Eglise nous les adonnés; mais pour saint Louis, c'est la France qui l'a donné à l'Eglise. Nous avons donc tous, comme Français, une obligation spéciale de

 

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l'honorer, et nous en avons une encore plus étroite et plus indispensable de l'imiter. Car sa sainteté, quoique royale et magnifique, ne laisse pas, comme vous verrez, d'être, aussi bien que celle de Dieu, un exemple pour nous; et c'est à moi de vous appliquer cet exemple, après que nous aurons demandé les grâces et les lumières du Saint-Esprit, par l'intercession de Marie. Ave, Maria.

C'est un sentiment, Chrétiens, très-injurieux à la Providence, de croire qu'il y ait dans le monde des conditions absolument contraires à la sainteté , ou que la sainteté par elle-même puisse avoir quelque chose d'incompatible avec les engagements de certaines conditions et de certains états, dont il faut néanmoins reconnaître que Dieu est l'auteur. Or, pour vous détromper d'une erreur si dangereuse, il me suffit de vous mettre devant les yeux l'exemple de saint Louis; et voici toute la preuve de ce que je prétends établir dans ce discours , pour votre instruction et pour l'édification de vos âmes. Saint Louis a été sur la terre un grand roi et un grand saint ; on peut donc être saint dans tous les états et dans toutes les conditions du monde : raisonnement sensible et convaincant; car enfin s'il y avait dans le monde une condition difficile à accorder avec la sainteté, il est évident, et vous en convenez vous-mêmes, que ce serait la royauté. Cependant, grâce à la providence de notre Dieu, la royauté n'a point empêché saint Louis de parvenir à une éminente sainteté ; et la sainteté éminente à laquelle saint Louis est parvenu ne l'a point empêché de remplir dignement et excellemment les devoirs de la royauté. Je dis plus : ce qui a rendu saint Louis capable d'une si haute sainteté, c'est la royauté ; et ce qui l'a mis en état de soutenir si honorablement la royauté, c'est la sainteté. En deux mots, saint Louis a été un grand saint, parce que, étant né roi, il a eu le don de faire servir sa dignité à sa sainteté : ce sera la première partie ; saint Louis a été un grand roi, parce qu'il a su, en devenant saint, faire servir sa sainteté à sa dignité : ce sera la seconde partie. Deux vérités dont je tirerai, pour notre consolation , deux conséquences également touchantes et édifiantes : l'une, que l'état de vie où nous sommes appelés est donc, dans l'ordre de la prédestination éternelle, ce qui doit le plus contribuer à nous sanctifier devant Dieu ; l'autre, que notre sanctification devant Dieu est donc le plus sûr et le plus efficace de tous les moyens pour nous rendre nous-mêmes, selon le monde, parfaits et irrépréhensibles dans l'état de vie où nous sommes appelés. C'est un roi qui va nous apprendre l'un et l'autre : appliquez-vous.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

De quelque manière que nous concevions la sainteté, et quelque plan que nous nous  en fassions, être saint selon toutes les règles de l'Ecriture, c'est avoir pour Dieu un zèle fervent, accompagné d'une humilité profonde; c'est aimer son prochain , non pas de parole, mais en vérité et par œuvres, en lui rendant tous les devoirs d'une charité tendre et efficace ; c'est être sévère à soi-même, et, comme parle le grand Apôtre , crucifier sa chair avec ses passions et ses désirs déréglés, par la pratique d'une mortification solide. Arrêtons-nous là, Chrétiens, pour reconnaître les grâces extraordinaires, les grâces prévenantes et surabondantes, les grâces victorieuses et miraculeuses dont Dieu a comblé saint Louis. En effet, ces trois choses essentielles, en quoi je prétends, avec saint Jérôme, que la vraie sainteté consiste , sont celles qu'on a toujours cru d'une plus difficile alliance avec la grandeur du monde , et pour lesquelles la condition des grands du monde a toujours eu plus particulièrement besoin de la toute-puissante grâce de Jésus-Christ. Car voilà, disait saint Jérôme, depuis la corruption du péché, les trois désordres et les funestes écueils de la grandeur mondaine : par l'énorme abus que nous en faisons, elle nous devient, à l'égard de Dieu, la source d'un secret orgueil qui nous fait perdre l'humilité et le zèle de la religion ; elle nous donne , à l'égard du prochain , une dureté de cœur qui nous rend insensibles aux maux d'autrui, et qui étouffe en nous la compassion et la miséricorde ; elle nous inspire, à l'égard de nous-mêmes, un amour-propre sans mesure, qui va jusqu'à nous faire secouer le joug de la pénitence et de l'austérité chrétienne ; effets malheureux que les saints ont déplorés, et dans la vue desquels David a tremblé. Or, par un visible miracle de la grâce de Jésus-Christ, cette grandeur du monde si dangereuse n'a point été , dans la personne de saint Louis, sujette à ces désordres, puisqu'elle n'a point empêché que saint Louis n'ait été un prince parfaitement dévoué à Dieu , n'ait eu pour son peuple le cœur d'un père charitable , n'ait exercé contre soi-même toute la sévérité de l'Evangile ; disons mieux, puisque la grandeur même souveraine n'a servi qu'à faire paraître

 

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saint Louis humble devant Dieu avec plus de mérite, charitable envers son prochain avec plus d'éclat, sévère à soi-même avec plus de force et plus de vertu : d'où je conclus que la royauté, bien loin d'avoir été en lui un obstacle à la sainteté , fut au contraire le grand moyen par où il s'éleva à la plus héroïque sainteté. Entrons là-dessus dans un détail qui vous convaincra et qui vous instruira.

Saint Louis, le plus grand des rois, a été, devant Dieu, le plus soumis et le plus humble des hommes. C'est ce qu'il a posé pour fondement de tout l'édifice de sa perfection ; voilà la pierre ferme sur laquelle, comme un sage architecte, il a bâti. Son humilité, qui fut sa vertu dominante, fit que ce saint monarque, malgré sa souveraineté, ou plutôt par la raison même de sa souveraineté, ne se considéra jamais dans le monde que comme un sujet né pour dépendre de Dieu, et pour obéir à Dieu. Il était roi, et il était chrétien ; mais, accoutumé a peser les choses dans la balance du sanctuaire, il préféra toujours la qualité de chrétien à celle de roi , parce qu'être roi, disait-il, c'est être, mais à titre onéreux, le maître des hommes ; et être chrétien, c'est être, par un solennel et éternel engagement, serviteur de Jésus-Christ. Or cette servitude qui l'attachait à Jésus-Christ lui paraissait mille fois plus honorable, mille fois plus estimable et plus aimable que la domination de tout l'univers. De là vient qu'il se glorifiait hautement de ce nom de chrétien, et qu'il avait, comme chrétien, une vénération particulière, une tendre dévotion, une prédilection pour le lieu où il avait reçu le saint baptême. C'est pour cela qu'entre toutes les villes de son royaume, celle de Poissy lui était si chère ; et que, pour satisfaire sa piété, supprimant tous les autres noms qui marquaient sa puissance sur la terre, il se contentait souvent de signer : Louis de Poissy, parce que c'était là, par une seconde naissance, infiniment plus illustre que la première, qu'il se souvenait d'avoir été régénéré en Jésus-Christ ; là où il savait que son nom avait été inscrit dans le livre de vie, et mis au nombre des fidèles, pour être écrit dans le ciel. Tel était, dis-je, le sentiment qu'il avait de sa profession de chrétien. Au contraire, celle de roi ne lui parut jamais que comme un fardeau pesant, que comme un poids terrible dont il était chargé, et sous lequel il gémissait, n'y trouvant point d'autre avantage que de se voir par là dans une indispensable obligation d'elle encore plus sujet à Dieu que ses sujets mêmes. Car pourquoi suis-je roi, ajoutait-il, sinon pour faire régner Dieu, pour établir, pour maintenir, pour amplifier l'empire de Dieu ? C'est pour cela qu'il m'a choisi ; et ce caractère de roi, qui , par rapport aux hommes que je gouverne, est un caractère de prééminence et de supériorité ; par rapport à Dieu, au nom de qui je les gouverne, n'est pour moi qu'une dépendance, mais une dépendance salutaire, et dont je fais tout mon bonheur. Voilà comme en jugeait saint Louis, et voilà ce qu'il enseignait à Philippe son fils, héritier de sa couronne. Voilà ce qu'il lui inspirait : le respect de Dieu et le mépris de la vaine grandeur du monde. Or de là, mes chers auditeurs, procédait ce zèle admirable qu'il eut toujours pour tout ce qui concernait la gloire de Dieu et son culte ; de là ce zèle pour la propagation de l'Evangile, ce zèle pour l'intégrité et l'unité de la foi, ce zèle pour la discipline de l'Eglise, ce zèle pour la réformation et la pureté des mœurs, ce zèle de la maison de Dieu qui le dévorait, et qui lui faisait regarder toutes les injures faites à Dieu, comme des outrages faits à lui-même ; en sorte que jamais homme n'eut plus de droit que lui de dire, comme David : Zelus domus tuœ comedit me, et opprobria exprobrantium tibi ceciderunt super me (1). Zèle des intérêts de Dieu, fondé sur cette grande maxime de religion, dont il avait l'âme pénétrée, qu'être roi, c'était être par office le ministre de Dieu, et l'exécuteur en chef des ordres de Dieu. Je reprends, et suivez-moi.

J'ai dit, zèle de la propagation de l'Evangile. Car n'est-ce pas ce qui détermina saint Louis à ces longs et fameux voyages qu'il entreprit pour faire la guerre aux ennemis du nom chrétien ? Consulta-t-il, pour s'y résoudre, une autre sagesse que celle dont furent remplis les apôtres , lorsqu'ils formèrent le dessein d'aller jusqu'aux extrémités du monde, pour y porter le flambeau de la foi? et quand ce saint monarque, s'oubliant lui-même, sacrifiant sa santé, exposant sa vie, sortait de son royaume pour passer les mers, avait-il autre chose en vue que l'accroissement du royaume de Jésus-Christ? Avec quel soin ne s'employa -t-il pas, et dans la Palestine et dans l'Egypte, à la conversion des Sarrasins ? Combien n'en gagna-t-il pas à Dieu? et quand ces infidèles venaient à lui pour embrasser le christianisme, avec quelle joie ne les recevait-il pas, les prenant sous sa protection royale, les comblant

 

1 Psal., LXVIII, 10.

 

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de grâces, leur offrant et leur assurant des établissements en France , se chargeant de pourvoir à leur instruction, et les regardant comme ses plus chères conquêtes, parce que c'étaient, disait-il, autant de sujets qu'il gagnait à Jésus-Christ et à son Eglise ? Un roi comme saint Louis, plein de cet esprit, n'était-il pas un apôtre dans sa condition ? et mourant martyr de son zèle, comme il mourut dans la dernière de ses expéditions, aussi apostolique qu'héroïque, ne pouvait-il pas, avec une humble confiance et sans présomption, dire, après saint Paul, qu'il n'était en rien inférieur aux plus grands des apôtres ?

J'ai dit, zèle de la discipline de l'Eglise. Que ne fit pas saint Louis pour la rétablir dans le clergé de France, et avec quelle bénédiction et quel succès n'y travailla-t-il pas? Un des scandales du clergé était, dans ce temps malheureux, la simonie : avec quelle autorité ne retrancha-t-il pas ce désordre, par cette célèbre ordonnance , ou pragmatique-sanction, que nous gardons encore comme un trésor, et que nous pouvons bien mettre au nombre de ses précieuses reliques, puisque c'est son ouvrage, et un des plus saints monuments qu'il nous ait laissés ! L'abus des biens ecclésiastiques était, si j'ose parler ainsi, l'abomination de la désolation dans le lieu saint : avec quelle prudence et quelle force n'y chercha-t-il pas le remède, ayant convoqué pour cela un concile à Paris, où il fit faire, sur le sujet des bénéfices, des règlements contre lesquels, ni le temps, ni les coutumes, ne prescriront jamais? règlements dont il voulut être le premier et le plus religieux observateur, s'étant même ôté le pouvoir d'en dispenser, et par un serment solennel s'étant obligé à n'avoir jamais sur cela nulle acception de personne; règlements, si je les rapportais, qui confondraient le relâchement de notre siècle, et peut-être même sa prétendue sévérité. Celui qui regarde la pluralité des titres, que saint Louis traitait de monstrueuse, ne suffirait-il pas pour nous humilier? Nous nous piquons, sur les anciens canons, d'exactitude et de sévérité chrétienne ; mais nous nous en piquons en spéculation, et saint Louis par son zèle la mettait en œuvre.

J'ai dit, zèle de l'intégrité et de l'unité de la foi. Car quelle horreur saint Louis n'eut-il pas de tout ce qui la pouvait troubler, et avec quelle fermeté ne s'éleva-t-il pas contre les hérésies de son temps? Quelle victoire ne remporta-t-il pas sur celle des Albigeois, à qui il acheva de donner le coup mortel? Dieu, pour combattre

les erreurs qui commençaient dès lors à naître, et qui ont depuis inondé le monde chrétien, avait suscité les deux florissants ordres de saint François et de saint Dominique. De là vint l'estime et l'affection paternelle que saint Louis fit paraître envers l'un et l'autre, les ayant toujours honorés de sa bienveillance et de ses bienfaits, parce qu'il les regardait, disait-il, comme les boucliers de la foi catholique. Et parce que cela même leur avait attiré la haine et la persécution de certains esprits attachés au parti de la nouveauté, que fit saint Louis ? Il usa de tout son pouvoir pour détruire ce parti, et il en vint à bout. Celui qui en était le chef avait composé un libelle schismatique, où il décriait la profession religieuse : saint Louis en poursuivit à Rome la condamnation, et le fit publiquement lacérer ; non point par une simple raison d'Etat, pour prévenir les troubles qu'ont coutume de causer ces sortes de dissensions, mais par esprit de religion, parce que jamais il n'oublia qu'il était, comme roi chrétien, chargé devant Dieu du sacré dépôt de la foi, et que c'était à lui d'en maintenir l'unité et l'intégrité, en réprimant avec vigueur tout ce qui pouvait y donner la moindre atteinte.

J'ai dit, zèle de la réformation et de la pureté des mœurs. Quelle ample matière ce seul article ne me fournit-il pas? Jusques au règne de saint Louis, le blasphème, quoique exécrable, s'était rendu si commun, qu'il avait cessé ou presque cessé d'être en exécration. On en déplorait le désordre, mais on en remettait à Dieu le châtiment. Avec quel courage saint Louis ne l'entreprit-il pas? Vous savez le fameux édit qu'il fit publier contre les blasphémateurs, et la rigueur inflexible avec laquelle il voulut qu'on l'exécutât dans la personne d'un homme opulent, à qui il fit percer la langue parce qu'il avait profané la sainteté et la majesté du nom de Dieu. Les mondains en murmurèrent; mais saint Louis ne compta pour rien d'être censuré par les mondains, pourvu que Dieu fût vengé. C'est lui qui, le premier de nos rois, défendit le duel, et qui, pour l'intérêt de Dieu, encore plus que de son Etat, en fit un crime punissable, après s'être instruit sur ce point dans une assemblée de prélats, et avoir reconnu que ces combats, si contraires à la tranquillité publique, étaient également opposés aux lois de la conscience et de la religion. C'est lui qui extermina l'usure, et qui en arrêta le cours par la sévérité des peines auxquelles il condamna sans rémission

 

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les usuriers dans toute l'étendue de son royaume. Dites-moi un seul vice qu'il ait toléré. Il avait généralement pour tous les impies et tous les hommes vicieux, mais beaucoup plus encore pour les scandaleux, cette haine parfaite dont le Prophète royal se faisait une vertu, quand il disait : Perfecto odio oderam illos (1). Et parce qu'il savait que les plus ordinaires asiles des hommes de ce caractère sont les maisons des grands (ah ! Chrétiens, la belle leçon, non-seulement pour les grands, mais absolument pour tous ceux qui sont chargés de la conduite des familles particulières), saint Louis, afin d'exercer dans l'ordre ce zèle de réforme que Dieu lui avait inspiré, commençait, selon la parole de l'Apôtre, par sa propre cour, qui pouvait bien alors être regardée comme la maison de Dieu : Ut incipiat judicium a domo Dei (2). C'est-à-dire qu'il faisait faire de temps en temps des informations juridiques de la vie et des mœurs de tous les officiers de sa cour ; et s'il s'en trouvait parmi eux de libertins, surtout de libertins par profession ; s'il en découvrait des notés et décriés par leurs débauches, quelque mérite d'ailleurs qu'ils pussent avoir, il les éloignait de sa personne, étant convaincu qu'il ne pouvait ni ne devait faire nul fonds sur la fidélité de ceux qui, par libertinage, avaient secoué le joug de Dieu, et ayant toujours pris pour règle cette grande maxime de David : Non habitabit in medio domus meœ qui facit superbiam (3). Aucun de ceux qui méprisent Dieu n'habitera dans ma maison ; et je n'aurai pour serviteur que celui qui, soumis à Dieu, marchera dans une voie droite et pure : Ambulans in via immaculata hic mihi ministrabat (4). Voilà, mes chers auditeurs, ce qui fait l'essentiel et le capital de la sainteté d'un roi. Toutes les autres dévotions que saint Louis a pratiquées, n'en ont été, pour ainsi dire, que l'accessoire. Il est vrai, saint Louis avait fait de son palais une maison de prière : dans ses plus importantes occupations, il assistait régulièrement à tout l'office de l'Eglise ; et selon l'exemple du Roi prophète, malgré la multitude des affaires, il rendait à Dieu plusieurs fois le jour le tribut et l'hommage de sa piété. Jusque dans ses camps et dans ses armées, la tente qu'on lui dressait était une espèce de sanctuaire où la divine Eucharistie reposait, aussi bien que l'arche sous les tentes d'Israël. Avec quelle foi n'ouvrait-il pas le trésor de son épargne, pour

 

1 Psal., CXXXVI, 22. — 2 1 Petr., IV, 17. — 3 Psal., C, 7. — Ibid., 6.

 

racheter de l'empereur de Constantinople la sainte couronne, pour laquelle il eût donné toutes les couronnes du monde, et avec quelle humilité ne la porta-il pas lui-même, la tête et les pieds nus, dans l'auguste temple qu'il avait fait construire pour la placer, et où nous la révérons encore aujourd'hui? Tout cela était saint ; mais, encore une fois, tout cela n'était en lui que les marques, ou tout au plus que les effets de la sainteté. Ce qui Ta sanctifié comme roi, c'est ce zèle ardent qu'il a eu pour l'honneur de Dieu ; et ce zèle n'eût de si merveilleux succès que parce qu'il était soutenu de la puissance royale. Car, si saint Louis n'eût été roi, il n'eût jamais fait pour Dieu ce qu'il a fait. C'est ce que j'ai prétendu vous donner à entendre, quand j'ai dit que la royauté n'avait servi qu'à le rendre encore plus saint envers Dieu.

Suivant le même principe, il ne faut pas s'étonner qu'il ait été si charitable envers son peuple, et qu'il ait aimé ses sujets comme ses propres enfants. Nous en avons dans sa vie des exemples dont vos coeurs seront attendris. N'était-ce pas un spectacle bien digne de Dieu et bien édifiant pour les hommes, de voir ce monarque dans la posture où son histoire nous le représente, assis au pied d'un arbre dans le parc de Vincennes, et recevant lui-même en personne les requêtes des veuves et des orphelins, consolant les misérables et les affligés, écoutant les pauvres, et sans distinction rendant justice à tout le monde? Là un simple gazon lui tenait lieu de tribunal ; mais ce tribunal, dans sa simplicité, avait quelque chose de plus vénérable que celui de Salomon. Saint Louis y était attaché par le motif d'une charité bienfaisante, dont les fonctions, quoique laborieuses, n'avaient rien pour lui d'onéreux. Car il présupposait toujours que Dieu l'avait choisi pour son peuple, et non pas son peuple pour lui; et dans cette vue il se faisait non-seulement un devoir et un mérite, mais un plaisir de consacrer à ce peuple, que Dieu lui avait confié, ses divertissements et son repos, sa santé même et sa vie. Oui, je dis sa vie, qui, toute nécessaire qu'elle était, ne lui fut jamais plus précieuse que celle de ses sujets. Il le montra bien dans sa prison, lorsque les Sarrasins lui ayant fait offre de le mettre en liberté, pourvu qu'il laissât tous les Français de sa suite dans les fers : A Dieu ne plaise, répondit-il, que je les abandonne l ils ont été les compagnons de ma fortune, je veux l'être de leurs souffrances ; et comme je ne souhaite d'être

 

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libre que pour eux, je ne puis consentir à l'être sans eux. Il le montra bien, lorsque, dans une autre rencontre, il s'offrit lui-même à demeurer prisonnier, pourvu qu'on renvoyât l'armée française, qui se trouvait sur le point de périr. Ce sont les miracles de sa charité rapportés dans la bulle de sa canonisation. Il s'agissait, après la journée de Mazoure, qui fut une journée sanglante, d'enterrer les corps des soldats tués dans le combat. Tout le champ de bataille en était couvert, et ils remplissaient l'air d'une telle infection, que l'on n'osait presque en approcher. Allons, disait saint Louis, exhortant à cette œuvre de piété les seigneurs de sa cour, allons, ce sont nos frères, et ils sont morts pour Jésus-Christ. Si nous ne pouvons leur donner une sépulture digne d'eux, au moins qu'elle soit digne de nous. Il embrassait ces cadavres déjà corrompus, et les portait lui-même comme en triomphe. De quoi la charité chrétienne ne nous rend-elle pas capables? Je ne vous parle point de sa tendresse pour les pauvres, ni de son zèle pour le soulagement de leurs misères. Les monuments qui nous en restent vous l'apprennent bien mieux que moi. Les hôpitaux sans nombre qu'il a fondés; les somptueux établissements qu'il a faits pour toute sorte de malheureux, pour toute sorte d'indigents, pour toute sorte de malades, pour les orphelins, pour les veuves, pour les aveugles, pour les insensés, pour les vierges dans le péril, et pour les pécheresses converties; ses bonnes œuvres dont toute la France est pleine, ses aumônes qui subsistent, et que l'Eglise universelle ne cessera jamais de publier : Elecmosynas illius enarrabit omnis Ecclesia Sanctorum (1); ses aumônes, dis-je, si j'ose m'exprimer ainsi, que la magnificence de sa charité a perpétuées, et dont les pauvres de Jésus-Christ vivent encore : tout cela vous prêche, bien plus hautement que je ne le pourrais faire, la charité de saint Louis, il me suffit de vous dire que cet amour tendre et affectueux envers les pauvres c'est un des points sur lesquels il semble que saint Louis, pour avoir trop suivi son zèle, ait eu plus besoin d'apologie. Mais ne lui est-il pas glorieux d'en avoir eu besoin sur un tel sujet? En effet, raisonnant selon les idées delà prudence charnelle, quelques-uns trouvaient qu'en se familiarisant trop avec les pauvres, il avilissait sa dignité. Mais il répondait, avec saint Bernard, que les pauvres, selon l'Evangile, étant les enfants et  les héritiers primitifs du

 

1 Eccli., XXXI, 11.

 

royaume du ciel, un roi de la terre ne pouvait avoir avec eux trop de commerce, et qu'il ne devait pas rougir de paraître au milieu d'eux, puisque toute son ambition devait être de régner un jour avec eux : Nec contemnendum regi vivere cum talibus, cujus tota ambitio est cum talibus regnare. Il est donc vrai, mes chers auditeurs, saint Louis à en juger selon le monde aima les pauvres avec excès. Il les logeait dans son palais, il les recevait à sa table, il les servait de ses mains, il leur lavait les pieds, il pansait leurs ulcères et leurs plaies, et tout cela, selon le monde, semblait peu convenir à sa condition. Mais il était persuadé que tout cela ne répondait pas encore, et ne répondrait jamais à la sainteté de sa religion; que peut-être c'eût été trop pour un roi païen, mais que ce n'était pas encore assez pour un roi chrétien, et que le pauvre dans le christianisme étant, comme la foi nous l'enseigne, la vive représentation de Jésus-Christ, il n'y avait point de monarque qui ne dût, non-seulement l'aimer, mais le respecter.

Je serais infini, si j'ajoutais à cette immense charité pour le prochain l'austérité de saint Louis envers soi-même : austérité qui, dans la condition et le rang où Dieu l'avait fait naître, ne doit pas être considérée comme une simple vertu, mais comme un miracle de la grâce, et de la grâce la plus puissante de Jésus-Christ : austérité qui fit de saint Louis, sinon un martyr de la foi, au moins un martyr de la pénitence, mais de la pénitence la plus méritoire devant Dieu, puisqu'elle était jointe à une parfaite innocence. Le Fils de Dieu disait aux Juifs, en leur parlant de Jean-Baptiste: Qu'êtes-vous allés chercher dans le désert? un homme vêtu avec mollesse? c'est dans les palais des rois qu'on trouve ceux qui s'habillent de la sorte : Ecce qui mollibus vestiuntur, in domibus regnum sunt (1). Mais souffrez, ô divin Sauveur, que votre proposition, quoique générale, ne soit pas aujourd'hui sans exception. Car j'entre dans la cour de saint Louis; et, bien loin d'y trouver un homme mollement vêtu, j'y trouve un roi couvert d'un affreux cilice, exténué déjeunes, couché sous le sac et sur la cendre; un roi qui, pour se préserver de la corruption des plaisirs du monde, châtie son corps et le réduit en servitude ; qui efface, par de rigoureuses mortifications, les plus légères taches de son âme; qui, non content de crucifier sa chair, et d'en faire une hostie vivante qu'il immole à Dieu chaque jour, tient son

 

1 Matth., XI, 8.

 

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esprit dans une continuelle sujétion, toujours appliqué à combattre ses passions, à régler ses inclinations, à modérer ses désirs, à ne se rien permettre et à ne se rien pardonner : juge sévère de lui-même, parce qu'il n'est soumis au jugement de personne. Voilà ce que je trouve, non dans le désert, mais dans la cour d'un roi ; et voilà,  mes chers auditeurs, ce que Dieu m'oblige à vous représenter dans cette fête, ou pour votre édification, ou pour votre condamnation : pour votre édification, si vous en savez profiter; ou pour votre condamnation, si vous n'êtes pas touchés de cet exemple : voilà ce que Dieu vous opposera dans son dernier jugement. Un roi humble, un roi mortifié, un roi pénitent, tout saint qu'il est d'ailleurs, voilà ce qui vous confondra : ce ne sera plus la reine du midi qui s'élèvera contre vous : Regina austri surget in judicio (1); ce sera votre roi qui,  reprenant sur vous dans ce jour terrible tout son pouvoir, et tous ses droits, prononcera des arrêts contre votre orgueil, contre vos relâchements et vos tiédeurs, contre votre dureté pour les pauvres, contre  votre luxe et votre amour-propre. Que répondrons-nous, et de quelle excuse nous servirons-nous? Car, si saint Louis a pu être humble sur le trône, à quoi tient-il que nous ne le soyons dans des conditions où tout nous porte à l'humilité ; dans des états où nous n'avons qu'à être raisonnables pour pratiquer L'humilité; où, sans nous méconnaître nous-mêmes, nous ne pouvons oublier les engagements indispensables que nous avons à vivre dans l'humilité? Si saint Louis, au milieu des délices de sa cour, a pu être pénitent, qui nous empêche de l'être dans de continuelles épreuves où nous nous trouvons, dans les maladies, dans les souffrances, dans les pertes de biens, dans tous les accidents et toutes les disgrâces à quoi nous sommes exposés, et où il ne nous manque qu'une acceptation volontaire et une soumission chrétienne? Si saint Louis, dans la conduite des armées et le gouvernement d'un état, a pu conserver le recueillement intérieur, et l'habituelle disposition d'une union intime avec Dieu ; à qui nous en pouvons-nous prendre, si nous menons une vie dissipée et tout extérieure dans les affaires et les menus soins qui nous occupent? A la vue de ce grand saint, quel prétexte même apparent pouvons-nous avoir pour nous dispenser d'être saints? avons-nous dans le monde de plus grands obstacles à surmonter, de plus violentes tentations  à vaincre, des écueils plus funestes à éviter, et des ennemis

 

1 Matth., XII, 42.

 

plus redoutables à combattre ? Ah ! Chrétiens, je le répète et je ne puis trop vous le dire : profitons de cet exemple; et afin que Dieu, dans le jour de sa colère, ne s'en serve pas contre nous, servons-nous-en dès maintenant contre nous-mêmes. Convaincus par l'exemple de saint Louis (pratique excellente à laquelle je réduis tout le fruit de cette première partie), convaincus, par l'exemple de saint Louis, qu'il n'y a point dans le monde de condition où l'on ne puisse être chrétien et parfait chrétien, ne nous plaignons plus de celle où l'ordre de Dieu nous attache, et ne rejetons plus sur elle les dérèglements, ni les imperfections de notre vie. Si nous savons, comme saint Louis, faire un bon usage de notre condition, bien loin qu'elle soit un obstacle à notre salut, nous y trouverons des secours infinis pour le salut; bien loin qu'elle nous dissipe et qu'elle nous détourne de Dieu, nous y trouverons mille sujets de nous élever à Dieu, de nous soumettre à Dieu, d'accomplir les desseins de Dieu ; bien loin qu'elle nous empêche de pratiquer les vertus chrétiennes, elle nous en fournira de fréquentes occasions: c'est-à-dire que nous trouverons sans cesse dans notre condition des occasions de pratiquer la pénitence, la patience, l'obéissance; des occasions de pratiquer la charité, la douceur, l'humilité. Providence de mon Dieu, que vous êtes adorable et que vous êtes aimable de nous faciliter ainsi les voies du salut éternel, et de nous avoir donné, dans la personne du saint roi que nous honorons, un modèle de perfection si engageant et si touchant ! Ne la cherchons point, mes chers auditeurs, non plus que saint Louis, ne la cherchons point, cette perfection, hors de notre condition : c'est, dans la royauté et sur le trône que saint Louis a trouvé la sienne ; et c'est dans la médiocrité de l'état où Dieu nous a appelés, que nous trouverons la nôtre. La dignité de saint Louis lui a servi à relever sa sainteté, c'est ce que vous avez vu ; et, par le plus heureux retour, sa sainteté lui a servi à relever sa dignité, c'est ce que vous allez voir dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

Ce n'est pas d'aujourd'hui que les mondains ont eu, sur le sujet de la piété et de la sainteté chrétienne, les plus injustes et les plus malignes idées; et c'est de tout temps qu'il s'en est trouvé d'assez aveugles, ou plutôt d'assez pervertis , pour prétendre que la perfection évangélique, par les liaisons essentielles qu'elle

 

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a avec l'humilité, rendait les hommes incapables des grandes choses; qu'elle leur abattait le courage, qu'elle détruisait en eux les sentiments d'une noble et honnête émulation , qu'elle y affaiblissait les lumières de la prudence; en un mot, qu'en suivant ses lois et s'attachant à ses principes, il était impossible de prospérer dans le monde. Erreur renouvelée par un faux sage de ces derniers siècles , et tentation dangereuse dont l'esprit de mensonge s'est prévalu pour étouffer dans les âmes faibles les semences de la religion, et pour faire sous le prétendu nom de politique, un nombre infini de libertins et d'impies. Il ne fallait pas une moindre autorité que celle de saint Paul, pour renverser une doctrine si pernicieuse : et ce grand apôtre ne pouvait pas mieux la confondre, qu'en lui opposant la maxime contradictoire, et soutenant que la piété, sans avoir des vues basses et intéressées, est utile à tout : Pictas ad omnia utilis (1); et que c'est à elle que les avantages de la vie présente, aussi bien que ceux de la vie future, ont été promis : Promissionem habens vitœ quœ nunc est et futurœ (2). Mais saint Paul, avec toute son autorité, aurait eu peut-être de la peine à nous persuader cette vérité, si Dieu n'avait pris soin de nous la rendre sensible en d'illustres exemples. Et c'est, mes chers auditeurs, ce que vous allez voir encore dans l'exemple de saint Louis, qui, tout saint roi qu'il était selon l'Evangile, n'a pas laissé d'être, selon le monde, non-seulement un grand roi, mais sans contestation un des plus grands rois qui jamais aient porté le sceptre. Je dis, grand dans tous les états où la grandeur d'un souverain peut et doit être considérée : car il a été grand dans la guerre , il a été grand dans la paix, il a été grand dans la prospérité, il a été grand dans l'adversité ; il a été grand dans le gouvernement de son royaume, grand dans sa conduite avec les étrangers, grand dans l'estime de ses ennemis mêmes ; et tout cela par cette sainteté de vie qui reluisait dans sa personne, et qui, malgré la politique du monde, est le caractère de distinction qui l’a élevé au-dessus de tous les rois de la terre. J'ai donc droit de dire de lui, prenant la chose dans le second sens de la proposition que j'ai avancée, qu'il a été magnifique dans la sainteté : Magnificus in sanctitate. Encore un moment de votre attention.

Saint Louis, par une alliance rare, et qui ne convient qu'aux héros, a été tout à la fois un roi guerrier et un roi pacifique ; et comme tel

 

1 Tim., IV, 8. — 2 Ibid.

 

il a encore paru entre les forts, semblable à celui qui s'appelle dans l'Ecriture, tantôt le Dieu de la paix, et tantôt le Dieu des armées : Quis similis tui in fortitutibus, Domine ? Mais parce que saint Louis était un héros chrétien et formé sur le modèle de Dieu, il n'a été guerrier et pacifique qu'en saint et en homme de Dieu : c'est-à-dire, il n'a point aimé la paix pour vivre dans l'oisiveté et dans la mollesse ; et il n'a point fait la guerre pour chercher une fausse gloire, ni pour satisfaire une inquiète et vaine ambition. Il a fait la guerre pour réprimer la rébellion et pour pacifier ses états, et il a entretenu la paix dans ses états pour aller déclarer la guerre aux ennemis de Dieu. Or, par là, dans l'un et dans l'autre, il s'est acquis la réputation du plus grand roi de la chrétienté. En effet, quand je lis dans nos annales ces mémorables expéditions de saint Louis contre les princes infidèles, et ces exploits de guerre dans l'Orient, si approchants du miracle; quand je me représente ce monarque à la tête de l'armée française, forçant le port de Damiette, faisant sur un rivage ennemi la plus hardie descente qui fut jamais, et à la vue de vingt mille combattants qui s'y opposaient, se rendant, malgré toute leur résistance, maître de la place ; quand je me l'imagine aux prises 'avec les Turcs et avec les Sarrasins, dans ces trois fameuses batailles qu'il leur livra, et où, comme parle un de nos historiens, il faisait tout ensemble la fonction de soldat, de capitaine et de général, inspirant aux siens par sa présence toute l'ardeur de son courage, se dégageant lui seul d'un gros d'ennemis qui le tenaient enveloppé, et sortant de là victorieux, sans autre secours que celui de sa propre valeur : quand je compare tout cela avec ce qu'on nous vante des siècles profanes, je ne crains point d'exagérer, en disant que ni la Grèce, ni l'ancienne Rome n'ont jamais rien produit de plus héroïque. Mais quand je viens d'ailleurs à penser que ce qui rendait ce grand roi si intrépide, si fier, si invincible, c'était le zèle de la cause de Dieu pour laquelle il combattait, et l'intérêt delà vraie religion qu'il défendait ; ah ! Chrétiens, je conclus qu'il n'est donc pas vrai que la sainteté affaiblisse le courage des hommes, et je conçois au contraire que le vrai courage et celui des parfaits héros ne peut être inspiré aux hommes que par la vraie sainteté.

Je sais que saint Louis, au milieu de ses glorieux succès, a eu des disgrâces et des adversités à essuyer, puisqu'il fut fait prisonnier dans le premier de ses voyages, et qu'il

 

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mourut dans le second. Mais c'est justement dans ses adversités et ses disgrâces qu'il me paraît encore plus  grand  et  plus supérieur à lui-même. Car je ne m'étonne pas que, malgré les prodiges de sa valeur, un prince aussi généreux que lui soit tombé, dans la chaleur du combat, entre les mains de ses ennemis : c'a été le  sort des plus grands  capitaines.  Mais qu'ayant été pris dans le combat, il eût soutenu sa captivité aussi dignement et aussi héroïquement qu'il la soutint; mais que dans sa prison, ces infidèles mêmes l'aient honoré jusqu'à vouloir se soumettre à lui, et jusqu'à vouloir le choisir pour leur souverain; mais qu'en recouvrant sa liberté, il ait recouvré en même temps toute sa puissance, comme nous l'apprenons de son histoire; mais qu'avant de quitter la Terre-Sainte il ait rétabli et mis en état de défense toutes les places qu'il y avait conquises; mais qu'au lit même de la mort, il ait obligé le roi de Tunis à acheter la paix à des conditions aussi glorieuses pour la France qu'elles lui étaient avantageuses et utiles, c'est ce qui pourrait vous surprendre aussi bien que moi, si je n'ajoutais que ce furent là les merveilleux effets de la piété de saint Louis et de son éminente vertu : car, ce que je vous prie de bien remarquer, si les Sarrasins délibérèrent, tout prisonnier qu'il était, d'en faire leur roi, ce ne fut, dit Joinville, que parce qu'en traitant avec lui, ils ne purent se défendre d'avoir pour lui une vénération secrète ; que parce qu'en l'observant de près, il leur parut un homme divin ; que parce qu'ils se sentirent touchés, ou, pour mieux dire, charmés de la sainteté de sa vie. Voulez-vous encore bien connaître quelle impression son édifiante et magnanime sainteté fit dans les esprits et dans les cœurs de ces barbares? écoutez-le parler dans les conférences qu'il eut avec eux : il est en leur puissance, et il s'explique devant eux avec autant de liberté que s'il était leur maître. Ils le tiennent captif, et c'est lui qui leur fait la loi; ils lui demandent sa rançon, et il leur répond qu'il n'y a point de rançon pour les rois; qu'il ne refuse pas de payer celle de ses soldats, mais que sa personne sacrée ne doit être mise à nul prix. Le sultan est frappé de cette  grandeur d'âme, et en passe par où il veut. Avant que de l'élargir, on demande qu'il s'oblige, par un serment solennel, à renoncer à sa religion, s'il manque à sa parole ; et il déclare qu'un roi chrétien ne connaît point d'autre serment que sa parole même, et qu'il ne sait ce que c'est que de mettre sa religion en compromis, sous quelque condition que ce puisse être. Sur cela sa parole seule est acceptée. On lui rapporte, avec effroi, que les propres sujets du sultan viennent de l'assassiner, et que dans une pareille conjoncture tout est à craindre pour lui ; mais il demeure ferme et intrépide. Celui des conjurés qui a fait le coup, lui demande une récompense pour l'avoir délivré de son ennemi ; mais Louis, imitant la piété de David, et sans se mettre en peine du danger où il s'expose, reproche à ce parricide sa perfidie. Or, il n'y avait que la sainteté qui pût le soutenir de la sorte, et lui inspirer ces sentiments d'une droiture et d'une générosité toute royale. D'autres auraient au moins dissimulé : mais lui, jusque dans ses fers, il est libre; et l'esprit de Dieu, qui le possède, l'élève au-dessus de toutes les considérations et de tous les ménagements humains.

Un roi si grand dans l'adversité ne devait pas moins l'être dans la prospérité : aussi, selon le rapport des auteurs contemporains, n'était-il rien de plus magnifique et de plus auguste que la cour de saint Louis; rien de plus pompeux que l'appareil où il se faisait voir aux jours de cérémonie. Ne surpassait-il pas en cela tous les rois ses prédécesseurs, parce qu'il se croyait obligé de représenter en ces occasions la majesté royale dans tout son lustre, et de paraître aux yeux de son peuple comme la vive image de Dieu? Jamais, depuis l'établissement de la monarchie, la France n'avait été si florissante, si abondante, si opulente ; jamais on n'y avait vu les sciences aussi bien cultivées, les lois aussi bien observées, la justice aussi bien rendue, les charges exercées aussi dignement et avec autant d'honneur, le commerce établi aussi sûrement et avec autant de tranquillité. En un mot, jamais le nom français ne s'était trouvé dans un si haut crédit : et d'où venait cela? de la piété de saint Louis, qui, comme roi, se faisait une religion d'appuyer et d'autoriser tout ce qui contribuait à la félicité de son peuple ; persuadé qu'il n'était roi que pour rendre son peuple heureux : c'est cela même qui le rendit si grand dans la conduite et le gouvernement de ses états; jaloux d'y maintenir le bon ordre, il sut se faire obéir, se faire craindre et se faire aimer. Vous savez de quelle manière il ramena les princes ses vassaux aux devoirs de la soumission qui lui était due. Le comte de la Marche avait osé en secouer le joug : vous savez son malheureux sort, et comme il apprit à ses dépens, dans la journée de Taillebourg, quelle était la force de

 

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saint Louis et ce qu'il pouvait. Le duc de Bretagne se fit le chef d'une autre ligue; vous savez ce qu'il lui en coûta, et combien lui fut inutile la jonction de l'Anglais et sa protection contre la justice de saint Louis. La cour de Rome, par des entreprises nouvelles, voulut donner quelque atteinte aux droits de sa couronne : vous savez avec quelle vigueur saint Louis agit pour les défendre; nous en avons dans son histoire des preuves authentiques : mais, du reste, comment les défendait-il? avec un merveilleux tempérament d'autorité et de piété, c'est-à-dire qu'il soutenait les droits de sa couronne en roi et en fils aîné de l'Eglise : en roi, avec autorité, et en fils aîné de l'Eglise, avec un esprit de religion et de piété; montrant bien qu'en qualité de roi il ne reconnaissait point de supérieur sur la terre, et ne voulait dépendre que de Dieu seul, quoiqu'en qualité de fils aîné de l'Eglise il fût toujours prêt à écouter l'Eglise comme sa mère, et à l'honorer. Jamais roi n'eut des sujets plus souples, ni ne fut mieux obéi : pourquoi? parce que jamais roi n'eut dans un plus haut degré toutes les vertus qui font respecter et estimer les souverains, et qui leur gagnent les cœurs des peuples.

Aussi dans quelle estime était-il, non-seulement parmi ses sujets, mais chez les étrangers ! c'était dans le monde chrétien le pacificateur et le médiateur de tous les différends qui naissaient entre les tôles couronnées : honneur, selon la règle de saint Paul, qu'il ne s'attribuait pas et qu'il ne cherchait pas, mais qui lui était déféré par un libre consentement de tous les princes ses voisins : et sur quoi ce consentement était-il fondé? sur l'opinion qu'ils avaient de sa probité, de son équité, de son incorruptible intégrité; en sorte qu'ils avaient tous recours à lui, comme à un arbitre suprême, dont les jugements étaient pour eux autant d'oracles et d'arrêts définitifs. En effet, le pape et l'empereur Frédéric ont-ils sur leurs droits réciproques des contestations qui les divisent; saint Louis est choisi par l'un et par l'autre, pour en être le juge. Henri, roi d'Angleterre, est-il malcontent de ses sujets, et sur le point de leur faire sentir son indignation et sa vengeance? saint Louis l'apaise; et par ses bons offices, il arrête la guerre civile dont l'Angleterre était menacée. Le duc de Bretagne et le roi de Navarre vivent-ils dans une inimitié mortelle; saint Louis, par un mariage, les réconcilie : un autre que lui, bien loin d'entrer dans ces querelles pour les terminer, les eût fomentées pour en profiter, et c'est ce que lui suggéraient les ministres de son conseil ; mais ce grand roi avait au dedans de lui-même un conseil secret, et ce conseil était sa conscience, qu'il consultait en toutes choses, ou plutôt à laquelle il rapportait tous les autres conseils : conseil d'état, conseil de guerre, conseil de finances, il écoutait tout cela; mais de tout cela il en appelait à ce conseil intérieur où il délibérait seul avec Dieu, et où seul avec Dieu il décidait. Non, non, Seigneur, disait-il, qu'il ne m'arrive jamais de me faire une politique essentiellement opposée à votre Evangile : vous avez dit que bienheureux étaient les pacifiques; malheur à moi, si, renonçant à cette béatitude, je m'employais à souffler le feu de la division et de la guerre ! Peut-être, dans l'idée des enfants du siècle, en serais-je plus fort; mais je ne veux point, ô mon Dieu, d'autre force que celle qui est selon toute la droiture de votre loi ; et peu m'importe que ma conduite soit au gré des sages du monde, pourvu qu'en qualité de pacifique, je sois au nombre de vos enfants. Voilà comment parlait saint Louis; et, dans ce langage, il y avait un fonds de grandeur que le monde même était forcé de reconnaître : mais il ne se contentait pas de parler ainsi ; ce qu'il disait, il le pratiquait. Le pape Grégoire IX lui offre, pour son frère le comte d'Artois, la couronne impériale, après avoir excommunié Frédéric; saint Louis, insensible à son intérêt, mais encore plus incapable de faire servir son intérêt à la passion d'autrui, refuse sans balancer l'offre qui lui est faite; et quoiqu'il eût contre Frédéric de légitimes sujets de plainte, il ne veut ni consentir à sa dégradation, ni avoir part à sa dépouille : il répond au pape qu'il suffit au comte d'Artois d'être son frère et prince de son sang ; que ce seul avantage, joint aux prétentions que lui donne son mérite et sa naissance, valent mieux pour lui que l'empire, dans les circonstances où l'empire lui est présenté; et cette réponse, aussi solide que désintéressée, remplit d'admiration toute l'Europe. L'empereur et le pape même en conçoivent pour saint Louis un profond respect; et désormais saint Louis passe pour l'exemple et le modèle des princes généreux: à quoi est-il redevable de cette gloire? à sa sainteté.

En faut-il davantage, mes chers auditeurs, pour nous détromper aujourd'hui de cette damnable erreur des libertins et des mondains, qu'en s'assujettissant aux règles de la sainteté évangélique, on ne peut jamais réussir

 

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dans le monde? Ah! Seigneur, quand cette maxime serait aussi vraie qu'elle est fausse et insoutenable, je ne devrais pas pour cela balancer sur le parti que j'aurais à prendre. Supposé même ce principe, je devrais, sans hésiter, renoncer d'esprit et de cœur à tous les avantages, à tous les succès, à toutes les fortunes du monde. Je dis plus : je devrais compter pour rien tout ce qui s'appelle prudence du monde, sagesse du monde, et même perfection selon le monde, pour m'attacher à la sainteté, qui est le véritable caractère de vos élus. Dans l'impuissance où je serais d'accorder l'un et l'autre ensemble, cette sainteté seule devrait me suffire; et, content de la posséder, je devrais être prêt à fouler aux pieds tout le reste, pour pouvoir dire comme le Sage : Et divitias nihil esse duxi in comparatione illius (1). Mais votre providence, ô mon Dieu, ne nous réduit pas à cette nécessité, et vous n'avez pas mis notre vertu à une si forte épreuve. Ce qui nous rend inexcusables devant vous, c'est qu'au contraire il est certain qu'en nous éloignant des voies de la sainteté, nous nous éloignons de ce qui peut uniquement nous rendre, même selon le monde, solidement parfaits, et dignes de l'estime et de l'approbation des hommes ; c'est qu'en abandonnant la sainteté, nous devenons, dans l'opinion même du monde, des hommes vains, des hommes frivoles, des hommes trompeurs et pleins d'injustice. Il n'y a en effet que la sainteté qui puisse nous donner une solide perfection. Otez la sainteté chrétienne, il n'y a dans le monde qu'apparence de vertu, que dissimulation, que mensonge, qu'illusion et hypocrisie. Que faut-il donc faire pour arriver à cette perfection solide, dans les conditions où nous nous trouvons engagés? Retenez bien ceci, Chrétiens, et que cette instruction soit pour jamais la règle de votre conduite. C'est qu'il faut une bonne fois nous résoudre à imiter l'exemple de saint Louis, et à sanctifier comme lui notre condition par l'esprit de notre religion. Je m'explique. La sainteté a fait de saint Louis un grand roi ; cette même sainteté, dans les divers états de vie que vous savez embrassés fera de vous des hommes sans tache et sans reproche, des hommes au-dessus de toute censure, des hommes d'une réputation que le libertinage respectera. Vous avez dans le monde des emplois à exercer : ayez comme saint Louis de la religion, vous les exercerez avec honneur. Vous avez des affaires à régler, des intérêts à ménager, des différends

 

1 Sap., VII, 8.

 

à terminer : faites tout cela comme saint Louis dans l'esprit d'une exacte religion, Dieu y donnera sa bénédiction. Par là vous vous attirerez non-seulement l'estime, mais la confiance de ceux avec qui Dieu vous a liés. Sans cela, quelque talent que vous ayez d'ailleurs selon le monde, jamais le monde ne fera fond sur vous, ni ne se confiera en vous. Cette morale convient à tous; mais c'est particulièrement à vous, âmes chrétiennes, que je prétends aujourd'hui l'appliquer; à vous que la Providence a choisies pour être élevées dans cette sainte maison (Saint-Cyr) ; à vous que je puis bien appeler les élues de votre sexe, puisque Dieu, par sa miséricorde, vous a prédestinées entre mille autres pour être admises dans ce séjour de la vertu ; c'est à vous, dis-je, que je parle : c'est pour vous que Dieu a excité la piété du plus grand monarque du monde; pour vous que le successeur de saint Louis, et l'héritier de son zèle aussi bien que de sa couronne, a formé l'important dessein de votre établissement; pour vous qu'il a entrepris ce grand ouvrage, qui sera un monument éternel de sa religion, autant que de sa magnificence et de sa gloire. La piété de saint Louis semblait avoir pourvu à tout le reste : le soin de pourvoir à vos personnes était réservé à Louis le Grand. La France était pleine de maisons de charité que saint Louis avait érigées pour cent autres besoins : mais ses vues n'avaient point été à en fonder une où la jeune noblesse de votre sexe trouvât un favorable asile ; et vous le trouvez ici. C'est pour l'accomplissement de cette œuvre inspirée du ciel, que Dieu vous a suscité une seconde mère, à qui vous êtes encore plus redevables qu'à celles dont vous avez reçu la vie ; une mère selon l'esprit, dont la vue pleine de sagesse a été de vous procurer une éducation digne de votre naissance, dont l'attention et le premier soin est de vous former à tout ce qu'il y a dans le christianisme de plus parfait et de plus pur, dont toute la joie est de voir chaque jour en vous les merveilleux fruits d'une si salutaire institution. C'est à vous, encore une fois, que j'ai prétendu faire une application particulière de ce discours, qui se réduit enfin à bien comprendre que vous ne réussirez jamais dans nulle condition du monde, si vous n'y agissez et ne vous y comportez selon les maximes de la piété chrétienne ; que, quelque parti que vous preniez, et à quelque vocation que Dieu vous destine, vous n'y serez jamais ce que vous y devez être, si vous ne travaillez solidement à vous

 

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sanctifier : voilà en quoi consiste la science des saints, et voilà en quoi doit consister toute la vôtre.

Grand roi, dont nous honorons aujourd'hui l’éminente et magnifique sainteté ; grand saint, dont les vertus et les mérites relèvent si hautement la souveraineté et la majesté, faites, par votre puissante intercession auprès de Dieu, que toutes les personnes qui m'écoutent soient persuadées et touchées des vérités importantes que je viens de leur annoncer. Regardez-nous du haut du ciel, ô saint monarque! et dans cette félicité éternelle que vous possédez, soyez sensible à nos misères : tout indignes que nous sommes de votre secours, ne nous le refusez pas. Jetez les yeux sur cette maison qui vous est dévouée, sur ces vierges qui sont vos filles, et qui, rassemblées dans ce saint lieu, vous invoquent comme leur père. Regardez d'un œil favorable ce royaume que vous avez si sagement gouverné et si tendrement aimé. Si, par la corruption des vices qui s'y sont introduits depuis votre règne, la face vous en paraît défigurée, que cela même soit un motif pour vous intéresser, comme son roi, à le renouveler : si vous y voyez des scandales, aidez-nous à les retrancher. Etendez surtout votre protection sur notre auguste monarque. C'est votre fils, c'est le chef de votre maison, c'est l'imitateur de vos vertus, c'est la vive image de vos héroïques et royales qualités ; car il a comme vous le zèle de Dieu, il est comme vous le protecteur de la vraie religion, le restaurateur des autels, l'exterminateur de l'hérésie. Que n'a-t-il pas fait pour mériter tous ces titres? avec quelle force n'a-t-il pas combattu les ennemis de la foi, et avec quel succès ne les a-t-il pas vaincus? Obtenez-lui les grâces et les lumières dont il a besoin pour achever les grands desseins que Dieu lui inspire; que cet esprit de sainteté qui vous a dirigé dans toutes vos voies, vienne reposer sur lui; qu'il nous anime nous-mêmes, et qu'il nous conduise tous à l'éternité bienheureuse, etc.

 

 

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