COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES II

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EXHORTATION SUR LE RENOUVELLEMENT DES VOEUX DE RELIGION.

ANALYSE.

 

Sujet. Renouvelez-vous en esprit.

 

C’est Jésus-Christ même qui nous parle par la bouche de son apôtre, et qui nous demande un parfait renouvellement d'esprit et de coeur.

 

Division. Quatre choses à considérer, savoir : comment le renouvellement des vœux honore Dieu; comment il nous sanctifie nous-mêmes; comment Jésus-Christ surtout, présent aux yeux des personnes qui le font, a spécialement droit de l'exiger d'elles ; et comment enfin elles n'ont jamais été mieux disposées à le faire dignement.

I.  Le renouvellement des vœux honore Dieu. Car renouveler ses vœux, c'est ratifier le premier sacrifice qu'on a fait de soi-même à Dieu, et donner à connaître combien le joug du Seigneur est doux; combien Dieu est un bon maître, un maître fidèle dans ses promesses et magnifique dans ses récompenses, un maître digne de nos services, puisqu'après une longue épreuve on veut bien tout de nouveau se dévouer à lui.

II.   Le renouvellement des vœux nous sanctifie nous-mêmes. En effet, de la manière dont il le pratique, il entretient dans les esprits et dans les cœurs un souvenir salutaire des obligations qu'on a contractées devant Dieu. Or, ce souvenir est le plus excellent moyen pour se maintenir toujours dans une sainte ferveur.

III.   Jésus-Christ, présent à ce renouvellement des vœux, a un droit spécial de l'exiger des personnes qui le font. C'est devant le sacrement de nos autels que se passe cette cérémonie. C'est donc en présence de Jésus-Christ sacrifié pour nous. Or, en cet état, n'a-t-il pas droit d'exiger de nous sacrifice pour sacrifice?

IV.  Jamais les personnes qui font ce renouvellement de leurs vœux ne furent mieux disposées à le faire d'une manière digne de Dieu. Elles s'y sont préparées par la retraite, par la revue de leurs fautes, par des œuvres de pénitence; elles y sont encore animées par la solennité de la cérémonie et par les exemples les unes des autres.

 

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Renovamini spiritu mentis vestrœ.

Renouvelez-vous en esprit. (Aux Ephésiens, chap. IV, 23.)

 

Ce n'est pas moi qui vous le dis, mes chères Sœurs, c'est Jésus-Christ lui-même (1), c'est votre Dieu que je vous présente, et qui se présente à vous pour honorer en personne la sainte et édifiante cérémonie du renouvellement de vos vœux. C'est lui qui, spectateur aussi bien que juge et rémunérateur fidèle de l'action que vous allez faire, vous dit à toutes en général et à chacune en particulier : Renouvelez-vous en esprit et de cœur. Ne vous contentez pas d'accomplir en apparence ce qui vous est ordonné, et ce que vous avez coutume de pratiquer dans ce saint jour : accomplissez-le en effet ; et par l'impression de ferveur que ce renouvellement produira en vous , rendez-le aussi solide et aussi complet qu'il le doit être : Renovamini spiritu mentis vestrœ. C'est, dis-je, Jésus-Christ qui vous parle; c'est le Dieu que vous adorez, c'est l'unique époux à qui , en qualité de vierges, vous êtes dévouées. Ecoutez-le non-seulement avec respect et comme ses humbles servantes, prêtes à lui obéir, mais avec un zèle affectueux, et comme ses chastes épouses, touchées du désir de lui plaire.

Car il s'agit de sa gloire, aussi bien que du plus essentiel de vos intérêts ; et prenez garde à quatre pensées, où je réduis tout le fond de cette courte exhortation. Je vous ferai voir comment et combien le renouvellement de vos vœux honore Dieu ; comment il vous sanctifie vous-mêmes, et à quel degré de perfection il vous élève; comment Jésus-Christ, présent à vos yeux, a spécialement droit dans cet état de l'exiger de vous, et comment enfin vous n'avez jamais été mieux disposées à le faire d'une manière digne de lui. Pensées infiniment propres à vous inspirer aujourd'hui une dévotion aussi fervente que solide. Méditez-les ; elles achèveront de vous mettre dans toute la préparation nécessaire pour l'important devoir dont vous avez à vous acquitter.

I. N'en doutez point, mes chères Sœurs, ce renouvellement de vos vœux honore Dieu : comment cela ? parce qu'en renouvelant vos vœux, vous allez ratifier le sacrifice que vous avez fait à Dieu de vos personnes, en entrant dans la religion. Vous allez lui témoigner que vous ne vous repentez point de vous être données à lui, que vous ne vous lassez point de le servir : au contraire, que plus vous éprouvez

 

1 Le Père Bourdaloue, selon la coutume de la communauté où il parlait, prononça cette exhortation le Saint-Sacrement à la main.

 

son joug, plus il vous paraît aimable; que vous ne le trouvez ni dur, ni pesant ; que la suite des années ne sert qu'à vous l'adoucir et à vous le faire porter avec plus de joie ; que, bien loin de vouloir le rejeter, vous seriez encore disposées à le prendre tout de nouveau, et à vous en charger ; que bien loin de vous en plaindre, vous le regardez en cette vie comme votre bonheur ; que toute votre gloire enfin, dans le saint état que vous avez embrassé, est de pouvoir dire comme le grand Apôtre : Ego vinctus in Domino (1); Je suis dans les liens, mais j'y suis en Jésus-Christ, pour Jésus-Christ, avec Jésus-Christ. Car voilà ce qui est renfermé dans cette protestation publique et solennelle, que vous venez ici renouveler en sa présence. D'où il vous est aisé de conclure combien elle lui doit être glorieuse.

En effet, c'est par là que vous justifiez pleinement ce qu'il a dit dans son Evangile, que son joug est doux, et que son fardeau est léger : Jugum meum suave est, et onus meum leve (2) ; parla que vous lui servez dans le monde d'une preuve sensible, que c'est un Dieu sage et infaillible dans toutes ses paroles, puisque la parole de son Evangile la plus incroyable, selon les apparences, se vérifie parfaitement en vous : Jugum meum suave est. Car il n'y a point de servitude qui ne devienne, du moins avec le temps, onéreuse et fatigante : il n'y a que celle de Jésus-Christ qui soit toujours également agréable, où l'on trouve toujours le même goût, dont on ressente toujours la douceur; et n'est-ce pas ce que vous donnez hautement à entendre, en vous y engageant plus que jamais, et serrant encore, pour ainsi dire, les nœuds qui vous y attachent?

C'est par là que vous fait es connaître combien Dieu est un bon maître, et qu'il est même de tous les maîtres le meilleur et le plus digne d'être servi. Or est-il rien pour lui de plus glorieux que d'être reconnu tel? Est-il rien pour lui de plus honorable que de voir des âmes qui renoncent sans cesse à elles-mêmes, afin de se consacrer tout entières à lui ; qui se fassent une béatitude d'être à lui et de n'être qu'à lui ; de ne vivre que pour lui, de ne dépendre que de lui ? On sait assez combien à l'égard des hommes il est naturel de haïr la dépendance et de la fuir. Quels moyens n'imagine-t-on pas pour cela? de quelles violences n'use-t-on pas? à quelles révoltes et à quels excès n'en vient-on pas? Mais cette dépendance, si odieuse et si peu supportable par rapport aux hommes, vous est

 

1 Ephes., IV, 1. — 2 Matth., XI, 30.

 

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plus chère, à l'égard de votre Dieu, que toute la liberté où vous étiez nées, et dont vous auriez pu jouir dans le monde. Vous ne croyez pas devoir être jamais plus libres que lorsque vous serez plus étroitement liées à ses ordres, et plus constamment dévouées à son souverain empire.

C'est par là que vous reconnaissez combien il est Adèle dans ses promesses et magnifique dans ses récompenses ; que ce centuple qu'il a promis à ceux qui le suivent, n'est point un bien imaginaire, puisque déjà vous le possédez ; que ce n'est point un bien de peu de valeur et incapable de vous contenter, puisque des maintenant vous y trouvez votre félicité; que dans l'attente des biens éternels où vous aspira, et qu'il vous destine, vous vous estimez dès à présent heureuses, et abondamment dédommagées de tout ce que vous avez quitté, et que vous ne voyez rien ta quoi vous ne préfériez le saint engagement que vous avez contrat le a\ee lui. Engagement qui vous tient lieu de toutes choses, et que vous mettez en ce momie au dessus de toutes choses. Engagement qui vous détache de toutes les grandeurs, de tous les établissements, de toutes les fortunes du siècle. Engagement au prix duquel vous ne considérez, aussi bien que le maître des Gentils, et selon son expression, tous les trésors de la terre que comme de la boue, et en vertu duquel vous n'enviez rien aux mondains de toutes leurs prospérités ni de tous leurs plaisirs. Engagement donc qui, dès cette vie, est pour vous le vrai centuple, et où vous fixez toutes vos prétentions. Or quel honneur doit revenir à Dieu de cette préférence que vous lui marques, et du temps même où vous la lui marquez?

Je dis du temps où vous la lui marquez, et observes bien ceci, mes chères Sœurs. Quand, pour la première fois, vous fîtes la profession de vos voeux, vous n'étiez pas encore en état de rendre à Dieu de si glorieux témoignages, parce que vous n'aviez presque nulle expérience de la vie religieuse. Vous suiviez la voix de Dieu qui vous appelait ; vous vous abandonniez a lui avec une foi pleine de mérite, avec une confiance généreuse, avec un amour ardent; mais après tout, vous ne pouviez encore, ni vous répondre à vous-mêmes, ni servir aux autres de témoins des avantages inestimables de la religion , et des miséricordes infinies du Seigneur qui vous y appelait. On vous en faisait des peintures qui vous touchaient; on vous en disait des choses dont vous étiez édifiées, dont vous étiez pénétrées, dont vous étiez charmées. Tout cela était vrai, et vous vous en laissiez aisément persuader : Gloriosa dicta sunt de te, civitas Dei (1). Mais aujourd'hui que vous renouvelez la cérémonie de votre première consécration, vous n'y êtes plus attirées par ce qu'on vous dit, mais par ce que vous avez vu, par ce que vous avez connu, par ce que vous avez vous-mêmes éprouvé et senti : Nunc cognovi (2). Ah ! Seigneur, ceux qui nous parlaient en votre nom ne nous ont point trompées, et vous ne nous avez point trompées vous-même. On ne nous a rien fait espérer que nous n'ayons trouvé , et l'effet répond pleinement à notre attente. Oui, mon Dieu, le plus doux repos d'une came est en vous; son bonheur le plus solide est de s'attacher à vous. Or, il faut, pour votre gloire, que le monde en soit instruit; et c'est pour cela qu'à la vue du monde nous venons ici le publier. On peut bien nous en croire, Seigneur, puisque nous ne nous en expliquons qu'avec la plus parfaite connaissance; et notre témoignage aura d'autant plus d'efficace, qu'il est fondé sur une expérience personnelle. Puissions-nous engager ainsi le monde à vous bénir comme nous, et puisse-t-il apprendre de nous à vous connaître et à vous glorifier!

II. Ce n'est pas là, mes chères Sœurs, le seul avantage du renouvellement de vos vœux ; et s'il honore Dieu, il n'est pas moins propre ni ne contribue pas moins à vous sanctifier. En voici la preuve : c'est que par ce renouvellement, de la manière que vous le pratiquez, vous entretenez dans vous le salutaire et précieux souvenir de vos obligations. Au lieu que les chrétiens du siècle, dissipés et emportés par le torrent du monde, vivent dans un profond oubli de ce qu'ils doivent à Dieu comme chrétiens; au lieu qu'ils n'y pensent que très-rarement et que très-superficiellement, votre occupation continuelle, surtout aux approches de ce saint jour, est de rappeler dans vos esprits ce que vous devez à votre Dieu comme religieuses, de le repasser, de l'étudier, de le considérer, de vous en rafraîchir la mémoire, afin d'en remplir vos cœurs et de les y affectionner. Ainsi, dans le renouvellement de vos vœux, vous gardez à la lettre ce que Dieu, dans l'ancienne loi, recommandait si expressément aux Israélites, lorsque, après les avoir fait passer à la terre de promission, il leur disait, parla bouche de Moïse : Memento, Israël, et ne obliviscaris (3). Souvenez-vous-en,  ô Israël, et ne

 

1 Psalm., LXXXVI, 3.— 2 Exod., XVIII, 11.— 3 Deut., IX, 7.

 

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l'oubliez jamais. Souvenez-vous que je vous ai choisi, parce que je veux être votre Dieu, et parce que je veux que vous soyez mon peuple, et mon peuple particulier. Or c'est vous, mes chères Sœurs, qui accomplissez aujourd'hui cette figure, et qui allez dire à Dieu : Oui, Seigneur, je m'en souviens, et malheur à moi si, dans le cours de ma vie, je venais à l'oublier ! Car j'ai encore plus d'intérêt que David, et plus de sujet de m'écrier : Si oblitus fuero tut, oblivioni detur dextera mea ; adhœreat lingua mea faucibus meis, si non meminero tui (1) ; Si je vous oublie jamais, ô mon Dieu, que ma main droite s'oublie elle-même , que ma langue demeure attachée à mon palais, si je ne me souviens pas toujours du choix que vous avez fait de moi, et du choix que j'ai fait de vous. Mais tandis, Seigneur, que je renouvellerai ce sacrifice de la profession de mes vœux, je m'en souviendrai, et je ne l'oublierai pas, puisque c'en est pour moi comme un monument sensible et perpétuel.

Or ce souvenir, mes chères Sœurs, conservé de la sorte, et renouvelé, est le plus excellent moyen, le plus puissant et le plus sûr, pour ne pas tomber dans le désordre et le relâchement d'une vie tiède et languissante. Souvenez-vous, disait le Sage, de votre dernière heure, et vous ne pécherez plus. Mais moi, je me dis à moi-même, aussi bien qu'à vous : Souvenons-nous des promesses que nous avons faites à Dieu, et nous lui serons éternellement fidèles. Souvenons-nous-en dans toutes nos actions, et toutes nos actions seront parfaites. Souvenons-nous-en dans les occasions importantes où il s'agit de remplir les devoirs les plus pénibles de notre état, et nous les remplirons sans peine. Souvenons-nous-en dans les épreuves où Dieu de temps en temps nous expose, et ces épreuves ne serviront qu'à nous rendre encore plus fervents. Car avec un tel souvenir, comment pourrions-nous une fois nous relâcher dans l'observance de nos règles, dans l'amour de la pauvreté, dans le détachement de nous-mêmes, dans l'esprit de mortification, dans la pratique de la plus soumise et de la plus aveugle obéissance? J'en appelle à vous-mêmes, mes chères Sœurs, et à vos connaissances particulières. Ce souvenir, retracé et fortement imprimé dans vos âmes par le renouvellement de vos vœux, ne vous a-t-il pas cent fois relevées après certaines chutes presque inévitables? et ne vous a-t-il pas fait, si je puis parler ainsi, redoubler le pas pour vous avancer dans les voies de la sainteté?

 

1 Psal., CXXXVI, 5, 6.

 

Vous n'avez donc qu'à profiter d'un souvenir si utile, et de la religieuse cérémonie qui vous l'inspire, pour être assurées de conserver l'esprit de régularité et de piété. Ces deux paroles: J'ai choisi le Seigneur et le Seigneur m'a choisie, vous soutiendront et vous fortifieront. Avec cela, il n'y aura point de difficultés que vous ne surmontiez, point de tentation à quoi vous ne résistiez, point de chagrins ni de dégoûts au-dessus desquels vous ne vous éleviez. J'ai choisi le Seigneur, et le Seigneur, en acceptant mes vœux, a mis le sceau au choix que j'ai fait de lui; le Seigneur m'a choisie, et, par un libre consentement, j'ai agréé le choix qu'il a fait de moi : voilà, dis-je, ce qui vous fera goûter tout le bonheur de votre état, et travailler avec une constance infatigable à en acquérir toute la perfection.

Oui, mes chères Sœurs, par le renouvellement de vos vœux, vous vous affermirez de plus en plus dans la volonté de satisfaire à tout ce qu'ils vous imposent, et que vous vous êtes imposé vous-mêmes; c'est-à-dire dans la volonté et l'inviolable résolution de vous dépouiller de tout ce qui pourrait avoir quelque apparence de propriété ; de crucifier votre chair, qui ne peut être sans cela l'hostie vivante du Seigneur; d'être sans exception et sans réserve obéissantes jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la croix : Usque ad mortem, mortem autem crucis (1). Par le renouvellement de vos vœux, vous vous maintiendrez dans la disposition la plus sainte où puissent être sur la terre des créatures mortelles, puisque, sans vous comparer avec l'Apôtre, vous pourrez dire comme lui : Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ? ce ne sont ni les richesses du siècle, ni ses plaisirs : Quis nos separabit a charitate Christi ? Par le renouvellement de vos vœux vous vous ferez dans la religion une heureuse habitude de persévérance; vous donnerez chaque fois à ces vœux mêmes un degré nouveau de stabilité; vous vous attacherez toujours plus étroitement à Dieu par ce triple lien dont il est dit : Funiculus triplex difficile rumpitur (3). Par le renouvellement de vos vœux, vous reprendrez des forces pour fournir toute la carrière où vous marchez ; et ce sera à votre égard comme le renouvellement de l'aigle, qui, selon le texte sacré, semble renaître et rajeunir. Quel redoublement de ferveur, quel feu, quelle émulation va-t-on apercevoir dans toute cette communauté ! quelle édification pour le public ! C'est la grâce visible que Dieu

 

1 Philip., II, 8. — 2 Rom., VIII, 35. — 3 Eccl., IV, 12.

 

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dans tous les temps, depuis votre institution , a répandue sur l'ordre de Sainte-Marie, et qu'il ne cessera point d'y répandre : Renovabitur ut aquilœ juventus tua (1).  Par le renouvellement de vos vœux, vous réparerez avec avantage jusqu'aux moindres brèches que l'ennemi peut avoir faites dans vos cœurs. Si le soin des commodités de la vie avait donné quelque atteinte à l'esprit de pauvreté; si le plus léger attachement à des objets créés avait terni tant soit peu l'éclat et le lustre d'une entière pureté; si l'abondance du propre sens, ou l'ennui de la dépendance, avait rendu le joug un peu plus incommode, et porté à quelque sentiment contre l'obéissance et son aveugle simplicité, vous allez tout régler et tout réformer, en réformant l'intérieur de vos âmes, tellement que vous sortirez de ce saint lieu comme des créatures toutes nouvelles en Jésus-Christ : In Christo nova creatura (2). Enfin par le renouvellement de   vos vœux, vous imiterez l'Eglise dans l'usage qu'elle observe de célébrer chaque année la dédicace  des  temples consacrés à Dieu: car vous êtes, mes chères Soeurs, les vrais temples du Saint-Esprit; et la solennité de ce jour est la fête particulière de la dédicace ou de la consécration de vos personnes. Or, vous voyez combien tout cela doit contribuer à votre sanctification.

III. Ce renouvellement, il est vrai, mes chères Sœurs, vous coûtera : mais Dieu , dans l'état où je vous le présente, n'a-t-il pas droit d'exiger et d'attendre tout de vous? Le voilà sacrifié pour vous; le voilà, non pas en ligure, mais véritablement et réellement immolé pour  vous : le voilà sous ces adorables espèces, qui renouvelle actuellement tout ce qu'il a fait pour vous sur la croix. Que vous demande-t-il? Sacrifice pour sacrifice, renouvellement pour renouvellement; c'est-à-dire qu'il vous invite a renouveler pour lui le sacrifice de vos vœux, connue il renouvelle ici pour vous le sacrifice de son humanité sainte. Jamais vous demanda-t-il rien de plus juste, et peut-il jamais vous rien demander qui lui soit de votre part plus légitimement dû?

Pour faire en esprit et en vérité ce renouvellement, il vous fallait un grand exemple qui vous animât, le voici : c'est Jésus-Christ, l'auteur et le consommateur de votre foi; c'est Jésus-Christ, l'époux de vos âmes et votre Sauveur. Il a les yeux actuellement attachés sur nous, et il est témoin des plus secrets sentiments de vos cœurs. Disons plutôt qu'il se

 

1 Psal., CII, 5. — 2 2 Cor., V, 17.

 

présente lui-même à vos yeux, et qu'il veut que je vous le montre dans l'état de victime où il s'est réduit sur son autel; dans cet état où il s'est offert, et où je viens moi-même de l'offrir en votre nom. Que vous dit-il, et qu'avez-vous à lui dire? Car il vous parle, mes chères Sœurs; et, sans les accents de la voix, par sa seule présence il se fait entendre. Il vous témoigne, dans le secret de la conscience, combien votre sacrifice lui est agréable ; mais en même temps il vous donne à juger s'il ne le mérite pas bien de vous. Vous lui dévouez vos personnes; et lui, il se livre tout entier à vous.  Ce qu'il reçoit de vous lui appartenait déjà par un droit inaliénable comme au souverain Etre ; et ce que vous recevez de lui, son corps, son sang, son âme, sa divinité, contenus dans cette hostie, ce sont de purs dons de son amour. Vous consentez pour lui, et vous vous engagez à demeurer jusqu'à la mort cachées dans la retraite et sous le voile; et lui pour vous il s'engage à se tenir, jusqu'à la consommation des siècles , renfermé dans son tabernacle, et enseveli dans la plus sombre obscurité. Vous vous faites pour lui pauvres et soumises, et lui, pour vous, il se dépouille en quelque sorte de tout l'éclat de sa majesté, il se revêt des plus viles apparences, il se soumet, si je l'ose dire, à ses ministres, à des hommes qu'il a formés de sa main. En quittant pour lui le monde, vous avez voulu vivre avec lui dans sa sainte maison, et auprès de lui ; vous le voulez encore : et lui, sortante cette heure même de son sanctuaire, il vient à vous, non-seulement pour vivre avec vous, mais dans vous. Ah ! mes chères Sœurs, je vous laisse porter vous-mêmes  cette comparaison aussi loin que vous pouvez l'étendre : que penserez-vous sur cela, et en  quels  termes vous expliquerez-vous? Compterez-vous pour beaucoup ce que vous rendez, voyant ce que vous avez tant de fois reçu et ce que vous allez recevoir? Je ne vous ai sacrifié qu'un monde, Seigneur, lui direz-vous chacune en particulier;  et de ce monde je ne vous ai sacrifié qu'une faible partie, où toutes mes espérances étaient bornées. Mais que n'ai-je, ô mon Dieu, tous les trésors et toutes les grandeurs du monde ! que n'ai-je mille mondes en mon pouvoir, non point pour m'y attacher, mais afin d'y renoncer, et de vous faire, par ce renoncement, un sacrifice plus digne de vous! Que dis-je? Seigneur, quoi que je fasse, je ne vous ferai jamais un sacrifice tel que vous le méritez; mais ce serait au moins un sacrifice tel

 

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que je le pourrais faire et que je le voudrais faire. Car, dans le fond, mon Dieu, je ne désire que vous, je n'aspire qu'à vous, je ne soupire qu'après vous; et si je souhaitais quelque chose hors de vous, ce n'est que pour avoir dans ce renouvellement de mes vœux une nouvelle offrande à vous présenter, et pour vous donner une preuve plus convaincante et plus éclatante que je ne veux rien que vous.

IV. Il n'est pas besoin, mes chères Sœurs, que vous présentiez rien à Dieu de nouveau. C'est assez que vous renouveliez dignement le sacrifice que vous lui avez déjà fait : or pouvez-vous être mieux disposées que vous ne l'êtes à ce saint renouvellement? Dernière pensée par où je finis, et qui doit être pour vous d'une grande consolation. Car si vous venez ici renouveler votre premier dévouement à Dieu , c'est après vous y être préparées par la retraite, où vous vous êtes éprouvées vous-mêmes , où Dieu vous a parlé au cœur , où-il vous a fait connaître ce qu'il voulait de vous , où vous avez pris avec lui toutes les mesures pour entrer dans une vie encore plus religieuse et plus exemplaire. Je ne vous dirai donc point ce que Samuel disait aux Israélites, quand il les exhortait à se mettre en état d'obéir au Seigneur, et de ne servir que lui seul : Prœparate corda vestra Domino, et servite illi soli (1) ; car il n'y en a pas une de vous qui ne soit déjà dans cette préparation , et qui ne puisse s'écrier comme David : Paratum cor meum, Dem; paratum cor meum (2). Mon cœur est prêt, Seigneur; mon cœur est prêt. Voilà à quoi vous vous êtes appliquées dans les exercices de la solitude. Mais je dis plus : Si vous venez ici renouveler votre premier dévouement à Dieu, c'est après vous être purifiées par une revue générale de toutes vos actions et de toute votre conduite, par une confession exacte, par une déclaration sincère et douloureuse des plus légères taules qui ont pu échapper à votre fragilité; et cela dans le dessein que vous avez eu de ne vous offrir à Jésus-Christ que comme des hosties pures et sans tache. Je ne vous dirai donc point ce que Dieu, dans le Lévitique, disait à son peuple : Sanctificamini, et estote sancti (3); Sanctifiez-vous, ne souffrez rien dans vos âmes qui en puisse flétrir la pureté. Car je vous trouve déjà toutes sanctifiées, et c'est à quoi vous avez pourvu par l'amertume de vos regrets, par l'abondance de vos larmes, par les austérités de la pénitence.

J'ajoute encore , mes chères Sœurs, que si

 

1 1 Reg , VII, 3. — 2 Psal., LVI, 8. — 3 Levit., XX, 7.

 

vous renouvelez ici votre premier dévouement à Dieu, ce n'est point en secret, mais dans une cérémonie publique et aussi solennelle qu'elle le peut être parmi vous ; mais à la face des autels du Dieu vivant, mais au milieu du plus redoutable mystère de notre religion. Or toutes ces circonstances ont je ne sais quoi d'auguste et de vénérable qui doit encore plus ranimer votre foi, recueillir vos esprits, toucher vos cœurs. Dans tous les autres jours de l'année, vous pouvez saintement et utilement renouveler vos vœux à Dieu, et par là vous renouveler vous-mêmes ; car la maxime du grand Apôtre est universelle, et n'a point de temps limité : Renovamini spiritu mentis vestrœ (1). Mais aujourd'hui, c'est le temps favorable et privilégié ; c'est le jour spécialement destiné à chercher le Seigneur et à le trouver : Ecce nunc tempus acceptabile, ecce nunc dies salutis (2). Vous voilà toutes assemblées et toutes réunies. L'exemple de l'une soutient l'autre, le zèle de l'une se communique à l'autre, la prière de l'une seconde la prière de l'autre : de tous les cœurs, il ne s'en fait qu'un ; et que ne peut point auprès de Dieu ce concours unanime d'une communauté si nombreuse et si religieuse?

Approchez donc, mes chères Sœurs, approchez du trône de la grâce de votre. Dieu : Adeamus ergo ad thronum gratiœ (3). Car voici le trône de sa grâce : c'est l'adorable Eucharistie, où lui-même, auteur de la grâce, et grâce substantielle et incarnée , réside personnellement. Approchez-en avec toute la confiance et tout l'amour qui conviennent à ses chastes épouses, puisqu'il n'est ici que pour se donner à vous, après que vous aurez renouvelé le sacrifice et l'hommage qu'il va recevoir de vous. Approchez, et vous serez éclairées, et vous serez de plus en plus sanctifiées. Ce Dieu de gloire vous remplira de ses lumières, et ce Saint des saints vous fera part de sa sainteté. Approchez, mais ne venez pas les mains vides : Vovete et reddite Deo vestro, omnes qui in circuitu ejus affertis munera (4). Offrez-lui vos vœux, vous toutes qui êtes autour de lui, et qui environnez son sanctuaire pour y apporter vos présents. Il n'en veut point d'autres que vous-mêmes. Présentez-vous à lui dans le même esprit que Marie, la reine des vierges, lorsqu'elle fit à Dieu la première oblation de sa personne. C'est votre mère : adressez-vous à cette mère si miséricordieuse

 

1 Ephes., IV, 23. — 2 2 Cor., VI, 2. — 3 Hebr., IV, 16. — 4 Psalm , LXXV, 2.

 

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et si tendre. Demandez-lui qu'elle vous présente elle-même, comme ses enfants et une des plus chères portions de son troupeau. Refusera-t-elle de s'employer en votre faveur? et par combien de titres est-elle engagée à vous accorder sa médiation? Son nom que vous portes, ce nom qui vous honore et que vous honorez, l'importance du sujet pour quoi vous la réclamerez, tout l'intéressera à vous écouter. Elle agira, elle parlera pour vous ; et selon le terme de l'Evangile, elle vous confessera hautement devant son Fils. Les trésors du ciel vous seront ouverts, et toute cette maison sera comblée des plus abondantes bénédictions. Ainsi soit-il.

 

 

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