EXHORTATION PRÊTRES

Précédente Accueil Remonter Suivante

Accueil
Remonter
AVERTISSEMENT
EXHORTATIONS CHARITÉ I
EXHORTATION CHARITÉ II
EXHORTATIONS CHARITÉ III
EXHORTATIONS CHARITÉ IV
EXHORTATIONS CHARITÉ V
EXHORTATIONS CHARITÉ VI
EXHORTATION CHARITÉ VII
COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES I
COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES II
COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES III
COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES IV
EXHORTATION PRÊTRES
EXHORTATIONS CARÊME I
EXHORTATIONS CARÊME II
EXHORTATIONS CAREME III
EXHORTATIONS CAREME IV
EXHORTATIONS CAREME V
EXHORTATIONS CAREME VI
EXHORTATIONS CAREME VII
EXHORTATIONS CAREME VIII
EXHORTATION CAREME IX
EXHORTATIONS CAREME X
INSTRUCTION AVENT
INSTRUCTION CAREME
INSTRUCTION PAQUES
INSTRUCTION ST-SACREMENT
INSTRUCTION ASSOMPTION
INSTRUCTION MORT
INSTRUCTION PAIX
INSTRUCTION CHARITÉ
INSTRUCTION FOI
INSTRUCTION SALUT
INSTRUCTION ÉTAT DE VIE
INSTRUCTION COMMUNION
DU SALUT
DE LA FOI ET DES VICES
PÉNITENCE
DE LA DÉVOTION
DE LA PRIERE
ORAISON DOMINICALE
DE L'HUMILITÉ
DE LA CHARITÉ CHRÉTIENNE
DE L'ÉGLISE
DE L’ÉTAT RELIGIEUX
RETRAITE SPIRITUELLE
VEILLE DE LA RETRAITE
PREMIER JOUR
DEUXIÈME JOUR
TROISIÈME JOUR
QUATRIÈME JOUR
CINQUIÈME JOUR
SIXIÈME JOUR
SEPTIÈME JOUR
HUITIÈME JOUR

EXHORTATION SUR LA DIGNITÉ ET LES DEVOIRS DES PRÊTRES.

ANALYSE.

 

Sujet. Que vos prêtres, Seigneur, soient revêtus de justice et de sainteté !

 

Rien de plus nécessaire aux prêtres que cette sainteté et cette justice.

 

Division. Les prêtres doivent être saints, parce qu'ils sont les sacrificateurs du corps de Jésus-Christ : première partie; et parce qu'ils sont les pasteurs de l'Eglise de Jésus-Christ : deuxième partie.

Première partie. Les prêtres doivent être saints, parce qu'ils sont les sacrificateurs du corps de Jésus-Christ. En cette qualité, ils tiennent la place de Jésus-Christ, qui fut lui-même le premier sacrificateur de son propre corps, lorsqu'il institua son adorable sacrement. Or, quelle sainteté est nécessaire pour occuper dignement une telle place, et pour exercer un tel ministère? D'autant plus que le prêtre, quoique substitut de Jésus-Christ, a néanmoins, dans l'exercice de son ministère, une espèce de pouvoir sur Jésus-Christ même.

Quelle dignité! s'écrie saint Augustin; c'est en quelque sorte dans les mains des prêtres que le Verbe de Dieu s'incarne tout de nouveau. L'Eglise, poursuit ce même saint docteur, croit en avoir beaucoup dit, quand elle chante que le Verbe divin n'eut point horreur de demeurer dans le sein d'une vierge, toute sainte qu'elle était.  N'est-ce pas le même Dieu qui descend sur l'autel, et prêtres portent dans leurs mains? Combien donc doivent-ils travailler à se sanctifier!

Mais par un étrange abus, on ne voit que trop de prêtres bien éloignés de la sainteté qui leur convient, c'est-à-dire qu'on ne voit que trop de prêtres mercenaires et intéressés, de prêtres ambitieux, de prêtres vains et présomptueux, de prêtres oisifs et voluptueux, de prêtres tout mondains. Honte du christianisme, ou plutôt de ceux qui déshonorent ainsi ce qu'il y a de plus vénérable dans le christianisme!

Deuxième partie. Les prêtres doivent être saints, parce qu'ils sont les pasteurs de l'Eglise de Jésus-Christ. Ils réconcilient les hommes avec Dieu, ils confèrent les sacrements, ils remettent les péchés, ils instruisent le peuple de Dieu : car tout cela est renfermé dans ces paroles de Jésus-Christ à ses apôtres : Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel ; et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel.

Après cela, nous ne devons point nous étonner que les plus grands monarques du monde aient témoigné tant de révérence pour les prêtres, Mais ce qui doit nous surprendre, c'est que ces prêtres, si distingués par leur caractère, ne s'efforcent pas d'avoir toute la pureté et toute la sainteté des anges. Comment pourront-ils s'entremettre d'une réconciliation aussi sainte que celle des pécheurs avec Dieu, s'ils sont eux-mêmes ennemis de Dieu? Comment oseront-ils administrer les sacrements de Jésus-Christ, et verser sur les fidèles les mérites de son sang avec des mains impures? Comment entreprendront-ils de juger, de condamner, d'absoudre, dans les dépositions toutes criminelles? Enfin comment instruiront-ils le peuple de Dieu, en détruisant par leurs exemples ce qu'ils enseignent par leurs paroles?

Car leurs exemples font beaucoup plus d'impression que leurs paroles. Leurs moindres fautes sont remarquées, et les scandales des prêtres n'ont que trop de fois servi à autoriser le libertinage des laïques. De là le décri du sacerdoce. De là le compte rigoureux que Dieu exigera de tant de prêtres. Les Saints eux-mêmes en ont tremblé. Terribles paroles de saint Grégoire et de saint Chrysostome. Avis important du bienheureux Laurent Justinien.

 

Sacerdotes tui induantur justitiam.

Que vos prêtres, Seigneur, soient revêtus de justice et de sainteté. (Psaume CXXXI, 9)

 

 

C'est ainsi, Messieurs, que le Prophète vous lai! tout à la fois connaître l'excellence de votre sacerdoce et ses devoirs (1) ; et c'est là-dessus que

saint Ambroise, traitant de la dignité des prêtres, leur adresse des paroles aussi éloquentes pour exprimer la grandeur de leur ministère, qu'elles sont instructives pour en exercer saintement les fonctions : Audite me, stirps Levitica, germen sacerdotale, propago sanctificata, duces ac rectores gregis Christi; Ecoutez-moi, vous qui êtes les vrais héritiers de la tribu de Lévi, issus de la branche sacerdotale, sanctifiés par votre caractère, et constitués les chefs du troupeau de Jésus-Christ : Audite me

 

1 Cette exhortation fut faite pour une assemblée d'ecclésiastiques.

 

rogantem pariter et verentem; Ecoutez la prière que je vous fais, accompagnée du respect et de la vénération que je dois avoir pour vos personnes : Ut cum honoris vobis prœrogativam monstramus, congrua etiam mérita requiramus; afin que vous ayant montré l'éminence du rang où vous êtes élevés, je puisse exiger de vous toutes les vertus et toute la sainteté nécessaire pour la soutenir avec honneur. Paroles dignes d'un évoque qui, honoré d'un caractère supérieur encore à celui des prêtres que la Providence lui avait subordonnés, les instruisait en maître et s'expliquait avec autorité. Pour moi, Messieurs, qui n'ai parmi vous ni la même distinction, ni les mêmes droits, je n'entreprendrai point de vous prescrire ici des règles ; mais, sans m'oublier moi-même, et gardant toutes les mesures convenables, je puis du reste vous représenter les obligations

 

92

 

qui se trouvent indispensablement attachées à votre état, et je n'aurai, pour m'en tracer l'idée juste, qu'à me tracer l'idée de votre conduite la plus ordinaire. C'est donc dans cet esprit, qu'usant de la liberté que vous me donnez, je ne craindrai point de vous dire ce que vous devez être, parce que je sais qu'en même temps je vous dirai ce que vous êtes. Je pourrais, dans un récit pompeux et en de magnifiques expressions, relever les avantages infinis et toutes les prérogatives du sacerdoce de la loi de grâce. Mais si j'en parle, ce ne sera que pour établir celle proposition si solide et si vraie, savoir, que tous les titres d'honneurs qui rehaussent l'éclat et le prix du sacerdoce, sont autant de raisons et de puissants motifs qui nous obligent, comme prêtres du Dieu vivant, à travailler sans relâche à la sanctification de notre vie et à notre propre perfection. Et parce que tous ces titres se réduisent à deux pouvoirs que le prêtre exerce en vertu de son ministère : le premier, que les théologiens appellent communément pouvoir de l'ordre, et le second appelé, selon le même langage de la théologie, pouvoir des clefs ou pouvoir de juridiction : celui-là, par rapport au corps réel de Jésus-Christ, qui est son sacrement ; et celui-ci, par rapport au corps mystique de Jésus-Christ, qui est son Eglise composée de tous les fidèles : je veux vous faire voir quel fonds de sainteté demandent indispensablement l'un et l'autre. En deux mots , sacrés ministres du Seigneur, soyez saints : pourquoi ? et parce que vous êtes les sacrificateurs du corps de Jésus-Christ : c'est la première partie ; et parce que vous êtes les pasteurs de l'Eglise de Jésus-Christ : c'est la seconde : Sacerdotes tui induantur justitiam. Voilà tout le sujet de cet entretien.

 

PREMIÈRE  PARTIE.

 

J'ai, ce me semble, compris tout ce qui peut se dire de plus grand à l'avantage du sacerdoce, quand j'ai dit qu'il donne au prêtre une espèce de pouvoir sur la personne même du Sauveur : mais par là, Messieurs, je crois aussi vous faire assez entendre la plus essentielle et la plus étroite de vos obligations, qui est de vous purifier sans cesse, de veiller sans cesse sur vous-mêmes, et de soutenir par une vie sainte la sainteté de votre ministère.

Le Fils de Dieu, se présentant lui-même à son Père, se mit tout à la fois en deux états, ou fit tout ensemble deux offices bien différents : celui de prêtre et celui de victime. Dans les sacrifices de l'ancienne loi, remarque saint Augustin, le prêtre n'immolait qu'une victime étrangère ; mais dans le sacrifice de la loi nouvelle, c'est le même Dieu qui offre et qui est offert ; qui offre comme prêtre, et qui est offert comme hostie : Idem sacerdos et hostia. D'où il s'ensuit que le Sauveur des hommes en se sacrifiant exerce sur sa personne adorable une autorité propre, puisqu'on ne peut sacrifier une victime sans avoir droit sur son sang et sur sa vie. Et de là même encore suit une autre conséquence, qu'ayant substitué les prêtres à sa place pour continuer le même sacrifice qu'il offrit sur la croix, il leur a transporté le même droit sur sa sainte humanité, qu'il leur a ordonné d'user de ce droit tout divin, et que c'est pour cela qu'il les a établis : Hoc facile in meam commemorationem (1). Or, ceci posé comme une vérité incontestable dans les principes de notre religion, je vous demande, Messieurs, s'il y a, hors la sainteté de Dieu, une sainteté assez éminente pour répondre à l'honneur d'un ministère si relevé? L'ordre delà Providence est que quiconque a pouvoir sur un autre, ait quelque avantage et quelque perfection au-dessus de lui. Si par rapport à Jésus-Christ, Fils de Dieu et vrai Dieu, notre misère infinie et notre bassesse nous rend cet ordre impossible, du moins ne nous dispense-t-elle pas de diminuer, autant qu'il nous est libre et qu'il dépend de nos soins, l'extrême disproportion qui se rencontre entre ce Dieu-Homme et nous : du moins faut-il que, comme il n'a point mis de bornes à notre pouvoir, nous n'en mettions point à notre sanctification ; qu'à l'indignité qui nous est commune avec tous les hommes, nous n'en ajoutions pas une personnelle, et que si elle est nécessaire par la condition de notre nature, elle ne soit pas volontaire par le relâchement de nos mœurs.

Il est vrai, nous n'avons ce pouvoir qu'en qualité de vicaires de Jésus-Christ, et comme représentant Jésus-Christ, dont il est primitivement émané; mais cela même, à quoi ne nous engage-t-il pas? Car, pour représenter Jésus-Christ, il faut avoir quelque ressemblance avec Jésus-Christ ; et quelle monstrueuse indécence, que le Saint des saints fût représenté par des pécheurs ! Voici donc ce que je me dis à moi-même et ce que je dois me dire, en approchant de l'autel, et me disposant à célébrer le plus redoutable de tous les mystères: C'est la place d'un Dieu que je vais tenir, non point seulement par commission, non point

 

1 Luc, XXII, 19.

 

93

 

seulement pour déclarer la volonté qu'il a de s'immoler à son Père, mais comme s'il résidait lui-même en moi, ou que je fusse transformé en lui. Je vais parler comme lui, agir comme lui, opérer le même sacrement avec lui, et consacrer le même corps et le même sang. Quelle honte, si je profanais par mon péché une telle fonction, et si la sainteté de mon Sauveur se trouvait ainsi déshonorée par l'iniquité de son ministre! Tous ceux qu'il a spécialement choisis pour avoir quelque rapport à lui, ont été saints. Jean-Baptiste, pour être son précurseur, fut sanctifié dès le ventre de sa mère. Joseph, pour être le gardien de son humanité, fut comblé de vertus et de mérites. Il fallut que les apôtres fussent confirmés en grâce, et remplis de l'Esprit céleste, pour être les prédicateurs de sa parole. Que dois-je donc être, comme son substitut et son agent dans le plus redoutable sacrifice!

Au reste, quoique le prêtre ne soit dans ce sacrifice que le substitut de Jésus-Christ, il est certain néanmoins que Jésus-Christ se soumet a lui, qu'il s'y assujettit, et lui rend tous les juins sur nos autels la plus prompte et la plus exacte obéissance. Si la foi ne nous enseignait ces vérités, ne passeraient-elles pas dans nos esprits pour des fictions, et pourrions-nous même nous figurer de la part d'un Dieu un si prodigieux abaissement? pourrions-nous penser qu'un homme pût jamais atteindre à une telle élévation, et être revêtu d'un caractère qui le mil en état, si je l'ose dire, de commander à son souverain Seigneur, et de le faire descendre du ciel? Nous ne lisons qu'avec étonnement ce qui est rapporté dans l'Evangile, que Jésus obéissait à Marie : Et erat subditus illis (1). Il y a moins lieu toutefois de s'en étonner, puisque c'était le fils de Marie, et que La nature semblait donner pouvoir a cette mère sur son fils. Mais qu'est-ce que le prêtre, et quel titre a-t-il à l'égard de son Dieu, qui ne soit un titre de dépendance et de servitude ? Cependant, à la parole de ce serviteur, de cet esclave, la majesté divine vient tous les jours s'humilier dans le sanctuaire, et y renfermer toute sa gloire. Voilà, Messieurs, a quoi vous êtes employés : mais prenez garde, s'il vous plaît, et revenez-en toujours à la même conséquence. S'il faut des qualités éminentes pour exercer un empire légitime sur des hommes, que faut-il pour un empire qui s'étend jusqu'à Dieu même?

C'est sur cela que saint Augustin s'écrie: O veneranda sacerdotum dignitas! 0 dignité

 

1 Luc., II, 51.

 

des prêtres, que vous êtes vénérable ! Mais encore, quelle raison en apporte ce saint docteur? Elle mérite une attention particulière : In quorum manibus, velut in utero Virginie, Filius Dei incarnatur; Car, dit ce Père, c'est en quelque sorte dans les mains du prêtre, comme dans le sein virginal de Marie, que le Verbe de Dieu est conçu, et qu'il s'incarne tout de nouveau. Expression figurée, mais dont le sens n'en est pas moins solide, ni moins réel. Et de là quelle conclusion? que la charité du Fils de Dieu n'a point de bornes? c'est celle que tout le monde en doit tirer. Qu'il n'est rien de plus respectable que le caractère des prêtres? c'est l'idée que tout le peuple chrétien doit s'en former. Mais que ce caractère suréminent engage donc les prêtres à une vie tout angélique; c'est ce qu'ils doivent conclure eux-mêmes, pour leur propre édification.

Ecoutez, je vous prie, Messieurs, le raisonnement du même saint Augustin, écrivant aux anachorètes. Le plus grand obstacle au dessein de l'incarnation du Verbe fut l'impureté de notre nature. Mais que fit l'amour de Dieu? Pour surmonter cet obstacle, il prédestina, avant tous les siècles, une femme, ou plutôt un miracle de pureté, qui devait être la mère de l'Homme-Dieu. Il la sépara de la niasse commune et la conserva toute sainte jusqu'au milieu de la corruption. Ce n'était pas assez : il changea tout l'ordre et toutes les lois de la nature, et il ordonna que, par le prodige le plus singulier, la virginité subsisterait avec la maternité; c'est-à-dire qu'une vierge serait mère, et qu'une mère ne cesserait point d'être vierge. Qui jamais entendit rien de semblable? Mais après toutes ces merveilles qui sanctifièrent Marie, savez-vous néanmoins quel sentiment l'Eglise attribue au Verbe divin, quand il fallut accomplir le grand mystère de notre salut? Elle croit en avoir beaucoup dit quand elle chante qu'il n'eut point horreur de demeurer dans le sein de cette vierge : Non horruisti virginis uterum. N'est-ce pas le même Dieu qui descend sur l'autel, et que les prêtres portent dans leurs mains? n'est-il pas toujours également saint et ennemi du péché? la pureté n'est-elle pas toujours également l'objet de ses complaisances? Pourquoi donc n'a-t-il pas fait les mêmes miracles pour sanctifier ceux qui coopèrent à ce mystère ? c'est pour leur en laisser l'obligation et le mérite : de sorte que, considérant à quoi ils sont élevés , ils se confondent en eux-mêmes de se voir si éloignés de la sainteté de leur ministère, et

 

94

 

qu'ils travaillent   sans relâche à l'acquérir.

Mais qu'arrive-t-il? permettez-moi de m'expliquer, Messieurs : je ne dirai rien que vous ne remarquiez aussi bien que moi, et que vous ne déploriez avec la même douleur et le même zèle que moi. Qu'arrive-t-il donc, encore une fois? On sépare l'honneur d'avec la charge et le fardeau, et de deux choses essentiellement jointes ensemble, on prend celle qui flatte l'avarice, l'ambition, et l'on se dispense de celle qui engage à la réformation des mœurs, et à leur sanctification. Désordre dont nous ne pouvons assez gémir, et qui devient tous les jours plus commun dans le christianisme. Tellement que le sacerdoce aujourd'hui se trouve comme abandonné à toutes les convoitises des hommes. On en fait le partage des enfants, et c'est la ressource d'un père et d'une mère chargés d'une nombreuse famille. Pour les pauvres, c'est une fortune et un moyen de se garantir de la misère. Pour les riches, c'est une voie à des rangs honorables et à des distinctions éclatantes. De là combien voyons-nous de prêtres intéressés, de prêtres ambitieux, de prêtres vains et présomptueux, de prêtres oisifs et voluptueux, de prêtres tout mondains? Vous ne vous offenserez point, Messieurs, de cette morale, que je dois, par proportion, m'appliquer à moi-même, autant qu'elle me peut convenir, et dont nous devons tous profiter. Reprenons.

Je dis des prêtres mercenaires et intéressés. Je n'ignore pas la maxime de saint Paul ; elle est juste, elle est raisonnable : Quiconque sert à l'autel, doit vivre de l'autel. Qu'un ministre du Seigneur, en faisant les fonctions de son ministère, reçoive donc certaine rétribution qui y est assignée, c'est ce que l'Eglise approuve, et ce que je ne pourrais condamner sans une extrême témérité. Mais que dans des fonctions si excellentes et si sacrées, ce ministre n'ait en vue que la rétribution qu'il en tire ; qu'il ne s'y adonne que pour cette rétribution ; qu'il ne paraisse les estimer que par cette rétribution ; qu'il en fasse comme un trafic, comme un commerce, et que dès que cette rétribution viendrait a manquer ou à diminuer, il soit disposé à les négliger et à s'en exempter : voilà ce que toute l'Eglise réprouve, et ce que je ne saurais trop hautement réprouver moi-même. Car voilà le principe malheureux de tant de profanations du plus saint mystère. On le célèbre sans dévotion , sans onction, sans attention, souvent sans préparation, et sans la plus nécessaire préparation, qui est l'innocence du cœur. On a ce que l'on prétendait, dès qu'on ne se retire pas les mains vides. Tout le reste n'était que comme l'accessoire ; mais c'était là le capital.

Je dis des prêtres ambitieux. Il y a dans l'état ecclésiastique des degrés où l'on ne peut monter sans le sacerdoce. C'est une condition absolument requise pour obtenir tel bénéfice, et pour parvenir à telle dignité. Il faut donc entrer dans les ordres sacrés, et l'on y entre : pourquoi ? Est-ce pour avoir le précieux avantage d'offrir le sacrifice du corps et du sang de Jésus-Christ? c'est à quoi l'on ne pense guère; et si le saint caractère n'était bon qu'à cela, on ne s'empresserait pas de le demander. Mais il peut servir à autre chose ; et on ne le recherche que pour cette autre chose. Non-seulement on est prêtre avec ambition, mais on ne l'est que par ambition. Est-on venu à bout de ses desseins, et se voit-on au terme où l'on aspirait, on ne se souvient plus en quelque manière de la qualité de prêtre, parce qu'elle n'est plus de nul usage. On passe les mois, on passe presque les années sans en faire nul exercice. On vit en laïque ; et plût à Dieu que l'on vécût au moins en laïque pieux et chrétien ! c'est le dernier souhait où nous réduisent tant de bénéficiers. Une courte messe où ils assistent, et où ils n'assistent qu'aux jours ordonnés, voilà souvent tout le fonds de leur piété et toute leur religion.

Je dis des prêtres vains et présomptueux. Jésus-Christ ne recommandait rien davantage à ses apôtres, qui furent les premiers prêtres de la loi nouvelle, que l'humilité. Saint Paul ne voulait pas qu'un ministre de l'Eglise cherchât à dominer dans l'Eglise même, beaucoup moins à dominer dans le monde. Mais depuis Jésus-Christ et depuis saint Paul, cet esprit de domination a fait dans le sacerdoce des progrès qu'il n'est pas aisé d'arrêter. Parce qu'on est prêtre, on est délicat et sensible sur le point d'honneur ; et tel, dans la condition où il est né, eût conservé toute la modestie de son état, qui n'a commencé à la perdre que du moment qu'il s'est vu couvert d'un habit qui devait le rendre plus modeste encore et plus humble. Parce qu'on est prêtre, on s'arroge le droit de juger de tout, de décider de tout, de l'emporter partout et sur tout. A l'exemple de ces pharisiens qui ne voulaient pas qu'on les approchât, on traite le reste des hommes de profanes, et l'on en exige des déférences que l'on s'attirerait bien mieux si l'on y était moins attentif, et si l'on en paraissait moins

 

95

 

jaloux. Je sais de quel prétexte on veut s'autoriser. Ce n'est pas pour ma personne, dit-on, c'est pour mon caractère. Distinction spécieuse, mais sujette à la plus subtile illusion. (lai. dans cette union si étroite du caractère et de la personne, est-il rien de plus facile et rien de plus ordinaire que de confondre l'un avec l'autre? et en mille rencontres ne pourrait-on pas, avec plus de vérité, renverser la proposition, et dire tout au contraire : Ce n'est pas pour mon caractère, mais pour ma personne? Quoi qu'il en soit, jamais ni votre personne ni votre caractère ne seront plus respectés, que lorsque vous ne ferez plus apercevoir tant de vivacité et tant d'exactitude sur les respects qui leur sont dus. Il vous est permis de soutenir les prérogatives de votre sacerdoce, et d'en défendre les privilèges ; mais moins vous voudrez vous en prévaloir, moins s'attachera-t-on à vous les contester.

Je dis des prêtres oisifs et voluptueux. Ont-ils satisfait à un office qu'ils abrègent autant qu'il leur est possible, et qu'ils récitent très-légèrement, ils se tiennent quittes de tout. A quoi, du reste, se consument toutes les heures de la journée ? ni pratique de l'oraison , ni étude des sciences divines; visites fréquentes, conversations inutiles , parties de divertissement, vie molle, et par là vie très-dangereuse, et exposée à tous les écueils où l'oisiveté peut conduire : car l'oisiveté est la source de bien des maux dans tous les états, et si je vous faisais ici le dénombrement de ceux qu'elle a causés dans l'état ecclésiastique, et qu'elle y cause, je vous tracerais une peinture bien affreuse et bien affligeante ; et le moyen que des prêtres sans occupation au milieu du siècle se maintiennent dans la pureté de leur profession ? Un solitaire a sa solitude, un religieux sa retraite, pour rempart contre les occasions et les tentations : cependant, ni la solitude, ni la retraite, ne suffisent pas encore pour préserver l'un et l'autre; et sans le secours des saintes observances qui partagent tout leur temps et qui le remplissent, ils ne se croiraient pas en sûreté et ils n'y seraient pas. Que sera-ce d'un prêtre abandonné à lui-même, maître de lui-même et de ses actions, n'ayant pour l'éclairer d'autre inspecteur que Dieu , qu'on oublie aisément, ni pour le retenir d'autre frein que le devoir, dont on perd aussi facilement le souvenir ?

Enfin, je dis des prêtres tout mondains. Mondains dans les affaires où ils s'emploient, vivant dans une agitation perpétuelle de procédures, de poursuites, de soins temporels, dont quelquefois ils s'accablent, soit que ce soit pour eux ou pour leurs proches ; mondains dans leurs habitudes et leurs sociétés ; voulant être de toutes les assemblées, de tous les jeux, de tous les plaisirs, de tous les spectacles ; mondains dans leurs manières et leurs discours , affectant de se distinguer par des airs dissipés, par des paroles indécentes, par des excès de joie et des libertés dont ils se flattent qu'on leur applaudit, et dont ils se font un faux mérite; mondains jusque dans leurs vêtements, et par où? par toute la propreté, par tout l'ajustement, par tout le luxe qu'ils peuvent joindre à la simplicité évangélique. Ah ! Seigneur, sont-ce donc là ces ministres que vous avez spécialement consacrés? sont-ce là les dépositaires de voire puissance, et est-ce en de telles mains que vous avez prétendu livrer votre corps et votre sang ?

Honte du christianisme ! disons plutôt, honte de ceux qui déshonorent ainsi ce qu'il y a de plus vénérable dans le christianisme ! Quand je lis ce que saint Augustin raconte de certains prêtres éthiopiens, ou ce que saint Jérôme reprochait à Jovinien touchant les mœurs des prêtres d'Egypte, et que je viens à considérer que ces infidèles s'assujettissaient à une vie si rigoureuse et si austère pour mériter seulement l'estime des peuples, et pour se mettre en crédit auprès d'eux, j'ai compassion de leur aveuglement. Mais tandis que je le déplore avec saint Augustin, je déplore encore plus, comme ce saint docteur, notre misère, de ce que les infidèles nous font des leçons, qu'ils devraient recevoir de nous : O grandis christianorum miseria ! Ecce pagani doctores fidelium facti sunt. Quel assemblage ! dit saint Ambroise, et comment accorder ensemble deux choses si opposées, l'éminence de la dignité et l'imperfection de la vie, une profession toute divine et une conduite toute criminelle? Honor sublimis et vita deformis, deifica professio et illicita actio. Abus dont saint Rernard se plaignait si amèrement et avec tant de sujet au pape Eugène. Chacun travaille, lui disait-il, à devenir plus grand ; mais aucun ne s'étudie à devenir plus saint : Altiorem unumquemque, non meliorem esse delectat. Cependant la vraie grandeur, surtout la vraie grandeur du sacerdoce, consiste dans la sainteté. Otez-lui ce fond, vous la détruisez. Du moins autrefois était-elle soutenue par la noblesse. Dans la loi de nature, le droit d'aînesse lui servait de titre ; et dans la loi de

 

96

 

Moïse, c'était une prérogative de la tribu de Lévi. Mais dans la loi de grâce, où, sans acception de personne, les prêtres sont admis aux mêmes mystères, c'est la sainteté qui en fait le plus bel ornement. Sainteté requise, non-seulement par rapport au pouvoir de l'ordre dont le prêtre est revêtu comme sacrificateur du corps de Jésus-Christ, mais encore par rapport au pouvoir de juridiction qu'il exerce comme pasteur de l'Eglise de Jésus-Christ. Renouvelez votre attention pour cette seconde partie.

 

DEUXIÈME   PARTIE.

 

Ce ne fut point une parole sans effet que celle de Jésus-Christ à ses apôtres, lorsqu'il leur dit: Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel : et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel. Les Pères et les interprètes reconnaissent que par là le Fils de Dieu soumit aux prêtres, dans la personne des apôtres, toute l'Eglise ; qu'il les revêtit d'un pouvoir qui s'étend sur tous les membres du corps mystique de ce Sauveur, et qu'il n'y a dans le monde ni prince ni monarque qui ne relève de cette juridiction, aussi souveraine qu'elle est universelle.

En voulez-vous, Messieurs, concevoir une légère idée? Imaginez-vous un homme qui, d'une fortune médiocre et d'une condition obscure, se trouve tout à coup élevé au premier ministère d'un grand Etat, et cela par la pure libéralité du maître, lequel veut faire éclater sa puissance dans l'élévation de son sujet : Sic honorabitur, quemcumque voluerit rex honorari (1). Le voilà l'arbitre de toutes choses, et les plus importantes affaires ne se conduisent que par lui ; c'est lui qui distribue les faveurs, lui qui assigne les récompenses, lui qui fait les heureux et les malheureux ; ses ordres sont reçus comme des ordres supérieurs, et tous les intérêts du prince lui sont confiés. Qu'un rebelle, qu'un criminel ait sa grâce à obtenir, c'est à ce médiateur qu'il s'adresse ; et par l'efficace de cette médiation, le plus coupable est en un moment rétabli dans tous ses droits et dans toutes ses espérances. Jamais entendit-on parler d'un tel crédit? et dans ce que l'Ecriture nous a marqué de celui d'Aman, y a-t-il rien qui puisse l'égaler? Je ne m'en étonne pas : car les princes de la terre n'ayant qu'un pouvoir borné, ils n'ont garde de le communiquer avec si peu de réserve. Mais il en est tout autrement à l'égard de Dieu : comme sa grandeur

 

1 Esth., VI, 9.

 

est infinie, il peut, sans rien lui ôter, en faire part à qui il lui plaît ; or il l'a, pour ainsi dire, déposée tout entière entre les mains de ses ministres, et c'est la belle réflexion de saint Chrysostome dans ses doctes commentaires sur le sacerdoce. Quelle merveille ! et qui le croirait? Le serviteur est établi juge sur la terre, et le maître dans le ciel ratifie toutes les sentences qu'il porte : Servus sedet in terra, et Dominus sequitur sententiam ; le ciel reçoit de la terre la règle et la forme de justice qu'il doit suivre : A terra judicandi formam cœlum accipit. De sorte, ajoute saint Cyprien , que le jugement des prêtres est comme le jugement anticipé de Jésus-Christ même : Anticipatum Christi judicium : encore ce jugement du prêtre a-t-il cet avantage, qu'il confère la grâce, qu'il efface les péchés, qu'il convertit les pécheurs en saints ; ce que n'aura point le dernier jugement que' prononcera le Sauveur du monde à la fin des siècles.

Voilà, Messieurs, le ministère de réconciliation que Dieu vous a commis. Vous êtes ses délégués, et, si j'ose user de ce terme, vous êtes ses plénipotentiaires, pour conclure cette grande paix qui se traite entre le ciel et la terre, entre Dieu offensé et l'homme pécheur. C'est à vous que le Créateur du monde remet sa cause et ses intérêts; c'est à vous qu'il dit encore plus qu'à ses prophètes : Judicate inter me et vineam meam (1) : Cet homme est pécheur, il m'a outragé, il a blessé ma gloire; je pourrais le juger moi-même; mais je m'en rapporte à vous. Tout ennemi qu'il était, je le tiendrai pour ami dès que vous l'aurez déclaré tel; il ne s'agit pour lui que de se rendre digne de l'absolution que vous lui donnerez : du moment que vous lui aurez pardonné, je lui pardonne, et toutes les portes du ciel, qui lui étaient fermées, s'ouvriront pour le recevoir. Voilà, dis-je, ministres de Jésus-Christ, comment Dieu vous parle, et voilà de quoi toute l'Eglise le doit glorifier comme ces troupes fidèles de l'Evangile : Et glorificaverunt Deum, qui dedit potestatem talem hominibus (2) ; car, en conséquence de ce pouvoir absolu, on peut dire que tout ce qu'il y a de plus saint et de plus sacré est en votre disposition. Les grâces sont les richesses inestimables que le Sauveur des hommes nous a acquises par son sang; mais vous en êtes les dispensateurs: c'est vous qui conférez aux âmes leur première innocence, vous qui la leur faites retrouver lorsqu'elles l'ont perdue, vous qui leur partagez le pain de vie pour les nourrir, qui les

 

1 Isa., V, 3. — 2 Matth., IX, 8.

 

97

 

dirigez dans les voies de l'éternité, et qui les conduisez jusque dans le sein de Dieu.

Après cela serons-nous surpris que les plus grands monarques du monde aient eu tant d'égards et témoigné tant de révérence pour les prêtres; qu'un Constantin, revêtu delà pourpre royale, n'ait pas osé s'asseoir le premier en présence des Pères d'un concile; qu'une impératrice se soit fait un honneur et un mérite de servir à sa table un évêque,  et que de tout temps le respect des princes envers les prêtres ait été la plus illustre marque de leur religion ? Non, Messieurs, tout cela n'a rien que je ne comprenne aisément, puisque la foi leur découvrait dans les prêtres une puissance bien au-dessus de leur grandeur. Mais ce qui m'étonne et qui me paraît inexcusable, c'est que ces prêtres, si distingués des autres hommes par leur ministère, n'aient pas la pureté des anges, ou ne s'efforcent pas d'y parvenir : car dans toutes ces prééminences , j'aperçois tant de motifs de sainteté, que je ne sais de quoi ils doivent être les plus accablés, ou du poids de leurs honneurs, ou du poids de leurs obligations.

Venons au détail. Comment un homme peut-il s'entremettre d'une réconciliation aussi sainte que celle des pécheurs avec Dieu, s'il est lui-même ennemi de Dieu ? C'était le raisonnement de saint Grégoire, s'instruisant soi-même, et se considérant comme l'intercesseur et le patron de tout le peuple chrétien : Qua enim fiducia pro peccatis alienis intercessor venio, apud quem de propriis securus non sum ? De quel front, disait-il dans un sentiment d'humilité, et avec quelle assurance irai-je demander grâce pour les péchés de mes frères, lorsque j'ai à trembler pour mes propres péchés? C'est pour cela que le Sage nous représente d'abord le prêtre uni à Dieu par la grâce, agréable à Dieu par la sainteté de ses vertus : Ecce sacerdos magnus , qui in diebus suis placuit Deo, et inventus est justus (1) ; et ensuite qu'il nous le fait voir devant le trône de Dieu en qualité de pacificateur et de réconciliateur : Et in tempore iracundiœ factus est reconciliatio (2).

Comment un homme peut-il s'ingérer dans l'administration des sacrements de Jésus-Christ, et verser sur les fidèles les mérites et le sang de ce Dieu Sauveur, avec des mains impures? Il est vrai, malgré l'indignité du ministre, ce sang a toujours son prix, et l'efficace des sacrements est indépendante. Aussi ne veux-je rien conclure au préjudice du fidèle qui les reçoit,

 

1 Eccli., XLIV, 16. — 2 Ibid. 17.

 

97

 

mais du prêtre dont il les reçoit : car comme le prédicateur, selon la terrible parole de l'Apôtre, peut devenir un réprouvé en convertissant tout le monde, ainsi arrive-t-il, (ô pensée bien humiliante pour nous, Messieurs, et vérité d'autant plus capable de nous confondre qu'elle est confirmée par de plus fréquents et de plus funestes exemples ! ) ainsi arrive-t-il souvent que le prêtre, enrichissant les autres des trésors de l'Eglise, n'en retienne rien pour lui ; que le même sang avec lequel il purifie les autres, et leur fournit de quoi acquitter leurs dettes, serve à augmenter les siennes ; que ce qu'il présente aux autres comme les sacrements et les moyens de leur salut lui soit une occasion de ruine et une matière de damnation. Je ne m'explique pas davantage : poursuivons.

Comment un homme peut-il entreprendre déjuger, de condamner, d'absoudre, dans des dispositions toutes criminelles? Car, pour être juge et pour en faire l'office, il doit être exempt de toute passion, exempt de tout intérêt, exempt de tout respect humain, exempt de tout reproche. Ce sont les qualités qu'exige de ses ministres la justice des hommes : tirez la conséquence, et voyez ce qu'exige à plus forte raison la justice de Dieu. Je vous le laisse à méditer, et je m'arrête à la remarque de saint Augustin. Elle m'a frappé, et elle convient parfaitement à mon sujet. Ce père examine pourquoi le Fils de Dieu ne voulut pas porter un arrêt de condamnation contre cette femme adultère que les Juifs produisirent devant lui : Nemo te condemnavit, nec ego te condemnabo (1) ; et après avoir exposé là-dessus les raisons ordinaires, il en ajoute une qui, pour n'être pas la plus naturelle, n'est pas la moins mystérieuse ni la moins instructive. C'est, dit ce saint docteur, parce que le Sauveur du monde était encore chargé de nos péchés, et que, portant sur sa personne innocente le caractère de pécheur, il ne croyait pas devoir se constituer juge, mais se réservait au temps où il aurait satisfait pour nos offenses. Belle leçon, mes Frères, reprend saint Augustin : nous apprenons de là quels doivent être ces juges que Dieu a choisis pour exercer son autorité et sa justice dans le tribunal de la conscience. Si ce ne sont pas des saints, c'est-à-dire si ce sont des hommes semblables au reste des hommes, des hommes faibles, des hommes passionnés, des hommes impatients et colères,  des hommes sensuels et amateurs d'eux-mêmes, des hommes sujets aux intempérances, aux médisances, aux ressentiments

 

1 Joan., VIII, 10.

 

98

 

et aux vengeances, à tous les vices, quelle confiance mériteront-ils, quelle créance s'attireront-ils, quels jugements donneront-ils? Enfin, comment un homme peut-il répandre l'édification dans l'Eglise et y servir de modèle, avec une conduite peu régulière et même absolument déréglée? Voici, Messieurs, un des points les plus essentiels, et qui regarde un de vos devoirs les plus indispensables : ne le perdez pas. Quelles idées devons-nous concevoir des prêtres, selon l'esprit et les figures de l'Evangile? Ce sont des flambeaux allumés pour éclairer l'Eglise : Vos estis lux mundi (1) Ce sont des villes placées sur le sommet des montagnes, afin qu'on puisse de toutes parts les apercevoir : Civitas supra montem posita (2). C'est le sel de la terre, dont la vertu communiquée aux corps les préserve de la corruption : Vos estis sol terrœ (3). En un mot, ce sont dans le christianisme des règles sensibles et animées. Titres spécieux, mais titres qui, bien loin de rehausser par leur éclat notre gloire, redoublent, si nous ne les soutenons pas, notre confusion, et nous rabaissent dans l'estime commune autant qu'ils devraient nous y élever. Prenez garde, je vous prie. Oui, tout homme adapté au sacerdoce de Jésus-Christ doit se regarder comme un exemple public, et vivre comme si toute la terre avait les yeux attachés sur lui, et était témoin de ses actions. Il doit être persuadé qu'il n'y a rien de médiocre dans les fautes qui lui échappent, parce qu'elles sont accompagnées de scandale ; et que si les injures faites à sa personne en deviennent plus grièves et sont d'une nature particulière, de même les péchés qu'il commet contractent une indignité personnelle par la sainteté de son état. Il doit s'humilier de voir des laïques qui l'égalent en perfection, mais surtout il doit se confondre d'en voir qui le surpassent. Il doit bien se convaincre que mille choses peuvent être permises aux gens du monde, et lui être défendues; qu'elles peuvent être sans conséquence dans les gens du monde, et être des crimes dans  lui selon   l'opinion   même   du monde. Car le monde, tout profane qu'il est, n'en juge point autrement que nous, et souvent il en juge encore plus rigoureusement que nous: ou si le monde ne nous condamne pas, ce n'est que pour tirer de nous une prétendue justification de ses désordres.

Ah ! combien de fois (je n'y puis penser qu'avec la plus vive douleur, et vous en êtes touchés comme moi, Messieurs), combien de fois

 

1 Matth., V, 14. — 2 Ibid. — 3 Ibid. 13.

 

les dérèglements des prêtres ont-ils autorisé les vices, et servi de prétexte à la licence des mœurs? Le libertinage, qui n'osait se montrer, et se tenait caché dans les ténèbres, a levé le masque depuis qu'il s'est vu introduit jusque dans le sanctuaire. L'impiété n'attendait que ce secours de la mauvaise édification des prêtres pour se fortifier et pour s'étendre. Les simples ont cru qu'ils pouvaient les imiter et les suivre, puisque ce sont leurs conducteurs; les libertins ont conclu qu'ils pouvaient pratiquer ce que les prêtres pratiquaient, puisque ce sont les docteurs de la loi. Les premiers se sont émancipés à faire ce qu'ils avaient auparavant en horreur ; les autres se sont confirmés dans ce qu'ils faisaient, et l'ont fait avec plus d'audace. Le scandale a été général : le sacerdoce est tombé dans le décri, les ecclésiastiques dans le mépris. L'Eglise en a gémi, et jamais Jérusalem, pleurant ses prêtres réduits dans une dure captivité, ne versa plus de larmes, ni ne fut plus sensiblement affligée.

Mais si les prêtres ont été ainsi exposés au mépris des peuples, à qui doit-on s'en prendre? est-ce aux peuples mêmes? Mais, répond saint Ambroise, comment les peuples respecteraient-ils un homme qui avilit son caractère, et qui dans sa conduite se rend en tout semblable à eux? Quomodo enim potest observari a populo, qui nihil habet separatum a populo ? Qu'admireront-ils dans sa personne, s'ils s'y reconnaissent eux-mêmes, et toutes leurs imperfections? Quid in illo miretur, si sua in illo recognoscat? fit le moyen qu'ils aient de la vénération pour celui en qui ils retrouvent tout ce qui les fait rougir dans eux-mêmes? Et si quae in se erubescit, in eo quem venerandum arbitratur, offendit ? A qui donc, je le répète, l'Eglise adressera-t-elle ses plaintes, si ce n'est aux auteurs de ce scandale? et quel droit n'a-t-elle pas de leur dire avec le même zèle et la même indignation que le Prophète : Vos autem recessistis de via, et scandalizastis plurimos in lege (1)? Vous, ministres de mes autels, vous qui deviez sanctifier le monde par vos exemples aussi bien que, par vos paroles et vos instructions, vous êtes sortis de mes voies, et vous avez entraîné après vous les faibles. Vous avez détruit d'une main ce que vous bâtissiez de l'autre ; et tant dames que vous aviez fait naître en Jésus-Christ par l'efficace et la vertu des sacrements, ont reçu de vous la mort par la liaison qu'elles ont eue avec vous, et par les effets contagieux de votre conversation. Justes reproches, mais

 

1 Malach., II, 8.

 

99

 

reproches encore plus terribles, si nous y ajoutons les menaces du Dieu vivant. Car si la justice de Dieu doit être si exacte dans le compte qu'elle demandera à tous les hommes des devoirs de leur profession, elle ira jusqu'à la rigueur par rapport aux prêtres. Jésus-Christ leur avait confié ce qu'il avait sur la terre de plus cher, ses frères, le prix de sa croix, les brebis de son troupeau. Ils en devaient être les sanctificateurs : que sera-ce d'en avoir été les corrupteurs? Il faudrait peut-être, Messieurs, adoucir cette expression : mais laissons-lui toute sa force. Elle ne vous donnera rien à entendre qui passe vos connaissances, et qui ne vous ait plus d'une fois rempli le cœur d'amertume.

Voilà ce qui faisait trembler les saints; et entre les autres, voilà ce qui faisait trembler saint Jérôme. C'était l'ornement du désert, bien loin d'en être le scandale ; c'était dans l'Eglise, non-seulement un docteur consommé, mais un modèle de pénitence et de sainteté. Toutefois ce docteur, ce pénitent, ce saint, ne laissait pas d'être saisi de crainte, dès qu'il venait à faire celle réflexion : Grandis dignitas sacerdotum, sed grandis ruina eorum. C'est une grande dignité que celle des prêtres, mais leurs chutes n'en sont que plus profondes. Glorifions Dieu Se la sublimité du rang où il nous a appelés ; mais craignons encore plus le précipice où nous pouvons tomber : Lœtemur ad ascensum, ted timeamus ad lapsum. Saint Chrysostome va plus loin, et j'aurais peine à user ici de sa pensée, s'il ne nous assurait lui-même avoir l'ait à ce qu'il avance une sérieuse attention. C'est dans la seconde homélie sur les actes des apôtres. Non, dit ce docteur si éloquent et si solide, ce n'est pas sans y avoir bien réfléchi que je parle : Non temere dico. Je ne crois pas que dans l'état du sacerdoce il y en ait beaucoup qui se sauvent; et, selon mon sentiment, le plus grand nombre parmi les prêtres est de Ceux qui périssent. Quoi qu'il en soit de l'opinion de ce Père, c'est ainsi qu'il s'en est formellement et hautement expliqué : Ut affectus sum ac sentio, non arbitror inter sacerdotes multos esse qui salvi fiant, sed multo plures qui pereant.

La conclusion de tout ceci, Messieurs, c'est ce que nous recommande saint Grégoire : écoutez-le, et n'oubliez jamais le salutaire avis qu'il vous donne. Voici en quels termes il s'exprime, et ce qui comprend tout le fruit de cette exhortation. Craignons donc, mes chers Frères, craignons, et appliquons-nous à nous-mêmes cette importante leçon de l'Apôtre, d'opérer notre salut avec tremblement. Craignons qu'après avoir été prêtres de l'autel, nous ne soyons les victimes de l'enfer ; et qu'après avoir eu pouvoir sur le ciel et sur la terre, nous ne devenions les esclaves des démons. Pour prévenir ce malheur, accordons notre vie avec notre ministère, et faisons répondre la piété de l'une à la sainteté de l'autre. Voulez-vous encore un précis et un abrégé de tous vos devoirs? Le bienheureux Justinien nous l'a tracé en peu de mots : remportez-les avec vous, et méditez-les. Accedat sacerdos ad altaris tribunal ut Christus, assistat ut angelus, ministret ut sanctus, offerat vota populorum ut pontifex, interpellet pro pace ut mediator, pro se autem exoret ut homo : Que le prêtre approche de l'autel comme Jésus-Christ, par sa puissance ; qu'il y assiste comme un ange, par son respect ; qu'il y serve comme un saint, par la pureté de sa vie ; qu'il y offre les vœux du peuple comme un pontife , par sa charité envers le prochain ; qu'il y moyenne la paix comme médiateur, par son zèle pour la gloire de Dieu ; et qu'il y prie pour lui-même comme homme, par son humilité et par la connaissance de ses faiblesses. De cette sorte, non-seulement il ne sera pas condamné au jugement de Dieu, mais il ira continuer l'exercice de son pouvoir auprès du souverain Juge, et il s'assiéra sur le tribunal qui lui est préparé, pour juger avec Jésus-Christ les douze tribus d'Israël. Il accompagnera ce Dieu Sauveur dans sa gloire, et il recevra de sa main la couronne d'immortalité, que je vous souhaite, etc.

 

 

Précédente Accueil Remonter Suivante