EXHORTATIONS CAREME VIII

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EXHORTATION SUR LE COURONNEMENT DE JÉSUS-CHRIST.

ANALYSE.

 

Sujet. Alors les soldats du gouverneur ayant emmené Jésus dans le prétoire, rassemblèrent autour de lui toute la cohorte; et après l’avoir dépouillé, ils le couvrirent d'un manteau de pourpre : puis faisant une couronne d'épines, ils la lui mirent sur la tête. Ils lui mirent aussi un roseau à la main droite.

 

Voilà proprement le mystère de la royauté de Jésus-Christ.

 

Division. Royauté de Jésus-Christ méprisée et profanée par les indignités qu'exercèrent contre lui les soldats : première partie; mais en même temps royauté reconnue et solidement vérifiée par une secrète disposition de la Providence, qui se sert pour cela de l'insolence même des soldats et de leur impiété : deuxième partie.

 

Première partie. Royauté de Jésus-Christ méprisée et profanée par les indignités qu'exercèrent contre lui les soldats. Parla plus sanglante dérision, ils le revêtent d'une robe de pourpre, ils lui donnent pour sceptre un roseau, ils lui mettent sur la tête une couronne d'épines; et en le saluant comme roi des Juifs, ils lui crachent au visage et le meurtrissent de soufflets.

Or, n'est-ce pas ainsi que nous le traitons nous-mêmes ? Nous le couronnons en le reconnaissant pour notre roi; mais nous le couronnons d'épines. Ces épines, ce sont tant de désordres où nous nous abandonnons.

De plus, nous ne lui faisons porter pour sceptre, qu'un roseau : comment cela? par nos inconstances et nos légèretés perpétuelles dans son service.

Enfin, nous le couvrons d'une misérable robe de pourpre, c'est-à-dire de nos péchés, plus rouges que l'écarlate, selon la figure du Prophète, et qui le font rougir lui-même. Mais il aura son temps pour venger sa royauté flétrie et profanée. De quelle frayeur serons-nous saisis, quand, à son jugement universel, nous le verrons couronné de gloire?

Deuxième partie. Royauté de Jésus-Christ reconnue et solidement vérifiée, par une secrète disposition de la Providence, qui se sert pour cela de l'insolence même et de l'impiété des soldats. Les choses mêmes par où ils croyaient le déshonorer, ont été les marques les plus naturelles de sa souveraineté, et ont servi à nous en donner l'idée la plus juste. Ils l'ont couronné d'épines; or, à qui cette couronne pouvait-elle mieux convenir, qu'à celui qui devait être le roi surtout des âmes souffrantes?

Ils lui ont donné pour sceptre un roseau. Rien ne pouvait mieux représenter la nature de son pouvoir, qui n'a point éclaté par la force ni par la violence, mais par la faiblesse même et par l'infirmité. Avec ce roseau, il a soumis toutes les puissances du monde.

Ils l'ont couvert d'une robe de pourpre. Etait-il une couleur plus convenable à un roi qui devait former son royaume sur la terre et l'amplifier par l'effusion de son sang?

De là concluons ce que nous sommes, à qui nous sommes, pourquoi nous y sommes, et ce que nous devons enfin devenir, selon le caractère que nous portons et les sacrés rapports que nous avons, en qualité de chrétiens, avec Jésus-Christ.

 

Tunc milites prœsidis suscipientes Jesum in prœtorium, congregaverunt ad cum universam cohortem ; et exuentes eum, chlamydem coccineam circumdederunt ei ; et plectentes coronam de spinis, posuerunt super caput ejus, et arundinem in dextera ejus.

 

Alors les soldats du gouverneur ayant emmené Jésus dans le prétoire, rassemblèrent autour de lui toute la cohorte ; et après l'avoir dépouillé, ils le couvrirent d'un manteau de pourpre : puis faisant une couronne d'épines, ils la lui mirent sur la tête. Ils lui mirent aussi un roseau à la main droite. (Saint Matthieu, chap. XXVII, 28.)

 

N'était-ce donc pas assez de tant d'outrages déjà faits au Fils de Dieu ? et puisqu'il était enfin condamné à mourir, fallait-il ajouter, à l'injustice et à la rigueur de cet arrêt, de si amères insultes et de si barbares cruautés ? 11 semble, dit saint Chrysostome, que tout l'enfer en cette triste journée fût déchaîné , et eût donné le signal pour soulever tout le monde contre Jésus-Christ. Car ce ne sont plus même les Juifs, ce ne sont plus les princes des prêtres, ce ne sont plus les scribes et les pharisiens, qui pouvaient avoir des raisons cachées et des sujets particuliers de haine contre ce divin Sauveur ; ce ne sont plus là, dis-je, ceux qui le persécutent ; mais ce sont les soldats de Pilate, ce sont des Gentils et des étrangers, qui en font leur jouet, et qui le préparent au supplice et à l'ignominie de la croix par les plus sensibles dérisions, et par toutes les inhumanités que leur inspire une brutale férocité. Les paroles de mon texte nous les marquent en détail ; et voilà le mystère que nous méditerons, s'il vous plaît, aujourd'hui, et que je puis appeler le mystère de la royauté du Fils de Dieu. Car, à bien considérer toutes les circonstances qui s'y rencontrent, j'y trouve tout à la fois la royauté de ce Dieu-Homme méprisée et reconnue, avilie et déclarée, profanée et néanmoins établie et solidement vérifiée. Je dis méprisée, avilie, profanée, par les indignités qu'exercent contre lui les soldats ; mais je dis en même temps reconnue, établie, et solidement vérifiée, par une conduite supérieure et une secrète disposition de la Providence qui se sert pour cela de l'insolence même des soldats et de leur impiété. L'un et l'autre ne sera pas pour nous sans instruction. En voyant !

 

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la royauté de Jésus-Christ si outrageusement méprisée, nous nous confondrons de l'avoir tant de fois méprisé nous-mêmes, ce roi du ciel et de la terre ; et en la voyant si justement reconnue et si solidement vérifiée, nous apprendrons à quoi nous la devons nous-mêmes reconnaître, et en quoi nous la devons honorer. La suite vous développera ces deux pensées, qui comprennent tout le sujet et tout le partage de cette exhortation.

PREMIÈRE   PARTIE.

 

Jamais la barbarie fut-elle plus ingénieuse que dans la passion de Jésus-Christ à satisfaire son aveugle fureur? et quelles lois si sévères ont jamais produit aucun exemple d'un supplice pareil à celui que vient d'imaginer une cohorte entière de soldats, et qu'ils mettent en œuvre contre cet adorable Maître? Ils avaient entendu dire qu'il prenait la qualité de roi; et pour se jouer de cette royauté prétendue, selon leur sens, le dessein qu'ils forment est de lui en déférer, avec une espèce de cérémonie et d'appareil, tous les honneurs, et d'observer à son égard tout ce que l’on a coutume de pratiquer envers les rois. On le conduit encore dans le prétoire de Pilate, on lui présente un liège qui lui doit servir de trône , on lui commande de s'asseoir, tous se rangent autour de lui : Congregaverunt ad eum universam cohortem (1) ; et chacun témoigne son empressement pour être admis au nombre de ses sujets.

Ce n'est pas assez : afin de le revêtir des marques de sa dignité, on le dépouille de ses habits collés sur son corps déchiré et tout ensanglanté par la cruelle flagellation qu'il a endurée. On lui jolie sur les épaules un manteau de pourpre, comme son manteau royal; on lui met un roseau à la main, qui lui tient lieu de sceptre, et qui représente son autorité et son pouvoir. On fait plus encore, et pour diadème on prend une couronne d'épines qu'on lui enfonce dans la tète. De -toutes les parties de ce corps sacré, il n'y avait que la tête qui fût restée saine, et qu'on n'eût point attaquée. Aussi dans les supplices des plus grands criminels, épargnait-on toujours la tète, parce que c'est, le chef où domine la raison, et où résident les plus nobles puissances de l'âme. Mais par rapport a Jésus-Christ, il n'y a plus de règles. Il faut qu'il soit couronné; mais que son couronnement lui coûte cher. Il faut que ce soit un couronnement de souffrances et un

 

1 matth., XXVIII, 27.

 

martyre. Les épines, appliquées avec force, le percent de toutes parts; autant de pointes, autant de plaies; le sang coule tout de nouveau, et, selon la parole du Prophète qui s'accomplit à la lettre, depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, il n'y a plus rien en cet homme de douleurs qui n'ait eu sa peine et son tourment : A planta pedis usque ad verticem non est in eo sanitas (1).

Du moins si l'on en demeurait là ! mais tout cela ne peut suffire à des cœurs si durs et si impitoyables. Il faut qu'on lui rende dans cet état les hommages qui lui sont dus, c'est-à-dire des hommages proportionnés à la pourpre, au sceptre et à la couronne qu'il porte. Comment donc l'adorent-ils? En s'humiliant par raillerie devant lui, en lui disant, un genou en terre et d'un ton moqueur : Nous vous saluons, roi des Juifs : Ave, rex Judœorum (2). Quels tributs lui paient-ils? Ils lui crachent au visage, ils le meurtrissent de soufflets, ils lui ôtent la canne qu'il tient dans la main , et lui en déchargent mille coups sur la tète. Tout ce que je dis, c'est ce que les évangélistes nous ont rapporté, et je n'ajoute rien au témoignage qu'ils en ont rendu : Et expuentes in eum, acceperunt arundinem, et percutiebant caput ejus (3).

Voilà, Chrétiens, à quoi fut exposé le Roi des rois ; voilà, j'ose l'espérer de votre piété, voilà ce qui vous touche, ce qui vous pénètre , peut-être ce qui vous attendrit jusqu'aux larmes, ou ce qui vous anime au moins de la plus juste indignation. Mais du reste, n'allumons point inutilement notre zèle contre Tes ennemis de Jésus-Christ : réservons-le pour nous-mêmes, et tournons-le contre nous-mêmes. Car n'est-ce pas ainsi que nous avons cent fois traité ce roi de l'univers, et que nous le traitons tous les jours? Nous le couronnons, mais nous le couronnons d'épines, et d'épines mille fois plus piquantes que toutes celles dont il fut couronné par ses bourreaux. Je m'explique, et concevez ceci, je vous prie.

Nous sommes chrétiens, et en qualité de chrétiens, nous faisons profession d'appartenir à ce Dieu Sauveur, comme à notre roi. Nous savons, et la foi nous l'enseigne, que toute puissance lui a été donnée au-dessus de toutes les nations du monde, et même au-dessus de toute la cour céleste : Data est mihi omnis potestas in cœlo et in terra (4). Nous savons qu'il a été établi de son Père pour régner non-seulement

 

1 Isa., I, 6. — 2 Matth., XXVII, 29.— 3 Ibid.,30.— 4 Ibid., XXVIII, 8.

 

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en Sion : Ego autem constitutus sum rex ab eo super Sion (1); mais pour étendre son empire jusqu'aux extrémités de la terre : Postula a me, et dabo tibi gentes hœreditatem tuam, et possessionem tuam terminos terrœ (2). Il est vrai qu'il dit à Pilate que son royaume n'était pas de ce monde; mais il ne prétendait point en cela lui faire entendre que ce monde ne fût pas soumis à sa domination. Il ne voulait lui dire autre chose, sinon qu'il n'était venu dans le monde que pour y exercer une domination spirituelle, et non point une domination temporelle : car voilà le sens de ces paroles : Regnum meum non est de hoc mundo (3). Domination qu'il n'a fait consister que dans l'Evangile qu'il nous a annoncé, que dans la loi qu'il nous a prêchée, que dans les préceptes, dans les conseils, dans les exemples et les règles de conduite qu'ils nous a donnés : Ego autem constitutus sum rex ab eo, prœdicans prœceptum ejus (4). Nous savons, dis-je, tout cela, mes Frères; et, prévenus de ces connaissances et de ces principes de religion, nous embrassons l'Evangile de cet envoyé de Dieu, nous acceptons la loi de ce souverain législateur, nous recevons sa morale, et nous révérons, ce semble, ses préceptes et ses maximes ; nous allons à ses autels lui offrir notre culte, et nous nous prosternons en sa présence pour l'adorer. Ainsi, pour m'exprimer de la sorte, le voilà proclamé roi par notre bouche, et couronné de nos propres mains : Et cœperunt salutare eum : Ave, rex (5).

Mais cette couronne que nous lui présentons, de quelles épines n'est-elle pas mêlée ; ou plutôt, de quelles épines n'est-elle pas toute composée? Carne nous trompons point, mes chers auditeurs, et ne nous arrêtons point à de spécieuses démonstrations. Quand, en même temps que nous couronnons Jésus-Christ, nous le renonçons du reste dans toute la conduite de notre vie; quand, après lui avoir rendu devant un autel ou au pied d'un oratoire, je ne sais quel culte d'un moment et de pure cérémonie, nous agissons ensuite d'une manière toute contraire à l'Evangile qu'il nous a prêché ; que nous violons impunément et habituellement la loi qu'il nous a annoncée; que nous suivons dans la pratique une tout autre morale que celle qu'il nous a enseignée; que nous abandonnons les règles, les maximes, les principes qu'il nous a tracés ; que nous traitons même de faiblesse , et que nous tournons en raillerie la fidélité

 

1 Psal., II, 6. — 2 Ibid., 8. — 3 Joan., XVIII, 36. — 4 Psal., II, 6. — 5 Marc, XV, 18.

 

de quelques âmes chrétiennes qui refusent de s'en départir, et font une profession ouverte de s'y conformer; quand nous ne prenons pour guides dans toutes nos démarches que le monde, que notre ambition, que notre plaisir, que notre intérêt, que nos ressentiments, que nos passions et tous nos désirs déréglés ; encore une fois, quand nous nous déclarons ses sujets, et que néanmoins nous en usons de la sorte et nous nous comportons en mondains et en païens, n'est-ce pas le couronner d'épines? et ne peut-on pas alors dire de nous ce que le texte sacré nous rapporte des soldats? Et plectentes coronam de spinis, posuerunt super caput ejus (1).

Car jamais les épines qui lui percèrent la tête lui furent-elles plus douloureuses et plus sensibles que tant de désordres, que tant d'injustices, que tant de vengeances , que tant de médisances, que tant d'impiétés, que tant d'excès et de débauches, où tous les jours l'on se porte jusque dans le christianisme, qui est proprement son royaume? Est-ce donc là le tribu que nous lui payons ? Les rois, dit saint Bernard, se font des couronnes de ce qui leur est offert par les peuples qui leur sont soumis; et comme l'or est le tribut qu'ils exigent de leurs sujets, de là vient aussi qu'ils ont des couronnes d'or : mais que reçoit de nous notre Dieu et que lui produisons-nous autre chose que des épines, c'est-à-dire que des négligences et des lâchetés, que des imperfections et des infidélités, que des habitudes vicieuses, que des attaches criminelles? tellement que notre âme est comme ce champ ou comme cette vigne dont a parlé le Sage, lorsqu'il disait : J'ai passé par le champ du paresseux, et j'ai considéré la vigne de l'insensé : Per agrum hominis pigri transivi, et per vineam viri stulti (2); mais qu'y ai-je aperçu ? tout était plein d'orties, et toute la surface était couverte d'épines : Et ecce totum repleverant urticœ, et operuerant superficiem ejus spinœ (3).

Il ne peut s'en taire, ce Roi digne de toutes nos adorations et de tout notre amour, mais dont nous profanons si indignement la souveraine majesté, et à qui nous causons tous les jours de si vives douleurs. Il nous adresse sur cela ses plaintes, et sa grâce nous les fait entendre au fond du cœur : mais où tombe sa parole? comme ce bon grain de l'Evangile, elle tombe au milieu des épines : Et aliud cecidit inter spinas (4); c'est-à-dire, qu'elle tombe dans

 

1 Matth., XXVII, 29. — 2 Prov., XXIV, 30. — 3 Ibid., 31. — 4Luc, VIII, 7.

 

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des cœurs sensuels et tout charnels, dans des cœurs vains et enflés d'orgueil, dans des cœurs possédés du monde et de ses biens périssables, dans des cœurs corrompus. Ces épines croissent toujours, elles s'étendent, elles se multiplient, jusqu'à ce qu'elles viennent à étouffer tous les sentiments de la grâce du Seigneur, et qu'elles arrêtent toute la vertu de sa divine parole : Et simul exortœ spinœ suffocaverunt illud (1).

Ce n'est pas tout, reprend saint Bernard, et nous déshonorons encore autrement la royauté du Fils de Dieu. Outre les épines dont nous le couronnons, nous ne lui faisons porter pour sceptre qu'un roseau : comment cela? Par nos inconstances et nos légèretés perpétuelles m tout ce qui concerne son service. Aujourd'hui nous sommes à lui, et demain nous n'y sommes plus. Aujourd'hui nous nous rangeons sous son obéissance pour exécuter fidèlement ses ordres, et demain nous les transgressons. Aujourd'hui nous lui jurons un attachement inviolable, et demain nous secouons le joug, et nous nous révoltons : tantôt pour. Dieu et tantôt pour le monde ; tantôt dans l'ardeur d'une dévotion tendre et affectueuse, et tantôt dans le relâchement d'une vie tiède et inutile. Or tout cela, qu'est-ce autre chose que lui mettre un roseau dans la main pour nous gouverner? Je veux dire que c'est ne lui donner sur nous qu'un empire passager, sans solidité et sans consistance.

Car son empire est dans nous-mêmes et au milieu de nous-mêmes : Regnum Dei intra vos est (2) ; et quelque absolu qu'il soit, il ne subsiste (ne vous offensez pas de cette proposition, je l'expliquerai), il ne subsiste qu'autant que nous le voulons et que nous nous y soumettons. Si nous le voulons toujours et si nous nous y soumettons toujours, il durera toujours : mais si nous ne le voulons et si nous ne nous y soumettons que par intervalles, ce ne sera plus un empire stable et permanent. Ce n'est pas que Jésus - Christ, vrai Dieu comme il est vrai homme, n'ait sur nous un empire indépendant de nous, un empire inaliénable, immuable, éternel, un empire que nous ne pouvons troubler, parce qu'il est au-dessus de tous nos caprices et de tous nos changements : mais outre ce premier empire, cet empire essentiel et nécessaire, il y en a un que nous pouvons lui donner ou lui refuser, parce qu'il l'a fait dépendre de nous-mêmes et de notre volonté. Ainsi, que nous lui soyons

 

1 Luc, VIII, 7. — 2 Luc, XVII, 21.

 

volontairement et librement soumis comme à notre roi ; que volontairement et de gré nous nous attachions à lui, nous observions ses commandements, nous lui rendions tous les devoirs que nous prescrit la religion, voilà l'empire que nous pouvons lui ôter. Je ne dis pas que nous pouvons lui en ôter le droit, mais l'effet, puisqu'il nous a laissé notre libre arbitre pour demeurer dans la sujétion qui lui est due, et pour satisfaire à tout ce qu'elle nous impose, ou pour nous en retirer malgré toutes nos obligations, et pour vivre selon nos appétits et nos aveugles convoitises.

Or c'est de cet empire, dont il est néanmoins si jaloux, que nous faisons comme un roseau qui plie au moindre souffle, et qui tourne de tous les côtés. Que ne lui disons-nous point à certains jours et à certaines heures, où l'esprit divin se communique plus abondamment à nous, et nous touche intérieurement? De quels regrets sommes-nous pénétrés à la vue de nos égarements, et que ne nous proposons-nous point pour l'avenir? Quelles résolutions, quels serments de ne nous détacher jamais de ses intérêts, et de garder de point en point toute sa loi? Rien donc, à ce qu'il semble, rien alors de mieux établi que son empire. Mais le voici bientôt détruit : il ne faut pour cela qu'une occasion qui se présente, qu'un exemple qui attire, qu'une difficulté qui naît, qu'un respect humain qui arrête, qu'un dégoût naturel qui survient, qu'une passion qui se réveille. On reprend ses premières voies, on se rengage dans ses mêmes habitudes, on oublie toutes ses promesses, on quitte toutes ses bonnes pratiques, on change de maître; et de l'empire de Jésus-Christ, on retourne sous la domination et la tyrannie de ses inclinations vicieuses. Peut-être en revient-on encore; mais pour y rentrer tout de nouveau. Ce ne sont que vicissitudes, que variations; et le plus fragile roseau n'est pas sujet à plus de mouvements opposés, ni à plus de dispositions toutes différentes.

Cependant, mes frères, l'iniquité se soutient jusqu'au bout ; et si les soldats couvrent enfin par dérision le Sauveur du monde d'une robe de pourpre, cela même, par rapport à nous, renferme un mystère bien étrange; je dis un mystère véritable, et que le Saint-Esprit, selon la remarque des Pères, a eu expressément intention de nous déclarer; car ce n'est pas sans raison, dit saint Augustin, que le prophète Isaïe, s'adressant à la personne du Sauveur, lui demande l'intelligence de ce mystère, et qu'il

 

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veut apprendre de lui ce que signifie cette pourpre : Quare ergo rubrum est indumentum tuum, et vestimenta tua sicut calcantium in torculari (1) ? Hé ! Seigneur, pourquoi votre robe est-elle toute rouge? et pourquoi vos vêtements sont-ils comme les habits de ceux qui foulent le vin dans le pressoir? Le voulez-vous savoir, chrétiens, la chose vous touche aussi bien que moi. Ecoutez ce que ce Sauveur lui-même répond à son prophète : Aspersus est sanguis eorum super vestimenta mea (2) : Leur sang a rejailli sur moi, et toute ma robe en a été tachée. Comme s'il disait : Ce sont les dérèglements de mon peuple qui m'ont fait rougir, et c'est de quoi je rougis encore tous les jours. La honte en est retombée sur moi; et ne pouvant faire nulle impression sur ma divinité, elle s'est attachée à l'humanité dont je me suis revêtu. Dans la splendeur de ma gloire, mes habits étaient aussi blancs que la neige; mais depuis que je me suis réduit sous une forme humaine, ils sont devenus rouges comme l'écarlate, parce que je me suis vu chargé de toutes les abominations du monde.

Quel reproche, mes frères, et quel sujet de confusion pour nous-mêmes! Car la confusion de notre roi doit retomber sur nous-mêmes, et doit encore de plus servir un jour à notre jugement et à notre condamnation. Il aura son temps pour venger l'honneur de sa royauté flétrie et profanée. Tout l'univers alors s'humiliera devant lui, tous les rois de la terre déposeront à ses pieds leurs couronnes; il n'y aura plus là d'autre roi que ce Roi de gloire ; et de quelle frayeur serons-nous saisis, quand nous le verrons assis sur son trône, armé du glaive de sa justice, et couronné de tout l'éclat de sa divine et suprême grandeur ! C'est à ce dernier jour qu'il fera le terrible discernement de ceux qui l'auront honoré, et de ceux qui l'auront méprisé ; qu'il mettra les uns à sa droite comme ses prédestinés et ses élus, et les autres à sa gauche comme des rebelles, des réprouvés ; qu'il dira aux uns, en les appelant à lui : Venez, possédez mon royaume, vous qui m'avez servi comme votre maître, et qui m'avez obéi comme à votre roi : Tunc dicet rex his, qui a dextris erunt : Venite, possidete paratum vobis regnum (3) ; et qu'il dira aux autres, en les rejetant : Allez, et retirez-vous de moi ; vous n'avez point été mon peuple, et vous n'avez point voulu vivre dans ma dépendance; je ne sais qui vous êtes, et je vous livre à ces puissances de ténèbres qui vous ont si longtemps

 

1 Isa., LXIII, 2. — 2 Ibid., 3. — 5 Matth., XXV, 34.

 

temps dominés, et qui vous attendent pour vous faire part de leur sort et de leur malheur éternel : Tunc dicet et his qui a sinistris erunt : Discedite a me in ignem œternum, qui paratus est diabolo et angelis ejus (1).

Ah ! chrétiens, que ferons-nous lorsqu'il nous frappera de ce redoutable anathème? En vain nous commencerons à craindre et à révérer son souverain pouvoir ; en vain nous lui crierons mille fois : Seigneur, Seigneur : Tunc respondebunt ei, Domine (2) ; en vain, prosternés devant son tribunal, nous lui dirons : Roi immortel, roi de tous les siècles, que toute louange, que toute gloire vous soit rendue : Regi sœculorum immortali honor et gloria (3) ; ce ne sera plus qu'un culte forcé et contraint, et il demandait un culte de piété et d'amour ; ce ne seront plus que des soumissions d'esclaves, et il voulait une obéissance d'enfants. Or, il n'y a que les enfants qui trouveront place dans son royaume, et les esclaves en seront éternellement bannis. Ce n'est pas qu'il ne retienne toujours sur ces malheureux son empire naturel, car c'est à lui que son Père a dit : Régnez au milieu même de vos ennemis : Dominare in medio inimicorum tuorum (4) ; mais comment? pour les gouverner avec un sceptre de fer, et pour leur faire sentir tout le poids de vos justes vengeances : Reges eos in virga ferrea (5). Je vais trop loin, mes chers auditeurs, et revenons. Comme il n'y a point de mystère où la royauté de Jésus-Christ ait été plus avilie et plus outragée que dans son couronnement, je prétends d'ailleurs qu'il n'y en a point où elle ait été plus solidement établie et plus justement vérifiée : c'est le sujet de la seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

C'est le caractère particulier de la royauté de Jésus-Christ, d'avoir été reconnue au milieu même des opprobres et jusque dans le comble de l'humiliation. Au Calvaire et sur la croix, entre deux voleurs condamnés au même supplice que lui et mourant avec lui, il fut déclaré roi ; et malgré toutes les oppositions de la Synagogue, l'écriteau qu'on mit au-dessus de sa tête en le crucifiant portait ces mots : Jésus de Nazareth, roi des Juifs (6). Il est étonnant, chrétiens, que Pilate, après avoir accordé si lâchement aux Juifs tout ce qu'ils lui avaient demandé touchant la personne du Sauveur, jusqu'à la sacrifier à leur haine, ne voulût

 

1 Matth., XXV, 41. — 2 Ibid., 44. — 3 1 Tim., I, 17. — 4 Psal., CIX, 2. — 5 Ibid., II,9. — 6 Joan., XIX, 9.

 

 

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néanmoins jamais les entendre, ni rien relâcher, quand ils lui proposèrent d'effacer ces quatre paroles, ou d'y faire au moins quelque changement. Quelque mécontentement qu'ils pussent lui en témoigner, quelques instances qu'ils lui fissent, tous leurs efforts et toutes leurs remontrances furent inutiles. Non, leur répondit-il avec une fermeté inébranlable, il in a rien là à réformer : ce que j'ai écrit, est écrit : Quod scripsi, scripsi (1). Pourquoi cela, et d'où lui venait sur ce point une telle résolution? N'en soyons point surpris, dit saint Chrysostome : c'est qu'il agissait alors par le mouvement de l'esprit de Dieu qui le conduisait : et comme Caïphe, tout méchant et tout injuste qu'il était, avait prophétisé, par l'inspiration divine, sur la mort de Jésus-Christ, aussi Pilate, quoique païen, fut l'organe dont Dieu se servit pour relever solennellement et authentiquement la royauté de ce Messie. Jésus-Christ, parlant de lui-même, avait dit hautement : Je suis roi; et les Juifs soutenaient opiniâtrement qu'il ne l'était pas. Il fallait un juge qui terminât ce différend et un juge désintéressé. Pilate prononce; et après avoir ouï les parties, et mûrement examiné le fait, lui qui était étranger et Romain, il décide à l'avantage du Fils de Dieu, et le reconnaît roi : Jesus Nazarenus rex (2).

Mais que fais-je, Chrétiens? n'allons pas si loin : les soldats, en le couronnant, ne commencent-ils pas dès lors à le reconnaître pour ce qu'il est ; et tout ignominieux que paraît ce ronronnement, n'était-ce pas, selon les vues du ciel, une disposition secrète au jugement que devait rendre Pilate? ce n'était pas là l'intention de cette brutale et insolente milice; mais, remarque saint Ambroise, contre leur intention, ils contribuaient, sans le vouloir et sans le savoir, à l'accomplissement des desseins de Dieu. Dieu voulait que son Fils fût salué comme roi, fût couronné comme vainqueur, lut adoré comme Seigneur et comme Dieu. Or, voila justement ce qui s'exécute; et quoique ce ne lût pour ces soldats qu'un divertissement et qu'un jeu, c'était, pour la Providence et la Sagesse éternelle qui l'avait réglé de la sorte, un effet réel et une vérité : Et si corde non credunt, Christo tamen suus non defuit honor, qui salutatur ut rex, coronatur ut victor, Deus et Dommus adoratur; mystère profond et admirable, mes chers auditeurs ; mystère digne de toutes nos réflexions. Mettons-le dans un

 

1 Juan., XIX,22. — 2 Ibid., 19.

 

nouveau jour, et tâchons à en découvrir toutes les merveilles.

Car ce qu'il y a, ce me semble, de plus singulier, c'est que les mêmes choses par où les persécuteurs de notre divin Maître croyaient le déshonorer, ont été les marques les plus naturelles de sa souveraineté, et ont servi à nous en donner l'idée la plus convenable. Prenez garde, ils l'ont couronné d'épines ; à qui cette couronne pouvait-elle mieux convenir qu'à celui qui devait surtout être le roi des âmes souffrantes, et qui ne voulait à sa suite que des sujets préparés à la douleur, aux persécutions, au martyre? une couronne de fleurs lui eût-elle été propre, et ces épines n'exprimaient-elles pas le vrai caractère de sa dignité royale ? En effet, Chrétiens, c'est cette couronne d'épines que toute la terre a révérée ; c'est pour cette couronne d'épines que les princes et les plus grands monarques ont témoigné tant de zèle et tant de piété, armant des flottes entières, passant les mers, s'exposant à mille périls, et regardant comme une précieuse conquête de l'enlever à des peuples infidèles ; c'est cette couronne d'épines qu'ils ont rapportée dans leurs Etats, et qu'ils y ont conservée comme le plus riche trésor ; c'est cette couronne d'épines qui a fait les délices des saints, et toute leur gloire.

Quand le Sauveur des hommes se présenta à la bienheureuse Catherine de Sienne avec deux couronnes à la main, l'une d'épines et l'autre de roses, et qu'il lui en laissa le choix, délibéra-t-elle un moment ? Avec quelle ardeur et quelle tendresse, avec quels transports de joie prit-elle les épines et rejeta-t-elle les roses ! pourquoi? parce qu'elle savait à quel roi elle s'était dévouée ; que ce n'était point un roi de plaisir, mais un roi de souffrance ; que dans sa cour il ne permettait ni délicatesses, ni douceurs humaines, ni commodités de la vie. D'où elle concluait que, s'étant toute consacrée à son service, elle ne devait point souhaiter d'autre partage que les afflictions et les épines les plus aiguës. Nous n'en demanderons point d'autre nous-mêmes, dès que nous serons remplis du même esprit que cette fidèle épouse de Jésus-Christ, ou, pour mieux dire, dès que nous serons remplis comme elle du véritable esprit de la religion que nous professons.

Cependant, mes Frères, à ce roi couronné d'épines il fallait un sceptre, et les soldats y pourvoient. Le sceptre répond parfaitement à la couronne : car c'est un roseau qu'ils lui mettent dans la main. Or, selon la belle observation

 

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de saint Augustin, pouvaient-ils mieux représenter la nature de son pouvoir, qui n'a point éclaté par la force ni par la violence, mais par la faiblesse même et par l'infirmité? Les rois de la terre ont besoin de troupes, de légions, de corps d'armées, pour dompter leurs ennemis, et pour maintenir leurs sujets dans le devoir et l'obéissance. Ils portent le sceptre ; et ce sceptre, disait un ancien, est comme une main empruntée (1) ; pour signifier que si d'eux-mêmes ils n'ont pas le bras assez fort, ils ont de quoi l'affermir et le raidir, quand ils voudront l'étendre sur la tête des rebelles. Mais au roi que nous adorons, il ne faut, de la part des hommes, ni appui, ni secours. A le considérer selon le monde, on dirait qu'il n'est rien de plus faible, et qu'il n'a ni puissance, ni vertu ; c'est un roi pauvre, un roi humble et petit, un roi sans éclat, sans pompe, sans munitions, sans armes; mais comme il est le bras de Dieu, rien de tout cela ne lui est nécessaire ; et sans emprunter sa force d'ailleurs, il la trouve dans lui-même : de sorte qu'avec les moyens les plus impuissants, il peut tout et il vient à bout de tout. Pour opérer les plus grands miracles, un roseau lui a suffi : avec ce roseau qui fut, selon la remarque de saint Athanase, le symbole de la croix, il a subjugué plus de nations que les plus fameux conquérants ; avec ce roseau, il a confondu les démons et mis toutes les puissances infernales en déroute ; avec ce roseau, il a établi son royaume, qui est son Eglise ; il l'a élevée sur les ruines de l'infidélité, et répandue jusqu'aux extrémités du monde; avec ce roseau, il a brisé l'orgueil des potentats qui s'opposaient à sa sainte loi ; il a dissipé tous leurs projets, renversé toutes leurs entreprises, et les a réduits eux-mêmes sous son empire. 0 prodige le plus merveilleux ! ô faiblesse toute-puissante !

Sur quoi saint Bernard entrait dans un sentiment bien affectueux et bien touchant : Ah ! Seigneur, s'écriait-il en s'adressant à Jésus-Christ même, puisque les choses les plus faibles acquièrent dans votre main tant de pouvoir et tant de force, et qu'un roseau y a été comme un sceptre et une verge de fer pour régir les peuples, prenez mon cœur; ce n'est qu'un roseau fragile, qu'un roseau creux et vide de tout bien, vide de charité, vide de dévotion et de piété, vide de bonnes œuvres et de mérites ; qu'un roseau flexible et mobile, que son extrême légèreté fait tourner à tout vent, et que la moindre impression est capable d'ébranler :

 

1 Manus altera regum.

 

mais du moment qu'elle sera entre vos mains, vous le remplirez de voire grâce et de la force de votre divin esprit ; vous en ferez un cœur généreux , un cœur ferme , un cœur ardent et fervent ; un cœur prêt à surmonter toutes les difficultés, et à vaincre, par une persévérance infatigable, tous les obstacles. Ainsi parlait ce Père ; et ne nous persuadons pas, au reste, que ce roseau donné à Jésus-Christ, en forme de sceptre, fût de l'invention des soldats; il fut du choix même du Fils de Dieu, qui, selon le témoignage du grand Apôtre, a toujours pris ce qu'il y avait de plus infirme et de plus petit dans le monde pour abattre les forts ; ce qu'il y avait de plus vil et de plus bas , pour humilier les grandeurs ; ce qu'il y avait de plus méprisable ou ce qui le paraissait ; en un mot, ce qui n'était rien , pour confondre tout le faste humain et pour anéantir toute puissance mortelle : Infirma mundi elegit Deus, ut confundat fortia ; et ignobilia mundi et contemptibilia elegit Deus, et ea quœ non sunt, ut ea quœ sunt, destrueret (1).

Ce n'est pas non plus sans mystère qu'on le couvre enfin d'un manteau de pourpre, et il n'est pas difficile d'en apercevoir d'abord toute la convenance : car était-il une couleur plus sortable à un roi qui devait former son royaume sur la terre, et qui devait l'amplifier par l'effusion de son sang? Ah ! il devait être le prince et le roi des martyrs : il devait leur donner le signal de ces guerres sanglantes où leurs corps seraient livrés à tous les tourments, où ils seraient brisés, déchirés, immolés comme des victimes; et quel autre signal eût été plus propre à leur annoncer de tels combats , et à les animer, que la pourpre dont il est revêtu ! La pourpre fut toujours employée à l'investiture des rois ; mais jamais roi eut-il droit comme le Sauveur, de la porter, puisque jamais roi ne fut consacré comme lui, ni ne reçut l'onction royale dans son sang? Ce roi de nos cœurs ( belles paroles de saint Ambroise), ce roi de nos cœurs se montre à nous sous la pourpre et sous l'écarlate, pour nous désigner les victoires et les triomphes du martyre : Designans martyrum palmas, et regiœ protestatis insignia. Il veut nous faire entendre de quel sang son Eglise serait un jour tout empourprée, il veut nous faire connaître sur quoi son royaume sera fondé, à quel prix il le doit acheter, et que c'est par le sacrifice de sa vie et par toutes les douleurs de sa passion qu'il le doit conquérir : Quod caro ejus fusum pro toto terrarum orbe

 

1 1 Cor., I, 28.

 

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sanguinem esset susceptura pro nobis, et passio regnum paritura de nobis.

La pourpre des Césars était teinte de sang, dit saint Jérôme ; mais du sang des hommes qu'ils avaient versé, et souvent avec autant d'injustice que de fureur. Si elle éclatait, c'était du feu brûlant de leur ambition : et si elle rougissait, c'était bien moins de sa propre couleur que de leurs vices. Leur pourpre les faisait donc redouter, poursuit ce saint docteur; mais la pourpre de Jésus-Christ nous le fait également respecter et aimer : car qui ne l'aimerait pas, voyant dans cette pourpre, avec les marques de sa royauté, les plus sensibles témoignages de sa charité ?

Il n'y a dans tout cet appareil qu'une circonstance qui ne semble pas pouvoir s'accorder avec la majesté souveraine : ce sont les injures qu’il reçoit, les blasphèmes que profèrent contre lui les soldats, les reproches , les malédictions, les coups dont ils l'accablent. Quels hommages en effet pour un roi ! Je me trompe, Chrétiens, et saint Cyrille de Jérusalem corrige sur ce point mon erreur : c'est dans la douzième de ses Catéchèses. Il prétend, et avec raison, que ces hommages, quelque indignes qu'ils paraissent, n'ont rien eu que de très-conforme à la mission du Sauveur et à sa qualité de roi. Si son royaume, dit-il, eût été, comme les autres, un royaume temporel, il faut avouer qu'il n'y eût eu entre sa royauté et de pareils traitements nulle proportion : mais souvenons-nous, mes Frères, ajoute ce saint évoque, et n'oublions jamais que le royaume de notre maître ne consiste pas dans les honneurs mondains; ou plutôt, souvenons-nous que ce royaume de Jésus-Christ consiste expressément dans le mépris de tous les honneurs du monde, que c'en est là une des lois fondamentales, que c'en est une des maximes les plus essentielles. Or, un roi qui venait ériger en maxime et en loi le mépris des honneurs, pouvait-il être mieux reconnu que par les affronts et les opprobres? Voilà donc encore une fois la royauté du Fils de Dieu déclarée, publiée, manifestée dans toute la manière qu'elle devait l'être; et, malgré la malignité des Juifs, voilà les vues du ciel suivies avec toute l'exactitude possible, et ses ordres pleinement accomplis.

De là même, Chrétiens, devons-nous conclure ce que nous sommes, à qui nous sommes, pourquoi nous y sommes, et ce que nous devons enfin devenir, selon le caractère que nous portons, et selon les sacrés rapports que nous avons, en qualité de chrétiens, avec Jésus-Christ. Appliquez-vous, s'il vous plaît, à cette importante morale; c'est tout le fruit de cette seconde partie. Nous sommes les sujets d'un roi couronné d'épines ; nous appartenons à mi roi de souffrance, à un roi d'abjection et d'humiliation ; nous ne sommes à lui que pour vivre comme lui, que pour être animés du même esprit que lui, que pour nous rendre ses imitateurs, comme nous nous déclarons ses disciples et ses sectateurs. Vérités universellement reconnues dans le christianisme , mais bien peu suivies dans la pratique, et même, si je l'ose dire, généralement abandonnées et démenties.

Car de ces principes, que s'ensuit-il? Ah! mes Frères, que n'en avons-nous mieux compris jusqu'à présent les conséquences, ou du moins que ne commençons-nous à les bien comprendre, et à y conformer désormais tous nos sentiments et toute notre conduite! Prenez garde : nous sommes les sujets d'un roi couronné d'épines, nous ne devons donc plus tant rechercher les douceurs et les délices de la vie. Car, servir un roi qui n'a que des épines pour couronne et vouloir se couronner de roses, n'est-ce pas une contradiction? Tel est néanmoins le désordre le plus commun : et quel autre langage est plus ordinaire dans le monde, je dis dans le monde même prétendu chrétien, que celui de ces impies, qui se disent les uns aux autres chez le Sage : Venite, et fruamur bonis quae  sunt (1); divertissons-nous, et jouissons des biens que nous avons : Coronemus nos rosis (2); Faisons-nous des couronnes de fleurs, et des fleurs les plus agréables et les plus douces : Ubique relinquamus signa lœtitiœ (3); Que la joie nous accompagne en tous lieux, et laissons-en partout des marques : Quoniam hœc est pars nostra, et hœc est sors (4); car voilà quel doit être notre partage et notre sort, voilà quelle doit être notre vie.

Il est vrai néanmoins que cette vie molle et délicieuse n'est pas la vie de tous les gens du monde, et qu'il s'en faut bien même qu'elle le soit. Mais si ce n'est pas là leur vie en effet, ce l'est au moins en désir. On y aspire sans cesse, à cette vie aisée et commode; on se la propose comme la fin de ses travaux; on y fait consister le bonheur et la sagesse ; on envie la destinée de ceux qui en goûtent la tranquillité, et l'on se plaint de ne pouvoir trouver dans sa condition cette félicité temporelle : comme si c'était un malheur à des sujets de n'être pas

 

1 Sap., II, 6. — 2 Ibid., 8. —  3 Ibid., 9. — 4 Ibid.

 

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mieux traités que leur roi, et qu'au lieu des épines qu'il a portées et consacrées, il ne dût leur fournir dans son service que des plaisirs. Nous appartenons à un roi de souffrances : nous ne pouvons donc participer aux avantages et aux prérogatives inestimables de sa royauté qu'autant que nous participerons à ses douleurs. C'est en cette vue que les saints ont témoigné tant d'ardeur pour les souffrances. Il n'est pas nécessaire que nous les cherchions comme eux, ni que nous les demandions à Dieu : sa providence prend assez soin d'y pourvoir ; et, par une miséricorde aussi favorable qu'elle nous semble sévère et rigoureuse, il ne nous laisse point manquer sur la terre de disgrâces et d'afflictions ; il n'est question pour nous que d'en bien user; tellement que cette robe de pourpre, dont nous consentirons à être revêtus, nous soit une robe d'honneur et un vêtement de sainteté à quoi il nous reconnaisse. Mais voici l'erreur la plus déplorable, et c'est celle où les disciples eux-mêmes tombèrent. Ils se persuadaient que Jésus-Christ dans la suite serait un roi temporel, et que sous son règne ils n'auraient rien à souffrir : Domine, si in tempore hoc restitues regnum Israël (1)? Ainsi nous nous imaginons faussement, et nous croyons, parce que nous sommes à Dieu, que nous devons être exempts de toutes peines et à couvert de toutes adversités. Nous nous étonnons de voir des gens de bien affligés et sujets aux calamités humaines ; et comme ce qui nous touche nous est encore beaucoup plus sensible, il ne faut que le plus léger accident qui nous arrive, pour nous troubler et nous déconcerter. D'où

 

1 Act., I, 6.

 

vient cela ? c'est que nous ne considérons pas que ce sont là justement les apanages du roi que nous servons, que c'est par là qu'il nous distingue, et qu'il nous fait entrer au nombre de ses élus.

Enfin, nous dépendons d'un roi ignoré du monde, abject et obscur selon le monde, regardé, si je puis m'exprimer de la sorte, comme un roseau dans le monde : comment donc sommes-nous si jaloux d'y paraître et de nous y élever? Je vous laisse, mes Frères, faire vous-mêmes cette monstrueuse opposition, d'un roi volontairement réduit dans le dernier mépris et dans l'humiliation la plus profonde, et d'un vil sujet qui ne pense qu'à s'agrandir, et qu'à tenir au-dessus des autres un rang qui le fasse craindre, qui le fasse honorer, qui lui attire des respects et de la considération parmi les hommes. Car n'est - ce pas là le terme où tendent tous les désirs, toutes les réflexions, tous les projets et toutes les démarches d'une multitude infinie de chrétiens adorateurs d'un Dieu abaissé, moqué, outragé? C'est à vous, mes chers auditeurs, à le dédommager de tant d'outrages qu'il a reçus de ses ennemis, et qu'il a si souvent reçus de nous-mêmes. Les Juifs n'en ont point voulu pour leur roi; mais nous l'avons choisi pour le nôtre. Allons lui offrir nos hommages, et des hommages dignes de lui; l'hommage d'une tendre componction, l'hommage d'une sainte mortification, l'hommage d'une sincère humilité de cœur et d'action. Voilà par où il veut être honoré, et par où nous parviendrons à régner un jour avec lui dans la gloire , que je vous souhaite, etc.

 

 

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