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INSTRUCTIONS  CHRÉTIENNES SUR DIVERS SUJETS.

INSTRUCTION POUR LE TEMPS DE L'AVENT.

ANALYSE.

 

Dans ce saint temps l'Eglise honore l'incarnation du Verbe. Nous ne pouvons donc mieux nous y occuper que de la méditation il. m grand mystère, où le Verbe divin est venu sur la terre, 1° découvrir sensiblement aux hommes la gloire de Dieu; 2° combattre parmi les hommes et y détruire tous les ennemis de la gloire de Dieu; 3° allumer dans le cœur des hommes un zèle ardent pour la gloire de Dieu.

1° Comment Jésus-Christ vient découvrir sensiblement aux hommes la gloire de Dieu. Qu'est-ce que la gloire de Dieu? cette gloire de Dieu, telle que nous la devons maintenant entendre, ce sont ses perfections révélées et publiées au monde. Or, n'est-ce pas ce que nous découvre sensiblement le Fils de Dieu dans son incarnation?

C'est là que pavait la miséricorde de Dieu,

Sa sagesse,

Sa puissance,

Sa justice.

Cependant n'est-il pas étrange que Dieu soit si peu connu dans le monde, ou qu'on y vive comme si l'on ne le connaissait point ?

ornent Jésus-Christ vient combattre parmi les hommes et y détruire tous les ennemis de la gloire de Dieu. Trois sortes d'ennemis : le démon, le péché, les biens de la terre, ou plutôt l'amour déréglé des biens de la terre.

2° dépossède le démon de l'empire qu'il exerçait sur la terre. Les idoles des faux dieux tombent, et les oracles se taisent.

Il efface les péchés des hommes, et en qualité de victime il présente à Dieu le sacrifice, de notre salut.

Il attaque la cupidité et l'amour déréglé des biens de la terre en deux manières. Dans les justes, il déracine de leur cœur cette je. Dans les impies et les mondains, il la condamne au moins et la réprouve.

3° Comment Jésus-Christ vient allumer dans le cœur des hommes un zèle ardent pour la gloire de Dieu. Premièrement, il nous donne la plus haute estime de cette gloire de Dieu.

Secondement, il nous fait trouver pour nous-mêmes un intérêt propre et essentiel dans cette gloire de Dieu.

Par où pouvons-nous glorifier Dieu? Par les mêmes moyens que Jésus-Christ l'a glorifié : honorons les perfections de Dieu, et reconnaissons-les. Combattons nos passions, qui sont autant de démons domestiques. Pleurons nos péchés, effaçons-les par la pénitence. Renonçons, au moins de cœur, à tous les biens du monde.

 

Le dessein de l'Eglise, dans l'institution de l’Avent, a été d'honorer le Verbe incarné dans le chaste sein de la Vierge, et de nous disposer ainsi à la glorieuse nativité de cet Homme-Dieu. Nous ne pouvons donc mieux nous occuper pendant tout ce saint temps, que du grand mystère de l'incarnation ; et quoique le Fils de Dieu s'y soit si profondément humilié et comme anéanti, nous le devons néanmoins considérer comme un mystère de gloire pour Dieu même, selon qu'il nous est marqué dans ce sacré cantique que chantèrent les anges à la naissance de Jésus-Christ: Gloire à Dieu mi plus haut des cieux! En effet, c'est en se revêtant d'une nature semblable à la notre, et en se faisant homme, que le Verbe divin est venu sur la terre : 1° découvrir sensiblement aux hommes la gloire de  Dieu ; 2° combattre parmi les hommes, et y détruire tous les ennemis de la gloire de Dieu ; 3° allumer dans le cœur des hommes un zèle ardent pour la gloire de Dieu. Appliquons-nous à méditer et à bien pénétrer ces trois vérités. Ce sera pour nous un fonds inépuisable de réflexions et de sentiments les plus propres à nous édifier.

 

§ I. Comment Jésus-Christ vient découvrir sensiblement aux hommes la gloire de Dieu.

 

I. Que le Verbe éternel, en s'incarnant, soit venu découvrir aux hommes la gloire de Dieu, c'est l'expresse doctrine de l'évangéliste saint Jean : Le Verbe, dit-il, s'est fait chair ; il a demeuré et conversé parmi nous, et nous avons vu sa gloire (1). Quelle conséquence ! et le saint évangéliste ne devait-il pas, ce semble,

 

1 Joan., I, 14

 

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conclure tout autrement, et dire : Le Verbe c'est, fait chair, et sous cette chair mortelle dont il est revêtu, il nous a caché la gloire de sa divinité? S'il disait : Le Verbe s'est fait chair, et nous avons été témoins de ses infirmités volontaires, de ses abaissements et de ses anéantissements, nous n'aurions pas de peine à comprendre la pensée de ce disciple bien-aimé, et elle nous paraîtrait très-naturelle ; mais que le Verbe se soit fait chair, qu'en se faisant chair comme nous, il se soit assujetti à toutes nos misères, et qu'en cela néanmoins il ait fait éclater sa gloire, c'est ce qui paraît se contredire, et de quoi nous ne voyons pas d'abord la liaison. Rien toutefois n'est plus juste que ce raisonnement, dit saint Augustin, et il ne faut qu'un peu d'attention pour en voir toute la solidité et toute la vérité. Car si la gloire de Dieu devait être révélée aux hommes d'une manière sensible, c'était justement par les humiliations du Verbe ; et il n'y avait que ce Verbe humilié qui pût nous faire connaître l'excellence d'un Dieu glorifié : tellement, conclut saint Augustin, que si saint Jean n'avait pas dit : Le Verbe s'est fait chair, nous n'aurions pu dire que nous avons vu sa gloire. Qu'est-ce que la gloire de Dieu dont il est ici question, et en quoi consiste-t-elle ? Cette gloire de Dieu telle que nous la devons maintenant entendre, c'est-à-dire cette gloire qui est dans Dieu, et que nous désirons de connaître, n'est autre chose que les perfections de Dieu. Par conséquent, découvrir aux hommes les perfections de Dieu, c'est leur découvrir la gloire de Dieu. Or, n'est-ce pas ce que nous découvre admirablement et sensiblement le Fils de Dieu dans son adorable incarnation?

II. Et d'abord, la miséricorde de Dieu pouvait-elle se produire avec plus d'éclat que dans ce mystère? pouvait-elle nous donner une idée de ce qu'elle est, comparable à celle-ci ? a-t-elle jamais rien fait dans le monde qui en ait approché ? 0 prodige ! s'écrie Zénon de Vérone, un Dieu réduit à la petitesse d'un enfant ! et cela pour qui? par amour pour son image, et pour des créatures formées de sa main. Reconnaissons l'excellence de notre religion dans les vues excellentes qu'elle nous donne du Maître que nous adorons, et de sa bonté sans mesure. Toutes les religions païennes, dans la vanité de leurs fables, ont-elles jamais rien imaginé de pareil? Nous avons des dieux, disait un des sages du paganisme ; mais ces dieux passeraient pour des monstres s'ils vivaient parmi nous, tant ils ont été vicieux et corrompus. Nous, dit saint Augustin, nous servons un Dieu en qui tout est merveilleux ; mais de toutes les merveilles qu'il renferme dans son être divin, ce qu'il y a de plus merveilleux et de plus incompréhensible, c'est son amour. Il ne faudrait donc que le mystère de l'incarnation pour confondre toute l'idolâtrie et toute la superstition païenne. Car, selon la belle remarque de saint Grégoire de Nysse, la vraie religion est d'avoir des sentiments de Dieu conformes a la nature et à la grandeur de Dieu : or, ce grand mystère nous fait concevoir une estime de la miséricorde de Dieu si relevée, qu'il n'est pas possible à l'esprit de l'homme de la porter plus haut.

III.  Il en est de même de la sagesse de Dieu. Que la prudence aveugle du siècle en juge comme il lui plaira, on peut dire, et il est vrai, qu'un Homme-Dieu est le chef-d'œuvre d'une sagesse toute divine, parce que c'est ainsi que Dieu a pris le moyen le plus convenable de réparer sa propre gloire et d'opérer le salut des hommes. Il avait été offensé, ce Dieu de majesté ; il lui fallait une satisfaction digne de lui, et nul autre qu'un Dieu ne pouvait dignement satisfaire à un Dieu. L'homme s'était perdu : Dieu voulait le sauver en le délivrant de la mort éternelle ; et comme il n'y avait qu'un Dieu qui, par ses mérites infinis, pût le délivrer de cette mort, il n'y avait conséquemment qu'un Dieu qui pût le sauver. Il fallait que ce Sauveur fût tout ensemble vrai Dieu et vrai homme. S'il eût seulement été Dieu, il n'eût pu souffrir ; s'il eût été seulement homme, ses humiliations ni ses souffrances n'eussent pas été des réparations suffisantes. De plus, s'il eût seulement été Dieu, il eût été invisible, et n'eût pu nous donner l'exemple; et s'il eût seulement été homme, son exemple n'eût pas été pour nous une règle tout à fait sûre et a. couvert de tout égarement. Mais étant Dieu et homme, comme homme il a pu s'abaisser, et comme Dieu il a donné à ses abaissements une valeur inestimable et sans mesure; comme homme il s'est montré à nos yeux pour nous servir de guide, et comme Dieu il nous a rassurés pour nous faire prendre avec confiance la voie où il est entré, et où il a voulu nous conduire!. Ainsi, dans ces jours de grâce et de salut, nous n'avons point de sentiment plus ordinaire à prendre que de nous écrier avec l'Apôtre : O richesses! ô abîme de la sagesse et des jugements de Dieu (1).

IV.  Mais quelle vertu et quel pouvoir dans

 

1 Rom., XI, 33.

 

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Dieu ne demandait pas l'accomplissement de ce grand ouvrage? Quel effort et quel miracle de la droite du Très-Haut ! un Dieu-Homme, conçu par une mère vierge ; c'est-à-dire, dans la même personne, dans le même Jésus-Christ, la divinité jointe avec notre humanité, l'immortalité avec notre infirmité, la grandeur avec notre bassesse, l'infini avec le fini, l'être avec le néant ; et, dans la même mère, la maternité avec, la virginité ! Voilà proprement l'œuvre de Dieu. Tout ce qu'il «avait fait jusqu'à présent dans l'univers n'était pour lui, selon l'expression même de l'Ecriture, que comme un jeu ; mais c'est ici que sa toute-puissance se déploie dans toute son étendue, et c'est dans la faiblesse d'un Enfant-Dieu qu'il fait éclater toute sa force.

V. Il n'y a que la justice de Dieu qui semble demeurer inconnue, et n'avoir nulle part dans ce mystère de grâce. Mais nous nous trompons, si nous le pensons de la sorte ; et l'on peut même ajouter que de toutes les perfections divines qui reluisent dans la personne du Sauveur, la justice est celle dont les effets y sont plus sensibles, et dont les droits inviolables et souverains y paraissent avec plus d'évidence : jusque-là que saint Chrysostome n'a pas fait difficulté d'avancer cette étrange proposition, mais qui n'a rien que de solide, toute surprenante qu'elle est, savoir : que dans l'enfer, où Dieu exerce ses plus rigoureux châtiments, il ne fait pas néanmoins autant connaître sa justice, que dans le sein virginal de Marie, où le Verbe s'est incarné. La preuve en est incontestable. C'est que dans l'enfer ce ne sont que des hommes réprouvés qui se trouvent soumis à cette justice; au lieu que dans le sein de Marie, c'est un Homme-Dieu qui commence à en devenir la victime et a lui être immolé. Or, qu'est-ce qu'une justice à laquelle il faut une telle hostie et un tel hommage? d'où vient que le Prophète royal, parfaitement éclairé dans la science et le discernement des attributs divins, après avoir dit que Dieu a montré aux hommes routeur de leur salut, ajoute ensuite qu'il a révélé sa justice à toutes les nations (1).

VI. De tout ceci, concluons que le Sauveur du monde, en prenant un corps humain et visible, et nous découvrant ainsi les plus hautes perfections de Dieu, nous donne par là même la plus grande idée de la gloire de Dieu. De sorte que sans attendre sa passion et la fin de si vie mortelle, il peut dire à son Père, dès le moment de sa sainte incarnation: Mon Père,

 

1 Psal., XCVII, 2, 2.

 

j'ai déjà commencé l'office pour lequel vous m'avez envoyé, qui est de vous faire connaître dans le monde. Je n'y entre que pour cela, et je n'en sortirai qu'après avoir consommé cette importante affaire. Car il est d'une nécessité absolue que vous soyez connu des hommes, puisque l'ignorance où ils vivent à l'égard de leur créateur, et du premier de tous les êtres, est un désordre essentiel dans la nature, et la source de tous les autres désordres. C'est pourquoi je viens en ce jour, afin que les hommes, en me contemplant, contemplent dans moi votre gloire, et que la lumière que j'apporte se répande dans toute la terre, et dissipe les ténèbres où elle est ensevelie.

VII Cependant, après une telle manifestation de la gloire de Dieu, n'est-il pas étrange qu'il soit si peu connu dans le monde ? Car ce qu'on appelle le monde, les sectateurs du monde, les esclaves du monde, ces hommes et ces femmes remplis de l'esprit du monde connaissent-ils Dieu? ne font-ils pas profession de l'ignorer, ou du moins de l'oublier? ne vivent-ils pas comme s'il n'y en avait point? leur grand principe n'est-il pas de l'effacer autant qu'ils peuvent de leur souvenir, et de n'y penser presque jamais? C'est la plainte que faisait le disciple saint Jean, expliquant la génération éternelle et temporelle du Fils de Dieu : Dieu était au milieu du monde, comme le maître et l'arbitre du monde, et le monde n'en avait nulle connaissance l. C'est la plainte que Jésus-Christ lui-même faisait à son Père : Père saint, le monde ne vous connaît point%. Quoi que j'aie fait pour lui annoncer vos grandeurs, son aveuglement a prévalu, et il y demeure toujours plongé. Déplorable aveuglement, s'écrie Salvien ; aveuglement qui va jusqu'à mettre Dieu dans notre estime au-dessous de tout! On le perd sans regret, on se tient éloigné de lui sans inquiétude, on lui préfère le moindre avantage, le moindre plaisir, et on ne lui donne la préférence sur rien. Sa grâce et sa haine nous sont également indifférentes : tout cela pourquoi ? toujours par la même raison : c'est que le monde ne l'a jamais bien connu. Car si le monde le connaissait, ce Dieu si miséricordieux, ce Dieu si sage, ce Dieu si puissant, ce Dieu si juste et si saint, on ne vivrait pas dans le dérèglement où l'on vit, on ne s'abandonnerait pas à une telle corruption de mœurs, on ne viendrait pas l'outrager au pied de ses autels, on honorerait son culte, on respecterait ses temples, on pratiquerait sa loi, on redouterait

 

1 Joan., I, 10. —2 Ibid., XVII, 25.

 

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ses vengeances. Mais parce que le monde affecte de le méconnaître, il n'y a point d'excès où l'on ne se porte.

VIII.  Quoi donc! le dessein de Jésus-Christ est-il absolument ruiné ? Il est descendu parmi nous, et il a voulu vivre au milieu de nous, pour publier dans le monde la gloire de son Père : mais dans la suite des siècles, a-t-il été frustré de son attente? Non, sans doute ; mais, outre ce monde perverti qui ferme les yeux à la lumière que le Sauveur des hommes est venu nous présenter, il y a un autre monde, un monde fidèle, un monde prédestiné, le petit monde des justes et des élus. Ce sont ceux-là que Jésus-Christ s'est réservés, et qu'il se réserve encore ; c'est à ceux-là qu'il est donné de connaître les mystères de Dieu, et en particulier le mystère d'un Dieu fait homme. Oui, c'est à vous, dit saint Bernard, à vous qui êtes humbles, à vous qui êtes soumis et obéissants, à vous qui êtes modestes dans votre condition, et qui ne cherchez point à vous élever au-dessus de vous-mêmes par un orgueil présomptueux; à vous qui veillez sur toute votre conduite et sur toutes vos démarches pour les régler; à vous enfin qui vous appliquez à méditer les perfections de votre Dieu et à pratiquer sa loi.

IX.   Plaise au ciel que nous soyons de ce monde chrétien ! Ouvrons les yeux de la foi, et dans le cours de cet Avent, admirons les merveilles du Seigneur. Rendons-nous attentifs à la voix de cet enfant,qui, du sein de sa mère où il est encore caché, nous invite à louer Dieu, à le bénir, et à lui dire avec toute l'Eglise : J'ai considéré vos œuvres, Seigneur, et j'en ai été saisi d'étonnement (1). Car voilà votre ouvrage, ô mon Dieu ! voilà l'ouvrage de votre bras tout-puissant. A en juger par les dehors, je n'y vois rien que de commun, rien même que de bas et de rebutant ; mais c'est en cela même qu'est le prodige. Où votre gloire devrait être ensevelie et anéantie, c'est là que vous la faites paraître dans toute sa splendeur ; et plus vous semblez l'obscurcir dans de profondes ténèbres, plus vous lui donnez de lustre et en rehaussez l'éclat. Heureux que vous en fassiez rejaillir sur moi les rayons , et que vous m'ayez dessillé les yeux pour me la faire apercevoir à travers les ombres qui la couvrent ! Que le monde envisage vos abaissements avec mépris, et qu'il s'en scandalise : pour moi, malgré le scandale du monde et ses fausses idées, je redirai mille fois, et je ne cesserai

 

1 Offic. Eccles.

 

point de chanter avec toute la cour céleste : Gloire à Dieu dans toute l’étendue de la terre et jusqu'au plus haut des cieux (1) !

 

§ II. Comment Jésus-Christ vient combattre parmi les hommes, et y détruire tous les ennemis de la gloire de Dieu.

 

I.  Jésus-Christ fait plus encore. Pour mieux établir parmi les hommes la gloire de Dieu, il vient détruire tous les ennemis qui la combattaient. Dieu avait trois grands ennemis de sa gloire : le démon, le péché et les biens de la terre, ou plutôt l'amour déréglé des biens de la terre. Le démon avait usurpé un empire si absolu sur les âmes, que, de l'aveu même de Jésus-Christ, il passait pour le prince du monde, et l'était en effet, non par une puissance légitime, mais par une possession tyrannique. Le péché, dit saint Paul, régnait depuis Adam jusqu'à Moïse, et depuis Moïse jusqu'à Jésus-Christ, causant partout de tristes ravages, désolant le royaume de Dieu, et suscitant contre lui ses propres créatures. Enfin, l'amour déréglé des biens de la terre dominait presque dans tous les cœurs, où les hommes l'avaient placé comme leur idole, et auquel ils sacrifiaient leur conscience et leur salut. Voilà, dis-je, les trois ennemis que le Fils de Dieu est venu attaquer, et sur lesquels il a remporté de signalés avantages pour la gloire de son Père.

II.   Cela est si vrai, que le démon n'attend pas même le jour où ce Messie devait naître, pour lui céder la place. Si nous en croyons les auteurs païens, qui ne peuvent être suspects lorsqu'ils rendent témoignage à notre religion, peu de temps avant la naissance de Jésus-Christ, on vit tomber les idoles des faux dieux, où l'esprit de mensonge se faisait adorer. Tous les oracles se turent, hors ceux qui annonçaient la venue de ce Dieu-Homme ; et plus d'une fois les puissances infernales furent forcées d'avouer que leur règne était fini, et qu'un maître au-dessus de tous les maîtres approchait pour gouverner le monde et le soumettre à la loi du vrai Dieu. En quoi s'accomplit par avance cette parole de l'Evangile : C'est maintenant que le monde va être jugé, et que le prince de ce monde en sera banni (2).

III.  Ce n'était là néanmoins que des présagea de ce que Jésus-Christ devait faire pour détruire le péché : autre ennemi non moins difficile à vaincre, ni moins opposé à la gloire de Dieu. Afin de bien entendre ce point, il faut supposer d'abord une vérité que la foi

 

1 Luc., II, 4. — 2 Joan., XII, 31.

 

nous enseigne, et qui est indubitable, savoir, que tout ce qui s'est passé, et dans l'incarnation, et dans la naissance du Sauveur qui l'a suivie, n'a rien eu de fortuit à son égard; mais que tout a été de son choix, et qu'il n'y a pas une circonstance qu'il n'ait prévue en particulier, et qu'il n'ait lui-même déterminée. Les autres enfants, dit saint Bernard, ne choisissent ni le temps où ils naissent, ni le lieu de leur patrie, ni les personnes dont ils reçoivent le jour, parce qu'ils n'ont pas la raison pour en délibérer, ni le pouvoir pour en ordonner; mais le Fils de Dieu avait l'un et l'autre ; et comme dans la suite des années il devait mourir, parce qu'il le voudrait, et de la manière qu'il le voudrait, aussi il s'est incarné, et il est né dans le monde, parce qu'il l'a voulu, et de la manière qu'il l'a voulu. Si bien que tout ce que les évangélistes nous ont appris, soit de son incarnation, soit de sa nativité; la pauvreté de Marie sa mère, l'obscurité de Joseph réputé son père, la rigueur de la saison où il a pris naissance , le plein dénûment et l’abandonnement général où il s'est trouvé, si.nl autant de moyens dont il a prétendu se servir pour la lin qu'il s'était proposée.

IV. De là il nous est aisé de voir comment tout cela en effet tend à la ruine du péché. Car li! Sauveur du monde vient de travailler à détruire le péché, parce que, ainsi que nous l'avons déjà remarqué, il vient satisfaire pour les péchés des hommes, et présenter a Dieu le sacrifice de notre salut. Que lui manque-t-il dès maintenant pour être la victime de ce sacrifice, et une victime parfaite? La victime, disent les théologiens, doit être changée et comme transformée : or, quel changement qu'un Dieu sous la forme d'un homme (1) ! La victime doit être humiliée; et quelle humiliation qu'un Dieu réduit à l'état il 'un enfant, et à l'état même d'un esclave ! La victime doit être dépouillée; et est-il un dépouillement semblable à celui d'un Dieu, qui ne doit avoir en naissant, pour retraite, qu'une étable, et pour berceau qu'une crèche ? La victime doit mourir, et il est vrai que Jésus-Christ n'a pas même encore paru au monde ; mais naître comme bientôt il naîtra, et comme il s’y prépare, dans la souffrance et la douleur, expose a toutes les injures de l'air, n'est-ce pas une espèce de mort? Voilà donc le sacrifice commencé, quoiqu'il ne soit pas achevé; et par conséquent saint Bernard a raison de dire que le péché reçoit ici une rude et violente atteinte.

 

1 Philip., II, 7.

 

Si ce Dieu Sauveur ne l'efface pas déjà par son sang , au lieu de sang il va verser des larmes ; et ces larmes, dit saint Ambroise, ce sont des eaux salutaires qui laveront les crimes de ma vie. Larmes d'autant plus précieuses, qu'elles seront plus glorieuses à Dieu, et qu'elles le vengeront de l'ennemi le plus mortel et le plus irréconciliable.

V.  Il faut après tout convenir que la destruction du péché ne serait pas encore complète, si le même Sauveur n'en coupait la racine la plus féconde et la plus contagieuse, qui est la cupidité, ou l'amour déréglé des biens de la terre. Or, il vient attaquer ce puissant ennemi en deux manières, l'une à l'égard des élus, et l'autre à l'égard des réprouvés ; l'une à l'égard des justes et des vrais fidèles, et l'autre à l'égard des impies et des mondains. Dans les justes et les âmes fidèles, il triomphera de cette affection désordonnée aux richesses du monde, aux honneurs du monde, aux plaisirs du monde, en la leur arrachant du cœur : et dans les mondains et les impies, il la combattra au moins en la condamnant, en la frappant d'anathème, en la rendant moins excusable et plus criminelle devant Dieu.

VI.   Sommes-nous chrétiens, c'est-à-dire sommes-nous de ces âmes dociles, de ces âmes heureusement disposées à recevoir les impressions de la grâce de Jésus-Christ et à profiter de ses exemples; la vue de ce Dieu-Homme doit faire immanquablement mourir dans nos cœurs toute convoitise, et nous détacher de tout ce qui s'appelle biens temporels. Car le moyen alors de le voir pauvre , et de vouloir vivre dans l'opulence ; de le voir abaissé, et de vouloir vivre dans l'élévation ; de le voir souffrant et mortifié, et de vouloir jouir de toutes les commodités et vivre dans les délices? Voilà ce qui a formé dans le christianisme tant de pauvres volontaires et tant de pénitents. Voilà ce qui a rempli, dans les premiers siècles de l'Eglise, les déserts de solitaires. Voilà ce qui remplit encore de nos jours les monastères de religieux, et ce qui leur fait quitter tout avec joie, mépriser tout, renoncer pour jamais à tout. Mais sommes-nous de ce monde réprouvé, de ce monde avare et intéressé , de ce monde ambitieux et vain, de ce monde sensuel et voluptueux, de ce monde insensible à tous les enseignements que vient nous donner cet Enfant Dieu : quels arrêts de condamnation ne va-t-il pas porter contre nous? quels foudres ne fera-t-il pas gronder sur nos têtes? de quels malheurs ne nous menacera-t-il pas, et quel

 

106

 

témoignage ne rendra-t-il pas devant son Père pour notre conviction et pour notre perte éternelle?

VII. Il n'y a point de cœur si endurci qui ne doive être ému de tout cela , et c'est ce qui a touché un grand nombre de mondains. Mais quoi qu'il en soit des autres, faisons-y toute la réflexion que demande l'importance de la chose. N'attirons pas sur nous un jugement aussi formidable que celui des humiliations et des souffrances d'un Dieu incarné. Que le fruit de cet Avent soit de nous mettre en état de le faire naître en nous d'une naissance toute spirituelle et toute sainte. Or, nous nous mettrons dans cette heureuse disposition en nous conformant à lui d'esprit, de cœur et de conduite. Voilà quel doit être le principal sujet de nos entretiens intérieurs , de nos méditations, de nos oraisons, de nos résolutions. Ajoutons au triomphe de Jésus-Christ, vainqueur de tous les ennemis de la gloire de Dieu, la victoire qu'il remportera sur nous-mêmes, et que nous lui céderons. Par là nous pourrons entrer au rang des justes et des prédestinés ; par là nous mériterons de célébrer avec eux les grandeurs de Dieu, et de le glorifier éternellement dans le ciel, après l'avoir glorifié sur la terre.

 

§ III. Comment Jésus-Christ vient allumer dans le cœur des hommes un zèle ardent pour la gloire de Dieu.

 

I.  Enfin Jésus-Christ vient allumer dans le cœur des hommes un saint zèle pour la gloire de Dieu : comment cela? Premièrement, par la haute estime qu'il nous donne de cette gloire de Dieu ; et secondement, par l'intérêt propre et essentiel qu'il nous fait trouver dans cette gloire de Dieu.

II.  Car quand nous nous appliquons à considérer le mystère de l'incarnation divine, et que voyant Jésus-Christ dans l'état où la foi nous le propose, nous venons à faire ces réflexions, que c'est pour réparer la gloire de Dieu, qu'un Dieu est descendu du trône de sa majesté, et qu'il n'a pas cru que ce fût une condition trop onéreuse, de s'avilir de la sorte et de s'anéantir ; qu'il n'a point connu de moyen plus propre que celui-là, ni d'autre prix qui pût égaler le bien qu'il avait à rétablir; que malgré tout ce qu'il lui en devait coûter, il a mieux aimé s'assujettir aux dernières extrémités de la misère humaine, que de ne pas rendre à son Père toute la gloire qui lui avait été ravie, et de lui en laisser perdre le moindre degré : pour peu que nous raisonnions et que nous comprenions ces principes, voici les conséquences qui se présentent d'elles-mêmes et que nous sommes obligés d'en tirer. Que la gloire de Dieu est donc un bien au-dessus de tous les biens, puisqu'il n'y a point, hors Dieu, d'autre bien à quoi le Fils de Dieu n'ait renoncé pour le rétablissement de cette gloire. Qu'il n'y a donc rien que nous ne devions sacrifier à la gloire de Dieu , puisque le Fils de Dieu s'y est sacrifié lui-même. Que de procurer de la gloire à Dieu , c'est donc ce qu'il y a de plus grand et de plus digne d'un homme raisonnable, à plus forte raison d'un homme chrétien , puisque c'a été une œuvre digne même d'un Homme-Dieu. Au contraire, que de blesser la gloire de Dieu, c'est donc le souverain mal, parce que c'est l'offense de Dieu, et une telle offense qu'elle n'a pu être expiée que par les mérites d'un Dieu, c'est-à-dire en particulier, que par toutes les douleurs et tous les mépris qu'il a eu à souffrir, et à quoi il s'est exposé. Par conséquent, que rien ne nous doit donc être plus précieux, plus sacré, plus cher que la gloire de Dieu , et que nous ne pouvons mieux employer notre zèle qu'à la répandre, autant qu'il dépend de nous, et à l'amplifier.

III.  Une autre considération nous y doit encore exciter très-fortement : c'est notre intérêt, et de tous nos intérêts le plus important, qui s'y trouve lié, et qui est notre salut. Car la gloire de Dieu et notre salut sont ici comme inséparables. Et en effet, cette gloire de Dieu dans l'incarnation du Verbe divin , consiste à sauver les hommes et à opérer l'ouvrage de notre rédemption : tellement que dans ce mystère, Dieu glorifié et l'homme sauvé, c'est proprement une même chose. Combien donc devons-nous prendre part à une gloire où nous sommes si intéressés ! à parler en général, plus nous contribuons volontairement et par zèle à la gloire de Dieu, plus nous nous avançons auprès de Dieu, et plus nous méritons ses récompenses.

IV.  Mais par où pouvons-nous glorifier Dieu? Par les moyens que le Sauveur des hommes est venu le glorifier. Jésus-Christ fait connaître la gloire de Dieu , en faisant connaître ses infinies perfections : adorons ces perfections divines , reconnaissons-les dans la sainte humanité du Fils de Dieu, et rendons-lui chaque jour de cet Avent, et même, s'il se peut, à toutes les heures, de fréquents et de pieux hommages. Jésus-Christ vient rétablir la gloire de Dieu en renversant l'empire du démon : chassons nous-mêmes de notre cœur ce damnable ennemi,  dont nous n'avons que trop

 

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écouté en tant de rencontres les suggestions; et pour nous dégager entièrement de sa tyrannie chassons avec lui bien d'autres démons domestiques qui lui ont ouvert l'entrée, et qui ont secondé ses pernicieux desseins : ce sont nos passions et nos inclinations vicieuses. Jésus-Christ vient réparer la gloire de Dieu par la destruction et l'expiation du péché : pleurons mis péchés, effaçons-les par nos larmes et par notre pénitence ; prenons toutes les précautions nécessaires pour nous garantir des rechutes où le monde pourrait nous entraîner, cl conservons pour jamais à Dieu nos âmes pures et sans tache. Jésus-Christ vient assurer la gloire de Dieu contre les nouvelles insultes du péché, par le renoncement aux biens de la terre, dont l'amour déréglé corrompait le monde : renonçons à ces faux biens, au moins de cœur, si nous ne nous sentons pas appelés à y renoncer en effet. Quand Dieu permet que nous tombions dans le besoin, dans l'humiliation, dans la souffrance, souvenons-nous que ce sont là les moyens les plus efficaces dont a usé le Fils de Dieu, et qu'il nous a enseignés pour honorer son Père, et pour le dédommager en quelque manière de tous les outrages qu'il a reçus de nous ; consolons-nous dans cette pensée; acceptons ce que Dieu nous envoie, et laissons-nous-en un mérite auprès de lui. S'il ne nous traite pas en apparence avec tant de rigueur , et qu'il nous laisse dans une condition aisée, commode, honorable, gardons-nous de toute attache aux commodités que notre condition nous fournit, aux honneurs qu'elle nous procure, aux richesses dont elle nous accorde la possession et l'usage. Dans l'opulence, ayons l'esprit de pauvreté; dans la grandeur, l'esprit d'humilité ; et parmi tout ce qui peut contribuer à la douceur de la vie, l'esprit de mortification. Ne nous en tenons pas précisément à l'esprit; mais selon que notre état le comporte, passons à la pratique. La pratique sans l'esprit ne serait qu'un vain extérieur ; mais aussi l'esprit sans la pratique ne serait qu'une illusion.

V. Voilà, Sauveur adorable, les excellentes règles que vous venez nous tracer, et que nous devons suivre ; mais pour les pratiquer et pour les suivre, il nous faut une grâce, et une grâce puissante. Or, en est-il une plus puissante que celle même que vous apportez avec vous? Car en nous apportant une nouvelle loi, vous nous apportez une grâce toute nouvelle, qui est la grâce du Rédempteur. Avec le secours de cette grâce, de quoi ne viendrons-nous point à bout pour la gloire de votre Père et pour la vôtre? nous ne cesserons point de vous la demander avec confiance, et vous ne cesserez point de la répandre sur nous avec abondance. Elle nous éclairera, elle nous conduira, elle nous soutiendra. Mais que sera-ce quand à cette grâce intérieure vous ajouterez la force de votre exemple, et que, sortant du bienheureux sein où vous êtes enfermé comme dans un sanctuaire , vous vous montrerez au monde , et nous servirez de modèle? Hâtez-vous de paraître : nous vous attendons et nous vous désirons. Que la terre s'ouvre, et qu'elle germe le Sauveur (1) ; qu'il vienne nous remplir de son esprit, nous animer de ses sentiments, nous marquer ses voies, et nous conduire enfin à cette béatitude céleste, où , après avoir glorifié Dieu sur la terre , nous devons être nous-mêmes éternellement comblés de gloire.

 

1 Isa., XLV, 8.

 

 

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