INSTRUCTION ASSOMPTION

Précédente Accueil Remonter Suivante

Accueil
Remonter
AVERTISSEMENT
EXHORTATIONS CHARITÉ I
EXHORTATION CHARITÉ II
EXHORTATIONS CHARITÉ III
EXHORTATIONS CHARITÉ IV
EXHORTATIONS CHARITÉ V
EXHORTATIONS CHARITÉ VI
EXHORTATION CHARITÉ VII
COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES I
COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES II
COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES III
COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES IV
EXHORTATION PRÊTRES
EXHORTATIONS CARÊME I
EXHORTATIONS CARÊME II
EXHORTATIONS CAREME III
EXHORTATIONS CAREME IV
EXHORTATIONS CAREME V
EXHORTATIONS CAREME VI
EXHORTATIONS CAREME VII
EXHORTATIONS CAREME VIII
EXHORTATION CAREME IX
EXHORTATIONS CAREME X
INSTRUCTION AVENT
INSTRUCTION CAREME
INSTRUCTION PAQUES
INSTRUCTION ST-SACREMENT
INSTRUCTION ASSOMPTION
INSTRUCTION MORT
INSTRUCTION PAIX
INSTRUCTION CHARITÉ
INSTRUCTION FOI
INSTRUCTION SALUT
INSTRUCTION ÉTAT DE VIE
INSTRUCTION COMMUNION
DU SALUT
DE LA FOI ET DES VICES
PÉNITENCE
DE LA DÉVOTION
DE LA PRIERE
ORAISON DOMINICALE
DE L'HUMILITÉ
DE LA CHARITÉ CHRÉTIENNE
DE L'ÉGLISE
DE L’ÉTAT RELIGIEUX
RETRAITE SPIRITUELLE
VEILLE DE LA RETRAITE
PREMIER JOUR
DEUXIÈME JOUR
TROISIÈME JOUR
QUATRIÈME JOUR
CINQUIÈME JOUR
SIXIÈME JOUR
SEPTIÈME JOUR
HUITIÈME JOUR

INSTRUCTION POUR L'OCTAVE DE L'ASSOMPTION DE LA VIERGE.

ANALYSE.

 

Trois fruits que nous devons retirer de cette octave : 1° apprendre à mourir de la mort des saints; 2° apprendre a discerner en quoi consiste et sur quoi est fondé le bonheur des saints; 3° apprendre quelle est la vraie dévotion envers Marie, mère du Saint des saints.

1° Comment l'exemple de Marie nous apprend à mourir de la mort des saints. Sa mort fut précieuse devant Dieu : premièrement, par la bonne vie qui l'avait précédée;

Secondement, par la paix dont elle fut accompagnée; paix établie sur l'exemption du péché et sur le détachement du monde;

Enfin, par la disposition d'esprit et de cœur avec laquelle Marie la reçut. Voilà comment tous les chrétiens pourraient et devraient mourir.

2° Comment Marie nous apprend sur quoi doit être fondé le bonheur des saints. Dieu, en couronnant Marie dans le ciel, a prétendu surtout couronner sa sainteté et ses bonnes œuvres. Leçon importante qui doit tout à la fois nous instruire, nous confondre, nous consoler.

Trois vertus principales que Dieu, entre les autres, a singulièrement glorifiées dans cette sainte Mère : sa pureté, son humilité, sa charité. C'est par les mêmes vertus et les mêmes mérites que nous obtiendrons la même gloire.

3° En quoi consiste la vraie dévotion envers Marie? C'est d'abord a la prendre pour notre modèle, et à régler toute notre conduite sur la sienne.

C'est de plus à la prendre pour notre protectrice, en nous adressant à elle dans nos besoins.

 

Cette fête, dans son institution et dans le dessein de l'Eglise, comprend trois choses auxquelles le jour de l'Assomption est particulièrement consacré, savoir : la mort de la Sainte Vierge, sa gloire dans le ciel, et le culte qu'on lui rend sur la terre. Sa mort, qui doit être pour nous le modèle d'une mort précieuse devant Dieu ; sa gloire, que nous devons envisager pour nous former une juste idée de ce qui fait la véritable gloire des élus de Dieu ; et le culte que lui rend l'Eglise, qui doit nous servir de règle pour lui en rendre un raisonnable,

 

216

 

c'est-à-dire pour l'honorer saintement et utilement, en qualité de mère de Dieu. Voilà les trois fruits que nous devons retirer de cette octave : Apprendre de l'exemple de Marie à mourir de la mort des saints. Apprendre de Ja personne de Marie à bien discerner en quoi consiste et sur quoi est fondé le bonheur des saints. Apprendre de la pratique et de l'usage de l'Eglise envers Marie, à avoir une dévotion pure et solide pour celle qui a été la mère du Saint des saints. Ce sont les effets salutaires que ce mystère bien médité doit produire en nous, et par où nous reconnaîtrons si nous célébrons cette fête en esprit et en vérité.

§ I. Comment l'exemple de Marie nous apprend à mourir de la mort des saints.

 

I. Il n'y a jamais eu de mort plus précieuse devant Dieu que celle de la Vierge, parce qu'il n'y a jamais eu de vie plus remplie de mérites que la sienne. Tirons la conséquence de ce principe ; et puisque nous convenons qu'une mort sagement prévue et précédée d'une bonne vie est la voie la plus droite et la plus sûre pour arriver au terme du salut, concluons de là. que toute notre application doit donc être à amasser ce trésor de mérites, qui doit sanctifier selon Dieu notre mort et la rendre heureuse. Et en effet, tout nous quitte à la mort : il n'y aura que nos bonnes œuvres qui nous suivront. Ces bonnes œuvres faites pour Dieu, (car il n'y en a point d'autres de méritoires), ce sont les seuls biens qui nous resteront, et que nous emporterons avec nous. Ainsi il s'agit maintenant de nous enrichir de ces sortes de biens, et nous devons user là-dessus d'une diligence d'autant plus grande, que nous avons peut-être le malheur d'être du nombre de ceux qui sont venus des derniers, et qui n'ont commencé que tard à travailler. Faire un fonds de mérite pour la mort, voilà à quoi doivent se rapporter toutes les actions de notre vie; voilà ce qui doit nous animer à n'en pas négliger une seule, puisqu'il n'y en a aucune dont le prix et la sainteté de notre mort ne dépendent. Si toutes nos pensées n'aboutissent là , c'est à nous, bien plus justement qu'à Marthe, que s'adresse aujourd'hui ce reproche du Sauveur : Vous vous empressez, et vous vous troublez du soin de plusieurs choses ; cependant il n'y en a qu'une de nécessaire (1).

II. La mort de la Sainte Vierge n'a pas été seulement précieuse devant Dieu par les mérites qui l'ont précédée, mais par les grâces et

 

1 Luc., X, 42.

 

les faveurs divines   qui l'ont accompagnée. L'une de ces grâces est que la Sainte Vierge en mourant n'éprouva point les douleurs de la mort, qui sont les inquiétudes et les regrets que nous ressentons communément à la vue  d'une mort prochaine. La parole de l’Ecriture   s'accomplit singulièrement en elle : Les âmes justes sont dans la main de Dieu, et les douleurs de la mort ne les affligeront point (1). Or cette grâce fut donnée à Marie, et parce qu'elle était juste par excellence, et parce qu'elle était parfaitement détachée de toutes les choses de la terre. Car le péché, dit saint Paul, est l'aiguillon de la mort; et ce qui redouble encore la peine et les douleurs de la mort, c'est l'amour du monde. Voilà les deux causes qui sont capables de nous rendre un jour la mort affreuse : le péché , parce que c'est particulièrement à la mort qu'il se fait sentir; et l'amour du monde, parce qu'on ne peut quitter qu'avec douleur ce qu'on possède avec attachement.  Retranchons l'un et l'autre, si nous voulons participer au privilège de la mère de Dieu,et mourir comme elle dans le calme et dans l'assurance. Travaillons à détruire dans nous le péché par la pénitence. Dès là, quelque terrible que soit la mort, elle ne le sera plus pour nous, et nous pourrons avec une humble confiance nous écrier : O mort ! où est ton aiguillon (1) ? De même, détachons notre cœur de toutes les choses dont il faudra bientôt nous séparer : par là nous nous épargnerons les amertumes de la mort; car la mort n’est amère, selon le Sage , qu'à celui qui a mis ou voulu mettre son repos dans la jouissance des biens de ce monde (3).

III. Mais ce qui a rendu par-dessus tout la mort de Marie précieuse devant Dieu , c'est la disposition d'esprit et de cœur avec laquelle elle la reçut. Disposition d'esprit : elle envisagea la mort dans les vues les plus pures de la foi, je veux dire comme l'accomplissement de ses vœux , comme le moyen d'être promptement réunie à son Fils et à son Dieu, dont elle gémissait depuis si longtemps de se voir séparée. Disposition de cœur : regardant ainsi la mort, elle la désira avec toutes les ardeurs de la plus fervente charité , et elle souhaita bien plus vivement que saint Paul, d'être enfin dégagée des liens du corps, pour vivre avec Jésus-Christ (4) ; car ces paroles de l'Apôtre ne convinrent jamais mieux à personne qu'à Marie. C'est de cette sorte que devraient mourir

 

1 Sap., III, 4. — 2 1 Cor., XV, 55. — 3 Eccli., XIV, 17. — 4 Philip , I, 23.

 

217

 

tous les vrais chrétiens; mais, à la honte de la vraie religion, la plupart meurent comme des païens qui n'ont ni foi, ni espérance, ou du moins comme des hommes en qui l'espérance des biens éternels est infiniment affaiblie et presque entièrement étouffée par l'amour des biens visibles et présents. Désordre que nous déplorons tous les jours dans les autres, mais dont peut-être nous ne pensons pas à nous garantir nous-mêmes. Faisons-nous donc un capital de nous disposer par de fréquents désirs à cette mort sainte, après laquelle les justes et les amis de Dieu ont soupiré; et que ce ne soit pas seulement de bouche , mais sincèrement et de cœur ; que nous disions chaque jour à Dieu : Que votre règne arrive pour nous (1) ! Car il n'y a que la mort par où nous puissions parvenir au royaume de Dieu , et nous sommes incapables de faire à Dieu cette prière, si nous ne regardons la mort comme l'a regardée la Mère de Dieu.

§ II. Comment Marie nous apprend sur quoi doit être fondé le bonheur des saints.

 

I. La Sainte Vierge, immédiatement après sa mort, est entrée en possession de sa béatitude et de sa gloire : c'est le mystère que nous célébrons, et c'est proprement ce que nous appelons son Assomption. Mais pourquoi pensons-nous qu'elle ait été élevée au plus haut des deux, et comment croyons-nous qu'elle soit montée à un degré si éminent ? Dieu, en la couronnant, n'a-t-il eu en vue que sa maternité divine? Reconnaissons plutôt que ce n'est point précisément sa maternité divine qu'il a prétendu couronner, mais sa sainteté et ses bonnes œuvres. Combien d'ancêtres de Jésus-Christ ont été réprouvés de Dieu, parce qu'avec cette qualité d'ancêtres de Jésus-Christ, ils n'ont pas laissé d'être des impies et des infidèles?

II.  Importante leçon qui doit tout à la fois nous instruire, nous confondre, nous consoler. Nous instruire : car il est donc vrai, et si nous ne l'avons pas assez bien compris jusques à présent, l'exemple de Marie doit achever de nous en convaincre : il est, dis-je, certain et indubitable que nous ne serons glorifiés dans le ciel qu'autant que nous aurons travaillé sur la terre. Quoiqu'on ne parvienne communément à rien dans le monde sans travail, et que le monde même nous vende bien cher les vains avantages que nous y obtenons, cette règle n'est pas néanmoins si universelle qu'elle n'ait

 

1 Matth., VI, 10.

 

ses exceptions ; et nous avons souvent la douleur de voir au-dessus de nos têtes, et dans les premières places, des gens qui n'ont pas fait à beaucoup près ce que nous faisons, et sur qui nous devrions l'emporter, si les récompenses étaient partagées et mesurées selon les services. Mais quel est ce serviteur fidèle qui entrera dans la joie du Seigneur, et que le Seigneur placera dans le séjour des bienheureux et des élus? C'est celui qui aura fait valoir le talent qu'on lui avait confié; c'est celui qui se sera conservé dans une sainte innocence, ou qui aura réparé ses désordres passés, et satisfait à Dieu par la pénitence. Ce juste vigilant, appliqué, laborieux, qui, sans se contenter d'éviter le mal, aura pratiqué le bien, et l'aura pratiqué chrétiennement, l'aura pratiqué pleinement , l'aura pratiqué constamment ; c'est à celui-là que les bénédictions divines sont réservées, et que l'héritage céleste est promis. Tout autre en est exclu, c'est-à-dire que quiconque n'aurait pas ce fonds de richesses spirituelles et de bonnes œuvres ne pourrait espérer d'y être admis ; et cela par une loi si absolue et si générale, que la Mère de Dieu n'en a pas elle-même été dispensée.

III. Cette vérité, en nous instruisant, doit en même temps nous confondre. Le monde, frappé d'un certain éclat qui nous environne et qui nous éblouit, nous honore peut-être, et nous rend de faux hommages. Une grande naissance, un grand nom, une grande réputation, de grands biens, et une grande fortune; autorité, crédit, dignifés, titres d'honneur, qualités éminentes de l'esprit, habileté, savoir, tout cela nous attire de la part des hommes des respects et des adorations qui flattent notre vanité, et qui nous enflent le cœur. Il semble qu'il n'y ait rien au-dessus de nous, et que nous soyons des divinités. Mais si nous sommes encore assez heureux pour ne nous être pas laissé aveugler jusques à perdre la foi, et qu'il nous en reste quelque rayon, que faut-il pour rabattre ces hautes idées , et pour nous faire rentrer dans notre néant? Une seule pensée suffit : c'est que tout cela pris en soi-même ne nous donne pas devant Dieu le moindre degré de mérite, ni ne peut par conséquent nous être de la moindre valeur dans l'estime de Dieu. C'est que bien loin que Dieu , dans le choix qu'il fera de ses prédestinés, en les séparant et les recueillant dans son royaume, ait égard à tout cela, il ne les y recevra au contraire, et ne les y élèvera, qu'autant qu'ils auront méprisé tout cela, qu'ils se seront détachés de tout cela,

 

218

 

qu'ils auront renoncé d'affection et de volonté à tout cela. C'est qu'avec tout cela nous pouvons encourir la disgrâce de Dieu, la malédiction de Dieu, la réprobation éternelle de Dieu ; et qu'en effet des millions d'autres avec tout cela, et même avec des avantages encore plus éclatants, selon l'opinion humaine, ont été rejetés de Dieu, et seront à jamais l'objet de sa haine et de ses vengeances.

IV.  Mais cette même vérité doit aussi nous consoler ; e't en est-il un sujet plus solide que cette réflexion : Il ne tient qu'à moi de gagner le ciel, parce qu'il ne tient qu'à moi de me sanctifier par l'observation de mes devoirs, et que c'est là l'unique voie qui conduit à cette souveraine béatitude? La différence des conditions, des dons naturels, des conjonctures et des événements, peut bien faire les heureux du siècle et les malheureux ; mais elle ne fait rien auprès de Dieu ; et devant lui tout est renfermé dans ce seul point, qui dépend de moi avec le secours de la grâce , et qui est de répondre , selon mon état, quel qu'il soit, aux desseins de Dieu, de lui obéir en toutes choses, et d'accomplir exactement ses saintes et adorables volontés. Je n'ai donc qu'à laisser le monde juger, parler, agir, distribuer ses faveurs comme il lui plaira. Il aura beau me dire qu'heureux sont les riches et les grands de la terre, je n'aurai qu'une maxime à lui opposer, mais une maxime fondamentale et inébranlable ; c'est celle de Jésus-Christ : plus heureux mille fois, et  même heureux uniquement ceux qui sont soumis à Dieu, et qui dans leur condition exécutent fidèlement les ordres de Dieu, puisque ce n'est qu'à ceux-là que Dieu destine une gloire immortelle !

V.  Entre les vertus de Marie, il y en a trois principales qui l'ont sanctifiée, et que Dieu a aussi singulièrement glorifiées dans cette sainte mère, savoir : sa pureté, son humilité, sa charité. Son inviolable pureté a sanctifié son corps, sa profonde humilité a sanctifié son esprit, et son ardente charité a sanctifié son cœur. Or, cette pureté virginale est glorifiée par l'incorruptibilité de ce même corps, qui jamais ne fut flétri de la moindre tache. Au lieu que nous sommes tous condamnés par l'arrêt de Dieu à retourner en poussière, Marie, par un privilège particulier de sa mort, fut exempte de la corruption du tombeau , de même que , par une prérogative extraordinaire de sa conception, elle avait été exemple de la corruption du péché. Cette humilité est glorifiée par le plus haut point d'élévation où puisse atteindre une créature auprès du trône de Dieu. Différence admirable qui se rencontre entre la gloire du monde et celle des élus du Seigneur. L'orgueil est pour l'ordinaire le fondement de la gloire du monde, et la gloire du monde ne manque guère d'inspirer l'orgueil ; mais la gloire des élus de Dieu n'est fondée que sur l'humilité, n'inspire que l'humilité, est d'un merveilleux accord avec l'humilité, en est même inséparable, et ne peut subsister sans l'humilité. Enfin, cette charité ardente est glorifiée par la plus intime union avec Dieu et la plus parfaite possession de Dieu. Tant que Marie a vécu sur la terre, elle a toujours aimé Dieu, et elle en a toujours été aimée : mais on peut dire du reste que son amour faisait en quelque sorte son martyre. Elle était surtout depuis l'ascension de Jésus-Christ, comme cette Epouse des Cantiques , qui, saintement passionnée pour son époux, mais ne le voyant pas et ne le possédant pas selon toute l'étendue de ses désirs, le cherchait avec des empressements extrêmes, et ne cessait point de gémir qu'elle ne l'eût trouvé. Le moment fortuné qu'elle attendait est venu et c'est celui de cette assomption glorieuse qui la met en état de goûter éternellement la présence de son bien-aimé , et de pouvoir, comme la même Epouse des Cantiques, s'écrier dans le ravissement de son âme : J'ai trouvé celui que j’aime ; je le tiens, et jamé rien ne sera capable de me l'enlever (1).

VI. Voilà sur quoi il est d'une extrême conséquence pour nous de nous examiner à fond pour connaître nos véritables dispositions, et pour y remédier, supposé qu'elles ne soient pas telles qu'elles doivent être. Souvenons-nous que rien de souillé et d'impur n'entrera dans le royaume de Dieu, qui est la pureté même, et ne pensons pas qu'il suffise de nous préserver de certaines taches grossières ; mais défions-nous des plus légers sentiments de notre cœur, et ne craignons point d'avoir là-dessus trop de délicatesse. Marie se trouble à la seule vue d'un ange, et l'Ecriture nous témoigne que lis cieux mêmes ne sont pas purs aux yeux de Dieu : que sera-ce de nous? Si Dieu nous a donné quelque distinction dans le monde, soyons persuadés que ce qui nous élève et nous distingue clans le monde, non-seulement n'est rien devant Dieu, mais qu'il est réprouvé de Dieu, quoi que ce puisse être, s'il n'est sanctifié par l'humilité. Ce n'est point assez que nous ayons de la modestie : les païens en ont eu, et souvent cette modestie n'est pas même une

 

1 Cant., III, 4.

 

210

 

vertu. Il faut, pour nous garantir de la contagion du monde, que nous ayons l'humilité chrétienne dans le cœur. Car Dieu n'a de récompenses que pour les humbles de cœur; et si l'humilité de cœur n'a part dans notre modestie, il réprouve notre modestie comme une vertu chimérique, qui, sous les apparences de l’humilité, cache peut-être tous les désordres de la plus subtile vanité. Etre humble à proportion des avantages que nous avons reçus de Dieu, c'est la perfection où Dieu nous appelle. Cela demande une grande fidélité et une grande attention sur nous-mêmes , il est vrai ; mais la chose le mérite bien. Car à quoi nous rendrons-nous donc attentifs, si ce n'est à nous défendre du poison le plus dangereux et le plus mortel, qui est l'orgueil du monde? Marie, avec la dignité de Mère de Dieu, a bien su conserver un cœur et un esprit humbles : pourquoi, parmi de vaines grandeurs, ne conserverions-nous pas l'un et l'autre ? Quoi qu'il en soit, nous ne trouverons jamais grâce auprès de Dieu, si nous ne sommes humbles, et qu'autant que nous serons humbles. Ajoutons à cette sincère humilité une charité toute divine. Cet amour de Dieu est la consommation de toutes les vertus et de tous les mérites ; et comme il doit faire dans la vie future notre bonheur, il faut qu'il fasse dans la vie présente notre sanctification.

 

§ III. En quoi consiste la vraie dévotion envers Marie.

 

1. Le vrai culte de la Sainte Vierge est celui qui nous porte, avant toutes choses, à la prendre pour notre modèle, et à régler toute la conduite de notre vie sur ses exemples. Car en vain, dit saint Bernard, faisons-nous profession de l'honorer, si nous ne sommes touchés en même temps du désir de nous y conformer. Cette obligation regarde tous les chrétiens , à qui la vie de Marie doit être un tableau raccourci de tous leurs devoirs et de toutes leurs perfections. Ils doivent continuellement apprendre de cette Vierge ce qu'ils ont à éviter, à retrancher, à réformer, et ce qu'ils ont à observer et à pratiquer. En un mot, le dessein de Dieu a été de leur proposer dans la personne de Marie une image sensible et vivante, dont ils étudiassent tous les traits pour les exprimer en eux et se les appliquer. Or nous n'avons qu'à lire les divers endroits de l'Evangile où il est parlé de la Mère de Dieu. Car, sans chercher ailleurs un plus grand détail de l'histoire de Marie, nous trouverons dans ce que l'Evangile en a rapporté les exemples les plus touchants des plus héroïques vertus; et il ne nous en faudra pas davantage pour avoir le précis et l'abrégé de toute la sainteté de notre état. Faisons-nous, s'il est nécessaire, un recueil de ses principales actions; méditons souvent ce qu'elle a fait, et la manière dont elle l'a fait ; retraçons-nous-en le souvenir dans les occasions ; nous éprouverons combien son exemple est efficace et engageant. Non-seulement il nous servira d'une règle sûre pour nous bien conduire, mais il nous fortifiera et nous animera par une certaine onction de grâce qui lui est propre.

II. Ce que nous pourrons particulièrement remarquer dans l'Evangile au sujet de la Sainte Vierge, c'est, outre sa pureté, outre son humilité et son amour, la reconnaissance envers Dieu, le zèle pour l'honneur de Dieu, la foi et la confiance en Dieu, la préparation aux souffrances qui sont les épreuves de Dieu. La reconnaissance envers Dieu : jusqu'à quel point n'en fut-elle pas pénétrée, quand elle chanta dans la maison d'Elisabeth ce merveilleux cantique : Mon âme, glorifie le Seigneur (1) ! Récitons-le tous les jours comme elle, et dans le même esprit qu'elle. Il y a des sentiments fort affectueux et fort tendres, et il est difficile que nous n'en ressentions pas l'impression. Le zèle pour Dieu : avec quelle ferveur n'offrit-elle pas à Dieu le sacrifice de son fils, dans le temple de Jérusalem ! Est-ce ainsi que nous sommes résolus de sacrifier tout à Dieu, et même ce que nous avons de plus cher? La foi et la confiance en Dieu : c'est par là qu'elle obtint de Jésus-Christ tout ce qu'elle lui demanda. Pourquoi désespérons-nous de mille choses à quoi Dieu veut que nous travaillions, et qu'il accordera peut-être à la persévérance de nos prières et de notre foi? La préparation aux souffrances: avec quel courage n'entendit-elle pas la prédiction de Siméon, qui lui annonçait que son âme serait transpercée d'un glaive de douleur! Sommes-nous disposés de la sorte aux afflictions et aux adversités? Quand Dieu nous enverra des croix, représentons-nous Marie au pied de la croix de son Fils; car elle ne l'abandonna pas comme les disciples. Voilà l'usage que nous pouvons faire de ses exemples : il en est de même de toutes les autres vertus.

III. Une autre partie du culte que nous devons à la Sainte Vierge est de nous adresser à elle dans nos besoins, et de la reconnaître pour notre protectrice et notre avocate. Après la médiation de Jésus-Christ, nous n'en pouvons

 

1 Luc., I, 46.

 

220

 

avoir de plus puissante que celle de Marie. Aussi toute l'Eglise a-t-elle sans cesse recours à cette mère du Sauveur. Prions-la comme l'Eglise la prie. Recommandons-lui nos intérêts auprès de Dieu, comme l'Eglise lui recommande les siens. N'employons pas seulement son intercession pour nous-mêmes, mais pour tous ceux dont le salut nous est cher. Si nous sommes à la tête d'une maison, d'une famille, mettons sous sa protection toute cette famille, toute cette maison. Ne nous déterminons à aucun parti sans la consulter, ne nous engageons dans aucune affaire sans l'y appeler. Excellente pratique, dont les effets ont été si salutaires à une infinité de pères chrétiens et de mères chrétiennes. Ils ont vu par là toutes leurs entreprises réussir, leurs vœux accomplis, et leurs familles comblées de toutes les bénédictions temporelles et spirituelles. Aimons au reste toutes les dévotions instituées en l'honneur de Marie. Du moment que l'Eglise les a établies, ou qu'elle les approuve, elles nous doivent être vénérables. Autorisons-les par notre exemple, et soutenons-les par notre piété. Pratiquons celles qui sont plus utiles, et qui nous paraissent plus solides. Honorons au moins celles que nous ne pratiquons pas. Ne condamnons pas aisément celles qui ne sont pas de notre goût. Quoique ce soient des dévotions populaires, respectons-les, puisqu'en sanctifiant les peuples elles contribuent à la gloire de Dieu. Par esprit d'opposition à l'hérésie, déclarons-nous pour ce culte public et solennel, qui est rendu à la mère de Dieu dans toute la terre. Joignons-y le nôtre en particulier. Gardons-nous de tomber dans la froideur et l'indifférence qu'ont sur cela de lâches chrétiens, ou de prétendus esprits forts, dont la foi est tiède et languissante. Pleins de la foi de l'Eglise, glorifions-nous de notre zèle pour Marie ; et comme Jésus-Christ lui-même n'a pas dédaigné d'être son Fils, tenons à l'honneur d'être du nombre de ses fidèles serviteurs.

IV. Vous nous recevrez, Vierge sainte ; vous agréerez la résolution que nous formons en ce jour, de nous dévouer plus que jamais à vous et à votre culte. L'éclat de votre gloire ne vous éblouira point jusqu'à nous oublier; et dans votre souveraine béatitude, vous vous souviendrez de nos misères : elles sont grandes, elles sont innombrables, et vous les connaissez mieux que nous ne pouvons vous les représenter. Or voilà, mère de miséricorde, ce qui vous intéressera en notre faveur, et ce qui excitera toute votre compassion. Tandis que nous ferons monter vers vous nos vœux, vous ferez descendre sur nous les grâces du ciel, et vous userez de tout votre pouvoir pour relever et pour fortifier notre faiblesse. Vous n'en pouvez faire, j'ose le dire, sainte Vierge, vous n'en pouvez faire un usage plus digne de vous, ni plus conforme aux desseins de Dieu sur vous, puisque c'est par vous qu'il a voulu nous donner le Rédempteur qui s'est revêtu de nos infirmités pour les guérir et pour être le salut du monde. En agissant pour nous, vous seconderez les vues de ce Fils adorable que vous avez porté dans votre sein, que vous avez accompagné au Calvaire, et qu'aujourd'hui vous revoyez au milieu de la cour céleste, tout rayonnant de gloire et couronné de toutes les splendeurs des saints. Que dis-je, ô mère secourable ! vous suivrez vos propres sentiments, et vous agira selon les inclinations de votre cœur. C'est donc de vous, ou plutôt c'est par votre entremise que nous attendons des grâces en quelque sorte semblables à celles que vous avez reçues, et qui vous ont conduite à ce bienheureux terme où vous aspiriez, et où nous devons adresser nous-mêmes toutes nos prétentions et toutes nos actions. Oui, Vierge sainte, ce que nous attendons et ce que nous demandons par votre secours, c'est la grâce d'une vie innocente et fervente, la grâce d'une mort chrétienne et d'une heureuse persévérance, la grâce d'une pureté inaltérable et de l'âme et du corps, la grâce d'une humilité sincère et d'un vrai mépris de nous-mêmes, la grâce d'un amour solide pour Dieu, d'un amour sensible, d'un amour libéral, généreux, constant; toutes les autres grâces qui vous ont sanctifiée, celle d'un vif ressentiment des bienfaits de Dieu, celle d'une ardeur empressée pour la gloire de Dieu, celle d'une foi pure, simple, soumise, et d'un plein abandonnement au bon plaisir de Dieu; celle d'une patience invincible en tout ce qui peut nous arriver de plus fâcheux, par la volonté ou par la permission de Dieu. Ce sont là les moyens qui ont servi à votre élévation, en servant à votre perfection ; et ce sont aussi les puissants moyens qui nous serviront à suivre vos traces et à marcher dans la même voie que vous, pour parvenir, sinon au même rang, du moins à la même terre des vivants et au même royaume. Ainsi soit-il.

 

Précédente Accueil Remonter Suivante