INSTRUCTION FOI

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INSTRUCTION SUR L'HUMILITÉ DE LA FOI (1).

ANALYSE.

 

Sans une solide humilité on ne peut conserver une foi bien pure.

Deux choses à distinguer dans la foi : ce que nous croyons, et la manière dont nous le croyons. Or, l'un et l'autre a une connexion essentielle avec l'humilité.

Ce que nous croyons se réduit à des mystères et des maximes d'humilité : comment les croire sans avoir quelques principes d'humilité dans le cœur?

La manière dont nous le croyons renferme les actes d'humilité les plus excellents, par la soumission de notre esprit et de notre raison.

C'est nous rendre semblables a des enfants.

C'est nous réduire dans une espèce de servitude.

Servitude ou soumission très-difficile, parce qu'elle nous humilie.

Nous sommes jaloux de nos propres pensées; mais ce n'est point par nos propres pensées que Dieu veut nous conduire.

Nous voulons que Dieu nous rende raison des choses qu'il nous révèle : mais de quel droit le voulons-nous?

Présomption et orgueil qui a précipité dans l'abîme tant d'hérésiarques et leurs sectateurs. Exemple de Luther et de Calvin. Au lieu de s'humilier en se soumettant à l'Eglise, ils ont voulu se faire juges de l'Eglise. Ils l'ont rejetée, et lui ont substitué un fantôme d'Eglise.

Châtiment de Dieu, qui permet que les orgueilleux tombent dans les plus grandes erreurs et qu'ils s'y obstinent.

Le grand moyen de réduire une infinité d'esprits n'est pas de disputer et de raisonner avec eux; mais ce serait de leur inspirer plus d'humilité.

On parle avec trop de liberté de tout ce qui a rapport à la foi.

Conservons l'avantage que nous avons toujours eu sur les hérétiques, qui est l'humilité de la foi. Avis de saint Jérôme.

 

1 Cette instruction regarde une personne peu soumise aux décisions de l'Eglise.

 

 

Comme je ne vous dissimule point mes sentiments, et que d'ailleurs vous me faites l'honneur de m’écouter et de bien prendre ce que je vous dis, je ne vous cèlerai point que je vous trouve un peu trop portée à vous élever contre les décisions de l'Eglise, touchant des matières qui depuis longtemps ont été agitées avec toute la réflexion nécessaire, et sur lesquelles le Saint-Siège a prononcé. Vous en raisonnez, vous en disputez, vous vous échauffez même quelquefois ; et il vous paraît étrange que, pour couper court à des contestations qui n'auraient point de fin, on se contente de vous répondre, en un mot, qu'il n'est plus temps d'examiner, mais de se soumettre. Cependant cette réponse n'est pas moins solide ni moins vraie, qu'elle est courte et décisive ; et vous la goûteriez davantage si vous aviez ce que j'appelle l'humilité de la foi. Avec cette humilité de la foi, que de raisonnements tomberaient tout à coup ! que de difficultés s'évanouiraient ! que de disputes cesseraient ! Car, sans prétendre parler devons en particulier, on a toujours remarqué que, dans ces sortes de divisions au regard de la doctrine, il se mêlait un orgueil secret qui servait infiniment à les entretenir. Je m'estimerais heureux si je contribuais à vous préserver de cet écueil, et j'espère que ce qu'il m'est venu en pensée de vous écrire n'y sera pas inutile. Du moins vous fera-t-il voir la nécessité d'une foi humble : je veux dire que, sans une solide humilité, il n'est pas possible de conserver une foi bien pure.

I.  Vous devez remarquer d'abord qu'il y a deux choses à considérer dans la foi : ce que nous croyons, et  la manière dont nous le croyons : l'un est comme la matière de notre foi, et l'autre en est comme la forme. Or, l'un et l'autre a une connexion essentielle avec humilité et ne subsiste que sur le fondement de l'humilité. Car ce que nous croyons, c'est-à-dire les humiliations d'un Dieu et les maximes humiliantes de son Evangile, qui sont les principaux objets de notre foi, pour être crues, demandent nécessairement de notre part une préparation de cœur et une pieuse affection à l'humilité; et la manière dont nous les croyons n'est rien autre chose qu'un exercice continuel d'humilité. D'où je conclus que c'est donc particulièrement l'humilité qui entretient ce divin commerce qu'il y a entre Dieu et nous, parle moyen de la foi, lorsque Dieu nous parle et que nous croyons à sa parole. Vous pourra mieux entendre ceci par l'éclaircissement que j'y vais donner.

II.  Ce que nous croyons se réduit surtout a

 

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des mystères et à des maximes : or, ces mystères et ces maximes ne sont la plupart que des mystères et des maximes d'humilité. Un Dieu fait homme, et par là un Dieu humilié jusqu'à l'anéantissement ; un Dieu incarné dans le sein d'une vierge, comme dans le sein de l'humilité; un Dieu né dans une étable et couché dans une crèche, comme dans le berceau de l'humilité; un Dieu inconnu, méprisé sur la terre, et y vivant comme dans le séjour de l'humilité; un Dieu mourant sur la croix, comme sur le théâtre de l'humilité ; un Dieu présent sur nos autels, mais caché sous de viles espèces, comme dans le sacrement de l'humilité : voilà les grands mystères que notre foi nous propose. De plus, un Dieu ne nous prêchant que l'humilité, ne promettant presque ses récompenses qu'à l'humilité, n'agréant nos services et n'acceptant tous nos mérites qu'autant qu'ils sont fondés sur l'humilité ; nous donnant pour règles de nous abaisser, de fuir la grandeur et l'élévation, de prendre partout les dernières places, de préférer aux honneurs les mépris, les outrages, les calomnies : voilà les plus communes maximes de notre foi. Or, comment sera-t-il possible que notre esprit se persuade bien tout cela, et qu'il croie tout cela d'une foi bien vive, à moins qu'il n'y ait dans notre cœur quelques principes d'humilité, et que par l'humilité il ne surmonte sur tout cela ses répugnances naturelles? d'autant plus que c'est du cœur et de la volonté que la foi dépend. Car notre foi doit être libre, et nous ne croyons par une foi divine que ce que nous voulons croire. Il faut donc un acte du cœur et de la volonté, qui détermine l'esprit à croire. Et si c'est un cœur vain, un cœur orgueilleux et présomptueux, sera-t-il en état de faire les efforts nécessaires pour obliger l'esprit de croire des vérités qui toutes condamnent son orgueil et sa présomption? C'est pourquoi le Fils de Dieu reprochant aux Juifs leur incrédulité, au lieu de leur dire qu'ils ne voulaient pas croire en lui, leur disait, en termes plus forts, qu'ils ne pouvaient pas même croire en lui, et cela, pure qu'ils étaient remplis d'orgueil, et qu'ils ne cherchaient que l'honneur du monde. Ce n'est pas , remarque saint Chrysostome , qu'ils Manquassent de lumières, ni qu'absolument ils ne pussent avoir la foi; car Jésus-Christ alors ne leur eût pas fait ce reproche ; mais c'est que l'orgueil qui les possédait, et dont ils ne voulaient pas se défaire , les mettait dans nue espèce d'impuissance de croire, et que dite  impuissance   étant volontaire dans sa cause, elle devenait criminelle dans son effet. Combien y a-t-il de prétendus chrétiens à qui je pourrais adresser ces mêmes paroles du Sauveur : Le moyen que vous puissiez croire, vous qui vous laissez aveugler par la passion de l'honneur (1)? Ce n'est pas qu'ils ne croient les mystères de la religion et les maximes de l'Evangile d'une certaine foi vague et superficielle , du moins font-ils profession de les croire, puisqu'ils se disent chrétiens ; mais en vérité , quand on les voit si entêtés des vanités du siècle, de l'estime du siècle, des pompes du siècle ; si entêtés d'eux-mêmes et de leur propre mérite, peut-on penser qu'ils croient réellement , qu'ils croient solidement, qu'ils croient fermement des mystères et des maximes qui ne les portent qu'à s'avilir dans l'opinion des hommes, et qu'à s'anéantir?

III. Je n'insiste pas davantage sur cet article; mais je m'attache à l'autre, où l'humilité me paraît encore tout autrement nécessaire : c'est la manière dont nous croyons. Car qu'est-ce que la foi, et en quoi consiste la foi? elle consiste à croire sans voir : Heureux ceux qui n'ont point vu, et qui ont cru (2). Elle consiste à croire ce qui nous est révélé, et non pas de Dieu  même immédiatement, mais par le ministère des hommes et par l'organe de l'Eglise : Quiconque refuse d'écouter l'Egise, regardez-le comme un païen et un publicain (3). Voilà l'idée que les apôtres, après Jésus-Christ, que tous les théologiens nous donnent de cette vertu; en voilà l'essence et la nature. Or ne sont-ce pas là les actes d'humilité les plus excellents et les plus parfaits dont soit capable une créature raisonnable , aidée de la grâce de Dieu? Croire ce qu'on ne voit pas, ce qu'on ne comprend pas, ce qui contredit tous nos sens, tous nos préjugés, toutes nos connaissances naturelles ! Ce n'est pas assez : le croire, à la vérité, parce qu'il est révélé de Dieu ; mais, du reste , sans autre évidence de cette révélation , sinon que des hommes comme nous nous le déclarent ainsi. Je dis des hommes comme nous : non pas qu'ils ne soient d'ailleurs et qu'ils ne doivent être distingués de nous par l'autorité divine dont ils sont revêtus, et que nous sommes obligés de reconnaître et de respecter dans eux ; mais, après tout, à n'en juger que par les apparences, que par les dehors, que par les yeux, nous n'y apercevons rien qui nous représente autre chose que des hommes semblables à nous. Ce sont là ceux qui composent avec le reste des fidèles l'Eglise de

 

1 Joan., V. — 2 Joan , XX, 29. — 3 Matth., XVIII, 17.

 

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Jésus-Christ, ce sont ceux qui la gouvernent au nom de Jésus-Christ, et c'est à leurs décisions que nous devons nous soumettre purementet simplement; je veux dire , sans autre preuve , sinon que ce sont des décisions émanées de leur tribunal. Une pareille soumission, dis-je, un tel sacrifice de toutes nos lumières et de toutes nos vues , n'est-ce pas la plus grande humiliation de l'esprit humain ?

IV.  C'est en ce sens que le Fils de Dieu nous a dit dans l'Evangile : Si vous ne devenez semblables d des enfants, vous n'entrerez jamais dans le royaume des cieux (1). Car, selon les interprètes, ce royaume des cieux , c'est l'Eglise militante sur la terre, et triomphante dans le ciel. Afin donc que nous soyons de cette Eglise, il faut nous rendre enfants : et par où enfants? demande saint Augustin. Par la foi. En effet, poursuit ce saint docteur, un enfant n'est différent d'un homme que parce qu'il n'a encore aucun exercice de sa raison , ou qu'il n'en a que très- peu d'usage. Il croit, mais il ne raisonne point; et c'est justement ce que la foi opère dans nous. Quand Dieu a une fois parlé, ou par lui-même directement, ou plus communément par son Eglise , la foi nous défend de douter, d'examiner, d'user d'aucunes recherches ; mais elle nous fait un commandement de croire. Ainsi elle nous réduit à une espèce d'enfance : et le moyen que nous nous y réduisions nous-mêmes par une obéissance chrétienne, si nous ne sommes vraiment humbles !

V.  C'est encore en ce même sens et selon cette même idée de la foi, que l'apôtre saint Paul nous la dépeint comme une sainte servitude, où nous tenons notre entendement lié , pour ainsi dire, et enchaîné. Que veut-il par là nous faire entendre? Saint Chrysostome l'explique d'une manière très-ingénieuse et très-littérale. Voyez, dit ce Père , la condition et l'état d'un prisonnier : il n'est plus en pouvoir d'aller où bon lui semble, ni où il lui plaît : il se trouve resserré dans un lieu obscur et ténébreux, sans qu'il lui soit permis de faire un pas pour en sortir; et s'il fait le moindre effort pour se tirer de cette captivité, on le traite de rebelle. Tel est l'assujettissement de la foi : notre esprit a une faculté naturelle de se répandre sur toutes sortes d'objets, de s'élever à ce qui est au-dessus de lui, d'aller rechercher les choses les plus cachées, de passer d'une connaissance à l'autre, et de faire toujours de nouvelles découvertes. C'est là, si j'ose m'exprimer

 

1 Matth., XVIII, 3.

 

de la sorte, un de ses plus beaux apanages ; c'est là qu'il met sa principale gloire, et c'est de quoi il est le plus jaloux. De vouloir le gêner là-dessus, de vouloir le priver d'un droit qu'il se croit propre et qui flatte sa vanité, c'est étrangement le rabaisser et le dégrader. Voilà néanmoins ce que la foi entreprend. Elle lui interdit toute curiosité, toute liberté de discourir sur le fond des vérités que Dieu nous révèle, et par là elle le tient captif et sous le joug. Que 1 humilité vienne à lui manquer, demeurera-t-il dans cette sujétion, et ne cherchera-t-il pas à s'affranchir d'un empire dont son orgueil est blessé?

VI.  Il est certain, et l'expérience nous le fait bien voir, que c'est en cela que la soumission nous paraît plus difficile et moins supportable. Dans tout le reste, nous nous assujettissons et nous nous captivons. Dans nos affaires, dans nos emplois, jusque dans nos divertissements et dans nos inclinations, même les plus fortes, nous nous faisons tous les jours violence. Mais s'agit-il de nos sentiments, et des opinions particulières dont nous nous sommes laissé prévenir; nous ordonne-t-on de les déposer et de les renoncer par le seul respect d'une autorité supérieure, c'est alors qu'il se forme en nous mille contradictions et mille révoltes d'esprit; et ces contradictions intérieures, ces révoltes sont telles, que souvent ni la raison, ni le devoir, ni la crainte, ni l'espérance, ni la nécessité, ni la force, ne sont pas capables de les surmonter. D'où vient cette différence, et d'où arrive-t-il que nous soyons si dociles sur toutes les autres choses, et si peu sur ce qui est opposé à nos idées et à nos préjugés? C'est que la docilité et la condescendance sur toutes les autres choses ne porte point ordinairement avec soi un caractère d'humiliation, et qu'au contraire elle passe pour honnêteté, pour civilité, pour bonté : au lieu que de désavouer ses pensées et de les quitter, pour s'attacher à d'autres qu'on nous oblige de prendre et pour s'y conformer, c'est reconnaître qu'on se trompait, qu'on s'égarait, qu'on n'était point assez éclairé, ni assez bien instruit pour se conduire soi-même : et voilà ce que notre présomption ne peut soutenir, de quoi elle ne peut convenir, à quoi l'on a toutes les peines imaginables de la résoudre et de la faire consentir.

VII.   Prenez garde, s'il vous plaît ; je dis, pour s'attacher à d'autres sentiments et à d'autres pensées, qu'on nous oblige de prendre. Car si c'est de soi-même qu'on vient à changer d'opinion, si c'est avec une pleine liberté de

 

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choisir celle qu'on veut, et qu'on retienne toujours sa première indépendance, il n'y a rien là qui choque notre orgueil, et c'est pourquoi notre esprit n'y répugne plus. On se fait même une gloire d'être revenu de son erreur, d'avoir mieux approfondi tel point qu'on n'avait pas assez pénétré, d'avoir eu des vues plus justes, et d'avoir enfin découvert la vérité. Mais, encore une fois, il faut que tout cela soit de nous-mêmes, c'est-à-dire que ce soit nous-mêmes qui jugions, nous-mêmes qui décidions, nous-mêmes qui nous détrompions. Si c'est un autre qui veut là-dessus nous diriger et nous entraîner dans son sentiment, surtout si c'est une puissance même légitime et à laquelle nous sommes subordonnés, qui exige de nous ce témoignage de dépendance et d'obéissance, ce sera assez pour nous obstiner plus que jamais dans nos préventions ; et sans le secours d'une humilité sincère et religieuse, on ne peut guère se promettre de nous que nous nous démettions de la possession où nous nous croyons bien établis, de nous en rapporter à nous-mêmes, et d'être maîtres de nos jugements.

VIII. Fausse et malheureuse possession, qui a fait dans les siècles passés, et qui fait encore de nos jours, tant de libertins en matière de créance. Ne croire que ce que l'on voit, ou que ce que l'on connaît par l'évidence naturelle ; ne consulter là-dessus que soi-même, et ne déférer à nul autre que soi-même, voilà le premier principe de l'orgueil de l'homme. On veut comprendre les choses de Dieu avant que d'y ajouter foi ; et Dieu nous dit par son prophète : Je veux que vous les croyiez avant que vous les compreniez. Pourquoi cela ? c'est, remarque saint Augustin, que l'intelligence des choses de Dieu est un don de grâce, qui doit être mérité par l'humilité de la foi, et qui est la récompense de la foi. Les prétendus esprits forts du monde voudraient que Dieu les gouvernât par la raison ; et Dieu leur répond : Je veux que ce soit la foi qui vous gouverne, ou plutôt je veux moi-même vous gouverner par la foi. Toutes sortes de considérations l'y engagent, mais en particulier celle-ci : qu'étant d'aussi faibles et d'aussi petites créatures que nous le sommes, il n'est pas juste que nous soyons les juges et les arbitres de ce qui concerne ses adorables mystères et ses impénétrables conseils; que si c'était par la raison que nous fussions conduits, ce ne serait point précisément à sa divine parole que nous nous soumettrions; mais qu'avec cette raison, qui nous servirait de guide, nous jugerions de sa parole même, et nous nous érigerions un tribunal au-dessus de lui : ce qui sans doute ne nous appartient pas, ni ne nous peut jamais appartenir.

IX.  Quoi donc dit un sage du monde, n'ai-je pas droit de demander la raison des choses que Dieu me déclare, ou qu'on me déclare de sa part, et qu'on m'ordonne de croire? Eh ! qui vous aurait donné ce droit, et pourquoi voudriez-vous vous l'attribuer à l'égard de Dieu et de l'Eglise de Dieu, lorsque tous les jours et en mille sujets vous croyez de simples hommes, sans caractère et sans autorité, sur leur seule parole? Combien y a-t-il de choses dans l'univers qui vous sont inconnues, et dont néanmoins vous ne doutez pas, parce que vous vous en rapportez au témoignage des savants ? Il est étrange, dit saint Hilaire, que nous soyons si humbles dans la profession que nous faisons de ne pas savoir la plupart des secrets de la nature, et qu'il n'y ait qu'à l'égard des mystères de Dieu et des points de la religion, que nous fassions paraître une ignorance présomptueuse et pleine d'orgueil.

X.  Nous savons en quels abîmes cette dangereuse présomption et cet orgueil a précipité tant d'hérésiarques et leurs sectateurs ; nous savons à quelles extrémités et à quels excès ils se sont portés. Ils ont mieux aimé abandonner la religion de leurs pères, déchirer le sein de leur mère, qui est l'Eglise : être séparés de la communion de leurs frères, qui sont les fidèles ; passer pour des anathèmes dans le monde, voir le trouble et la confusion qu'ils y causaient, que de se relâcher d'un sentiment erroné et nouveau, dont ils étaient préoccupés. S'ils avaient pu dire une fois : Je me suis trompé, je me suis trop laissé remplir de mes pensées, et je ne devais pas m'y attacher avec tant d'opiniâtreté ; s'ils avaient pu, dis-je, parler de la sorte, et agir ensuite conformément à cet aveu, combien de maux cette humble confession eût-elle arrêtés? Dieu en eût tiré sa gloire, l'Eglise en eût été édifiée, la foi en eût triomphé, et eux-mêmes ils s'en seraient fait devant tout le peuple chrétien une couronne de mérite et d'honneur. Mais il eût fallu pour cela s'humilier et se soumettre ; et l'esprit d'orgueil qui les dominait n'a pu supporter la moindre sujétion ni la moindre humiliation. Il ne leur est donc plus resté, dit Vincent de Lérins, d'autre parti à prendre que celui de l'apostasie et de l'infidélité.

XI.  C'est celui qu'ont pris Luther et Calvin.

 

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Ils n'ont pu se résoudre à reconnaître cette loi trop humiliante pour eux, de recevoir les révélations de Dieu par l'entremise des hommes; et, afin de secouer ce joug, ils ont substitué à l'Eglise un esprit particulier, par qui ils prétendaient être instruits de tout, et sans lequel ils ne voulaient rien croire. Au lieu que les Israélites dans le désert demandaient à Moïse que Dieu ne leur parlât point, mais que Moïse, son ministre et son interprète, leur parlât lui-même et lui seul : ceux-ci, par une infidélité tout opposée, ont voulu que Dieu vînt leur parler, et ont protesté qu'ils n'écouteraient nul autre que lui. Bien loin de. faire l'Eglise juge de leur foi, ils se sont faits eux-mêmes les juges de la foi de l'Eglise; ils lui ont disputé son pouvoir, ils ont blâmé sa conduite, ils ont rejeté ses arrêts et ses définitions, ils ont cherché à la détruire, et employé tous leurs artifices et tous leurs efforts à l'exterminer.

XII. Ce n'est pas qu'ils n'aient d'abord affecté une certaine déférence et un certain respect pour ses oracles. Tant qu'ils ont cru qu'il était de leur intérêt de ne se pas encore soulever ouvertement contre elle et d'y paraître toujours unis, ils lui ont fait les plus belles protestations d'un attachement inviolable et d'une pleine soumission ; tant qu'ils ont espéré de la disposer en leur faveur, et de lui faire approuver ou du moins tolérer leurs erreurs, ils l'ont en quelque sorte ménagée, et n'ont point refusé d'être cités devant elle pour y rendre compte de leur doctrine. Mais dès qu'éclairée du Saint-Esprit, et ennemie du mensonge, elle a entrepris de censurer et de noter leurs dogmes corrompus, c'est alors que tout l'orgueil qu'ils cachaient dans le cœur a éclaté : elle a jugé, et ils ce sont récriés contre les jugements quelle portait; elle les a menacés de ses anathèmes, et ils ont méprisé ses menaces; elle les a frappés, et ils ont laissé tomber sur eux ses foudres sans les craindre, ni en être nullement en peine. Voyez ce que fit Luther : les prélats de l'Eglise le condamnaient, et il les traitait d'ignorants ; le chef de l'Eglise prononçait contre lui, et il répondait que c'était un juge mal informé ; on assemblait un concile où il était appelé, et où tout le corps de l'Eglise était réuni ; mais parce que ce concile n'entrait pas dans ses sentiments, il lui semblait pitoyable, et lui seul il se tenait plus habile que tous les pasteurs et que tous les docteurs. Fallait-il donc, pour te convaincre, qu'un ange vînt du ciel ? Un ange descendu du ciel ne convaincrait pas un esprit opiniâtre et enflé d'orgueil.

XIII.  Ce qu'il y a de bizarre dans la conduite de ces hérétiques, c'est qu'en même temps qu'ils renonçaient à la vraie Eglise, et qu'ils la traitaient avec le dernier mépris, ils se faisaient un fantôme d'Eglise, pour lequel ils marquaient de la vénération. Je dis un fantôme d'Eglise : car quel fantôme qu'une Eglise qui ne leur parlait point, qui ne les reprenait point, qui ne les gênait en rien, et qui leur laissait la liberté de tout croire et de tout dire ? quel fantôme qu'une Eglise invisible, qu'on ne connaissait point, à qui par conséquent on ne pouvait avoir recours, et qui demeurait renfermée dans le cœur des prétendus fidèles, sans se produire au dehors? Idées chimériques, où, par un orgueil insupportable, ils ont mieux aimé se retrancher, que d'admettre dans le monde chrétien une Eglise visible qui les tînt sous sa domination, et qui fut la règle de leur foi.

XIV.  Tel est le châtiment de Dieu. Il permet que les esprits vains et orgueilleux , en s'éloignant du centre de la vérité et de l'unité. s'égarent presque en autant d'erreurs qu'ils font de pas. Pour justifier une proposition sur laquelle on les presse, et qu'une gloire mal entendue les empêche de rétracter, ils avancent une autre proposition aussi fausse et aussi insoutenable que la première.   Pour soutenir cette seconde proposition , sur quoi l'on forme de nouvelles difficultés,  ils en imaginent une troisième, aussi mauvaise que les deux antres. Ainsi, par un enchaînement d'erreurs qui se trouvent liées nécessairement ensemble , ils s'engagent dans une espèce de labyrinthe où ils  demeurent : on les y poursuit ; mais la force de contester, de répliquer, de se défendre par toutes les subtilités et tous les subterfuges que l'esprit de mensonge leur suggère, ils viennent enfin à se persuader absolument qu'ils ont raison , que leurs adversaires n'ont rien de solide ni de convaincant à leur opposer, qu'ils ont bien su leur répondre, et qu'ils en ont remporté une entière victoire. On les renverserait mille fois, on les accablerait de preuves , on leur mettrait devant les yeux les témoignages les plus irréprochables, que jamais leur orgueil ne se rendrait. Dieu, de sa part, les abandonne à leur aveuglement et à leur endurcissement : ils y vivent et ils y meurent.

XV.  En voilà, ce me semble, assez pour vous faire voir la nécessité d'une foi humble. Le

 

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grand moyen, et souvent même l’unique moyen, de réduire une infinité d'esprits, ce n'est pas d'entrer en dispute ni en raisonnement avec eux , mais ce serait de leur inspirer plus d'humilité. Un degré d'humilité qu'on leur ferait acquérir serait plus efficace que les plus longues et les plus savantes controverses. Quoi qu'il en soit, tâchez de l'avoir, cette humilité de la foi ; et si vous l'avez , conservez-la bien ; ne vous laissez point surprendre à une tentation si ordinaire, de se figurer qu'il est du bel esprit de parler des matières de la religion, et de faire voir qu'on en a plus de connaissance que le commun des chrétiens ; jugez-vous vous-même, et demandez-vous de bonne foi à vous-même : Ai-je sujet de penser que je sois en état de donner là-dessus de justes décisions? et où aurais-je puisé les lumières pour cela nécessaires? ai-je bien approfondi les points sur lesquels je m'explique avec tant de chaleur? et dans le parti que je prends n'y a-t-il pas plus d'orgueil et de vanité, que de raison et de solidité?

XVI. Souffrez que je vous déclare toute ma pensée, et que je déplore un abus qui croit tous les jours , et qui se répand partout : c'est l'extrême liberté que chacun se donne, de discourir comme il lui plaît sur tout ce qui a rapport à la foi. Si saint Paul, qui a pris soin de nous marquer les caractères de notre foi, en avait parlé comme d'une foi subtile , d'une foi curieuse, d'une foi savante, d'une foi de dispute et de contention, alors nous aurions de quoi bénir Dieu et de quoi nous féliciter, puisque jamais la foi des chrétiens n'eut toutes ces qualités plus avantageusement qu'elle ne les a dans notre siècle. Mais quand je viens à considérer que ce grand apôtre ne nous fait mention que d'une foi humble, d'une foi simple , d'une foi sans artifice, d'une foi qui n'a de raisonnement que pour apprendre à obéir, je tremble pour la foi fane multitude infinie de personnes qui portent néanmoins le nom de fidèles, et qui se disent enfants de l'Eglise. Jamais peut-être n'y eut-il plus de raffinements, ni plus de contestations sur ta foi, et jamais aussi n'y eut-il moins d'humilité dans la foi.

XVII. Ne perdons pas l'avantage que nous avons toujours eu jusques à présent sur les hérétiques ; ils nous ont égalés en tout le reste, et quelquefois même en certaines choses ils nous ont surpassés ; ils ont eu l'érudition et la science , ils ont eu la finesse et la pénétration de l'esprit, ils ont eu la grâce et la politesse du langage, ils ont été charitables envers les pauvres, sévères dans leur morale, et plusieurs ont passé parmi eux pour des saints ; mais ce qu'ils n'ont jamais eu, c'est l'humilité de la foi. A cet écueil, ils ont tous échoué ; à cette pierre de touche, on a distingué l'or pur du faux or ; avec toute leur science, ils se sont évanouis dans leurs pensées; leur pénétration et leur finesse d'esprit n'a servi qu'à les rendre plus artificieux, qu'à leur fournir sans cesse de nouvelles lueurs pour éblouir les âmes crédules, à qui ils en imposaient; leur langage poli et affecté n'a été que déguisement, leur morale sévère qu'apparence fastueuse, et leur sainteté qu'hypocrisie. Je vous renvoie à leurs histoires ; lisez-les , et vous y trouverez de quoi vérifier tout ce que je dis.

XVIII. Voulez-vous donc un bon préservatif contre tout ce qui pourrait endommager votre foi? Soyez humble dans votre foi même. Non, mon Dieu, devez-vous dire, ce n'est point à moi de m'ingérer en tant de questions qui sont au-dessus de moi : J'ai Moïse et les prophètes (1) ; c'est-à-dire , Seigneur, que j'ai votre Eglise pour me conduire , et qu'elle me suffit. Je sais où elle est, cette Eglise ; je sais par quelle succession , depuis saint Pierre, ou plutôt depuis Jésus-Christ, elle s'est perpétuée jusqu'à nous ; je sais où nos pères l'ont reconnue, où ils l'ont consultée, comment elle leur a parlé, et avec quel respect et quelle obéissance ils l'ont écoutée : Je m'en tiens là, et c'est assez pour moi. Quel repos intérieur et quelle paix de l'âme ne se procure-t-on point par une telle soumission ? c'est  même alors que Dieu , content de nous voir soumis et dociles, nous découvre plus clairement ses vérités. Quoi qu'il en soit, je me souviens de l'avis que donnait saint Jérôme à une vierge dont il était le père en Jésus-Christ et le directeur. Pensez-y vous-même, et souvenez-vous-en , pour en faire l'application que vous croirez convenir. Voici les paroles de ce saint docteur, par lesquelles je finis : Attachez-vous à la foi du saint pape Innocent, qui, dans la chaire apostolique, est le successeur du bienheureux Anastase; et quelque spirituelle, quelque intelligente que vous puissiez être, regardez toute autre doctrine comme une doctrine étrangère, et rejetez-la.

 

1 1 Luc, XVI, 29.

 

 

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