PÉNITENCE

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DU RETOUR A DIEU, ET DE LA PÉNITENCE.

 

DU RETOUR A DIEU, ET DE LA PÉNITENCE.

BONTÉ INFINIE  DE  DIEU  A RAPPELER   LE PÉCHEUR ET A  LE RECEVOIR.

SACREMENT DE PÉNITENCE. DISPOSITIONS QU’IL Y FAUT APPORTER ET LE FRUIT QU'ON EN DOIT RETIRER.

PENITENCE  EXTÉRIEURE, OU MORTIFICATION DES SENS.

PÉNITENCE   INTÉRIEUR, OU   MORTIFICATION DES   PASSIONS.

PENSÉES  DIVERSES  SUR  LA  PÉNITENCE,  ET LE RETOUR A  DIEU.

 

BONTÉ INFINIE  DE  DIEU  A RAPPELER   LE PÉCHEUR ET A  LE RECEVOIR.

 

Nous quittons Dieu avec joie, nous ne retournons à Dieu qu'avec peine, et Dieu néanmoins est toujours disposé à nous recevoir: en trois mots , voilà ce qui nous donne la plus haute idée de la divine miséricorde ; voila ce qui doit, dans notre pénitence, nous toucher de la plus amère contrition, de la reconnaissance

 

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la plus vive, de l'amour le plus ardent.

I. Nous quittons Dieu avec joie, et cela dès la première jeunesse. A peine commençons-nous à ouvrir les yeux de l'esprit et à faire quelque usage de notre raison , que le charme du plaisir nous entraîne. On le suit, on s'y abandonne : Venez, divertissons-nous, et jouissons des biens présents.   Enivrons-nous des vins les plus exquis, couronnons-nous de roses, et ne refusons rien à nos sens de tout ce qui peut les flatter (1). C'est avec de pareilles dispositions qu'on entre dans le monde, et qu'on y mène la vie du monde , une vie dissipée , une vie molle, une vie libertine et toute corrompue. La conscience a beau se récrier, Dieu a beau parler; on se rend insensible aux cris de la conscience et sourd à la voix de Dieu. On se retire de lui, et pour combien d'années? quelquefois,  hélas! jusqu'à  l'extrême vieillesse. Tandis que le monde a de quoi nous plaire ; tandis qu'il a de quoi satisfaire nos passions, soit passion  de l'honneur, soit  passion de l'intérêt, soit passion plus grossière et plus animale, on ne veut point d'autre maître, et on y met toute son espérance et tout son bonheur.

Bonheur traversé de bien des chagrins, je l'avoue. Car le mondain, séduit et aveuglé par les sens, cherche en vain dans les plaisirs du monde un repos durable et une félicité parfaite; c'est ce que nul homme n'y trouva jamais, et ce que nul homme n'y trouvera, puisque rien de périssable et de mortel ne suffit a notre cœur, ni ne lui peut suffire , et que la vie est d'ailleurs sujette à tant de vicissitudes et d'événements imprévus , qui en troublent malgré nous les prétendues douceurs. Mais après tout, quelque faux que puisse être ce bonheur humain, et quelque épreuve qu'on en puisse faire, il a toujours je ne sais quelle apparence qui nous attire et qui nous attache. Ou eu reconnaît à certains moments la vanité et l'illusion; on s'en déclare, et on éclate ; mais ce ne sont que des moments où l'on a eu quelque déboire ou quelque contrariété à essuyer. Le nuage se dissipe bientôt; on rentre dans ses premiers sentiments ; on reprend son premier goût pour le monde ; il plaît plus que jamais, et il a pour nous des agréments tout nouveaux : tant l'inclination qui nous y porte est profondément enracinée dans notre âme, et tant elle a de pouvoir pour nous engager.

Tel est l'enchantement où vivent la plupart des gens du monde, hommes et femmes. Après avoir cent fois déclamé contre le monde , ils en sont

 

1 Sap., II, 8.

 

toujours épris, et ils ne comprennent pas même qu'ils puissent jamais s'en passer. Que le monde, sur mille sujets et dans une infinité d'occasions, se trouve en compromis avec Dieu ; qu'il soit question d'une fortune humaine qu'ils ont en vue, d'un degré d'élévation où ils aspirent, d'un avantage temporel qu'ils cherchent à se procurer, d'une intrigue qu'ils ont formée et qu'ils font jouer, d'un engagement criminel, d'une sale volupté, avec quel empressement ne s'y portent-ils pas ; avec quelle ardeur, et souvent, si je l'ose dire, avec quelle espèce de fureur ? Examinent-ils si Dieu condamne tout cela? sont-ils en peine de le savoir? ou s'ils le savent et qu'on leur représente la loi divine, qui s'est expliquée sur tous ces articles et sur bien d'autres, en sont-ils touchés? Que Dieu y soit offensé, c'est à quoi ils n'ont guère d'égard, et c'est par là même une faible raison pour les arrêter ; ils se livrent au penchant naturel, ils suivent l'attrait; ils entreprennent, ils agissent; et si, au péril d'encourir la haine de Dieu, ils peuvent obtenir ce qu'ils se sont proposé, ils se tiennent heureux et se félicitent du succès.

II. Nous ne retournons à Dieu qu'avec peine. Après de longs égarements, il vient enfin pour quelques-uns un temps de salut et de conversion, c'est-à-dire un temps où l'on se sent pressé de se remettre dans le devoir et de se rapprocher de Dieu. Et quel est ce temps? une conjoncture favorable que Dieu ménage, un âge plus avancé et plus mûr, où le feu de la passion commence à s'amortir, une humiliation et un renversement de fortune, un état d'infirmité et de langueur.

Saint Augustin ne se convertit point autrement. Ce fut un des plus fameux pénitents de l'Eglise de Dieu, et nous ne pouvons avoir de témoignage plus convaincant ni plus irréprochable que le sien, pour apprendre combien de temps et avec quelles incertitudes il demeura flottant et irrésolu entre la divine miséricorde qui le poursuivait sans relâche, et les engagements du monde qui le retenaient. H voulait ou il croyait vouloir ; mais dans peu il ne voulait plus. Il demandait à Dieu d'être affranchi de l'esclavage où le vice le tenait captif et comme enchaîné; mais en même temps il craignait que Dieu ne l'écoutât et que sa prière ne fût exaucée. Incessamment agité de remords intérieurs, il disait pour les calmer en quelque manière : Tantôt, tantôt; mais ce tantôt ne venait point, et il le remettait toujours au lendemain. Dans ces cruelles perplexités dont il nous a fait, lui-même le récit en des termes si

 

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forts et si énergiques : Je soupirais, dit-il, je gémissais sous le poids de ma chaîne ; mais j'étais lié par ma propre volonté, plus dure que le fer; et sans un dernier effort de la vertu d'en-haut, je n'aurais jamais conclu une affaire que je désirais, mais qui devait coûter si cher à mon cœur. Ainsi parlait saint Augustin : et combien de pécheurs ont été aussi violemment combattus dans leur retour? combien d'autres le sont encore?

C'est de quoi ils pourraient rendre témoignage, s'ils voulaient produire au dehors ce qu'ils éprouvent intérieurement, et ce qu'ils cachent avec tant de soin. La grâce les presse, elle les suit partout, elle se fait sentir à eux jusque dans les assemblées les plus nombreuses et les plus profanes. En vain tâchent-ils de se dissiper, dose rassurer, d'effacer de leur esprit certaines idées qui les troublent: Dieu demeure toujours à la porte de leur cœur, et ne cesse point de frapper. Ils le laissent attendre, et il attend; ils ne répondent rien, et bien loin de se taire et de se retirer, il élève la voix tout de nouveau et parle encore plus haut. Assiduité qui leur devient aussi salutaire qu'elle leur est importune : car Dieu, par une providence spéciale, est plus constant à les sauver, qu'ils ne le sont à se perdre. Malgré tant d'oppositions cl de révoltes, le moment arrive, un bon moment, où la grâce prend le dessus et triomphe. On se rend, on cède ; mais qu'est-ce après tout que ce retour? et, si je l'ose dire, doit-il être d'un grand mérite devant Dieu, lorsqu'on le lui fait acheter si cher?

III. Dieu néanmoins est toujours disposé à nous recevoir. Il serait naturel que dans une juste indignation il nous traitât comme nous l'avons traité lui-même; qu'autant que nous avons témoigné de répugnances et de difficultés à retourner vers lui, autant il se rendît difficile à nous admettre auprès de lui, et à se réconcilier avec nous; qu'il nous lit attendre aussi longtemps qu'il nous a attendus, et que, pour punir nos incertitudes et nos retardements, il lût aussi lent à nous pardonner que nous l'avons été à reconnaître devant lui nos iniquités et à lui demander grâce. Mais que dis-je, Seigneur? ah ! mon Dieu, je parle selon les sentiments de l'homme, et vos sentiments, comme vos pensées, sont bien au-dessus des nôtres. Ce sont des pensées, des sentiments, non de colère et de vengeance, mais de rémission et de paix (1). A quelque heure donc, à quelque jour que le   pécheur contrit et pénitent

 

1 Cogitationis pacis, et non afflictionis. (Jerem., XXIX, 11.)

 

s'humilie devant vous, vous oubliez que vous êtes juge, pour vous souvenir que vous êtes père. Il est vrai, pendant une longue suite d'années, ce pécheur était un rebelle; mille fois il s'est obstiné contre Dieu. Il est encore vrai que pour le fléchir, le gagner, il a fallu tout récemment de plus fortes instances que jamais et des avances toutes nouvelles de la part de Dieu ; mais Dieu met le voile surtout cela, il n'a égard qu'à la disposition présente de cet homme. Dès qu'une fois il se repent et qu'il se soumet, c'est assez. Les entrailles de la charité de Dieu en sont émues, il étend les bras pour l'embrasser, il ouvre son sein pour le recueillir : fût-ce un pécheur tout noirci de crimes, il cesse d'être criminel aux yeux du Seigneur, et Dieu lui donne place parmi sis enfants.

Je dis, mon Dieu, parmi vos enfants, et non point parmi vos esclaves. Ce prodigue qui s'était séparé de son père, et lui avait marqué tant d'indifférence et même tant de mépris en l'abandonnant, comptait pour beaucoup, lorsqu'il serait revenu à la maison paternelle, d'y pouvoir être mis au rang des mercenaires, et se croyait désormais indigne d'y être regardé il traité comme un fils : il se faisait en cela justice; mais du reste il ne connaissait pas toute la tendresse du père qui le recevait, et qui était même allé au devant de lui. Bien loin d’être dégradé de la qualité de fils, et d'être condamné aux traitements rigoureux qui lui étaient dus, il éprouva tout le contraire. Jamais son père ne l'accueillit avec plus de douceur ni plus d'affection; jamais il ne parut plus sensible pour lui.

C'est vous-même, mon Dieu, qui nous tracez cette figure dans votre divin Evangile ; c'est par cette parabole que votre Fils adorable excitait la confiance des pécheurs pénitents; et je puis dire, tout coupable que je suis, qu'elfe ne m'annonce rien de si consolant que je ne sois en droit d'espérer, et à quoi l'effet De doive répondre.

Voilà, dis-je, ô mon Dieu, ce que j'ai lieu de me promettre, aussi bien que tant d'autres, dès que je retournerai à vous, et que j'y retournerai de. bonne foi. Or n'est-ce pas un motif assez puissant pour m'inspirer là-dessus une sainte résolution, et pour me la faire exécuter? Mais que serait-ce, et quel désordre, quelle injustice, quand vous m'appelez de la sorte, si je délibérais encore, si je me défendais encore, si je refusais encore de me rendre? lié! qu'y aurait-il alors de plus inconcevable, ou

 

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d'une telle condescendance de votre amour, ou d'une telle résistance de mon cœur?

L'heure est venue, Seigneur : il n'y a plus de difficultés ni de répugnances à écouter. Un amour tel que le vôtre doit amollir l'âme la plus endurcie. Je suis à vous, ou j'y veux être. Bénissez le dessein que je forme, et le premier pas que je vais faire pour l'accomplir. En votre nom j'agirai, et vous suppléerez par votre miséricorde à ce qui pourra me manquer par la fragilité de la nature et par l'inconstance de ma volonté.

 

SACREMENT DE PÉNITENCE. DISPOSITIONS QU’IL Y FAUT APPORTER ET LE FRUIT QU'ON EN DOIT RETIRER.

 

On exhorte assez les fidèles à fréquenter le sacrement de pénitence ; mais peut-être ne l'applique-t-on point assez à les instruire des dispositions essentielles qu'il demande, ni à leur en donner toute la connaissance qu'ils en doivent avoir. La plupart n'en ont entendu parler que dans ces premières leçons qu'on fait à de jeunes enfants qui, malgré le soin qu'on prend de leur expliquer les éléments de la doctrine chrétienne, ne sont guère en état de bien comprendre ce qu'on leur dit, et n'en conservent qu'un souvenir confus et très-superficiel. C'est dans un âge plus avancé, où h; jugement est plus mûr et où l'on voit mieux les choses, qu'il faudrait se retracer sur cela les enseignements qu'on a reçus, et s'en former mu: idée juste. Car il s'agit d'un sacrement qui, selon le bon et le mauvais usage que nous en faisons, doit servir ou à notre justification, ou à notre condamnation. Mais, par une erreur des plus pernicieuses, on regarde, si je l'ose dire, ces sortes de considérations au-dessous de soi, et l'on se persuade qu'elles ne conviennent qu'au temps de l'enfance. Les prédicateurs, s'ils n'y prennent garde , contribuent eux-mêmes à entretenir cette dangereuse illusion, ayant pour maxime de ne traiter dans la chaire que certains sujets relevés, et s'imaginant que ceux-ci ne sont propres que pour le menu peuple et pour les campagnes. En quoi certainement ils se trompent, soit en manquant à l'une des plus importantes obligations de leur ministère, qui est d'apprendre à toutes les conditions les principaux devoirs delà religion, soit en s'élevant quelquefois au delà des bornes, et prenant un vain essor où souvent on les perd de vue, et où ils se perdent eux-mêmes.

Quoi qu'il en soit, tout ce qui concerne le sacrement de pénitence peut se réduire, selon la notion ordinaire, à quatre articles capitaux, savoir, la contrition, la résolution, la confession et la satisfaction. Je n'ai rien à dire là-dessus de singulier et de nouveau; mais ce que je dirai néanmoins n'est que trop inconnu à bien des gens qui l'ignorent ou absolument ou en partie, tout éclairés qu'ils sont d'ailleurs et qu'ils se piquent de l'être.

I. Contrition : c'est-à-dire douleur du péché ; mais une douleur conçue en vue de Dieu par le mouvement de la grâce, et supérieure à toute autre douleur. Voilà en trois mots déjà bien des choses d'un devoir indispensable, et d'une telle nécessité, que de là dépend toute l’efficace et tout le fruit du sacrement dont il est présentement question.

C'est, dis-je, une douleur, et par conséquent un acte de la volonté qui s'afflige, qui hait, qui déteste : car qui dit douleur ne dit pas une simple connaissance ni une simple vue de la laideur et de la difformité du péché ; ce n'est pas même, si j'ose user de ce terme, une simple déplaisance de la raison, qui, naturellement droite, ne peut s'empêcher d'apercevoir le désordre du péché et de le condamner. On peut avoir tout cela sans être contrit, parce que tout cela n'est que dans l'entendement, et non point dans la volonté. On peut avec tout cela aimer toujours son péché, se plaire toujours dans son péché, conserver toujours le même attachement à son péché, on le peut, et c'est ce qui n'arrive que trop souvent. Il faut donc que ce soit la volonté qui agisse par un repentir véritable. Il faut que la douleur, selon l'expression du prophète, nous brise le cœur; et c'est de là même qu'elle est appelée contrition. Autrement, la volonté n'étant point à Dieu, tout, le reste ne peut être de quelque prix devant Dieu, ni le toucher.

Encore une simple douleur, en général, ne. suffit-elle pas; et si ce n'est en particulier le. mouvement de la grâce qui l'excite, et qui élève l'âme à Dieu, ce n'est plus qu'une douleur infructueuse et sans effet. C'est pour cela que les prophètes, prêchant aux pécheurs la pénitence et les y exhortant, ne se contenaient pas de leur dire ! Convertissez-vous : mais qu'ils ajoutaient : Convertissez-vous au Seigneur votre Dieu (1) ; par où ils leur faisaient entendre que si ce rapport à Dieu manquait, que si dans leur retour ils n'envisageaient pas Dieu, que s'ils se proposaient tout autre objet que Dieu

 

1 Joël., II, 13.

 

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ils ne devaient plus être, dans l'estime de Dieu, censés pénitents, puisqu'ils ne Tétaient pas selon Dieu ni pour Dieu. Et parce que cette vue de Dieu et cette douleur surnaturelle suppose nécessairement la grâce comme principe et premier mobile, voila pourquoi les mêmes prophètes, parlant au nom même des pécheurs, disaient à Dieu : Seigneur, convertissez-nous, et nous nous convertirons (1). Car c'est ainsi qu'ils s'en expliquaient, persuadés que, pour rendre nos cœurs dociles, que pour en amollir la dureté et en fléchir l'obstination, que pour y faire naître cette sainte tristesse qui seule peut nous réconcilier avec Dieu et opérer le salut, il est d'une absolue nécessité que nous soyons prévenus de l'inspiration divine et aidés du secours d'en-haut.

Ce n'est pas tout ; mais voici ce qu'il y a de plus essentiel. Car cette douleur, formée dans la volonté inspirée par l'esprit de Dieu, et conçue en vue de Dieu, doit être au-dessus de toute autre douleur; c'est à dire qu'il n'y a point de revers, point d'accident fâcheux, ni de malheur dans la vie, de quelque nature qu'il soit, dont il puisse m'être permis de concevoir une douleur supérieure, ou même égale à celle que doit me causer l'offense de Dieu et la perte de sa grâce. Il faut que je sois plus touché de cette offense de Dieu et de cette perte de la grâce de Dieu, que je ne le serais de la ruine entière de ma fortune, eût-elle été la plus florissante et la plus abondante. Il faut que cette offense de Dieu, que cette perte de la grâce de Dieu, me tienne plus au cœur que l'affront le plus sanglant qui me couvrirait de confusion, que l’abandonnement le plus général qui me réduirait dans la dernière misère, que le mal le plus sensible et le plus aigu qui me tourmenterait sans relâche, que la mort d'un patron, d'un ami, d'un parent, d'un fils, d'un époux, d'un père, d'une mère, de tout ce que je puis avoir sur la terre de plus cher, enfin que le danger même le plus évident d'une mort prochaine par rapport à moi. Si mon regret ne va pas jusque-là, il ne peut être suffisant, et dès lors je ne suis point dans l'état d'une vraie contrition, ni même de cette attrition parfaite, nécessaire au sacrement de pénitence.

On me dira que cela serait capable de troubler les consciences, et de les jeter dans le désespoir. Il est vrai, cela peut désespérer; mais qui ? des âmes mondaines qui n'ont jamais bien connu Dieu, et qui ne s'appliquent jamais

 

1 Thren., V, 21.

 

à le bien connaître ; des âmes toutes plongées dans les sens, et d'autant plus insensibles pour Dieu qu'elles sont plus sensibles pour elles-mêmes, et pour tout ce qui flatte leur amour-propre ; des âmes volages, dissipées, accoutumées à n'envisager tout ce qui regarde la religion que très-superficiellement, et sans cesse distraites par les objets extérieurs qui leur frappent la vue, et qui emportent toute leur attention. Voilà ceux que doivent étonner les leçons que je trace ici, voilà ceux qui en doivent être découragés et rebutés.

Mais pour appliquer à mon sujet ce que disait saint Augustin sur une matière à peu près semblable, donnez-moi une âme qui aime Dieu ; une âme remplie de l'esprit du christianisme, une âme telle que nous devons tous être ; et supposons que, par un effet de la fragilité humaine, ou par la surprise de quelque passion, cette âme ait eu le malheur d'oublier Dieu et de s'oublier elle-même jusqu'à succomber dans une rencontre à la tentation, et à se laisser engager dans le désordre du péché; je demande si lorsqu'elle viendra à se reconnaître, et qu'aidée de la grâce elle se mettra en devoir de retourner à Dieu, elle aura delà peine à porter son regret et sa douleur au degré que je marque, et que je prétends être absolument requis? Quand nous voyons David couché sur la cendre, et humilié devant Dieu; quand nous voyons saint Pierre couvert de confusion, et pleurant avec amertume; quand nous voyons Madeleine prosternée aux pieds de Jésus-Christ, et les arrosant de ses larmes. concevons-nous qu'il y eût alors quelque chose au monde dont ils fussent plus affligés, ni même aussi affligés qu'ils Tétaient de leurs égarements, et pouvons-nous imaginer quelque intérêt qu'ils eussent voulu faire entrer en compromis avec les intérêts du souverain Maître dont ils avaient encouru la juste indignation, et auprès de qui ils cherchaient par dessus tout et aux dépens de tout à se remettre en grâce ? Or nous ne sommes pas moins pécheurs que ces fameux pénitents, nous n'avons pas, pour exciter notre repentir, des motifs moins solides ni moins touchants : que nous manque-t-il ? plus de sincérité et plus de zèle dans notre conversion à Dieu.

Cependant il ne faut rien exagérer, et je dois convenir que plusieurs pourraient être en effet découragés et avec sujet, si cette douleur que la pénitence exige de nous consistait dans le sentiment : car le sentiment ne nous est pas toujours libre, et souvent il peut

 

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être beaucoup plus vif à l'égard de certains maux de la vie, et de certains événements que nous craignons ou que nous déplorons, qu'il ne l'est à l'égard des péchés que nous détestons, et dont nous avons un regret véritable. Ce n'est donc point par ce sentiment que notre contrition doit l'emporter sur toute autre douleur; mais par la détermination de la volonté, mais par la préparation de l'esprit et de la partie supérieure de l'âme, mais par la disposition intérieure et réelle où se trouve le pénitent de subir toute sorte de peines et d'accepter toutes sortes d'adversités temporelles et de calamités, plutôt que de consentir à un seul péché : si bien qu'il hait ainsi le péché plus que tout le reste, et qu'il voudrait, au prix de tout le reste, pouvoir effacer tous les péchés qu'il reconnaît avoir commis , et par où il a déplu à Dieu. Il n'est point nécessaire pour cela de ressentir les mêmes serrements de cœur, d'entrer dans les mêmes agitations , de s'abandonner aux mêmes gémissements, ni de tomber au dehors dans la même désolation que si l'on venait nous annoncer quelque infortune humaine, et quelque désastre où nous fussions intéressés. Il suffit d'avoir cette haine du péché que j'ai spécifiée , et que les théologiens, selon leur langage ordinaire, nomment appréciative, parce qu'elle maintient tous les droits de Dieu, et qu'elle lui donne dans notre estime une préférence entière et absolue. Or voilà ce qui ne doit désespérer personne, puisqu'il n'y a personne qui ne puisse, avec l'assistance divine, former au fond de son âme une telle douleur.

Ce n'est pas, au reste , qu'il n'y ait pour cela même des soins à prendre et des efforts à faire : car, comme disait saint Augustin, si vous n'êtes pas encore attiré de Dieu, agissez, priez, pressez, afin qu'il vous attire. On se trouve assez souvent dans une sécheresse de cœur où il est fort à craindre qu'on n'ait pas cette contrition sans laquelle on ne peut espérer le pardon de ses péchés, même avec le sacrement de pénitence. Eh ! le moyen qu'on pût l'avoir de la manière dont on approche du saint tribunal? On y vient quelquefois avec une précipitation qui ne donne presque pas le loisir de penser à ce que l'on fait, ni de réfléchir sur aucun des motifs dont notre douleur doit être animée et sanctifiée. On s'y présente avec une froideur et une espèce d'indolence qui fait tout négliger dans un des exercices du christianisme le plus important et le plus sérieux. Et parce qu'on n'a nul usage du recueillement intérieur et de ces actes que le cœur prévenu de la grâce produit en lui-même et de lui-même , on se contente de certaines formules tracées sur le papier, on les lit dans un livre, ou on les récite par mémoire, sans s'y affectionner, et peut-être sans les bien comprendre. Souvent même, par une ignorance inexcusable, où par un oubli non moins criminel, après une revue assez légère de ses fautes, on les déclare au ministre de la pénitence, sans avoir eu soin de s'élever un moment à Dieu, ni d'en faire en sa présence aucun désaveu. Car voilà ce que nous voyons dans une infinité de gens du monde , et surtout du grand monde, lorsqu'à des temps fort éloignés les uns des autres , ils s'adressent à nous , bien moins par un mouvement de piété et par un vrai désir de conversion , que par une coutume et une certaine bienséance chrétienne à laquelle ils ne veulent pas manquer. Nous leur demandons s'ils sont préparés , c'est-à-dire , avant toute chose, s'ils sont véritablement contrits et repentants, s'ils ont une douleur sincère de leur conduite passée, dont ils s'accusent ; et, sans hésiter, ils nous répondent qu'ils le croient ainsi ; mais, de bonne foi, ont-ils lieu de le croire, et comment peuvent-ils se le persuader?

Car qu'est-ce que cette douleur sincère? c'est un plein changement du cœur, en sorte que le cœur soit réellement détaché des objets auxquels il s'était livré avec plus de passion. Il faut que, par la force et la supériorité de cette douleur, le cœur haïsse ce qu'il aimait, et qu'il aime ce qu'il haïssait : il faut que ce soit un cœur tout nouveau. Quel effort de l'âme suppose un changement de cette nature? quel sacrifice de soi-même ! quelle victoire ! Or une telle victoire peut-elle être le fruit d'une réflexion vague et courte, ou de quelques paroles prononcées à la hâte et comme jetées au hasard ? Il est vrai que les opérations de la grâce dans un cœur ne dépendent point du temps; mais, dans les règles ordinaires, la grâce n'opère qu'avec poids et avec mesure : elle a ses voies pour s'insinuer, et ses degrés pour avancer; elle prévient, elle soutient, elle aide à consommer l'ouvrage ; mais elle exige aussi du pénitent qu'il agisse lui-même, qu'il rentre en lui-même, qu'il s'excite lui-même , qu'il se fasse à lui-même d'utiles reproches et de salutaires leçons, qu'il se retrace toutes les vues et toutes les considérations les plus propres à le détacher de son péché , et à lui en inspirer de l'horreur; qu'il s'applique à les pénétrer et à les approfondir, surtout qu'il les rapporte toutes à Dieu, et qu'il insiste sur celles qui peuvent

 

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lui représenter ce souverain Maître plus digne d'un attachement inviolable et d'un dévouement parfait; enfin , qu'il ait recours à Dieu même , qu'il lui ouvre son cœur, et qu'il le conjure d'en amollir la dureté : voilà, dis-je, ce que la grâce attend de notre coopération. Or tout cela, selon l'ordre commun, n'est point l'affaire d'un instant, et ce Test encore sûrement moins pour tant de pécheurs et de pécheresses qui, dans le cours d'une année, s'acquittent à peine une fois du devoir de la pénitence, que pour des âmes pieuses et timorées qui fréquentent le sacrement.

Mais ceci posé, il y a donc bien des confessions nulles ? j'en conviens, et là-dessus je n'oserais presque déclarer tout ce que je pense. Cependant un confesseur, qui ne peut lire dans le fond des cœurs, est souvent obligé d'en croire la personne qui lui parle, et qui lui témoigne son regret et sa bonne disposition. Il s'en tient là, il absout ce prétendu pénitent, et du reste ne répond de rien : car il sait qu'il n'y a que Dieu qui puisse juger de la validité de cette absolution ; et d'ailleurs, sans déroger en aucune sorte à la puissance des ministres de Jésus-Christ, ni à la promesse que ce divin Maître leur a faite, il n'ignore pas que ce qu'ils délient, ou semblent délier sur la terre, n'est pas toujours délié dans le ciel.

Mais il faudra donc des temps infinis pour se disposer à la confession ? Ma réponse est qu'il y faudra tout le temps nécessaire pour s'assurer d'abord de sa contrition, autant qu'il est raisonnablement et moralement possible. Je dis autant qu'il est possible raisonnablement et moralement : car en condamnant une extrémité, qui est une trop grande négligence, je ne prétends pas porter à un autre excès, qui est une inquiétude scrupuleuse. La prudence chrétienne tient le milieu entre l'un et l'autre : elle ne va point au delà de certaines bornes; et quand, eu égard aux circonstances et aux moyens qu'on a pris, on peut juger sagement et favorablement de l'état de son cœur, on doit alors se confier en Dieu et demeurer en repos, sans se tourmenter inutilement par des retours perpétuels et des défiances excessives de soi-même.

Concluons cet article en déplorant notre misère. N'est-il pas étrange qu'avec tant de raisons, dont une seule devrait suffire pour nous percer l’âme de douleur au souvenir de Dieu,et de toutes les offenses que nous commettons contre lui, nous soyons si difficiles à prendre le moindre sentiment de componction ? N'est-il pas étrange que nous ayons besoin de tant d'exhortations, d'instructions, de méditations, pour nous retracer là-dessus des idées qui ne devraient jamais s'effacer de notre esprit, et qu'il nous faille tant d'efforts pour en ressentir l'impression ? Comment oublions-nous si aisément et si vite un Dieu créateur, un Dieu conservateur, un Dieu rédempteur, un maître si grand, un père si tendre ; sa libéralité, sa sainteté, sa justice, ses innombrables perfections? Et comment, à la simple pensée de tant de titres les plus engageants pour nous et les pins capables de nous affectionner, ne voyons-nous pas d'un premier coup d'oeil l'énormité de nos péchés, qui blessent ce souverain Etre et qui nous séparent de lui? Comment ne fondons-nous pas en larmes, et n'éclatons-nous pas en gémissements et en sanglots ? Que manque-t-il donc à notre Dieu pour nous devenir aimable? N'a-t-il pas des droits assez légitimement acquis sur notre cœur? n'est-il pas assez bon? ne nous a-t-il pas fait assez de bien? ne nous en fait-il pas assez chaque jour? ne se dispose-t-il pas encore à nous en faire assez dans l'avenir, et même dans toute l'éternité ? Notre indifférence pour lui n'est guère moins incompréhensible que ses miséricordes envers nous.

II. Résolution. C'est, selon la plus ordinaire façon de parler, ce que nous appelons bon propos. Ce bon propos consiste dans une ferme détermination de fuir désormais le péché, de n'y plus retomber et de se maintenir dans la grâce de Dieu, en se corrigeant de ses vices, et en renonçant à ses habitudes criminelles. Disposition si essentielle, que sans cela notre contrition ne peut plus être qu'une contradiction manifeste et une chimère. Car le moyeu d'accorder ces deux choses ensemble, je veux dire une volonté qui déteste les péchés commis, et cette même volonté toute prête encore à les commettre ; une volonté qui hait le péché sincèrement et souverainement, et qui néanmoins l'aime toujours assez pour y retourner à la première occasion, et pour y donner le même consentement? Ce serait tout à la fois, et à regard du même objet, vouloir et ne pas vouloir; ce serait accomplir dans sa personne cette parole du Prophète : L'iniquité s'est démentit elle-même (1) ; enfin, ce serait faire à la majesté divine la même insulte que ferait un sujet rebelle qui viendrait se jeter aux pieds du prince et implorer sa clémence ; mais qui lui donnerait en même temps à entendre que, malgré toutes les soumissions qu'il lui fait, il n'en est

 

1 Psal., XXVI, 12.

 

pas moins disposé à former dans la suite de nouveaux partis, et à prendre les armes contre lui.

Afin donc que la douleur du passé soit véritable et recevable devant Dieu, il est d'une nécessité absolue que le bon propos pour l'avenir l'accompagne, puisque l'un enferme l'autre, et qu'on ne les peut séparer. Voilà pourquoi le concile de Trente définit la contrition en disant que c'est une douleur et une détestation des péchés commis, jointe à la volonté de n'en plus commettre. De savoir si cette résolution doit être expresse et formelle, ou s'il suffit qu'elle soit comprise virtuellement dans l'acte de détestation et de douleur, c'est une question que proposent les maîtres de la morale, et sur laquelle ils raisonnent et pensent différemment; mais, sans examiner ces diverses opinions, ni peser la force des raisonnements de part et d'autre, quand il s'agit d'une affaire aussi importante que notre réconciliation avec Dieu, le mieux est de prendre le plus sûr, et de dire à Dieu comme le Prophète-roi : Je l'ai paré, Seigneur, et j'en fais encore le serment, de garder à jamais vos divins préceptes, et de ne me plus départir, en quoi que ce soit, de l’obéissance due à votre loi (1). Et parce que c'est en telle et telle matière que j'ai eu le malheur d'enfreindre vos ordres et de m'écarter de mes devoirs, c'est à quoi je me propose de faire particulièrement attention, et de quoi je veux me préserver avec plus de soin. Oui, je le veux, mon Dieu, je le veux; vous en êtes témoin, vous qui sondez le fond des cœurs, et qui voyez toute l'étendue et toute la fermeté de ma résolution.

Dans cette protestation ainsi faite à Dieu, il va deux choses à distinguer : un propos général, et un propos particulier. Propos général, qui s'étend sans exception à tous les péchés capables de donner la mort à notre âme et de nous priver de la grâce de Dieu. Car s'il y avait un seul péché, j'entends péché mortel, que le pénitent ne fût pas résolu d'éviter, dès là sou acte de résolution au regard des autres péchés , serait invalide : pourquoi? parce qu'il ne pourrait avoir pour principe le vrai motif qui en fait tout le mérite, et qui est que le péché déplaît à Dieu, qu'il blesse l'honneur de Dieu, que c'est une ingratitude souveraine et une injustice envers Dieu. En effet, comme ce motif convient également à tous les péchés, il s'ensuit, par une conséquence nécessaire, que dès qu'il nous détermine à nous abstenir d'un

 

1 Psal., CXVIII, 106

 

péché, il nous détermine pareillement à nous abstenir de l'autre. Si donc nous faisons là-dessus quelque distinction, c'est une preuve évidente que ce n'est point ce motif qui nous conduit, et que notre prétendu bon propos n'est qu'illusoire. Propos particulier : c'est-à-dire, du reste, que notre résolution doit surtout insister sur les péchés dont nous sommes actuellement coupables, et que nous venons déposer tu tribunal de la pénitence. Car nous étant plus propres, puisqu'ils nous sont personnels, la raison veut que nous y apportions plus de vigilance, et que nous y fassions plus de réflexion. Non pas qu'il soit nécessaire de les parcourir tous séparément, et de s'arrêter sur chacun par autant d'actes distingués les uns des autres. Sans ce détail le même acte suffit : il n'est question que de le rendre efficace, et de ne lui point prescrire de bornes.

Mais on me demandera par où l'on pourra juger que cet acte est efficace, et s'il faut pour cela pouvoir se répondre qu'on ne retombera plus. Car comment avoir cette assurance de l'avenir, et quel est l'homme qui peut prévoir toutes les conjonctures où il se trouvera, et ce qu'il y fera ou ce qu'il n'y fera pas? Il en est même dont le penchant est si fort et l'habitude si enracinée, qu'il leur semble qu'ils n'auront jamais assez de constance pour y résister, et que dès la première attaque ils succomberont. Cette difficulté se résout aisément par la différence de deux actes qu'on ne doit pas confondre l'un avec l'autre. Le premier est dans l'entendement, et l'autre dans la volonté. De se délier de soi-même, et d'entrevoir au milieu même des promesses qu'on fait à Dieu et à son ministre, qu'apparemment on ne persévérera pas ; qu'après avoir soutenu quelque temps, on se lassera ; que la passion se réveillera, et qu'il y aura des rencontres où l’on ne peut guère s'attendre de tenir ferme et de ne se laisser pas entraîner : tout cela et cent autres idées semblables, ce sont des pensées, ce sont des conjectures, ce sont des vues de l'esprit où la volonté n'a point de part, et dont elle est indépendante. Malgré ces défiances, ces craintes, et toutes les expériences qu'elle a de ses inconstances naturelles, elle peut néanmoins, avec l'aide de Dieu, s'établir dans une résolution actuelle et véritable de s'éloigner pour jamais du péché, et de renoncer à tout engagement criminel. Mais l'esprit lui représente là-dessus ses faiblesses, ses légèretés, la violence de ses inclinations, mille combats, mille écueils, et le peu de fond qu'il

 

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y a à faire sur la disposition présente où elle se trouve. Il n'importe : parmi toutes ses alarmes, elle est ou elle peut être réellement déterminée et résolue.

Le pénitent ne doit donc point s'étonner, quelque difficulté, et même, si je l'ose dire, quelque impossibilité qu'il se figure dans son changement et sa persévérance. Cette impossibilité prétendue n'est que son imagination, laquelle s'effarouche, et dont le démon se sert assez ordinairement pour le décourager et l'arrêter. Car c'est un des artifices les plus communs et les plus dangereux de l'esprit tentateur pour refroidir les pécheurs pénitents, et pour renverser les desseins de conversion que la grâce leur inspire, de leur en mettre devant les yeux les conséquences par rapport à toute la suite de leur vie, et de les embarrasser de mille réflexions telles que celles-ci, qu'il leur suggère intérieurement et incessamment : Mais à quoi est-ce que je m'engage? Mais pourrai-je vivre ainsi pendant un long cours d'années qui peut-être me reste encore à fournir? Mais si, dans l'ardeur dont je me sens présentement animé, rien ne me coûte, ce premier feu ne se ralentira-t-il point ; et si cette ferveur, qui maintenant m'adoucit tout, vient à tomber, comme il n'arrive que trop, à quel dégoût, à quels ennuis serai-je exposé ? et aurai-je la force de les porter? Mais est-il à croire que je puisse passer mes jours dans une retraite à laquelle je ne suis point fait; que je puisse me dégager de cet attachement et ne plus voir cette personne dont mon cœur est épris, que je puisse me défendre de ses reproches, de ses larmes, de ses poursuites, ou plutôt que je puisse m'interdire sans retour ces sociétés, ces entretiens, ces entrevues, ces jeux, ces parties de plaisir, ces spectacles ; que je surmonte mille respects humains, mille considérations, mille tentations et du dedans et du dehors, qui ne manqueront pas sur cela de m'assaillir, et souvent lorsque j'y penserai le moins et que je serai moins préparé à de si violents assauts? Vains raisonnements d'un esprit intimidé et troublé par la passion qui le domine, par la nature corrompue qui se révolte, par l'ennemi de notre salut qui cherche à nous surprendre, et qui emploie toutes ses ruses à déconcerter l'ouvrage de notre conversion.

Mais la passion, la nature, l'ennemi commun des hommes ont beau parler, exagérer les choses, grossir les objets, il n'en est pas moins au pouvoir du pénitent éclairé et touché de Dieu, que sa volonté n'en soit point ébranlée. Il est toujours maître de dire: Je veux; et, maître en effet de vouloir avec la grâce; il n'est pas besoin qu'il ait une connaissance anticipée de ce qui arrivera, ni qu'il puisse compter avec certitude que jamais il ne se départira de la résolution où il est de ne plus pécher; mais il suffit qu'il soit dans cette résolution, ou qu'il croie prudemment y être. Il y aurait même de la présomption à se tenir assuré contre toutes les rechutes, et c'est en quoi pécha saint Pierre, lorsqu'il dit avec tant de confiance au Fils de Dieu : Quand il irait de ma vie, et que tous tes autres prendraient la fuite, pour moi je ne vous abandonnerai point. Car notre pénitence ne nous rend pas impeccables, et notre volonté étant une volonté humaine, elle est naturellement changeante. D'où il s'ensuit que, sans une révélation expresse de Dieu, nul homme ne peut savoir comment il se comportera en telles et telles circonstances, si quelquefois il s'y rencontre.

C'est donc assez d'être certain, autant qu'on peut l'être moralement et sagement, qu’on veut se corriger, et qu'on le veut à quelque prix que ce soit : et qu'on le veut parle même motif qui a excité notre repentir et notre douleur; et qu'on le veut, pour tous les temps qui suivront, quelque sujet qu'il y ait de craindre que cette volonté ne vienne quelquefois à se relâcher et à se démentir. Dès qu'on est dans cette préparation de cœur, on doit du veste se confier en Dieu pour l'avenir; on doit dire comme l'Apôtre : Si le Seigneur est avec moi et pour moi, qui sera contre moi? or j'espère qu'il ne m'abandonnera pas, et qu'il m'aidera à consommer l'ouvrage que je commence par sa grâce; on doit se soutenir et s'affermir par ce consolant témoignage qu'on pense avoir lieu de se rendre à soi-même : Il est vrai, je serai exposé à bien des attaques , et que ferai-je alors? je n'en sais rien ; mais ce que je sais, c'est ce que je suis actuellement résolu de faire, qui est de ne me détacher jamais de mon Dieu et de ses divins commandements; ce que je sais, c'est qu'autant que cette résolution subsistera (et pourquoi ne subsisterait-elle pas toujours?), rien ne me fera violer la foi que j'ai donnée à mon Dieu et que je lui donne; enfin, ce que je sais, c'est que pour témoigner à Dieu la sincérité de cette résolution, je vais dès maintenant user de tous les préservatifs nécessaires, prendre tous les moyens que la religion me fournit, me retirer de toute occasion dangereuse, et apporter de ma part toute la vigilance qui dépend de moi.

 

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Voilà, dans ce dernier article, comme la pierre de touche qui nous fera connaître si notre propos est tel que nous nous le persuadons et que nous le disons. Car en vain ferons-nous mille promesses à Dieu, et en vain nous dirons-nous mille fois à nous-mêmes que nous voulons vivre désormais avec plus de règle, et faire un divorce éternel avec le péché : si nous ne prenons pour cela nulles mesures; si nous refusons même celles qu'on nous prescrit; si nous prétendons être toujours de certaines sociétés, voir toujours certaines compagnies et fréquenter certains lieux, avoir toujours avec certaines personnes des entrevues et des liaisons particulières; en un mot, nous jeter toujours clans le péril, et y demeurer; si, malgré les avis que nous donne un confesseur, nous ne voulons rien sacrifier, ni rien entreprendre pour assurer notre persévérance, ce n'est point alors un jugement mal fondé, de conclure que nous ne sommes résolus qu'à demi, ou même que nous ne le sommes point du tout. La preuve en est sensible : car vouloir une fin, je dis la vouloir solidement et efficacement, c'est, par une conséquence nécessaire, vouloir lever, selon qu'il est en nous, tous les obstacles qui pourraient nous éloigner de cette fin, et c'est en même temps vouloir faire de notre part tous les efforts et embrasser toutes les voies qui peuvent nous y conduire. Autrement toute la bonne volonté que nous pensons avoir ne peut être qu'une illusion et une chimère.

De là vient qu'on remarque si peu d'amendement dans la plupart des personnes qui approchent du sacrement de pénitence. ils voudraient accorder ensemble deux choses tout à fait incompatibles : c'est-à-dire qu'ils voudraient ne plus pécher, et néanmoins demeurer toujours dans une disposition prochaine de pécher. Que le ministre de la pénitence leur fasse la même question que fit Jésus-Christ au paralytique de l'Evangile, et qu'il leur demande : Voulez-vous être guéri (1)? Ils répondent sans délibérer qu'ils le veulent. Mais que ce même ministre, sage et instruit, faisant peu de fond sur cette réponse générale et indéterminée, passe plus avant, et qu'il en vienne a un détail où il lui convient de descendre selon la connaissance qu'il a de leur état; qu'il leur demande en particulier s'ils veulent s'abstenir de telles visites, s'ils veulent s'interdire tels entretiens et telles familiarités, s'ils veulent renoncer à telles parties de plaisirs et se retirer de ces assemblées et de ces spectacles,

 

1 Joan., V, 6.

 

s'ils veulent interrompre tels négoces et ne plus s'engager en telles affaires, s'ils veulent réparer tels dommages qu'ils ont causés, et se dessaisir de tels profits injustes et mal acquis; si, pour vaincre l'animosité qu'ils ont dans le cœur, et pour témoignage d'une pleine réconciliation, ils consentent à faire quelques démarches de leur part et quelques avances; si, pour s'affermir dans le bien, pour se fortifier contre les nouvelles attaques dont ils auront à se défendre, pour racheter le temps qu'ils ont perdu, pour édifier le public qu'ils ont scandalisé, ils sont dans le dessein de se rendre plus assidus aux pratiques chrétiennes, de s'acquitter régulièrement de telles prières et de tels exercices de piété, d'approcher des sacrements à tels jours dans l'année et à telles fêtes, de faire chaque jour quelque bonne lecture, quelque retour sur eux-mêmes, enfin de ne rien omettre de tout ce qu'on leur marquera et qu'on jugera leur être salutaire; que tout cela, dis-je, le confesseur l'exige d'eux et le leur propose, c'est alors qu'ils commencent à hésiter et à se mettre en garde contre lui, comme s'il les traitait avec trop de rigueur. Cependant ils ont beau se plaindre, et accuser d'une sévérité outrée le ministre qui leur impose de pareilles conditions, il n'est que trop bien fondé à se défier de leurs paroles, et à les renvoyer sans absolution.

Cherchons le Seigneur, et cherchons-le dans toute la droiture de notre âme. Nous pouvons nous tromper nous-mêmes ,  nous pouvons tromper le prêtre qui nous écoute, mais nous ne tromperons jamais Dieu. Nous nous étonnons quelquefois de nos rechutes presque continuelles; mais il n'est pas difficile d'en découvrir la cause. Ce n'est pas que nous ne nous soyons présentés, et que nous ne nous présentions encore de temps en temps au saint tribunal, pour y déposer nos péchés; mais c'est que nous n'y avons peut-être jamais apporté une volonté bien formée de changer de vie, et de travailler sérieusement à la réformation de nos mœurs.   Nous   avons pris pour volonté quelques velléités, quelques désirs imparfaits, quelques reproches de la conscience qui nous condamnait intérieurement, et qui nous dictait ce que nous devions faire. Nous l'avons vu, mais l'avons-nous fait? et pourquoi ne l'avons-nous pas fait? encore une fois, c'est que nous ne l'avons pas voulu : car on ne manque guère à ce que l'on veut, quand on le veut bien résolument et que la chose est en notre pouvoir. Je voulais, disait saint Augustin, parlant de

 

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lui-même, je voulais me convertir; mais je le voulais comme un homme plongé dans un profond assoupissement, lequel voudrait se réveiller, et qui retombe toujours dans son sommeil. Ayons recours à Dieu; c'est lui qui, selon le sens de l'Apôtre, nous fait vouloir et exécuter.

III. Confession. Dans l'usage commun, on comprend sous le terme de confession tout ce qui a rapport au sacrement de pénitence; mais, dans   une   signification plus étroite et plus propre, nous appelons ici confession cette seconde partie du sacrement, qui consiste à s'accuser de ses péchés, et à les déclarer secrètement au ministre établi de Dieu pour les connaître et pour nous les remettre, en vertu du pouvoir qu'il a reçu de Jésus-Christ. Or nous ne pouvons nous former une idée plus juste de celle confession, que de la regarder comme une anticipation du jugement de Dieu. Que fera Dieu dans son dernier jugement? il ouvrira le grand livre de nos consciences ; il produira au jour, non-seulement nos actions qui, pendant la vie, ont pu paraître aux yeux des hommes, mais les secrets les plus cachés de nos cœurs, nos pensées, nos sentiments, nos désirs, nos vues, nos intentions, nos projets. Il prendra ce glaive dont parle saint Paul, ce glaive de sa vérité et de sa sagesse, avec lequel il démêlera tous les plis et tous les replis de nos âmes. De sorte que rien n'échappera à sa connaissance, et que de tous les péchés du monde, il n'y en aura pas un qu'il ne découvre selon toute sa malice, c'est-à-dire selon son espèce et toutes ses circonstances. Voilà, par proportion et à l'égard de nous-mêmes, ce que nous devons faire dans le tribunal de la pénitence; mais avec cette différence essentielle, que la manifestation que Dieu fera de nos péchés dans son jugement général sera publique et universelle, au lieu que nous ne sommes présentement obligés qu'à une révélation particulière, où le prêtre seul, lieutenant de Dieu, nous entend, et qu'il doit tenir secrète sous le sceau le plus inviolable. Ce n'est pas, après tout, que le pénitent, par toutes ses recherches, puisse parvenir à se connaître aussi parfaitement que Dieu le connaîtra et qu'il se connaît des maintenant, ni qu'il puisse par conséquent mettre sa conscience aux yeux du confesseur, dans la même évidence que Dieu la mettra aux yeux de l'univers. Nos vues pour cela sont trop faibles, et il n'est pas moralement possible que toutes les fautes dont nous sommes coupables devant Dieu nous  soient toujours présentes à l'esprit, et que nul oubli n'en efface aucune de notre souvenir. Mais par où nous devons au moins suppléer, autant que nous le pouvons, à ce défaut, c'est par un examen raisonnable, et par toute la réflexion qu'exige de nous la prudence chrétienne pour nous disposer à rendre compte de nous-mêmes et de notre état.

Quand on veut juger un criminel, on commence par l'information, on appelle les témoins, on reçoit les dépositions, on n'omet rien de tout ce qui peut servir à instruire le procès, et à convaincre l'accusé des faits qui lui sont imputés. Or, quel est ce criminel à qui l'on doit prononcer sa sentence? n'est-ce pas moi-même, lorsque je vais, en qualité de pécheur, nie jeter aux pieds du prêtre et me soumettre à son jugement? Ce qu'il y a dans ce jugement de singulier, c'est que j'y suis tout à la fois et l'accusé et l'accusateur. Comme accusé, j'y dois venir dans un esprit d'humilité; mais surtout comme accusateur, j'y dois procéder avec toute la circonspection et toute l'attention requise pour développer devant moi ma conscience, et pour être prêt à l'exposer dans la confession nûment et sans déguisement.

De là donc la nécessité de l'examen. Examen d'une obligation indispensable : car la même loi qui m'oblige à confesser mes péchés, m'oblige à les rechercher, à me les rappeler, aies retracer dans ma mémoire, puisque sans cela je n'en puis faire la déclaration exacte et fidèle. Examen solide , et conforme à l'importance du devoir dont j'ai à m'acquitter : car il est question de me préparer à recevoir la grâce d'un sacrement, et de ne me pas mettre par ma négligence en danger de le profaner; examen semblable à celui que David faisait de lui-même, lorsqu'il passait, ainsi qu'il le témoigne, des nuits entières à méditer, à réfléchir, à creuser dans le fond de son cœur, ne voulant pas y laisser une seule tache , quelque légère qu'elle pût être, dont il ne s'aperçût, et dont il ne prit soin de se purifier ; examen proportionné a la durée du temps qui s'est écoulé depuis la confession précédente. Et en effet, la raison dicte qu'une revue , par exemple, de plusieurs mois ou d'une année, demande une plus ample et plus longue discussion que la revue seulement de quelques jours ou de quelques semaines, et que ce qui peut suffire pour l'une ne suffit pas pour l'autre : du reste, examen renfermé en certaines bornes que doit régler la prudence, afin de ne se point porter aux extrémités où vont quelquefois des âmes timides à l'excès et

 

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trop inquiètes, qui ne sont jamais contentes d'elles-mêmes, et en reviennent sans cesse à de nouvelles perquisitions dont elles s'embarrassent et se tourmentent fort inutilement. Dieu, ni est la sagesse et l'équité même, n'exige rien de nous au delà d'une diligence raisonnable et mesurée ; et si, malgré nous et par un effet de la fragilité humaine , quelque point alors, même grief, se dérobe à nos lumières , le Seigneur infiniment juste et miséricordieux aura égard à notre faiblesse , et ne nous fera pas un crime d'une omission involontaire. Mais aussi m; comptons pas que ce soit une excuse légitime devant Dieu, qu'un oubli causé par notre légèreté et notre inconsidération. Nous serions les premiers à nous le reprocher dans une affaire temporelle : comment nous serait-il pardonnable dans un des plus saints et des plus importants exercices du christianisme?

Tel est néanmoins le désordre. S'agit-il des allaites du monde, il n'y a point d'étude, point de contention d'esprit qu'on ne fasse pour les examiner à fond. C'est peu que d'y avoir pensé une fois : on les porte partout vivement imprimées dans l'imagination; on les tourne et retourne de mille manières, et il n'y a pas un jour sous lequel on ne les envisage : pourquoi ? c'est qu'on craint d'y être trompé; et pourquoi le craint-on? c'est qu'il y va d'un intérêt à quoi l'on est sensible et très-sensible, bien que ce ne soit qu'un intérêt périssable ; c'est qu'il y va de la fortune ; c'est qu'il y va d'un gain qu'on veut se procurer, ou d'une perte dont on veut se garantir. Mais s'agit-il de la conscience, on n'y regarde pas de si près, et il semble que ce soit une de ces affaires qu'on peut expédier dans l'espace de quelques moments. Y eût-il une année et plus qu'on ne fût rentré en soi-même pour savoir où l'on en est avec Dieu et de quoi l'on peut être responsable à sa justice, on se persuade avoir satisfait là-dessus à son devoir, en jetant un coup d'œil sur la conduite qu'on a tenue, et s'attachant à quelques articles plus marqués. On passe tout le reste, et on ne va pas plus avant. Bien loin de craindre quelque surprise dans une révision si prompte et si précipitée, on contribue souvent soi-même à se tromper : c'est-à-dire que, sur certains doutes qui naissent, sur certains scrupules, on dispute avec soi-même et contre soi-même pour les rejeter, pour les étouffer, pour les traiter de craintes frivoles, et pour se dispenser de les mettre au nombre des accusations qu'on se lient obligé de faire. Car c'est ainsi qu'en usent une multitude presque infinie de prétendus pénitents, d'autant plus dangereusement séduits par leurs fausses maximes, qu'ils en voient moins l'erreur, et qu'ils approchent du sacrement avec plus de sécurité.

Quoi qu'il en soit, ce n'est qu'après tout l'examen convenable que le pécheur, comme témoin éclairé, doit comparaître en présence de son juge, qui est le ministre de Jésus-Christ : mais cette précaution prise, c'est alors le temps de s'énoncer, de découvrir les plaies de son âme, de révéler aux oreilles du prêtre toutes ses misères, et de lui en faire un aveu simple et précis. Confession entière, et pour cela confession non-seulement qui déclare le péché, mais qui s'étende à toutes les circonstances capables, ou de changer l'espèce du péché, ou d'en augmenter la malice : circonstances du nombre, de l'habitude, du lieu, de la personne, des vues, des motifs, des suites, des moyens et autres. Car je dois me faire connaître aussi criminel que je le suis : or je le suis plus ou moins , selon le nombre de mes péchés, selon l'habitude de mes péchés , selon la sainteté du lieu où j'ai péché, selon le caractère de ma personne ou celui de la personne à l'égard de qui j'ai péché, selon la connaissance et la volonté délibérée avec laquelle j'ai péché, selon les motifs que je me suis proposés en péchant, intérêt, ambition, envie, haine, vengeance; selon les suites et les pernicieux effets que j'ai causés, scandales, mauvais exemples, dommages ; selon les voies dont je me suis servi et les moyens que j'ai employés, mensonges, calomnies , fraudes , trahisons , violences : voilà , dis-je, sur quoi je dois m'expliquer, ne retenant rien, ne celant rien , et m'appliquant ce que le Prophète disait de lui-même, quoique dans une matière toute différente : Malheur à moi si je me tais (1) ! et si je me tais sur un seul point, puisqu'un seul point volontairement omis suffirait pour rendre inutile et même sacrilège la confession que je ferais de tous les autres.

Confession nue et sans ambiguïté, sans embarras, sans détours. Car voici quel est l'artifice et comme la dernière ressource de notre amour-propre. Il en est peu qui, de dessein formé, cachent un péché mortel, et qui osent, aux dépens de leur conscience, porter jusque-là le déguisement et la dissimulation : mais à quoi a-t-on recours, et quelle sorte de milieu prend-on? Ce péché qu'on a tant de peine à tirer des ténèbres, et qu'on y voudrait tenir enseveli, du moins en le produisant, on le

 

1 Isa., VI, 5.

 

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colore, on l'enveloppe, on l'adoucit, on le représente sous des images, et on l'exprime en des termes qui le rendent moins odieux et qui en diminuent la difficulté : de sorte que le confesseur, pour peu qu'il manque de pénétration et de vigilance, ne le connaît qu'à demi et n'en peut discerner toute la grièveté. Quand la femme de Jéroboam vint trouver Abias pour apprendre de lui quelle serait l'issue d'une dangereuse maladie dont son fils était attaqué. ne voulant pas être connue, elle se déguisa; mais le Prophète, inspiré d'en-haut et instruit de ce qu'elle était, lui cria d'aussi loin qu'il l'aperçut : Entrez, femme de Jéroboam : pourquoi voulez-vous paraître autre que vous n'êtes (1)? C'est ce qu'un confesseur ne peut dire, parce qu'il n'a pas pour l'éclairer la même inspiration ni la même lumière. Il ne voit les choses que selon qu'on les lui dépeint, et il est aisé de lui en imposer sur des faits qu'il ne peut savoir que par le récit de la personne qui les lui déclare : conduite pitoyable, dans un pénitent ou dans une pénitente. Qu'arrive-t-il de là? double mal : savoir, que d'une part on a la peine d'une révélation toujours fâcheuse quant au fond, quelque imparfaite et quelque fardée qu'elle soit; et que d'ailleurs on n'en retire aucun fruit, puisqu'elle n'est suffisante, ni pour nous réconcilier avec Dieu, ni pour calmer la conscience et nous donner la paix.

Confession abrégée autant qu'elle le doit être, retenue, discrète. Point de ces longues narrations où le temps s'écoule en de vains discours, et qui, bien loin d'éclaircir les sujets, ne servent qu'à les obscurcir; point de ces expressions peu séantes, et qui blessent une certaine modestie; point de ces accusations qui intéressent la réputation d'autrui, et qui retombent sur le prochain en le désignant. C'est là que la belle maxime du Fils de Dieu convient parfaitement : Soyez prudents comme le serpent, et simples comme la colombe (2). Avec celte prudence, on prend garde à ce qu'on dit et à la manière dont on le dit; et avec celte simplicité, on parle ingénument, on n'ajoute, ni ne retranche : ce qui est certain, on l'accuse comme certain; et ce qui est douteux, on le confesse comme douteux.

Enfin, confession humble. La raison est que, sans cette humilité, on n'aura pas la force de surmonter le plus grand obstacle à l'intégrité et à la sincérité de la confession. Car voilà l'écueil où échouent une infinité de chrétiens. Comme il y a, dit le Sage, une pudeur salutaire

 

1 3 Reg., XIV, 6. — 2 Matth., X, 16.

 

qui mène à la gloire, il y a aussi une mauvaise honte qui conduit au péché et à la mort. Elle conduit au péché, puisqu'elle lie la langue et qu'elle ferme la bouche sur certaines fautes qui coûtent plus à déclarer, parce qu'elles marquent pins de faiblesses et qu'elle! causent plus de confusion. Et conduisant de la sorte au péché, elle conduit à la mort, puisqu'alors, bien loin de recouvrer la vie de l'âme par la rémission de ses péchés, on devient plus criminel, et l'on ajoute aux péchés passés un nouveau péché plus grief encore et plus mortel, qui est l'abus du sacrement.

Comment donc se préserver de ces désordres, si ce n'est par l'humilité de la pénitence?et est-il une disposition plus nécessaire? Qu'est-ce qu'un pénitent? c'est un coupable qui se reconnaît coupable, qui se dénonce lui-même comme coupable, qui vient en qualité de coupable, réclamer la miséricorde de son juge, et demander grâce. Aussi est-ce pour cela qu'il paraît devant le prêtre en posture de suppliant, la tête découverte, les genoux en terre, et tel que le publicain qui se tenait à la porte du temple, sans oser lever les yeux et se frappant la poitrine. Extérieur qui témoigne assez quels sont ou quels doivent être les secrets sentiments du cœur. Je dis quels doivent être ses sentiments intérieurs, et ce sont ceux d'une véritable pénitence. Plus elle nous fait voir l'injustice et la laideur du péché, plus elle nous porte à nous haïr nous-mêmes, à nous renoncer nous-mêmes, et par conséquent à nous confondre nous-mêmes. Car il n'est rien qui soit attaché plus naturellement et plus essentiellement au péché, que la confusion. Ainsi David, dans la pensée de son péché, qu'il ne perdait jamais de vue , que disait-il à Dieu, et comment se regardait-il en la présence de Dieu? Ah! Seigneur, s'écriait ce roi pénitent. mes crimes sont en plus grand nombre que les cheveux de ma tête, et le poids de mes offenses m'accable (1). Témoin et confus de ma misère, je marche la tête penchée, et je me suis à moi-même un sujet d'horreur (2). Mes amis mêmes, poursuit le même prophète , et mes proches se sont élevés contre moi; ils m'ont méprisé, ils m'ont abandonné à mes ennemis et  leurs insultes (3) : mais je n'ai pas eu une parole à répondre; car ma conscience m'a bien fait sentir qu'il n'y a point d'humiliations ni d'opprobres qui ne me soient dus, et dans ce sentiment je n'ai point cherché à cacher mes iniquités (4). Mais, me dira-t-on , c'est une nécessité bien

 

1 Psal., XXXVII, 5-15. — 2 ibid. — 3 Ibid. — 4 Ibid.

 

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dure de révéler des choses à quoi l’on ne peut penser soi-même sans rougir, et il faut, pour s'y déterminer, une étrange résolution. l'en conviens; mais là-dessus je réponds: 1° Que c'est une obligation étroite et rigoureuse. Il n'y a ni état, ni caractère , ni âge , ni prééminence qui en exempte. Le prince n'en est pas plus dispensé que l'artisan , ni le prêtre pas plus que le laïque. Nous sommes tous pécheurs ; et en conséquence de nos péchés, nous sommes hua, sans acception de personne , assujettis à la même loi. Ou soumettons-nous-y, et observons-la autant qu'il est en nous, ou n'espérons jamais de pardon. 2° C'est une peine ; mais celle peine est un des premiers châtiments du péché. Vous avez commis le péché sans honte, ou la honte ne vous a pas empêché de le commence : il est juste qu'une sainte honte commence à le réparer. Or, c'est ce qu'elle fait, car elle est expiatoire et méritoire. La rémission que vous obtenez par là ne vaut-elle pas bien le peu d'efforts que vous avez à faire, et pouvez-vous l'acheter trop cher? Honte pour honte, il n'y a pas à délibérer ni à balancer sur le choix d'une honte passagère et particulière, pour éviter à la fin des siècles et dans l'assemblée générale de tous les hommes une ignominie universelle et éternelle. 3° Si la confusion que nous avons à subir fait tant d'impression sur nous, et s'il nous paraît si difficile de s'y soumettre, c'est que nous ne sommes point assez animés de l'esprit de pénitence. Avec une contrition plus vive, nous aurions beaucoup moins de répugnance à nous humilier. Que dis-je? saintement indignés contre nous-mêmes, nous ne nous croirions jamais autant humiliés que nous le méritons; et sur les termes que nous emploierions à nous accuser, il faudrait plutôt nous retenir, qu'il ne serait besoin de nous exciter. Car voilà ce qu'on a vu plus d'une fois, et ce qu'on voit encore en quelques pénitents vraiment convertis et sensiblement touchés. Usent-ils de vaines excuses et de prétendues justifications ? Au contraire : comment dans leurs accusations se traitent-ils, et quelles idées donnent-ils d'eux-mêmes? que n'imputent-ils point à la perversité de leur cœur, à la malignité de leur esprit, à la corruption de leurs sens, à la violence et au débordement de leurs passions ? Craignent-ils la confusion qui leur en doit revenir, et la comptent-ils pour quelque chose ? Souvent le confesseur est obligé de les arrêter, de modérer leur zèle , de les consoler, de leur faire entrevoir jusque dans leurs désordres un fonds d'espérance et d'heureuses dispositions à un parfait retour, de relever ainsi leur courage , et de les remettre du trouble et de l'abattement où ils sont. Quand on est contrit de la sorte, toutes les difficultés disparaissent, et l'on se résout aisément à la confession la plus humiliante.

Et de quoi aurions-nous lieu de nous plaindre, lorsque le Fils même de Dieu, notre Sauveur et notre modèle, s'est exposé aux plus prodigieux abaissements et aux humiliations les plus profondes, pour la réparation de ces mêmes péchés dont il nous semble si pénible de porter la honte, après que nous en avons goûté le plaisir criminel ? A quelles indignités et à quels mépris a-t-il été livré, ce Saint des saints, et comment a-t-il paru sur la terre? comme le dernier des hommes, comme l'opprobre du monde et le rebut du peuple. Mais surtout dans cette douloureuse passion où il consomma son sacrifice, de quels outrages fut-il comblé? et, selon le langage du Prophète, fut-il rassasié? il soutint le supplice de la croix, dit l'Apôtre, et il accepta toute la confusion de la mort la plus infâme. Ce ne fut point une confusion secrète, mais publique et découverte. Tonte sa gloire y fut cachée, sa puissance , sa sagesse , sa sainteté : et pourquoi cela ? c'est que son Père l'avait chargé de toutes nos iniquités; c'est que lui-même il avait bien voulu les prendre sur lui, et que, se couvrant de la tache de tous les péchés des hommes, il s'était engagé à en essuyer devant les hommes toute la honte. Est-ce là de quoi il s'agit pour nous? Est-ce là ce que l'Eglise, autorisée et inspirée de Dieu, nous demande? Le précepte de la confession s'étend-il jusque-là? et pour y satisfaire faut-il se perdre ainsi d'honneur, et sacrifier toute sa réputation?

De quelque nature que soit la confusion que doit nous causer l'aveu de nos fautes, elle ne sera pas sans fruit par rapport même à cette vie et à notre tranquillité. Il est certain, et l'expérience nous l'a appris, comme elle nous l'apprend tous les jours, qu'on est bien dédommagé du peu de violence qu'on s'est l'ait en se déclarant au ministre de la pénitence. Dès qu'on a percé l'abcès et qu'on l'a jeté dehors, on sent tout à coup la sérénité se répandre dans l’âme. On se trouve comme déchargé d'un pesant fardeau. Dieu verse ses consolations, et l'on reconnaît qu'il n'y a dans la confession que des rigueurs apparentes, mais que dans le fond c'est une source de douceurs intérieures   et   toutes  pures.  Profitons  d'un

 

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moyen si saint et si puissant pour nous remettre en grâce auprès de Dieu, et pour apaiser les troubles de notre conscience. Moins nous en avons fait d'usage jusqu'à présent, plus nous devons réparer nos pertes passées. C'est en nous confessant criminels, que nous rentrerons dans les voies de la justice chrétienne, et que nous déchirons en notre faveur le Père des miséricordes.

IV. Satisfaction. C'est une vérité de foi, que l'absolution du prêtre, en nous remettant, quant à la coulpe, les péchés que nous avons confessés, ne nous en remet pas pour cela toute la peine, je veux dire toute la peine temporelle dont nous demeurons redevables à la justice de Dieu. En vertu de cette absolution, la peine éternelle nous est remise, puisqu'étant alors justifiés par la grâce, nous sommes conséquemment rétablis dans nos droits à l'héritage céleste et au salut. Mais parce qu'il faut, d'une manière ou de l'autre, que la justice divine soit satisfaite, en même temps que nous recevons la rémission de la peine éternelle, il nous reste, dans les règles ordinaires, une peine temporelle à subir; et telle est, contre les hérétiques des derniers siècles, l'expresse décision du concile de Trente. Car il n'en est pas, remarque le saint concile, du sacrement de pénitence comme du baptême : par le baptême, la rémission est complète, rémission de la coulpe et rémission de toute la peine; au lieu que dans le sacrement de pénitence, Dieu ne remet pas toujours, avec la coulpe et la peine éternelle, ce que nous appelons peine temporelle. D'où vient cela, et pourquoi cette différence? Le même concile nous l'apprend: c'est que l'équité et la raison veulent que les pécheurs qui, depuis le baptême, ont perdu la grâce qu'ils avaient reçue, et ont violé le temple du Saint-Esprit, soient traités avec plus de sévérité que d'autres qui, sans celte grâce du baptême, ont péché avec moins de connaissance et moins de secours, et n'ont pas abusé des mêmes dons.

De là cette troisième partie du sacrement de pénitence, laquelle consiste en des œuvres pénales que le confesseur impose au pénitent, pour lui tenir lieu de satisfaction. Ce n'est pas, selon la pensée et le langage des théologiens, une partie essentielle du sacrement, mais intégrante : c'est-à-dire qu'elle n'en est que le complément, et que le sacrement sans cela pourrait subsister. Non pas toutefois que ce ne soit une partie nécessaire et d'une double nécessité, l'une par rapport au prêtre, qui est le ministre de la pénitence, et l'autre par rapport au pénitent, qui en est le sujet. J'explique ceci.

Nécessité par rapport au ministre de la pénitence, je veux dire qu'en même temps qu'il absout un pécheur, et qu'il lui confère la grâce du sacrement après avoir reçu sa confession, il doit lui enjoindre une peine, car c'est ainsi que l'Eglise l'ordonne ; et comme cette peine est une satisfaction pour les péchés commis, il s'ensuit qu'elle y doit être proportionnée; en sorte que, plus les péchés ont été griefs dans leur malice ou multipliés dans leur nombre, la peine soit plus rigoureuse, puisqu'il est raisonnable que celui-là soit puni plus sévèrement, lequel a péché ou plus mortellement ou plus habituellement. Aussi est ce clans cet esprit que la primitive Eglise avait tant de peines différentes marquées pour chaque espèce de péché, et que les chrétiens s'y soumettaient, en vue de prévenir les jugements de Dieu et de se soustraire à ses vengeances. Si la discipline a changé, l'esprit est toujours le même, et le zèle des prêtres pour les intérêts du Seigneur ne doit pas être moins vif présentement, ni moins ferme qu'il l'était dans les premiers siècles. Ils n'ont qu'à entendre là-dessus ce que leur déclare le concile de Trente, et la terrible menace qu'il leur fait. Voici ses paroles, dignes de toute leur attention, puisque c'est l'Eglise elle-même qui parle et qui prononce. Les prêtres du Seigneur, conduits par l'Esprit de Dieu, et suivant les règles de la prudence, doivent enjoindre des satisfactions salutaires et convenables, eu égard à la nature des péchés et à la faiblesse des pénitents : pourquoi? de peur, ajoutent les Pères du concile, que s'ils se montrent trop indulgents, en n'imposant pour des fautes grièves que de légères peines, ils ne se rendent coupables, et ne participent aux péchés de ceux qu'ils auront ainsi ménagés (1).

Malheur donc à ces ministres faciles et complaisants qui, portant la balance du sanctuaire que le Seigneur leur a confiée, au lieu de la tenir droite, la font pencher du côté où les entraîne une condescendance naturelle et tout humaine! Malheur à ces ministres timides et lâches, qui se laissent dominer par l'autorité et la grandeur, et n'ont pas la force d'user de leur pouvoir, ni de garder dans leurs jugements toute la supériorité que leur donne leur ministère ! Malheur à ces ministres aveugles et inconsidérés, qui, faute d'application ou faute de connaissance, ne font pas le discernement

 

1 Sess. 14.

 

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nécessaire entre les divers états des malades qu'ils ont à guérir, et ordonnent au hasard les remèdes, sans examiner quels sont les plus efficaces! Malheur à ces ministres intéressés et vains qui, pour ne pas rebuter ni éloigner d'eux des personnes d'une certaine distinction, dont il leur est ou utile ou honorable d'avoir la confiance, les déchargent, autant qu'ils peuvent, des rigueurs de la pénitence, et sacrifient la cause de Dieu à des vues politiques et mercenaires! Mais, d'ailleurs, il doit être aussi permis d'ajouter : Malheur à ces ministres outrés et rigides à l'excès, parce qu'ils le sont par naturel et par inclination, parce qu'ils le sont par entêtement et par prévention, parce qu'ils le sont par une affectation de pharisien et par ostentation ; en un mot, parce qu'ils ne le sont ni par raison, ni par religion ! Malheur, dis-je, à eux, quand ils désespèrent les pécheurs, en les accablant de fardeaux insoutenables, et qu'ils oublient cette règle si sage que leur prescrit le concile, de compatir à l'infirmité de l'homme, et d'y conformer la sévérité de leurs arrêts! N'allons pas sur cela plus loin : car, en tonte cette instruction, ce n'est point tant des ministres de la pénitence qu'il s'agit, que des pénitents.

Nécessité par rapport au pénitent. L'obligation est mutuelle, et la même loi lie également l'un et l'autre, j'entends le prêtre et le pénitent. Ainsi, comme le prêtre est obligé d'imposer au pénitent une peine, le pénitent, de sa part, est obligé de l'accepter. Obligation même encore plus raisonnable et plus étroite a l'égard du pénitent, puisqu'il est le coupable, et qu'il ne peut, sans une injustice ouverte, refuser à Dieu, après l'avoir offensé, la satisfaction que mérite l'injure qu'il a faite à ce souverain Maître.

Maison demande en quel temps cette pénitence doit être accomplie, si c'est avant l'absolution, ou si l'absolution peut précéder ? Cette question est aisée à résoudre, puisque c'est une erreur condamnée, de dire que le prêtre ne peut ni ne doit point absoudre le pénitent, à moins que celui-ci n'ait pleinement satisfait à toutes les œuvres qui lui ont été ordonnées. Et nous voyons en effet que l'usage contraire est établi et pratiqué communément dans l'Eglise : le confesseur écoute le pénitent, s'assure, autant qu'il est possible, de ses bonnes dispositions, surtout de sa contrition et de sa résolution, lui donne ensuite les avis qu'il juge propres, lui enjoint la satisfaction qu'il croit convenir; et, s'il n'y a rien du reste qui l'engage à différer, l'absout et le réconcilie. Telle est, dis-je, la pratique ordinaire, malgré les abus que voudraient introduire des gens qui ont pour principe de changer tout dans l'Eglise et de tout innover. Ce n'est pas qu'il n'y ait quelquefois des rencontres et des circonstances où il est bon et sage de remettre l'absolution après l'accomplissement de certaines œuvres, par exemple, de certaines restitutions, de certaines réparations, de certaines réconciliations, d'autres exercices préliminaires, si j'ose parler de la sorte, qui servent à mieux disposer le pécheur, et qui sont pour le prêtre de plus sûrs garants des promesses que le pénitent lui a faites, ou plutôt qu'il a faites à Dieu: mais ce sont des occasions particulières, lesquelles ne doivent point prévaloir à la maxime générale, et dont l'Eglise laisse le jugement à la sagesse et à la discrétion du confesseur.

On demande encore si c'est un devoir tellement indispensable d'accepter la peine que le ministre de la pénitence a imposée, qu'on ne puisse, pour quelque raison légitime, la refuser et s'en exempter? sur quoi il est à observer que souvent le confesseur n'étant pas instruit de l'état d'une personne, de ses engagements, de ses facultés, de sa complexion naturelle et de la délicatesse de son tempérament, il peut arriver que par ignorance, ou quelquefois même par indiscrétion, il lui ordonne des choses moralement impraticables, Or jamais Dieu ne nous commande l'impossible, ni jamais l'Eglise n'exige de nous ce qui est au-dessus de nos forces. D'où il résulte que le pénitent alors est en droit de représenter et de s'excuser, non pas pour être déchargé de toute peine, mais pour obtenir que telle peine qui lui est enjointe, et à laquelle il n'est pas en pouvoir de satisfaire, lui soit commuée selon la plus juste compensation, dans une autre à peu près égale. Il n'y a rien en cela que d'équitable, ni rien qui ne s'accorde parfaitement avec la prudence évangélique et l'esprit de la pénitence chrétienne.

Mais quelle est la grande illusion et le grand abus ? illusion presque universelle, et répandue parmi une multitude infinie d'hommes et de femmes du monde ; illusion qui croît tous les jours, à mesure que la piété s'éteint et que la mollesse du siècle étend plus loin l'empire des sens; illusion que les ministres de Jésus-Christ ont tant de peine à combattre; et qu'ils ne peuvent détruire, à moins qu'ils ne s'arment de toute la fermeté du zèle apostolique; illusion, dis-je, qui consiste en de prétendues

 

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impossibilités qu'on imagine, et dont on se prévaut contre tout ce qui peut captiver l'esprit ou mortifier la chair, c'est-à-dire contre les œuvres les plus satisfactoires et les plus méritoires. Il est bon d'éclaircir ce point, et d'en donner une pleine intelligence.

Le ministre de la pénitence exerce tout à la fois deux fonctions, celle de juge et celle de médecin des âmes. Comme juge, il doit punir; et comme médecin des dînes, il doit travailler à guérir. De là les pénitences qu'il impose doivent être tout ensemble, et expiatoires, et médicinales. Expiatoires par rapport au passé, pour acquitter le pénitent des dettes qu'il a contractées devant Dieu ; médicinales par rapport à l'avenir, pour déraciner les mauvaises habitudes du pénitent, et pour le précautionner contre les rechutes. Voilà les deux fins que se propose un confesseur habile et fidèle, sans les perdre jamais de vue dans les pratiquai et les satisfactions qu'il ordonne. Et parce que les contraires se guérissent par les contraires, et qu'on ne peut mieux ni expier le passé, ni se mettre en garde contre l'avenir, que par des œuvres directement opposées aux fautes qu'on a commises ou qu'on serait en danger de commettre, que fait-il? afin de rendre les pénitences qu'il enjoint plus salutaires, il ordonne, par exemple, pour des péchés d'avarice , des charités et des aumônes ; pour des péchés de ressentiment et de vengeance, des témoignages d'affection et de bons offices envers les personnes offensées ; pour des péchés de scandale et de libertinage, des actions de piété, et l'assiduité aux exercices publics de la religion ; pour des intempérances ou des impudicités, les macérations du corps, les abstinences et les jeûnes; pour un attachement désordonné au monde et à ses divertissements, des jours de retraite et des temps de silence et de prière : ainsi du reste.

Or tout cela devient impossible, ou plutôt le paraît : pourquoi ? parce que tout cela gêne, et qu'on est ennemi de la gêne et de toute contrainte; parce que tout cela contredit les inclinations et les passions, et qu'on ne veut les contrarier sur rien, ni leur faire aucune violence ; parce que tout cela afflige les sens, et qu'on ne prétend rien leur retrancher de leurs commodités et de leurs aises. Parler à un mondain, à une mondaine, de modérer leur jeu ou même de se l'interdire absolument, de se retirer des spectacles et de certaines assemblées ; parler à un bomme intéressé de faire des largesses aux pauvres ; à un vindicatif de pardonner et de prévenir par quelques avances; à un ambitieux de s'exercer en des actes d'humilité ; à un sensuel de réprimer ses appétits ; à un paresseux de s'appliquer au travail ; à un libertin tout répandu au dehors de vivre avec moins de dissipation, de s'acquitter des devoirs du christianisme, d'entendre la parole de Dieu, de lire de bons livres, d'assister au service divin ; leur marquer là-dessus des règles et leur imposer des lois, c'est leur tenir un langage étranger, c'est, à les en croire, leur demander plus qu'ils ne peuvent, c'est ne les pas connaître et ne savoir pas les conduire. Si le confesseur, exact et ferme, insiste néanmoins sur cela, et ne veut rien relâcher de la sentence qu'il a portée, on s'élève contre lui, on se récrie sur son extrême rigueur, on le traite d'homme sauvage , qui n'a nul usage du monde, et qui n'en sait pas distinguer les conditions. Erreur pitoyable, uniquement fondée sur un amour déréglé de soi-même, et sur les faux, principes d'une aveugle nature qui nous séduit.

Tout ce que vous ordonne ce confesseur est plein d'une raison et d'une sagesse toute chrétienne. Mais cela m'est bien onéreux : aussi est-ce une pénitence, et il n'y a point de pénitence qui n'ait son austérité et sa peine. Mais je ne suis point fait à toutes ces pratiques : il est bon de vous y faire, et c'est justement afin que vous appreniez à vous y faire qu'on vous les enjoint. Mais j'accepterais [dus volontiers toute autre chose : toute autre chose vous conviendrait moins que celle-ci, parce qu'il est juste que vous soyez puni par où vous avez péché, et que d'ailleurs c'est un remède plus spécifique et plus certain contre le penchant habituel qui vous porterait encore à pécher. Mais il faut donc changer le plan de ma vie ? en doutez-vous, et n'est-ce pas pour vous réformer et pour changer de conduite, que vous avez dû venir au saint tribunal? Mais je suis d'un tempérament faible : éprouvez-vous, et peut-être vous verrez que vous n'êtes pas, à beaucoup près, si faible que vous le pensez; de plus, cette faiblesse que vous faites tant valoir peut bien être une raison pour vous ménager, sans que ce soit une dispense absolue de tout exercice pénible et mortifiant. Mais enfin je ne pourrai jamais m'assujettir à ce qu'on me propose : vous ne le pourrez pas, parce que vous ne le voulez pas; or vous devez le vouloir, puisque Dieu le veut, et qu'il ne vous jugera pas selon les vains prétextes que vous alléguez, mais selon ses ordres et ses volontés.

 

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Chose étrange, qu'ayant un aussi grand intérêt que nous l'avons «à détourner les coups de la justice de Dieu, et pouvant l'apaiser à si peu de frais, nous hésitions encore et nous nous rendions si difficiles à prendre les moyens qu'on nous présente ! Il n'y a point de péché qui ne méritât des larmes éternelles, si la divine miséricorde n'agissait en notre faveur ; et il n'y a point de satisfactions qui pussent être suffisantes, si Dieu usait à notre égard de tous ses droits. Avons-nous après cela bonne grâce de nous plaindre? et que veut-on de nous qui soit équivalent à ce qu'on pourrait attendre selon les lois de la plus droite justice? Ne comptons point avec Dieu, afin que Dieu ne compte point avec nous ; car dans  ce  compte  nous nous trouverions bien en arrière. Si l'homme entreprend de disputer contre le Seigneur,  disait le saint homme Job, de mille sujets d'accusation. Il ne pourra pas satisfaire sur un seul (1). Le mal est que nous ne nous attachons point assez à comprendre la grièveté du péché, et les dommages extrêmes qu'il nous cause. Quand nous aurons mûrement considéré, d'une part, la grandeur infinie de Dieu, la multitude de ses bienfaits, la sévérité de ses jugements; d'autre part, notre  propre  bassesse et notre  néant devant cette suprême majesté, notre ingratitude envers  celte   bonté souveraine, ce que nous avons à espérer de son amour, ce que nous  avons à craindre de  sa justice, de là nous apprendrons : 1° quelles actions de grâce lui sont dues de nous avoir fourni, dans l'institution du sacrement de pénitence, une ressource pour nous relever de nos chutes, et une planche pour nous tirer du naufrage après le péché ; 2° de quelle conséquence il est de ne laisser point le péché s'établir dans nous et y prendre racine, mais d'avoir promptement recours à la pénitence et à son sacrement, dès que nous  nous sentons atteints de quelque blessure mortelle dans Pâme, et que nous sommes tombés dans la disgrâce de Dieu; 3° de quel avantage doit être pour nous la fréquente confession, puisqu'elle sert à purifier de plus en plus notre cœur, à nous fortifier contre les iliaques où   nous  sommes   continuellement exposés, à nous maintenir dans un état de grâce et à nous y faire croître; 4° avec quelle soumission nous devons écouter le confesseur qui nous parle au nom de Dieu, soit lorsqu'il nous reprend, soit lorsqu'il nous exhorte ou lorsqu'il nous instruit et qu'il nous donne des conseils pour le règlement de notre vie ; 5° avec

 

1 Job, IX, 3.

 

quelle fidélité et quelle constance nous devons entreprendre tout ce qu'il nous prescrit de plus mortifiant : fortement persuadés, selon la maxime de saint Bernard, que moins il nous épargne en ce monde, plus il ménage nos véritables intérêts pour l'autre; et que, bien loin que sa fermeté soit une raison de nous éloigner de lui, ce serait au contraire un juste sujet de nous en détacher et de le quitter, s'il nous traitait avec plus d'indulgence et qu'il nous fît marcher par un chemin plus commode ; 6° enfin, combien il est doux, en se retirant des pieds du ministre de Jésus-Christ, d'entendre, comme de la bouche de Jésus-Christ même, cette consolante parole : Vous êtes rentré en grâce ; allez et ne péchez plus.

 

PENITENCE  EXTÉRIEURE, OU MORTIFICATION DES SENS.

 

Notre siècle, tout perverti qu'il est, ne laisse pas d'avoir des pénitents et des pénitentes. Il en a jusque dans le grand monde, jusques à la cour. Mais quelles pénitentes et quels pénitents! des pénitents et des pénitentes de notre siècle, et non des premiers siècles, Expliquons-nous.

Abstinences rigoureuses, jeûnes fréquents et même perpétuels, longues veilles, travail pénible, solitude et profond silence, le pain et l'eau pour se nourrir, le sac et le cilice pour se vêtir, une simple natte ou la terre nue pour reposer; rochers, cavernes, grottes obscures et ténébreuses, pour se retirer; injures de toutes les saisons, chaleurs de l'été, froids de l'hiver, infirmités du corps, mort à soi-même et à tous les sens, tout cela accompagné de ferventes prières, et tout cela soutenu sans interruption, sans relâche jusqu'au dernier soupir de la vie : telle était la pénitence des premiers siècles. Mais ces siècles sont passés, et la pénitence de ces heureux siècles est passée avec eux.

Car quelle est la pénitence du siècle présent? et, pour ne me point engager dans une discussion trop générale et trop vague, j'ose vous demander en particulier quelle est la pénitence que vous faites, vous à qui je parle et de qui il s'agit actuellement entre vous et moi? Après avoir été du monde, et y avoir paru sans y donner l'édification que le monde devait attendre de vous, que dis-je? après y avoir peut-être donné bien des scandales dans le cours d'une vie libertine et déréglée, vous regardez la retraite où vous vivez présentement comme un état de pénitence ; mais cette pénitence, à

 

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quoi se réduit-elle? Je ne prétends rien lui ôter de son mérite, et je vous rends volontiers toute la justice qui vous est due. Vous n'êtes plus, grâces au Seigneur, ce que vous avez été, et vous tenez maintenant une conduite beaucoup plus régulière et plus chrétienne. Il en faut bénir Dieu, puisque c'est un don de sa miséricorde. Je l'en bénis en effet, et je le prie d'achever en vous son ouvrage, et de vous le faire consommer par une sainte persévérance.

Mais, revenons, s'il vous plaît, et voyons donc où se termine votre pénitence. Car vous comptez bien que votre état est un état pénitent, et vous espérez bien que Dieu l'acceptera comme tel, et qu'il vous en récompensera. Or quel est-il, cet état? trouvez bon que j'entre là-dessus en quelque détail. Un équipage modeste, il est vrai, mais propre, et surtout fort commode. Même modestie, mais aussi même propreté, et surtout même commodité dans le logement, dans l’habillement; une table frugale, mais bien servie, et peut-être plus délicate dans sa frugalité que des repas beaucoup plus somptueux. Point de jeux, point de spectacles, point d'assemblées profanes, mais du reste une société agréable, visites, promenades, campagnes, récréations où l'on prend goût, quoique honnêtes d'ailleurs et innocentes; en un mot, vie douce et paisible, sans bruit, sans embarras d'affaires, sans inquiétude, sans soin.

Je sais qu'avec cela vous avez vos exercices de piété et de charité. Vous récitez de saints offices, vous faites de bonnes lectures, vous vous adonnez même à l'oraison, vous approchez des sacrements, vous visitez quelquefois les pauvres et les soulagez. Tout cela est louable, et le monde en doit être édifié. Mais après tout, ces mêmes exercices où consiste tout le fond de votre vertu, comment les pratiquez-vous, et à quelles conditions? pourvu qu'ils ne vous gênent en rien, pourvu qu'ils vous laissent une pleine liberté de les quitter et de les reprendre selon qu'il vous plaira, pourvu qu'ils soient de votre choix ou à votre gré, et qu'ils s'accommodent à votre inclination, pourvu que votre repos n'en soit aucunement troublé, pourvu qu'ils s'accordent avec l'extrême attention que vous avez à votre santé et à toute votre personne. Car voilà tous les adoucissements et toutes les facilités que vous y voulez trouver. Or est-ce là ce que vous appelez pénitence? Quoi que vous en puissiez dire, pourrai-je, moi, sans vous blesser, vous déclarer ingénument ma pensée? Votre pénitence, c'est de quoi les vrais pénitents, les pénitents d'autrefois auraient eu horreur comme d'une vie sensuelle et délicieuse, c'est ce qu'ils se seraient reproché comme un des plus grands relâchements. Si vous en jugez autrement qu'ils en jugeaient, prenez garde d'en juger autrement que Dieu en juge lui-même.

Et en effet, je vous renvoie à l'Evangile de Jésus-Christ. Quelles idées nous donne-t-il de la pénitence chrétienne, et sous quelles figures nous l'a-t-il représentée? comme une guerre contre la nature corrompue et toutes ses sensualités : Je ne suis point venu sur la terre pour y apporter la paix, mais la guerre (1); comme une croix dont nous devons nous charger, et que nous devons porter tous les jours: Quiconque veut être mon disciple, qu'il renonce à soi-même, qu'il prenne sa croix, et qu'il me suive (2) ; comme une violence que chacun doit se faire : Depuis les jours de Jean-Baptiste, depuis que ce saint précurseur a paru dans le monde, qu'il y a prêché la pénitence et la rémission des péchés, pratiquant lui-même ce qu'il enseignait, vivant dans le désert, ne se nourrissant que de sauterelles et de miel sauvage, ou pour mieux dire ne mangeant ni ne buvant; depuis ce temps-là le royaume du ciel se prend par force, et on ne remporte que par violence (3); comme une voie étroite où il faut marcher au milieu des ronces et des épines : Oh ! que le chemin qui mène à la vie est étroit, et qu’il y en a peu qui y entrent (4). La vérité de tous ces textes est incontestable : ce sont des points de foi.

Je vous renvoie au grand Apôtre, et aux divines leçons qu'il nous a laissées dans ses Epîtres. Car s'expliquant encore plus clairement sur le sujet dont il s'agit ici entre vous et moi : Tous ceux, dit-il, qui appartiennent à Jésus-Christ, ont crucifié leur chair avec ses vices et ses convoitises (5). Il ne dit pas seulement qu'ils ont crucifié leur cœur, mais leur chair, celte chair criminelle qui, par une conséquence bien juste, doit avoir part à la peine, après avoir eu tant de part au péché. De là cette règle que le même apôtre donnait aux Romains : Autant que vous avez fait servir vos corps à l'iniquité, et que par là vous êtes devenus pécheurs, autant faites-les servir à la justice, pour devenir saints par la pénitence (6). Cette proportion est remarquable, et peut étonner notre délicatesse; mais saint Paul la trouvait encore trop faible,

 

1 Matth., X, 34. — 2 Ibid., XVI, 24. — 3 Ibid., XI, 12. – 4 Ibid , VII. — 5 Galat., V, 21. — 6 Rom., VI, 19.

 

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et c'est pour cela qu'il ajoutait : Je parle en homme, et j’ai égard à l’infirmité de votre chair (1). Aussi disait-il de lui-même et des autres disciples du Sauveur : Partout et en tout temps nous portons dans nos corps la mortification de Jésus, afin que la vie de Jésus se fasse voir dans nos corps (2). Je laisse cent autres témoignages : ceci suffit, et il n'est question que de vous l'appliquer à vous-même.

Car voilà dans la morale évangélique des maximes fondamentales. Elles regardent généralement tous les états du christianisme, et nous ne voyons point que Jésus-Christ ni les apôtres les aient restreintes à quelques conditions, sans y comprendre les autres. Voilà comment on est chrétien, ou comment on doit l'être. Les justes même n'en sont pas dispensés : que faut-il conclure des pécheurs? Or, sans vous flatter ni chercher vous-même à vous tromper, faites, je vous prie, l'application de ces principes à votre vie, telle que je l'ai décrite et telle qu'elle est. De bonne foi, cette vie prétendue pénitente, est-ce une guerre où vous soyez sans cesse à combattre vos sens, et où vous les teniez dans une sujétion dure et pénible? Est-ce une croix pesante et capable de vous accabler, si vous ne faisiez chaque jour, et à chaque pas, de violents efforts pour en soutenir le poids? est-ce un renoncement à vous-même et à toutes vos aises? est-ce un chemin rude , étroit, raboteux ? De quelles austérités affligez-vous votre corps? quels soulagements et même quelles douceurs lui refusez-vous? quelles abstinences, quels jeûnes pratiquez-vous? en quelles occasions avez-vous sacrifié, par un esprit de pénitence, votre goût, votre repos, votre santé? quand avez-vous éprouvé la rigueur des saisons, les froids de l'hiver, les ardeurs de l'été? et peut-on dire enfin que vous êtes revêtus de la mortification de Jésus Christ? où la faites-vous voir, et à quels traits la reconnaît-on dans toute votre personne ?

Je vois ce que vous pourrez me répondre : Une la mortification chrétienne consiste particulièrement dans l'esprit, c'est-à-dire qu'elle consiste à rompre sa volonté, à modérer ses vivacités, à réprimer ses désirs trop naturels, à se rendre maître de son cœur et de tous ses mouvements. J'en conviens avec vous, et je feux bien même encore convenir qu'à l'égard de cette mortification de l'esprit, les sujets de la pratiquer ne vous manquent pas dans la retraite où vous vivez; que cette séparation et

 

1 Rom, VI, 19. —2 1 Cor., IV, 10.

 

cet éloignement d'un certain monde n'est pas peu opposé à votre tempérament et à vos inclinations ; que celte exactitude à remplir certains devoirs, et à vous acquitter de vos exercices de piété, vous donne lieu, en bien des rencontres, de surmonter vos répugnances, vos dégoûts, vos ennuis ; qu'il y a des moments où la tentation est forte, où le souvenir des plaisirs passés fait de vives impressions dans l'âme; où la solitude, la prière, la lecture, toutes les observances de la religion deviennent très-insipides, et par là même très-onéreuses; enfin, qu'on ne peut alors prendre l'empire sur soi-même et se vaincre, sans beaucoup de violence. Tout cela est incontestable ; mais il n'est pas moins vrai que, selon la loi de Jésus-Christ, il faut que la mortification des sens accompagne tout cela, soutienne tout cela, soit le complément de tout cela. Il n'est pas moins vrai que de tous les points de la loi de Jésus-Christ, il n'y en a pas un que saint Paul, fidèle interprète des sentiments de son Maître, nous ait plus souvent et plus expressément recommandé que la mortification des sens. A qui parlait-il ? à des solitaires? à des religieux? Mais du temps de saint Paul il n'y avait ni religieux, ni solitaires. Il parlait donc à des hommes, à des femmes, à de jeunes personnes du monde, sans distinction de qualités ni de rangs. Si dans la suite il y a eu des solitaires et des religieux, c'est que les plus éclairés et les plus zélés d'entre les chrétiens, comprenant d'une part l'obligation où ils étaient comme chrétiens, surtout comme pénitents, de mener une vie austère et mortifiée, et craignant d'ailleurs de se laisser surprendre, même dans leur pénitence, aux illusions et à la mollesse du siècle, ils ont pris le parti, pour se prémunir contre ce danger, de renoncer à tous leurs biens, d'embrasser la pauvreté, de se confiner dans les déserts, de s'enfermer dans les cloîtres, et de se réduire par là dans un dénuement entier de tout ce qui peut servir à flatter le corps.

De là l'établissement de tant de saints ordres, où les sens sont traités avec toutes les rigueurs que les forces de la nature peuvent supporter ; où l'on est nourri pauvrement, vêtu grossièrement, couché durement; où le sommeil est court et interrompu , le travail constant et assidu, le joug de la règle pesant; où, suivant la parole de l'Apôtre, le corps , par de fréquentes macérations, est immolé comme une hostie vivante et une victime d'expiation. Car tel est, ajoute le maître des Gentils, tel est le culte raisonnable que nous devons à Dieu. Après quoi

 

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il fait beau entendre dire aux gens du monde que tant de mortifications ne sont bonnes que pour les monastères. Langage merveilleux ! J'avoue qu'il peut y avoir en particulier des exercices de pénitence qui conviennent moins aux uns qu'aux autres, selon la diversité des occupations, des situations, des engagements, des tempéraments : mais de prétendre en général , comme le monde le prétend, que la mortification de la chair n'est propre qu'aux personnes consacrées à Dieu dans la profession religieuse, c'est une erreur des plus grossières, et une maxime des plus scandaleuses et des plus pernicieuses. J'aimerais autant qu'on me dît qu'il n'y a que les religieux qui soient coupables devant Dieu, et par conséquent qui soient redevables à la justice de Dieu; qu'il n'y a que les religieux qui soient exposés aux révoltes des sens, et par conséquent qui soient obligés de les réprimer et de les dompter : ou autant vaudrait-il dire qu'il n'y a que les religieux à qui le royaume de Dieu doive être chèrement vendu, tandis que les autres peuvent l'acheter à fil prix, et qu'ils y peuvent atteindre par une voie large et spacieuse, où rien ne les incommode. Abus intolérable ! Il n'y a pas deux Evangiles : c'est le même pour le séculier et le religieux. Ce qu'il est pour l'un , il l'est aussi pour l'autre ; car Jésus-Christ n'est point divisé. Raisonnez tant qu'il vous plaira et comme il vous plaira : malgré tous vos raisonnements, malgré même la régularité apparente de votre vie, assez réformée d'ailleurs et assez exemplaire , n'ayant pas toujours vécu dans l'innocence , ainsi que vous le reconnaissez, et que vous ne pouvez vous le cacher à vous-même, il ne vous reste pour aller au ciel que la voie de la pénitence; et malheur à vous si vous vous persuadez que vous puissiez traiter délicatement votre corps, et être pénitente ! Je ne vois guère comment alors vous seriez à couvert de ces anathèmes du Fils de Dieu : Malheur à vous qui ne manquez de rien, et qui avez en ce monde votre consolation ! malheur à vous qui êtes rassasiés et bien nourris ! malheur à vous qui passez vos jours agréablement et dans la joie (1) !

Au reste , ne pensez pas que les pratiques et les œuvres de pénitence dont je vous parle aient été inconnues aux personnes de votre naissance et de votre rang, ni que je veuille, par un esprit de singularité, vous faire tenir une conduite extraordinaire dans l'état de grandeur et de distinction où vous êtes. Je ne

 

1 Luc, VI, 25.

 

suis point fait à exagérer, surtout en matière de morale et de devoir. Hé ! ne sait-on pas quelles ont été, jusque sur le trône , les austérités de saint Louis? quelles ont été celles de bien d'autres princes et princesses? Et pourquoi chercher si loin des exemples, lorsque nous en avons de nos jours? Car sur les connaissances que je puis avoir, j'ose vous témoigner avec quelque certitude que la mortification chrétienne et ses exercices ne sont point entièrement bannis du monde ni de la cour. Les apparences sont trompeuses de plus d'une manière : c'est-à-dire que comme, sous les apparences d'une vie innocente et pure, on cache bien souvent des dérèglements et des désordres, de même aussi, sous les apparences d'une pompe humaine et d'une vie aisée, on cache quelquefois des pratiques bien rigoureuses et des pénitences qui ne sont connues que de Dieu. L'un est une damnable hypocrisie, et l'autre une salutaire et sainte humilité.

Mais peut-être encore me répondrez-vous qu'on a dans le monde assez de mortifications et de chagrins , et que c'est même aux grands du monde et à ceux qui vivent avec plus d'éclat dans les cours des rois, que sont réservées les grandes peines ; qu'il n'est donc pas besoin d'en chercher d'autres, et que celles qui se présentent chaque jour peuvent suffire. Si vous le jugez ainsi, je veux bien entrer pour quelque temps dans votre pensée, el y condescendre. Oui, j'y consens : tenez-vous-en aux peines de votre état, c'est-à-dire faites-vous des peines de votre état une vertu, faites-vous-en une pénitence, regardez-les comme un châtiment dû à vos péchés , comme un moyen de les expier; et dans cette vue acceptez-les avec soumission, et sanctifiez-les par une patience inaltérable. Je me borne là pour vous présentement : pourquoi ? parce que je suis certain que vous ne vous y bornerez pas vous-même, et que dès qu'une fois vous en serez venue là, vous voudrez aller plus loin. Comment cela? comprenez ce mystère : il est à remarquer. C'est qu'alors vous serez animée de l'esprit de pénitence, et que le même esprit de pénitence qui vous fera porter saintement les peines de votre état vous inspirera d'y en ajouter encore de nouvelles; car il en est de cet esprit de pénitence comme de l'amour de Dieu. Quand il est véritable et bien formé dans un cœur, il est infatigable. Mais parce qu'il vous manque et que vous êtes possédée d'un esprit tout contraire, qui est votre amour-propre, de là s'ensuivent deux grands maux : l'un, que vous ne savez pas

 

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profiter des mortifications de votre état comme vous le pourriez, tout involontaires qu'elles sont, et que vous en perdez, par vos révoltes et vos impatiences, tout le fruit ; l'autre, que ne voulant vous imposer vous-même , au delà des peines de votre état, nulle mortification volontaire, vous vivez sans pénitence, et vous vous privez dans l'affaire de votre salut du moyen le plus nécessaire et le plus puissant.

Chose admirable! on aime la sévérité de la pénitence partout et en tout, hors en soi-même. On l'aime dans autrui, on l'aime dans les livres, on l'aime dans les discours publics, on l'aime dans les entretiens familiers ; mais de l'aimer dans la pratique, je dis dans une pratique propre et personnelle , ce n'est guère là le goût du monde , et du monde même en apparence le plus réglé et le plus dévot. On l'aime dans autrui : on vante les austérités de celui-ci et de celle-là, et l'on devient d'autant plus éloquent à les exalter, que ce sont gens avec qui l'on est plus étroitement uni de sentiments et de doctrine. On l'aime dans les livres : on lit avec assiduité et avec une espèce d'avidité certains ouvrages qui en traitent, on les a continuellement dans les mains, on les dévore, et l'on n'estime que ceux-là. On l'aime dans les discours publics : un prédicateur qui la prêche et qui la porte au plus haut point de perfection, pour ne pas dire à des extrémités sans mesure et sans discrétion, est regardé comme un apôtre; on le suit avec empressement, et l'on y traîne avec soi la multitude. On l'aime dans les entretiens familiers : on en parle, on en fait le sujet des conversations les plus vives et les plus sérieuses, on débite sur cette pénitence austère les plus belles maximes, et l'on ne peut assez gémir des relâchements qui s'y sont glissés. Reste de l'aimer dans la pratique et par rapport à soi. Mais en est-il question, c'est alors que chacun se relire et se met en garde : on ne l'aime plus, et cependant elle ne nous peut être utile et méritoire que dans la pratique.

 

PÉNITENCE   INTÉRIEUR, OU   MORTIFICATION DES   PASSIONS.

 

Outre la pénitence du corps et la mortification des sens, saint Paul, et après lui tous les maîtres de la vie spirituelle , nous apprennent qu'il y a encore une mortification beaucoup plus excellente, qui est la mortification intérieure, ou la mortification de nos passions. Cette mortification du cœur a   trois grands avantages, et nous procure trois grands biens : l'un est l’innocence chrétienne, l'autre est la sainteté chrétienne, et le troisième la paix chrétienne. Car nos passions nous corrompent, du moins elles nous arrêtent et nous relâchent dans le soin de notre perfection; enfin elles nous troublent. Dès là donc que nous travaillerons sérieusement à les mortifier, nous prendrons le moyen le plus infaillible de nous maintenir dans l’innocence de l’âme par l'exemption du péché, de nous élever à une haute sainteté par la pratique de la vertu, et de nous établir dans la paix par le repos dont nous jouirons. Expliquons chaque article, et faisons-y toute la réflexion convenable.

I. Mortification des passions, moyen de se maintenir dans l'innocence, et moyen nécessaire. Car il n'est pas possible de conserver l'innocence dans un cœur, tandis que les passions y règnent. Comme la source en est empoisonnée , et qu'elles ont pour principe cette malheureuse concupiscence qui nous porte vers les objets sensibles, et qui n'a point d'autre fin que de se contenter à quelque prix que ce puisse être, pour peu que nous les écoutions et que nous en suivions les mouvements, elles nous font en mille rencontres violer la loi de Dieu, et nous précipitent en toutes sortes de péchés. C'est ce que nous éprouvons tous les jours; et si, dans ces derniers siècles, l'iniquité , selon l'expression de l'Ecriture , est devenue plus abondante que jamais, ce débordement de mœurs, que nous voyons dans tous les états , ne vient que des passions qui se sont acquis un nouvel empire et ont pris sur les hommes un ascendant plus absolu. Car à mesure qu'elles croissent et qu'elles s'enflamment, elles vont ou elles nous font aller aux plus grands excès. Tant de riches intéressés ne commettraient pas des injustices si criantes, sans l'insatiable avarice qui les dévore; tant de mondains ambitieux ne formeraient pas de si détestables entreprises, sans l'envie démesurée de s'élever qui les possède ; tant de voluptueux et de libertins ne se plongeraient pas en de si honteuses débauches, sans l'amour du plaisir qui les enchante : ainsi des autres. La passion est la racine de tout cela ; et plus elle s'est fortifiée, plus elle a de pouvoir pour résister aux remords de la conscience et pour les surmonter.

Il est vrai néanmoins que nos passions n'attaquent pas toujours si ouvertement notre innocence ; mais c'est en cela même qu'elles sont encore plus dangereuses ; et on peut bien

 

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leur appliquer ce que saint Léon pape disait de l'esprit tentateur, et de ses artifices pour nous surprendre : Qu'un ennemi caché est d'autant plus à craindre qu'il porte plus secrètement ses coups, et qu'on est moins en garde contre lui. En mille sujets, c'est la passion qui nous inspire, lorsque nous pensons être conduits par le motif le plus pur et le plus saint. Elle entre dans toutes nos délibérations; elle a la meilleure part dans toutes nos résolutions : comme l'ange de Satan, elle se transforme en ange de lumière, et, à moins que le crime ne soit évident, il n'y a rien qu'elle ne nous justifie, dès qu'elle s'y trouve intéressée. D'où il arrive qu'on tombe dans une infinité de péchés, sans presque les apercevoir, et qu'on demeure sans inquiétude dans des dispositions et des engagements d'affaires qui devraient nous faire trembler.

De là donc il faut conclure que le préservatif le plus salutaire et même le plus nécessaire pour mettre à couvert l'innocence de notre cœur, est de le circoncire spirituellement, c'est-à-dire d'observer avec soin les passions dont il est plus susceptible, et de nous appliquer sans relâche à les détruire. Prenons ce glaive évangélique dont parlait Jésus-Christ, et qu'il est venu nous apporter. Avec ce glaive tranchant et consacré par la grâce du Seigneur, attaquons ces passions si vives et si impétueuses qui nous entraînent, ces passions si subtiles et si artificieuses qui nous séduisent, ces passions si terrestres et si matérielles qui nous tiennent dans l'esclavage des sens ; faisons, autant qu'il nous est possible, la même dissection de notre âme que Dieu en fera dans son jugement dernier, selon le témoignage de l'Apôtre ; pénétrons jusque dans les jointures, jusque dans les replis les plus secrets où nos passions se cachent, et, sans les ménager, sans leur accorder aucune trêve, quelque part que nous les trouvions, donnons-leur le coup de la mort. Dès que nous aurons purgé notre cœur de ce mauvais levain, il nous sera facile, avec le secours du ciel, d'en fermer l'entrée au péché et de nous garantir de sa contagion.

En effet, supposons un homme bien maître de ses passions, ou, pour mieux dire, en qui les passions soient bien éteintes: sans être impeccable, ce sera un homme irrépréhensible. Comme il ne sera ni aveuglé ni animé par la passion, il suivra en toutes choses la droite raison et la religion : et puisque nous ne péchons qu'en nous écartant de ces deux principes, il est aisé de voir en quelle pureté de cœur il vivra, et

combien de chutes il évitera. Il sera fidèle à Dieu, charitable envers le prochain, juste et réglé dans toutes ses actions ; il jugera bien de tout, il en parlera bien ; il n'y aura ni espérance qui l'attire, ni crainte qui le retienne aux dépens de son devoir, point de colère qui l'emporte, point de ressentiment qui l'envenime, point de plaisir qui le tente, point de grandeur qui l'éblouisse, point de prétentions, d'intrigues, de retours vers soi-même, ni vers ses propres avantages : et de là quelle candeur d'âme ! Bienheureux ceux qui ont ainsi le cœur net de toute tache et de tout désir mal ordonné, car ils seront en état de voir Dieu, et de goûter ses plus intimes communications.

Mais au contraire, qu'une passion demeure enracinée dans le fond de l'âme, et qu'elle y ait toujours le même empire, en vain vous pratiquerez d'ailleurs les plus saintes œuvres, en vain même vous aurez à certains jours les meilleurs sentiments, et vous paraîtrez être dans les meilleures dispositions : tandis que ce serpent vous infectera de son venin, tandis qu'il vous fera entendre sa voix comme à la première femme, et que vous lui prêterez l'oreille, il n'y aura point d'abîme où vous ne vous précipitiez en peu de temps, ni d’écueil où vous n'alliez malheureusement échouer. Et voilà ce qui trompe, au tribunal de la pénitence, tant de pécheurs qui donnent quelquefois toutes les marques de la plus sincère conversion , et qu'on voit néanmoins presque aussitôt rentrer dans leurs premières voies, et retourner à leurs mêmes habitudes. Est-ce qu'ils ne sont pas touchés de la grâce, et qu'ils ne veulent pas de bonne foi changer de conduite et réformer leur vie ? Il faut convenir qu'il y en a plusieurs dont les résolutions sur cela sont actuellement telles qu'ils le témoignent. D'où vient donc qu'ils retombent si vite ? c'est que pour rendre dans la suite leurs résolutions efficaces, il fallait deux sortes de retranchements : l'un extérieur, et l'autre intérieur. Le premier était d'arrêter les effets de la passion , et d'eu retrancher les actes criminels; et c'est ce qu'ils se sont proposé. Mais afin d'y réussir, il était nécessaire de faire en même temps, pour ainsi parler, une autre circoncision plus importante, c'est-à-dire de retrancher la passion elle-même comme le principe du mal, et de la bannir du cœur. Or voilà à quoi ils n'ont pas pensé, et sur quoi ils se sont Haltes et ménagés, dans la fausse persuasion où ils étaient que sans se défaire de cette passion qui leur plaît, ils sauraient la modérer et

 

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la retenir. Erreur qu'ils ont bientôt eu lieu de reconnaître par les promptes et déplorables rechutes qui les ont replongés dans les mêmes précipices et rengagés dans les mêmes désordres.

De tout ceci, apprenons de quelle conséquence il est pour nous, selon l'avertissement du Prophète, de nous faire un cœur nouveau, si nous voulons nous rétablir et nous maintenir devant Dieu dans la sainte innocence que nous avons tant de fois perdue. Plût au ciel que, dès l'âge le plus tendre, et dès les premières années de la vie, on travaillât à se purifier de la sorte, et à se dégager de tout ce qui pourrait nous corrompre. Plus nous différons, plus nos passions croissent, et prennent l'ascendant sur nous. On eût pu assez aisément dans la jeunesse couper court à cette passion dont on n'est presque plus le maître, depuis qu'elle s'est invétérée et comme changée dans une seconde nature. Cela ne regarde pas seulement les jeunes personnes; mais il n'est pas moins vrai des autres, que des qu'ils découvrent dans eux quelque vice naturel, quelque inclination et quelque penchant vers un péché, ils ne doivent pas tarder d'un moment à prendre les armes, et à chasser ce démon qui s'est emparé de leur coeur. Et qu'on ne prétende point se rassurer sur ce que la passion ne paraît pas encore bien forte ! Prévenons le mal de bonne heure, prévenons-le jusque dans les plus petites choses. C'est par une telle précaution qu'on évite les plus grandes maladies du corps, et c'est par là même qu'on se garantit d'une ruine totale de l'âme.

Maximes dont on n'a pas de peine à convenir en général, car elles sont sensibles, et confirmées par l'expérience la plus commune; mais d'en venir à l'effet, c'est ce qui étonne ; et les difficultés qu'on y trouve font souvent une si vive impression, qu'on désespère de les vaincre, et qu'on n'ose pas même l'entreprendre. Aussi est-il constant, pour ne rien dissimuler, que d'arracher du cœur une passion, c'est de toutes les entreprises la plus grande, et celle où l'homme éprouve plus de combats et plus de contradictions. C'est s'arracher en quelque manière à soi-même; c'est mourir à soi-même, et y mourir autant de fois qu'il y a d'efforts à faire et d'obstacles à surmonter. Or le moyen, dit-on, d'être ainsi continuellement aux prises avec soi-même, et serait-ce vivre que d'en être réduit là? Non, ce ne serait pas vivre selon la chair, mais ce serait vivre selon l'Esprit de Dieu.   En  quoi nous devons remarquer un nouvel avantage de cette mortification des passions : car elle ne nous sert pas seulement à conserver l'innocence du cœur, mais à nous élever et à nous faire parvenir au plus haut point de la sainteté chrétienne.

II. Mortification des passions, moyen de s'élever à une haute sainteté par la pratique des plus excellentes vertus. Pour bien entendre cette seconde vérité, il n'y a qu'à développer et à comprendre le vrai sens de ces adorables et divines leçons que nous fait le Sauveur du monde dans son Evangile, et que nous font les apôtres dans leurs Epîtres, savoir, qu'il faut se dépouiller de soi-même, qu'il faut haïr son âme et la perdre en cette vie, afin de la sauver dans l'autre; qu'il faut rompre les liaisons les plus étroites, et se séparer même de son père, de sa mère ; que pour être à Dieu, il faut crucifier la chair, et toutes les concupiscences de la chair; que le royaume du ciel ne s'emporte que par violence, et qu'il faut s'efforcer et prendre infiniment sur soi pour y arriver. Voilà, sans contredit, ce qu'il y a de plus sublime dans la pratique de la sainteté. Or, qui ne voit pas que tout cela est contenu dans la mortification des passions? Car qu'y a-t-il dans nous de plus naturel et de plus intime que nos passions? et n'est-ce pas en les détruisant que nous nous dépouillons de nous-mêmes ? Qu'est-ce que haïr notre âme et la perdre, selon la pensée du Fils de Dieu? n'est-ce pas refuser à notre cœur tout ce qu'il désire et qu'il recherche par le mouvement des passions, et lui interdire tout ce qui flatte ses inclinations sensuelles et qui contribue à les entretenir? Avons-nous des liaisons plus étroites que celles qui sont formées par nos passions ? avons-nous de plus vives et de plus ardentes convoitises que celles qui sont excitées par nos passions? est-il rien où nous sentions plus de résistance, et où nous ayons plus de violence à nous faire, que lorsqu'il s'agit de dompter nos passions et de les amortir? D'où il s'ensuit que tout ce qu'il y a de plus parfait dans la loi que nous professons se rapporte à la mortification du cœur et des passions, et que c'est par là que nous vivons en chrétiens, et en parfaits chrétiens.

Aussi le premier soin, et même, à proprement parler, l'unique soin de tous les saints, a été de régler leur cœur et de mortifier toutes leurs passions. Ce n'est pas qu'ils aient négligé le reste, l'assiduité à la prière, les macérations du corps. Au contraire, nous savons combien ces exercices leur étaient familiers et ordinaires,

 

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jusqu'à passer les nuits entières dans la contemplation des choses divines, jusqu'à s'exténuer et se ruiner le corps, par leurs fréquentes et sanglantes austérités. Mais ces prières, ces mortifications de la chair, ils ne les envisageaient que comme des moyens pour atteindre à la fin qu'ils se proposaient, et qui était de purifier leur cœur de tout ce qu'il y avait encore de terrestre et d'humain.

C'est donc par là qu'ils estimaient toutes les pratiques extérieures ou de piété ou de pénitence ; et sans cela, on peut dire qu'elles perdent extrêmement de leur prix. C'est là ce qui distingue la vraie et solide dévotion , d'une dévotion superficielle et apparente. Malgré la perversité du siècle, on trouve encore assez de personnes qui veulent, ce semble, pratiquer la vertu ; mais quelle est communément l'illusion où donnent ces âmes prétendues vertueuses ? c'est qu'elles bornent tous leurs soins à régler et à sanctifier le dehors, à quitter certains ornements mondains, à s'interdire certaines compagnies et certains divertissements, à visiter les prisons, les hôpitaux, à fréquenter les autels, et à se rendre assidues aux prédications , aux cérémonies de religion, à faire de bonnes lectures, à méditer et à prier. Tout cela sans doute a son mérite, mais souvent un mérite bien au-dessous de l'idée qu'elles s'en font. Car ce n'est point là précisément ni particulièrement ce que Dieu demande d'elles. Il veut, avant toutes choses, qu'elles s'adonnent à la réformation de leur cœur, parce que ce qu'il y a de plus précieux en nous, c'est le cœur, parce que ce qui nous coûte le plus, c'est la circoncision du cœur; parce qu'avec le secours d'en-haut, c'est du cœur que dépend toute notre sanctification.

Or voilà ce que tant d'âmes pieuses, ou qui passent pour pieuses et ne le sont que de nom, ne comprennent point assez. Sous cette belle montre de piété qui frappe la vue, elles ont leurs passions , qu'elles tiennent cachées et qu'elles nourrissent au fond de leur cœur. Quoique ce ne soit pas de ces passions grossières qui portent au crime et au libertinage, ce sont néanmoins des passions qui, pour être plus spirituelles, n'en sont pas moins vives dans les rencontres , et dont les effets ne se font que trop apercevoir. Un directeur, et sage et habile, qui voudrait entreprendre la guérison d'un mal d'autant plus dangereux qu'il est interne, et qu'il attaque de plus près le cœur, a le déplaisir de trouver ces âmes, d'ailleurs si dociles, tellement aveuglées là- dessus et si délicates , qu'elles n'écoutent rien de tout ce qu'il leur dit. Qu'il leur parle d'oraisons, de communions, et même de quelques œuvres de pénitence , elles ne se lasseront point de l'entendre : mais qu'il vienne à leur proposerez moyens  pour humilier leur esprit hautain, pour adoucir leur humeur aigre, pour modérer leurs saillies trop promptes, pour combattre leurs antipathies, leurs animosités, leurs envies secrètes, c'est là qu'elles cessent de lui donner la même attention. D'où il arrive que ces passions, fomentées et entretenues dans le cœur, les font tomber en mille faiblesses qui scandalisent le prochain, et en des fautes presque journalières , avec lesquelles elles se promettent en vain d'accorder une piété véritable et parfaite.

Ainsi, l'un des plus puissants motifs pour nous engager à la mortification de notre cœur est de la considérer comme un moyen de perfection, et comme le moyen le plus efficace. Je dis le plus efficace, et c'est l'avis important que nous donne saint Jérôme : Vous ferez, dit ce saint docteur , autant de progrès dans les voies de Dieu que vous remporterez de victoires sur vous-mêmes. Car chacune de ces victoires demandera de vous bien des combats, et chacun de ces combats , bien des sacrifices plus agréables à Dieu que tous les sacrifices de l'ancienne loi. Pourquoi plus agréables à Dieu ? Saint Bernard en apporte la raison, elle est incontestable : c'est que, dans les sacrifices de la loi judaïque, on n'immolait qu'une chair étrangère, que la chair des animaux ; au lieu qu'ici l'homme s'immole lui-même en immolant son propre cœur et sa propre volonté. Pour peu que nous soyons touchés du désir de notre avancement selon l'esprit et selon Dieu , nous ne devons rien estimer davantage que ce qui peut tant y contribuer, ni rien embrasser avec plus d'ardeur.

Dans cette guerre sainte que nous aurons a soutenir, nous avons besoin d'aide et d'appui; mais en est-il un plus présent et plus assuré que la grâce du Seigneur et sa divine assistance ? c'est lui-même qui nous appelle, lui qui nous invite et qui nous met les armes à la main, est-ce pour nous manquer dans l'occasion, et pour ne pas seconder nos efforts ? C'est sa cause que nous avons à défendre, ce sont ses ennemis que nous avons à combattre : car nos passions sont dans nous les ennemis de Dieu les plus déclarés, les plus animés, les plus obstinés. Elles ne cherchent qu'à nous détacher de lui, et à nous soulever

 

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contre lui : et parce qu'elles ne sont pas toujours assez fortes pour nous porter à une révolte et à une séparation entière , du moins s'opposent-elles aux mouvements de notre ferveur, et à toutes les vues de perfection qu'il lui plaît de nous inspirer. Or, encore une fois, quand il nous verra agir contre ses ennemis et pour ses intérêts, mus abandonnera-t-il ? allons donc à lui avec confiance, et comptons sur sa protection. Laissons murmurer la nature ; laissons-la s'effrayer, se récrier, former mille obstacles. Revêtus de la vertu céleste , nous deviendrons insensibles à ses cris, inaccessibles à ses traits, invincibles à toutes ses attaques. Que dis-je? plus même ses cris se feront entendre à nous, plus ses traits se feront sentir, plus ses attaques seront violentes, et plus en y résistant et les surmontant, nous nous enrichirons de mérites, nous monterons de degrés, nous nous perfectionnerons et nous nous sanctifierons. Car le mérite devant Dieu le plus relevé et la sainteté la plus éminente, c'est de savoir se renoncer et se vaincre. Heureux triomphe, d'où suit un troisième avantage de la mortification des passions, qui est le repos de l'âme et la paix (1) !

III. Mortification des passions, moyen de nous établir dans la paix, et de jouir d'un parfait repos. C'est un trésor, mais un trésor semblable à celui de l'Evangile, c'est-à-dire un trésor qu'on ne peut payer trop cher, et qui mérite d'être acheté au prix de toutes choses, que de trouver la paix dans soi-même, d'être bien avec soi-même, de se posséder soi-même, non-seulement, comme disait Jésus-Christ, par la pratique d'une humble patience et d'une pleine résignation aux ordres de Dieu, mais par la tranquillité et le calme de tous les mouvements de son cœur. Etre dans cette situation, qu'il est plus aisé d'imaginer et d'exprimer que de sentir et d'éprouver, c'est un avant-goût de la béatitude du ciel ; c'est ce que nous concevons dans le séjour des bienheureux de plus digne de nos souhaits après la vue de Dieu, et ce qui doit être un jour pour nous le comble même de la gloire. Cette paix éternelle dont jouissent les saints, cette paix qui ne sera jamais troublée ni interrompue, cette paix qui, réconciliant l'homme avec lui-même, fera cesser dans lui toutes les révoltes intérieures, cette paix qui nous rétablira dans l'état d'innocence où Dieu nous avait créés: voilà ce que Dieu promet à ses élus, et voilà à quoi nous aspirons.

 

1 In patientia vestra possidebitis animas vestras. (Luc, XXI, 19.)

 

Mais il ne suffit pas, dit saint Augustin, d'y aspirer et d'y prétendre : voilà à quoi nous devons nous disposer, et de quoi il faut, dès cette vie, que nous commencions à faire l'essai, nous efforçant au moins d'en approcher, et nous élevant au-dessus de cette basse région où se forment les orages et les tempêtes; au-dessus de ce petit monde qui est en nous, et qui n'est pas moins tumultueux ni moins difficile à pacifier que le grand monde qui est autour de nous. Or il est certain que jamais nous n'y pourrons établir une paix solide sans la mortification du cœur et de ses passions.

Car, pour en être sensiblement persuadé, il n'y a qu'à voir quels sont les principes ordinaires de toutes les inquiétudes et de tous les troubles de notre âme. Ne sont-ce pas nos désirs et nos passions (nos désirs trop vifs, trop empressés, et nos passions trop impétueuses et trop ardentes; nos désirs, qui se multiplient sans cesse, qui se combattent les uns les autres, qui se proposent des objets tout contraires, qui souvent se portent à des choses incapables de nous contenter, à des choses dont la possession nous devient plus onéreuse qu'avantageuse; et nos passions qui sont vaines, qui sont injustes, qui sont extrêmes, qui sont sans bornes), n'est-ce pas là, dis-je, ce qui nous empêche de pouvoir être en paix avec nous-mêmes , et ce qui excite au milieu de nous cette guerre intestine que saint Paul ressentait comme nous, et dont il se plaignait si amèrement ? Il faut donc posséder notre âme dans la paix, la dégager de ces désirs inquiets et de ces passions déréglées; il faut éteindre le feu de cette cupidité qui nous brûle, il faut réprimer cette ambition qui nous agite, il faut rompre ces attaches qui nous captivent, qui nous tourmentent, qui nous déchirent le cœur, et nous causent mille douleurs.

Or il n'y a que la mortification de l'esprit qui puisse nous rendre ce bon office. Désirer peu de choses, et celles que l'on désire, les désirer peu : voilà les salutaires effets de cette mortification chrétienne, voilà ce que les païens eux-mêmes ont enseigné, ont exalté, ont envié et ambitionné, mais ce qu'ils n'ont jamais bien pratiqué. C'est l'avantage des vrais chrétiens, et le fruit propre de la sagesse évangélique.

Oui, si nous voulons vivre contents, désirons peu de choses : non-seulement, dit saint Chrysostome, parce qu'il y a peu de choses qui soient désirables, mais parce qu'il est impossible d'en désirer beaucoup sans perdre le repos , qui vaut mieux que tout  ce que l'on

 

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désire. Et les choses que nous désirons, désirons-les peu : non-seulement, ajoute ce Père, parce qu'elles ne méritent pas d'être autrement désirées, mais parce que les désirant beaucoup, elles deviennent immanquablement le sujet de mille peines. Désirer peu de choses hors de Dieu, c'est ce que saint Augustin appelle la mort des désirs; et cette mort des désirs , n'est-ce pas la mortification dont nous parlons ? Et ce qu'on désire, le désirer peu , c'est en quoi consiste cette sainte indifférence qui tient l’âme dans une assiette toujours égale, et qui la met au-dessus de toutes les contrariétés et de tous les accidents. Ce n'est pas une indifférence de naturel, ni une indifférence de philosophe, mais une sainte indifférence, c'est-à-dire une indifférence fondée sur les principes de la religion, qui nous fait mépriser tous les objets créés, et qui tourne vers des biens réels toutes nos affections. Soyons en ce sens, et selon l'esprit du christianisme, indifférents à tout sur la terre, ou du moins ne nous entêtons de rien. Outre que l'entêtement est partout vicieux, il ne laisse jamais le cœur dans une disposition paisible, parce qu'il est toujours impatient et violent.

Ceci convient à toutes les passions, et à tous les désirs qu'elles nous inspirent : mais la voie la plus sûre et la plus courte pour pacifier notre cœur, c'est d'attaquer d'abord la passion qui domine le plus en nous, et de mortifier les désirs où nous remarquons plus de vivacité et plus de sensibilité. Car c'est là comme le premier mobile de l’âme ; c'est la source de tous les chagrins qui l'affligent. Souvent une seule passion est plus difficile à soumettre, et fait plus de ravage dans un cœur, que toutes les autres ensemble. Souvent il est aisé de retrancher toutes les autres, et de se mortifier sur toutes les autres ; mais du moment qu'il s'agit de la passion dominante, et qu'on veut la contredire, ce n'est plus à beaucoup près la même facilité, et l'on n'en éprouve que trop les retours fâcheux et les soulèvements. Cependant il n'y a point de paix à espérer tant que cette passion ne sera pas détruite. Fussiez-vous dans tout le reste l'homme le plus modéré, le plus raisonnable, le plus sage, c'est assez de cette passion pour vous agiter et pour faire votre supplice; elle vous remplira l'esprit de mille idées, de mille vues, de mille réflexions désagréables; elle excitera dans votre cœur mille regrets, mille jalousies, mille dépits, mille ressentiments pleins d'aigreur et d'amertume; elle vous mettra dans la tête mille desseins, mille projets, mille entreprises aussi embarrassantes que vaines et chimériques; elle vous engagera dans des partis, dans des intrigues où peut-être vous aurez autant de déboires, de dégoûts, d'ennuis, de traverses à essuyer, que de pas à faire ; elle remuera même en sa faveur toutes les autres passions, qui d'ailleurs demeuraient dans le silence et vous laissaient dans le calme ; elle les allumera; et comme il ne faut quelquefois qu'un séditieux pour soulever tout un pays, il ne faudra que cette passion pour causer dans votre âme un bouleversement général. Souvent encore ce sera dans les moindres occasions et sur les plus petits sujets. Une étincelle produit le plus vaste incendie, et une bagatelle qu'on n'observerait pas en toute autre rencontre, et qui ne ferait nulle sensation, est capable, dès qu'elle intéresse la passion dominante, de porter aux plus grandes extrémités.

On le voit tous les jours, et on le connaît par soi-même. Oh ! que vous vous seriez épargné de mouvements et d'agitations, soit dans vous-même, soit hors de vous-même, si de bonne heure vous aviez écrasé ce ver qui vous pique et qui vous ronge ! De quelle paix vous jouiriez, et de quelle heureuse liberté l Tel était dès ce monde le bonheur des saints : ils étaient contents de tout, et, à n'avoir même égard qu’ à la vie présente, on peut dire, dans un vrai sens, que jusques au milieu de leurs plus austères pénitences, ils menaient la vie la plus douce, parce qu'ils ne craignaient rien de tout ce que nous craignons sur la terre, qu'ils ne désiraient rien, et que, par l'extinction de toutes les passions humaines, ils avaient trouvé le secret de s'élever au-dessus de tous les événements, et de passer leurs jours dans une indépendance et une tranquillité que rien n'était capable d'altérer.

C'est ce qui a fait dire à saint Basile qu'il y a beaucoup moins de peine à mortifier ses passions, qu'à ne les mortifier pas. Cette proposition a de quoi nous surprendre, et peut nous paraître un paradoxe ; mais c'est une vérité très-constante. Car autant qu'on fait de violence à ses passions et qu'on les mortifie, autant on se dispose à goûter la paix ; au lieu qu'on la perd en ne les mortifiant pas, et en suivant leurs aveugles convoitises. La santé du corps consiste dans le tempérament des humeurs. Qu'une humeur vienne à prédominer, et que ce tempérament se dérange, de là les infirmités et les douleurs les plus cuisantes. Il en est de même par rapport à la paix de l'esprit : elle consiste dans la modération de nos désirs et de nos passions qui en sont comme les humeurs.

 

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Tant que ces désirs ne seront pas mesurés, que ces passions ne seront pas réglées, l'esprit sera toujours ou abattu par la tristesse, ou transporté par la colère, ou envenimé par la haine, ou resserré par la crainte. Il y aura toujours quelque chose qui le blessera : car il aura beau vouloir se contenter et en chercher lis moyens, ses désirs étant sans mesure, ils ne seront jamais satisfaits, et ses passions étant sans règle, elles demanderont toujours davantage.

Or, pour en revenir à la pensée de saint Basile, dès là qu'on se procure la paix en détruisant ses passions, et qu'on ne peut l'avoir en les flattant et les nourrissant, il y a par conséquent moins à souffrir dans la pratique de la mortification chrétienne, qui nous les fait combattre et qui les tient soumises, que dans les vains ménagements de l'amour-propre, qui prend leur défense et se met de leur parti pour les seconder. Car ce qui doit faire la féline d'un état en cette vie comme en l'autre, c'est la paix qu'on y possède. Soyons abandonnés du monde et dépourvus de tous les biens du monde, mais ayons la paix au dedans de nous: avec cela nous sommes heureux. Vivons au contraire dans l'opulence, dans la splendeur, parmi toutes les aises et toutes les douceurs du monde, mais n'ayons pas la paix, tout dès lors nous est insipide, richesses, grandeurs, fortune, et nous devenons malheureux. Pourrons-nous donc en trop faire pour l'avoir, et y a-t-il rien que nous ne devions pour cela sacrifier? C'est le fruit de la mortification intérieure, et c'est le partage des Ames qui, se détachant d'elles-mêmes, s'attachent à vous, Seigneur, et ne veulent se reposer qu'en vous. Vous êtes le Dieu de la paix, et vous savez bien dédommager un cœur des vains plaisirs dont il se prive en renonçant à ses passions et à leurs objets corrupteurs. Vous nous l'avez apportée, cette paix, et vous nous l'avez fait annoncer par vos anges. Vous nous avez en même temps apporté l'épée et la guerre ; mais c'est justement par cette épée, par cette guerre spirituelle et domestique contre nos vices et nos inclinations perverses, que nous devons obtenir la sainte paix dont vous êtes l'auteur. Soutenez-nous dans la résolution où nous sommes de la mériter à quelque prix que ce puisse être, et de nous y affermir de telle sorte par votre grâce, que rien ne nous l'enlève jamais, ni dans le temps ni dans l'éternité.

 

PENSÉES  DIVERSES  SUR  LA  PÉNITENCE,  ET LE RETOUR A  DIEU.

 

Le mondain dit : Il faut que Dieu soit un maître bien exact et bien rigoureux, puisqu'il ne pardonne rien sans pénitence. Et moi je dis: Il faut que Dieu soit un maître bien indulgent et bien miséricordieux, puisqu'on obtient de lui le pardon de tout par la pénitence.

Pourquoi railler de la conversion de cet homme? ce qu'il fait, c'est ce qu'il faudra que vous fassiez vous-même un jour ; et c'est même, si vous n'avez pas renoncé entièrement à votre salut, ce que vous vous proposez de faire. Car voulez-vous vivre jusqu'au dernier moment dans votre péché ? y voulez-vous mourir? j'ose dire qu'il n'y a point de pécheur si abandonné, qui porte jusque-là le désespoir.

Il y a certains sentiments du cœur dont on ne se fait pas beaucoup de peine, et où l'on s'entretient même avec plaisir, parce que d'un côté ils flattent la passion, et que de l'autre on ne les pénètre point assez pour se les bien développer à soi-même. Si, dans une réflexion sérieuse, on s'attachait à les approfondir, on en découvrirait tout d'un coup le désordre et l'énorme absurdité. Tel est le sentiment d'un homme qui vit impénitent dans l'espérance de mourir pénitent : je veux dire, qui mène une vie criminelle, et qui s'y autorise par la pensée qu'un jour il fera pénitence, et qu'il ne mourra point avant que de s'être remis en grâce auprès de Dieu. Je prétends que c'est là, de toutes les contradictions, la plus insensée et la plus monstrueuse. Pour mieux comprendre l'extrême folie et l'affreux dérèglement de raison où tombe ce pécheur, il n'y a qu'à considérer la nature de la pénitence. Car qu'est-ce que la pénitence? c'est un repentir, mais un vrai repentir ; c'est une douleur, mais une vraie douleur des offenses commises contre Dieu. Il faut que cette douleur mette le pénitent dans une telle disposition, qu'au prix de toutes choses il voudrait n'avoir jamais déplu à Dieu, ni jamais offensé Dieu.

Or, cela posé, voyons donc à quoi se réduit le raisonnement d'un pécheur qui se dit à lui-même : Je n'ai qu'à vivre de la manière que j'ai vécu jusqu'à présent, je n'ai qu'à demeurer dans mes habitudes, j'en ferai quelque jour pénitence. C'est comme s'il disait : Je n'ai qu'à vivre de la manière dont j'ai vécu jusques à présent : et pourquoi ? parce que je compte de me repentir quelque jour et de me repentir

 

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véritablement d'avoir ainsi vécu. C'est comme s'il disait : Je n'ai qu'à demeurer dans mes habitudes : et pourquoi? parce que je compte d'être touché quelque jour d'une véritable douleur de m'y être engagé, ou de ne les avoir pas quittées de bonne heure. C'est comme s'il disait : Rien ne me presse de retourner à Dieu : et pourquoi ? parce que je compte de ressentir quelque jour une telle peine de m'être séparé de lui, et de n'être pas retourné à lui dès à présent, que, dans la force de mon regret, je serais prêt de sacrifier tout, pour n'avoir jamais eu le malheur de le perdre et d'être un moment hors de sa grâce. Est-ce là raisonner, ou n'est-ce pas se jouer de Dieu et de soi-même? Sans la passion qui l'aveugle, et sans la forte impression que fait sur lui l'objet présent qui l'entraîne, le pécheur raisonnerait tout autrement, et du même principe il tirerait des conséquences toutes contraires. Car la maxime générale et universellement suivie de tout homme sage, c'est de ne rien faire dont on prévoie un jour devoir se repentir. De sorte qu'un des motifs les plus puissants que nous apportions à un ami pour le détourner d'une chose qu'il entreprend, et sur quoi il nous consulte, est de lui dire : Vous en serez fâché dans la suite ; vous en aurez du chagrin ; vous vous en repentirez. S'il voit en effet qu'il y ait là-dessus un juste sujet de crainte, et s'il se laisse persuader que ce qu'on lui prédit arrivera, bien loin de poursuivre l'entreprise, il n'hésite pas à l'abandonner. Ainsi l'Apôtre écrivant aux Romains, leur disait en ce même sens : Quel avantage, mes Frères, avez-vous trouvé dans des choses dont vous rougissez maintenant (1) ; et si vous avez connu que vous en deviez rougir, fallait-il vous y porter, et vous y obstiner?

Un faux pénitent cherche à se ménager lui-même dans sa pénitence ; mais en se ménageant pour l'heure présente, c'est justement par là qu'il s'expose à de cruelles peines dans, la suite, et à de fâcheux retours. Car, pour peu qu'il soit instruit des devoirs de la pénitence et qu'il ait de la religion, il est difficile qu'il ne lui vienne pas dans la suite bien des remords et des reproches intérieurs, dont sa conscience est étrangement et continuellement troublée.

Cependant, me direz-vous, combien dans le monde voyons-nous de gens tranquilles sur leurs pénitences passées, quelque lâches  et quelque imparfaites qu'elles aient été? J'avoue

 

1 Rom., VI, 21.

 

qu'on ne voit que trop de ces demi-pénitents, sans trouble et sans scrupule : mais ce que je regarde comme le souverain malheur pour eux, c'est cette paix même où ils vivent. La paix dans le péché est un grand mal ; mais un mal encore infiniment plus à craindre, c'est la paix dans la fausse pénitence. Car du moins la paix dans le péché ne nous ôte pas la connaissance du péché. Un pécheur, tout endurci qui est, ne peut ignorer après tout qu'il a perdu la grâce de Dieu, qu'il est hors des voies de Dieu, et dans la haine de Dieu; qu'à chaque moment qu'il passe dans cet état, il peut mourir et être réprouvé de Dieu. Or cette seule connaissance est toujours une ressource pour lui, quoique éloignée, et peut servir à le réveiller de son assoupissement : au lieu que la paix dans la fausse pénitence, par la plus dangereuse de tontes les illusions, nous cache le péché, nous persuade que le péché est détruit lorsqu'il vit en nous plus que jamais, lorsqu'il y agit et qu'il y domine avec plus d'empire, lorsqu'il nous entraîne, sans que nous l'apercevions, dans l'affreux abîme d'une éternelle damnation. Car quelle espérance y a-t-il alors de ramener une âme égarée ? Si c'est la vue de ses offenses et le souvenir des désordres de sa vie qui se retrace quelquefois dans l'esprit de ce prétendu pénitent, il se dira à lui-même: J'ai péché, j'en conviens et je m'en confonds devant Dieu; mais enfin la pénitence efface tout ; j'ai demandé pardon à Dieu, je me suis confessé, on m'a ordonné des prières, des aumônes, et je m'en suis acquitté : que faut-il davantage ? Si l'on vient a lui représenter les jugements de Dieu et leur extrême rigueur, il répondra qu'il a pris ses mesures, qu'il a eu recours aux prêtres, et qu'il en a reçu l'absolution; que Dieu ne juge pas deux fois, et par conséquent qu'il ne nous jugera point après que nous nous serons jugés nous-mêmes. De cette sorte sa pénitence apparente n'a d'autre effet que de le confirmer dans une impénitence réelle et véritable. Or, pouvons-nous rien concevoir de plus funeste en cette vie et de plus terrible, que de trouver la mort où l'on devait trouver le salut, et de se damner par la pénitence même?

Du plus grand mal nous pouvons tirer le plus grand bien; et ce qui nous damne peut servir à nous sauver. Cette habitude vicieuse, voilà ce qui fait le dérèglement de votre vie, et ce qui vous mène plus directement à la perdition: cette même habitude sacrifiée à Dieu, voilà ce qui peut faire votre prédestination, et vous

 

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élever au plus haut point de la gloire. Mais c'est une habitude honteuse. Il n'importe : toute honteuse qu'elle est, le sacrifice en est et digne de Dieu digne de vous.

Rien ne nous donne une idée plus juste de la conduite que doit tenir un pécheur, et dos précautions qu'il doit prendre après sa conversion pour se préserver des rechutes, que le régime de vie qu'observe un malade dans l'état do la convalescence. Car qu'est-ce, à proprement parler, qu'un pécheur pénitent? c'est un malade qui sort d'une maladie très-dangereuse et qui revient des portes de la mort, ou, pour mieux dire, des portes de l'enfer. Quoique sauvé du coup mortel dont il avait été atteint, il est encore dans une extrême faiblesse, et il se ressentira longtemps des mauvaises impressions de ses habitudes criminelles. Elles ont altéré toutes les puissances de son âme, et il ne peut faire un pas sans être en danger de tomber. Or, que fait un malade qui pense à se rétablir, et qui veut reprendre ses forces ? Nous voyons avec quelle exactitude il obéit à toutes les ordonnances du médecin qui le gouverne; avec quelle attention il prend garde aux temps, aux heures, aux manières, à tout ce qui lui est marqué; avec quelle constance et quelle résolution il surmonte ses inclinations ou ses répugnances naturelles, il règle ses appétits, il mortifie son goût, il s'abstient de ce qui lui plairait le plus , il se prive de tout ce qui lui peut être nuisible. C'était un homme de bonne chère, et il devient sobre et tempérant; c'était un homme du monde, répandu dans le monde, et il devient retiré et solitaire; c'était un homme de plaisir, et il renonce à tous ses excès et à toutes ses débauches. Qu'on vienne lui parler là-dessus, le traiter d'esprit faible, le tenter tout de nouveau : il n'y a ni discours, ni respect humain qui le touchent. Il y va de la vie, dit-il; et, par cette seule réponse, il croit avoir pleinement justifié ses soins et toute la circonspection dont il use. Appliquons cela à un pécheur converti : car il n'y a pas un trait qui ne lui convienne. Voilà son modèle, et la comparaison doit être entière; mais la pratique est bien différente, et c'est notre confusion. Le convalescent sacrifie tout à l'intérêt de sa santé : et combien de prétendus pénitents ne veulent rien sacrifiera l'intérêt de leur salut !

A consulter l'Evangile, et à s'en tenir précisément au texte et à la lettre, on dirait que Dieu réserve ses plus grandes faveurs aux pécheurs pénitents, et qu'il leur donne l'avantage sur les justes, qui néanmoins, fidèles à toutes ses ordonnances, ont toujours vécu dans la règle et dans le devoir. Parmi les anges de Dieu, selon l'exprès témoignage du Sauveur des hommes, on se réjouit plus de la pénitence d'un pécheur que de la persévérance de quatre-vinqt-dix-neuf justes (1). En quelque sens que les interprètes expliquent ces paroles, elles nous représentent une vérité très-certaine, savoir, que Dieu, dans tous les temps, a favorisé les pécheurs, même les plus scandaleux, des grâces les plus singulières, quand ils se sont retirés de leurs voies criminelles, et qu'ils ont embrassé son service.

Conduite de Dieu que nous devons adorer ; conduite fondée sur plus d'une raison, et en voici quelques-unes : 1. Parce que Dieu se plaît à faire éclater les richesses de sa grâce : or il ne les fait jamais paraître avec plus d'éclat que dans ces sortes de pécheurs qui s'en sont rendus plus indignes. 2. Parce que les grâces de Dieu, surtout certaines grâces particulières, sont beaucoup plus à couvert des atteintes de l'orgueil dans les mains de ces pécheurs que dans les mains des justes. Que veux-je dire? Un juste enrichi des dons célestes, et surtout de certains dons, peut plus aisément les attribuer en quelque manière à ses mérites, et, comme l'ange superbe, se laisser éblouir de sa splendeur et de sa gloire ; mais à quelque rang et à quelque degré qu'un pécheur soit élevé, il a, dans la vue de ses égarements passés, un contre-poids qui le rabaisse, et qui lui sert de préservatif contre toutes les attaques d'une vaine estime de lui-même. 3. Parce que Dieu veut s'attacher ces pécheurs, et leur adoucir, par les grâces qu'il leur communique, la pesanteur de son joug, auquel ils ne sont point accoutumés, et sous lequel il serait à craindre que leur faiblesse ne vînt à succomber. A. Parce que Dieu prétend enfin récompenser ces pécheurs du courage qu'ils ont eu à rompre les liens où ils étaient engagés, et des efforts qu'il leur en a coûté : car Dieu sait bien payer les sacrifices qu'on lui fait. Tout ceci, au reste, ne va pointa déprimer les justes, ni à leur rien ôter de la louange qui leur est due : à Dieu ne plaise ! mais il est bon d'exciter par là les pécheurs et d'animer leur confiance. Le péché commence par le plaisir, mais la peine le suit de près; la pénitence, au contraire, commence par les larmes ; mais elle est bientôt suivie des délices de l'âme les plus vives et les plus sensibles.

Il faut qu'un pécheur converti loue Dieu, et

 

1 Luc, XV, 7.

 

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qu'il ait du zèle pour la gloire de Dieu, mais un zèle modeste et humble : c'est-à-dire qu'il ne faut pas, dès le lendemain de sa conversion, qu'il s'érige en réformateur, qu'il devienne le censeur de tout le genre humain, ni que tout à coup il lève l'étendard de la sévérité avec empire et avec ostentation ; mais qu'il édifie par son humilité, par sa charité, par sa douceur, par sa patience, par tous les exercices d'une vraie et solide piété. Car comment oserait-il entreprendre de guérir le prochain, tandis que ses plaies saignent encore, et qu'elles ne sont pas bien fermées? Il a assez à faire de pleurer ses péchés, de détruire ses mauvaises habitudes, de réparer devant Dieu et devant le monde la vie scandaleuse qu'il a menée ; et il doit se souvenir que le public n'attend pas si tôt de lui des prédications, mais des exemples.

Après vous être si souvent et si longtemps écartée de votre devoir, après avoir fait parler de vous et de votre conduite dans tout un quartier, toute une ville, tout un pays (car vous ne le savez que trop, et il n'y a point à vous le dissimuler), vous vous êtes enfin reconnue; et désormais par une pénitence exemplaire, par une vie pieuse et remplie de bonnes œuvres, vous expiez le passé, autant que vous croyez le pouvoir, et tâchez de satisfaire à la justice de Dieu. Voilà de quoi l'on ne peut assez bénir le ciel, ni assez vous féliciter vous-même. Mais j'apprends d'ailleurs qu'en devenant plus régulière par rapport à vous, vous devenez en même temps d'une rigueur outrée à l'égard du prochain ; qu'au soupçon le plus léger qui vous passe dans l'esprit, vous éclatez sans ménagement, et vous traitez sans pitié les personnes qui dépendent de vous ; qu'une ombre dans eux vous fait peur, et que vous prenez tout en mauvaise part. Quoi donc ! vous ne pouvez une fois pardonner aux autres la moindre faute? Hé ! tant de fois il a fallu vous pardonner les plus grands scandales ?

 

 

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