DE LA PRIERE

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DE LA PRIERE.

 

DE LA PRIERE.

PRÉCEPTE   DE   LA   PRIÈRE.

SÉCHERESSES  ET  ARIDITÉS  DANS LA  PRIÈRE. ESPRIT  DE PRIÈRE.

RECOURS  A LA   PRIÈRE DANS LES  AFFLICTIONS DE  LA   VIE.

PRIÈRE  MENTALE  OU PRATIQUE DE LA MÉDITATION, SON IMPORTANCE A L'ÉGARD DES GENS DU MONDE.

USAGE DES   ORAISONS  JACULATOIRES, OU DES FRÉQUENTES   ASPIRATIONS   VERS  DIEU.

 

PRÉCEPTE   DE   LA   PRIÈRE.

 

Saint Augustin s'étonnait que Dieu nous eût fait un commandement de l'aimer, puisque de lui-même il est souverainement aimable, et qu'indépendamment de toute loi, tout nous porte à ce divin amour et tout nous l'inspire. Conformément à cette pensée du saint docteur, n'y a-t-il pas lieu de nous étonner aussi nous-mêmes que Dieu nous ait lait un commandement de prier, puisque tout nous y engage, et que d'abandonner la prière, c'est abandonner tous nos intérêts qui en dépendent?

Commandement certain et indispensable; et sans insister sur tous les autres motifs qui regardent Dieu plus immédiatement, et le culte de religion que nous devons à cette majesté souveraine, commandement fondé, par une raison spéciale, sur la charité que nous nous devons à nous-mêmes. Car à quoi nous oblige étroitement et incontestablement cette charité propre? à prendre tous les moyens que nous jugeons nécessaires pour nous soutenir au milieu de tant de périls qui nous environnent, et pour échapper à tant d'écueils où sans cesse nous pouvons échouer et nous perdre. Or entre ces moyens il n'en est point de plus efficace ni de plus absolument requis que la prière : comment cela? parce que, dans l'impuissance naturelle et l'extrême faiblesse où nous sommes, nous ne pouvons nous suffire à nous-mêmes; c'est-à-dire que nous ne pouvons par nous-mêmes résister à toutes les tentations, nous préserver de tous les dangers, fournira tous les besoins qui, dans le cours des choses humaines, se succèdent sans interruption les uns aux autres; d'où il s'ensuit qu'il nous faut donc du secours, et un prompt secours, et un secours puissant, et un secours continuel, qui est le secours de Dieu et de sa grâce. Mais ce secours, par où l'obtiendrons-nous? par la prière. C'est ainsi que le Fils de Dieu nous l'a déclaré, et qu'il s'en est expliqué dans les termes les plus formels :  Si vous demandez

 

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quelque chose à mon Père, et que vous le demandiez en mon nom, il vous le donnera (1). Ce qui nous fait entendre, par une règle toute contraire, que si nous ne demandons pas, Dieu ne nous donnera pas. Or, si Dieu ne nous donne pas. nous manquerons de secours; si nous manquons de secours, nous ne nous soutiendrons pas, nous succomberons; si nous succombons, nous périrons, et nous périrons par notre faute, puisqu'il ne tenait qu'à nous de prier, et par conséquent de ne pas périr. Dieu donc, qui ne veut pas qu'aucun périsse , et qui. par la loi de la charité que nous ne pouvons sans crime nous refuser à nous-mêmes, nous ordonne de n'ometlre aucun moyen nécessaire pour éviter notre perte, veut que nous ayons recours à la prière, et nous en fait un précepte.

Précepte qui nous marque deux choses les plus dignes de notre étonnement : l'une de la part de Dieu, l'autre de la part de l'homme. Quelle providence dans Dieu, quelle bonté, quel excès de miséricorde et de libéralité nous fait voir ce commandement ! Tout ce que nous pouvons attendre des maîtres de la terre, et en quoi consiste auprès d'eux notre plus haute faveur, c'est que, par une affection particulière et qui ne s'étend qu'à un petit nombre de favoris, ils soient disposés à écouter nos demandes et à nous les accorder. Mais ils s'en tiennent là, et ils ne nous font point une obligation étroite de leur demander quoi que ce soit : ils nous laissent là-dessus dans une liberté entière. Vous, mon Dieu, père tout-puissant et tout bon, vous ne vous contentez pas d'une telle disposition de votre cœur à notre égard. C'est trop peu pour vous, et vous ne nous dites pas seulement: Demandez, et vous recevrez (2); mais vous nous ordonnez de demander, mais vous nous faites un devoir de demander, mais vous nous reprochez comme un crime, et un crime capital, de ne pas demander. Hé ! que vous importent, Seigneur, tous les vœux que nous formons et que nous vous adressons? Que dis-je, ô mon Dieu ! vous nous aimez, et cela suffit. Votre amour veut se satisfaire; il veut s'exercer, et que nous nous mettions en état d'attirer sur nous vos dons, et d'en profiter. Point d'autre intérêt qui vous touche que le nôtre.

D'ailleurs, ce que nous découvre dans l'homme ce même précepte de la prière, n'est pas moins surprenant. C'est l'aveuglement le plus prodigieux, et la plus mortelle insensibilité pour nous-mêmes. Quoi ! nous avons

 

1 Joan., XIII, 13. — 2 Ibid., XVI, 24.

 

continuellement besoin du secours de Dieu; sans cette assistance et ce secours d'en-haut nous ne pouvons rien ; qu'il vienne un moment à nous manquer, nous sommes perdus : et cependant, pour exciter notre zèle et notre vigilance à l'implorer, ce secours du ciel dont nous ne pouvons nous passer, Dieu a jugé qu'il fallait un commandement exprès ! D'où nous devons conclure combien sur cela il nous a donc connus aveugles et insensibles. Or une telle insensibilité, un tel aveuglement ne tient-il pas du prodige?

Oui sans doute, c'est un prodige ; mais toute prodigieuse qu'est la chose, voici néanmoins, j'ose le dire, un autre prodige plus inconcevable : et quoi? c'est qu'après même et malgré le commandement de Dieu, nous recourions encore si peu à la prière, et que nous en fassions si peu d'usage.

S'il nous survient quelque affaire fâcheuse; si nous craignons quelque disgrâce temporelle dont nous sommes menacés ; si nous avons quelque intérêt à ménager dans le monde et quelque avantage à obtenir, que faisons-nous d'abord, et quelle est notre ressource? On pense à tous les moyens que peut suggérer l'industrie, l'intrigue, la prudence du siècle ; on cherche des patrons en qui l'on met sa confiance, et dont on tâche de s'appuyer; on intéresse, autant qu'il est possible, les hommes en sa faveur : mais de s'adresser à Dieu avant toutes choses; de lui recommander les desseins qu'on a formés, afin qu'il les bénisse; de lui représenter dans une fervente prière les dangers où l'on se trouve et les calamités dont on est affligé, c'est ce qui ne vient pas à l'esprit, et à quoi l'on ne fait nulle attention : comme si Dieu n'entrait point dans tous les événements humains; comme s'il n'y avait aucune part, et qu'il n'étendît pas jusque-là sa providence ; comme si nos soins, indépendamment de lui, pouvaient nous suffire, et qu'il y eût moins à compter sur les secours qu'il nous a promis, que ceux qu'on attend d'un ami, ou de quelque autre personne que ce soit, qui veut bien s'employer pour nous. Outrage dont Dieu se tient et doit se tenir grièvement offensé.

De là qu'arrive-t-il? le Saint-Esprit nous l'apprend : Malheur à celui qui se confie dans la créature aux dépens du Créateur, et qui prend pour son soutien un bras de chair (1) ! Dieu permet que nos projets échouent, que nos mesures deviennent inutiles, que nos espérances soient trompées, que tous les maux dont on voulait se garantir viennent fondre

 

1 Jerem., XVII, 5.

 

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sur nous, que des parents, des amis, de prétendus protecteurs manquent, ou de pouvoir pour nous soutenir, ou de bonne volonté pour y travailler. Dieu, dis-je, le permet ; et c'est alors que, forcés par une dure nécessité, et n'ayant plus d'autre refuge, nous commençons à lever les mains vers lui, et à réclamer son

assistance.

Or, en de pareilles conjonctures, qu'aurait-il droit de nous répondre?  S'il pensait et s'il agissait en homme, il nous rejetterait de sa présence, il refuserait de nous écouter, il nous renverrait à ces faux dieux que nous lui avons préférés, il nous abandonnerait à nous-mêmes, il insulterait à notre misère et il s'en ferait un triomphe, bien loin d'y compatir en aucune sorte et de la soulager. Mais c'est ici le miracle elle comble de sa miséricorde. Miracle que nous ne pouvons assez admirer, et qui mérite toute notre reconnaissance. Quoiqu'il soit le dernier à qui nous allions, et que nous n'allions même à lui que par une espèce de contrainte, il veut bien néanmoins encore nous entendre; il veut bien nous ouvrir son sein et prêter l'oreille à nos prières ; il veut bien y condescendre, et devenir notre   appui, notre consolateur, notre restaurateur ; il veut bien, pour nous rétablir et nous relever, nous tendre les bras et répandre sur nous ses dons. Voilà ce qui n'appartient qu'à une  bonté   souveraine. C'est être miséricordieux et bienfaisant en Dieu.

 

SÉCHERESSES  ET  ARIDITÉS  DANS LA  PRIÈRE. ESPRIT  DE PRIÈRE.

 

Quelle misère, mon Dieu ! quelle contradiction ! Vous êtes pour moi la source de tous les biens: dans l'éternité vous serez toute ma béatitude, et dès cette vie je ne puis prétendre de plus solide bonheur que d'approcher de vous, que d'être en votre présence et devant vous, que de converser et de m'entretenir avec vous : je le sais, j'en suis instruit, la foi me l'enseigne, la raison me le donne à connaître, l'expérience me l'apprend et me le fait sentir. Toutefois, Seigneur, comment est-ce que je vais à la prière, où je dois vous parler, vous écouter, vous répondre ? Comment est-ce que je vais et que je demeure à l'oraison, qui ne doit être autre chose qu'un commerce intime entre vous et moi ? Je dis entre vous, tout grand que vous êtes, ô souverain Maître de l'univers! et moi, tout méprisable, tout néant que je suis, vile et abjecte créature.

A peine ai-je plié le genou, à peine suis-je resté quelques moments au pied d'un oratoire pour vous offrir mes hommages, que je pense à me retirer. Mon esprit

volage et sans arrêt m'abandonne, et se porte partout ailleurs. Mon cœur, comme une terre sans eau, ou comme une herbe fanée et sans suc, n'a ni goût, ni sentiment, ni mouvement. D'où il arrive que je tombe dans une indifférence et une langueur qui me rend un des plus saints exercices insipide et onéreux. J'en devrais faire mon plaisir le plus doux, mais il me devient un fardeau et une peine.

Voilà, Seigneur, le triste état où je me vois, et dont j'ai bien sujet de m'humilier. Quoi ! mon Dieu, vous daignez me recevoir auprès de vous ;   vous me permettez de vous exposer humblement et avec une espèce de familiarité mes pensées; vous trouvez bon que je vous adresse mes vœux ; vous prêtez l'oreille pour m'entendre, et mon âme stérile et aride ne m'inspire rien, ne produit rien, ne vous dit rien ! Si c'était par une crainte respectueuse, qui tout à coup me saisît à la vue de vos grandeurs, et qui m'interdît; si c'était parmi principe de religion, par une vive impression de votre adorable majesté, je ne laisserais pas de vous honorer alors, et mon silence même vous parlerait. Mais je dois à ma condamnation et à ma honte le confesser, c'est par une froideur mortelle, c'est par une lenteur oisive et paresseuse, c'est par un assoupissement que rien ne réveille. Ah ! Seigneur, ne finira-t-il point? Il y a longtemps que je me le reproche, et que je souhaite d'en sortir: mais ce ne sera qu'avec votre grâce, et de moi-même je ne le puis. Or cette grâce, je vous la demande. Je viens à vous pour cela, j'ai recours à vous; et dans la prière que je vous fais, tout le fruit que je me propose est d'obtenir de vous l'esprit de prière.

Don précieux que votre prophète nous a promis de votre part et en votre nom. C'est par sa bouche que vous avez dit : Je répandrai sur Jérusalem un esprit de prière  (1); et c'est-à-dire que vous répandrez sur l'âme fidèle un esprit d'intelligence , un esprit de recueillement, un esprit de piété. Un esprit de lumière et d'intelligence qui, dans la prière, lui découvrira vos éternelles vérités, les lui fera creuser et approfondir jusqu'à ce qu'elle en soit remplie et toute pénétrée. Un esprit de recueillement, qui, pendant la prière, effacera de son souvenir toute idée du monde, la dégagera de toute vue humaine, la détournera de tout objet étranger

 

1 Zach., XII, 10.

 

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et profane; en sorte que des yeux de la foi elle ne voie que vous, et que toutes ses puissances intérieures ne soient occupées que de vous. Un esprit de piété, qui lui donnera un attrait particulier à la prière, qui l'y affectionnera, qui lui en facilitera la pratique ; tellement qu'elle en fasse sa nourriture, son repos, sa joie, ses plus chères délices.

Tel était l'esprit qui animait vos saints dans ces longues et ferventes oraisons où descendaient sur eux les plus purs rayons de votre clarté céleste, où vous les éleviez aux plus hautes connaissances de vos adorables et innombrables perfections, où ils vous contemplaient comme face à face, où ils s'abîmaient et se perdaient amoureusement en vous, où leurs cœurs s'embrasaient du feu le plus ardent, et où ils goûtaient des douceurs ineffables. Aussi avec quel empressement allaient-ils à la prière, avec quel zèle et quelle assiduité ! C'était leur entretien le plus ordinaire ; c'était, pour ainsi parler, leur pain de tous les jours , et leur délassement le plus agréable dans les fonctions laborieuses qui les occupaient.

Par votre grâce, ô mon Dieu ! cet esprit de prière ne s'est point retiré du christianisme. Il y est encore, et il agit parmi ce petit nombre de justes que vous vous êtes réservés sur la terre. C'est lui qui, selon le langage de votre Apôtre, soutient leur infirmité (1). C'est lui qui prie dans eux et pour eux, avec des gémissements qui ne se peuvent exprimer : et vous, Seigneur, qui sondez le fond des cœurs, vous savez ce qu'il leur inspire. Vous voyez leurs larmes, vous entendez leurs soupirs, vous êtes témoin de leurs secrets élancements vers vous, de leurs désirs enflammés, de leurs saints transports. Hélas ! malgré toute mon indignité, voilà où je pourrais aspirer et parvenir moi-même, si j'apportais à la prière plus de soin , plus de préparation, et si j'apprenais à me faire plus de violence pour recueillir mes sens, pour fixer l'attention de mon esprit, et pour exciter les affections de mon cœur.

Car quoiqu'il soit vrai que, sans égard aux dispositions d'une âme, quelque bien préparée qu'elle puisse être, vous l'éprouvez quelquefois par des sécheresses où sa volonté n'a point de part; il est certain néanmoins, suivant l'ordre commun de votre providence, qu'à proportion des efforts que nous faisons pour vous chercher dans l'oraison, nous vous y trouvons, et que c'est aux âmes les plus vigilantes, les plus attentives sur elles-mêmes, que vous vous

 

1 Rom., VIII, 26.

 

communiquez avec plus d'abondance. De là donc , aussi négligent et aussi lâche que je le suis et que je me connais, dois-je m'étonner que tout le temps de ma prière se passe en des tiédeurs et des égarements continuels, et n'est-ce pas à ma lâcheté et à mon extrême négligence que je dois les imputer.

Du moins, mon Dieu , n'ai-je point encore perdu l'estime de la prière ; du moins ai-je encore cet avantage d'en comprendre l'excellence, l'utilité, la nécessité. C'est une ressource pour en allumer tout de nouveau dans moi l'esprit, et pour le ressusciter. Je vois quel besoin nous avons tous de ce secours , et quel besoin j'en puis avoir plus que les autres. Je n'ignore pas ce que les disciples de votre Fils bien-aimé lui disaient : A qui irons-nous, Seigneur, si ce n’est à vous ? vous avez les paroles de la vie éternelle (1). Et je sais de plus que, pour aller à vous, il n'y a point de voie plus droite que la prière. Je sais que la prière est cette mystérieuse échelle que vit votre serviteur Jacob, laquelle touchait de la terre au ciel, et par où vos anges montaient et descendaient, pour nous marquer comment l'oraison porte vers vous nos vœux, et attire sur nous vos dons. Je suis persuadé de tout cela, et dans cette persuasion je regarde comme un des malheurs pour moi le plus funeste, et comme la ruine entière de mon âme, si, rebuté de la prière, je venais à l'abandonner. Vous ne l'avez point encore permis, et vous ne le permettrez point. Quelque éloignement que j'en puisse avoir par mon indolence naturelle et par ma faute, je ne l'ai point après tout quittée jusques à présent, et je ne la veux point quitter. Vous bénirez ma résolution, et vous aurez égard à ma persévérance. Vous m'aiderez à vaincre cette lenteur habituelle qui m'appesantit, et qui rend ma prière si languissante. Vous m'inspirerez vous-même, et vous m'animerez.

Je n'attends pas toutefois, Seigneur, que d'abord vous me traitiez comme tant d'âmes vertueuses, ni que vous me favorisiez des mêmes communications. Ce sont des grâces qu'il faut mériter, et dont vous récompensez notre fidélité et notre constance. Mais, du reste, ayez pitié, mon Dieu, de ma faiblesse; et pour seconder mes efforts, faites au moins couler sur moi de temps en temps quelques gouttes de cette rosée qui s'insinue dans les cœurs les plus endurcis, et qui les amollit. Sans cette onction divine, je me défie de ma fermeté et de mon courage. Cependant, qu'il en soit ainsi

 

1 Joan., VI, 69.

 

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que vous l'ordonnerez : ce sera toujours le mieux, et pour votre gloire et pour mon bien. A quelques épreuves qu'il vous plaise de me mettre, je les accepte. Vous ne m'y délaisserez pas; mais vous me soutiendrez, afin que je puisse les soutenir.

Car je l'ai dit, mon Dieu, et souffrez que je m'explique encore devant vous sur un sujet dont il m'est si important de me bien convaincre. Il est vrai que les dégoûts de la prière où nous tombons à certains temps, que ces langueurs sensibles et ces désolations qui nous abattent et semblent nous faire perdre tout courage, sont quelquefois de simples épreuves dont se sert votre providence pour purifier vos élus et les perfectionner. Vous vous éloignez d'eux en apparence, lors même qu'ils vous cherchent avec l'intention la plus pure et le zèle le plus sincère. Ils vous parlent, et vous ne leur répondez point. Ils vous réclament, et vous êtes comme insensible à leurs vœux. Ils s'écrient sans cesse, et vous disent comme cet aveugle de l'Evangile : Seigneur, faites que je voie (1) ; mais vous les laissez en d'épaisses ténèbres, et dans une nuit obscure qu'ils ne peuvent percer : à peine leur reste-t-il quelque lueur pour se conduire. Situation affligeante et presque accablante : il n'y a que ceux qui passent ou qui ont passé par ce désert qui puissent bien connaître ce qu'il en coûte pour y marcher. Vous avez en cela, mon Dieu, vos desseins toujours adorables et toujours favorables, quoique rigoureux : vous voulez exercer vos élus par de rudes combats, afin de multiplier leurs couronnes par les victoires qu'ils remporteront ; vous voulez leur apprendre à vous servir pour vous-même, et par un pur esprit de foi et d'amour, et non point pour les consolations intérieures, ni toutes les douceurs spirituelles qui pourraient les attirer à vous et les y attacher ; vous voulez leur fournir de quoi vous prouver leur fidélité et leur constance, et par là même leur fournir des sujets de sanctification et de mérite. Voilà vos vues toutes salutaires et toutes miséricordieuses ; et dès qu'une âme y est bien entrée, qu'elle est bien instruite et bien persuadée de cette vérité, c'est un appui qui la soutient dans ses langueurs involontaires et ses attiédissements.

Que dis-je, mon Dieu ! et n'ai-je pas toujours lieu de me confondre là-dessus et de m'humilier? Ces délaissements apparenta et ces aridités dans la prière, j'en conviens, ce sont souvent

 

1 Luc., XVIII, 41.

 

des épreuves où vous mettez les âmes les plus fidèles; mais il n'est pas moins ordinaire que ce soient de justes châtiments dont vous punissez les âmes négligentes. Vous ne les écoutez point, ou vous semblez ne les point écouter, parce qu'en mille choses elles vous refusent ce que vous demandez d'elles, et qu'elles résistent à vos divines volontés; vous ne vous communiquez point à elles, parce qu'elles vont à vous sans préparation, e qu'elles demeurent auprès de vous sans réflexion et sans attention ; vous leur ferma votre sein ; parce qu'elles ne se sont pas fait la moindre violence pour se recueillir en vous, et pour se rappeler à elles-mêmes. Or, n'est-ce pas là mon état? et de quoi pourrais-je nie plaindre, quand je ne puis m'en prendre qu'à moi du peu de goût que je sens à la prière, et du peu de fruit que j'en retire? Mais, Seigneur, c'est déjà une heureuse disposition pour guérit le mal que d'en connaître le principe. Il s'agit d'y apporter le remède, et c'est pourquoi j'implore votre secours. Les apôtres demandaient autrefois à votre Fils, leur maître et le nôtre, qu'il leur enseignât à prier : voilà ce que je ne cesserai point de vous demander moi-même. Il y faut de ma part plus de soin, plus de vigilance, plus d'efforts pour fixer mon esprit et pour exciter mon cœur; il y faut plus de ferveur et plus d'assiduité à remplir tous mes devoirs : mais sans vous tous mes soins seraient inutiles. Jetez un regard sur moi du plus haut des cieux. Faites luire sur votre serviteur un rayon de votre lumière. Parlez-lui au cœur, et par cette parole intérieure que vous lui ferez entendre, daignez le former vous-même à converser utilement et saintement avec vous.

 

RECOURS  A LA   PRIÈRE DANS LES  AFFLICTIONS DE  LA   VIE.

 

Dans l'affliction où j'étais, je me suis souvenu de Dieu, et j'ai senti la joie se répandre dans mon cœur (1). C'est ce qu'éprouvait le Prophète royal, et c'est le témoignage qu'il en rend lui-même. Le sceptre ni la couronne qu'il portait ne l'exemptaient pas de peines; ou plutôt n'est-ce pas ce qui l'exposait aux plus grandes peines? Quoi qu'il en soit, à quoi, dans toutes ses peines, avait-il recours? à la prière. Il y trouvait son soutien, son repos, sa consolation. Ressource des âmes affligées, et ressource immanquable. Il faut en avoir fait l'expérience pour le connaître.

 

1 Psal., LXXVI, 41.

 

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En effet, ce n'est jamais en vain qu'une âme s'adresse à Dieu dans la douleur qui la presse. Souvent elle ne sait pas, ni ne peut savoir par où Dieu la consolera. Souvent même, à n'en croire que les sens et que la raison humaine, il lui semble que son mal est sans remède, tant elle en est possédée et accablée. Mais qu'elle ne s'écoute point elle-même ; qu'elle se fasse violence pour surmonter un certain dégoût qui l'éloigné de la prière (car le chagrin dégoûte de tout) ; que dans un esprit de foi et de confiance elle aille à Dieu, elle se prosterne aux pieds de Dieu, elle se jette dans le sein de Dieu ; qu'elle lui dise comme David : Vous êtes, Seigneur, souverainement équitable dans vos jugements, mais vous n'êtes pas moins compatissant à nos maux, ni moins charitable; vous exercez sur moi votre justice en m'affligeant, exercez encore sur moi-même votre miséricorde en me consolant : qu'elle agisse et qu'elle parle de la sorte, Dieu se laissera toucher à cette prière; il y prêtera l'oreille, et elle opérera dans le temps.

Je dis dans le temps marqué de Dieu. Il a ses moments, et ce n'est pas toujours sur l'heure ni dès le jour même qu'il calme la tempête, et qu'il remet une âme dans sa première tranquillité. Mais au bout de quelques heures, de quelques jours, ou extérieurement il la console par quelque événement auquel elle ne s'attendait pas, et qui lui présente une scène toute nouvelle et plus agréable, ou il la fortifie intérieurement par quelque réflexion qui lui fait envisager les choses sous des idées moins tristes et moins fâcheuses. Car comme la plupart de nos chagrins ne viennent que d'une imagination blessée, il ne faut assez communément qu'une vue, qu'une réflexion, pour dissiper le nuage qui enveloppait l'esprit, et qui le plongeait dans une noire mélancolie. Dans un instant on ne se reconnaît plus, on n'est plus le même ; ce qui semblait un monstre ne paraît plus qu'un vain fantôme ; on a honte de sa faiblesse passée; et, de l'abattement où l'on est tombé, on se relève et on rentre dans la paix. Qui fait tout cela? c'est qu'on na pas oublié Dieu, et qu'on s'est tourné vers Dieu. De là cet important avis de l'apôtre saint toques : Si quelqu'un est dans la tristesse, qu'il prie (1). Peut-être Dieu tardera-t-il un peu à venir et à ramener la sérénité : mais ne cessons point de prier. La prière, comme la parole de Dieu, produit son fruit dans la patience (2).

 

1 Jac, V, 13. — 2 Fructum afferunt in patientia. (Luc, VIII, 15.)

 

C'est de quoi nous avons, sinon un exemple, du moins une figure, dans la personne de Jésus-Christ. Ce divin Sauveur se voyant à la veille de cette sanglante passion où la justice de son Père l'avait condamné, et sentant le trouble et les agitations de son âme, ne cherche point ailleurs de soulagement à sa peine que dans la prière (1). S'il eût suivi l'attrait et le sentiment naturel, il se fût arrêté avec ses apôtres, il leur eût déchargé son cœur, il leur eût représenté l'extrémité des maux qui lui pendaient sur la tête, et la rigueur du supplice qu'il allait subir. C'eût été pour lui une espèce d'adoucissement, de les entretenir, de les écouter, de recevoir les témoignages de leur zèle, de leur attachement à sa personne, de leur compassion. Mais il connaissait trop combien il y a peu de fond à faire sur les hommes, et combien peu l'on en peut attendre de solides secours dans les adversités de la vie. Il l'éprouvait même sur l'heure : à peine ses apôtres faisaient-ils quelque attention à ce qu'il leur disait, à peine l'écoutaient-ils; ils demeuraient plongés dans le sommeil, et ne lui répondaient pas une parole.

Que lui restait-il donc? la prière : mais une prière humble et soumise, mais une prière continue et prolongée pendant des heures entières, mais une prière fréquente et réitérée jusqu'à trois fois sur le même sujet et dans la même conjoncture. Et en quoi consistait-elle, cette prière? à quoi se réduisait-elle? elle ne consistait point en de longs discours ; mais, selon le rapport des évangélistes, elle se réduisait à quelques mots entrecoupés qu'il prononçait et qu'il répétait de temps en temps. Du reste, il se tenait prosterné devant son Père, il se soumettait à ses ordres, il acceptait ses arrêts, il attendait dans le silence que ce Père tout-puissant et tout miséricordieux jetât sur lui un regard favorable, qu'il le rassurât, qu'il le fortifiât, qu'il lui rendit la tranquillité et le calme.

Chose admirable, et merveilleux effet de la prière ! Il semblait que le ciel fût insensible aux gémissements et aux vœux redoublés de ce Dieu Sauveur. Il priait, il se remettait a prier ; et, sans se rebuter, il recommençait encore tout de nouveau ; mais ses inquiétudes, ses alarmes, ses ennuis, ses combats intérieurs, bien loin de lui donner quelque relâche, croissaient au contraire jusqu'à le faire tomber en défaillance, et à lui causer une sueur de sang. Tout cela est vrai : mais tout cela n'était point

1 Luc., XXII, 41.

 

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une preuve de l'inutilité de sa prière. Elle devait agir dans peu, et le moment approchait où il en devait sentir l'efficace. Il vint, ce moment : la prière, ou, pour mieux dire, la grâce d'en-haut, fruit ordinaire de la prière, eut bientôt dissipé ses frayeurs, relevé son courage, et fait succéder dans son âme, aux plus violents orages, la sérénité la plus parfaite. Quelle heureuse et quelle subite révolution dans les sentiments et les dispositions de son cœur! Avant que de prier, et jusque dans l'exercice de la prière, il était tout interdit, tout abattu, tout désolé; mais sa prière finie, ce fut tout-à-coup, pour ainsi dire, comme un autre homme. Plus rien qui l'étonnât, plus rien qui le déconcertât, plus rien qui pût altérer sa fermeté désormais inébranlable, et cette nouvelle force dont il se trouve revêtu.

D'où nous pouvons juger quelle est l'illusion, non-seulement de tant de mondains, mais de tant de chrétiens même et de personnes pieuses qui, par l'aveuglement le plus déplorable, quittent le remède lorsqu'ils en ont un besoin plus pressant ; je veux dire qui, dans l'affliction, se retirent de la prière et la négligent, lorsque la prière leur est plus nécessaire et qu'ils en peuvent tirer plus d'avantage. Car voilà l'erreur : on est rempli d'amertume, on a dans l'esprit mille pensées qui l'attristent et qui le tourmentent, on a dans le cœur mille mouvements qui le saisissent, qui l'irritent, qui le soulèvent. Que faire en cette situation pénible et douloureuse? on se persuade pouvoir alors se distraire avec plus de liberté, on se croit en droit de s'émanciper, et de laisser ainsi pendant quelque temps mûrir la plaie et se fermer ; on retranche de ses pratiques journalières, on abrège ses prières les plus communes, bien loin d'en ajouter de nouvelles ; c'est-à-dire qu'on se prive de la plus sûre et même de Tunique ressource qu'on puisse avoir, et que, par un égarement pitoyable, on cherche sa consolation où elle n'est pas, sans la chercher où elle est, et où tant d'autres l'ont trouvée avant nous. On la trouverait à un autel, on la trouverait à un oratoire et au pied du crucifix ; on la trouverait dans une méditation, dans une communion ; on la trouverait partout, dès que l’âme s'élèverait à Dieu et le réclamerait en implorant son assistance.

On me dira : Mais le moyen de prier, lorsqu'on est sans cesse obsédé du sujet qui nous chagrine, et qu'on ne peut presque penser à autre chose, ni être touché d'autre chose? Dans ce renversement et ce bouleversement de l’âme, pour s'exprimer de la sorte, est-on maître de recueillir son esprit, et est-on maître d'affectionner son cœur? Ah ! j'en conviens, et telle est notre misère, il y a de ces temps orageux où l'on n'est proprement maître ni de son esprit par rapport à l'attention que demande la prière, ni de son cœur par rapport à une certaine affection. Mais prions au moins comme nous le pouvons : or nous le pouvons toujours, puisqu'au moins nous sommes toujours maîtres d'aller nous présenter devant Dieu, et de nous tenir auprès de Dieu. Cette seule présence parlera pour nous, et dira confusément tout ce que nous ne pourrons dire distinctement et en détail. Ainsi le prophète Jérémie, dans une posture de suppliant, et prosterné aux pieds du Seigneur, se contentait de lui représenter sa peine : Voyez, mon Dieu, considérez en quelle affliction je me trouve (1). Ce langage se fait entendre à Dieu : il en démêle tout le sens, et il est très-disposé à y répondre.

Mais j'ai prié, et je n'éprouve point que j'en sois mieux. Peut-être n'en êtes-vous pas mieux actuellement, ou peut-être avez-vous quelque lieu de le croire, parce que votre sensibilité est toujours la même ; mais retournez à la prière, persévérez dans la prière, demeurez-y et attendez le Seigneur. S'il diffère, il saura bien vous dédommager de ce délai. On ne perd rien avec lui, et il ne lui faut qu'un instant pour former le plus beau jour dans la plus épaisse nuit, et pour faire succéder la joie la plus pure aux plus amères douleurs. D'autres que vous en ont fait l'épreuve, et ils en ont tous rendu le même témoignage. Croyez-les, et mettez-vous en état de pouvoir bientôt vous-même en servir comme eux de témoin.

Mais je me sens bien : le chagrin qui me poursuit est plus fort que moi ; je n'eu reviendrai jamais. Jamais ! Hé ! qui êtes-vous, homme de peu de foi, pour mettre des bornes à la vertu de la grâce et à la douceur de son onction? est-il un cœur si serré qu'elle ne puisse ouvrir et où elle ne puisse pénétrer; et partout où elle s'insinue et elle pénètre, est-il une blessure si profonde, si envenimée, si cuisante, dont elle ne puisse amortir le sentiment? Vous avez mille voies, Seigneur, pour la répandre, cette onction sainte. Ces voies nous sont inconnues, mais c'est assez que vous les connaissiez. Votre esprit souffle où il veut, quand il veut, de la manière qu'il veut. Nous ne savons où il va, ni comment il y va; mais enfin il y va lorsqu'on a pris soin de l'y appeler, et il y porte

 

1 Thren., 1, 20.

 

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l'abondance de la paix. Oh ! qu'il est doux, cet esprit du Seigneur ! et, selon la parole de votre prophète, qu'il est doux, mon Dieu, pour ceux qui vous craignent ! Qu'est-ce donc pour ceux qui espèrent en vous, qui vous aiment et qui vous invoquent?

 

PRIÈRE  MENTALE  OU PRATIQUE DE LA MÉDITATION, SON IMPORTANCE A L'ÉGARD DES GENS DU MONDE.

 

Dans le dernier entretien que nous eûmes il y a quelque temps, je me hasardai à vous parler de la méditation ; mais vous en parûtes surpris, et vous me répondîtes d'un ton assez décisif que cela ne convenait guère à un homme du monde, surtout à un homme aussi occupé que vous l’êtes, et qu'il fallait renvoyer ces sortes d'exercices aux solitaires, aux religieux, à un petit nombre de personnes dévotes qui passent leurs jours dans la retraite. Voila votre pensée; mais permettez-moi de vous déclarer ici plus expressément la mienne, et d'insister tout de nouveau sur la proposition que je vous ai faite.

A vous en croire, une courte méditation chaque jour n'est point une pratique qui vous soit propre dans votre état ; mais pour vous détromper de cette erreur, je vais vous faire quelques questions qui vous sembleront fort étranges, et qui ne seront pas néanmoins hors de propos. Car quand vous me dites : Me convient-il de m'adonner à la méditation? je vous dis, moi, et je vous demande : Vous convient-il de vous sauver? Vous convient-il de conserver votre âme nette de tout péché capable de la perdre éternellement et de la damner ? vous convient-il, au milieu de tant de pièges, de tant d'écueils où votre condition vous expose par rapport à la conscience, de les découvrir tous et de les bien connaître , pour y prendre garde et pour les éviter? vous convient-il de savoir où vous en êtes avec Dieu, ce que vous devez à Dieu, comment vous vous en acquittez devant Dieu ; si, dans toute la conduite de votre vie, vous agissez selon les principes de l'Evangile et de la loi de Dieu? vous convient-il d'apprendre la religion que vous professez, d'en pénétrer les grandes vérités, et de vous en remplir; de n'oublier jamais les hautes espérances qu'elle vous donne, et les terribles menaces qu'elle vous fait ; de vous prémunir ainsi contre mille occasions, mille tentations, d'autant plus dangereuses qu'elle sont plus subtiles, et que peut-être vous ne le remarquez pas? Tout cela, dis-je, et le reste, vous convient-il dans le monde? Sans doute qu'étant chrétien comme vous prétendez l'être, vous n'hésiterez pas à reconnaître qu'il n'est rien de plus important pour vous, ni rien par conséquent de plus convenable , que tout ce que je viens de vous marquer : or tout ce que je viens de vous marquer dépend de la méditation ; et, par une suite incontestable, rien donc, en quelque état que vous soyez, ne vous convient mieux que la méditation.

Sans une sérieuse méditation sur le salut, comment travaillerez-vous solidement et efficacement à une affaire où les illusions sont si fréquentes et les égarements   si   communs? Comment vous maintiendrez-vous dans l'innocence chrétienne , si vous n'avez la crainte du péché dans le cœur? et comment vous imprimerez-vous dans l'âme cette crainte du péché, si vous ne vous appliquez souvent à considérer les puissants motifs qui vous en doivent inspirer de l'horreur? Comment, assailli de tant de passions également impétueuses et artificieuses, les réprimerez-vous et apercevrez-vous leurs déguisements et leurs surprises , si, par d'utiles retours sur vous-même, vous ne vous étudiez à démêler tous vos sentiments, et à rectifier toutes vos intentions ? Le moyen que, dans l'embarras et la diversité d'occupations qui vous répandent au dehors, vous ayez toujours présente la vue de vos devoirs, et que dans vos délibérations, dans vos résolutions, vous ne vous écartiez jamais des voies de la justice et de la charité, à moins que vous ne preniez sans cesse la balance du sanctuaire pour peser chaque chose devant Dieu , et pour examiner ce qu'il y a de bon et ce qu'il y a de défectueux? Le moyen qu'au milieu de tant de précipices dont vous êtes environné de toutes parts, n'ouvrant jamais les yeux pour mesurer vos démarches, et vous laissant aller au hasard, vous ne fassiez pas de tristes et  de funestes chutes? que, ne repassant jamais dans votre esprit la loi du Seigneur, vous en soyez assez instruit pour la pratiquer fidèlement et pleinement? que, ne vous retraçant jamais le souvenir des grandes vérités de la foi, des jugements de Dieu, de ses châtiments et de ses miséricordes, de votre fin dernière, d'une souveraine béatitude, d'un enfer, vous puissiez, sans être appuyé et comme armé de ces considérations, résister aux attaques de vos ennemis invisibles, et repousser leurs traits empoisonnés? Qu'en sera-t-il donc de vous? ce qu'il en est d'une multitude infinie de mondains qui manquent de réflexion, vivent dans des ignorances

 

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criminelles , commettent des fautes très-grièves , négligent les plus essentielles obligations, portent le nom de chrétien, et n'ont presque nulle teinture , nulle idée du christianisme; se font des règles et une morale à leur mode, les suivent sans scrupule, et courent à la perdition avec aussi peu d'inquiétude que s'ils étaient dans le chemin le plus sûr et le plus droit.

En vérité , l'on ne vous comprend pas, vous autres gens du monde; et, quoique éclairés d'ailleurs, vous êtes , au regard du salut, bien aveugles dans vos raisonnements. Vous tombez en des contradictions monstrueuses ; nous êtes les premiers à dire que le salut est une affaire capitale, et vous ne voulez pas vous donner le loisir d'y penser ; vous dites que c'est une affaire difficile et incertaine , et vous ne voulez faire nulle attention aux moyens d'y réussir et de l'assurer; vous dites que c'est une affaire indispensable et d'une nécessité absolue, et vous vous croyez dispensés des exercices qu'on y juge les plus propres , et qui peuvent le plus y contribuer : ainsi de tous les autres points que je pourrais parcourir, où vous supposez dans la spéculation les mêmes principes que nous , et vous tirez néanmoins , dans la pratique, des conclusions toutes contraires.

Vous faites plus ; et pour ne point sortir du sujet dont il s'agit entre nous , vous vous prévalez, contre l'usage de la méditation, de cela même qui doit être pour vous une raison plus pressante et plus particulière de vous y rendre assidu ; car vous alléguez le bruit, le tumulte, les soins, les engagements, les agitations du monde : tout votre temps, dites-vous, s'y consume, et à peine pouvez-vous vous reconnaître. Or voilà justement pourquoi vous avez plus besoin d'une solide méditation, afin que ce tumulte et ce bruit du monde ne vous jette point dans un oubli entier de Dieu , et de ce qui lui est dû ; afin que ces soins du monde, comme des épines , n'étouffent point dans vous le bon grain de la parole de Dieu, et qu'ils ne vous détournent point du soin de votre âme et de sa perfection ; afin que ces engagements du monde ne deviennent point pour vous des engagements d'iniquité , et que ce ne soient point des pierres de scandale où votre vertu se démente; afin que ces agitations du monde ne vous troublent point, et, si j'ose m'exprimer de la sorte, ne vous étourdissent point jusqu'à vous endurcir le cœur, et à vous ôter tout sentiment de piété : car c'est ce qui arrive communément.

Le dirai-je? et quelle peine aurais-je à le dire, puisque ce n'est point un paradoxe, mais une vérité certaine et indubitable ? Un solitaire, un religieux, une personne de piété et séparée du monde, quoique vivant dans le monde, pourraient plus aisément se passer de la méditation ; et la preuve en est très-naturelle : parce que dans le silence du désert, dans l'obscurité du cloître, dans le repos d'une vie pieuse et retirée, il y a beaucoup moins d'objets qui les puissent distraire, et qu'après tout, au défaut de la méditation, ils ont bien d'autres observances qui les attachent à Dieu, qui leur eu renouvellent à toute heure la pensée, qui, en cent manières différentes, leur remettent devant les yeux les maximes éternelles, et qui par là leur servent de préservatifs contre la dissipation de l'esprit, et tous les relâchements où elle serait capable de les porter. Mais dans le train de vie où vous êtes, et dans la situation où il vous met, si vous rejetez la sainte méthode que je vous prescris, et si vous refusez de vous y assujettir, que vous restera-t-il pour y suppléer?

Peut-être est-ce le terme de méditation qui vous choque : car la faiblesse du mondain va quelquefois jusque-là. On est prévenu contre tout ce qui a quelque apparence de vie dévote; et c'est assez d'entendre nommer certaines pratiques, pour en concevoir du dégoût, et pour traiter ceux qui nous les proposent, d'esprits simples et de gens qui ne savent pas le monde. Eh bien ! si le nom ne vous plaît pas, laissez-le, j'y consens ; mais retenez la chose : il importe peu du reste comment vous l'appellerez. Et ne me dites pas que vous ne savez point méditer, et que vous n'en avez nul usage : car je dis moi, au contraire, qu'il n'est rien dont nous ayons plus d'usage que de la méditation, et que sans étude nous savons méditer sur tout. Nous savons méditer sur une affaire temporelle, sur un intérêt de fortune; méditer sur un procès ou à poursuivre, ou à soutenir, ou à décider; méditer sur une entreprise, sur un emploi, sur un parti, sur un établissement, sur un mariage; méditer sur une intrigue politique, sur une négociation, sur un traite, sur un commerce ; méditer sur un ouvrage d'esprit, sur un point de doctrine, sur une question, une opinion de l'école; et s'il faut l'ajouter, méditer même sur un crime que nous projetons : c'est-à-dire que sur tout cela et sur tout le reste, dont le détail serait infini, nous savons réfléchir, raisonner, chercher des moyens. prendre des précautions, démêler le bien et le

 

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mal, le vrai et le faux ; ce qui convient et ce qui ne convient pas, ce qui peut profiter et ce qui peut nuire. C'est-à-dire que nous savons sur tout cela délibérer, examiner, peser les raisons, prévoir les obstacles, faire des arrangements, former des résolutions; c'est-à-dire nous savons penser à tout cela, en tous lieux, en tous temps, le matin, le soir, le jour, la nuit, et y penser sans ennui, sans distraction, avec l'attention la plus infatigable et la plus constante. Comment n'y aura-t-il que les choses de Dieu et que le salut à quoi nous ne puissions appliquer notre esprit, ni arrêter nos pensées? Comment sera-ce l'unique sujet sur quoi la méditation nous devienne ou nous semble impraticable? En deux mots, veillez, suivant l'importante leçon du Sauveur des hommes, et priez. Veillez et observez attentivement tous vos pas : pourquoi? parce que vous marchez dans un pays ennemi, et qu'à tout moment vous pouvez être surpris. Priez, et implorez humblement la grâce d'en-haut: pourquoi? parce que vous êtes faible, et que sans l'assistance divine vous ne pouvez vous détendre. Veillez, et votre vigilance rendra votre prière plus efficace auprès de Dieu; priez, et votre prière secondera votre vigilance par les secours qu'elle vous attirera de la part de Dieu. Or, pour l'un et pour l'autre, le même Sauveur vous donne encore cet avis, qui est de vous retirer à l'écart et de rentrer en vous-même, examinant devant Dieu toute votre conduite, vous demandant compte de toutes vos actions, supputant et vos progrès et vos pertes, prenant des mesures pour réparer le passé et pour réformer l'avenir, vous excitant, vous encourageant, vous adressant au ciel et l'intéressant en votre faveur. Il n'est point question d'y employer beaucoup de temps, mais d'être exact et régulier à y donner tous les jours quelque temps. Vous saurez bien le ménager, ce temps, et le trouver, dès que vous le voudrez ; et vous le voudrez dès que vous comprendrez bien le prix de votre âme, et combien il vous importe de la sauver.

Mais c'est ce que vous n'avez point encore compris comme il faut; et de ce que vous ne le comprenez pas, voilà pourquoi vous y pensez si peu. Vous pensez à tout autre chose, vous vous occupez de tout autre chose : hé ! ne penserez- vous jamais à vous-même ? jamais ne vous occuperez-vous de vous-même ? Car ce que j'appelle vous-même, ce ne sont point ces biens, ces plaisirs, ces honneurs mondains qui passent si vite, et à qui vous êtes néanmoins si attentif. Ce ne sont point toutes ces affaires ou domestiques, ou étrangères, qui ne regardent que des intérêts temporels, et dont vous avez sans cesse la tête remplie. Tout cela n'est point vous-même, puisque tout cela peut être séparé de vous, et qu'indépendamment de tout cela vous pouvez subsister, et être ou éternellement heureux ou éternellement malheureux. Mais vous-même, vous dis-je, c'est cette âme immortelle qui fait la plus noble partie de votre être, et que Dieu vous a confiée ; cette âme dont la perte serait pour vous le souverain malheur, quand vous pourriez posséder tout le reste, et dont le salut au contraire doit être votre souveraine béatitude, quand il ne vous resterait rien d'ailleurs, et que tout vous serait enlevé. Voilà, encore une fois, et à proprement parler, ce que vous êtes; et voilà par conséquent ce qui demande toutes vos réflexions. Or ces réflexions ne se font que par la méditation, et de là vous jugez avec quelle raison on vous recommande une pratique si salutaire.

 

USAGE DES   ORAISONS  JACULATOIRES, OU DES FRÉQUENTES   ASPIRATIONS   VERS  DIEU.

 

On demande assez communément des pratiques pour se recueillir au dedans de soi-même dans les différentes occupations de la vie. On se plaint du peu de loisir qu'on a pour vaquer à la prière, et pour se réveiller souvent et se renouveler en esprit par ce saint exercice. D'où il arrive que, malgré toutes les résolutions qu'on a prises à certains temps , une multitude d'affaires qui se succèdent les unes aux autres nous fait perdra le souvenir de Dieu, et que, dans cet oubli de Dieu, on se dissipe, on se relâche, on revient tout languissant, ou du moins qu'on agit d'une façon tout humaine et sans mérite. Or le remède le plus aisé, le plus prompt, comme aussi le plus efficace et le plus puissant, c'est ce qu'on appelle, selon le langage ordinaire, prières jaculatoires et dévotes élévations de l’âme à Dieu.

Ce sont certaines paroles vives et affectueuses par où l’âme s'élance vers Dieu , tantôt pour lui marquer sa confiance, tantôt pour le remercier de ses dons, tantôt pour exalter ses grandeurs, tantôt pour s'anéantir devant ses yeux: quelquefois pour fléchir sa colère, pour implorer sa miséricorde , toujours pour lui adresser d'humbles demandes et pour réclamer son secours. Ces prières sont courtes, et ne consistent qu'en quelques mots; mais ce sont des mots pleins d'énergie, et, si je l'ose

 

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dire, pleins de substance. De là vient qu'on les nomme prières jaculatoires, parce que ce sont comme des traits enflammés qui tout à coup partent de l'âme et percent le cœur de Dieu.

L'Ecriture et surtout les Psaumes nous fournissent une infinité de ces aspirations et c'est là particulièrement qu'on les peut choisir. Telle est, par exemple, celle-ci : Vous êtes le Dieu de mon cœur (1) ; ou cette autre : O mon Dieu et ma miséricorde (2) ; ou cette autre : Qui me donnera des ailes comme à la colombe , pour aller à vous, Seigneur, et me reposer en vous (3)? ou mille autres que je passe , et dont le détail serait trop long. Il y en a pareillement un très-grand nombre que Dieu avait inspirées aux saints, et qu'ils s'étaient rendues familières, comme celle de saint Augustin : Beauté si ancienne et toujours nouvelle : je vous ai aimée trop tard ; ou celle de saint François d'Assise : Mon Dieu et mon tout ; ou celle de sainte Thérèse : Souffrir ou mourir; ou celle de saint Ignace de Loyola : Que la terre est peu de chose pour moi, Seigneur, quand je regarde le ciel !

Quoique ces prières, quelles qu'elles soient, et quelques sentiments de piété qu'elles expriment , puissent être propres à tout le monde , dès là qu'elles nous élèvent et qu'elles nous portent à Dieu, il est vrai néanmoins qu'il y en a qui conviennent plus aux uns qu'aux autres. Car comme dans l'ordre de la nature les qualités et les talents sont différents, ainsi dans l'ordre de la grâce les dons du ciel ne sont pas les mêmes ; mais chacun a son attrait particulier qui le touche davantage, et qui fait sur son cœur une plus forte impression. Celui-là est plus susceptible d'une humilité et d'une crainte religieuse , et celui-ci d'un amour tendre et d'une confiance filiale. Or, c'est à nous, dans cette diversité, de prendre ce qui se trouve plus conforme à notre goût et à nos dispositions intérieures. L'expérience et la connaissance que nous avons de nous-mêmes doit nous le faire connaître.

Et il n'y a point à craindre que la continuité du même sentiment et une fervente répétition des mêmes paroles ne nous cause du dégoût et ne nous devienne ennuyeuse. Cela peut arriver et n'arrive en effet que trop dans les sentiments humains. Ils perdent, par l'habitude, toute leur pointe; ils se ralentissent, et n'ayant plus de quoi piquer une âme, ils viennent enfin à s'amortir tout à fait et à s'éteindre. De là ces vicissitudes et ces changements si ordinaires dans les amitiés et les sociétés du monde.

 

1 Psal., LXXII, 26. — 2 Ibid., LVIII. — 3 Ibid., LIV.

 

Ce ne sont que ruptures et que réconciliations perpétuelles, parce que le même objet ne plaît pas toujours également, et que d'un jour à l'autre le cœur prend de nouvelles vues et de nouvelles affections. Mais, selon la remarque de saint Grégoire, il y a dans les choses de Dieu cet avantage inestimable, que plus on les pratique, plus on les goûte; de même aussi que, par une suite bien naturelle, plus on les goûte, plus on les veut pratiquer. En sorte que le sentiment qu'elles ont une fois inspiré, au lieu de diminuer par l'usage, croît au contraire, et n'en a que plus d'onction.

Il n'est donc pas besoin de les interrompre, ni de les varier : le même exercice peut suffire dans tous les temps, et il n'y faut point d'autre assaisonnement que celui que la grâce y attache. A quoi se réduisait toute la prière de ce pieux solitaire, dont il est rapporté qu'il passait les journées et les nuits presque entières à dire seulement : Béni soit le Seigneur mon Dieu! Il le répétait sans cesse, et, après l'avoir dit mille fois, il se sentait encore plus excité aie redire. Car en ce peu de mots, il trouvait un fonds inépuisable de douceurs et de délices spirituelles. Il en était saintement ému et attendri ; il en était ravi, et comme transporté hors de lui-même. Ce n'est pas qu'il fût fort versé dans les méthodes d'oraison , ni qu'il en connût les règles : le mouvement de son cœur, joint à l'inspiration divine, voilà l'unique et la grande règle qu'il suivait. Avec cela le sujet le plus simple était pour lui la plus abondante matière et une source intarissable.

Il est vrai néanmoins qu'il y a des esprits à qui la variété plaît dans les pratiques mêmes de piété, et à qui elle est en effet nécessaire pour les soutenir, et pour les retirer de la langueur où autrement ils ne manquent point de tomber. Il est encore vrai que c'est là l'état le plus commun ; mais du reste, si c'est le notre, nous avons là-dessus de quoi pleinement nous satisfaire par l'infinie multitude de ces prières dont nous parlons, et qui sont répandues dans tous les livres saints. Est-on assailli de la tentation, et dans un danger prochain de succomber ; on peut dire alors comme les apôtres attaqués d'une rude tempête, et battus violemment de l'orage : Sauvez-nous, Seigneur; sans vous nous allons périr (1). Est-on dans le désordre du péché, et pense-t-on à en sortir; on peut dire, ou avec David pénitent : Tirez mon âme du fond de l’abîme, ô mon Dieu ! et souvenez-vous que c'est mon unique (2) ; ou avec

 

1 Matth., VIII. — 2 Psal., XXI.

 

le même prophète : Seigneur, vous ne mépriserez point un cœur contrit et humilié (1); ou avec le publicain prosterné à la porte du temple : Soyez-moi propice, mon Dieu : je suis un pécheur (2); ou avec l'enfant prodigue : Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre vous (3). Est-on dans l'affliction et dans la peine ; on peut dire, soit en reconnaissant la volonté de Dieu qui nous éprouve : Tout vient de vous, Seigneur, et vous êtes le maître; soit en se résignant et en acceptant : Vous le voulez, mon Dieu, et parce que vous le voulez, je le veux; soit en offrant à Dieu ses souffrances : Vous voyez, Seigneur, ce que je souffre et pour qui je le souffre; soit en cherchant auprès de Dieu du secours et du soulagement : Il vous a plu de m’affliger, Seigneur, et il ne tient qu'à vous de me consoler. Si nous sentons notre foi s'affaiblir et chanceler, disons : Je crois, mon Dieu; mais fortifiez et augmentez ma foi (4). Si nous sommes dans le découragement et que nous manquions de confiance, disons : Qu'ai-je à craindre, Seigneur ? et tant que vous serez mec moi, que peut tout l'univers contre moi (5) ; ou : Je puis tout en celui et avec celui qui me soutient (6). Si notre amour commence à se refroidir, et qu'il n'ait plus la même vivacité ni la même ardeur, disons : Embrasez mon cœur de votre amour, ô mon Dieu! et si je ne vous aime point assez, faites que je vous aime encore plus. Dans la vue des bienfaits de Dieu, nous nous écrierons : Qu'est-ce que l’homme, Seigneur, et par où ai-je mérité tant de grâces (7) ? Dans le souvenir et le désir de l'éternelle béatitude où Dieu nous appelle, nous dirons : Quand viendra le moment, et quand sera-ce que j'entrerai dans la joie de mon Seigneur et de mon Dieu (8) ? Dans la sainte résolution de nous attacher plus étroitement à Dieu, et de le servir avec plus de zèle que jamais, nous lui ferons la même protestation que le Roi-prophète : Je lai dit, Seigneur, c'est maintenant que je vais commencer (9); et nous ajouterons : Cet heureux renouvellement, ô mon Dieu! ce sera l’ouvrage de votre droite. Enfin, selon les conjonctures, les temps, et selon que nous nous trouverons touchés intérieurement et diversement affectionnés, nous userons de ces prières, et de tant d'autres que je ne marque pas, mais qu'il nous est aisé de recueillir conformément à notre dévotion, et d'avoir toujours présentes à la mémoire.

 

1 Psal., L, 19. — 2 Luc, XVIII, 13. — 3 Ibid., XV, 21. — 4 Matth., IX, 23.— 5 Psal., III, 7. — 6 Phil., IV, 13 — 7 Job., VII, 17. — 8 Matth., XXV, 21. — 9 Psal., LXXVI, 11.

 

Peut-être comptera-t-on pour peu des prières ainsi faites, et peut-être, à raison de leur brièveté, se persuadera-t-on qu'elles ne doivent pas être d'un grand poids devant Dieu. Mais le Sauveur des hommes nous a formellement avertis que le royaume de Dieu ne consiste point dans l'abondance des paroles. La droiture de l'intention, la force et l'ardeur du sentiment, voilà à quoi Dieu se rend attentif, voilà à quoi il se laisse fléchir ; et c'est en ce sens qu'on peut prendre ce qu'a dit le Sage : Qu'une courte prière pénètre les cieux. David dans un même péché avait commis un double crime, et le pardon de l'un et de l'autre ne devait être, ce semble, accordé qu'à de puissantes intercessions, longtemps et souvent réitérées ; mais dès qu'aux reproches que lui fait le prophète il s'est écrié : J'ai péché contre le Seigneur  (1) ; cette seule confession, que le repentir lui met dans la bouche, suffit pour apaiser sur l'heure la colère de Dieu. Bornons-nous à cet exemple, et ne parlons point de bien d'autres, non moins connus ni moins convaincants. On ne traite avec les grands du monde que par de fréquentes entrevues et de longues délibérations ; mais avec Dieu, tout peut se terminer dans un instant.

De tout ceci, concluons combien nous sommes  inexcusables, lorsque nous  négligeons une manière de prier qui nous doit coûter si peu, et qui nous peut être si salutaire. Car il n'est point ici question de profondes méditations ,  et il ne s'agit point d'employer des heures entières à l'oraison. Quand on le demanderait de nous, nous n'aurions communément, pour nous en dispenser, que de vains prétextes et de fausses raisons; mais ces raisons, après tout, quoique frivoles et mal fondées, ne laisseraient pas d'être spécieuses et d'avoir  quelque   apparence. Nous pourrions dire, et c'est en effet ce qu'on dit tous les jours, que nous manquons de temps, que nous sommes chargés de soins qui nous appellent ailleurs, que notreesprit, naturellement volage, nous échappe, et que nous avons peine à l'arrêter; que mille distractions viennent nous assaillir en foule et nous troubler, dès que nous nous mettons à l'oratoire, et que nous voulons rentrer en nous-mêmes; que d'avoir sans cesse à combattre pour les rejeter, c'est une étude, un travail, une espèce de tourment; en un mot, que nous ne sommes point faits à ces sortes d'exercices si relevés et si spirituels; et qu'ils ne nous conviennent en aucune façon.

 

1 2 Reg., XII, 13.

 

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Voilà, dis-je, de quelles excuses nous pourrions nous prévaloir, quoique avec assez peu de sujet; mais de tout cela que pouvons-nous alléguer par rapport à ces dévotes aspirations qui nous devraient être si habituelles? Sont-ce nos occupations qui nous détournent de cette sainte pratique, et qui nous ôtent le temps d'y vaquer? mais il n'y faut que quelques moments. Craignons-nous que cet exercice ne nous devienne ennuyeux ? mais quel ennui nous peut causer un instant qui coule si vite, et qui se l'ait à peine sentir? Dirons-nous que nous sommes trop distraits ? mais pour un simple mouvement du cœur, et pour quelques paroles que la bouche prononce , il ne faut pas une grande contention d'esprit, et il n'est guère à croire qu'on n'y puisse pas donner l'attention suffisante. Tout est terminé avant qu'aucun autre objet ait pu s'offrir à l'imagination et la porter ailleurs. Enfin, nous retrancherons-nous sur le peu de commodité par rapport aux occasions , aux heures, aux lieux convenables ? mais en toute rencontre, à toute heure, partout, et en quelque lieu que ce soit, il n'est rien qui nous empêche de rappeler le souvenir de Dieu, de nous tourner intérieurement vers lui, et de lui adresser nos vœux. Il n'est point besoin de préparation pour cela, il n'est point nécessaire de se retirer à l'écart, d'être au pied d'un autel, de quitter un travail dont on est actuellement occupé, ni d'interrompre une conversation où la bienséance nous a engagés et où elle nous retient.

Qu'avons-nous donc, encore une fois , à opposer, et quel obstacle réel et véritable peut servir à notre justification ? Reconnaissons-le de bonne foi : la source du mal, c'est notre indifférence pour Dieu, et pour tout ce qui regarde la perfection et la sanctification de notre âme. Si nous aimions Dieu, je dis si nous l'aimions bien, notre cœur, aidé de la grâce et entraîné par le poids de son amour , se porterait de lui-même à Dieu : il ne faudrait point alors nous inspirer les sentiments que nous aurions à prendre, ni les chercher ailleurs que dans le fond de notre âme ; et comme la bouche parle de l'abondance du cœur, il ne faudrait point nous suggérer des termes pour exprimer ce que nous sentons : ces expressions viendraient assez, et, sans recherche, sans étude, elles naîtraient, si je l'ose dire , sur nos lèvres. Nous en pourrions juger par une comparaison, si elle était convenable à une matière aussi sainte que celle-ci. Qu'un homme soit possédé d'un fol amour, et qu'il soit épris d'un objet profane et mortel, faut-il l'exhorter beaucoup et le solliciter de penser à la personne dont il est épris ? que dis-je? peut-il même n'y penser pas et l'oublier ? Tout absente qu'elle est, il ne la perd en quelque manière jamais de vue, et elle lui est toujours présente. Hélas ! à quoi tient-il que nous ne soyons ainsi nous-mêmes dans une présence continuelle de Dieu, mais dans une présence toute sainte et toute sanctifiante ?

Cette présence de Dieu est un des exercices que tous les maîtres de la vie chrétienne et dévote nous ont le plus recommandé. Ils nous en ont tracé diverses méthodes , toutes bonnes, toutes utiles ; mais de toutes les méthodes, je ne fais point difficulté d'avancer qu'il n'en est aucune, ni plus solide, ni plus à la portée de tout le monde, que de s'accoutumer, ainsi que je viens de l'expliquer et que je l'entends, à parler à Dieu de temps en temps dans le cours de chaque journée. La plupart des autres méthodes consistent en des efforts d'imagination qu'il est difficile de soutenir, et dont les effets peuvent être nuisibles, au lieu que celle-ci se présente comme d'elle-même, et ne demande aucune violence.

Elle a encore cet avantage, que, sans nom détourner des affaires dont nous sommes chargés, ni des fonctions auxquelles nous sommes indispensablement obligés de nous employer selon notre profession, elle nous met en état de pratiquer presque à la lettre cette importante leçon du Sauveur du monde, qu’il faut toujours prier et ne point cesser. Car n'est-ce pu une prière continuelle ? depuis le réveil du matin jusqu'au sommeil de la nuit, d'heure en heure, ou même plus souvent, on pense a Dieu , on dit quelque chose à Dieu, on se tient étroitement et habituellement uni à Dieu. Ce n'est pas sans retour de la part de Dieu, ni même sans le retour quelquefois le plus sensible. Dieu ne manque guère de répondre, et de faire entendre secrètement sa voix. On l'écoute. et on se sent tout animé, tout excité, tout peintre. Il y a même des moments où l'on se connaît à peine soi-même ; et c'est bien là que se vérifie ce que nous lisons dans l'excellent livre de l'Imitation de Jésus-Christ : Le Seigneur se plait à visiter souvent un homme intérieur ; il s'entretient doucement avec lui : il le comble de consolation et de paix, et il en vient même à une familiarité qui va au delà de tout ce que nous en pouvons comprendre. Heureuse une âme qui, sans bien comprendre ce mystère de la grâce, se trouve toujours en disposition de l'éprouver !

 

 

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