Lettres à la Rde Mère Agnès de Jésus. FRAGMENTS

Lettre Ire. Quelques mois avant l'entrée de Thérèse au Carmel. 1887.

Lettre IIe. Pendant sa retraite de Prise d'Habit.

Lettre IIIe.

Lettre IVe. Pendant sa retraite de Profession.

Lettre Ve.

Lettre VIe.

Lettre VIIe.

Lettre VIIIe.

 

Lettre Ire. Quelques mois avant l'entrée de Thérèse au Carmel. 1887.

 

MA PETITE MAMAN CHÉRIE,

 

Tu as raison de dire que la goutte de fiel doit être mêlée à tous les calices, mais je trouve que les épreuves aident beaucoup à se détacher de la terre ; elles font regarder plus haut que ce monde. Ici-bas rien ne peut nous satisfaire; on ne goûte un peu de repos qu'en étant prête à faire la volonté du bon Dieu.

Ma nacelle a bien de la peine à atteindre le port. Depuis longtemps le l'aperçois, et toujours je m'en trouve éloignée ; mais Jésus la guide, cette petite nacelle, et je suis sûre qu'au jour choisi par lui, elle abordera heureusement au rivage béni du Carmel. O Pauline! quand Jésus m'aura fait cette grâce, je veux me donner tout entière à lui, toujours souffrir pour lui, ne plus vivre que pour lui. Oh non ! je ne craindrai pas ses coups, car, même dans les souffrances les plus amères, on sent que c'est sa douce main qui frappe.

Et quand je pense que, pour une souffrance supportée avec joie, nous aimerons davantage le bon Dieu, toujours ! Ah ! si au moment de ma mort je pouvais avoir une être à offrir à Jésus, que je serais heureuse! Il y aurait une âme de moins dans l'enfer, une de plus à bénir le bon Dieu toute l'éternité !

 

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Lettre IIe. Pendant sa retraite de Prise d'Habit.

 

Janvier 1889.

 

...Dans mes rapports avec Jésus, rien : sécheresse ! sommeil ! Puisque mon Bien-Aimé veut dormir, je ne l'en empêcherai pas; je suis trop heureuse de voir qu'il ne me traite point comme une étrangère, qu'il ne se gêne pas avec moi. Il crible sa petite balle de piqûres d'épingles bien douloureuses. Quand c'est ce doux Ami qui perce lui-même sa balle, la souffrance n'est que douceur, sa main est si douce! Quelle différence avec celle des créatures !

Je suis pourtant heureuse, oui, bien heureuse de souffrir ! Si Jésus ne perce pas directement sa petite balle, c'est bien lui qui conduit la main qui la blesse! O ma Mère, si vous saviez jusqu'à quel point je veux être indifférente aux choses de la terre ! Que m'importent toutes les beautés créées ? Je serais bien malheureuse si je les possédais! Ah! que mon coeur me paraît grand, quand je le considère par rapport aux biens de ce monde, puisque tous réunis ne pourraient le contenter ; mais quand je le considère par rapport à Jésus, comme il me semble petit !

Qu'il est bon pour moi Celui qui sera bientôt mon Fiancé! qu'il est divinement aimable en ne permettant pas que je me laisse captiver par aucune chose d'ici-bas! Il sait bien que, s'il m'envoyait seulement une ombre de bonheur, je m'y attacherais avec toute l'énergie, toute la force de mon coeur ; et  cette ombre il me la refuse !... Il préfère me laisser dans les ténèbres, plutôt que de me donner une fausse lueur qui ne serait pas Lui.

Je ne veux pas que les créatures aient un seul atome de mon amour; je veux tout donner à Jésus, puisqu'il me fait comprendre que lui seul est le bonheur parfait. Tout sera pour lui, tout ! Et même quand je n'aurai rien à lui offrir, comme ce soir, je lui donnerai ce rien...

 

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Lettre IIIe.

 

1889.

……………….

Oui, je les désire ces blessures de coeur, ces coups d'épingle qui font tant souffrir!... A toutes les extases, je préfère le sacrifice. C'est là qu'est le bonheur pour moi, je ne le trouve nulle part ailleurs. Le petit roseau n'a pas peur de se rompre, car il est planté au bord des eaux de l'amour; aussi, lorsqu'il plie, cette onde bienfaisante le fortifie et lui fait désirer qu'un autre orage vienne à nouveau courber sa tête. C'est ma faiblesse qui fait toute ma force. Je ne puis me briser, puisque quelque chose qui m'arrive, je ne vois que la douce main de Jésus.

Rien de trop à souffrir pour conquérir la palme !

 

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Lettre IVe. Pendant sa retraite de Profession.

 

Septembre 1890.

MA MÈRE CHÉRIE,

 

Il faut que votre petit solitaire vous donne l'itinéraire de son voyage.

Avant de partir, mon Fiancé m'a demandé dans quel pays je voulais voyager, quelle route je désirais suivre. Je lui ai répondu que je n'avais qu'un seul désir, celui de me rendre au sommet de la Montagne de l'AMOUR.

Aussitôt, des routes nombreuses s'offrirent à mes regards; mais il y en avait tant de parfaites que je me vis incapable d'en choisir aucune de mon plein gré. Je dis alors à mon divin Guide : Vous savez où je désire me rendre, vous savez pour qui je veux gravir la montagne, vous connaissez Celui que j'aime et que je veux contenter uniquement. C'est pour lui seul que j'entreprends ce voyage, menez-moi donc par les sentiers de son choix ; pourvu qu'il soit content, je serai au comble du bonheur.

Et Notre-Seigneur me prit par la main et me fit entrer dans un souterrain où il ne fait ni froid ni chaud, où le soleil ne luit pas, où la pluie et le vent n'ont pas d'accès; un souterrain où je ne vois rien qu'une clarté à demi voilée, la clarté que répandent autour d'eux les yeux baissés de la Face de Jésus.

Mon Fiancé ne me dit rien, et moi je ne lui dis rien non plus, sinon que je l'aime plus que moi, et je sens au fond de mon coeur qu'il en est ainsi, car je suis plus à lui qu'à moi.

Je ne vois pas que nous avancions vers le but de notre voyage, puisqu'il s'effectue sous terre ; et pourtant il me semble, sans savoir comment, que nous approchons du sommet de la montagne.

Je remercie mon Jésus de me faire marcher dans les ténèbres ; j'y suis dans une paix profonde. Volontiers, je consens à rester toute ma vie religieuse dans ce souterrain obscur où il m'a fait entrer; je désire seulement que mes ténèbres obtiennent la lumière aux pécheurs.

Je suis heureuse, oui, bien heureuse de n'avoir aucune consolation ; j'aurais honte que mon amour ressemblât à celui des fiancées de la terre qui regardent toujours les

mains de leurs fiancés pour voir s'ils ne leur apportent pas quelque présent ; ou bien leur visage, pour y surprendre un sourire d'amour qui les ravit.

Thérèse, la petite fiancée de Jésus, aime Jésus pour lui-même; elle ne veut regarder le visage de son Bien-Aimé qu'afin d'y surprendre des larmes qui la ravissent par leurs charmes cachés. Ces larmes, elle veut les essuyer, elle veut les recueillir, comme des diamants inestimables, pour en broder sa robe de noces.

Jésus! Je voudrais tant l'aimer! L'aimer comme jamais il n'a été aimé...

A tout prix, je veux cueillir la palme d'Agnès; si ce n'est par le sang, il faut que ce soit par l'Amour...

 

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Lettre Ve.

1890.

 

L'amour peut suppléer à une longue vie. Jésus ne regarde pas au temps puisqu'il est éternel. Il ne regarde qu'à l'amour. O ma petite Mère, demandez-lui de m'en donner beaucoup! Je ne désire pas l'amour sensible; pourvu qu'il soit sensible pour Jésus, cela me suffit. Oh! l'aimer et le faire aimer, que c'est doux! Dites-lui de me prendre le jour de ma Profession si je dois encore l'offenser, car je voudrais emporter au Ciel la robe blanche de mon second baptême, sans aucune souillure. Jésus peut m'accorder la grâce de ne plus l'offenser ou bien de ne faire que des fautes qui ne l'offensent pas, qui ne lui fassent pas de peine, mais ne servent qu'à m'humilier et à rendre mon amour plus fort.

Il n'y a aucun appui à chercher hors de Jésus. Lui seul est immuable. Quel bonheur de penser qu'il ne peut changer!

 

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Lettre VIe.

1891

 

MA PETITE MÈRE CHÉRIE,

 

Oh! que votre lettre m'a fait de bien ! Ce passage a été lumineux pour mon âme : « Retenons une parole qui pourrait nous élever aux yeux des autres. » Oui, il faut tout garder pour Jésus avec un soin jaloux; c'est si bon de travailler pour lui tout seul ! Alors, comme le coeur est rempli de joie! comme l'âme est légère!...

Demandez à Jésus que son grain de sable lui sauve beaucoup d'âmes en peu de temps, pour voler plus promptement vers sa Face adorée.

 

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Lettre VIIe.

 

1892.

Voici le rêve d'un grain de sable : Jésus seul!... rien que lui ! Le grain de sable est si petit que, s'il voulait ouvrir son coeur à un autre qu'à Jésus, il n'y aurait plus de place pour ce Bien-Aimé.

Quel bonheur d'être si bien cachées que personne ne pense à nous, d'être inconnues, même aux personnes qui vivent avec nous! O ma petite Mère ! comme je désire être inconnue de toutes les créatures ! Je n'ai jamais désiré la gloire humaine, le mépris avait eu de l'attrait pour mon coeur; mais, ayant reconnu que c'était encore trop glorieux pour moi, je me suis passionnée pour l'oubli.

La gloire de mon Jésus, voilà toute mon ambition; la mienne, je la lui abandonne; et s'il semble m'oublier, eh bien ! il est libre, puisque je ne suis plus à moi, mais à Lui. Il se lassera plus vite de me faire attendre que moi de l'attendre !

 

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Lettre VIIIe.

28 mai 1897.

 

Ce jour-là, tandis que la Bienheureuse Thérèse de l'Enfant-Jésus souffrait d'un fort accès de fièvre, une de nos soeurs vint lui demander son concours immédiat pour un travail de peinture difficile à exécuter; un instant, son visage trahit le combat intérieur, ce dont s'aperçut Mère Agnès de Jésus qui était présente. Le soir Thérèse lui écrivit cette lettre :

 

MA MÈRE BIEN-AIMÉE,

 

Tout à l'heure votre enfant a versé de douces larmes; des larmes de repentir, mais plus enduré de reconnaissance et d'amour. Aujourd'hui je vous ai montré ma vertu, mes trésors de patience ! Et moi qui prêche si bien les autres! Je suis contente que vous ayez vu mon imperfection. Vous ne m'avez pas grondée... cependant je le méritais; mais en toute circonstance, votre douceur m'en dit plus long que des paroles sévères ; vous êtes pour moi l’image de la divine miséricorde.

Oui, mais Soeur ***, au contraire, est ordinairement l'image de la sévérité du bon Dieu. Eh bien, je viens de la rencontrer. Au lieu de passer froidement près de moi, elle m'a embrassée en me disant : « Pauvre petite soeur, vous m'avez fait pitié! Je ne veux pas vous fatiguer, laissez l'ouvrage que je vous ai demandé, j'ai eu tort. »

Moi qui sentais dans mon coeur la contrition parfaite, je fus bien surprise de ne recevoir aucun reproche. Je sais bien qu'au fond elle doit me trouver imparfaite; c'est parce qu'elle croit à ma mort prochaine qu'elle m'a ainsi parlé. Mais n'importe, je n'ai entendu que des paroles douces et tendres sortir de sa bouche; alors je l'ai trouvée bien bonne, et moi je me suis trouvée bien méchante!

En rentrant dans notre cellule, je me demandais ce que Jésus pensait de moi. Aussitôt, je me suis rappelé ce qu'il dit un jour à la lemme adultère : « Quelqu'un t'a-t-il condamnée (1) ? » Et moi, les larmes aux yeux, je lui ai répondu « Personne, Seigneur... ni ma petite Mère, image de votre tendresse, ni ma Soeur ***, image de votre justice; et je sens bien que je puis aller en paix, car vous ne me condamnerez pas non plus ! »

O ma Mère bien-aimée, je vous l'avoue, je suis bien plus heureuse d'avoir été imparfaite que si, soutenue par la grâce, j'avais été un modèle de patience. Cela me fait tant de bien de voir que Jésus est toujours aussi doux, aussi tendre pour moi. Vraiment, il y a de quoi, mourir de reconnaissance et d'amour.

Ma petite Mère, vous comprendrez que, ce soir, le vase de la miséricorde divine a débordé pour votre enfant. Ah! dès à présent, je le reconnais : oui, toutes mes espérances seront comblées... oui, le Seigneur fera pour moi des merveilles qui surpasseront infiniment mes immenses désirs...

 

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