Lettres à Soeur Françoise-Thérèse (1).

Lettre Ire.

Lettre IIe.

Lettre IIIe.

Lettre IVe.

 

Lettre Ire.

 

13 août 1893.

CHÈRE PETITE SOEUR Thérèse,

 

Tes voeux sont donc comblés! Comme la colombe sortie de l'arche, tu ne pouvais trouver sur la terre du monde où poser le pied, tu as volé longtemps, cherchant à rentrer dans la demeure bénie où ton coeur avait pour jamais fixé son séjour. Jésus s'est fait attendre, mais enfin les gémissements de sa colombe l'ont touché, il a étendu sa main divine, il l'a prise et l'a placée dans son Coeur, dans le tabernacle de son amour.

Ah ! sans doute, ma joie est toute spirituelle puisque désormais je ne dois plus te revoir ici-bas, je ne dois plus entendre ta voix en épanchant mon cœur dans le tien. Mais je sais que la terre est un lieu de passage, nous sommes des voyageurs qui cheminons vers notre patrie; qu'importe si la route que nous suivons n'est pas absolument la même, puisque notre terme unique c'est le Ciel, où nous serons réunies pour ne plus nous quitter. C'est là que nous goûterons éternellement les joies de la famille... Que de choses nous aurons à nous dire après l'exil de cette vie ! Ici-bas la parole est impuissante, mais là-haut un seul regard suffira pour nous comprendre et, je le crois, notre joie sera alors plus grande que si jamais nous ne nous étions séparées.

En attendant, il nous faut vivre de sacrifices, sans cela la vie religieuse serait-elle méritoire? Non, n'est-ce pas! Comme on nous le disait dans une instruction : « Si les chênes des forêts atteignent une si grande hauteur, c'est parce que, pressés de tous côtés, ils ne dépensent pas leur sève à pousser des branches à droite et à gauche, mais s'élèvent droit vers le ciel. Ainsi, dans la vie religieuse, l'âme se trouve pressée de toutes parts par sa règle, par l'exercice de la vie commune, et il faut que tout lui devienne un moyen de s'élever très haut vers les Cieux. »

Ma soeur bien-aimée, prie pour ta petite Thérèse afin qu'elle profite de l'exil de la terre et des moyens abondants qu'elle a pour mériter le Ciel...

 

1 Presque toutes les lettres adressées par la Bienheureuse à sa soeur Léonie, ont été perdues. On n'a retrouvé que celles-ci.

 

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Lettre IIe.

 

Janvier 1895.

CHÈRE PETITE SOEUR,

 

Comme l'année qui vient de s'écouler a été fructueuse pour le Ciel !... Notre père chéri a vu ce que « l'œil de l'homme ne peut contempler », il a entendu l'harmonie des anges... et son coeur comprend, son âme jouit des récompenses que Dieu a préparées à ceux qui l’aiment!... Notre tour viendra aussi ; oh! qu'il est doux de penser que nous voguons vers l'éternel rivage!

Ne trouves-tu pas, comme moi, que le départ de notre père bien-aimé nous a rapprochées des Cieux ? Plus de la moitié de la famille jouit maintenant de la vue de Dieu, et les cinq exilées ne tarderont pas à s'envoler vers leur Patrie. Cette pensée de la brièveté de la vie me donne du courage, elle m'aide à supporter les fatigues du chemin. « Qu'importe un peu de travail sur la terre, nous passons et n'avons point ici de demeure permanente (1) ! »

Pense à ta Thérèse pendant ce mois consacré à l'Enfant

 

1 Hebr., XIII, 14.

 

Jésus, demande-lui qu'elle reste toujours petite, toute petite!... Je lui ferai pour toi la même prière, car je connais tes désirs et je sais que l'humilité est ta vertu préférée.

Laquelle des Thérèse sera la plus fervente ? Celle qui sera la plus humble, la plus unie à Jésus, la plus fidèle à faire toutes ses actions par amour. Ne laissons passer aucun sacrifice, tout est si grand dans la vie religieuse... Ramasser une épingle par amour peut convertir une âme! C'est Jésus qui seul peut donner un tel prix à nos actions, aimons-le donc de toutes nos forces...

 

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Lettre IIIe.

 

12 juillet 1896.

 

MA CHÈRE PETITE LÉONIE,

 

J'aurais répondu à ta lettre dimanche dernier, si elle m'avait été donnée; mais tu sais qu'étant la plus petite, je suis exposée à ne voir les lettres que bien après mes soeurs, ou même pas du tout... Ce n'est que vendredi que j'ai lu la tienne, ainsi pardonne-moi si je suis en retard.

Oui, tu as raison, Jésus se contente d'un regard, d'un soupir d'amour. Pour moi, je trouve la perfection bien facile à pratiquer, parce que j'ai compris qu'il n'y a qu'à prendre Jésus par le coeur. Regarde un petit enfant qui vient de fâcher sa mère, soit en se mettant en colère ou bien en lui désobéissant; s'il se cache dans un coin avec un air boudeur et qu'il crie dans la crainte d'être puni, sa maman ne lui pardonnera certainement pas sa faute ; mais s'il vient lui tendre ses petits bras en disant : « Embrasse-moi, je ne recommencerai plus », est-ce que sa mère ne le pressera pas aussitôt sur son coeur avec tendresse, oubliant tout ce qu'il a fait?... Cependant elle sait bien que son cher petit recommencera à la prochaine occasion, mais cela ne fait rien, et, s'il la prend encore par le coeur, jamais il ne sera puni.

Au temps de la loi de crainte, avant la venue de Notre-Seigneur, le prophète Isaïe disait déjà en parlant au nom du Roi des Cieux : « Une mère peut-elle oublier son enfant?... Eh bien ! quand même une mère oublierait son enfant, moi, je ne vous oublierai jamais (1). » Quelle ravissante promesse ! Ah ! nous qui vivons sous la loi d'amour, comment ne pas profiter des amoureuses avances que nous fait notre Epoux ? Comment craindre Celui qui se laisse enchaîner par un cheveu qui vole sur notre cou (2) ? Sachons donc le retenir prisonnier, ce Dieu qui devient le mendiant de notre amour. En nous disant que c'est un cheveu qui peut opérer ce prodige, il nous montre que les plus petites actions faites par amour sont celles qui charment son Coeur. Ah! s'il fallait faire de grandes choses, combien serions-nous à plaindre! Mais que nous sommes heureuses, puisque Jésus se laisse enchaîner par les plus petites!... Ce ne sont pas les petits sacrifices qui te manquent, ma chère Léonie, ta vie n'en est-elle pas composée? Je me réjouis de te voir en face d'un pareil trésor et surtout en pensant que tu sais en profiter, non seulement pour toi, mais encore pour les pauvres pécheurs. Il est si doux d'aider Jésus à sauver les âmes qu'il a rachetées au prix de son sang, et qui n'attendent que notre secours pour ne pas tomber dans l'abîme.

Il me semble que, si nos sacrifices captivent Jésus, nos joies l'enchaînent aussi ; pour cela il suffit de ne pas se concentrer dans un bonheur égoïste, mais d'offrir à notre Epoux les petites joies qu'il sème sur le chemin de la vie, pour charmer nos coeurs et les élever jusqu'à lui.

Tu me demandes des nouvelles de ma santé. Eh bien, je ne tousse plus du tout. Es-tu contente ? Cela n'empêchera pas le bon Dieu de me prendre quand il voudra. Puisque je lais tous mes efforts pour être un tout petit entant, je n'ai pas

de préparatifs à faire. Jésus doit lui-même payer tous les frais du voyage et le prix d'entrée au Ciel !

Adieu, ma soeur bien-aimée, n'oublie pas, près de lui, la dernière, la plus pauvre de tes soeurs.

 

1 Is., XLIX, 15.

2 Cant., IV, 9.

 

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Lettre IVe.

 

17 juillet 1897.

 

MA CHÈRE LÉONIE,

 

Je suis bien heureuse de pouvoir m'entretenir avec toi, il y a quelques jours je ne pensais plus avoir cette consolation sur la terre; mais le bon Dieu paraît vouloir prolonger un peu mon exil. Je ne m'en afflige pas, car je ne voudrais point entrer au Ciel une minute plus tôt par ma propre volonté. L'unique bonheur ici-bas, c'est de s'appliquer à toujours trouver délicieuse la part que Jésus nous donne ; la tienne est bien belle, ma chère petite soeur. Si tu veux être une sainte cela te sera facile, n'aie qu'un seul but : faire plaisir à Jésus, t'unir toujours plus intimement à lui.

……………………………………….

Adieu, ma soeur chérie, je voudrais que la pensée de mon entrée au Ciel te remplisse de joie, puisque je pourrai plus que jamais te prouver ma tendresse. Dans le Coeur de notre céleste Epoux, nous, vivrons de la même vie, et pour l'éternité je resterai

 

Ta toute petite soeur,

Thérèse de l'Enfant-Jésus.

 

 

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