A sa cousine Marie Guérin.

 

Lettre Ire.

Lettre IIe.

 

Lettre Ire.

 

Avant de recevoir tes confidences (à propos des scrupules), je pressentais tes angoisses; mon coeur était uni au tien. Puisque tu as l'humilité de demander des conseils à ta petite Thérèse, elle va te dire ce qu'elle pense. Tu m'as causé beaucoup de peine en laissant tes communions, parce que tu en as causé à Jésus. Il faut que le démon soit bien fin pour tromper ainsi une âme ! Ne sais-tu pas, ma chérie, que tu lui fais atteindre ainsi le but de ses désirs ? Il n'ignore pas, le perfide, qu'il ne peut faire pécher une âme qui veut être toute au bon Dieu; aussi, s'efforce-t-il seulement de lui persuader qu'elle pèche. C'est déjà beaucoup; mais, pour sa rage, ce n'est pas encore assez... il poursuit autre chose : il veut priver Jésus d'un tabernacle aimé. Ne pouvant entrer, lui, dans ce sanctuaire, il veut du moins qu'il demeure vide et sans maître. Hélas ! que deviendra ce pauvre coeur?... Quand le diable a réussi à éloigner une âme de la communion, il a tout gagné, et Jésus pleure !...

O ma petite Marie, pense donc que ce doux Jésus est là, dans le Tabernacle, exprès pour toi, pour toi seule, qu'il brûle du désir d'entrer dans ton coeur. N'écoute pas le démon, moque-toi de lui, et va sans crainte recevoir le Jésus de la paix et de l'amour.

Mais je t'entends dire : Thérèse pense cela parce qu'elle ne sait pas mes misères... Si, elle sait bien, elle devine tout, elle t'assure que tu peux aller sans crainte recevoir ton seul Ami véritable. Elle a'aussi passé par le martyre du scrupule, mais Jésus lui a fait la grâce de communier toujours, alors même qu'elle pensait avoir commis de grands péchés. Eh bien, je t'assure qu'elle a reconnu que c'était le seul moyen de se débarrasser du démon; s'il voit qu'il perd son temps, il nous laisse tranquilles.

Non, il est impossible qu'un coeur dont l'unique repos est de contempler le Tabernacle — et c'est le tien, me dis-tu — offense Notre-Seigneur au point de ne pouvoir le recevoir. Ce qui offense Jésus, ce qui le blesse au Coeur, c'est le manque de confiance.

Prie-le beaucoup, afin que tes plus belles années ne se passent pas en craintes chimériques. Nous n'avons que les courts instants de la vie à dépenser pour la gloire de Dieu ; le diable le sait bien ; c'est pour cela qu'il essaie de nous les faire consumer en travaux inutiles. Petite soeur chérie, communie souvent, bien souvent, voilà le seul remède si tu veux guérir.

 

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Lettre IIe.

 

1894

 

Tu ressembles à une petite villageoise qu'un roi puissant demanderait en mariage, et qui n'oserait accepter sous prétexte qu'elle n'est pas assez riche, qu'elle est étrangère aux usages de la cour. Mais son royal fiancé ne connaît-il pas mieux qu'elle sa pauvreté et son ignorance?

Marie, si tu n'es rien, oublies-tu que Jésus est tout? Tu n'as qu'à perdre ton petit rien dans [son infini tout, et à ne plus penser qu'à ce tout uniquement aimable.

Tu voudrais voir, me dis-tu, le fruit de tes efforts? C'est justement ce que Jésus veut te cacher. Il se plaît à regarder tout seul ces petits fruits de vertu que nous lui offrons et qui le consolent.

Tu te trompes, ma chérie, si tu crois que ta Thérèse marche avec ardeur dans le chemin du sacrifice :elle est faible, bien faible ; et, chaque jour, elle en fait une nouvelle et salutaire expérience. Mais Jésus se plaît à lui communiquer la science de se glorifier de ses infirmités (1). C'est une grande grâce que celle-là, et je le prie de te la donner, car dans ce sentiment se trouvent la paix et le repos du coeur. Quand on se voit si misérable, on ne veut plus se considérer; on regarde seulement l'unique Bien-Aimé.

Tu me demandes un moyen pour arriver à la perfection. Je n'en connais qu'un seul : L'AMOUR. Aimons, puisque notre coeur n'est fait que pour cela. Parfois, je cherche un autre mot pour exprimer l'amour; mais sur la terre d'exil, la parole qui commence et finit (2) est bien impuissante à rendre les vibrations de l'âme; il faut donc s'en tenir à ce mot unique et simple AIMER.

Mais à qui notre pauvre coeur prodiguera-t-il l'amour ? Qui donc sera assez grand pour recevoir ses trésors? Un être humain saura-t-il les comprendre? et surtout, pourra-t-il les rendre? Marie, il n'existe qu'un Etre pour comprendre l'amour: c'est notre Jésus; Lui seul peut nous rendre infiniment plus que nous ne lui donnerons jamais...

 

1 II Cor., XI, 5. — 2 Saint Augustin.

 

 

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