Aux deux missionnaires ses Frères spirituels. FRAGMENTS

 

Lettre Ire.

Lettre IIe.

Lettre IIIe.

Lettre IVe.

Lettre Ve.

Lettre VIe.

Lettre VIII.

Lettre VIIIe.

Lettre IXe.

Lettre Xe.

 

Lettre Ire.

26 décembre 1895.

 

Notre-Seigneur ne nous demande jamais de sacrifice audessus de nos forces. Parfois, il est vrai, ce divin Sauveur nous fait sentir toute l'amertume du calice qu'il présente à notre âme. Lorsqu'il demande le sacrifice de tout ce qui est le plus cher au monde, il est impossible, à moins d'une grâce toute particulière, de ne pas s'écrier comme lui au jardin de l'Agonie : « Mon Père, que ce calice s'éloigne de moi... » Mais empressons-nous d'ajouter aussi : « Que votre volonté soit faite et non la mienne (1). » Il est bien consolant de penser que Jésus, le divin Fort, a connu toutes nos faiblesses, qu'il a tremblé à la vue du calice amer, ce calice qu'il avait autrefois si ardemment désiré.

Monsieur l'Abbé, votre part est vraiment belle, puisque Notre-Seigneur vous l'a choisie et que, le premier, il a trempé ses lèvres à la coupe qu'il vous présente. Un saint l'a dit « Le plus grand honneur que Dieu puisse faire à une âme, ce n'est pas de lui donner beaucoup, c'est de lui demander beaucoup. » Jésus vous traite en privilégié; il veut que, déjà, vous commenciez votre mission et que, par la souffrance, vous sauviez des âmes. N'est-ce pas en souffrant, en mourant, que lui-même a racheté le monde ? Je sais que vous aspirez au bonheur de sacrifier votre vie pour lui; mais le martyre du coeur n'est pas moins fécond que l'effusion du sang; et, dès maintenant, ce martyre est le vôtre. J'ai donc bien raison de dire que votre part est belle, qu'elle est digne d'un apôtre du Christ.

 

1 Matt., XXVI, 39.

 

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Lettre IIe.

1896.

 

Travaillons ensemble au salut des âmes; nous n'avons que l'unique jour de cette vie pour les sauver, et donner ainsi au Seigneur des preuves de notre amour. Le lendemain de ce jour sera l'éternité; alors Jésus vous rendra au centuple les joies si douces que vous lui sacrifiez. Il connaît l'étendue de votre immolation, il sait que la souffrance de ceux qui vous sont chers augmente encore la vôtre; mais Lui-même a souffert ce martyre pour sauver nos âmes. Il a quitté sa Mère, il a vu la Vierge Immaculée debout au pied de la Croix, le coeur transpercé d'un glaive de douleur; aussi j'espère que notre divin Sauveur consolera votre bonne mère, et je le lui demande instamment.

Ah! si le divin Maître laissait entrevoir à ceux que vous allez quitter pour son amour la gloire qu'il vous réserve, la multitude d'âmes qui formeront votre cortège au Ciel, ils seraient déjà récompensés du grand sacrifice que votre éloignement va leur causer.

 

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Lettre IIIe.

24 février 1896.

Je vous demande de faire chaque jour pour moi cette petite prière qui renferme tous mes désirs :

« Père miséricordieux, au nom de votre doux Jésus, de la sainte Vierge et des saints, je vous demande d'embraser ma soeur de votre Esprit d'amour, et de lui accorder la grâce de vous faire beaucoup aimer. »

Si le Seigneur me prend bientôt avec Lui, je vous supplie de continuer chaque jour la même prière, car je désirerai au Ciel la même chose que sur la, terre : AIMER JÉSUS ET LE FAIRE AIMER.

 

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Lettre IVe.

 

Je compte bien ne pas rester inactive au ciel, mon désir est de travailler encore pour l'Église et pour les âmes ; je le demande à Dieu et je suis certaine qu'il m'exaucera. Vous voyez que, si je quitte déjà le champ de bataille, ce n'est pas avec le désir égoïste de me reposer. Depuis longtemps, la souffrance est devenue mon ciel ici-bas, et j'ai du mal à concevoir comment il me sera possible de m'acclimater dans un pays où la joie règne sans aucun mélange de tristesse. Il faudra que Jésus transforme tout à fait mon âme, autrement je ne pourrais supporter les délices éternelles.

... La seule chose que je désire, c'est de faire aimer le bon Dieu; et j'avoue que si, dans le ciel, je ne pouvais plus y travailler, j'aimerais mieux l'exil que la Patrie.

 

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Lettre Ve.

 

21 juin 1897.

 

Vous pouvez chanter les divines miséricordes ! elles brillent en vous dans toute leur splendeur. Vous aimez saint Augustin, sainte Madeleine, ces âmes auxquelles beaucoup de péchés ont été remis, parce qu'elles ont beaucoup aimé; moi aussi, je les aime, j'aime leur repentir et surtout leur amoureuse audace. Lorsque je vois Madeleine s'avancer devant les nombreux convives de Simon, arroser de ses larmes les pieds de son Maître adoré, qu'elle touche pour la première fois, je sens que son coeur a compris les abîmes d'amour et de miséricorde du Coeur de Jésus, et que, non seulement il est disposé à lui pardonner, niais encore à lui prodiguer les bienfaits de son intimité divine, à l'élever jusqu'aux plus hauts sommets de la contemplation.

Ah ! mon frère, depuis qu'il m'a été donné de comprendre, moi aussi, l'amour du Coeur de Jésus, j'avoue qu'il a chassé de mon coeur toute crainte. Le souvenir de mes fautes m'humilie, me porte à ne jamais m'appuyer sur ma force qui n'est que faiblesse; mais, plus encore, ce souvenir me parle de miséricorde et d'amour. Comment, lorsqu'on jette ses fautes, avec une confiance toute filiale, dans le brasier dévorant de l'amour, comment ne seraient-elles pas consumées sans retour?

Je sais qu'un grand nombre de saints passèrent leur vie à faire d'étonnantes mortifications pour expier leurs péchés, mais que voulez-vous ! « Il y a plusieurs demeures dans la maison du Père céleste (1)... » Jésus l'a dit, et c'est pour cela que je suis la voie qu'il me trace : je tâche de ne plus m'occuper de moi-même en rien; et ce que Jésus daigne opérer dans mon âme, je le lui abandonne sans réserve.

 

1 Joan., XIV, 2.

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Lettre VIe.

 

1897

Sur cette terre où tout change, une seule chose reste stable la conduite du Roi des Cieux à l'égard de ses amis. Depuis qu'il a levé l'étendard de la Croix, c'est à son ombre que tous doivent combattre et remporter la victoire. « Toute vie de missionnaire est féconde en croix », disait Théophane Vénard ; et encore : « Le vrai bonheur est de souffrir, et, pour vivre, il nous faut mourir. »

Mon frère, les débuts de votre apostolat sont marqués du sceau de la croix : réjouissez-vous! C'est bien plus par la souffrance et la persécution que par de brillantes prédications que Jésus veut affermir son règne dans les âmes.

Vous dites : « Je suis encore un petit enfant qui ne sait pas parler. » Le Père Mazel, qui fut ordonné prêtre le même jour que vous, ne savait pas parler non plus; cependant, il a déjà cueilli la palme... Oh! que les pensées divines sont au-dessus des nôtres!... En apprenant que ce jeune missionnaire était mort, avant même d'avoir foulé le sol de sa mission, je me suis sentie portée à l'invoquer; il me semblait le voir au Ciel dans le glorieux choeur des martyrs. Sans doute, aux yeux des hommes, il ne mérite pas le titre de martyr; mais, au regard du bon Dieu, ce sacrifice sans gloire n'est pas moins fécond que ceux des confesseurs de la foi.

S'il faut être bien pur pour paraître devant le Dieu de toute sainteté, je sais, moi, qu'il est infiniment juste ; et cette justice qui effraie tant d'âmes fait le sujet de ma joie et de ma confiance. Etre juste, ce n'est pas seulement exercer la sévérité envers les coupables, c'est encore reconnaître les intentions droites et récompenser la vertu. J'espère autant de la justice du bon Dieu que de sa miséricorde; c'est parce qu'il est juste « qu'il est compatissant et rempli de douceur, lent à punir et abondant en miséricorde. Car il connaît notre fragilité, il se souvient que nous ne sommes que poussière. Comme un père a de la tendresse pour ses enfants, ainsi le Seigneur a compassion de nous  (1) !... » O mon frère! en entendant ces belles

 

1 Ps. CII, 8, 13, 14.

 

et consolantes paroles du Roi-Prophète, comment douter que le bon Dieu ne veuille ouvrir les portes de son royaume à ses enfants qui l’ont aimé jusqu'à tout sacrifier pour lui, qui, non seulement, ont quitté leur famille et leur patrie, pour le faire connaître et aimer, mais encore désirent donner leur vie pour lui !... Jésus avait bien raison de dire qu'il n'est pas de plus grand amour que celui-là! Comment donc se laisserait-il vaincre en générosité? Comment purifierait-il, dans les flammes du purgatoire, des âmes consumées des feux de l'amour divin ?...

Voici bien des phrases pour exprimer ma pensée, ou plutôt pour ne pas arriver à le faire. Je voulais simplement vous dire que, selon moi, tous les missionnaires sont martyrs par le désir et la volonté; et que, par conséquent, pas un ne devrait aller en purgatoire.

Voilà, mon frère, ce que je pense de la justice du bon Dieu ; ma voie est toute de confiance et d'amour, je ne comprends pas les âmes qui ont peur d'un si tendre Ami. Parfois, lorsque je lis certains traités où la perfection est montrée à travers mille entraves, mon pauvre petit esprit se fatigue bien vite, je ferme le savant livre qui me casse la tête et me dessèche le coeur, et je prends l'Ecriture Sainte. Alors tout me paraît lumineux, une seule parole découvre à mon âme des horizons infinis, la perfection me semble facile, je vois qu'il suffit de reconnaître son néant et de s'abandonner, comme un enfant, dans les bras du bon Dieu. Laissant aux grandes âmes, aux esprits sublimes les beaux livres que je ne puis comprendre, encore moins mettre en pratique, je me réjouis d'être petite, puisque « les enfants seuls et ceux qui leur ressemblent seront admis au banquet céleste (1). » Heureusement que le Royaume des Cieux est composé de plusieurs demeures! car, s'il n'y avait que celles dont la description et le chemin me semblent incompréhensibles, certainement je n'y entrerais jamais...

 

1 Matt., XIX, 14.

 

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Lettre VIII.

 

13 juillet 1897.

 

Votre âme est trop grande pour s'attacher aux consolations d'ici-bas! C'est dans les Cieux que vous devez vivre par avance, car il est dit : « Là où est votre trésor, là aussi est votre coeur (1). » Votre unique trésor, n'est-ce pas Jésus ? Puisqu'il est au Ciel, c'est là que doit habiter votre coeur. Ce doux Sauveur a, depuis longtemps, oublié vos infidélités; seuls vos désirs de perfection lui sont présents pour réjouir son Cœur.

Je vous en supplie, ne restez plus à ses pieds ; suivez ce premier élan qui vous entraîne dans ses bras ; c'est là votre place, et je constate, plus encore que dans vos autres lettres, qu'il vous est interdit d'aller au Ciel par une autre voie que celle de votre petite soeur.

Je suis tout à fait de votre avis : le Coeur de Jésus est bien plus attristé des mille petites imperfections de ses amis que des fautes, même graves, que commettent ses ennemis. Mais, mon frère, il me semble que c'est seulement quand les siens se font une habitude de leurs indélicatesses et ne lui en demandent pas pardon, qu'il peut dire : « Ces plaies que vous voyez  au milieu de mes mains, je les ai reçues dans la maison de ceux qui m'aimaient (2). »

Pour ceux qui l’aiment et qui, après chaque petite faute, viennent se jeter dans ses bras en lui demandant pardon, Jésus tressaille de joie. Il dit à ses anges ce que le père de l'enfant prodigue disait à ses serviteurs : « Mettez-lui un anneau au doigt et réjouissons-nous (3). » Ah! mon frère, que la bonté et l'amour miséricordieux du Coeur de Jésus sont peu connus ! Il est vrai que, pour jouir de ces trésors, il faut s'humilier, reconnaître son néant, et voilà ce que beaucoup d'âmes ne veulent pas faire...

 

1 Lucae, XII, 34. — 2 Zach., XIII, 6. — 3 Lucae, XV, 22.

 

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Lettre VIIIe.

 

1897.

 

Ce qui m'attire vers la Patrie des Cieux, c'est l'appel du Seigneur, c'est l'espoir de l'aimer enfin comme je l'ai tant désiré, et la pensée que je pourrai le faire aimer d'une multitude d'âmes qui le béniront éternellement.

Jamais je n'ai demandé au bon Dieu de mourir jeune cela m'aurait paru de la lâcheté; mais lui, dès mon enfance, a daigné me donner la persuasion intime que ma course ici-bas serait courte.

Je le sens, nous devons aller au Ciel par la même voie : la souffrance unie à l'amour. Quand je serai au port, je vous enseignerai comment vous devez naviguer sur la mer orageuse du monde : avec l'abandon et l'amour d'un enfant qui sait que son père le chérit, et ne saurait le laisser seul à l'heure du danger.

Oh ! que je voudrais vous faire comprendre la tendresse du Coeur de Jésus, ce qu'il attend de vous ! Votre dernière lettre a fait tressaillir doucement mon coeur. J'ai compris jusqu'à quel point votre âme est soeur de la mienne, puisqu'elle est appelée à s'élever à Dieu par l'ascenseur de l'amour, et non à gravir le rude escalier de la crainte. Je ne m'étonne pas de voir que la familiarité avec Jésus vous semble difficile : on ne peut y arriver en un jour; mais j'en suis sûre, je vous aiderai beaucoup plus à marcher dans cette voie délicieuse, quand je serai délivrée de mon enveloppe mortelle; et bientôt vous direz, comme saint Augustin : « L'amour est le poids qui m'entraîne. »

 

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Lettre IXe.

26 juillet 1897.

 

Quand vous lirez ce petit mot, peut-être ne serai-je plus sur la terre. Je ne connais pas l'avenir; cependant, je puis dire avec assurance que l'Epoux est à la porte. Il faudrait un miracle pour me retenir dans l'exil, et je ne pense pas que Jésus le fasse, car il ne fait rien d'inutile.

O mon frère, que je suis heureuse de mourir! Oui, je suis heureuse, non parce que je serai délivrée des souffrances d'ici-bas : la souffrance unie à l'amour est, au contraire, la seule chose qui me paraît désirable en cette vallée de larmes ; je suis heureuse de mourir parce que, bien plus qu'ici-bas, je serai utile aux âmes qui me sont chères.

Jésus m'a toujours traitée en entant gâtée... C'est vrai que sa croix m'a accompagnée dès le berceau ; mais cette croix, il me l'a fait aimer avec passion.

 

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Lettre Xe.

14 août 1897.

 

Au moment de paraître devant le bon Dieu, je comprends plus que jamais qu'il n'y a qu'une chose nécessaire : travailler uniquement pour Lui, et ne rien faire pour soi ni pour les créatures. Jésus veut posséder complètement votre coeur ; pour cela, il vous faudra beaucoup souffrir... mais aussi quelle joie inondera votre âme quand vous serez arrivé à l'heureux moment de votre entrée au Ciel !...

Je ne meurs pas, j'entre dans la vie... et tout ce que je ne puis vous dire ici-bas, je vous le ferai comprendre du haut des Cieux. . . . . . . . .

 

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