Récréation pieuse.
Air : L'Ange et l'aveugle.
Marie-Madeleine.
O Dieu, mon divin Maître,
Jésus, mon seul amour !
A vos pieds je veux être,
J'y fixe mon séjour.
En vain sur cette terre
J'ai cherché le bonheur.
Une tristesse amère
Seule a rempli mon coeur...
Jésus.
Marie, ô Madeleine !
Je suis ton doux Sauveur !
Oubliant toute peine,
Jouis de ton bonheur.
Tes regrets sont extrêmes,
Et mon Coeur te redit
Je sais bien que tu m'aimes,
Ton amour me suffit !
Marie-Madeleine.
C'en est trop, mon bon Maître,
Je me sens défaillir...
Que ne puis-je renaître
En ce jour, ou mourir !
Comprenez mes alarmes,
O Jésus, mon Sauveur !
J'ai fait couler vos larmes
Quelle immense douleur!
Jésus.
Il est vrai, sur ton âme
J'ai répandu des pleurs;
Mais d'un seul trait de flamme,
Je puis changer les coeurs.
Ton âme, rajeunie
Par mon regard divin,
Dans l'éternelle vie
Me bénira sans fin !
Marie-Madeleine.
Jésus, votre amour même
Vient déchirer mon coeur,
Votre bonté suprême
Augmente ma douleur;
J'ai méconnu vos charmes
Et, dans mon repentir,
Je n'ai plus que des larmes,
Seigneur, à vous offrir !
Jésus.
Ces larmes précieuses
Brillent plus à mes yeux
Que les perles nombreuses
Qui scintillent aux Cieux.
A l'étoile charmante
Rayonnant dans l'azur,
Je préfère l'amante
Au coeur devenu pur.
Marie-Madeleine.
Quel étonnant mystère !
O mon divin Sauveur,
N'est-il rien sur la terre
Qui charme votre Coeur ?
Les lointaines montagnes,
Le blanc et doux agneau,
Les fleurs de nos campagnes,
Est-il rien de plus beau ?
Jésus.
Tu vois la fleur éclose
Et son éclat charmant
Pour moi, je vois la rose
De ton amour ardent.
Cette rose empourprée
A su ravir mon coeur ;
Elle est ma préférée
Entre toute autre fleur.
Marie-Madeleine.
L'oiseau, de sa voix pure,
Chante votre grandeur;
Le ruisseau qui murmure
Vous donne sa fraîcheur;
Le lis de la vallée
Vous offre son trésor
Sa blancheur étoilée
De fines perles d'or.
Jésus. Salomon, dans sa gloire,
Etait moins bien paré
Sur son trône d'ivoire
Que ce beau lis nacré;
Les simples pâquerettes
Surpassent le grand roi,
Et toutes ces fleurettes
N'éclosent que pour toi.
Marie-Madeleine.
Du virginal cortège
Vous offrant son amour,
Le blanc manteau de neige
Brillera sans retour...
Moi, d'une triste vie,
Je vous offre la fin ;
Hélas ! je l'ai flétrie Encore à son matin !...
Jésus.
Si j'aime, de l'aurore,
Les purs et brillants feux :
Marie... ah ! j'aime encore
Un beau soir radieux.
Ma bonté sans égale
Placera le pécheur
Et l'âme virginale
Ensemble sur mon Coeur !
Marie-Madeleine.
N'avez-vous pas vos Anges,
Aux sublimes ardeurs ?
Sur leurs blanches phalanges
Répandez vos faveurs !
Moi, pauvre pécheresse,
Je n'ai pas mérité
L'ineffable tendresse
De votre intimité.
Jésus.
Bien plus haut que les Anges
Tu monteras un jour;
Ils diront tes louanges,
Enviant ton amour!
Mais il faut sur la terre,
Pour tes frères pécheurs,
Que, vivant solitaire,
Tu m'attires leurs coeurs.
Marie-Madeleine.
Seigneur, d'un zèle extrême
Je sens briller mon coeur;
Et votre voix que j'aime
En redouble l'ardeur.
Mais, pour être un apôtre,
Bien trop faible est ce coeur;
Ah! prêtez-moi le vôtre,
Jésus, mon doux Sauveur!
Marthe.
Considérez ma soeur, bon Maître, elle s'oublie :
Voyez : tout mon travail ne l'inquiète pas.
Dites-lui donc, Seigneur, ah ! je vous en supplie,
Dites-lui de m'aider à servir le repas.
Jésus.
Marthe ! ma charitable hôtesse,
Pourquoi voudriez-vous blâmer
Votre soeur qui toujours s'empresse
Vers Celui qui sait la charmer ?
Marthe.
Mais, ô divin Sauveur, voilà ce qui m'étonne
Ne devrait-elle pas détourner un instant
Ses regards de Celui qui chaque jour lui donne,
Et songer à donner aussi quelque présent ?
Jésus.
O Marthe, je vous le confie
Si votre amour est généreux,
Celui de votre soeur Marie
M'est infiniment précieux !
Marthe.
Vos paroles, Seigneur, sont pour moi des mystères,
Et je ne puis encor m'empêcher de penser
Qu'il vaut mieux travailler que dire des prières ;
Moi, je sens mon amour qui veut se dépenser.
Jésus.
Le travail est bien nécessaire,
Je viens moi-même l'honorer;
Mais, au moyen de la prière,
Vous devez le transfigurer.
Marthe.
Je savais bien, Seigneur, que, restant inactive,
Je ne pouvais avoir de charmes à vos yeux;
C'est pourquoi je m'empresse, adorable Convive,
A préparer pour vous des mets délicieux.
Jésus.
Votre âme est généreuse et pure,
Votre travail peut le prouver;
Mais savez-vous la nourriture
Que je désirerais trouver ?
Un seul ouvrage est nécessaire
Si votre soeur reste à l'écart
Dans une amoureuse prière,
Elle a choisi la
bonne part !
Oui, cette part est la meilleure,
Je le proclame dès ce jour;
O Marthe ! venez à cette heure
Partager ce repos d'amour...
Marthe.
Je le comprends enfin, Jésus, bonté suprême !
Votre divin regard a pénétré mon coeur.
Tous mes dons sont trop peu : c'est mon âme elle-même
Que je dois vous offrir, O très aimant Sauveur[
Jésus.
Oui, c'est votre coeur que j'envie.
Jusqu'à lui, je viens m'abaisser :
Les cieux et leur gloire infinie,
Pour lui, j'ai voulu délaisser.
Marthe.
Pourquoi, divin Sauveur, avez-vous, de Marie,
Fait un si grand éloge à Simon le lépreux ?
Il me semble pourtant, que, dans toute sa vie,
Vous auriez dû compter plus d'un jour orageux...
Jésus.
J'ai su comprendre le langage,
D'un coeur par l'amour entraîné;
Celui-là chérit davantage
A qui lon a plus pardonné...
Marthe.
Oh ! qu'il en soit ainsi, je m'en étonne encore;
Car vous m'avez, Seigneur, épargné le danger;
Je vous dois mon amour, puisque dès mon aurore
Vous avez bien voulu me suivre et protéger.
Jésus.
Il est bien vrai qu'une âme pure,
Le chef-d'uvre de mon amour,
Devrait, sans aucune mesure,
M'aimer, me bénir sans retour.
Vous m'avez charmé dès l'enfance
Par votre grande pureté;
Mais, si vous avez l'innocence,
Madeleine a l'humilité.
Marthe.
Jésus, pour vous ravir, je veux toute ma vie
Mépriser les honneurs, la gloire des humains;
En travaillant pour vous, j'imiterai Marie,
Ne recherchant jamais que vos regards divins.
Jésus.
Ainsi vous sauverez les âmes,
Et les attirerez vers moi ;
Bien loin, vous porterez mes flammes
Avec le flambeau de la foi.
Marthe et Marie-Madeleine.
Votre voix, doux Jésus, est une mélodie
Qui nous ravit d'amour, enflammant notre coeur.
Restez donc avec nous pour charmer notre vie ;
Restez ici toujours, aimable Rédempteur !
Jésus.
Je suis heureux à Béthanie,
Je m'y reposerai souvent;
Et votre Dieu, dans la patrie,
Se montrera reconnaissant...
Vous avez compris le mystère
Qui m'a fait descendre en ces lieux
L'âme intérieure m'est chère,
Bien plus que la gloire des cieux.
Cette gloire, un jour, sera vôtre,
Et tous mes biens seront à vous;
Honneur comparable à nul autre
Vous m'appellerez votre Epoux !
Ici-bas, fidèles amies,
Vous vous chargez de me nourrir;
Au festin des noces bénies,
Je me ceindrai pour vous servir.
29 juillet 1895.