Ce que j'aimais...

 

Composé à la demande de sa soeur Céline pendant son noviciat.

Air : Combien j'ai douce souvenance.

 

J'ai en mon Bien-Aimé les montagnes,

Les vallées solitaires et boisées,

Les îles étrangères.

Les fleuves retentissants,

Le murmure des zéphyrs amoureux.

La nuit paisible,

………………..

Pareille au lever de l'aurore;

La musique silencieuse,

La solitude harmonieuse,

Le souper qui charme et qui accroît l'amour.

(SAINT JEAN DE LA CROIX.)

 

 


Oh ! que j'aime la souvenance

Des jours bénis de mon enfance !

Pour garder la fleur de mon innocence,

Le Seigneur m'entoura toujours

D'amour.

 

Aussi, malgré ma petitesse,

A Dieu je donnai ma tendresse;

Et de mon coeur s'échappa la promesse

D'épouser le Roi des élus,

Jésus.

 

J'aimais, au printemps de ma vie,

Saint Joseph, la Vierge Marie ;

Déjà mon âme se plongeait ravie

Quand se reflétaient dans mes yeux

Les cieux !

 

J'aimais les champs de blé, la plaine,

J'aimais la colline lointaine ;

Dans mon bonheur, je respirais à peine,

En moissonnant avec mes soeurs,

Les fleurs.

 

J'aimais à cueillir les herbettes,

Les bleuets, toutes les fleurettes;

Je trouvais le parfum des violettes

Et surtout celui des coucous

Bien doux.

 

J'aimais la pâquerette blanche,

Les promenades du dimanche,

L'oiseau léger gazouillant sur la branche,

Et l'azur toujours radieux

Des cieux.

 

J'aimais à poser chaque année

Mon soulier dans la cheminée;

Accourant dès que j'étais éveillée,

Je chantais la fête du ciel

Noël !

 

De maman, j'aimais le sourire,

Son regard profond semblait dire

« L'éternité me ravit et m'attire,

« Je vais aller dans le ciel bleu

« Voir Dieu !

 

« Je vais trouver dans la patrie

« Mes anges, la Vierge Marie.

« De mes enfants que je laisse en la vie,

« A Jésus j'offrirai les pleurs,

« Les cœurs ! »

 

Oh ! que j'aimais Jésus-Hostie

Qui vint, au matin de ma vie,

Se fiancer à mon âme ravie !

Oh ! que j'ouvris avec bonheur

Mon coeur !

 

J'aimais encore, au belvédère

Inondé de vive lumière,

A recevoir les doux baisers d'un père,

A caresser ses blancs cheveux

Neigeux.

 

Sur ses genoux, étant placée

Avec Thérèse, à la veillée,

Je m'en souviens, j'étais longtemps bercée,

J'entends encor, de son doux chant,

L'accent.

 

O souvenir ! tu me reposes.

Tu me rappelles bien des choses...

Les repas du soir, le parfum des roses,

Les Buissonnets pleins de gaîté

L'été.

 

A l'heure où tout vain bruit s'apaise,

J'aimais à confondre à mon aise

Mon âme avec celle de ma Thérèse;

Je ne formais avec ma soeur

Qu'un coeur !

 

Alors nos voix étaient mêlées,

Nos mains, l'une à l'autre enchaînées;

Ensemble, chantant les noces sacrées,

Déjà nous rêvions le Carmel,

Le ciel !

 

De la Suisse et de l'Italie,

Ciel bleu, fruits d'or, m'avaient ravie.

J'aimai surtout le regard plein de vie

Du saint Vieillard, Pontife-Roi,

Sur moi.

 

Avec amour je t'ai baisée,

Terre sainte du Colysée !

Des Catacombes la voûte sacrée

A répété bien doucement

Mon chant.

 

Mon bonheur fut suivi de larmes;

Bien grandes furent mes alarmes !

De mon Epoux je revêtis les armes,

Et sa croix devint mon soutien,

Mon bien.

 

Alors j'aimais, fuyant le monde,

Que l'écho lointain me réponde;

En la vallée ombragée et féconde

Je cueillais, à travers mes pleurs,

Les fleurs.

 

J'aimais, de la lointaine église,

Entendre la cloche indécise.

Pour écouter les soupirs de la brise,

Dans les champs j'aimais à m'asseoir

Le soir.

 

J'aimais le vol des hirondelles,

Le chant plaintif des tourterelles

Avec plaisir j'entendais le bruit d'ailes

De l'insecte au bourdonnement

Bruyant.

 

J'aimais la perle matinale

Ornant la rose de Bengale ;

J'aimais à voir l'abeille virginale

Préparer sous les feux du ciel

Le miel.

 

J'aimais à cueillir la bruyère;

Courant sur la mousse légère,

Je prenais, voltigeant sur la fougère,

Les papillons au reflet pur

D'azur.

 

J'aimais le ver luisant dans l'ombre,

J'aimais les étoiles sans nombre...

Surtout j'aimais l'éclat, en la nuit sombre,

De la lune au disque d'argent

Brillant.

 

A mon père, dans sa vieillesse,

J'offrais l'appui de ma jeunesse...

Il m'était tout : bonheur, enfant, richesse.

Ah ! je l'embrassais tendrement

Souvent.

 

Nous aimions le doux bruit de l'onde,

L'éclat de l'orage qui gronde

Le soir, en la solitude profonde,

Du rossignol au fond du bois

La voix.

 

Mais un matin son beau visage

Du Crucifix chercha l'image.....

De son amour il me laissa le gage,

Me donnant son dernier regard

Ma part!...

 

Et de Jésus la main divine

Prit le seul trésor de Céline,

Et, l'emportant bien loin de la colline,

Le plaça près de l'Eternel,

Au ciel !

 

Maintenant je suis prisonnière,

J'ai fui les bosquets de la terre,

J'ai vu que tout en elle est éphémère,

J'ai vu tout mon bonheur finir,

Mourir !

 

Sous mes pas l'herbe s'est meurtrie,

La fleur en mes mains s'est flétrie...

Jésus, je veux courir en ta prairie,

Sur elle ne marqueront pas

Mes pas.

 

Comme un cerf, en sa soif ardente,

Soupire après l'eau jaillissante,

O Jésus, vers toi j'accours défaillante

Il faut, pour calmer mes ardeurs,

Tes pleurs...

 

C'est ton seul amour qui m'entraîne;

« Mon troupeau je laisse en la plaine,

« De le garder je ne prends pas la peine » ;

Je veux plaire à mon seul Agneau

Nouveau.

 

Jésus, c'est toi l’Agneau que j'aime;

Tu me suffis, ô Bien suprême !

En toi j'ai tout : la terre et le ciel même

La fleur que je cueille, ô mon Roi,

C'est toi !

 

Jésus, beau lis de la vallée,

Ton doux parfum m'a captivée.

Bouquet de myrrhe, ô corolle embaumée,

Sur mon coeur je veux te garder,

T'aimer !

 

Toujours ton amour m'accompagne;

En toi j'ai les bois, la campagne,

J'ai les roseaux, la lointaine montagne,

La pluie et les flocons neigeux

Des cieux.

 

En toi, Jésus, j'ai toutes choses,

J'ai les blés, les fleurs demi-closes,

Myosotis, boutons d'or, belles roses ;

Du blanc muguet, j'ai la fraîcheur,

L'odeur.

 

J'ai la lyre mélodieuse,

La solitude harmonieuse,

Fleuves, rochers, cascade gracieuse,

Le doux murmure du ruisseau,

L'oiseau.

 

J'ai l’arc-en-ciel, j'ai l’aube pure,

Le vaste horizon, la verdure;

J'ai l’île étrangère et la moisson mûre,

Les papillons, le gai printemps,

Les champs.

 

En ton amour je trouve encore

Les palmiers que le soleil dore,

La nuit pareille au lever de l'aurore;

En toi je trouve pour jamais

La paix !

 

J'ai les grappes délicieuses,

Les libellules gracieuses,

La forêt vierge aux fleurs mystérieuses ;

J'ai tous les blonds petits enfants,

Leurs chants.

 

En toi j'ai sources et collines,

Lianes, pervenche, aubépines,

Frais nénuphars, chèvrefeuille, églantines;

Le frisilis du peuplier

Léger.

 

J'ai l’avoine folle et tremblante,

Des vents la voix grave et puissante,

Le fil de la Vierge et la flamme ardente,

Le zéphir, les buissons fleuris,

Les nids.

 

En toi j'ai la colombe pure;

En toi, sous ma robe de bure,

Je trouve joyaux et riche parure,

Colliers, bagues et diamants

Brillants.

 

J'ai le beau lac, j'ai la vallée

Solitaire et toute boisée ;

De l'Océan j'ai la vague argentée,

Perles, corail, trésors divers

Des mers.

 

J'ai le vaisseau fuyant la plage,

Le sillon d'or et le rivage

J'ai, du soleil festonnant le nuage

Alors qu'il disparaît des cieux,

Les feux.

 

En toi j'ai la brillante étoile;

Souvent ton amour se dévoile,

Et j'aperçois comme à travers un voile,

Quand le jour est sur son déclin,

Ta main !

 

O toi qui soutiens tous les mondes !

Qui plantes les forêts profondes ;

D'un seul coup d'oeil, toi qui les rends fécondes,

Tu me suis d'un regard d'amour

Toujours !

 

J'ai ton Coeur, ta Face adorée,

De ta flèche je suis blessée...

J'ai le baiser de ta bouche sacrée,

Je t'aime et ne veux rien de plus,

Jésus !

 

J'irai chanter avec les Anges

De l'amour sacré les louanges...

Fais-moi voler bientôt en leurs phalanges.

O Jésus, que je meure un jour

D'amour !

 

Attiré par sa transparence,

Vers le feu l'insecte s'élance ;

Ainsi ton amour est mon espérance,

C'est en lui que je veux voler,

Brûler...

 

Je l'entends déjà qui s'apprête,

Mon Dieu, ton éternelle fête !

Aux saules, prenant ma harpe muette,

Sur tes genoux je vais m'asseoir, Te voir !

 

Près de toi, je vais voir Marie,

Les Saints, ma famille chérie;

Je vais, après l'exil de cette vie,

Retrouver le toit paternel

Au ciel...

 

28 avril 1896.

 

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