ACTES XVII

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HOMÉLIE XVII. CE MOÏSE, QU'ILS AVAIENT RENIÉ, DISANT : QUI L'A ÉTABLI CHEF ET JUGE SUR NOUS? FUT CELUI-LA MÊME QUE DIEU ENVOYA COMME CHEF ET LIBÉRATEUR PAR LA MAIN DE L'ANGE QUI LUI APPARUT DANS LE BUISSON. (CHAP. VII, 35, JUSQU'AU VERS. 53.)

 

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ANALYSE. 1 et 2. Suite du discours de saint Etienne. — Que la législation mosaïque et le temple n'étaient que des institutions transitoires.

3 et b. Parlons et agissons en toute occasion avec le calme et la confiance de saint Etienne. — La colère dégrade l'homme ; il n'est pas d'action dans la vie qu'elle ne trouble, pas de dessein qu'elle ne fasse échouer. — On l'a bien définie un mouvement déraisonnable. — Loin de nous cette colère funeste; mais ayons celle qui brûle d'opérer le salut de notre prochain. — Trop souvent nous sommes mous et sans vigueur lorsqu'il s'agit. de corriger le prochain, et violent quand il faudrait montrer de la mansuétude.

 

1. Voici qui convient parfaitement au but qu'on se propose. « Ce Moïse », quel est-il? Celui qui a failli périr, celui qu'ils ont méprisé, qu'ils ont renié en disant : « Qui t'a établi chef? » Tout comme ils disaient au Christ : « Nous n'avons de roi que César. Ce fut celui-là que Dieu. envoya comme chef et « libérateur par la main de l'ange qui lui avait dit : Je suis le Dieu d'Abraham ». Il montre ici que les miracles qui furent opérés, le furent par le Christ. « Celui-là », c'est-à-dire, Moïse (et voyez comme il le fait briller), « les a tirés de la terre d'Egypte, y opérant des prodiges et des miracles, aussi bien que dans la mer Rouge et dans le désert pendant quarante ans. C'est ce Moise qui a dit aux enfants d'Israël : Dieu vous suscitera du milieu de vos frères un prophète comme moi », c'est-à-dire, méprisé, exposé aux embûches. En effet, Hérode a voulu tuer le Christ, qui a été sauvé en Egypte, comme Moïse encore enfant avait été mis en danger de périr. « C'est lui qui se trouva dans l'assemblée du peuple au désert, avec l'ange qui lui parlait sur le mont Sina, et avec nos pères, lui qui reçut les paroles de vie pour nous les donner ». Encore une fois, point de temple, point de sacrifice. « Avec l'ange, il reçut les paroles de vie pour nous les donner ». Ici il indique que Moïse n'a pas seulement fait des prodiges, mais aussi donné une loi comme le Christ. Et comme Moïse a fait des miracles avant de donner une loi, ainsi a fait le Christ. Mais habitués à désobéir, ils ne l'écoutèrent point, même après les prodiges, même après les miracles opérés pendant quarante ans. Non-seulement ils n'obéirent point, mais ils firent tout le contraire. D'où il ajoute : « Et nos pères ne voulurent point lui obéir, mais ils le repoussèrent, retournant de coeur en Egypte, et disant à Aaron : Fais-nous des dieux qui marchent devant nous; car ce Moïse, qui nous a tirés de la terre d'Egypte, nous ne savons ce qui lui est arrivé. Et ils firent un veau en ces jours-là, et ils offrirent une victime à l'idole, et ils se réjouissaient dans l’oeuvre de leurs mains. Mais Dieu se détourna et les laissa servir la milice du ciel, comme il est écrit au livre des prophètes : « Maison d'Israël, m'avez-vous offert des victimes et des sacrifices pendant quarante ans dans le désert? Vous avez porté le tabernacle de Moloch et l'astre de votre dieu Remphan, figures que vous avez faites pour les adorer. Aussi je vous transporterai au delà de Babylone. Il les laissa », c'est-à-dire, il permit. « Et le tabernacle du témoignage a été avec nos pères dans le désert comme Dieu le leur (71) avait ordonné, parlant à Moïse afin qu'il le fit selon le modèle qu'il avait vu».

Bien qu'il y eût un tabernacle, il n'y avait pas de sacrifices. Et la preuve en est dans ces paroles du prophète : « M'avez-vous offert des victimes et des sacrifices ? » Le tabernacle du témoignage existait, et il leur était inutile , car ils périssaient. Avant cela les miracles n'avaient servi à rien ; ils ne servirent pas davantage après. « Et l'ayant reçu, nos pères l'emportèrent ». Voyez-vous que tout lieu est sanctifié par la présence de Dieu? Aussi dit-il : « Dans le désert », pour comparer lieu à lieu. Ensuite vient le bienfait. « Et l'ayant reçu , nos pères l'emportèrent sous Jésus dans le pays des nations que Dieu chassa devant nos pères jusqu'aux jours de David, qui trouva grâce devant Dieu et demanda de trouver une demeure pour le Dieu de Jacob ». David demanda de bâtir, et cela ne lui fut point accordé, quoiqu'il fût grand et admirable. C'est Salomon, ce prince rejeté, qui bâtit. Aussi ajoute-t-il : « Ce fut Salomon qui lui bâtit un temple. Mais le Très-Haut n'habite pas dans les temples faits de main d'homme ». Ce qui précède l'avait déjà prouvé, mais la parole du prophète le déclare encore; écoutez comment : « Selon ce que dit le prophète : Le ciel est mon trône, et la terre l'escabeau de mes pieds. Quelle maison me bâtirez-vous, dit le Seigneur, ou quel est le lieu de mon repos? N'est-ce pas ma main qui a fait toutes ces choses,? » Ne vous étonnez pas, leur dit-il, si le Christ fait du bien même à ceux qui le rejettent comme roi, puisqu'il en a été ainsi du temps de Moïse. Et il ne les a pas seulement sauvés, mais sauvés pendant qu'ils étaient dans le désert. Ne voyez-vous pas que tous ces miracles ont été faits pour eux? Ainsi celui qui s'était entretenu avec Dieu, qui avait été sauvé contre toute attente, qui avait fait tant de prodiges et était doué d'une si grande puissance, montre que la prophétie devait être entièrement accomplie , et n'est point en contradiction avec lui-même.

Mais reprenons ce qui a été dit plus haut : « C'est ce Moïse qui a dit : Dieu vous suscitera un prophète comme moi ». C'est à cela, je pense, que le Christ. faisait allusion, quand il disait : « Le salut vient des Juifs » (Jean, IV, 22), se désignant lui-même : « C'est lui qui se trouva au désert avec l'ange qui lui parlait ». Il montre une seconde fois que c'est le Christ qui a donné la loi, puisqu'il était avec Moïse dans l'assemblée, dans le désert. Il rappelle ici le grand prodige qui s'est opéré sur la montagne. « Qui a reçu les paroles de vie pour nous les donner ». Moïse fut partout admirable, mais surtout au moment où il fallait donner la loi. Que signifient ces mots : « Paroles de vie?» Ils désignent ou ce que ses discours avaient en vue, ou les prophéties. Puis vient le reproche aux patriarches, qui, après tant de signes et de prodiges, après avoir reçu les paroles de vie, « ne voulurent point lui « obéir ».  Il les appelle avec raison « paroles de vie », pour montrer qu'il y en a d'autres qui ne sont point telles, ainsi que le dit Ezéchiel : « Je vous ai donné des commandements qui ne sont pas bons ». (Ezéch. XX, 25.) C'est pour cela qu'il dit: « Paroles de vie. Mais ils le repoussèrent, retournant de coeur en Egypte », où, ils gémissaient, où ils criaient, où ils invoquaient Dieu. « Et ils dirent à  Aaron : Fais-nous des dieux qui marchent devant nous ».

2. O folie ! « Fais », disent-ils, « afin qu'ils marchent devant nous ». Où ? Vers l'Égypte. Voyez-vous comme ils renonçaient difficilement aux moeurs des Egyptiens ? Que dites-vous? Vous n'attendez pas celui qui vous a délivrés, vous rejetez le bienfait, vous fuyez votre bienfaiteur? Et voyez comme ils l'outragent ! « C'est ce Moïse qui nous a tirés de la terre d'Égypte ». Le nom de Dieu n'est prononcé nulle part; tout est attribué à Moïse. Quand il faudrait rendre grâces, on met en avant le nom de Moïse; mais quand il faut obéir à la loi, on n'en parle plus. Il leur avait dit qu'il montait pour recevoir la loi; ils me l'attendirent pas même quarante jours. « Fais-nous des dieux ». Ils ne disent pas: un dieu, mais «des dieux », tant ils étaient égarés, au point de ne savoir ce qu'ils disaient. « Et ils firent un veau en ces jours-là, et ils offrirent des sacrifices à l'idole ». Voyez-vous l'excès de leur folie? Pendant que Dieu se manifeste à Moïse, ils font un veau et lui immolent des victimes. « Et ils se réjouissaient dans l'oeuvre de leurs mains ». Ils se réjouissaient quand il eût fallu rougir. Et quoi d'étonnant si vous méconnaissez le Christ, quand vous méconnaissez Moïse et Dieu qui s'est manifesté par tant de miracles? Mais les Juifs ne se contentent pas de méconnaître, ils outragent en faisant des idoles. « Mais Dieu se détourna et les laissa (72) servir la milice du ciel ». Voilà l'origine de ces coutumes, de ces sacrifices; ils ont d'abord immolé aux idoles. C'est ce que David rappelle quand il dit : « Et ils firent un veau à Horeb et ils adorèrent l'ouvrage du ciseau ». (Ps. CV.) En effet, avant cela on ne parlait pas même de sacrifices, mais de préceptes de vie, de paroles de vie; point d'initiations, mais des prodiges et des signes. « Comme il est écrit au livre des prophètes ». Ce n'est pas sans raison qu'il produit ce témoignage, ruais pour prouver qu'il n'y a pas besoin de sacrifices. Et voyez ce qu'il dit : « M'avez-vous offert des victimes et des sacrifices pendant quarante ans dans le désert? Au contraire, vous avez porté le tabernacle de Moloch et l'astre de votre dieu Remphan, figures que vous avez faites pour les adorer ». Ce langage est emphatique; il signifie: Vous ne pouvez dire que vous avez sacrifié aux dieux parce que vous me sacrifiiez d'abord à moi-même. Et cela dans le désert, où il avait surtout pris leur direction. « Et vous avez porté le tabernacle de Moloch ». Voilà la cause des sacrifices.

« Aussi je vous transporterai au delà de Babylone ». Ainsi la captivité accuse leur malice. Mais, direz-vous, pourquoi y avait-il un « tabernacle du témoignage? » Afin qu'ils eussent Dieu pour témoin ; c'était là son seul but. « Selon le modèle qui t'a été montré sur la montagne ». Ainsi la description en avait été faite sur la montagne ; on le portait de tous côtés dans le désert, et il ne se fixait nulle part. Il l'appelle « tabernacle du témoignage » uniquement à cause des prodiges et des préceptes. Cependant ni le tabernacle ni eux n'avaient de temple. L'ange en avait donc donné la figure. « Jusqu'aux jours de David ». Ainsi jusque-là il n'y eut pas de temple, et pourtant les nations avaient été repoussées, celles dont il est dit: « Que Dieu chassa devant nos pères ». Il a dit cela pour montrer encore une fois qu'il n'y avait pas de temple. Quoi donc? Tant de miracles et point de temple? Oui ; le tabernacle d'abord, et point de temple. Et il demanda de trouver grâce devant le Seigneur. Il demanda et ne bâtit pas; le temple n'était donc pas une bien grande chose, bien que, pour l'avoir bâti, Salomon soit réputé grand par quelques-uns et même préféré à son père. Mais la preuve qu'il n'était pas meilleur que son père, qu'il ne l'égalait même pas (sauf l'opinion d'un petit nombre), est dans le passage suivant: « Le Très-Haut n'habite pas dans des temples bâtis de main d'homme, selon la parole du prophète : Le ciel est mon trône et la terre l'escabeau de mes pieds ». Et encore ces choses ne sont-elles pas dignes de Dieu; puisqu'elles sont créées , puisqu'elles sont l'oeuvre de ses mains? Voyez comme il élève peu à peu leur pensée ! Il fait voir par le prophète que ce langage même n'est pas digne de Dieu.

Et pourquoi, dira-t-on , parle-t-il ici avec tant de vivacité? L'approche de la mort lui donnait une grande liberté : car je pense qu'il la connaissait par révélation. « Hommes à tête dure et incirconcis du coeur et des oreilles »; ceci est encore prophétique et ne lui est pas propre. « Vous résistez toujours à l'Esprit-Saint. Il en est de vous comme de vos pères ». Quand il ne voulait pas qu'il y eût de sacrifices, vous en faisiez; quand il en veut, vous n'en faites plus; quand il ne voulait pas vous donner de préceptes, vous en demandiez; quand vous les aviez reçus, vous les avez méprisés; quand le temple était debout, vous adoriez des idoles; quand il veut être adoré dans le temple, vous faites tout le contraire. Remarquez qu'il ne dit pas : Vous résistez à Dieu, mais et à l'Esprit » ; ainsi il n'y voyait aucune différence. Il va plus loin : « Il en est de vous comme de vos pères ». Le Christ leur faisait le même reproche, voyant qu'ils se glorifiaient toujours de.leurs pères « Lequel des prophètes vos pères n'ont-ils pas persécuté? Ils ont mis à mort ceux qui prédisaient la venue du Juste ». Pour les contenir, il leur parle encore « du Juste : que vous avez naguère trahi et mis à mort ». Il leur fait deux reproches : de l'avoir méconnu, et de l'avoir fait mourir. « Vous qui avez reçu la loi par le ministère, des anges et ne l'avez pas gardée »

3. Qu'est-ce que cela? Quelques-uns pensent que les anges auraient réglé la loi. Mais il n'en est pas ainsi. Où a-t-on jamais vu que les anges aient réglé une loi ? Il veut dire que la loi a été donnée à Moïse par le ministère de l'ange qui lui a apparu dans le buisson. En effet, n'était-il pas homme? Rien donc d'étonnant que ceux qui avaient fait l'un, aient encore fait l'autre; si vous avez tué ceux qui annonçaient, à plus forte raison deviez-vous tuer celui qui était annoncé. Il démontre ainsi qu'ils ont désobéi à Dieu, aux anges, aux (73) prophètes, à l'Esprit, à tous, comme le dit ailleurs l'Ecriture : « Seigneur, ils ont tué vos prophètes et renversé vos autels ». (III Rois, XIX, 10.) Ils ne respectaient donc la loi qu'en apparence, quand ils disaient : « Il blasphème contre Moïse ». Mais lui leur démontre qu'ils blasphèment non-seulement contre Moïse, mais aussi contre Dieu; qu'ils ont déjà fait cela autrefois, qu'ils ont détruit les traditions et qu'ils n'en ont plus besoin; que tout en lui reprochant d'être en opposition avec Moïse, ils résistent eux-mêmes à l'Esprit, non d'une manière ordinaire , mais avec homicide , et que depuis longtemps ils nourrissent leur inimitié. Voyez-vous comme il leur prouve qu'ils sont en opposition avec Moïse, avec tous, et qu'ils n'observent pas la loi ? En effet, Moïse avait dit : « Le Seigneur vous suscitera un prophète » ; d'autres avaient prédit qu'il viendrait; un prophète même avait dit : « Quelle maison me bâtirez-vous ? » Et encore : « M'avez-vous offert des victimes et des sacrifices pendant quarante ans? » C'était là la liberté d'un homme portant sa croix.

Imitons-la, bien que nous ne soyons pas en guerre; la liberté est de tous les temps. « Je  parlais », dit-il, « de votre loi en présence des rois et je n'étais point confondu ». (Ps. CXVIII.) Si nous sommes aux prises avec des gentils, fermons-leur ainsi la bouche, sans colère , sans rudesse. Car si nous agissons avec colère, ce n'est plus de la liberté, mais de la passion ; si nous procédons avec douceur, c'est de la vraie liberté. Il n'est pas possible que la même chose sait en même temps vertu et vice. La liberté est une vertu , la colère est un vice. Si nous voulons parler librement, nous devons donc être exempts de colère, de peur qu'on n'attribue notre langage à cette passion. Quelque justes que soient vos paroles, de quelque liberté que vous usiez, quelques avertissements que vous donniez, quoi que vous fassiez enfin; si vous agissez avec colère, tout est perdu. Voyez qu'Etienne parle sans colère; il ne les injurie pas, mais il se contente de leur rappeler les paroles des prophètes. Et la preuve qu'il était sans colère, c'est qu'il a prié pour ceux qui le maltraitaient, disant : «Ne leur imputez pas ce péché». Paroles qui ne respirent point la colère, mais la douleur et la tristesse qu'il ressent à leur occasion. Aussi est-il dit de son visage : « Ils virent son visage comme le visage d'un ange », afin de les attirer.

Soyons donc exempts de colère. Là où elle se- trouve, l'Esprit-Saint n'habite pas maudit l'homme qui s'y livre ! Il n'y a rien de sain à attendre d'une telle source. Car comme dans la tempête il se fait un grand tumulte, de grands cris, et que ce n'est pas le moment de philosopher; ainsi en est-il dans la colère. Si on veut donner ou recevoir des leçons de philosophie, il faut attendre à être dans le port. Ne voyez-vous pas que, quand nous voulons parler de choses sérieuses , nous cherchons des endroits tranquilles, où règne le calme et la paix, afin de n'être point dérangés? Que si le tumulte du dehors nous gêne, à plus forte raison le trouble du dedans. Si quelqu'un prie, sa prière est inutile, s'il la fait avec emportement et colère; s'il parle, il est ridicule; s'il se tait , il ne l'est pas moins; s'il mange , il en souffre; de même s'il boit ou ne boit pas; s'il est assis ou debout; s'il marche ou s'il dort : car la colère peut s'imaginer dans les rêves. Y a-t-il rien qui ne soit déplacé dans l'homme en colère? Son regard est déplaisant, sa bouche tordue, ses membres tremblants et enflés, sa langue n'a plus de frein et ne ménage rien, son esprit est hors de lui même; sa tenue est inconvenante; tout est désagréable en lui. Quelle différence y a-t-il entre les yeux des possédés du démon et ceux de l'homme qui est ivre ou en colère? N'est-ce pas la même fureur? Cela ne dure qu'un temps, dira-t-on, mais le furieux n'est enchaîné non plus que temporairement : et quoi de plus misérable? Et on ne rougit pas de s'excuser en disant : Je ne savais ce que je disais l Et pourquoi ne le saviez-vous pas, vous homme raisonnable, vous qui avez la raison à votre disposition? Pourquoi vous conduisez-vous comme les animaux brutes, comme le cheval furieux et emporté? Cette apologie même est coupable. Plût au ciel que vous eussiez su ce que vous disiez ! C'était la colère qui parlait, dites-vous, et non pas moi. Comment était-ce la colère, puisqu'elle n'a pas d'autre puissance que celle que vous lui prêtez? C'est comme si l'on disait : Ce n'est pas moi, mais ma main qui a porté ces blessures. Qu'est-ce qui a surtout besoin de colère? n'est-ce pas la guerre? n'est-ce pas le combat? Et pourtant, là encore, la colère gâte tout, perd tout. Car c'est surtout dans le combat qu'il faut se tenir en garde (74) contre la colère; surtout encore quand on veut proférer une injure. Et comment combattre? direz-vous. Par la raison, par la douceur. Combattre, c'est être d'un côté opposé. Ne voyez-vous pas que les guerres mêmes ont des lois, un ordre, des temps fixes? La colère n'est autre chose qu'un élan déraisonnable; or, un être sans raison ne peut rien faire de raisonnable.

4. Ainsi donc Etienne disait tout cela et ne se fâchait point. C'était aussi sans colère qu'Elie disait : « Jusqu'à quand boiterez-vous des deux côtés? » (III Rois, XVIII, 21.) Phinéés porta le coup mortel et ne se fâcha pas. Car la colère ne laisse pas voir; enchaînant tout comme dans un combat de nuit,, elle égare à son gré les yeux et les oreilles. Débarrassons-nous donc de ce démon, arrêtons-le dès le début, mettons en guise de frein un sceau sur notre cœur. La colère est un chien impudent; qu'elle apprenne à se soumettre à la loi. Si le chien chargé de la garde du troupeau est tellement féroce, qu'il n'obéisse pas à l'ordre du berger et ne reconnaisse pas sa voix, tout est détruit, tout est perdu. Il paît avec les brebis; mais s'il les dévore, il devient inutile et on le tue. S'il sait vous obéir, nourrissez-le ; il est utile en aboyant contre les loups, contre les voleurs , contre le chef des voleurs, mais non contre les brebis ou les gens de la maison. S'il n'est pas docile, il perd tout; s'il méprise lavoir du maître, il détruit tout. Loin d'altérer la douceur. qui est en vous; que la colère la protège, et la fasse fleurir; or, elle la protégera et la fera prospérer en toute sécurité, si elle consume les pensées impures et mauvaises, si elle poursuit le démon à outrance. Et le moyen de conserver la douceur, c'est de ne jamais penser de mal du prochain : nous nous rendrons respectables en apprenant à né jamais agir avec insolence. Rien ne rend impudent comme une mauvaise conscience. Pourquoi les prostituées sont-elles impudentes? Pourquoi les vierges sont-elles pudiques? N'est-ce pas le péché qui en; est cause chez celles-là, et la chasteté chez celles-ci ? Car rien ne rend impudent comme le péché.. C'est tout le contraire, dites-vous; il inspire la honte. Qui , chez celui.qui se condamne lui-même; mais il rend les autres plus insolents, plus, hardis, car l'homme qui désespère de lui-même devient audacieux. Il est écrit, : « Quand l'impie est arrivé au fond de l'abîme du péché, il méprise ». (Prov. XVIII, 3.) Tout homme qui ne sait plus rougir est insolent, et tout insolent est audacieux. Voulez-vous savoir où se perd la douceur ? Quand les mauvaises pensées l'absorbent.

Mais quand cela serait, et quand le chien n'aurait pas poussé de grands aboiements, il ne faudrait pas encore désespérer. Car nous avons une fronde et une pierre (vous savez ce que je veux dire).: nous avons une lance, une étable, un enclos, où nous pouvons abriter nos pensées contre le péril. Traiter doucement les brebis, se montrer vigilant et féroce contre les étrangers, voilà le mérite du chien; puis ne pas toucher aux brebis, quand il a faim, et quand il est rassasié, ne pas épargner- les loups. Qu'il en soit ainsi de la colère; même quand elle mord , qu'elle ne s'écarte point des lois de la modération; quand elle est en repos, qu'elle s'anime contre les mauvaises pensées. Elle ne doit point négliger, mais garder ce qui est à nous, fût-il blessant d'ailleurs; elle doit détruire ce qui est étranger, quelque flatteur qu'il paraisse. Souvent le démon flatte comme un chien; mais que chacun sache qu'il est étranger. Ainsi, accueillons la vertu, même quand elle attriste : repoussons le vice, même quand il réjouit. Ne soyons pas au-dessous des chiens, à qui le fouet et les chaînes ne font pas lâcher prise. Mais si l'étranger les nourrit, ne seront-ils pas encore plus nuisibles? Il est des cas où la colère est utile : c'est quand elle aboie contre les étrangers.. Que signifient ces mots : « Celui qui se met sans raison en colère contre son frère? » (Matth. V, 22.) C'est-à-dire, ne vous vengez pas, ne réclamez pas en justice; mais si vous voyez quelqu'un en danger de périr, tendez-lui la main. Dès que vous êtes dégagé de toute affection personnelle, ce n'est plus de la colère.

David surprit Saül ; il ne se fâcha pas, ii ne le, perça pas de sa lance, il ne s'empara point de son ennemi, mais il repoussa l'assaut du démon. Moise tua l'étranger qui commettait une injustice; mais il n'en agit point de même avec un homme de son peuple;.il réconciliait ses frères et repoussait les étrangers. Aussi, l'Ecriture lui rend-elle ce témoignage : qu'il était le plus doux des hommes; et pourtant il était vigilant. Il n'en est pas,ainsi de nous Quand nous devrions montrer de la douceur, nous sommes plus féroces que les bêtes (75) sauvages; et quand il faudrait montrer de l'ardeur, rien de plus lâche et de plus endormi. Ainsi donc, parce que nous ne savons pas user des ressources qui sont en nous, notre vie se consume dans l'inutilité. C'est comme en fait de meubles, si nous prenons l'un pour l'autre, nous perdons tout. Par exemple : un homme a une épée, et au lieu de l'employer où il faudrait, il se sert de sa main; évidemment, il ne saurait réussir; et si, quand il faudrait se servir de sa main , il emploie son épée, il perd tout. Ainsi, un médecin qui ne coupe pas où il faudrait, et coupe où il ne faudrait pas , gâte tout. Je vous prie donc d'agir ici à propos. Tant qu'il ne s'agit que. de nos propres intérêts , ce n'est pas le cas de nous mettre en colère; mais quand il faut corriger les autres, usons de ce moyen pour les sauver. En nous tenant ainsi toujours en garde contre cette passion, nous serons.semblables à Dieu, et nous obtiendrons les biens à venir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ , à qui appartiennent au Père , en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

 

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